Introduction
p. 309-310
Texte intégral
« Entre 1932 et 1934, j’ai enchaîné la réalisation de six films… Réaliser six films en trois ans, dans un contexte par ailleurs difficile, n’est-ce pas extrêmement rapide ? Ces films, et les personnages qui animèrent l’écran… furent vraiment mes enfants imaginaires. Je les ai immensément aimés, ils ont été conçus au plus profond de ma pensée et de mon imagination. Que de rires ai-je eus, que de larmes ai-je versées pour eux1. »
1C’est en ces termes, à plus de cinquante ans de distance, que Sun Yu, l’un des piliers de la Lianhua, évoque son travail de réalisateur, laissant entrevoir en peu de mots où battait le cœur de la compagnie (fig. 6).
2Le ciment de la Lianhua fut la conviction que le cinéma avait un rôle à jouer dans la société chinoise : comme divertissement certes, mais aussi comme porteur des messages et des interrogations émanant de cette société. Les films ne furent pas les reflets, les miroirs, de la société chinoise et s’ils doivent être considérés, du point de vue des représentations, comme les « enfants imaginaires » de Sun Yu, ils reçurent de leurs concepteurs amour, expérience, mais aussi rêves, projets, désirs et espérances. Enfants, ils grandirent en s’échappant de l’esprit de leurs créateurs. Fruits imaginaires, ils furent conçus au sein d’une communauté portée par l’utopie, à l’interface entre le monde réel dans lequel était implantée la compagnie cinématographique Lianhua, et le monde imaginaire vers lequel celle-ci se projetait.
3L’histoire de la compagnie, ce microcosme qui paraît avoir cristallisé les problématiques propres à la Chine républicaine de la décennie 1930, a permis de saisir les profondes dissensions qui traversèrent l’entreprise. La question de l’unité de la compagnie fut souvent posée au point qu’il faut se demander si les « enfants imaginaires » furent ceux d’une compagnie impulsant une homogénéité thématique et artistique, ou ceux d’individualités – producteurs, réalisateurs, acteurs – impressionnant les films de leurs personnalités. La Lianhua produisit-elle des films qui portaient tous une authentique marque de fabrique de la compagnie ? Et sinon, quel lien, quelle parenté permet d’associer entre eux ses films ?
4Il s’agit dans un premier temps de s’intéresser aux processus de production et aux stratégies de communication et d’organisation qui contribuèrent à imprimer une identité commune aux films sortant des studios de la compagnie. Puis, nous analyserons le contenu narratif et visuel de cette production cinématographique (une petite centaine de films produits entre 1931 et 1937) pour dégager quelques traits communs. Les films encore existants, les discours ou notes d’intentions des producteurs et des réalisateurs, mais aussi les campagnes publicitaires orchestrées par la compagnie à l’occasion de leur sortie en salle nous serviront de fil conducteur. Enfin, nous nous intéresserons à la réception de ces films, aux publics qui les virent et aux discours de la critique. Car ces films sont indissociables du milieu qui les a vus naître et les a accueillis, même s’ils ne sont jamais réductibles à celui-ci, le transcendent par leur nature artistique et insolite. Non pas un reflet, une représentation de celui-ci, mais une formulation singulière, en émanant pour mieux s’en détacher.
5En 1947, un journaliste rappelait comment, dans les années 1930, les films de la Lianhua avaient « enflammé l’opinion publique2 ». Ces films en effet résonnèrent avec la société de leur temps. En cela, les films de la Lianhua furent peut-être aussi les « enfants imaginaires » de toute une société.
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