Le Songe de la lumière (El sol del membrillo, 1992) de Víctor Erice : une tentative de révélation cinématographique
p. 179-192
Texte intégral
1Durant l’été 1990, Víctor Erice, muni parfois d’une caméra vidéo, accompagna Antonio López tandis que ce dernier peignait plusieurs paysages de Madrid. Le projet du Songe de la lumière naquit au terme de ces quelques semaines estivales quand, lors d’un dîner, l’artiste annonça qu’il allait peindre le cognassier de son jardin dans la lumière du début de l’automne. Erice se remémora alors un rêve que lui avait raconté López et où un cognassier jouait déjà un rôle prédominant. Le cinéaste fut aussitôt animé du désir de filmer ce travail face à l’arbre et de réaliser ainsi un « journal1 » filmique du peintre dans sa démarche créatrice, sans préparation ni élaboration. Le projet consistait alors à rendre compte de la peinture dans la durée de sa création, c’est-à-dire l’aspect qui l’oppose le plus au cinéma. Ayant constaté la superficialité générale des rapprochements effectués entre ces deux expressions artistiques2, Erice avait pour but de faire émerger, par une confrontation reposant sur leurs spécificités, de nouveaux aspects de chacune. Cette réflexion passe par la mise en scène du peintre Antonio López. Dans Le Songe de la lumière, le statut de ce dernier oscille entre objet d’observation, collaborateur – le récit de son rêve duquel naît l’œuvre3 – et double créateur du cinéaste. Grâce à une évidente mise en abyme, la rencontre entre peinture et cinéma repose sur le regard qu’adresse un artiste, dans l’acte de création, à un autre artiste lui-même en train de créer. En acceptant de se laisser mener par la réalité de cet acte, Erice est à la recherche de l’expression d’une vérité essentielle qui pourrait être aussi bien filmique que picturale. Bien entendu, l’ambition est telle que l’entreprise semble se placer dès sa genèse sous le signe de l’utopie. Cependant, la dimension hautement mystérieuse des images finales qui paraissent exprimer la subjectivité du peintre, ne relèverait pas pour autant du constat d’un échec. En effet, il est difficile d’attribuer une identité générique au Songe de la lumière : la recherche véridique du cinéaste a peut-être bien donné lieu à l’émergence d’une écriture filmique qui, en semblant se libérer des canons narratifs, oscillerait entre la réflexion théorique revendiquée et une nouvelle expression de l’humain.
2En décidant de filmer le travail d’Antonio López face au cognassier, Víctor Erice s’est engagé dans un projet de film où rien n’était écrit ou anticipé, où même l’issue était inconnue, puisque le peintre avoue avoir tenté, à plusieurs reprises et sans succès, de traduire sur une toile la vision de l’arbre dans la lumière précise de la fin du mois de septembre4. Il s’agissait juste de respecter la continuité temporelle et de se laisser mener par la créativité d’Antonio López tout en acceptant les différents aléas de la vie quotidienne : les visites des amis, les caprices de la météo, les bruits des ouvriers polonais qui travaillaient dans la maison, les informations délivrées par la radio… À l’occasion de ce nouveau film, Víctor Erice a décidé de suivre les préceptes de Roberto Rossellini, à savoir de faire confiance à la réalité, de placer sa caméra face à elle et d’attendre patiemment que la vérité surgisse5. Le cinéaste espagnol résume ainsi sa conception du cinéma : « Réaliser un film ne consiste pas à exprimer une vérité connue d’avance et que d’habitude le scénario reflète ponctuellement, mais à faire en sorte que cette possible vérité surgisse entre les images6. » La démarche du réalisateur s’adapte alors harmonieusement au travail du peintre qui s’étend sur plusieurs semaines et, en ce sens, l’expression artistique de ce dernier permet une libération des canons narratifs traditionnels7.
3Pour autant, si la caméra d’Erice est bel et bien à la recherche de la vérité, il convient de préciser que la captation de la réalité n’exclut pas la représentation fictionnelle. Comme dans toute fiction, Antonio López et son entourage ne s’adressent jamais à la caméra ou à l’équipe réduite qui se trouve derrière elle. Comme tout personnage, ils sont filmés en donnant l’impression de ne pas avoir conscience de cette présence. De plus, ils apparaissent dans un texte filmique qui manifeste une élaboration réfléchie du récit, en reposant sur le montage et l’agencement de plusieurs plans aux focales et aux échelles variées dont certains soulignent un geste particulier du peintre – la main tenant le pinceau face à la toile encore en gestation, les clous enfoncés dans la terre du jardin contre lesquels les pieds se positionnent… – et ne vont pas sans rappeler d’ailleurs la mise en scène des protagonistes de films contemporains comme La Belle Noiseuse (Jacques Rivette, 1991) ou Van Gogh (Maurice Pialat, 1991)8, malgré une dimension a priori documentaire, liée au sujet même9. La bande sonore, en soulignant par le mixage certains sons – pensons notamment à la radio sur les plans du peintre au travail puis de la ville – relève du même phénomène. Enfin, concernant les moments de rencontres et de visites, il a été demandé aux personnes de reconstituer des échanges verbaux qui avaient déjà eu lieu. Comme aucun intervenant n’est acteur, la tentative d’interprétation se fait remarquer et nous fait prendre conscience de la volonté de création d’un récit, comme dans toute fiction traditionnelle. Néanmoins, par le jeu maladroit de chacun, l’œuvre se refuse à notre désir d’histoire auquel répond le cinéma narratif dominant et, en nous exposant les rouages du simulacre de la représentation, fait surgir la réalité, les personnes derrière ce qui aurait pu apparaître comme des personnages. La recherche de la vérité s’effectue donc, pour Erice, en invitant et en insérant la réalité extra-diégétique dans un texte filmique qui s’affirme comme le reflet de cette même réalité en présentant des personnes et des faits appartenant au réel, et qui convoque les différents procédés du cinéma narratif. Le réalisateur parle alors de « révélation », en prenant appui sur Rossellini : « Ce qui intéressait Rossellini avant tout, c’était la révélation. Il n’y avait pas en lui la prétention de confronter le documentaire à la fiction – comme on l’a dit parfois –, mais d’opposer la connaissance à l’illusion, une idée qui est applicable aux deux genres10. » De ce fait, le cinéma n’apparaît pas ici au service d’une réflexion sur la peinture, mais, en allant à la rencontre de cette dernière, engage une réflexion sur sa propre nature.
4Si Le Songe de la lumière est à la recherche d’une vérité, il s’agit donc de définir celle-ci. Dans un premier temps, nous aurions pu croire naïvement que le film allait nous apporter une explication à l’obsession d’Antonio López pour les cognassiers. Certes, le récit du rêve final, où le peintre évoque un de ces arbres dans le jardin de son enfance, peut apparaître comme un élément de réponse, si nous voulons bien considérer l’hypothèse selon laquelle l’artiste tenterait dans sa peinture de renouer avec un souvenir et de traduire sur la toile une vision lointaine. Cependant, cette vision ne semble pas intéresser le film car, dans les moments où Antonio López peint, nous n’avons pas de contre-champ sur l’arbre, car tout contre-champ ne serait que faussement subjectif, une simple convention fictionnelle. En ce sens, le peintre n’est jamais tout à fait personnage et le sujet du film n’est pas l’objet de sa recherche, mais bel et bien cette recherche elle-même.
5L’objectif de Víctor Erice paraît donc être de rendre compte de l’essence de la démarche d’Antonio López. De la même façon qu’il ne s’agit pas simplement pour le peintre de traduire de manière picturale ce qu’il voit face à lui, mais d’interroger son art à travers une pratique très méthodique – les premières séquences du film rendent bien compte de la minutie de la technique et de la maîtrise de ses outils, dont s’émerveilleront d’ailleurs les amis qui lui rendront visite par la suite11 –, l’ambition du cinéaste n’est pas seulement d’exposer dans un langage cinématographique tout aussi maîtrisé cette pratique, mais d’accompagner sa recherche dans le temps avec l’espoir d’assister à la « révélation » qui transcenderait l’œuvre d’Antonio López et également la sienne.
6De la part de Víctor Erice, cette démarche est possible tout d’abord parce qu’il partage avec le peintre la même conception du rapport à la réalité dans laquelle l’attente joue un rôle primordial. Rappelons que les nombreuses journées qu’Antonio López passe aux côtés de l’arbre ne sont pas fructueuses et ne permettent pas à l’artiste de créer l’œuvre désirée. Cependant, si, pour Erice, il s’agit d’attendre dans l’espoir que la réalité offre à son regard les éléments qui vont déclencher la création12, pour Antonio López, ce même temps relève d’un apprentissage où l’artiste doit apprendre à regarder la réalité pour y déceler l’essentiel. En suivant cet exemple, Víctor Erice a dû, selon ses propres mots, « réapprendre à regarder13 » et, pour ce faire, s’est rendu sur certains lieux madrilènes peints par Antonio López. Face à la célèbre avenue Gran Vía, le cinéaste a planté sa caméra vidéo là où, quinze ans auparavant, l’artiste avait placé son chevalet – Gran Vía, 1974-1981 –, et a constaté :
« Quant au paysage, la caméra montrait ce que la peinture ne pouvait pas : le mouvement des véhicules et des personnes, leurs pas éphémères. Sur l’enregistrement, l’image des choses était aussi leur durée. Elle permettait de voir et d’entendre ce que le tableau faisait disparaître. Compte tenu de cette circonstance, le travail d’Antonio López représentait une transe où les sentiments d’absence et le vide étaient les éléments-clefs d’une représentation. En observant le résultat, on peut voir que son art a dépassé les limites de cette représentation pour nous offrir non seulement un témoignage du paysage, mais sa pure révélation14. »
7Quand le peintre réussit à « révéler » le paysage sur une toile grâce au « travail de sa main et de son regard »15, l’œuvre transcende sa nature d’image fixe. Le cinéma, en revanche, n’a pas besoin de cette révélation pour rendre compte du mouvement et du temps, car, par sa nature même, il les enregistre mécaniquement16. En ce sens, la caméra et les autres appareils cinématographiques sont avant tout un « artifice17 », selon Erice, qui présente une véritable dimension phagocytaire. C’est bien l’impression qui se dégage des plans nocturnes où la caméra filme, sans aucune présence humaine, les coings tombés au sol en train de pourrir sous la lumière artificielle des projecteurs qui accélère le processus naturel18. En percevant le temps, la caméra rend compte de cette évolution. Le cinéma peut dépasser ce phénomène et devenir un art uniquement quand un regard humain se trouve derrière la caméra – insistons sur le fait que, dans les plans précédemment cités, la caméra fonctionne seule19 – pour observer la réalité et tenter d’y saisir la vérité qui va, le temps d’une révélation, abolir cette continuité inéluctable. De ces conclusions découle la nécessité, dans toute œuvre filmique, de l’expression d’une pensée dont l’effort manifeste de représentation et de construction du récit seront la structure.
8Si la peinture a donc pour ambition de rendre compte d’un instant à travers un travail qui s’étend dans le temps alors que le cinéma enregistre spontanément ce même instant, les deux expressions artistiques se rejoignent autour de la nécessité de l’apprentissage du regard et de l’attente face à la réalité pour pouvoir dépasser leur simple nature d’images fixe ou en mouvement. En ce sens, si la démarche d’Antonio López relève du possible quand il s’agit de peindre une avenue de Madrid, elle devient utopique dès que l’artiste tente de traduire dans un tableau la lumière d’un moment précis de l’année sur un élément naturel sans cesse en évolution, en l’occurrence ici un cognassier. La mort, comme aboutissement fatal qui interrompt définitivement toute recherche, est alors très présente dans Le Songe de la lumière : évoquons celle des fruits qui pourrissent à même le sol, celle plus anecdotique de la RDA dont témoignent les informations radiophoniques, puis celle du dessin et du tableau qui sera même « enterré » dans la cave de la maison par le peintre. Enfin, lors de la séquence où Antonio López pose allongé sur un lit pour sa femme María Moreno, elle-même artiste célèbre, la posture de ce dernier, par sa raideur et le fait qu’il soit habillé au-dessus des couvertures, évoque davantage la mort qu’un simple assoupissement20.
9Cette séquence paraît métaphoriser la mort du peintre suite à sa tentative échouée de création, bien au-delà de la pose. En effet, si la représentation cinématographique d’Antonio López a oscillé jusque-là entre personnage et personne résistant à la diégèse, il devient ici purement personnage. Tout d’abord, son image tend à se fondre dans les œuvres des autres. Remarquons ces quelques plans où l’épouse est face à sa toile et où la profondeur de champ ainsi que l’axe choisi ambitionnent une composition de l’image proche du trompe-l’œil qui incite le spectateur à croire la femme face au lit où est couché son mari21. De plus, lors du dialogue, certains contrechamps sur Antonio López reproduisent de ce dernier la vision qu’en a María Moreno et qu’elle tente de reproduire dans le tableau22. Un peu plus tard, quand il dort, sa voix envahit la bande son et l’espace off pour nous délivrer le fruit de ses pensées oniriques alors que jusqu’à présent, le texte filmique se refusait à rendre compte de toute subjectivité du peintre, car il n’était pas qu’un simple personnage relevant d’un récit déterminé par les canons narratifs traditionnels et toute tentative d’exprimer ses pensées n’aurait donc été qu’artificielle. Enfin, au moment où il laisse tomber sur le sol la petite boule en verre qu’il tenait entre ses mains, une référence intertextuelle – le début de Citizen Kane (Orson Welles, 1941) – évidente aux yeux de tout cinéphile finit d’évoquer la mort et de placer, par la même occasion, la représentation d’Antonio López du côté de la fiction cinématographique23. De ce fait, le récit onirique qui suit et qui est, nous l’avons dit, énoncé par le peintre en off, se présente essentiellement comme une « clef » dramaturgique, un élément narratif constitutif d’un récit et de la vraisemblance d’un personnage. Ainsi, l’énigme d’Antonio López, autrement dit l’objet de sa quête artistique, est-elle préservée24.
10Le fait que le texte filmique manifeste vers la fin un retour aux canons narratifs semble signifier également l’échec de la tentative du cinéaste et démontrer le caractère utopique de ses ambitions premières. Néanmoins, la complexité des conditions d’énonciation du texte onirique empêche une interprétation aussi réductrice. En effet, si la lecture débute sur un plan d’Antonio López endormi, le texte abandonne vite cette image pour revenir à celle de la caméra filmant les fruits pourris sur le sol. Du fait que le peintre devienne narrateur second, sa subjectivité semble enfin aller à la rencontre d’images cinématographiques qui illustrent ses souvenirs25 pour mieux les imprégner. Le texte s’achève sur l’évocation de la lumière bien particulière de cette vision :
« De l’endroit où j’observe la scène, je ne peux deviner si les autres voient ce que je vois. Nul ne semble voir que les coings pourrissent sous une lumière que je ne saurais décrire, limpide et sombre à la fois, qui transforme tout en métal et en cendres. Ce n’est pas la lumière de la nuit. Ni celle du crépuscule. Ni celle de l’aurore26. »
11La lumière évoquée par le texte semble être traduite à l’écran par celle du projecteur qui donne une texture métallique et une teinte cendrée aux fruits. Ceci nous indiquerait que la vision recherchée par Antonio López ne pouvait être offerte à partir de la lumière naturelle perçue par l’œil humain et n’était accessible que sur un écran. Peinture et cinéma se rencontrent enfin grâce à la convergence artistique et intime de deux regards créateurs. En effet, le rêve d’Antonio López permet alors à Víctor Erice de mettre en scène le « pouvoir » et les « limites27 » du cinéma, de transcender donc cette captation de la putréfaction – dans la mesure où le texte filmique ne nous propose pas uniquement des plans des fruits pourris, mais une mise en scène du processus – qui révèle un aspect essentiel du cinéma, tout en fixant sur une toile (bien que cinématographique) la vision du peintre. Le plan où les ombres de la caméra et de l’arbre sont projetés sur le mur du jardin, comme sur un écran, mais également comme sur une toile – certaines fissures du mur, notamment en bas à gauche du cadre, peuvent évoquer les marques préliminaires réalisées par le peintre – mêle les deux expressions artistiques et métaphoriserait cette rencontre. En ce sens, l’échec du cinéaste reste relatif car, même si le cinéma ne s’est pas entièrement émancipé des canons narratifs traditionnels, tout comme le peintre n’a pas pu réaliser son œuvre, en entrant en correspondance avec ce dernier, Víctor Erice a réalisé ce qui, aux yeux d’Antonio López, demeure l’essentiel : être auprès de l’arbre28.
12Les ambitions artistiques de Víctor Erice et d’Antonio López, en cet automne 1990, relevaient en effet de l’utopie. Cependant, dans le cas du cinéaste, la tentative échouée d’une « révélation » de l’objet filmé a tout de même permis l’émergence d’un type de récit cinématographique qui, sans renier les principes de représentation et d’écriture, s’éloigne des règles dramaturgiques traditionnelles en tentant de capter le réel et en privilégiant une attente – également pratiquée par le peintre face à sa toile – qui malmène le traitement narratif de la temporalité dans ses aspects les plus convenus. À défaut d’éclairer pleinement l’acte de création, cette proposition cinématographique nourrit la réflexion sur les spécificités et les points de convergence entre peinture et film. Au-delà de leurs différences, ces deux expressions se rejoignent dans la mesure où elles ne deviendraient artistiques qu’à la condition de « révéler » le sujet, c’est-à-dire de traduire son essence, sa vérité. Ce phénomène ne serait possible qu’au terme d’un processus d’apprentissage du regard créateur, qu’il s’agisse de celui d’un peintre ou d’un cinéaste. Dans la mesure où, lors du rêve final, les visions des deux artistes semblent converger, Le Songe de la lumière ne relève pas uniquement d’une invitation à la réflexion, d’une tentative de libérer le récit filmique des nombreuses conventions qui le limitent, mais bel et bien d’une rencontre humaine. Ce caractère ne cesse de transparaître notamment dans les différents dialogues qui restent pourtant de l’ordre du jeu. À ce sujet, Víctor Erice se revendique, nous l’avons dit, dans la continuité – certes complexifiée – de la recherche rossellinienne. En reprenant la pensée du metteur en scène italien, si « l’illusion » est toujours présente dans Le Songe de la lumière, l’œuvre du cinéaste espagnol tend grandement vers « la connaissance », non seulement en invitant, nous l’avons dit, à réfléchir sur le cinéma et la peinture, mais en permettant une connaissance humaine et intime – et non pas exclusivement théorique et analytique – d’Antonio López qui touche l’essence de sa démarche créatrice tout en conservant son énigme.
Notes de bas de page
1 Le mot est de Víctor Erice. Livret accompagnant le dvd espagnol du film : Víctor Erice, El sol del membrillo, Madrid, Rosebud Films, 2004, p. 11.
2 Víctor Erice : « La peinture et le cinéma ont des caractéristiques communes, mais ce sont deux langages différents. Traditionnellement, les historiens se sont adonnés de manière quasi unanime à la recherche de leurs traits communs les plus superficiels sans même rechercher leurs différences […] Il existe pourtant des éléments communs aux deux langages, dont on parle à peine ». Tomás Perez Turrent, « Entretien avec Víctor Erice : la possibilité de reproduire les apparences », Positif, no 387, mai 1993, p. 13.
3 Víctor Erice : « C’est le seul texte rédigé qui existe dans le film, et nous l’avons écrit ensemble ». Laurence Giavarini, Thierry Jousse, « Entretien avec Víctor Erice et Antonio López », Cahiers du cinéma, no 457, juin 1992, p. 32.
4 Le titre original El sol del membrillo (le soleil du coing) est une expression faisant référence au soleil de la fin du mois de septembre, quand les coings commencent à mûrir.
5 À la remarque de Jean Collet et Claude-Jean Philippe – « Le lyrisme a toujours chez vous quelque chose de fulgurant. On attend et puis on est foudroyé, illuminé » –, Rossellini répond : « Vous avez dit un mot très juste tout à l’heure : la patience. La patience est une vertu aussi ! Après, il y a l’étincelle ». Propos recueillis par Jean Collet et Claude-Jean Philippe, Cahiers du cinéma, no 183, octobre 1966. Cité in Roberto Rossellini, Le cinéma révélé, Paris, Cahiers du Cinéma, 1984, p. 91-92.
6 Cité in Xavier Bermudez, « Esa oscura degeneración del entretenimiento. Conversaciones con Víctor Erice y Montxo Armendáriz », Archipiélago, no 7, 1991, p. 116. La traduction est de l’auteur.
7 Víctor Erice : « La peinture va aider le cinéma à se libérer des artifices littéraires et théâtraux hérités depuis sa naissance, en le sauvant des formules narratives et des conventions dramatiques présentes dans les scénarios, que l’industrie lui a imposées traditionnellement. » Conférence au Círculo de Bellas Artes de Madrid en 1994, texte retranscrit in AA. VV, « Víctor Erice », Banda Aparte, Revista de cine-formas de ver, no 9/10, janvier 1998, p. 120. La traduction est de l’auteur.
8 Víctor Erice : « Je pense que 90 % du film est tourné en caméra fixe. J’ai voulu ainsi le différencier ostensiblement du reportage télévisuel. Mais aussi, surtout à certains moments, j’ai voulu un traitement un peu théâtral de l’espace qui utilise des plans plus généraux et des cadrages frontaux en cherchant une symétrie dans la composition qui contribue à donner une dimension rituelle à l’activité du peintre. Le montage a tenté le plus possible de souligner cette dimension. » Interview de José Luis Garner, 23 juillet 1992. Texte figurant dans le livret accompagnant le dvd du film : Víctor Erice, op. cit., p. 20. La traduction est de l’auteur.
9 Il en va de même avec la mise en scène de l’espace, comme le remarque Jean-Louis Leutrat : « La présentation de la maison […] semble faite d’alvéoles qui ne raccordent pas, à chaque pièce étant affecté un personnage ou un groupe de personnages. Cette organisation cloisonnée de l’espace ne peut pas ne pas avoir d’effets outrepassant la fonction documentaire ». Jean-Louis Leutrat, « Le Songe de la lumière, le point doré de périr », Positif, no 387, mai 1993, p. 6.
10 Texte figurant dans le livret accompagnant le dvd du film : Víctor Erice, op. cit., p. 15. La traduction est de l’auteur.
11 Rappelons qu’Antonio López fut élève de la prestigieuse Escuela de Bellas Artes de San Fernando.
12 Víctor Erice : « Il y a certaines choses que la réalité ne montre pas, si on ne sait pas attendre. Je pense que la notion d’attente est fondamentale. En faisant ce film, je ne savais pas où j’allais, mais je me disais d’attendre. Il faut attendre parce qu’il y a certaines choses que l’on sait qu’elles sont dans la réalité, mais la réalité ne les livre pas si on ne sait pas attendre. » Déclaration faite dans l’émission de télévision Versión española, TVE2, 16 novembre 1999, figurant parmi les bonus du dvd espagnol. Le texte correspond aux sous-titres français proposés par cette édition.
13 Id.
14 « Apunte 4 : Gran Vía y Madrid desde Torres Blancas ». Supplément figurant sur l’édition dvd du film. Le texte correspond aux sous-titres français proposés par cette édition.
15 Précision apportée par Erice dans le livret accompagnant le dvd. « Cómo surgió El sol del membrillo », op. cit., p. 12.
16 « […] le retour des mêmes cadrages tend à mieux faire ressortir la différence du geste répétitif chez le peintre et le cinéaste (ce dernier la donne à voir en tant que telle alors que pour le premier elle est la marque d’une approche minutieuse qui se corrige sans cesse) et à faire se diffracter les diverses temporalités, celle de l’acte de peindre, celle du tableau, celle de la nature, celle du tournage, etc. ». Jean-Louis Leutrat, art. cit., p. 9.
17 Déclaration faite dans l’émission de télévision Versión española, TVE2, 16 novembre 1999, figurant parmi les bonus du dvd espagnol.
18 Víctor Erice : « On ne saura jamais si cette lumière artificielle – c’est quelque chose que je veux suggérer, c’est une sorte de métaphore – si c’est elle qui a pourri les coings. Elle pourrit le naturel. » Id.
19 Le caractère inhumain de la machinerie audiovisuelle se retrouve dans le plan présentant le Pirulí – littéralement « sucre d’orge », surnom donné en raison de sa forme –, l’antenne qui diffuse les chaînes de télévision à toute la région de Madrid, suivis des plans sur différents immeubles où la lumière artificielle des écrans de télévision est filmée à travers les fenêtres, comme retenant chaque individu dans son foyer et lui interdisant ainsi tout lien social.
20 Remarquons que l’échange entre les époux au début de cette séance de pose révèle que María Moreno rencontre les mêmes difficultés dans sa tentative d’exprimer sur la toile sa première vision de son mari endormi sur le lit d’une chambre d’hôtel.
21 Cette impression est certes atténuée par le fait que le plan précédent, à l’échelle plus large, nous indique que le raccord se fait dans un axe relativement similaire – l’angle est également modifié – et que l’image au second plan est donc celle du tableau. Le trompe-l’œil serait total si on croyait que la toile se situe dans le hors-champ à gauche, donc face à María Moreno. Le plan précédent nuit donc à cette perception.
22 En ce sens, l’épouse également devient personnage puisque ces plans subjectifs semblaient être interdits auparavant quand le peintre se trouvait face au cognassier.
23 Víctor Erice lui-même le reconnut en évoquant cette scène : « C’est alors peut-être que, peu à peu, le film entre dans le domaine de la fiction. » Déclaration faite dans l’émission de télévision Versión española, TVE2, 16 novembre 1999, figurant parmi les bonus du dvd espagnol.
24 C’est néanmoins comme un acte « interprétatif » d’Erice que Leutrat perçoit ce récit de rêve : « Le film résulte […] d’un acte d’interprétation du réalisateur rapprochant la décision du peintre du récit de rêve qu’il a entendu trois mois auparavant […] Avec simplicité, Víctor Erice dote son œuvre de l’évidence opaque du travail effectué […] par Antonio López, et il suggère que ce travail possède sa justification, qu’il a une profondeur. » Jean-Louis Leutrat, art. cit., p. 7.
25 « Autour de nous, au bout de leurs branches, les fruits rugueux pendent, de plus en plus mûrs. Leur peau se couvre de taches. L’air est immobile, je hume la fermentation de leur chair. » La seule différence entre le texte et les images est que, sur l’écran, les fruits sont déjà tombés au sol. Le texte correspond aux sous-titres français proposés par l’édition dvd espagnole.
26 Id.
27 Déclaration faite dans l’émission de télévision Versión española, TVE2, 16 novembre 1999, figurant parmi les bonus du dvd espagnol.
28 Erice rejoint alors la pensée rossellinienne : « […] je sais combien une attente est importante pour arriver à un point, alors je ne décris pas le point, mais l’attente, et j’arrive tout d’un coup à la conclusion. » Propos recueillis par Maurice Scherer et François Truffaut, Cahiers du cinéma, no 37, juillet 1954. Cité in Roberto Rossellini, op. cit., p. 46.
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