La coupe comme défi du temps réel
p. 301-316
Texte intégral
1La critique parle aujourd’hui, un peu trop facilement peut-être, de l’apparition d’un slow cinéma comme une sorte de rempart contre l’accélération qui marquerait le capitalisme tardif et les technologies récentes de communication et de divertissement. Il est vrai, sans doute, que la durée moyenne d’un plan dans un film commercial américain s’est réduite depuis son âge classique et que le style de celui-ci s’est intensifié grâce à un régime attentionnel spécifique du découpage, une adaptation du continuity editing1 aux expériences du spectateur habitué aux appareils numériques. Néanmoins, le statut paradoxal d’un plan qui dure plus que d’autres n’a cessé de marquer l’histoire et la théorie du cinéma, depuis ses origines. La coupe intervient au sein d’un film pour modéliser les processus de la perception et de la mémoire ; elle produit la temporalisation. Le texte qui suit tente simplement d’esquisser, sans prétendre à une argumentation d’ensemble, un premier état de cette question complexe, en revenant sur quelques positions fortes qui n’ont cessé de hanter la pensée du cinéma.
2Dès ses débuts, le cinéma se trouve devant un défifiguratif lié à la durée des plans, au moment même où l’expérience du temps venait de changer profondément, marquée par les effets de la modernisation, de la rationalisation et de l’industrialisation. Nouveau médium, le cinéma a intégré les phénomènes contradictoires de la fin du XIXe siècle2. Si on peut, avec son invention, pour la première fois enregistrer et projeter des images photochimiques en mouvement et donc stocker le présent dans sa durée (certes, limitée), ce fait s’inscrit au sein d’une conception culturelle changeante du flux temporel et de l’instant. Le dispositif spectaculaire de ces images photographiques mobiles a nourri la théorie du cinéma, de la formule célèbre de Bazin à propos de la « momie du changement » jusqu’au « cinéma d’attraction » (redéfini par André Gaudreault et Tom Gunning) visant l’étonnement du spectateur devant la performance du cinématographe. Néanmoins, si le cinéma invente l’enregistrement en continuité d’une image photographique du monde, il introduit aussi, par la coupe et par le montage, l’organisation des discontinuités et d’un réagencement des plans ou de ce que Gilles Deleuze appelle des « blocs de mouvements-durée3 ».
3Le temps réel incarne depuis les films des Frères Lumière une sorte de défi du plan, en associant le continuum de la vie à l’expérience temporelle du spectateur. En ce sens, le cinéma des premiers temps interviendrait précisément, selon Mary-Ann Doane, dans le « royaume ultime de la contingence4 », c’est-à-dire dans l’espace épistémique de l’entropie et de l’irréversibilité, et au sein d’une culture moderne du hasard accru. Le film contribuerait à une sorte d’auto-représentation de ses capacités d’enregistrer automatiquement le mouvement incessant et irréversible, notamment « quand il se présente soi-même, ajoute Doane, en tant que temps réel, dépourvu de coupes ». D’où la définition spécifique du plan long5 que Doane formule comme « regard sur une scène se déroulant d’une manière autonome, et dont la durée est une fonction de la durée et de l’imprévisibilité potentielle des événements eux-mêmes » (ibid.). De cette définition du plan long, Doane déduit une des fonctions de la coupe :
« [La] durée [du plan long] le situe en tant qu’invitation à la chance et à la non-prédictibilité, une invitation qui est abruptement interrompue par la coupe. La coupe est le mécanisme par lequel la temporalité devient un produit de l’appareil, répudiant le rôle du cinéma en tant qu’enregistrement du temps en dehors de lui-même6. »
4Cette définition à la fois historique et théorique est assez étrangère à la définition empirique du plan long, donnée par exemple par Barry Salt (et reprise par David Bordwell), visant le mode dominant du cinéma narratif7, et établissant une longueur moyenne de plans de moins de vingt secondes. Tout ce qui dépasse cette longueur relèverait ainsi du plan long.
5Si, d’après Doane, la coupe représente donc dans certains films des premiers temps une interruption de l’invitation à la chance (procurée par le plan long), le découpage introduit de son côté un mode de narration où la coupe intervient dans un souci de stabiliser un espace-temps et de construire un monde filmique reconnaissable. Par ailleurs, André Gaudreault a montré que dans le cinéma des premiers temps, bien au-delà des films limités à un seul plan, on peut concevoir le plan comme une unité autonome et indépendante pour représenter la durée d’une action dans un espace donné. Un des exemples célèbres sur lequel s’appuient et Doane et Gaudreault8, pour développer leurs arguments respectifs, est Life of an American Fireman (1903) d’Edwin S. Porter. Il s’agit d’interpréter le fameux passage entre les plans huit et neuf, répétition de la même scène, une première fois vue de l’intérieur et une seconde fois de l’extérieur : un pompier sauve une femme, la descend sur une échelle en sortant par la fenêtre, puis il revient sauver son enfant. La répétition de cette même scène fait bien ressortir le problème de l’ellipse temporelle au sein des plans et leur mode de récit en temps réel. Car la scène répétée, supposée identique, n’a pas la même durée. Le pompier revient en effet tout de suite quand la scène est montrée de l’intérieur ; mais il doit être supplié par la mère dans la scène vue de l’extérieur. Noël Burch, puis André Gaudreault9, mais aussi Mary-Anne Doane soulignent la théâtralité et la frontalité de la scène impliquant la relation spécifique qu’entretient le spectateur des premiers temps avec l’écran : cette relation prévalait sur l’illusion d’un flux temporel ou d’une action linéaire qu’on aurait pu imaginer selon un montage alterné que certains historiens-théoriciens considèrent comme « manipulation par découpage » (Charles Musser)10.
6Face à la coupe, à l’arrêt et à l’interruption, l’idée du temps réel conduit vers la pensée de la relation entre continu et discontinu, entre présent, passé et futur. Il reste à savoir comment le cinéma, ayant contribué si fort à incarner une certaine notion du temps réel (bien avant la télévision et la surveillance-vidéo), articule ce défid’introduire, par la coupe, quelque chose qui perturbe l’effet de présence et de présent. Sans doute faut-il aussi penser le problème de la durée d’un plan en termes d’espace (cadrage et décadrage, possibilité du dédoublement d’un plan pour créer des co-présences, ou encore la reprise, comme on vient de le voir avec le film de Porter). Ainsi, l’articulation entre perception, conscience et mémoire, telle qu’elle a été conçue par Bergson par exemple, peut se poser en termes non-chronologiques, voire topologiques.
7Chez Bergson, la notion de durée implique une certaine continuité, constituant une sorte de milieu dans lequel des couches temporelles hétérogènes peuvent être intégrées11. Ce milieu environnant passe par exemple par la conscience (dans Essai sur des données immédiates de la conscience et dans La Pensée et le Mouvant) ou par l’élan vital (dans Matière et Mémoire et Durée et Simultanéité).
« Les perceptions, dit Frédéric Worms dans son commentaire du vitalisme de Bergson, ne sont donc ni des “copies” d’un réel en soi, ni des “idées” ou des “représentations” dans notre esprit pur, mais bien d’abord l’effet de la relation concrète et insubstituable d’un vivant au réel12. »
8Cela implique aussi que les perceptions de chacun deviennent immédiatement des souvenirs, et donc que l’image se dédouble, « comme rapport au monde et comme élément d’une histoire13 ». C’est cette capacité de dédoublement qui intéresse Gilles Deleuze, quand il lie sa conception de l’image-temps (et de l’imagecristal, entre autres), à l’idée d’une scission ou d’une co-présence des images (actuelles et virtuelles14). Deleuze, s’intéressant à un certain Bergson « métacinématographique » (Paola Maratti15), définit le plan d’immanence en tant qu’image de la pensée et écrit que « le début de Matière et Mémoire trace un plan qui coupe le chaos, à la fois mouvement infini d’une matière qui ne cesse de se propager et image d’une pensée qui ne cesse d’essaimer partout une pure conscience en droit16 ». Si ce mouvement infini est donc propre à l’image de la pensée, il est en même temps matière. De ce même point de vue, on peut associer la question du temps réel à une conception bergsonienne de durée : le cinéma chercherait à restituer l’expérience du temps vécu sous forme d’expérience spectatorielle, tout en créant des plans qui sont à la fois objets techniques et objets esthétiques, au sens de Gilbert Simondon. « L’objet primitivement artificiel devient de plus en plus semblable à l’objet naturel17 », écrit Simondon, prolongeant ainsi la conception bergsonienne de la durée en pensant des objets techniques comme objets temporels (et non seulement comme objets mécaniquement spatialisés).18
9L’idée critique et normative qu’André Bazin livre sur la fonction de la coupe au cinéma et la question du temps réel s’ancre en partie dans cette pensée du flux temporel propre à Bergson. L’unité du plan, Dudley Andrew le relève dans son étude sur Bazin, n’est chez Bazin qu’une « notion analytique destinée à nous faire voir le monde comme fragmenté19 ». Ainsi, dans « L’évolution du langage cinématographique20 », Bazin explique-t-il l’invention néo-réaliste non pas « par une révolution dans la technique du découpage », mais chez Rossellini ou de Sica par exemple, par le fait de viser « à réduire à néant le montage et à faire passer dans l’écran la continuité vraie de la réalité. Zavattini ne rêve que de filmer 90 minutes dans la vie d’un homme à qui il n’arrive rien ! ». Ce fameux « rêve de Zavattini » repose, on le sait, sur l’idée que le montage (et le découpage) falsifieraient la vie, car le montage créerait, avec ses synthèses, de l’historicité21.
10Si Bergson a souligné lui-même, dans les passages célèbres de L’Évolution créatrice consacrés au cinéma, une certaine analogie entre conscience et cinématographe, on peut y dégager également l’idée d’une « homogénéité d’un temps indifférent à ce qui a lieu » (Elie During)22, attribuée à la mécanicité de l’appareil qui est celui des chronomètres. Cette idée d’un temps indifférent, visant le niveau mécanique du défilement, n’est pas sans rapport avec le vœu que Bazin prête à De Sica et Zavattini « de faire du cinéma une asymptote de la réalité23 ». Car ce qui compte à ses yeux dans ce cinéma, c’est la capacité de passer par « le temps réel des choses », au profit d’un nouveau mode d’abstraction :
« [Le récit] redevient capable d’intégrer le temps réel des choses, la durée de l’événement auquel le découpage classique substituait insidieusement un temps intellectuel et abstrait. Mais loin d’éliminer définitivement les conquêtes du montage, il leur donne au contraire une relativité et un sens. Ce n’est que par rapport à un réalisme accru de l’image, qu’un supplément d’abstraction devient possible24. »
11Dans son éloge célèbre d’Umberto D (1952) de De Sica (1952), Bazin souligne que l’unité du récit n’est pas l’épisode ou l’événement, mais « la succession des instants concrets de la vie dont aucun ne peut être dit plus important que l’autre ». Au lieu de se livrer à ce que Bazin critique comme un « art de l’ellipse », Zavattini et De Sica auraient cherché à « diviser l’événement en événements plus petits et ceux-ci en des événements plus petits encore, jusqu’à la limite de notre sensibilité à la durée25 ». Pour Bazin, l’exemple-phare est la séquence du lever de la « petite bonne », à l’aube, « tournant, encore ensommeillée, dans la cuisine, noyant des fourmis qui envahissent l’évier, moulant le café ». C’est le travail de la caméra et de la mise en scène qui, dans ce contexte, intéresse Bazin :
« Le fait de moudre le café, nous le voyons se diviser à son tour en une série de moments autonomes comme par exemple la fermeture de la porte du mouvement du pied tendu. La caméra suivant, en se rapprochant, le mouvement de la jambe, c’est le tâtonnement des orteils contre le bois qui devient finalement l’objet de l’image26. »
12De son idée d’une écriture « en cinéma » (comme il dit dans l’« Évolution du langage cinématographique27 »), Bazin fait ressortir ce qu’il appelle une « égalité ontologique » des instants, détruisant « à son principe même la catégorie dramatique »28 du découpage classique.
13L’intérêt que Bazin a porté à cette séquence d’Umberto D, pour lui emblématique de ce qui devient le néoréalisme, a souvent été commenté et prolongé par la suite. Ainsi, en intégrant l’idée d’équivalence des instants quotidiens dans sa conception de l’image-temps, Gilles Deleuze s’intéresse moins au problème du temps réel, qu’à ce qu’il appelle des « situations purement optiques (et sonores) » qui se distinguent des situations sensori-motrices de l’ancien réalisme29. Dans sa lecture de la fameuse séquence de la petite bonne entrant dans la cuisine, Deleuze met l’accent sur l’idée du rapport, créé par la caméra (donc, par la mise en scène), quand, au sein de gestes machinaux et las, le regard de la bonne « croise son ventre de femme enceinte ». Car, écrit-il,
« dans une situation ordinaire ou quotidienne, au cours d’une série de gestes insignifiants, mais obéissant d’autant plus à des schémas sensori-moteurs simples […], ce qui a surgi à coup, c’est une situation optique pure pour laquelle la petite bonne n’a pas de réponse ou de réaction30 ».
14Le spectateur sait déjà que la bonne est enceinte, et il l’a déjà vue antérieurement accomplir certains gestes quotidiens dans cette cuisine. Deleuze ajoute plus loin : « Si la banalité quotidienne a tant d’importance, c’est parce que, soumise à des schémas sensori-moteurs automatiques et déjà montés, elle est d’autant plus susceptible, à la moindre occasion qui dérange l’équilibre entre l’excitation et la réponse » et donc « de se révéler elle-même dans une nudité, une crudité, une brutalité visuelles et sonores qui la rendent insupportable31 ». Si Deleuze souligne qu’il s’agit de schémas « déjà montés », et qu’il associe donc cette idée à l’effet de reprise au niveau de la macrostructure du montage, dans le même temps, il fait valoir par son évocation des gestes et du regard la microstructure du découpage plan par plan, le profilmique et la mise en scène : d’où l’importance implicite de la durée des plans que Deleuze évoque par ailleurs dans le cours correspondant à ce passage du livre32.
15Qu’en est-il concrètement de ce nouveau type de découpage dans lequel Bazin voit non pas une description, mais une écriture du réel ? Dans son étude sur l’hallucination artistique, Jean-François Chevrier33 souligne un passage du texte le plus fameux de Bazin, « Ontologie de l’image photographique », où celui-ci, se référant au surréalisme, évoque une sorte d’équivalence entre image et objet et la possibilité de réaliser « une image participant de la nature : une hallucination vraie34 ». Pour analyser la charge complexe de cette formule ambiguë, il montre l’emprunt de Bazin – via Breton – à Hippolyte Taine : « la perception extérieure est une hallucination vraie35 ». S’écartant sur ce point de la phénoménologie de la perception36, dit Chevrier, Bazin aurait également mobilisé l’idée du « fantôme intérieur » de Taine, une certaine « hantologie » (Jacques Derrida), produisant l’oxymoron célèbre de la « momie du changement », et procédant d’une sorte d’hallucination négative, d’absence, mais comblée par la surface de l’écran qui s’apparente à une page blanche mallarméenne37. Quant à la séquence du lever de la bonne dans Umberto D, Chevrier relève une certaine inexactitude remarquable de la description de Bazin38 : celui-ci aurait condensé deux scènes du film, qui se font écho. La première montre en effet la chasse aux fourmis à l’aide d’un jet d’eau qui laisse une tache sur la robe de la bonne et se poursuit par la conversation avec le vieux Umberto D à qui elle apprend qu’elle est enceinte, bien que cela ne se laisse pas encore deviner ; la deuxième, celle du lever, n’implique qu’un geste très court du jet d’eau, non identifiable. Chevrier commente la reprise du geste, effectuée dans la deuxième scène, de la manière suivante :
« La seconde scène est d’une grande efficacité psychologique : dans l’état flottant du réveil, la jeune femme est obsédée par sa grossesse, mais elle s’amuse à fermer la porte du pied (sans se déplacer) en moulant le café. Elle est obsédée par ce qui s’est formé, invisible, dans son ventre ; c’est pourquoi Bazin a vu (imaginé) les fourmis au creux de l’évier39. »
16Pour renforcer son argument portant sur l’opération inconsciente de Bazin (sa condensation narrative), Chevrier, sous-estimant sans doute les conditions de travail d’un critique des années 195040, relève, dans un autre texte de Bazin sur De Sica, la notion de « sujet invisible41 ». En faisant ainsi passer au premier plan l’effet de l’imagination de Bazin, il s’intéresse peu au découpage et à la temporalité des plans, à ce que Bazin appelle « la durée naturelle d’un être auquel il n’arrive rien de particulier42 ». L’accent mis sur la figure des fourmis conduit finalement Chevrier à ce qu’il appelle, faisant sans doute allusion à Artaud, la participation de Bazin à un « petit théâtre de la cruauté43 » ; ce qui n’est pas loin de la conclusion de Deleuze portant sur la banalité quotidienne de cette scène, qu’on voit « se révéler […] dans une crudité, une brutalité visuelles et sonores44 ». Curieusement, tout en s’intéressant aux micro-événements et aux petits moments de cette scène, ni Bazin, ni Deleuze, ni Chevrier ne précisent son découpage.
17Dans un tout autre contexte, Raymond Bellour s’intéresse également au fameux « rêve de Zavattini » et à Umberto D, afin de cerner l’idée bazinienne de la perturbation du découpage classique (chez Wyler ou Welles) par le plan-séquence, en tant qu’« unité de l’image dans le temps et dans l’espace45 ». Car dans « L’évolution du langage cinématographique », Bazin prolonge ce rêve de Zavattini par une sorte d’excès, imaginant « un film de Stroheim composé d’un seul plan aussi long et aussi gros qu’on voudra46 ». Mais si Bazin voit dans la scène de Umberto D une sorte d’esquisse d’une telle utopie de cinéma, il ne s’agit pourtant pas d’un planséquence. Ce que Bazin appelle « l’égalité ontologique » entre les instants de la vie quotidienne, est en effet ménagé, suivant l’analyse de Bellour, par
« douze changements de plan à l’intérieur de cette action continue, assurant une certaine dramatisation minimale de l’espace et donc du temps, faisant ainsi du film cette asymptote de la réalité dont parle Bazin, plutôt qu’une illusion de réalité nue ou que sa réalité autrement modulée dans la continuité d’un seul plan47 ».
18Il n’y a donc pas de plan spécialement long dans cette scène du lever de la bonne, mais une continuité des gestes et, Deleuze l’a bien vu, un intérêt porté vers le regard. Ce que Bazin apprécie comme division de l’événement « jusqu’à la limite de notre sensibilité à la durée » ne se joue donc pas au niveau de la continuité du plan, mais au niveau de la distribution égale des gestes et des microgestes, et de la valorisation de cette égalité par la mise en scène. Le fantasme du temps réel que Bazin érige, par sa référence au « rêve de Zavattini », contre le découpage classique, se greffe donc plutôt sur l’idée de l’indétermination des événements filmés. Ce que Bazin appelle l’intégration du « temps réel des choses » est en ce sens proche de la notion de perception chez Bergson, visant la représentation de ce que celui-ci appelle, dans L’Évolution créatrice, la « vraie durée » ou encore le « devenir indéterminé, simple abstraction qui par elle-même ne dit rien », en une « multiplicité indéfinie de devenirs diversement colorés48 ». Penser, exprimer, percevoir le devenir revient pour Bergson à « actionner une sorte de cinématographe intérieur ». Si, dans ce contexte, le cinématographe devient ce que During appelle l’analogon49 de notre connaissance des choses, Bergson souligne la nécessité du rythme et de la discontinuité de celle-ci50. C’est ainsi qu’il définit le processus de la pensée dans des termes de découpage : « résoudre le devenir en ses principaux moments ; chacun de ceux-ci étant d’ailleurs soustrait par hypothèse à la loi du temps et comme cueilli dans l’éternité51 ». C’est probablement en ce sens que Bazin appelle Le Mystère Picasso « un film bergsonien52 » : à cause de la capacité de ce film de montrer la temporalité de la peinture (ses différents stades et métamorphoses) par ce qu’il appelle une « virtualité exigeante ». Car dans ce film, selon Bazin, il s’agit de « faire passer les approximations grossières du discontinu au réalisme temporel de la vision continue ; donner enfin à voir la durée même53 ». Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a pas de coupes.
19Qu’est-ce donc qu’un « réalisme temporel de la vision continue » ? Il est clair que Bazin ne vise pas empiriquement ni même symboliquement le fantasme d’un plan-séquence de plusieurs heures ou journées entières qui traverse l’histoire du cinéma, notamment dans les avant-gardes : de Fernand Léger, anticipant par la négative des dispositifs de surveillance54, aux utopies artistiques d’Andy Warhol, qui, filmant et projetant ses happenings structurés, approchait au plus près les images enregistrées et la vie du spectateur, ou de Pier Paolo Pasolini à Apichatpong Weerasethakul. La formulation de ce fantasme d’un plan-séquence démesuré sert, au fond, à la définition de la fonction et de la puissance du cinéma :
« Aussi continue et infinie soit la réalité, écrit par exemple Pasolini, une caméra idéale pourra toujours la reproduire, dans son infinitude et sa continuité. Le cinéma serait donc, en tant que notion primordiale et archétypale, un plan-séquence continu et infini55. »
20De la « technique audiovisuelle », Pasolini, s’intéressant également aux effets de la transmission télévisuelle, dit ailleurs qu’elle n’est « autre que la reproduction […] du langage de l’action, […] la reproduction du présent56 ». Mais il souligne dans le même temps l’importance de la coupe en tant que condition pour l’accès au passé et au sens57 ; et il ajoute qu’un plan-séquence « à l’état pur » serait constitué « par une suite extrêmement ennuyeuse de faits et d’actions insignifiants58 ». Faisant allusion aux films très longs de Warhol, notamment à Sleep (1963), qui incarne pour lui ce cinéma « à l’état pur », Pasolini range l’avant-garde du New American Cinema dans le sillon du néoréalisme, donc du côté du « rêve de Zavattini » et de ce qu’il appelle le « culte du document et du vrai », tout en critiquant son projet esthétique de vouloir fusionner vie et art :
« Le bref, sensé, mesuré, naturel et aimable plan-séquence du néo-réalisme, dit-il, nous donne le plaisir de reconnaître la réalité où nous vivons tous les jours et nous la fait goûter, au moyen d’une confrontation esthétique, en l’opposant aux conventions académiques. En revanche, le long, insensé, démesuré, monstrueux et silencieux plan-séquence du “new cinema” nous fait prendre en horreur la réalité, par une confrontation esthétique où il s’oppose cette fois au néo-réalisme considéré lui-même comme une académisation du vivre59. »
21Si ce n’est que Pasolini ne tient guère compte de la nature conceptuelle des films de Warhol dont on sait qu’ils sont en réalité composés de plusieurs prises de vue, tout comme le film théâtral de Hitchcock, The Rope (La Corde, 1948) suscitant l’illusion d’un plan continu. Cette opposition intéressante entre néoréalisme et New American Cinema établit un clivage entre deux avant-gardes : celle des coopératives des filmmakers, héritière de l’art des années 1920, et celle de la Nouvelle Vague, née du néo-réalisme, que Peter Wollen a nommée « européenne ». Wollen distingue ces deux avant-gardes en fonction de leur conception de la référentialité et de leur rapport au réel : la première se concentrerait sur la matérialité du film et serait « introvertie », la deuxième serait plus orientée vers le monde filmé, et donc « extravertie60 ». Ces orientations s’incarnent également dans la manière dont les deux avant-gardes conçoivent le plan long et l’idée du temps réel. Chez Michael Snow par exemple, dans le faux plan-séquence que constitue Wavelength (1967), le long zoom avant, dans un atelier, vers une photographie de vagues punaisée sur un mur, donne à voir ou laisse seulement entendre des événements épars ; mais ce qui ressort comme événement majeur est d’ordre plastique et sonore (les changements de lumière, les filtres de couleur, la plus ou moins continuelle vibration sonore) et confronte le spectateur à l’épreuve de la durée de la vision et de l’écoute du film, le place donc devant sa propre endurance. Chez Jean Rouch en revanche, dans le quasi-plan-séquence du court-métrage Gare du Nord (1965), le temps réel devient un défipour la mise en scène et pour la caméra mobile suivant au plus près le mouvement des personnages, valorisant ainsi la sensation de l’espace filmé (l’appartement étroit et bruyant, puis la rue dominée par le chantier).
22De cette polémique de Pasolini contre l’avant-garde new-yorkaise ressort finalement l’idée que ce qui compte dans la durée d’un plan, c’est son rythme (en ceci, Pasolini rejoint Tarkovski), ou encore le rythme de la succession des plans (donc du découpage)61. Plus tard, Pasolini suggérera dans sa « théorie des raccords », d’inspiration sémiotique, l’établissement d’un tableau qu’il appelle « rythmème », soit « un panorama des durées de chaque plan et des rapports de ces durées entre un plan et l’autre62 ». Un tel tableau inclurait même ce qu’il appelle les « durées négatives », c’est-à-dire un graphique des raccords, de ce qui fait l’objet de la coupe et de l’ellipse, ou, comme il dit « du non-existant significatif ». Suivant cette tendance à vouloir tenir compte des ellipses, coupes et failles, en considérant les coupes les plus minimes, Pasolini imagine même ce que Friedrich Kittler appellera dans son approche archéologique des médias « le temps réel des machines63 », correspondant au temps propre de la transmission technique d’une image. Une telle théorie des failles rejoint par ailleurs la logique du documentaire au sein duquel on trouve par définition une sorte de « cavité » que le cinéaste-anthropologue David MacDougall décrit comme « l’empreinte négative des personnes et des événements manquants64 ».
23Plus de quarante ans après Pasolini, Apichatpong Weerasethakul épouse lui aussi le fantasme d’un film tourné en temps réel et qui durerait 48 heures, suivant curieusement l’idée que le rythme de la mémoire humaine serait proche du cinéma même, « une certaine durée suffisante […] pour évoquer un sentiment, un souvenir65 ». Cela suppose donc la visée d’un lien essentiel entre perception et mémoire. Au sein de ses films, oscillant souvent entre la fiction et le documentaire, on peut remarquer des plans relativement longs, captant des gestes quotidiens, des expériences de vue mobile ou encore des conversations. Ainsi, dans Mysterious Object at Noon (2000) par exemple, la scène où on voit une jeune enseignante amenant son père sur un fauteuil roulant chez un médecin ; cette scène, filmée en plan fixe, dure presque 4 minutes. Il faut tout ce temps et une série d’entrées et de sorties de champ, incluant l’hésitation ultime de la fille à demander un conseil la concernant, pour deviner l’épaisseur sociale de ces gestes de soin.
24Si on essaye, finalement, de déterminer la question du découpage à partir de la conception du plan, « cet espace de temps qui sépare son début de sa fin66 », pour reprendre la formule tautologique proposée par Jacques Aumont, la question essentielle sera donc : « comment un film pratique-t-il la continuisation du discontinu67 ? » Aumont est préoccupé, comme Doane, par la question de la longueur du plan, par sa durée relative et qualitative. Le plan long ne l’intéresse pas tant en fonction de l’effet de la coupe (et du raccord) que par sa propriété de déborder la chaîne des événements ; il traite ainsi la question du plan long du point de vue de son autonomie. Aumont propose la notion de « plan prolongé », qui serait
« perduratif, tenu plus longtemps que ne le prescrit la seule inscription d’une suite événementielle (laquelle mène au dit “plan-séquence”) ; le plan prolongé est un morceau de film qui va de l’avant, plus longtemps, toujours plus, sans s’arrêter. Ce n’est pas la quantité de durée qui est augmentée, c’est la qualité qui change68 ».
25Cette définition rejoint en un sens l’idée de l’importance du rythme, avancée par Pasolini. Si Aumont caractérise le plan prolongé dans la perspective d’une logique événementielle, il semble viser par là plutôt des plans qui se vident, où on voit s’autonomiser la caméra, des plans qu’on peut trouver par exemple chez Ozu, chez Ophuls, ou dans le cinéma de fiction de Varda69. Mais les plans plus « documentaires » n’entrent pas dans cette définition – par exemple ceux de Chantal Akerman, souvent d’emblée déserts, pauvres d’événements et dont parle Mathias Lavin dans un texte reprenant la proposition d’Aumont70 ; ou ceux du cinéma d’avant-garde américain qui fonctionnent selon des règles conceptuelles : la durée d’un plan correspond par exemple, chez James Benning ou chez Morgan Fisher, à la durée d’une bobine 16 mm ou à un autre principe structurel. Dans ces plans-là, le micro-événement qui survient par hasard où se trouve prévu par le protocole de l’artiste fait plutôt valoir la dimension de contingence relevée par Doane dans le cinéma des premiers temps.
26Restent les plans de fiction qui durent sans que rien de particulier ne s’y passe. Dans Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (2010) de Weerasethakul, par exemple, la scène où, au début, un infirmier donne pendant 10 minutes des soins à un malade des reins, est tournée en continu. Cela ne relève pas du documentaire ; mais ce peut être une nouvelle manière de « diviser l’événement en événements plus petits et ceux-ci en des événements plus petits encore, jusqu’à la limite de notre sensibilité à la durée », pour revenir à la formule de Bazin. Le réalisateur a pensé et découpé ce film non pas en séquences, mais en termes de bobines (des sortes de supra-segments de 20 minutes71). Quand on revient, vers la fin, aux plans longs, dans une chambre d’hôtel, Weerasethakul présente à nouveau une scène banale, pendant laquelle trois personnages regardent la télévision, confrontés à la décision de sortir ou non. Cette fois, les plans se plient sur eux-mêmes, par un trucage simple, ouvrant la fin de ce récit à la fois fantastique et réaliste à la virtualité du découpage et du scénario et à la co-présence de plusieurs temps hétérogènes. En mettant en péril l’illusion d’un flux continu, le film montre son activité mémorisante et anticipante. Weerasethakul dit lui-même de cette fin qui rime avec la séquence de la visite des fantômes à la table de Boonmee : « ça ne fait que ressembler à du documentaire, car le temps glisse, s’interrompt avec ces personnages qui se dédoublent dans l’espace et dans le temps72 ».
27Si tout au long du film, le cinéaste ne cesse de fabriquer une logique du plan long documentaire, c’est probablement pour redéfinir les termes dans lesquels le film s’adresse au spectateur, au sens où David MacDougall73 en parle. De ce point de vue, Weerasethakul est aujourd’hui l’héritier de l’une et l’autre des deux avantgardes, de Warhol comme de Godard et de Rouch. Son cinéma, trop facilement appelé « lent », relève en fait d’une réponse subtile au défide penser le temps réel par les moyens cinématographiques et de considérer le découpage comme une forme correspondante à l’expérience de la durée, entre perception et mémoire.
Notes de bas de page
1 Voir « Exploring Inner Words. Where Cognitive Psychology May Take Us. A dialogue between Ian Christie et Tim J. Smith », in Ian Christie (dir.), Audiences. Defining and Researching Screen Entertainment Reception, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2012, p. 170-184, p. 179 pour ce passage.
2 Ce sont des phénomènes qu’on peut décrire (en particulier avec Mary-Ann Doane) dans des termes de contingence (versus loi et anticipation du futur), de discontinuité (versus continuité), d’irréversibilité (versus réversibilité), d’instantanéité (versus durée) et d’archivabilité (versus « éphéméréité »). Cf. Doane M. A., The Emergence of Cinematic Time. Modernity, Contingency, the Archive, Boston, Harvard University Press, 2002, p. 225.
3 Cf. Deleuze G., « Qu’est-ce que l’acte de création ? » (1998), Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975-1995, éd. David Lapoujade, Paris, Les Éditions de Minuit, 2003, p. 291-304.
4 Le cinéma représente parfaitement le contingent, par sa capacité d’enregistrer le temps, notamment sous la forme des actualités qui montrent « ce qui se passe ici et maintenant » (cf. Doane M. A., The Emergence of Cinematic Time. Modernity, Contingency, the Archive, op. cit., p. 224).
5 En anglais la notion de « long take » (la prise de vue, impliquant la durée) n’est pas à confondre avec celle de « long shot » (le plan large, impliquant donc le cadrage).
6 Mary Ann Doane ajoute, « The cinema becomes a Freudian Time-Machine rather than the pure promise of an indexical link to the referent » (ibid.).
7 Le corpus comprend des films de fiction réalisés entre 1915 et 1970, c’est-à-dire des films hollywoodiens, « European Art films » et deux films japonais ; cf. Bordwell D. et Thompson K., « Duration of the Image : The Long Take », Film Art : An Introduction, 6e édition, New York, McGraw-Hill, 2001, p. 240-245, p. 240 pour cette référence. Dans la 8e édition du livre, traduite en français, cette référence ne figure plus dans le chapitre.
8 Cf. Doane M. A., The Emergence of Cinematic Time. Modernity, Contingency, the Archive, op. cit., p. 188, et Gaudreault A., « Temporality and Narrativity in Early Cinema, 1895-1908 », in John Fell (dir.), Film before Griffith, University of California Press, 1982, p. 322.
9 Gaudreault suit plutôt Noël Burch, « Porter, or Ambivalence », Screen 19.4 (Winter 1978-1979), 104. Cf. Gaudreault A., « Temporality and Narrativity in Early Cinema, 1895-1908 », art. cit., p. 322.
10 Très justement, Charles Musser remarque que dans ce cas, le temps réel serait chaque fois attribué à l’action qui se passe dans l’espace montré (et non pas à celle qui se passe hors champ). Musser appelle cette relation complémentaire entre les plans « proto-montage alterné » (« protoparallel editing »), suggérant qu’il s’agit là d’une « manipulation de la mise-en-scène au lieu d’une manipulation des matériaux par découpage [sic] et manipulation temporelle sur l’espace [time over space]. » Cf. Musser C., Before the Nickelodeon, Edwin S. Porter and the Edison Manufacturing Company, Berkeley, Los Angeles/Londres, University of California Press 1991, p. 226 (trad. C. B.).
11 Cf. Cuntz M., « Objets temporels und durée oder : Die Wiederholung, das Grauen und das Neue. Eine Konfrontation von Roberto Bolaños Erzählungen der Ungleichzeitigkeit mit Poe, Bergson, Duchamp, Simondon und Stiegler », in Ilka Becker, Michael Cuntz et Michael Wetzel (dir.), Just not in Time. Inframedialität und non-lineare Zeitlichkeiten in Kunst, Film, Literatur und Philosophie, Munich, Wilhelm Fink, 2011, p. 177-220, p. 196 pour cette question.
12 Worms F., « Vivre avec ou sans images : quelle différence ? », in Dork Zabunyan (dir.), Les images manquantes, coll. « Les carnets du BAL », no 03, 2013, p. 18.
13 Worms F., « Vivre avec ou sans images : quelle différence ? », op. cit.
14 Ainsi, le passé et le présent peuvent être contemporains. Deleuze donne, dans L’Image-temps, une définition fameuse de ce dédoublement temporel : « Le passé ne succède pas au présent qu’il n’est plus, il coexiste avec le présent qu’il a été. Le présent, c’est l’image actuelle de son passé contemporain, c’est l’image virtuelle, l’image en miroir » (Deleuze G., L’Image-temps, Cinéma 2, Paris, Minuit, 1985, p. 106).
15 Maratti P., « Deleuze, cinéma et philosophie », in François Zourabichvili, Anne Sauvagnargues et Paola Maratti (dir.), La Philosophie de Deleuze, Paris, PUF, 2004, p. 331.
16 Deleuze G. et Guattari F., Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991, p. 50.
17 Cf. Simondon G., Du Mode d’existence des objets techniques (1958), Paris, Aubier, 1969, p. 47.
18 Sur ce point, cf. Cuntz M., « Objets temporels und durée oder : Die Wiederholung, das Grauen und das Neue. Eine Konfrontation von Roberto Bolaños Erzählungen der Ungleichzeitigkeit mit Poe, Bergson, Duchamp, Simondon und Stiegler », op. cit., p. 177-220, p. 185 pour cette question. Elie During souligne de son côté que d’après Simondon, « les objets et les réseaux techniques sont le siège de processus d’individuation aussi réels, c’est-à-dire aussi concrets, que ceux qu’on observe dans les organismes vivants », ce qui le distingue de Bergson. Cf. During E., « Simondon au pied du mur », Critique, no 706/mars 2006, repris dans CIEPFC, http://www.ciepfc.fr/spip.php?article41, site consulté le 22 juin 2014.
19 Andrew D., André Bazin, Paris, Cahiers du cinéma/Éditions de l’Étoile, 1983, p. 37.
20 Bazin A., « L’évolution du langage cinématographique », Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 77.
21 Le montage, d’après Zavattini, serait donc quelque part imprégné par la propagande. Cf. Liehm M., Passion and defiance : film in Italy from 1942 to the present, Berkeley, University of California Press, 1984, p. 103-104.
22 During E., « Cinematography and the Extended “Now” : From Bergson to Video Art », in Pirkko Rathgeber et Nina Steinmüller (dir.), BildBewegungen/ImageMovements, Munich, Fink, 2013, p. 256-279, p. 258-259 pour cette citation.
23 Bazin A., « Une grande œuvre : “Umberto D” » (1952), in Qu’est-ce que le cinéma ?, Éditions du Cerf, 1990, p. 334-335.
24 Bazin A., « Évolution du langage cinématographique », op. cit., p. 80.
25 Bazin A., « Une grande œuvre : “Umberto D” », op. cit., p. 333.
26 Ibid.
27 Bazin A., « Évolution du langage cinématographique », op. cit., p. 80.
28 Bazin A., « Une grande œuvre : “Umberto D” », op. cit., p. 333.
29 Deleuze G., L’Image-temps, Cinéma 2, op. cit., p. 9.
30 Deleuze G., L’Image-temps, Cinéma 2, op. cit., p. 8.
31 Ibid., p. 10.
32 Deleuze dit dans son cours : « Et voyez-vous pourquoi, parce qu’en effet, tout le rythme de l’image, tous les caractères formels de l’image s’identifient à la forme de la réalité au lieu de se contenter de filmer un contenu supposé réel. Tant dans la durée, que, dans le rythme, que dans le temps » (Deleuze G., « La rencontre [entre l’œil et le ventre] », cours mis en ligne : http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=130, site consulté le 22 juin 2014).
33 Chevrier J.-F., L’Hallucination artistique. De William Blake à Sigmar Polke, Paris,’Arachnéen, 2012, p. 577-578 et p. 582.
34 Bazin A., « Ontologie de l’image photographique » (1945), Qu’est-ce que le cinéma ?, op. cit.,. 9-17, p. 16 pour cette citation.
35 Il s’agit d’une formule de 1870. Les surréalistes en faisaient l’application en parlant de l’hallucination volontaire, dans le sillage de Rimbaud. Cf. Chevrier J.-F., L’Hallucination artistique, op. cit., p. 578.
36 Chevrier rappelle la critique de Sartre et de Merleau-Ponty par rapport à ce type de conception d’une image mentale, impliquée dans la perception.
37 Chevrier J.-F., L’Hallucination artistique, op. cit., p. 580. Bazin parle à propos de Bresson d’un « écran vide d’images » (Bazin A., « Le “Journal d’un curé de campagne” et la stylistique de Robert Bresson », Qu’est-ce que le cinéma, op. cit., p. 124).
38 Provenant probablement de l’écart entre le moment ou Bazin a vu et écrit une première fois sur le film, à Cannes, et la publication, en octobre, de ce texte. Voir ibid., p. 583.
39 Ibid., p. 583-584.
40 C’est sous-estimer combien l’écriture critique de Bazin a obéi à des conditions bien différentes de celles de la critique d’aujourd’hui qui a, grâce aux supports numériques, la possibilité de vérification, de répétition et de dilatation d’une expérience de visionnement. Bazin ne pouvait, à l’époque, voir le film qu’en salle.
41 Dans Bazin A., « De Sica metteur en scène », Qu’est-ce que le cinéma ?, op. cit., p. 326, et Chevrier J.-F., L’Hallucination artistique, op. cit., p. 584. Bazin y parle d’un film d’un « totalement dissous dans le fait qu’il a suscité », impliquant l’idée selon laquelle le film engendre du réel.
42 Ibid., p. 326.
43 Chevrier J.-F., L’Hallucination artistique, op. cit., p. 586.
44 Deleuze G., L’Image temps, op. cit., p. 10.
45 Bazin A., « L’évolution du langage cinématographique (combinaison de trois articles parus entre 1950 et 1955) », Qu’est-ce que le cinéma, op. cit., p. 75, cité d’après Bellour R., « Le cinéma, un art des images manquantes », in Dork Zabunyan (dir.), Les Images manquantes, coll. « Les carnets du BAL » no 03, 2013, p. 174.
46 Ibid.
47 Bellour R., « Le cinéma, un art des images manquantes », op. cit.
48 Bergson H., L’Évolution créatrice, Paris, PUF, 2009 (1941), p. 304. Un peu avant ce passage, Bergson parle de différents modes de la pensée de la « vraie durée » (p. 298), puis de la fonction de la perception qui serait de « saisir une série de changements élémentaires sous forme de qualité ou d’état simple, par un travail de condensation » (p. 300).
49 Cf. During E., « Cinematography and the Extended “Now” : From Bergson to Video Art », art. cit. p. 258.
50 Bergson ajoute : « ce qui n’est pas déterminable n’est pas représentable » (L’Évolution créatrice, op. cit., p. 306).
51 Ibid., p. 314.
52 Bazin A., « Un film bergsonien : “Le Mystère Picasso” » (1956), Qu’est-ce que le cinéma ?, Éditions du Cerf, 2002, p. 193 et suiv.
53 Ibid., p. 196.
54 En 1931, dans le premier numéro de la revue Plans, Fernand Léger exalte avec une ironie mordante la puissance du cinéma comme « une terrible invention à faire du vrai ». Il écrit : « J’ai rêvé au film des “24 heures”, d’un couple quelconque, métier quelconque […]. Des appareils mystérieux et nouveaux permettent de les prendre “sans qu’ils le sachent” avec une inquisition visuelle aiguë pendant ces vingt-quatre heures, sans rien laisser échapper : leur travail, leur silence, leur vie d’intimité et d’amour. Projetez le film tout crû sans contrôle aucun. Je pense que ce serait une chose tellement terrible que le monde fuirait épouvanté, en appelant au secours, comme devant une catastrophe mondiale » (Léger F., « À propos du cinéma », Fonctions de la peinture, Gallimard, 2004 [1997], p. 169 ; cité d’après Raymond Bellour, « Le cinéma, un art des images manquantes », art. cit.).
55 Pasolini P. P., « Sur le cinéma » (1966), L’Expérience hérétique, trad. par A. Rocci Pullberg, Payot, 1976, p. 200.
56 Pasolini P. P., « Discours sur le plan séquence ou le cinéma comme sémiologie de la réalité », Cahiers du cinéma, no 192, juillet-août 1967, p. 26-31, p. 27-28 pour cette citation.
57 Pasolini distingue entre « cinéma » (terme abstrait, renvoyant à l’imaginaire du médium) et « film » (terme concret, renvoyant aux formes sensibles). L’analogie que Pasolini établit par ailleurs dans son « Discours sur le plan-séquence » (art. cit.) entre la vie/les actions et le cinéma le conduit à définir la coupe comme condition de la possibilité de l’accès à l’histoire, au passé et au sens, tout comme la mort : « Le montage, écrit-il, opère […] sur le matériau du film (constitué par des fragments soit très longs ; soit infinitésimaux, de plans-séquences qui sont autant de possibles “subjectives” infinies) ce que la mort opère sur la vie » (ibid., p. 28). Si une telle théorie du planséquence laisse donc peu de possibilités pour penser le découpage (au sens technique du terme), car l’enregistrement idéal se passerait donc en continu et en temps réel, elle attribue néanmoins une importance symbolique à la coupe (donc à l’interruption) et au raccord.
58 Ibid., p. 29.
59 Ibid., p. 30.
60 Cf. Wollen P., « The Two Avant-Gardes » (1975), Readings and Writings. Semiotic Counterstrategies, Londres, Verso Books, 1982, p. 92-104, p. 97 pour cette notion. On pourrait aussi distinguer ces deux traditions assez différentes de deux formes de réel d’images filmiques, au sein de deux avant-gardes (en parlant du film dit « expérimental » et du film dit « d’essai »), cf. Blümlinger C., Cinéma de seconde main. Esthétique du remploi dans l’art du film et des nouveaux média, traduit de l’allemand par Pierre Rusch et Christophe Jouanlanne, Paris, Klincksieck, 2013, p. 79-81 et 238.
61 C’est ce qui changerait « la valeur d’un film » (sur le plan idéologique et esthétique), suivant Pasolini P. P., « Discours sur le plan-séquence » (art. cit.), p. 30.
62 Pasolini P. P., « Théorie des raccords » (1971), L’expérience hérétique, op. cit., p. 266.
63 Kittler F., « Real Time Analysis, Time Axis Manipulation », Draculas Vermächtnis, Technische Schriften, Leipzig, Reclam, 1993, p. 182-207.
64 David MacDougall écrit : « For within every documentary is a kind of cavity, the negative imprint of the missing persons and events which are not there. Instruggling with this material, the documentary filmmaker is struggling not only with signs but quite literally with the shadows of the living and the dead » (Macdougall D. [1993], « When Less is Less. The Long Shot in Documentary », Film Quarterly, 46 [2], p. 36-46, p. 45 pour cette citation).
65 Voir l’entretien réalisé par Jean-Philippe Tessé avec Apichatpong Weerasethakul, « L’écran des sommeils », Cahiers du cinéma, no 659, septembre 2010, p. 12.
66 Aumont J., « Clair est confus », Matières d’Images, Paris, Éditions Images Modernes, 2005, p. 120.
67 Ibid., p. 121.
68 Ibid., p. 123.
69 Aumont ne donne pas d’exemples dans ce chapitre, mais au vu de ses textes critiques récents, il vise plutôt des cinéastes contemporains comme le mexicain Carlos Reygadas ou le coréen Jeon Soo-Il, chez qui s’opère une dilatation insistante du temps présent ; cf. Aumont J., « L’origine du crime », in Christa Blümlinger, Michèle Lagny et al. (dir.), Paysages et Mémoire. Cinéma, photographie, dispositifs audiovisuels, no 19, Paris, PSN, coll. « Théorème » 2014, p. 135-143.
70 Cf. Lavin M., « Prolonger Ozu, avec Kiarostami, Akerman, Hong Sang-Soo », in Diane Arnaud et Mathias Lavin (dir.), Ozu à présent, Paris, G3J, 2013, p. 55-67.
71 Le film a été tourné en 16 mm.
72 Cf. l’entretien réalisé par Jean-Philippe Tessé avec Apichatpong Weerasethakul, « L’écran des sommeils », op. cit., p. 11. Voir aussi mon analyse plus détaillée du film et de cette séquence de fin : Blümlinger C., « La mémoire, moteur des images. Les variations d’Uncle Boonmee chez Apichatpong Weerasethakul », Trafic, no 76, hiver 2010, p. 22-30.
73 MacDougall donne Godard comme exemple (La Chinoise) : « But for a few film-makers the long take becomes a way of redefining the terms in which the film addresses its audience » (MacDougall D., « When Less is Less. The Long Shot in Documentary », Film Quaterly, 46 [2], 1993, p. 36-46, p. 42 pour cette citation).
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