Introduction
p. fr117-120
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Index géographique : France
Texte intégral
1Comment passer de l’amélioration à la réforme » ? Sauf à se condamner à l’immobilisme et à l’inefficacité, la position des autorités policières conjugue fréquemment, corrélativement à leur action quotidienne, la réaffirmation de principes anciens, – ce qui est sensible à travers la réitération des ordonnances de police –, avec la nécessité de concevoir des moyens neufs pour s’adapter aux évolutions d’une société toujours en mouvement. Cette faculté d’adaptation renvoie à cette caractéristique essentielle de la police : son pragmatisme et l’empirisme de certaines de ses pratiques1. Ce pragmatisme interdit a priori tout conservatisme sectaire, comme le réformisme abstrait. Maintes initiatives policières au Siècle des Lumières, par exemple dans le domaine de la santé publique, dans celui du ramassage des boues et de l’entretien des rues, dans celui de l’éclairage relèvent de ce que l’on pourrait appeler une politique volontariste « d’améliorations »2. Elles témoignent d’une prise en compte des conséquences de la transformation des villes, au-delà de la gestion routinière d’un ordre quotidien. On ne peut alors parler au sens propre de réforme ni dans le sens d’une restauration d’un ordre traditionnel, ni dans le sens d’une action délibérée de transformation de l’ordre du monde. Il s’agit plutôt de l’accumulation d’une foule de petites mesures, qui lentement, par leur répétition, sont destinées à rendre service, à combler des attentes, à améliorer l’environnement urbain.
2Mais cette gestion routinière s’avère incapable de répondre à certaines sommations de la conjoncture après 1750. L’accroissement de la mobilité des populations, la lutte renforcée contre la mendicité et un certain nombre de déviances sociales, la diffusion des thèses de l’économie politique libérale naissante qui conduit à débattre du périmètre de l’intervention régulatrice de l’État, ébranlent à la fois les conceptions du contrôle social et en modifient les méthodes3. La volonté de constituer un savoir sur la population ou sur certains groupes à risques tels les gens de métiers ou les soldats, les vagabonds et tous les non sédentaires en général, fondé sur l’écrit, confié à des spécialistes et destiné à améliorer les formes du contrôle traduit la transformation des exigences des autorités4. L’appareil policier, qu’il soit sous l’emprise directe de la monarchie comme à Paris, confiée à une force militaire comme la maréchaussée ou toujours dépendant des échevinages doit s’adapter à des responsabilités nouvelles et alourdies. Le problème qui se pose à la police est celui de la spécialisation accrue de ses tâches et du poids toujours renforcé des activités de « maintien de l’ordre », entendues de manière large, dans un sens qui peut être plus ou moins répressif ou préventif. Cette police en mutation doit se poser la question de son insertion, de sa légitimité à intervenir au sein de systèmes de régulation traditionnels quelque peu ébranlés, quitte à en faire émerger de nouveaux alors que se profilent pour maints observateurs des risques de désaffiliation et de désagrégation sociales dans les plus grandes cités5.
3À l’évidence, les administrations urbaines n’ont pas les moyens humains et financiers de faire passer dans les faits l’idéal policier que certains auteurs définissent au temps des Lumières6. De plus, sur ces matières, il n’y a pas d’unanimité, ni au Conseil royal, ni dans les Parlements, ni dans les magistrats urbains. Mais autour de 1750 la prolifération de réflexions écrites émanant d’administrateurs ou de praticiens de la police, aux niveaux de responsabilité différents, invite à s’interroger sur la circulation d’un certain nombre de propositions, sur la convergence ou le degré d’originalité locale des politiques qui sont suivies dans les villes et qui visent à assurer plus efficacement la « sûreté publique ». Cette circulation désigne aussi les initiateurs des projets de réforme, intendants ici, gouverneur militaire là, mais aussi, puisque les agents du pouvoir central n’ont pas forcément de monopole en la matière, les représentants des villes. Tous ont leur relais et leurs opposants, chaque échelon peut à son tour s’emparer de l’écrit pour faire valoir son point de vue à travers des sortes de « consultations » plus ou moins orchestrées, comme dans le cas de Strasbourg en 1780, ou à travers des prises de parole individuelle comme le montre le travail au long cours de Cordier de Perney à la toute fin de l’Ancien Régime.
4Le terme de « réforme » ne doit pas induire en erreur. Dans la France de Louis XV et de Louis XVI, il n’y a pas de politique générale visant à réorganiser uniformément les services de police au sens étroit de maintien de l’ordre ou l’administration générale des villes si l’on retient le sens pris par le mot sous l’Ancien Régime. L’heure n’est pas encore à la « nationalisation » de la police7. On assiste, en revanche à la multiplication de mesures qui cherchent à résoudre des problèmes identiques et à la production régulière de mémoires qui proposent des projets de refonte plus ou moins aboutis des administrations qui exercent des pouvoirs de police. Trois points semblent caractériser ce mouvement de réforme. C’est d’abord, l’attention renforcée portée aux procédures écrites, à leur formalisation plus grande. Puis, l’amorce d’un mouvement de spécialisation, de professionnalisation des agents du contrôle se dessine. Enfin s’affirme la territorialisation des forces du contrôle, le lien toujours plus nettement établi entre maîtrise de l’espace et contrôle des populations8.
5Ces projets n’impliquent pas l’adoption sans débat des solutions parisiennes mises en place à partir de 1667 et de la création de la lieutenance générale de police, tant l’aspiration à défendre les équilibres politiques locaux est vivace, tant la monarchie a le plus souvent besoin de composer que de passer en force. L’ampleur et les modalités de ces réformes varient donc en fonction de la taille des organismes urbains et des autorités qui sont localement en charge de la police. Les textes témoignent à la fois d’une aspiration à la rationalisation des pratiques et des rouages policiers, comme de l’extraordinaire diversité qui continue de prévaloir… sans qu’il faille nécessairement y lire la marque de l’archaïsme puisque la nouveauté parvient à se frayer un chemin.
Notes de bas de page
1 P. Napoli, « ‘Police’ : la conceptualisation d’un modèle juridico-politique sous l’Ancien Régime », Droits, 20, 1994, pp. 183-196 et Droits, 21, 1995, pp. 151-160.
2 D. Roche, « Lumières et lumière, l’éclairage urbain au xviiie siècle, sensibilité et culture matréielle », Colloque Cité des Sciences-ihmc-cnrs Citadins, techniques et espaces urbains du xviiie siècle à nos jours, 25-27 janvier 1994 ; D. Garrioch, « The Police of Paris as Enlightened Social Reformers », Eighteenth Century Life, vol. 16, 1, 1992, pp. 43-59 ; V. Milliot, « Qu’est-ce qu’une police éclairée ? La police « amélioratrice » selon J.C.P. Lenoir, lieutenant général de police à Paris (1774-1785) », M. Porret (dir.), Société et politique des Lumières, Revue xviiie siècle N° 37, 2005, pp. 117-130.
3 Voir les réflexions de S. Kaplan sur l’impact du « moment libéral » qui s’ouvre dans les années 1760, Bread, Politico and Political Economy in the Reign of Louis XV, Nijhoff, La Haye, 1976 et aussi la démonstration de P. Guignet, Le pouvoir dans la ville au xviiie siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, Paris, ehess, 1990. Sur le développement d’une vision policière plus répressive, E.-M. Benabou, La prostitution et la police des mœurs au xviiie siècle, Paris, Perrin, 1987., C. Romon, « Mendiants et policiers à Paris au xviiie siècle », hes, 1982, n° 2, pp. 259-295 ; sur la mobilité, D. Roche, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003.
4 G. Noiriel, « Les pratiques policières d’identification des migrants et leurs enjeux pour l’histoire des relations de pouvoir. Contribution à une réflexion en longue durée », dans M.-C. Blanc-Chaleard et alii (éd.), Police et migrants. France, 1667-1939, pur, 2001, p. 120 ; V. Denis, Individu…, op. cit.
5 Cf. travaux de P. Piasenza, Polizia e città. Strategie d’ordine, confliti e rivolte a Parigi tra Sei e Settecento, Bologne, Il Mulino, 1990, « Juges, lieutenants de police et bourgeois à Paris aux xvii et xviiie siècle », Annales e.s.c., 1990-4, pp. 1189-1215 ; D. Garrioch, Neighbourhood and community in Paris, 17401790, Cambridge university Press, 1986 ; J. L Laffont, « La police de voisinage à la base de l’organisation policière de l’ancienne France », Annales de la recherche urbaine, 1999, 83-84, p. 23-30.
6 Voir, par exemple, le célèbre mémoire de F-J. Guillotte (ou Guillautte), Mémoire sur la réformation de la police de France, 1749, J. Seznec (éd.), Paris, 1974, Sur Guillotte, P. Brouillet, La maréchaussée dans la généralité de Paris au xviiie siècle (1718 – 1791). Étude institutionnelle et sociale, thèse de doctorat, ephe, 2002, 2e partie, chapitre 1 et répertoire biographique en annexe 1.
7 J. M Berliere, Le monde des polices en France, xixe-xxe siècle, Bruxelles, Complexe, 1996 et M. Vogel, Les polices des villes entre local et national : l’administration des politiques urbaines sous la iiie République, Thèse de Sciences politiques, iep, Université Grenoble ii, 1993.
8 B. Marin, « Administrations policières, réformes et découpages territoriaux (xvii-xixe siècle) », Police et contrôle du territoire dans les villes capitales (xvii-xixe siècle), Mefrim, tome 115-2-2003, p. 745750 ; Espaces policiers, xviie-xxe siècle, dossier coordonné par C. Denys et V. Milliot, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 50-1, janvier-mars 2003.
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