Le sel de Camargue au Moyen Âge
Étude comparative des pays d’Aigues-Mortes (Languedoc, royaume de France) et de Camargue proprement dite (comté de Provence, Empire) (ixe-xve siècle)
p. 365-392
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Index géographique : France
Texte intégral
1L’ensemble du littoral du Golfe du Lion, depuis le Roussillon actuel jusqu’à l’embouchure du Var « réunit des conditions particulièrement favorables à l’exploitation du sel : forte salinité des eaux de la Méditerranée, évaporation intense favorisée à la fois par l’action du soleil et du vent », présence d’étangs généralement peu profonds, suffisamment séparés de la haute mer et pourtant en communication aisée avec celle-ci1. Néanmoins, des différences de structures géographiques, plus ou moins accusées, conduisent à distinguer trois groupes de salines2 : un groupe occidental, des étangs du Roussillon jusqu’au Vidourle3 ; un groupe central, correspondant au delta du Rhône ; enfin, le groupe provençal, de Fos et Berre à Antibes4 (Carte 1). C’est le second de ces groupes qui est l’objet de la présente étude. Après une rapide présentation de géographie physique et historique de la (des) Camargue(s), j’examinerai successivement la période allant des premières données disponibles à la fondation d’Aigues-Mortes (ixe siècle-1246), où les salines provençales s’éveillent les premières, puis la période d’un demi-siècle environ (1246-1301), où après le démarrage et l’essor des salines du pays d’Aigues-Mortes, les gouvernements capétien et angevin aboutiront à un accord pour le tirage du sel camarguais par le Rhône. Enfin, en guise de conclusion, je suivrai le devenir de ce commerce jusqu’au lendemain de la réunion de la Provence au royaume de France.
Carte 1 : Salines médiévales du Golfe du Lion

Groupe occidental, des étangs du roussillon au vidourle :
1 : Étangs du Roussillon
2 : Étangs de Narbonne
3 : Zone de l’étang de Vendres à celui de Thau (Nissan, Capestang, […], Frontignan)
4 : Zone de Maguelone-Mauguio (Villeneuve-lès-Maguelone, Lattes, Mauguio)
Groupe central du delta du Rhône :
5 : Peccais
6 : Notre-Dame-de-la-Mer
7 : Salines-d’Arles
8 : La Vernede
9 : Fos
10 : Berre
11 : Toulon
12 : Hyères
Rhône(s) et Camargue(s) : géographies physique et historique
2D’après les travaux de Fernand Benoît, le delta rhodanien, entendu au sens large en tenant compte de l’ancien bras occidental dit os Hispaniense, et correspondant aujourd’hui aux Grande et Petite Camargues5, avait été dès l’Antiquité, aux côtés de la région de l’étang de Berre, un lieu de production du sel6. Pour bien se représenter son paysage médiéval, il faut ne pas oublier que, pendant la majeure partie du Moyen Âge, le Rhône se jette dans la Méditerranée non pas par deux bras comme aujourd’hui, mais par trois : outre une branche correspondant largement au Grand-Rhône actuel et une branche comparable au Petit-Rhône, il y avait un bras médian, dit Rhône de Saint-Ferréol, débouchant dans la Méditerranée non loin de la ville de Notre-Dame-de-la-Mer7 par le Grau de la Fourcade. Ce Rhône s’affaiblit dès le xiiie siècle et sa prise au Grand Rhône sera fermée par les Arlésiens en 1440. Il faut également tenir compte de deux bras n’aboutissant pas à la mer, le bras d’Albaron et le bras d’Ulmet : le premier, qui reliait le Grand Rhône au Petit Rhône, a disparu peu avant la fin du xiie siècle, le second paraît avoir joué un rôle secondaire8 (Carte 2).
Carte 2 : Le littoral d’Aigues-Mortes aux xiie-xiiie siècles

1 2 3 : Cordons littoraux par ordre de constitution
a a : Roubine Bosoenne ou Rosanal, plus tard Bourgidou
b b : Bras de la Chèvre ou Rhône mort de la Ville
c c : Rhône mort de Saint-Roman
d : Grau de Boucanet
e : Grau de la Chèvre
f : Grau de Malcanet ou Masconil
3Les conditions topographiques donnent à cette micro-région une unité certaine : y alternent grandes nappes d’eaux stagnantes, lagunes vaseuses, bandes de terres sèches, pour composer un paysage mouvant, où les limites entre terre et eaux sont floues et changeantes. En revanche, les vicissitudes politiques remirent plus d’une fois en question cette unité.
4Pour nous en tenir aux épisodes décisifs, après le partage de l’empire carolingien en 843, la Provence actuelle, avec le delta du Rhône, avait été comprise dans la part de Lothaire. Avant de mourir, ce dernier partagea ses états et créa notamment un royaume de Provence-Viennois, qui regroupait l’essentiel du bassin rhodanien, au profit de son fils cadet, Charles (855). Ce dernier décéda dès 863 et les terres qui constituaient son royaume finirent par passer entièrement aux mains de son oncle Charles le Chauve (875). Cependant, les terres du delta rhodanien ne restèrent pas longtemps soumises à une autorité unique. Dès 879, l’usurpation de Boson recréait un royaume « de Provence » définitivement stabilisé en faveur de son fils Louis III en 890. À compter de cette date, la région lagunaire comprise entre le Vidourle et le bras occidental du Rhône fait normalement partie du royaume de Francie occidentale, alias de France, même si le pouvoir direct des souverains tend à s’y estomper au profit de la famille des comtes de Toulouse. En revanche, la zone du delta proprement dite relève du royaume de Provence et, en négligeant les vicissitudes de son histoire, se trouve en _033 rattachée avec lui au Saint-Empire Romain Germanique. Mais, à l’échelon local, le fait majeur est son inclusion dans le comté de Provence.
5Reste donc à savoir où se situait le bras le plus occidental du Rhône. À en juger par le diplôme qu’octroie en 909 à l’abbaye de Psalmodi le roi Charles le Simple9, dès le début du xe siècle, la question est clairement résolue. En effet, la région où sera fondée Aigues-Mortes se trouvait sur la rive gauche de la roubine Bosoenne, dite plus tard (xiiie siècle) Rosanal (dont la trace fut gardée ultérieurement par la roubine du Bourgidou). Or, si cette roubine est bien alimentée par les eaux du fleuve, sa dénomination même atteste qu’elle n’en est plus pour autant considérée comme un véritable bras de celui-ci. Dès ce moment, la partie inférieure du bras occidental du Rhône se trouve rejetée au sud et à l’est et aboutit à la Méditerranée par le Grau de la Chèvre10.
Du ixe siècle à la fondation d’Aigues-Mortes (1246)
6Le 21 novembre 1241, les moines de l’abbaye de Psalmodi recevaient du comte de Provence Raimond-Bérenger V l’autorisation de se fournir chaque année dans les salines de Camargue de quinze muids de sel francs de gabelle et de péage11. Il est possible de tirer de ce privilège plusieurs constatations. Tout d’abord, bien qu’il soit question dès le xie siècle de marais salants appartenant à l’abbaye de Psalmodi, leur production ne dut longtemps être suffisamment importante ni pour alimenter un véritable négoce, ni même pour suffire aux besoins propres de l’établissement. Cela ne peut que nous inciter à fortement nuancer l’opinion naguère exprimée par Fernand Benoît, qui voyait dans les abbayes camarguaises les lieux de conservation et de transmission de l’héritage antique en matière d’exploitation saunière12. D’autre part, les salines de Camargue paraissent bien avoir eu un développement plus précoce que celles d’Aigues-Mortes, plus tard mieux connues sous le nom de Peccais.
7Pourtant, le sel étant une denrée de première nécessité, il n’a pu qu’exister de manière permanente un vaste marché intérieur pour les différents sels de mer ou de terre. On constate donc sans trop de surprise, dans les cartulaires provençaux du xie siècle, l’importance de la montée du sel de Méditerranée (« ascensum salis », « montatio13 salis ad partes superiores ») par la vallée du Rhône14. Mais le sel de Camargue ne participe pas à ce courant commercial précoce, puisqu’on l’entrevoit en fait dès le xe siècle15 : le sel provençal en question est celui des salines de la région de l’étang de Berre et de celles de Fos16.
8De même, s’il y a alors un commerce déjà florissant de sel languedocien, celui-ci est alimenté par les salines sises de l’étang de Leucate à celui de Mauguio. André Dupont a naguère mis en lumière leur développement également précoce, dès les ixe-xe siècles17. Il pensait aussi avoir démontré que, avant la fondation d’Aigues-Mortes, le commerce en cause était avant tout un commerce terrestre, qui avait fait la fortune de Lunel ainsi que des autres villes-étapes d’une route qui conduisait jusqu’au nœud commercial de Saint-Saturnin-du-Port (ville plus tard renommée Pont-Saint-Esprit) : notamment Valliguières et ses muletiers, mais aussi Posquières (aujourd’hui Vauvert), Remoulins et Bagnols18. En fait, à la lueur et du tarif du péage du sel de Tarascon et, surtout, de l’enquête sur la gabelle exigée à Albaron par le comte de Provence – enquête ordonnée par Louis IX en 126319 –, il convient de nuancer fortement cette dernière conclusion.
9En effet, le premier prévoyait l’arrivée de sel par les étangs, sur des bateaux appelés caupols, lesquels donnent d’ailleurs leur nom à une mesure, la caupolada, dont on précise la contenance selon qu’elle est emplie à ras ou à comble (comol)20. Il faut sans doute comprendre que, dans ce cas, le sel arrivait à Beaucaire et Tarascon depuis les étangs de Maguelone et Mauguio en passant par le Vistre, la zone d’étangs des territoires de Posquières (Vauvert), Beauvoisin et Saint-Gilles (étangs de Grey, Charnier et Scamandre), par le péage saint-gillois d’Eure (Elra) puis par la roubine qui suivait le thalweg d’un ancien bras du Rhône, dit « bras de Beaucaire21 ». Quant à la seconde, elle met clairement en lumière la préférence des marchands de la sénéchaussée de Beaucaire, et notamment ceux de cette ville même, pour l’utilisation du fleuve, tout d’abord pour « monter » le sel provençal, puis, après l’enchérissement de celui-ci par les taxes comtales, le sel « narbonnais ». L’abandon de la voie fluviale au profit de la route terrestre Lunel – Saint-Saturnin du Port n’intervient que fort tard, après que Charles Ier d’Anjou eut accru drastiquement la gabelle pesant sur tout le sel, provençal ou « français », passant au péage d’Albaron.
10Le choix de ces marchands peut aisément se comprendre. Même le plus petit des bateaux remplaçait une caravane de nombreuses bêtes de somme. Les caupols utilisés sur la voie des étangs et cités dans les péages de Tarascon portaient au minimum une caupolada de sel, soit de 8,5 à 12 muids, suivant qu’elle avait été mesurée rase ou comble. Il s’agissait, d’après Jean-Pierre Poly, d’un muid équivalant à 800 kg, ce qui fait une charge de 6,8 à 9,6 tonnes. En fait, d’après les péages d’Arles et d’Avignon, il y avait au xiie siècle des caupols portant jusqu’à 60 muids [soit 5 caupoladas combles ou 48 tonnes], et, au début du xiiie siècle, jusqu’à 80 muids [soit 6 caupoladas combles et une rase ou 64 tonnes]22. Mais il s’agissait sans doute de caupols capables d’affronter le Rhône. Les bateaux du fleuve offraient une gamme encore plus large, adaptée à plusieurs échelles de commerce. Au début du xive siècle, l’on trouvait des bateaux plats d’un port de 75 gros muids de Peccais (soit 412 tonnes). Coexistaient avec eux, avant de les supplanter, des bateaux plus petits, navigium d’un port de 20 à 33 gros muids (110 à 180 tonnes), caratonus et londra d’un port de 15 à 20 muids (82,5 à 110 tonnes)23.
11Néanmoins, il ne faudrait pas exagérer en sens inverse. Le marché du sel de Lunel avait bien évidemment une clientèle composée notamment des villes et pays pour lesquels le recours à la voie du Rhône présentait peu d’intérêt (par exemple, tout l’ouest du Gard actuel et sans doute Nîmes elle-même). Il est possible aussi que, avant même que la gabelle des comtes de Provence ait rendu le fleuve moins attractif, certains marchands voulant transporter du sel jusqu’à Saint-Saturnin-du-Port et au-delà aient préféré la voie terrestre. En effet, celle-ci permettait d’échapper non tant à la répétition des péages le long des rives du Rhône24, puisqu’il existait des péages routiers, que, après la création des « sauneries »/gabelles, aux ruptures de charge que celles-ci imposaient25.
12Il faut signaler que cette ré-appréciation des modes de circulation du sel languedocien avant la fin des années 1250 ne remet pas en cause, le jugement porté par André Dupont sur le rôle de Saint-Saturnin du Port. Comme sels languedocien et provençal y aboutissaient également, la confluence des deux courants commerciaux explique le rôle de la ville et de son port, à la fois grand entrepôt régional et foyer de redistribution. En effet, au-delà de Saint-Saturnin, alias Pont-Saint-Esprit, le sel languedocien ou provençal pouvait continuer son voyage par terre, vers le Vivarais et le Velay, voire au-delà, ou bien remonter le Rhône vers les terres d’Empire (Dauphiné, Savoie, Lyonnais) ou vers celles du royaume de France26.
13Pourquoi cette médiocrité initiale des salines du pays d’Aigues-Mortes (alias Petite Camargue) et de (Grande) Camargue27 ? Comme le montre la suite de l’histoire, la qualité du sel qu’elles pouvaient produire n’est pas en cause28. Sans doute faut-il invoquer en premier lieu des problèmes techniques, liés pour une bonne partie d’entre eux à la difficile maîtrise des eaux du Rhône. Celle-ci impliquait notamment d’entreprendre d’importants travaux de protection (chaussées, levées de terre)29. Il était donc nécessaire de consentir un investissement initial en coût de main-d’œuvre, voire, pour l’exploitation, en équipements parfois élaborés30. Cela fait, il fallait aussi être en mesure d’écouler la production. Or, si les clients potentiels ne manquaient pas, tant lointains que proches, il fallait pouvoir entrer en concurrence avec les sels languedociens ou provençaux qui avaient plus précocement occupé le terrain. Par exemple, les salines d’Aigues-Mortes étaient évidemment plus proches des marchés locaux de Nîmes ou Saint-Gilles ou du nœud commercial de Saint-Saturnin du Port que les autres salines languedociennes. Elles offraient en principe aussi la possibilité d’un choix entre voie de terre et voie d’eau pour le transport. Mais, initialement, le pays était isolé faute de bonnes voies de communication terrestres, puisque, quelque temps après la fondation de la ville, les hommes d’Aigues-Mortes demandèrent au roi de France d’aménager une liaison sûre avec Posquières, grâce à l’établissement d’une levée entre le monastère de Psalmodi et la corrège de Pons Brémond d’Anglas31. À quoi pouvaient s’ajouter des difficultés d’accès aux salines mêmes, ainsi que le signalent des documents postérieurs32.
14Nous pouvons penser que les salines de Camargue ont affronté des problèmes comparables. Mais ceux-ci furent corrigés plus d’un siècle plus tôt par des facteurs favorables. Précisons tout d’abord que, au contraire de la zone d’Aigues-Mortes, assez étroitement circonscrite, les salines camarguaises étaient réparties sur un plus vaste espace et formaient trois groupes : les salines de Notre-Dame-de-la-Mer, les salines de la Vernède et enfin celles d’Arles. Le premier groupe se situait sans doute entre le Rhône de Saint-Ferréol et la roubine creusée par les hommes de Notre-Dame entre le Petit-Rhône et la mer33, et s’étendait jusqu’au nord du Vaccarès, aux limites des territoires de Notre-Dame-de-la-Mer et d’Arles. Font partie de ce groupe entre le xiie et le xive siècle, des salines situées sans conteste sur le territoire de Notre-Dame (vignola, Plan d’Albas, Anglada major, Contessa, rostanhenqua, Blancarda, Planiol34 et d’autres encore35), ainsi que des salines disputées entre Notre-Dame et Arles (Manica Baucenqua [ou Baussenca], Méjanes, Bragomal, Brancotal)36. Les salines de la Vernède, pour leur part, se trouvaient dans le territoire d’Arles, au lieu dit plus tard Plan du Bourg, près du Grand-Rhône37. Il y en avait six au xive siècle : l’Hôpital, la Crosa, Amblart, Jordanet, Bernardon et la Porcelette38. Enfin, en 1334, les salines dites d’Arles étaient composées de la Lone Longue, des six salines de la Costière du Vaccarès, de la Teulet, de la Constancia et de la Parjurada39.
Carte 2 : Les salines du delta rhodanien alias de (grande) camargue

I : Salines De Notre-dame De La Mer
II : Salines D’arles
III : Salines De La Vernede
a : Rhône De Saint-ferréol
b : Rhône D’albaron
c : Rhône D’ulmet
A : Méjanes, Castrum
B : Agon
C : Néjan, Castrum
D : Villeneuve, Castrum
E : Abbaye D’ulmet
15Contrairement à la zone d’Aigues-Mortes, longtemps dépourvue de tout centre de peuplement, les salines camarguaises ont bénéficié de l’essor non seulement d’Arles et de la ville de Notre-Dame-de-la-Mer, mais encore de divers habitats dispersés à travers le delta rhodanien40. Il y a donc existence d’une main-d’œuvre potentielle soit sur les lieux mêmes de production41, soit à distance raisonnable de ceux-ci. D’autre part, à une époque où l’exploitation du sel s’inscrit encore dans l’économie domaniale42, l’essor économique d’Arles a toutefois permis l’enrichissement de nombreux personnages, chevaliers urbains ou bourgeois, qui disposent ainsi des capitaux nécessaires aux travaux de mise en production rationnelle des marais salants. Martin Aurell a ainsi pu étudier43 le cas de la mise en valeur de l’étang du Fournelet, où, d’après un acte de février 1227, une vingtaine de seigneurs (domini), chevaliers arlésiens pour la plupart, placés sous la dépendance de l’archevêque d’Arles, seigneur éminent du lieu, ont fait face aux dépenses nécessaires à la mise en place des installations pour le remplissage et l’évacuation des eaux de l’étang. On peut aussi donner l’exemple des salines de la manica de Arman qu’Armand [d’Uzès] lègue par son testament à l’Hôpital Saint-Thomas de Trinquetaille et à l’abbaye d’Ulmet, dans les années 1194-1200 : pas moins de neuf Arlésiens de bon rang (Pierre de la Vérune appartient fort probablement à un lignage chevaleresque) les tiennent pour lui44. À leur tour, ces seigneurs intermédiaires peuvent choisir entre le faire-valoir direct et concession de l’exploitation à des « fachiers » (facharii), qui leur remettent une part variable de la récolte. Par exemple, seigneur direct de l’étang de Vaccarès, venu entre ses mains avec les autres biens de la commune d’Arles (laquelle l’avait acquis de Hugues de Baux en 1225, de même que la saline de Lone Longue), Charles Ier d’Anjou y perçoit le cinquième du sel produit45.
16En outre, il semble que le marché local a joué un rôle d’entraînement plus précoce, à la différence de l’arrière pays d’Aigues-Mortes, lequel, même à l’issue de la période d’essor que connurent par exemple Nîmes et surtout Saint-Gilles au xiie siècle46, se satisfaisait encore du sel redistribué par Lunel47. Cependant, que la Manica Baucenqua, la saline de Brancotal, de même que celle de Bragomal, apparaissent ainsi avant 112848, aurait pu ne pas avoir plus de signification que la mention des marais salants de Psalmodi au xie siècle si nous n’avions un indice plus sérieux avec ce que nous pouvons présumer de l’approvisionnement de la « saunerie » comtale de Tarascon.
17L’existence de cet établissement, sur le fonctionnement et l’aspect fiscal duquel je reviendrai, apparaît brusquement, au détour d’une lettre adressée au comte Raimond-Bérenger II49 par Raimond de Mollnels, probablement son officier (son baile ?) dans cette ville. Cette missive n’est malheureusement pas datée, mais le seul indice chronologique qu’elle contienne montre qu’elle a été rédigée en été, après la fin juillet, donc sans doute au mois d’août. En tenant compte également du contexte politique auquel elle fait allusion, nous pouvons alors la placer entre les années 1147 (intervention du comte contre les Baux et ses autres adversaires) et 1150 (règlement de cette crise par le traité d’Arles, en septembre), peut-être en 1147 même50. Or, Raimond de Mollnels précise que la « saunerie » du comte a été approvisionnée tant par le sel « amicorum nostrorum » que par le sel « inimicorum nostrorum » qu’il a pu saisir. Cependant, la « saunerie » subit la concurrence d’autres établissements semblables, principalement ceux de Berre et de Salon51. Dans les années 1147-1150, il est fort peu probable que la saunerie de Tarascon ait reçu du sel de Berre ou de Fos52. Dans ces conditions, le sel « des amis » ne peut guère venir que des salines camarguaises, dont le comte de Provence doit dès lors contrôler très largement le groupe de Notre-Dame-de-la-Mer53.
18Ce point établi, il me reste à revenir sur le fait majeur révélé par la lettre de Raimond de Mollnels, à savoir l’existence même de la « salnaria » de Tarascon. En fait, comme le soulignait Jacques de Romefort, le mot a une double signification simultanée, matérielle et immatérielle. Dans le premier de ses sens, la « salnaria », comme le « salinum » des comtes de Toulouse ou des vicomtes de Carcassonne54, est un entrepôt de sel, un grenier à sel. Dans son second sens, le mot devrait se traduire par une assez longue périphrase : « Monopole pratiqué par un prince ou un seigneur laïque ou ecclésiastique, arguant de droits régaliens sur le sel produit dans tel endroit ou encore transporté dans telle région55. » À vrai dire, la naissance de la salnaria de Tarascon avait précédé la concession formelle des droits régaliens sur les salines accordée à Raimond-Bérenger III par Frédéric-Barberousse en 1162 seulement, alors que, pour leur salnaria de Salon, les archevêques d’Arles pouvaient s’appuyer sur un diplôme de Conrad III de 1144, qui leur attribuait entre autres les droits régaliens sur les « stagna salinarum » de leurs terres56.
19Avant comme après sa « légalisation », la salnaria fonctionne tout à la fois comme entrepôt, magasin de revente et poste de douane. En arrivant à Tarascon, le marchand, qui avait acheté librement le sel aux producteurs, devait faire halte et déposer son chargement57. Il pouvait alors soit vendre son sel aux officiers comtaux, qui allaient le revendre au bénéfice du Trésor, en premier lieu pour l’approvisionnement de la ville, soit reprendre son sel pour le transporter plus loin, en acquittant une taxe. À l’origine, la saunerie de Tarascon permettait de contrôler toute la montée du sel, tant par le Grand Rhône, que par le Petit Rhône, voire même par la voie des étangs, laquelle rejoignait précisément le Rhône en face de Tarascon, à Beaucaire. En effet, à en juger par la pancarte du péage du sel de Tarascon, qui renvoie sans doute à un état antérieur à la partition de la Provence58, celui-ci s’appliquait aussi bien sur le territoire de la ville même que sur celui de Beaucaire59, les hommes des deux villes jouissant du même statut pour ce qui touchait ce dernier60. Bien plus tard, lorsque le comte-roi Alphonse Ier eut suffisamment assis son pouvoir en Provence, il put établir une saunerie à Arles (1194)61. Que cette dernière se soit trouvée sous le contrôle comtal, ou, pour des raisons variées, sous celui de la commune d’Arles, il y eut désormais partage de la tâche entre les deux sauneries rhodaniennes : tandis qu’Arles contrôlait la montée du sel par le Grand Rhône, Tarascon exerçait le même office pour le Petit Rhône. Par la suite, vers 1236, Raimond-Bérenger V créera aussi une saunerie/gabelle non plus sur un point de passage, mais sur un lieu de production, à Notre-Dame-de-la-Mer62.
20Les droits de saunerie ou de gabelle63 à acquitter demeurèrent relativement modérés jusque dans le premier tiers du xiiie siècle (18 à 22 deniers par muid à Tarascon64, 5 sous par muid à Arles et sans doute à Notre-Dame65). D’après les témoignages recueillis dans l’enquête de 1263 sur la gabelle levée par les comtes de Provence, les marchands les jugeaient supportables66. Mais, à la fin des années 1230 et au début des années 1240, les gros besoins d’argent que créaient à Raimond-Bérenger V et les dettes anciennes dues à la (re)prise de contrôle de ses états et les nécessités de sa participation à la lutte entre la papauté et l’empereur Frédéric II, conduisirent le comte de Provence à quadrupler ou quintupler les taux pratiqués à Notre-Dame-de-la-Mer et à Arles. Une gabelle de 20 à 25 sous raimondins par muid ne pouvait manquer d’avoir des répercussions sur le commerce du sel camarguais. Comme le notait Jacques de Romefort67, si les marchands provençaux ne pouvaient guère que subir ce croît de la taxation, les marchands de Beaucaire se détournèrent du sel de Camargue et allèrent chercher du sel à Narbonne ou Sigean, lieux où il n’y avait pas de gabelle.
21Il est évident que Notre-Dame-de-la-Mer dut subir le contrecoup de cette désertion d’une partie de ses clients, et avec elle, les revenus comtaux, comme l’attestent les paroles de Raimond-Bérenger V à l’un des marchands qui avait abandonné les salines de Camargue pour celles de Narbonne : « Car, en agissant comme tu le fais, sache que tu me causes plus de mal que si tu partais en guerre contre moi avec vingt chevaux armés68. » Pour sauvegarder la prospérité des seules salines qui appartinssent à son domaine, le comte réagit rapidement de deux façons. Tout d’abord, en favorisant la commune du lieu et sa population adonnée à l’industrie du sel69, d’autre part, en tirant parti d’une circonstance favorable. Habitués à utiliser le Rhône, les marchands beaucairois entendaient continuer à le faire : après un trajet maritime depuis la côte narbonnaise, leurs bateaux entraient dans le fleuve par le Grau de la Chèvre et retrouvaient à la hauteur du port de Consoude l’itinéraire qu’ils auraient suivi depuis Notre-Dame. Aussi, vers 1240 peut-être, le comte institua-t-il le prélèvement d’une gabelle égale à celle de Notre-Dame (15 puis 20 sous par muid) à Albaron, où les bateaux devaient déjà stopper pour acquitter un péage ancien de 10 deniers par muid. Ce coup de force remettait de la sorte à égalité le sel de Notre-Dame et le sel « français70 ».
22Pourtant, avant la mise en place de cette réplique, le renchérissement du sel de Notre-Dame avait peut-être provoqué un début d’intérêt pour les salines d’Aigues-Mortes : en effet, dans l’enquête de 1263, certains marchands de Beaucaire déclarent être allés chercher du sel à la « Tinha », près du « gradum qui vocatur de Capra71 ». Néanmoins, le bilan de cette période est sans ambiguïté. Seules les salines provençales du delta rhodanien, et avant tout celles de Notre-Dame-de-la-Mer, ont pris un franc essor, contribuant tant à la prospérité locale qu’aux rentrées fiscales du comté de Provence. Pour la zone d’Aigues-Mortes, on ne note qu’un frémissement. Il va falloir deux événements majeurs pour, en un peu plus d’un demi-siècle, modifier cette donne.
De la fondation d’Aigues-Mortes à la société entre les rois de France et de Sicile pour le tirage du sel par le Rhône (1246-1301)
23Le premier de ces événements majeurs, c’est la fondation par Louis IX de la ville d’Aigues-Mortes, décision concrétisée par les lettres patentes du 6 mai 1246, antérieures à la transaction du 8 août 1248 avec l’abbaye de Psalmodi, par laquelle le roi obtient la pleine propriété du territoire où doit s’élever la ville neuve72. Comme l’a récemment souligné Georges Jehel, la décision de saint Louis s’inscrit dans un grand dessein méditerranéen, qui ne se limitait pas à la seule croisade73. Sans doute, pouvons-nous, après André Dupont, ajouter aux visées proprement politiques une dimension commerciale. Parmi les éléments de négoce, le roi a pu penser à l’exploitation et à l’exportation du sel74. Naturellement, les choses ne se firent pas en un tournemain et, durant plus d’un quart de siècle, le comte de Provence (devenu roi de Sicile à partir de 126675) resta le maître du jeu dans le delta du Rhône.
24À vrai dire, gabelles et péage de Notre-Dame-de-la-Mer et d’Albaron échappèrent durant quelques années à Charles Ier d’Anjou, car ils étaient inclus dans le douaire de la veuve de Raimond-Bérenger V, Béatrice de Savoie76. Aussi sommes-nous quelque peu embarrassés pour interpréter la première mesure d’importance prise par l’Angevin, à savoir l’interdiction d’exploiter les salines de Fos (1249)77. Peut-être faut-il y voir une mesure anticipant et sur la soumission d’Arles et sur la reprise du douaire de Béatrice. Comme nous savons que le sel de Fos avait un coût de production particulièrement bas, il se serait agi d’éliminer par avance un concurrent des sels camarguais. En même temps, cela indiquait clairement à tous les détenteurs de salins que le comte de Provence était bien décidé à exercer pleinement les droits régaliens sur le sel jadis concédés par l’empereur à ses prédécesseurs.
25Pour en revenir à Notre-Dame et Albaron, rien n’indique que la comtesse douairière ait renoncé à percevoir gabelles et péage aux taux fixés par son défunt époux. Les ayant récupérés définitivement par un accord du 6 novembre 1256, Charles d’Anjou paraît avoir lui aussi observé quelque temps les tarifs fixés par son beau-père. Comme le notait Jacques de Romefort, il est vrai qu’il n’avait alors le choix qu’entre deux extrêmes : laisser passer librement le sel venant des terres du roi de France et courir le risque de voir ce sel, d’un moindre prix puisque non soumis à la gabelle, chasser du marché du Rhône le sel camarguais ; ou bien soumettre à la gabelle d’Albaron le sel « français », ce qui était un abus de pouvoir78. À en juger par le silence relatif de l’enquête de 1263, les marchands beaucairois, s’ils n’avaient pas renoncé à la voie fluviale au profit de la voie de terre, avaient dû finir par se résigner à ces tarifs. La question de la gabelle exigée à Albaron au profit du comte de Provence était donc sinon réglée, du moins assoupie, quand Charles d’Anjou l’envenima brutalement.
26Vers 1260, en effet, le comte porta le taux de la gabelle à 40 sous par muid à Notre-Dame-de-la-Mer et à Albaron. Cette nouvelle crue n’est pas datée avec précision : Jacques de Romefort la montre bien attestée en 1262-1263, Pierre Moulinier la place vers 125579. J’y verrais volontiers une mesure venant compléter la création par Charles d’Anjou, en 1259, d’un monopole du commerce du sel, grâce à divers accords, conclus pendant l’été, qui lui permettaient d’acheter tout le sel provençal à la production80. Le problème de la gabelle exigée à Albaron par le comte de Provence revint à nouveau sur le devant de la scène et fut cette fois évoqué devant le roi de France lui-même.
27Il faut dire que les répercussions de la mesure arrêtée par Charles étaient plus graves que celles entraînées par la décision initiale de Raimond-Bérenger V. Cette fois, les Beaucairois allant chercher du sel languedocien ne voulurent plus passer par le Petit Rhône et accordèrent leur préférence à Lunel et à la voie terrestre. Si cela pouvait faire le bonheur des muletiers et charretiers, cela ne faisait certes pas celui des mariniers et le port de Beaucaire vit son activité baisser nettement, à en juger par les revenus du péage. Cela lésait le roi de France qui perdait aussi les entrées de ses péages fluviaux intermédiaires, tandis qu’étaient aussi affectés à la baisse les péages terrestres en place sur le réseau de redistribution du sel partant de Beaucaire81.
28Comme l’enquête n’entraîna – j’y reviendrai – aucun résultat immédiat, c’est au cours de ces années où la gabelle d’Albaron fut « écrasante » que la route du sel partant de Lunel acquit la prépondérance qu’avait constatée André Dupont, mais qu’il voulait voir établie trop précocement. À la lueur de ce fait, il convient sans doute de rajeunir quelque peu le mémoire présenté au roi par les habitants d’Aigues-Mortes, par lequel ces derniers proposent ou sollicitent diverses mesures pour rendre la ville plus florissante. Ce mémoire, que j’ai déjà mentionné ci-dessus en traitant des handicaps initiaux des salines d’Aigues-Mortes82, nous est parvenu dépourvu de toute indication de date. Son premier éditeur, Léon Ménard, lui avait attribué celle de 1248, opinion largement admise jusqu’à aujourd’hui83. À vrai dire, il n’y a guère dans ce mémoire d’éléments propres à nous éclairer sur l’époque de sa rédaction : les deux paragraphes relatifs aux relations à établir avec Acre84 permettent seulement de le situer avant la chute définitive de cette place latine, soit 1291. Toutefois, si l’on accepte ce que j’ai exposé ci-dessus tant du démarrage tardif des salines du territoire des Eaux-Mortes que du moment où s’établit la suprématie de Lunel, l’on jugera sans doute difficile de croire que les habitants de la ville neuve aient pu dès 1248, autant dire dès sa fondation même, songer à détourner vers eux la route du sel Saint-Saturnin du Port-Lunel, grâce à l’aménagement d’un chemin sûr, établi sur une levée, entre l’abbaye de Psalmodi et la corrège de Pons Brémond d’Anglas85. Par contre, cette volonté s’inscrit mieux dans le courant des années 1260, parce qu’alors la voie du Rhône a été « stérilisée » par la politique fiscale de Charles d’Anjou et que les hommes d’Aigues-Mortes ont eu le temps nécessaire pour apprécier leurs atouts et les faiblesses de leur ville86. En outre, si le Pons Brémond détenteur de la corrège d’Anglas est bien à identifier avec le Pons Bermond connu comme seigneur du Caylar à partir de 126687, il y a là un dernier argument pour placer la rédaction du mémoire dans la dernière décennie du règne de Louis IX, voire même entre 1265 et 127088.
29Si les hommes d’Aigues-Mortes pouvaient espérer détourner à leur profit une bonne partie du trafic du sel qu’assurait alors Lunel, c’est qu’ils pouvaient offrir aux marchands et transporteurs de l’actuel Gard rhodanien (Valliguières, Bagnols) de meilleures conditions commerciales. En effet, alors que Lunel n’était en somme qu’un simple entrepôt, où le sel arrivait déjà grevé d’un coût de transport et du bénéfice d’un premier marchand, chez eux, les acheteurs pourraient négocier directement sur le lieu de production89. Il va de soi aussi que leur projet n’était réaliste que si « leurs » salines étaient dès lors en mesure de donner une production régulière et abondante. Comme il n’y a pas de raison de mettre en doute le sérieux des hommes d’Aigues-Mortes, il faut donc admettre que, vers la fin du règne de saint Louis, les seigneurs éminents des salines (l’abbé de Psalmodi, les Uzès) avaient entrepris de mettre ou faire mettre en valeur une ressource jusqu’alors secondaire. De fait, en 1268, une enquête est menée par les officiers royaux contre Décan d’Uzès, seigneur d’Uzès et d’Aimargues, qui, pour le bien de ses salines, avait fermé, au détriment du commerce d’Aigues-Mortes, le « vallatum seu pertusum de Peccais, per quem batella solebant ire et redire de Rodano ad mare90 ». Le dit Décan d’Uzès conclut quelques années plus tard, le 28 février 1276 [n.s.], un accord avec l’abbé de Psalmodi sur la délimitation de leurs possessions respectives ; accord qui lui permit de créer les salins de Roquemaure et de Bourboussel, alias Bourboissoles91. Enfin, le 19 décembre 1284, ce même Décan et l’abbé de Psalmodi firent une convention permettant à chacun d’eux l’exécution de travaux qui devaient faciliter la fabrication du sel92. À terme, lors de l’échange de 1291 avec le roi de France, leurs droits sur les salines (soit le septième du sel mis en camelles et 3 deniers tournois par muid extrait par les « fachiers » ou emphytéotes) rapportaient aux Uzès un revenu net annuel de 350 livres tournois93.
30L’enquête de 1263, je l’ai dit, n’entraîna aucun résultat immédiat. Il est vrai que, de 1264 à 1266, Charles d’Anjou fut accaparé par les préparatifs, diplomatiques et militaires, de la conquête du royaume de Sicile. Aussitôt après sa victoire, il fut relancé par trois envoyés de son frère94. Il promit une réponse pour la Chandeleur 1267, mais ne tint pas sa promesse. Aussi Louis IX envoya-t-il une seconde ambassade, qui le rencontra le 5 mai 1267. Charles atermoya encore quelque temps puis se décida à traiter au début 127095. La nouvelle croisade et la mort de son frère interrompirent à nouveau la négociation. Les choses ayant encore traîné quelques années, il semble que son neveu Philippe III ait eu recours à une mesure énergique pour sortir de l’impasse : il aurait, vers 1275, interdit toute remontée de sel par le Rhône, ce qui était au demeurant en accord avec les prétentions des rois de France d’avoir sur le fleuve des droits plus étendus que le comte de Provence96. Comme les marchands de la sénéchaussée de Beaucaire avaient déjà délaissé le fleuve pour aller chercher le sel par voie terrestre à Lunel (et peut-être Aigues-Mortes), la mesure prise par le roi de France ne pouvait guère viser que la remontée du sel de Notre-Dame-de-la-Mer. Cette fois, Charles Ier céda et, dès le début de 1276, il chargeait ses grands officiers provençaux d’étudier une diminution du taux de la gabelle97. Celui-ci fut ramené à cinq sous par muid. C’était en apparence un retour au tarif initialement pratiqué par Raimond-Bérenger V. Mais, comme le fait remarquer Jacques de Romefort, étant donné qu’il s’agissait désormais de sous tournois, valant deux des sous du temps du dernier comte catalan, le comte de Provence n’en obtenait pas moins une hausse « raisonnable ». Toutefois, il n’en tira aucun profit immédiat : à en juger par une enquête menée en octobre 1287 par le sénéchal de Provence, Philippe de Laveno, le coup porté au commerce du sel de Notre-Dame par la décision de Philippe III avait dû être tel qu’il dissuada les officiers locaux d’exiger même la nouvelle gabelle minorée. Il est vrai que, de surcroît, le déclenchement de la Guerre des Vêpres Siciliennes et les résultats de celle-ci avaient obligé le roi de Sicile à compter sur l’appui de son neveu. Le temps n’était plus où les comtes de Provence pouvaient prétendre contrôler à leur guise la remontée du sel.
31Cela d’autant plus que le fils et héritier de Philippe III, Philippe IV le Bel, se trouva à son tour en mesure d’intervenir directement dans le commerce du sel. À la fin des années 1280, il fut remontré au roi de France que les digues des salins retenaient le mouvement des eaux de la mer vers les étangs et des étangs vers la mer, au grand dam du port. Pour sauver celui-ci, du moins le prétendit-t-il, Philippe le Bel acquit par échange, le 23 février 1291 [n.s.], du fils et successeur de Décan, Bermond III d’Uzès, l’ensemble des territoires de Peccais, la Sylve et la Tigne, avec les salins, ou plus exactement la seigneurie éminente sur ceux-ci98. Sans jamais perdre de vue l’intérêt du port99, le roi de France, devenu « seigneur du sel », loin de détruire les salins, va les développer bien au-delà de ce qu’avaient fait les Uzès. Au xive siècle, on dénombrera au total seize salins, dont quatorze dépendant du domaine royal et deux de l’abbé de Psalmodi100 : en 1376‑1379, Francesco Datini et ses associés se fourniront auprès de huit des salins royaux101. En 1315, les salins du roi produisent 2 098,5 muids, soit, le muid de Peccais pesant 5 520 kg, plus de 11 500 tonnes de sel : ce qui équivaut presque au total du sel vendu par les gabelles provençales en 1263-1264 ou encore à près des trois-quarts de ce que produiront ensemble, en 1334, les salines de Notre-Dame, Arles et la Vernède. Si l’on y ajoute la production des salins de l’abbé de Psalmodi, soit 600 à 1 000 muids (3 312 à 5 520 tonnes) au xive siècle, nous arrivons sans doute à une production au moins égale à celle des salines camarguaises en 1334102. Le marché du sel de Peccais va rapidement dépasser en importance celui du sel des étangs du Languedoc occidental et Aigues-Mortes va prendre le pas sur Lunel, dont l’importance commerciale se réduit, malgré un essai de résistance à la fin du xiiie siècle103.
Carte 4 : les salins de Peccais (détail de la « carte des envyrons d’ayguesmortes », 1685) (Arch. dép. Gard, C 139, pièce 2)

La numérotation d’origine de la carte a été retouchée pour plus de lisibilité.
Les salins cités dès le xive siècle apparaissent en gras
1 Rocquemaure (alias roquemaure), hors cadre ; 2 Bourboisselles (alias Les Bourboisses ou Bourboissole) ; 3 Mirecoulles (alias Mirecoule ou Mirecoude) ; 4 Le Guay (alias Le Gay) ; 5 La Courbe ; 6 Margagnon (alias Marguagnon) ; 7 Les Terrasses ; 8 Les Thuillières (alias Les tuillières) ; 9 Les Brassines (alias Les Brassives) ; 10 La Donzelle ; 11 La Gaujouze (alias La Goujouse) ; 12 Les Aubettes ; 13 Les Estaques ; 14 Saint-Jean ; 15 L’Abbé ; 16 La Fangouse ; 17 La Lone
Manquent, pour retrouver les seize salins cités au xive siècle, outre un second « Salin de l’Abbé », les quatre salins baptisés : Peccais, Le Plan, Coybilhon et Mejan (Moyen). ils peuvent correspondre, plus ou moins parfaitement, à tel ou tel des salins en maigre ci-dessus (sauf le salin de Saint-Jean, créé au xvie siècle).
32Comme l’écrivait Pierre Moulinier, « il semble que la fin du xiiie siècle soit bien employée pour le Capétien en ce qui regarde la vente de son sel : à un produit chargé de gabelle, le roi oppose un commerce libre du sel pour ses sujets ». Comme, bien prises en main, les salines de Peccais apparaissent « merveilleusement fécondes », le roi de France est rapidement en mesure de « détruire par le trafic du sel qui en provient, tout le commerce du sel provençal de Camargue104 ». L’on comprend donc aisément que le successeur de Charles d’Anjou, son fils Charles II, qui avait de surcroît besoin de l’appui de Philippe le Bel dans ses affaires italiennes, n’ait pas cherché d’affrontement sur le terrain du « sel du Rhône ». Le roi de France ne chercha pas de son côté à prendre sur son cousin la revanche des mauvais procédés dont avait usé Charles Ier. En fait, il avait pour sa part intérêt à utiliser sans problème la voie fluviale, plus commode pour le transport d’une denrée pondéreuse.
33Des négociations en vue d’un accord s’engagèrent à l’extrême fin du xiiie siècle. Charles II d’Anjou s’y présenta avec une position améliorée par l’acquisition, le 5 mai 1300, des droits de la maison des Baux sur la Manica Baussenca105. Au mois de juin suivant, Philippe le Bel nomma pour traiter son sénéchal de Beaucaire, Jean d’Arrabloy, et Biccio Guidi (le célèbre « Biche »). Soit que les affaires de Sicile et d’Italie eussent retenu toute son attention, soit que des documents intermédiaires nous fissent défaut, ce n’est apparemment que le 6 décembre 1301 que Charles II désigna ses propres représentants : le sénéchal et le trésorier de Provence, Rinaldo di Lecco et Bonnacorso di Tecco. En fait, la négociation fut alors rapidement conclue, très probablement avant même la fin du mois de décembre106. Les deux gouvernements, capétien et angevin, constituèrent une societas pour le tirage, à parts égales, vers les pays d’en-haut, par le Rhône ou par voie de terre dans la limite d’une bande de deux lieues sur chaque rive du fleuve107, du sel provenant de certaines salines108.
34« À parts égales » signifie que, chaque année, le sel de chaque roi sera transporté en égale quantité, après avoir été mesuré à la même mesure et vendu au même prix. Prix, mesures et quantités seront contrôlés par des agents que chaque partie pourra envoyer, à ses dépens, dans les salines de l’autre, pour assister aux mesurages et ventes. Si l’une des parties est incapable de fournir son quota du sel nécessaire aux besoins des pays d’en-haut, elle devra s’efforcer de combler ce déficit. Si elle n’a pu y parvenir deux mois après en avoir été sommée, l’autre partie pourra librement se substituer à elle pendant l’année en cours. Si les parties ne s’entendent pas sur le prix de vente, l’un des deux sénéchaux, désigné par tirage au sort, pourra le fixer : l’année suivante, ce pouvoir reviendra à l’autre.
35Les quantités de sel excédant les besoins des pays d’en-haut pourront être vendues par chaque partie, au prix et à la mesure de son choix, à tout acheteur qui lui agréera, pourvu que ce sel ne soit pas transporté vers les dits pays. Il est aussi prévu le cas où, une fois satisfaits les besoins du « tirage », il manquerait du sel pour couvrir le « proprium et necessarium usum » des populations habitant sur chaque rive du Rhône dans la bande de deux lieues ci-dessus mentionnée : dans ce cas, il pourra être fait appel au sel d’autres salines que celles incluses dans l’accord, à condition que ce sel ne remonte pas vers les pays d’en-haut.
36Par « pays d’en-haut » (« partes superiores »), il faut entendre les pays situés de part et d’autre du Rhône, au nord d’une part de la sénéchaussée de Beaucaire, d’autre part des comtés de Provence et de Forcalquier : Vivarais, Lyonnais, Forez rive droite, Comtat-Venaissin (terre du Pape), Valentinois, Dauphiné rive gauche.
37Quant aux salines en cause tant du côté du royaume de France que du côté provençal, toutes sont situées près du Rhône, dans un rayon de deux lieues autour des rives du fleuve. Il s’agit, pour le roi de France, des salines de Peccais ; pour le roi de Sicile, comte de Provence, des salines de Notre-Dame-de-la-Mer (y compris la Manica Baussenca, citée à part), de la Vernède et de celles dites d’Arles (la Lone Longue étant elle aussi citée à part). D’un côté comme de l’autre, il s’agit de salines domaniales ou quasi. À Peccais, comme on le vérifie plus avant dans le xive siècle, toutes les salines dépendent du roi, à l’exception des deux qui appartiennent à l’abbé de Psalmodi. Côté provençal, la majorité des salines relevaient aussi du domaine comtal : c’est le cas depuis peu de la Manica Baussenca, d’une bonne partie des autres salines de Notre-Dame ou encore des salines d’Arles. Quant à celles qui font exception, elles sont dans les mains des hommes du comte-roi (les hommes de Notre-Dame) ou de personnes morales ou physiques sur lesquels il peut compter (ainsi les Porcelet ou les commanderies arlésiennes de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem à la Vernède)109.
38La societas ne devait pas faire obstacle à la perception des droits de leudes, de péages et autres redevances accoutumés, qu’ils appartinssent aux parties contractantes ou à tout autre personne. L’accord prévoyait également une réunion annuelle au mois d’août, pour l’Assomption (soit le 15), entre les deux parties, représentées par les sénéchaux ou les envoyés de ceux-ci, alternativement à Beaucaire et à Tarascon, afin de régler les conditions de la vente du sel pour l’année à venir. Si l’une des deux parties ne se présente pas et n’est toujours pas arrivée au bout de quatre jours, la partie présente pourra décider à sa guise. Il était en outre stipulé que les deux parties nommeraient à leur gré, pour la gestion proprement dite, un ou plusieurs agents qui, au moins deux fois par an, feraient le point sur le fonctionnement de la société et établiraient un rapport destiné à l’autre partie.
39Nous pouvons ainsi résumer la situation créée par la conclusion de cette société. Tout d’abord, le Rhône voit son rôle traditionnel de voie du sel réaffirmé. La libre concurrence des sels languedociens et provençaux antérieure à la gabelle instituée par Raimond-Bérenger V n’est plus qu’un souvenir. Par l’application sur les deux rives du Rhône du système des « cours du sel », remontant sans doute à réglementation de Charles d’Anjou pour les gabelles provençales, seuls les sels camarguais devaient, dans les années de récoltes normales (voire abondantes) alimenter la montée du sel par le Rhône. Cela excluait donc de ce trafic d’une part le sel du Languedoc occidental, d’autre part le sel de Berre. En principe, les comtes de Provence, dont le sel voit son prix grevé par la gabelle, alors que le sel du royaume en est encore franc, ne courent plus le risque de voir ce dernier, bien meilleur marché, chasser le leur du trafic vers le haut-pays. La production des salines camarguaises est ainsi en principe protégée. Pour ce qui est des villes et des hommes, côté royaume, Aigues-Mortes enlève à Lunel une part de marché que celle-ci n’avait dû qu’à la politique fiscale des comtes de Provence. Côté provençal, nous ne pouvons malheureusement pas mesurer l’apport de l’économie du sel à l’essor d’Arles. Il est en revanche certain que Notre-Dame-de-la-Mer, malgré les quelques mauvais moments que j’ai rapportés, a connu un net développement. Elle compte 335 feux de queste à la fin du xiiie siècle, ce qui lui permet de prendre rang parmi les villes moyennes des comtés de Provence et de Forcalquier110. Il n’y a pour l’heure qu’une seule victime du développement du sel camarguais tant provençal que du royaume : Fos111.
De la societas de 1301 à la fin du xve siècle
40La société conclue en décembre 1301 entre les rois de France et de Sicile se perpétua, sous des formes modifiées par de nouveaux accords passés en décembre 1398 puis en 1448, jusqu’à la réunion de la Provence au royaume de France. Nous pouvons en conclure que les résultats obtenus donnaient satisfaction aux deux parties. Mais c’est là une conclusion fort générale, qui demande à être affinée.
41Nous sommes à vrai dire assez mal renseignés sur l’exactitude avec laquelle fut appliqué l’accord de décembre 1301 durant la période où il demeura sans doute inchangé (1301-1398). Nous savons du moins que l’on employa bien la même unité de mesure dans les salins de part et d’autre du Rhône. Un avenant arrêté en 1358, qui suspendait pour quelques années en faveur de la Provence la parité des quantités de sel transportées vers les pays d’en-haut, permet de penser que le choix se porta sur le muid en usage à Peccais112. Ce même avenant nous autorise à avancer que l’on respecta, ou du moins l’on s’efforça de respect, sauf circonstances exceptionnelles, la parité entre les deux sels. Mais, pour le reste, notre ignorance est grande. Les « conseils d’administration » eurent-ils bien lieu annuellement ? Les officiers des deux souverains se fournirent-ils réciproquement les données et comptes nécessaires ? Certains incidents des années 1320-1330 donnent plutôt à penser qu’il se manifesta au contraire un certain relâchement et que les liens entre les parties ne furent pas toujours aussi étroits qu’ils auraient dû l’être.
42En effet, dès le second quart du xive siècle, surgirent des difficultés d’application de la convention, lesquelles vinrent surtout du côté du roi de France ou plutôt de ses officiers. Précisons, pour l’intelligence de ce qui va suivra, que, quelque temps après la conclusion de la societas de 1301, le comte de Provence regroupa la gestion affermée de divers droits dans la Rivière du Rhône (Riparia Rodani)113. Au sens premier, il s’agit d’abord d’un territoire constitué tout d’abord de la bande de deux lieues depuis Avignon jusqu’à la tête du delta du fleuve, puis de celui-ci dans son ensemble. Au sens second, il s’agit de la gestion de ce qui s’y trouve : biens inclus dans le domaine utile ou éminent du comte-roi (les salines), droits domaniaux ou régaliens, depuis la redevance en nature due par les exploitants des salines jusqu’à la gabelle de 5 sous de monnaie provençale par muid114, en passant par les divers péages. Or, l’un des premiers fermiers connus, Laugier de Pouille, qui prit les droits à ferme d’abord de 1328 à 1332, puis de 1333 à 1337, s’offrit, à l’issue de son second bail, de prouver aux officiers de la Cour d’Aix que les droits du comte-roi avaient été lésés, durant sa première ferme, par les gens du roi de France115.
43En 1337 donc, Laugier de Pouille expose que, lors de son premier bail, entre 1328 et 1332, 2 811 muids de sel de Peccais ont remonté le Rhône sans acquitter les péages dus au roi de Sicile, avec le plein accord des officiers du roi de France. De fait, un mandement du roi Philippe VI, adressé le 29 mars 1331 à son sénéchal de Beaucaire, confirme que le souverain capétien ne considérait comme pratique frauduleuse que celle des « conducteurs » de sel de Peccais qui remontaient par le Rhône, sous le nom de sel royal, du sel d’autre provenance, le faisant ainsi bénéficier de l’exemption des péages du roi de Sicile « dont jouit le sel de Peccais ». Or, nous l’avons vu ci-dessus, la convention de 1301 prévoyait expressément la conservation de tous les péages et leudes des deux parties contractantes ou des autres seigneurs. Il semble donc qu’il y ait eu, au bout d’une vingtaine d’années sans doute, car Laugier de Pouille laisse entendre que cette fraude officielle ou quasi était antérieure à 1328, une interprétation quelque peu « gauchie » en sa faveur faite par la partie française. Après diverses démarches infructueuses des grands officiers de la Cour d’Aix, l’affaire dut se régler par une intervention directe du roi Robert d’Anjou auprès de Philippe VI : en effet, Laugier de Pouille ne parle pas de fraude pendant la durée de son second bail.
44Il faut toutefois ramener cette fraude à une juste proportion. Si elle lésait indubitablement les intérêts du comte-roi et de son fermier de la Rivière du Rhône en diminuant fortement les recettes des péages, elle ne portait pas directement atteinte à la production des salines, protégée par le principe du tirage à quantités égales des sels de Peccais et de Camargue.
45On n’en a pas moins jugé que la convention de 1301 avait été avant tout favorable au roi de France. Pour cela, on a tiré argument de l’enquête générale de 1334 sur les salines provençales, menée, sous l’autorité du sénéchal Filippo di Sangineto, par l’archivaire Hugues Honorat et le rational Bernard Garde116. Cette enquête fait en effet ressortir d’une part le déclin de la production de Notre-Dame-de-la-Mer, tombée de 1 526 muids en 1263 à 800 muids en 1334 ; d’autre part, le fait que cette baisse n’a pas été uniformément répartie sur l’ensemble des salines : tandis que la production des salines domaniales restait normale, celle des treize salines privées tombait à rien. Les témoins de l’enquête énumèrent ces salines, abandonnées depuis trente ans, et attribuent cette désaffection à la concurrence des salins de Peccais, qui produisent à meilleur marché117.
46La baisse importante de la production de sel, ressource principale sinon unique des hommes du lieu, a pu se traduire par une diminution de la population. Nous n’avons malheureusement pas de données démographiques précises pour la période précédant la Peste Noire. En se fondant sur le nombre de chefs de famille assistant à une assemblée générale en 1338118, Édouard Baratier avait, prudemment, attribué autour de 300 feux de queste à la ville en 1315 et conclut qu’elle figurait toujours dans le groupe des villes provençales « moyennes119 ». S’il n’est pas question de nier le coup porté à la prospérité de Notre-Dame-de-la-Mer, il faut se garder de le surestimer. Cette nuance apportée, faut-il admettre sans plus d’examen un déclin de Notre-Dame dû la seule concurrence de Peccais ?
47Mais, en vertu de la convention de 1301 même, cette concurrence de Peccais n’a pu jouer que sur la part de la production demeurant disponible après satisfaction des deux besoins primordiaux, part qu’il était interdit d’envoyer vers les pays d’en-haut. Pour cette part « libre », le sel de Peccais restait évidemment favorisé, comme avant l’accord de 1301, car il était toujours meilleur marché. Même l’institution de la gabelle par Philippe VI en 1341, gabelle au demeurant non permanente en Languedoc jusqu’au mois de janvier 1383120, ne suffit pas à le renchérir au point de lui faire perdre cet avantage. Mais sur quel(s) marché(s) les sels de Peccais et Notre-Dame étaient-ils alors en compétition ? Il est difficile d’envisager une concurrence portant sur un courant d’exportation maritime à moyenne ou longue distance. Le seul « gros client » potentiel est la république de Gênes, laquelle, à cette époque, prohibe l’importation de sel provençal121. Si les Génois avaient voulu du sel de Camargue, les salines de Peccais auraient été seules en course. Peut-être faut-il penser aux terres de la partie méridionale du royaume de France (hors de la bande de deux lieues le long du Rhône et des pays visés par le tirage par le fleuve) : de fait, nous connaissons, plus tardivement il est vrai (1381), un exemple d’achat de sel de Notre-Dame par des habitants de Lunel122.
48Admettons donc que la concurrence de Peccais ait joué un rôle pour aggraver les problèmes de Notre-Dame. Mais, en période d’expansion démographique, le marché « captif » n’aurait-il pas dû suffire à soutenir davantage l’activité des salines « de la Mer » ?
49Il faut en fait comparer le cas des salines de Notre-Dame avec celles des autres salines camarguaises comprises dans la convention de 1301. Que constatons-nous ? Si les salines de Notre-Dame ne fonctionnent plus qu’au tiers de leur pleine capacité de production (contre 63 % environ en 1263), dans le même temps, les salines dites « d’Arles » tournent à 98 % (autant dire à plein) et celles de la Vernède à 83 %123. Or, quels besoins doit couvrir le sel camarguais mis dans la societas ? D’abord, la fourniture, de moitié avec Peccais, de la quantité de sel nécessaire chaque année aux pays d’en-haut ; ensuite la couverture des besoins des habitants de la Rivière du Rhône. Comme nous n’avons aucune trace de problèmes en ces deux domaines, sans doute faut-il admettre que le niveau de production atteint par les trois groupes de salines provençales permettait de satisfaire ces besoins.
50En fait, entre 1263 et 1334, la production des salines arlésiennes a été multipliée par six environ, passant de 1 091 à 6 400 muids (3 900 pour les salines dites « d’Arles », 2 500 pour la Vernède)124. Sans écarter la possibilité d’un développement de la production dès le xiiie siècle, sans doute celui-ci est-il une conséquence de la convention de 1301. Il est permis de penser que la garantie de pouvoir écouler une notable partie de leur production a incité les Arlésiens à mettre davantage en valeur leur potentiel saunier. Avec une production accrue, ils ont pu attirer les clients, dont la demande a entraîné un nouveau croît de la production. En effet, si le sel d’Arles/La Vernède était grevé par la même fiscalité comtale que celui de Notre-Dame, les négociants qui s’adressaient aux Arlésiens pouvaient au moins gagner du temps, puisqu’ils n’avaient pas à dépasser la tête du delta rhodanien. Louis Stouff a montré que le mouvement des affaires a profité aussi aux salines qui, tout en dépendant de Notre-Dame-de-la-Mer, étaient les plus proches de la cité, telle Bragomal125. Il faut donc en conclure que Notre-Dame a été en premier lieu victime d’une concurrence fratricide.
51De surcroît, les problèmes de Notre-Dame ne sont pas en 1334 un cas aberrant. En dépit du vaste ressort dévolu à la gabelle dont elles dépendent126, les salines de Berre ne produisent qu’à hauteur de 20 % de leur capacité maximale, et Édouard Baratier pensait que cet état de fait s’accompagnait du quasi-abandon des salines de Vitrolles et Istres (Lavalduc)127. Comme le groupe de salines d’Hyères et Toulon est loin, lui aussi, de tourner à plein rendement128, force est de conclure que la Provence était davantage menacée par la surproduction de sel que par le risque d’en manquer. Dans chaque district de gabelle(s) primaire(s), il y avait en fait trop de lieux de production possibles pour la demande effective de sel. En l’absence d’une décision autoritaire de la Cour d’Aix pour attribuer à chaque salin ou groupe de salins d’un district un quota minimum de production, il ne pouvait qu’y avoir concurrence entre les producteurs. Concurrence arbitrée par l’intérêt des fermiers des gabelles et celui des marchands, qui, les uns comme les autres, souhaitaient obtenir leur sel au meilleur prix et avec le moins de fatigues possibles. Or, au sein de la Rivière du Rhône, Notre-Dame n’est plus le lieu privilégié qu’elle était du temps des comtes catalans : par rapport à Arles, c’est un bout du monde…
52Ainsi, c’est le mode de fonctionnement même de la gabelle provençale qui a accru les problèmes de Notre-Dame-de-la-Mer. Certes, comme je l’ai indiqué plus haut, le système des « cours du sel », précisé par l’enquête de 1323 et qui remontait sans doute au règne de Charles Ier d’Anjou, protégeait le sel de Camargue de la concurrence du sel de Berre. Mais il interdisait tout autant aux fermiers de la Rivière du Rhône, aux officiers et aux hommes de Notre-Dame de tenter d’exporter leur sel dans les zones réservées à celui de Berre ou du groupe Hyères-Toulon, le même principe prévalant aussi pour les marchés extérieurs129. D’autre part, la gabelle des comtes de Provence n’est pas un monopole de production, mais un monopole de commerce : il y a donc, en théorie, surtout avec le passage de la régie à la ferme, libre concurrence possible, je l’ai dit, entre tous ceux qui avaient du sel à vendre sur les lieux de production.
53En réalité, celle-ci est biaisée. Nous l’avons vu, la crise n’a pas frappé également toutes les salines de Notre-Dame, puisque celles relevant du domaine comtal sont restées intactes. C’est que, comme le soulignait Jacques de Romefort130, le système même faisait du roi, par le prélèvement en nature des redevances seigneuriales et/ou de la gabelle, un marchand de sel. Mais un marchand de sel qui ne payait pas la gabelle, tandis que ses fachiers ou emphytéotes et les sauniers « privés » l’acquittaient. Aussi le sel propre du roi devait-il prime sur le marché, le sel de ses fermiers passant au second rang et le sel privé étant sacrifié. Il y eut cependant une réaction dans le cas de Notre-Dame-de-la-Mer, car le comte-roi avait besoin de maintenir une pépinière de professionnels du sel. L’expédient retenu fut non pas une aide à la réinstallation de particuliers, mais la concession de nouvelles salines à la communauté même131.
54Bref, nous ne saurions trop incriminer la concurrence de Peccais dans la décadence relative de Notre-Dame. La convention de 1301 n’aurait pu durer, vaille que vaille, près d’un siècle, si elle avait outrageusement avantagé le roi de France.
55Il n’est pas nécessaire d’insister sur les malheurs qui ont marqué, tant dans le royaume de France qu’en Provence, la seconde moitié du xive siècle. Il est donc clair que le tirage du Rhône « première manière » a atteint son apogée peu avant l’épidémie de Peste Noire, donc au début des années 1340. Nous n’avons pas de données précises, mais nous pouvons tenter d’évaluer son importance à partir du niveau qui lui est assigné pour les années 1358-1362, par un accord temporaire conclu entre les sénéchaux de Beaucaire et de Provence, accord dérogeant, en faveur de la Provence, au principe du tirage à parts égales132. Il est prévu, au total, la montée de 3 500 muids de Peccais, soit environ 18 000 tonnes. En supposant que, dix ans après la Peste, la population cliente du « tirage » représente les deux-tiers environ de ce qu’elle était avant le fléau, il n’est sans doute pas trop aventuré d’évaluer la montée antérieure à 1348 à 5 250 muids, soit environ 27 000 tonnes.
56Dans un premier temps, de 1348 à 1367, les deux rives du Rhône sont sans doute affectées de manière identique tant par la première épidémie de peste que par sa récurrence du début des années 1360, ainsi que par les troubles liés peu ou prou à la Guerre de Cent Ans, notamment les passages de routiers. Ainsi est-ce sans doute pour faire face aux frais occasionnés par la Guerre de l’Archiprêtre que les Provençaux obtiennent en 1358 de pouvoir pendant quatre ans monter une quantité de sel de Camargue supérieure d’un tiers à celle du sel de Peccais : 2 000 muids contre 1 500133, ce qui laisse supposer que chaque partie aurait dû tirer normalement 1 750 muids. Cet accord temporaire, passé entre Hugues Adhémar, seigneur de la Garde, sénéchal de Beaucaire, et Foulque Ier d’Agout, sénéchal de Provence, montre la bonne tenue jusqu’alors des salines camarguaises. Celle-ci nous est confirmée par les chiffres de production qui nous ont été conservés pour les salines arlésiennes : 3 205 muids (7 605 tonnes) en 1365 et 4 011 muids (9 385 tonnes environ) en 1366134.
57Un premier point de rupture survient avec la guerre provoquée par la tentative de conquête de la Provence par Louis d’Anjou. Celle-ci amène dès 1368 la ruine définitive135 des salines dites « d’Arles » que confirme une enquête de 1377 : seules subsisteront désormais les salines de la Vernède et celles de Notre-Dame-de-la-Mer136. Les premières sont toujours six comme en 1334, les secondes ne sont plus que six en activité ; si la Vernède peut éventuellement atteindre sa pleine capacité de production, soit environ 3 000 muids d’Arles ou 7 000 tonnes, Notre-Dame doit à peine pouvoir faire autant qu’en 1334. Il n’est pourtant pas sûr que les salines de Peccais en aient pleinement profité. Au contraire, nous voyons Francesco Datini et ses associés peiner à monter par le Rhône, en 1377, 4 000 tonnes de sel, soit à peine le tiers des 12 000 tonnes environ (2 280 muids 7 quintaux) achetés à huit des maîtres de salins de Peccais. Même en tenant compte de la concurrence de moindres marchands, tel Giovanni di Pinestra, qui tire pour son compte 500 tonnes de sel, tout en travaillant comme transporteur pour la société de Datini, nous devons être loin des 18 000 tonnes partant pour les pays d’en-haut dans les années 1358-1362137.
58La Guerre de l’Union d’Aix (1383-1388) porta sans doute à son tour un coup au commerce des sels de la Vernède et de Notre-Dame. Car, si Arles et Notre-Dame étaient dans le camp opposé à Charles de Duras, Tarascon, qui contrôlait le Rhône en amont, fut longtemps dans le camp duraciste : le sel de Camargue dut avoir des difficultés à remonter le fleuve, à moins qu’il ne l’ait fait comme sel du roi de France. Cette dernière traverse dut sonner le glas du contrat de 1301. Il fut remplacé par une nouvelle convention passée le 29 décembre 1398. D’abord conclue pour les deux années 1399 et 1400, celle-ci fut renouvelée pour deux nouvelles années, 1401 et 1402, par Charles VI en février 1401138 ; puis, de renouvellement en renouvellement139, elle allait durer jusqu’en 1448. Contrairement au vieil accord de 1301, le nouveau traité ne fixe plus de remontée générale à parts égales des deux sels140. En fait, il réserve implicitement la part du royaume au seul sel « français ». Quant à la part de l’Empire, il prévoit une gabelle commune, de 4 gros par quintal, pesant sur les deux sels, « français » et provençal, et partagée également entre les deux souverains. Pour faciliter la perception de cette gabelle, l’unité de mesure établie en 1301 dans les salines est confirmée et expressément étendue aux trois greniers de Tarascon, Lampourdier141 et Pont-Saint-Esprit, où se lèvera la taxe. Quatre articles (5 à 8) sont consacrés à l’institution d’administrateurs des greniers et des salines, dont on précise fonctions et gages. Le traité confirme notamment le principe de l’étanchéité des ressorts des gabelles provençales : les sels de Berre et d’Hyères sont prohibés dans la zone dévolue aux salins de la Vernède et Notre-Dame (article 10).
59On a voulu voir dans ce traité la traduction d’une nette suprématie du sel de Peccais. Et il est vrai que l’exclusion du sel provençal de la part du royaume ne peut a priori que conforter ce jugement. Néanmoins, est-ce si sûr ? L’on prendra tout d’abord garde qu’il n’est pas dit explicitement que la part de l’Empire doive être partagée à parts égales entre le sel de Peccais et celui de la Camargue provençale. Cette absence de clause précise n’est pas forcément à l’avantage de Peccais.
60De fait, au moins durant les deux années initiales de la convention et sa première prolongation par Charles VI, les salins de Peccais ne sont pas seuls à fournir le sel nécessaire, outre les salines d’Aigues-Mortes, qui ne se distinguent guère des précédentes, le texte mentionne les salines de Mirevaux ou Mirebal, c’est-à-dire les salines de Mireval, sur l’étang de Maguelonne ou plus précisément de Vic. Ce qui ne plaide guère pour des salins de Peccais « triomphants ». Par la suite, d’ailleurs, le pays d’Aigues-Mortes finit par être plus durement touché qu’au xive siècle par les malheurs du temps : la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons n’épargne pas la ville et ses alentours. Aussi, comme en Provence une soixantaine d’années plus tôt, y a-t-il effondrement des salines royales. En 1435, au lieu de sept un peu plus tôt et huit du temps de la société de Datini, seules trois d’entre elles sont en activité pour fournir le tirage d’Empire : Fangouse, Gaujouse et les Estaques, pour une production de seulement 843 muids.
61Le partage des profits et les incertitudes du temps n’ont donc pu que conduire les parties contractantes à éviter toute prescription trop rigide. S’il fallait une preuve supplémentaire de l’absence de clause favorable à Peccais, elle nous est fournie par les statistiques montrant la provenance des quantités de sel qui sont passées au grenier de Tarascon dans les années 1445-1451 : arrive en tête le sel de la Vernède, suivi de celui de Peccais et enfin du sel de Notre-Dame-de-la-Mer142. Il va sans dire que les deux sels provençaux réunis l’emportent sur Peccais. Aussi, quand en 1448, les quantités prévues sont de 1 600 muids de Peccais pour l’Empire et de 900 pour le royaume, le sel de Peccais doit représenter sans doute autour de 1500 muids (les 900 du royaume et un peu moins de la moitié des 1 600 de l’Empire), soit 60 % de l’ensemble.
62Par la suite, le nombre des salines en activité à la Vernède tombe à cinq en 1451, puis à quatre en 1469143. Cela est à mettre en relation avec la diminution sensible du tirage vers l’Empire qui finit d’ailleurs par avoir son corollaire côté royaume. Quelques chiffres en témoigneront, même s’ils sont en fait à réévaluer pour tenir compte de la fraude144 :

63Note145
64Note146
65Entretemps, les rois de France et de Sicile avaient profondément modifié le régime en vigueur depuis les origines du tirage du Rhône en décembre 1301, et que le traité de décembre 1398 avait conservé. À savoir « un double régime de monopole et de liberté : monopole de la vente du sel au grenier, mais liberté de transport entre la saline et celui-ci147 », régime inspiré par le fonctionnement de la gabelle provençale depuis Charles Ier d’Anjou (et d’ailleurs adopté pour la gabelle française). Pour lutter contre les fraudes des transporteurs, rendues plus aisées par la diminution du tonnage des bateaux affectés à la remontée du sel, les deux souverains monopolisèrent également à leur profit le transport du sel des salines aux greniers (1448)148. On peut voir, d’après le tableau ci-dessus, que cela ne permit évidemment pas d’aller à l’encontre d’une conjoncture déprimée et qui devait le rester jusqu’à la fin du xve siècle.
66C’est sans doute lorsque la tendance s’inverse enfin, dans le premier quart du xvie siècle, que les salines de Peccais tirent mieux leur épingle du jeu et fournissent à elles seules les trois-quarts de l’ensemble des tirages de l’Empire et du royaume149. La Camargue provençale a donc mis deux siècles et demi, marqués de quelques calamités, pour perdre l’avantage qu’elle avait initialement pris sur le pays d’Aigues-Mortes et être nettement dépassée par celui-ci.
Notes de bas de page
1 Dupont André, « L’exploitation du sel sur les étangs du Languedoc (ixe-xiiie siècle) », dans Annales du Midi, t. 70, 1958, p. 7-25, à la p. 9.
2 Dupont A., « Un aspect du commerce du sel en Languedoc oriental au xiiie siècle : la rivalité entre Lunel et Aigues-Mortes », dans Provence historique, t. XVIII, 1968, p. 101-102, à la p. 101 (à compléter par Gigot Jean-Gabriel, « Notes sur le sel dans l’histoire du Roussillon », dans Mollat Michel (dir.), Le rôle du sel dans l’Histoire, Paris, _968, aux p. 199-202). Cf. carte n° 1.
3 Groupe au sein duquel, pour sa partie languedocienne, André Dupont distinguait deux sous-groupes : les salines de la région de Narbonne et celles se développant de l’étang de Vendres jusqu’à celui de Mauguio (« L’exploitation du sel… », loc. cit.).
4 En fait, de Berre à Hyères, si l’on exclut le salin très secondaire d’Antibes. Liste des lieux de production provençaux actifs en 1263-1264 dans Baratier Édouard, « Production et débouchés du sel de Provence au Bas Moyen Âge », dans Mollat M. (dir.), Le rôle du sel dans l’Histoire, p. 133-171, aux p. 134-135.
5 La Grande Camargue correspondant au delta moderne et la Petite Camargue à la zone palustre comprise entre le Petit Rhône et le Vidourle.
6 Benoît F., « L’économie du littoral de la Narbonnaise à l’époque antique : le commerce du sel et les pêcheries », dans Rivista di Studi liguri, t. XXV, 1959, p. 87-110 ; et « Les abbayes du sel, l’héritage antique du delta au Moyen Âge », dans Delta, fasc. 3, 1er trimestre 1961, p. 17-32.
7 Devenue les Saintes-Maries-de-la-Mer en 1838. Au Moyen Âge, elle était aussi connue comme la Ville de la Mer.
8 Cf. dans Charles-Roux Jules, Flandreysy Jeanne de, Mellier Étienne, Livre d’or de la Camargue, Paris, 1916, la reprise posthume d’une dissertation sur la « Formation de la Camargue » due à Gautier-Descottes Achille, aux p. 5-45. Ou, plus récent, Denizot G., « Le rivage du Languedoc au temps des Ligures », revue d’Études ligures, 25e année, n° 1 et 2, janv.-juin 1959, p. 24-86. Clair résumé d’ensemble dans Stouff Louis, Arles à la fin du Moyen-Age, Aix/Lille, 1986, p. 45-47. Voir la carte n° 2.
9 Archives départementales du Gard (ADG), H 114 (copie dans le volume A du cartulaire de Psalmodi, H 106 ; autre copie, papier, dans la liasse H 115).
10 Voir Pagézy Jules, Mémoires sur le port d’Aiguesmortes, t. I (Paris, 1879), 1er mémoire, notamment cartes I et II. En fait, le Petit Rhône se subdivisait vers son embouchure en deux bras enserrant, dès 1165 au plus tard, l’île de Stel (Listel) : les futurs Rhône-mort de la Ville et Rhône-mort de Saint-Roman. Selon J. Pagézy, originellement, ils réunissaient ensuite pour déboucher en mer par le seul Grau de la Chèvre ; plus tard, le Rhône de Saint-Roman ouvrit son propre grau (Malcanet ou Masconil) vers la mer. Cf. carte n° 3.
11 Benoît F., Recueil des actes des comtes de Provence de la Maison de Barcelone, Monaco-Paris, 1925, t. II, p. 429, Actes de Raimond-Bérenger V, n° 352.
12 Benoît F., « Les abbayes du sel… », article cité supra. On ne peut d’ailleurs parler d’abbayes du sel au pluriel avant une date fort tardive. Il faut en effet attendre 1194 pour que soit fondée dans le delta l’abbaye cistercienne d’Ulmet, plus tard transportée à Silveréal. En dehors de la Camargue et de ses zones « annexes », ont manifesté de l’intérêt pour le sel l’abbaye bénédictine de Montmajour et le monastère féminin de Saint-Césaire d’Arles, mais non pas, par exemple, l’abbaye de Saint-Gilles (sauf peut-être après que lui eut été unie l’abbaye Saint-Gervais de Fos). En fait, la situation ne paraît pas très différente de celle du littoral languedocien où les abbayes (Gellone, Aniane, Valmagne, Saint-Thibéry, La Grasse, Caune) semblent avoir été moins actives que les évêques ou les seigneurs laïques (Dupont A., « L’exploitation du sel… », p. 18-19).
13 L’on parle de montazon dans les textes en langue d’oc.
14 Voir Romefort Jacques de, « Le sel en Provence du xe siècle au milieu du xive siècle. Production, exportation, fiscalité », dans le Bulletin philologique et historique, 1958, p. 169-180, à la p. 172. Également : Poly Jean-Pierre, La Provence et la société féodale (879-1166), Paris, 1976, p. 226-227.
15 Duby Georges, « Les villes du Sud Est de la Gaule du viiie au xe siècle », dans La città nell’alto medioevo. Settimane di studio […] Spoleto, t. VI, 1958 (1959), p. 231-158, à la p. 240.
16 Poly J.-P., op. cit., p. 226 et note 103. Le principal lieu de production sur le pourtour de l’étang de Berre est Lavalduc (Ugium).
17 Dupont A., « L’exploitation du sel… », op. cit.
18 Dupont A., « Un aspect du commerce du sel… », op. cit., p. 104.
19 Archives nationales (AN), JJ 267, « Ecrit de la gabelle », utilisé tant par Romefort J. de (La gabelle du sel des comtes de Provence, des origines à 1343, thèse de l’École des Chartes, 1929 [Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 8 F 203] ; désormais citée Romefort, La gabelle, op. cit.), que par Pierre Moulinier (Le sel du Rhône au Moyen Âge, thèse de l’École des Chartes, 1960, consultée, avec l’aimable autorisation de l’auteur, sous forme de microfilm : AN, 76 Mi 7 ; désormais citée : Moulinier).
20 Bondurand Édouard, Les péages de Tarascon. Texte provençal, Nîmes, 1891 (extrait des Mémoires de l’Académie de Nîmes, 1890), p. 21, § 213.
21 Gouron Marcel, note sur l’ancienne navigation dans la Petite Camargue, Nîmes, 1939 (extrait du Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Nîmes et du Gard, n° 5, 1938-1939).
22 Poly J.-P., op. cit., p. 226, note 104. Nous verrons ci-dessous que l’on a utilisé par la suite des muids bien plus gros.
23 Villain-Gandossi Christiane, Comptes du sel (Libro di ragione e conto di salle) de Francesco di Marco Datini pour sa compagnie d’Avignon (1376-1379), Paris, 1969 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France, série in-8°, vol. 7), p. 55.
24 Pour ne citer que les principaux, il y avait dans le second quart du xiiie siècle : sur le Petit Rhône, entre Notre-Dame-de-la-Mer etTarascon, le péage d’Albaron (dont je reparlerai ci-après) ; au-delà de Tarascon, avant Saint-Saturnin du Port, la saunerie (alias gabelle) et le péage d’Avignon, ainsi que le péage de Roquemaure.
25 Je reprendrai cette question ci-après.
26 Dupont A., « Un aspect du commerce du sel… », p. 105.
27 Je parlerai désormais des salines d’Aigues-Mortes ou de Peccais pour les premières, et des salines de Camargue, sans autre précision, pour les secondes.
28 Cf. Villain-Gandossi Chr., Comptes du sel, p. 36.
29 Le Grand Rhône est dit « menaçant » pour les salines de la Vernède (Archives départementales des Bouches-du-Rhône [ADBR], B 1129, f° 27 v°, cité par Moulinier, p. 139-140).
30 Des procédés évolués (comparables au pompage actuel) sont attestés dans la zone de l’étang de Berre, ainsi à Lavalduc, où fonctionnait en 1067 un altometarius (roue élévatoire), et dans le territoire d’Arles, au haut comme au bas Moyen Age (Lavalduc [Istres] : Les Bouches-du-Rhône. encyclopédie départementale, t. II (Antiquité et Moyen âge), Marseille, 1924, p. 273, et Dupont, « Un aspect du commerce du sel… », p. 103, note 11 ; salines d’Arles : Dupont, op. et loc. cit., et Stouff L., Arles, p. 218). Contrairement à ce que pensait André Dupont (articles cités), ces procédés ont sans doute gagné sinon tout le littoral languedocien, du moins les salines de Peccais, si je ne me trompe pas dans l’interprétation d’un passage du livre de comptes de Francesco Datini, au f° 33 v° : « venendo alle capanne e alle ruotte di detto salino » (Villain-Gandossi Chr., Comptes du sel, p. 166), où les ruotte me semblent être des roues élévatrices, telles que Louis Stouff en a trouvées, en 1391, dans les salines de la Vernède et plus précisément à la Porcelette.
31 ADG, E Dépôt, Nîmes, SS 17. Ce mémoire a été publié par Léon Ménard, Histoire civile, ecclésiastique et littéraire la ville de Nismes, t. I (Paris, 1750), Preuves, p. 77-79, n° LV, et commenté ibid., Texte, p. 318-320.
32 Dans un procès opposant l’abbé de Psalmodi aux officiers royaux au début du xve siècle, le premier souligne l’importance du pont de la Tigne pour un accès permanent aux salines (ADG, H 174, cité par Moulinier, p. 131).
33 Elle aboutissait au grau d’Orgon.
34 Cette dernière saline est une création du xive siècle.
35 Moulinier (p. 135, note 72) en cite plus d’une douzaine d’autres et termine par un etc.
36 Moulinier, p. 133-139. Stouff Louis (Arles, p. 218) considère que, au xive siècle, la Manica Baucenqua, Bragomal et Méjanes (il ne mentionne pas Brancotal) étaient des salines « arlésiennes ». Il faut donc admettre soit que le ressort de la gabelle de Notre-Dame-de-la-Mer empiétait sur le territoire de la ville d’Arles, soit que celle-ci a fini par grignoter le territoire de Notre-Dame.
37 Lequel coulait alors plus à l’est qu’aujourd’hui, passant au lieu dit « Escale de Labech ».
38 Moulinier, p. 141, et Stouff, p. 218, s’accordent sur la composition de ce groupe. Il ne faut pas confondre la Vernède du Plan-du-Bourg avec un lieu-dit homonyme sis près de Silveréal, comme l’ont fait Romefort J. de (La gabelle, p. 28 et note 14 bis) et, plus récemment, le Père P.-A. Amargier o.p. (Cartulaire de Trinquetaille, Aix-en-Provence, 1972, à l’index locorum, p. 360, s.v. « Vernède »).
39 Moulinier, p. 140-141.
40 Même si, comme le soulignait Martin Aurell í Cardona, pendant la seconde moitié du xiie siècle, le delta est loin d’être surpeuplé (une famille de la noblesse provençale au Moyen âge : les Porcelet, Avignon, 1986, p. 75), ce siècle n’en est pas moins un siècle d’essor. À nous en tenir au Moyen Âge, il s’agit d’un second mouvement de peuplement de la Camargue : un premier, perceptible sous les règnes de Pépin, Charlemagne et Louis le Pieux avait été brisé par les incursions sarrasines entre 843 et 883. Dès avant 1150, s’est développé le castrum de Trinquetaille, fort proche de la cité il est vrai. Avant 1200, il existe cinq nouveaux castra : Villeneuve, Néjan, Méjanes (cité comme village dès 1116), Malmussane et Albaron, ce dernier juridiquement distinct d’Arles, et des localités qui ne sont pas des castra, comme Agon, sis entre le Rhône de Saint-Ferréol et les rives nord du Vaccarès (cf. Stouff L., Arles, p. 83 et 88-92).
41 C’est précisément le cas à Agon ou encore à Villeneuve, où l’archevêque d’Arles avait des salines.
42 M. Aurell, Une famille…, p. 138 ; Dupont A., « L’exploitation du sel… », p. 20-22.
43 Op. et loc. cit.
44 Cartulaire de Trinquetaille, p. 68-70, n° 76.
45 Baratier E., Enquêtes domaniales de Charles Ier d’Anjou en Provence (1252 et 1278), Paris, 1969, p. 395, n° 697. En fait, l’enquête de Charles d’Anjou nous apprend que l’étang du Fournelet aussi est passé aux mains du comte. Il est précisé à son sujet : « in quo fiunt saline, si quis vult, tamen raro » (ibid.), ce qui donnerait à penser que l’accord de février 1227 entre l’archevêque d’Arles et les seigneurs intermédiaires n’a pas permis de pérenniser la production de sel.
46 Le xiie siècle voit l’apogée de Saint-Gilles. Citons aussi comme indice possible du développement démographique la naissance de Beaucaire entre 1081 et 1096 (Poly J.-P., La Provence et la société féodale, p. 223).
47 Saint-Gilles était évidemment bien placée sur la voie des étangs citée ci-dessus. La vente du sel à Saint-Gilles était taxée à raison de trois mailles par saumée (article 31 de la leude : Bondurand E., Les coutumes de Saint-Gilles (xiie-xive siècles), Paris, 1915, p. 239), ce qui paraît indiquer un transport par animaux de bât (plutôt que par charrettes ou à dos d’homme) entre les ports et la ville même.
48 Moulinier, p. 134.
49 Raimond-Bérenger IV comme comte de Barcelone. Tuteur de son neveu Raimond-Bérenger III, fils de Bérenger-Raimond, tué en 1144 en combattant les Génois.
50 Cette lettre a été utilisée et commentée par Romefort J. de dans sa thèse de l’École des chartes déjà citée (La gabelle, p. 20 sqq.). Celui-ci en a publié par la suite une édition commentée : « Aux origines provençales de la gabelle. Le monopole du sel à Tarascon en 1150 » dans les Mélanges Busquet, 1956 (n° spécial de Provence historique), p. 59-63. L’unique mention chronologique parle de l’« ultima die Jovis Julii ». On peut hésiter sur la traduction : « le dernier jeudi de juillet » ou bien « le jeudi dernier jour de juillet ». Si l’on retient la seconde, la lettre est de 1147. Sur l’intervention de Raimond-Bérenger II, cf. Poly J.-P., La Provence…, op. cit., p. 338-339.
51 La concurrence de la saunerie de Berre était précisément l’un des arguments avancés par J. de Romefort pour placer la lettre de Raimond de Mollnels avant la soumission de la famille de Baux en septembre 1150. En effet, par le traité d’Arles, Berre passe momentanément aux comtes de Provence (le comte-roi Alphonse Ier, successeur en Provence de son cousin Raimond-Bérenger III, rendra le castrum aux Baux dans les premières années de son règne).
52 Les Baux, seigneurs de Berre, et les Fos sont, avec les Lambesc et les Rians, les ennemis du comte catalan. Ils contrôlent entièrement les salines de Fos et de l’étang de Berre (Poly, op. et loc. cit. et carte, p. 337).
53 Les comtes de Provence ont d’une part repris progressivement le contrôle de terres fiscales concédées à l’église d’Arles : c’est le cas de Notre-Dame-de-la-Mer, l’ancien fisc de Notre-Dame de Ratis (Poly, op. cit., p. 66, note 196, p. 82, 91 et p. 97, note 143). Ils ont d’autre part pris par étapes le contrôle de biens de cette église. La chose est bien établie pour Albaron : peu après _063, les comtes le tiennent par moitié avec le chapitre ; en 1116, le comte Raimond-Bérenger Ier est seul seigneur des hommes du lieu, bien que l’église d’Arles réclame encore un quart du castrum en 1167 (Ibid., p. 97, 152 et 321). Parmi les salines aux limites des territoires de Notre-Dame et d’Arles, le comte a sans doute pu compter sur celles relevant de l’abbaye Saint-Césaire, telle Bragomal. Mais, l’une au moins, la Manica Baucenqua, comprise dans les biens de la famille de Baux, a dû plutôt contribuer à la part de sel confisquée sur ses ennemis. En revanche, comme certains chevaliers arlésiens, tels les Porcelet, sont parmi les fidèles du comte, il est probable qu’une partie au moins des salines d’Arles, sinon de la Vernède, ont aussi contribué à approvisionner la saunerie de Tarascon.
54 Cf. Romefort, La gabelle, p. 16 ; Moulinier, p. 2-3. Les « salins » languedociens apparaissent d’ailleurs dans les textes à des dates fort comparables : 1141 pour Toulouse, 1150 pour Carcassonne, mais, comme pour la « saunerie » de Tarascon, ils ont déjà alors plusieurs années d’existence.
55 Romefort, « Le monopole du sel à Tarascon », p. 61.
56 Romefort, La gabelle, p. 21 et 24.
57 D’où sans doute le nom de cachafaycium (salis) employé par les Tarasconnais dans les statuts de paix conclus avec Marie d’Anjou et que celle-ci et son fils Louis II leur confirment en mars 1390. Nom moins relevé que salnaria ou gabella, mais expressif (littéralement « brise-charge »), qu’Édouard Bondurand proposait de traduire par « rupture de charge, entrepôt forcé » : Les coutumes de Tarascon (xive siècle), Nîmes, 1892 (extrait des Mémoires de l’Académie de Nîmes, 1891), p. 93-94, art. XXI.
58 À vrai dire, le partage de certaines zones, notamment la Terre d’Argence et la Camargue, ne semble pas avoir été absolu avant la mainmise du roi de France sur l’Argence. Ainsi, lorsque, en mars 1208, le comte Alphonse II cédait divers gages aux Arlésiens en contrepartie d’un prêt de 46 000 sous raimondins, et notamment le monopole du vermillon et du sel, il prévoyait, en cas de guerre, de remplacer ce dernier par l’ensemble des droits comtaux à Tarascon et à Saint-Gabriel, mais aussi à Adau, localité aujourd’hui comprise dans la commune de Beaucaire et sise sur la rive droite du Rhône (Benoît F., Recueil des actes des comtes de Provence, t. II, p. 72-76, Actes d’Alphonse II, n° 59). Réciproquement, avant 1227, Arles recevait en gage de Raimond VII de Toulouse ses droits à Albaron, Notre-Dame-de-la-Mer, Malmussane, Saint-Ferréol et Sourlettes et, le 18 février 1227, Raimond-Bérenger V promettait à la commune de racheter ce gage (Benoît F., op. cit., t. II, p.224-229, Actes de Raimond-Bérenger V, n° 116). Témoigne aussi sans doute d’une certaine « mixité » la gabelle levée en commun à Beaucaire par Raimond VII et Raimond-Bérenger V vers 1226 : le comte de Toulouse touchait les deux-tiers des revenus (Romefort, La gabelle, p. 87), peut-être pour compenser le péage de Tarascon favorable au comte de Provence.
59 Dans l’enquête domaniale de Charles Ier d’Anjou (1251-1252), il est ainsi précisé : « De homine extraneo descarganti apud Bellicadrum salem vel vendente ibi circumque, percipit dominus comes de quolibet modio : VI d. et obolum libere, et usagium ut supra » (E. Baratier, enquêtes domaniales de Charles Ier d’Anjou, p. 386-387, n° 676, « De sale ascendenti per rodanum a Bellicadro superius »). Cette clause se retrouve, avec un changement de tarif, dans le texte provençal postérieur publié par E. Bondurand : « Tot home strani che descarca sal à Belcayre pagua per muegz d. XIIII ob., en que a lo rei per totas causas d. IX ob., e los gentils homes, de[n.] V.[…] » (Les péages de Tarascon, p. 21, § 210).
60 Enquête de Charles Ier : « Si vero fuerit de Tarascono vel de Bellicadro qui descargaverit [apud Bellicadrum], est liber de pedagio, tamen usagium solvit tantum modum » (Baratier, op. cit. et loc. cit.). Texte provençal : « Tot home de Belcaire o de Tharascon que descargue sal à Bellcayre dona per uzage d. IIII per muetz » (Bondurand, op. cit., p. 20, § 207).
61 C’était la troisième, le comte ayant pu en établir une à Digne dès 1177 : Baratier E., enquêtes domaniales de Charles Ier d’Anjou, p. 45, note 1.
62 Moulinier, p. 6 (d’après la déposition de Pierre Laurent, de Saint-Gilles, dans l’enquête de 1263 dont il a déjà été question).
63 Le terme « gabelle » finit par supplanter « saunerie » dès le deuxième quart du xiiie siècle.
64 18 deniers par muid de péage, plus 4 deniers par muid d’usage jusqu’à 40 muids chargés sur un même bateau (Baratier, op. cit., p. 386-387, n° 676). Donc, sur un bateau portant plus de 40 muids, les 40 premiers paient 22 deniers, les suivants 18 seulement.
65 Pour Arles, cf. Baratier, op. cit, p. 397, n° 702 (« Forma pedagii salis », témoignant de l’état antérieur à la crue pratiquée par Raimond-Bérenger V).
66 D’après cette enquête, vers 1226, les marchands des confins languedociens et provençaux ne songeaient pas encore à aller chercher du sel du littoral languedocien (Romefort, La gabelle, p. 73, note 4).
67 Ibidem, p. 73.
68 Ibid., p. 76. Ce marchand, victime des péagers d’Albaron, était allé se plaindre au sénéchal de Beaucaire, Oudard de Villiers : celui-ci l’avait envoyé à Raimond-Bérenger V, porteur d’une lettre de protestation (ibid., p. 75). L’incident se place donc entre la nomination du sénéchal (21 avril 1243) et le décès du comte de Provence (19 août 1245). J’ai corrigé la traduction de J. de Romefort d’après Moulinier, p. 7.
69 Romefort, La gabelle, p. 74 : concession aux consuls, à titre révocable, du monopole de vente du sel produit dans le territoire de la ville (15 décembre 1240) ; abandon, sur la gabelle, de douze deniers par muid, pour permettre l’extinction de la dette de la communauté envers un Juif d’Arles, puis pour terminer les travaux de fortification de la ville (24 août 1244). Cf. Benoît F., Recueil des actes des comtes de Provence, t. II, p. 405-406 et 461-462, Actes de Raimond-Bérenger V, n° 324 et 379.
70 Romefort, La gabelle, p. 75. Le castrum d’Albaron était pleinement dans la main des comtes de Provence, depuis qu’Alphonse Ier avait pu, en 1168, acquérir définitivement les droits prétendus par l’église d’Arles : ibid., p. 26.
71 Moulinier, p. 6.
72 Cf. Jehel Georges, Aigues-Mortes. Un port pour un roi. Les Capétiens et la Méditerranée, Roanne/Le Coteau, 1985, p. 117 et 119.
73 Ibidem, p. 83-89.
74 Dupont A., « Un aspect du commerce du sel… », p. 106.
75 Nominalement dès 1264, mais effectivement en 1266 seulement, grâce à la victoire de Bénévent sur Manfred.
76 Benoît F., Recueil des actes des comtes de Provence, t. II, p. 426-427, Actes de Raimond-Bérenger V, n° 348 : donation en douaire par le comte en faveur de sa femme du castrum d’Albaron et des biens qu’elle tient à Notre-Dame-de-la-Mer (13 août 1241).
77 Baratier E., « Production et débouchés du sel de Provence… », p. 143 et note 27, et enquêtes domaniales de Charles Ier d’Anjou, p. 49 ; Aurell M., une famille de la noblesse provençale, p. 138. Voir aussi Romefort, La gabelle, p. 112-114. Cette interdiction touche les étangs de l’Estomac et d’Engrenier, ainsi peut-être que la partie de l’étang de Lavalduc où les hommes de Fos ont des droits. Il semble que cet étang ait toutefois continué à être utilisé pour faire du sel, puisque les hommes d’Istres sont partie dans les accords de l’été 1259 dont je reparlerai ci-dessous.
78 Romefort, La gabelle, p. 82.
79 Romefort, op. cit., p. 83-84 ; Moulinier, p. 7.
80 Romefort, op. cit., p. 107-108 : contrat du 19 juillet 1259 avec les saliniers d’Hyères ; contrats du 11 août 1259 avec les saliniers de Toulon et avec Guillaume de Baux, seigneur de Berre, en son nom et en celui de ses hommes, saliniers à Berre, Istres et Vitrolles.
81 Romefort, op. cit., p. 84-85.
82 Voir ci-dessus, note 31.
83 Voir la note 31 pour les références de l’édition procurée par L. Ménard. Ont adopté à notre époque la date de 1248 tant André Dupont (« Un aspect du commerce du sel… », p. 106) que Georges Jehel (Aigues-Mortes, p. 110).
84 Il s’agit des articles 7 et 8 du mémoire. Dans le 7e, les hommes d’Aigues-Mortes demandent d’être dispensés de payer les taxes « ad catenam Aconis » et d’avoir dans la ville un quartier propre, à l’instar des Vénitiens, Génois et Pisans. Dans le 8e, ils expriment le désir d’avoir à Acre un consul, sur le modèle de celui des Pisans.
85 Article 10 du mémoire.
86 Parmi les faiblesses, le manque d’eau douce (article 9) et le problème du nom de la ville, jugé malsonnant et péjoratif : les habitants souhaitent la voir renommée Bona-per-forsa (article 12).
87 Cf. Elzière Jean-Bernard, « Note sur les coseigneurs de la cité d’Uzès au Moyen Âge », dans Congrès Archéologique de France, 157e session, 1999, Gard, Paris, 2000, p. 413-438, à la p. 436. La métathèse Bermond/Bremond est un phénomène courant.
88 À vrai dire, l’on pourrait même placer ce mémoire dans les premières années du règne de Philippe III, avant que Charles d’Anjou n’ait dû céder sur la question de la gabelle du Rhône (cf. ci-après).
89 Cf. Dupont A., « Un aspect du commerce du sel… », p. 107.
90 Moulinier, p. 117, note 23.
91 Pagézy J., Mémoires sur le port d’Aiguesmortes, t. I, p. 275-281, p. j. n° XIII ; Villain-Gandossi Chr., Comptes du sel, p. 29 et note 4. Cf. carte n° 4.
92 Pagézy, op. cit., p. 205 ; Moulinier, p. 115-116 et 125.
93 Moulinier, p. 116 et note 22.
94 Le récit des événements des années 1267-1276 est fait d’après Romefort, La gabelle, p. 91-93 (plus détaillé et sans doute plus précis que Moulinier, p. 11-12).
95 Lettre du 26 février 1270 à Alain de Lusarches, évêque de Sisteron, et Guillaume de Lagonesse, sénéchal de Provence, leur donnant « potestatem faciendi et firmandi compromissum » avec Louis IX « tam de controversia … super cabella salis … in rodano » que sur les autres litiges opposant les deux frères sur les bords du fleuve : Boüard Alain de, Actes et lettres de Charles Ier, roi de Sicile, concernant la France (1257-1284), Paris, 1926, p. 50-51, n° 197.
96 Cf. Pagézy, op. cit., p. 179-182 ; Romefort J. de, « Le Rhône de l’Ardèche à la mer, frontière des Capétiens au xiiie siècle », dans la Revue historique, mai-juin 1929.
97 Lettre du 25 avril 1276 au sénéchal de Provence, Gautier d’Aulnay, qui doit régler le litige pendant de concert avec l’évêque de Sisteron et Raimond Scriptor : Boüard A. de, op. cit., p. 299, n° 966.
98 Pagézy, op. cit, p. 282-302, p. j. n° XIV ; Moulinier, p. 116 et notes 21 et 22 ; Dupont A., « Un aspect du commerce du sel… », p. 108-109 ; Villain-Gandossi Chr., Comptes du sel, p. 29-30. L’acte est daté du vendredi lendemain de la Chaire de Saint-Pierre, 7 des calendes de mars de l’année de l’Incarnation 1290, soit du 23 février 1291 selon notre style.
99 Moulinier, p. 117 et suivantes.
100 Voir carte n° 4. Outre les deux salins des Quartiers de l’Abbé, les salins médiévaux ont pour noms : Roquemaure, Peccais, la Fangouze, la Donzelle, la Goujouze, les Estaques, le Plan, la Courbe, Mirecoude, les Terrasses, Bourboissoles, Coybilhon, les Tuilières, du Milieu (ou Moyen) : Villain-Gandossi Chr., op. cit., p. 31 et note 6. À la fin du xviie siècle, le nombre des salins s’élève à dix-sept : un (l’Abbé) dépendant de la collégiale d’Aigues-Mortes, successeur de Psalmodi, un autre (Saint-Jean) des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem alias de Malte, et quinze salins royaux, dont dix portent encore leurs noms médiévaux (op. et loc. cit.).
101 La Courbe, les Terrasses, Bourboissoles, Mirecoude, la Fangouze, la Donzelle, Roquemaure et la Goujouze : op. cit., p. 32.
102 Moulinier, p. 129, note 58 et Villain-Gandossi Chr., Comptes du sel, p. 35-36, pour la production de Peccais. Données relatives aux salines provençales, et notamment aux salines de Camargue dans E. Baratier, « Production et débouchés du sel de Provence… », tableaux, p. 135 et 137 : en 1263-1264, les gabelles ont vendu au total 109 107 oulles d’Hyères, soit, à 120 kg par oulle, environ 13 000 tonnes ; en 1334, les salines camarguaises ont produit 140 400 oulles d’Hyères, soit 16 848 tonnes.
103 Dupont A., « Un aspect du commerce du sel… », p. 109-110. À en juger par la carte de la distribution du sel à la fin du xve siècle, dans le cadre de la gabelle instituée par Philippe VI en 1341, où le sel des étangs du Languedoc occidental fournit le tiers de la sénéchaussée de Beaucaire, Lunel avait dû, entre la fin des années 1290 et 1341, garder son rôle de place redistributrice pour ce tiers, soit l’ouest de la sénéchaussée (cf. Spont Alfred, « La gabelle du sel en Languedoc au quinzième siècle », Annales du Midi, t. III, 1891, p. 427-481, à la p. 431).
104 Moulinier, p. 13.
105 ADBR, B 410.
106 La copie qui nous est parvenue n’est pas datée, mais, dès le 4 janvier 1302, Riccardo di Gambatezza avait succédé à Rinaldo di Lecco dans l’office de sénéchal de Provence.
107 « ad partes superiores ascendendo per flumen rodani vel per terram infra proximas duas leucas hinc inde circa flumen rodani constitutas ».
108 ADBR, B 410, et copie dans le registre B 191 (registrum salinarum). Le texte a été analysé tant par Romefort, La gabelle, p. 94-98, que par Moulinier, p. 13-15.
109 En 1334, tandis que les Porcelet ont à la Vernède la saline dite précisément « la Porcelette », l’Hôpital y en détient trois (Amblart, Cros et l’Hôpital). À en juger d’après son nom, la saline de l’Hôpital est certainement une possession ancienne de l’ordre : un état du xve siècle nous la montre d’ailleurs appartenant à la commanderie primitive Saint-Thomas de Trinquetaille. En revanche, Amblart et Cros, qui relèvent au xve siècle de la nouvelle commanderie dite « du Temple », ont vraisemblablement fait partie des biens de l’ordre du Temple avant de passer aux Hospitaliers. Cf. Stouff L., Arles à la fin du Moyen âge, p. 219.
110 Baratier E., La démographie provençale du xiiie au xvie siècle, Paris, 1961, p.142-143 : Notre-Dame a, en 1298-1299, une population supérieure à celles qu’auront en 1315 Saint-Rémy ou Aubagne, et comparable à celles de Brignoles, Saint-Maximin ou Antibes à la même date.
111 En fait, le comte de Provence accorda parfois aux Porcelet l’autorisation de récolter et de vendre du sel pendant de courtes périodes : ainsi, en 1304, Charles II concéda-t-il à Bertrand Porcelet de Fos le droit de retirer jusqu’à cent livres de revenus annuels de l’exploitation de ses anciens marais salants, pour permettre à son fils de poursuivre des études universitaires : Aurell M., Une famille de la noblesse provençale…, p. 139.
112 D’après l’étude détaillée consacrée par E. Baratier aux « Production et débouchés du sel de Provence… », cela n’entraîna toutefois pas un usage généralisé du muid de Peccais dans la comptabilité propre des salines provençales. Hors l’exécution de la société avec le roi de France, on continua à compter en muids d’Arles la production des salines de Notre-Dame, de la Vernède et « d’Arles » : ce muid valait un peu plus des deux-cinquièmes de celui de Peccais : 2 340 kg contre 5 520. Il faut toutefois signaler que P. Moulinier et L. Stouff ont adopté une opinion contraire.
113 Moulinier, p. 26-31.
114 En fait, la redevance en nature dues par les fachiers ou emphytéotes des salines du domaine comtal a pu parfois être fixée de façon à inclure la gabelle. Romefort (La gabelle, p. 105) donne trois exemples de l’année 1338 : les salines dites « du Planiol » et « Heulement » sont concédées à la communauté de Notre-Dame-de-la-Mer moyennant respectivement le quart et le cinquième de la récolte, gabelle comprise ; la saline arlésienne de Lone Longue, concédée à un fermier particulier, voit la redevance portée du sixième au cinquième en incluant désormais la gabelle.
115 Analyse détaillée de l’affaire dans Romefort, La gabelle, p. 99-102.
116 Romefort, La gabelle, p. 103-104 ; Moulinier, p. 17. Baratier E. (« Production et débouchés du sel de Provence… », op. cit.) se contente de rapporter l’opinion des témoins de l’enquête.
117 Baratier, op. cit., p. 136-138.
118 Baratier, La démographie provençale, p. 143, note 10.
119 Ibidem, p. 111 et 205.
120 Villain-Gandossi Chr., Comptes du sel, p. 81.
121 Voir mon article « Le rôle du sel de Provence dans les relations entre les Etats angevins et Gênes de 1330 à 1360 », dans la Bibliothèque de l’École des chartes, t. 142, 1984, p. 205-253.
122 Moulinier, p. 29.
123 D’après le tableau donné par Baratier, « Production et débouchés… », article cité, p. 137.
124 Ibidem.
125 À l’exception notable de la Manica Baussenca, laissée à l’abandon par son dernier concessionnaire, Gui de Fos Mais, en 1342, Stoldo de Altovitis envisage de la remettre en état. Cf. Stouff L., Arles, p. 218.
126 D’après l’enquête de 1323 sur les limites des gabelles provençales (ADBR, B 1168, citée par Moulinier, p. 10), la gabelle de Berre avait pour ressort les vigueries et bailies d’Aix, Pertuis, Forcalquier, Valensole, Manosque, Digne, Sisteron, Seyne, Barcelonnette, le Val de Stura, la région d’Apt, le pays d’Aygues, ainsi que des terres dauphinoises (outre le Briançonnais, le Gapençais et l’Embrunais, qui avaient jadis fait partie du comté de Forcalquier).
127 Baratier, op. cit., p. 136-138 et 142-143.
128 Les salines de Toulon tournent à 65 % de leur capacité maximale, celles d’Hyères entre 41 et 65 % suivant les années.
129 Cf. Moulinier, p. 10.
130 Romefort, La gabelle du sel, p. 103.
131 Ibidem, p. 103-104.
132 Voir ci-après.
133 Arch. dép. Hérault, A 4, f° 293 v° (cité par Moulinier, p. 21-22).
134 Moulinier, p. 248, repris par L. Stouff, Arles, p. 554, note 148.
135 Encore que l’accord de décembre 1398, dont il sera question plus longuement ci-après, ait prévu la possibilité de remise en activité de salines sises entre celles de la Vernède et celles « de la Mer », ce qui visait certainement les salines « d’Arles » ; cf. l’article _, « le Sel de la Vernede ou de la mer [sic], ou d’aucune autre Saline entre deux icelles Salines ».
136 L. Stouff, Arles, p. 219.
137 Sur le tirage du sel effectivement réalisé par Francesco Datini et quelques négociants indépendants, cf. Villain-Gandossi Chr., « Le “tirage” du sel de Peccais à la fin du xive siècle, d’après les livres de comptes de Francesco Datini (1368-1379) », dans Le rôle du sel dans l’Histoire, p. 173-181, aux p. 178 et 181, et Comptes du sel, p. 93.
138 Secousse, Ordonnances des rois de France de la troisième race, t. VIII (Paris, 1750), p. 422-426.
139 Il y en eut un vers 1424, pour une longue durée cette fois, puisqu’on y faisait toujours référence en 1441 : Spont A., « La gabelle du sel en Languedoc… », p. 458 et note 1.
140 La convention de 1398 est analysée par Moulinier, p. 24-25.
141 Port d’Orange jusqu’au xixe siècle.
142 Stouff L., Arles, p. 917, fig. 86.
143 Ibidem, p. 738-739, annexe n° 45.
144 Cf. Spont A., « La gabelle du sel en Languedoc… », p. 461-463. Parmi les lieux où la fraude bat son plein, Avignon, terre papale depuis 1348, ce qui interdit aux officiers du roi de Sicile d’y enquêter : en 1469, il s’y trouve un entrepôt frauduleux évalué à 1 000 muids, soit 5 520 tonnes (Billioud Joseph, « Le sel du Rhône. La ferme du tirage de l’Empire au xvie siècle », dans le Bulletin philologique et historique, 1958 [1959], p. 211-226, à la p. 212).
145 Pour le royaume, les données sont relatives aux années 1455-1459.
146 En fait, 5 133 tonnes et 6 quintaux métriques.
147 Billioud J., article cité, p. 211.
148 Ibidem, p. 211-212 ; Spont, article cité, p. 459.
149 Billioud J., article cité, p. 212.
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