Chapitre VI. L’épreuve du réel
p. 189-217
Texte intégral
1Une troupe de danse – mais cela pourrait être une équipe de cinéma – est sur le gril : les spectateurs s’impatientent dans la salle, mais le spectacle ne peut pas commencer. Le régisseur a mis les costumes en gage pour subvenir aux besoins de la compagnie… Nous sommes dans un film de 1937, à la toute fin de la période d’activité de la Lianhua. Une troupe de musical (Gewu ban, Situ Huimin), troisième épisode d’Une mer de talents (Yi hai feng guang), décrit les difficultés financières d’une troupe d’artistes et leurs conséquences sur la bonne entente de l’équipe et la qualité artistique du spectacle. Lorsque les costumes sont repris au prêteur sur gage, ils ont été mangés par les souris et sont inutilisables. Tout est fini ! Mais le régisseur a une idée : il taille dans les costumes abîmés de nouvelles tenues plus courtes. Le programme est changé en conséquence : en lieu et place de la pièce Beaux jours de printemps (Chunguang ming mei), les danseuses, en mini-short et jeu de jambes, interprètent Beauté des sens (Chunyan rougan). Dans une conclusion amère, le régisseur et le directeur de la compagnie se serrent la main, satisfaits du succès de la nouvelle performance, tandis que le metteur en scène et auteur, bafoué, sa pièce dénaturée, s’éloigne, valise à la main, dans des rues désertes.
2À l’opposé de la morale optimiste de Deux étoiles de la Voie lactée, réalisé la première année d’existence de la compagnie1, ce film, six ans plus tard, vaut toutes les confessions sur l’issue du projet de la Lianhua. La compagnie, fondée dans les premières années du régime de Nankin, fut portée par l’espoir d’une Chine nouvelle en construction. C’est pour cette Chine à venir que ses fondateurs, ses dirigeants et son personnel, entendaient œuvrer. Le projet rencontra rapidement, et brutalement, la réalité. L’épreuve du réel fut particulièrement cruelle pour une jeune compagnie issue d’une industrie encore embryonnaire et très fragile : si elle subit les crises économiques et politiques que de nombreuses entreprises chinoises traversèrent dans les années 1930, elle dut aussi affronter les faiblesses d’un secteur d’activité périphérique encore peu soutenu par le gouvernement. Quant au modèle de vivre ensemble proposé, il se brisa sur l’écueil des divisions et des clivages sociaux exacerbés par les difficultés financières que traversa la compagnie. L’année 1935, qui vit l’ouverture triomphale du musée de la Lianhua, marque aussi un tournant critique dans l’histoire de la compagnie.
De crises en restructurations : l’utopie peau de chagrin
3La décennie de Nankin (1927-1937) correspond globalement à une période d’instabilité économique. Non seulement la Chine fut atteinte, quoiqu’avec retard, par la crise économique internationale, mais l’agression japonaise de Mandchourie en 1931 et de Shanghai en 1932 la fragilisa également. À partir de 1932, le pays entra en récession pour au moins trois années : on enregistra ainsi deux fois plus de faillites en 1935 qu’en 19342.
4L’industrie cinématographique ne fut pas épargnée. La guerre de Shanghai et les bombardements japonais qui détruisirent une trentaine de studios3 et de nombreuses salles de cinéma4 eurent des effets immédiats sur la production. La dépression, réduisant le pouvoir d’achat des spectateurs, eut sans doute aussi un impact sur la fréquentation des salles. Ceci s’ajoutait à une période de transition économique et technologique difficile pour l’industrie cinématographique. Avec l’arrivée du parlant, studios et salles durent progressivement acquérir un matériel d’importation très coûteux. Certaines compagnies investirent très tôt de fortes sommes et s’endettèrent lourdement5. La Mingxing, considérée comme une des premières compagnies cinématographiques chinoises6, vit ainsi sa dette s’accroître de façon spectaculaire entre 1932 et 19357, ce qui conduisit les dirigeants à prendre des mesures drastiques. En 1935, le constat était unanimement partagé par les journaux corporatistes qui parlèrent d’une « crise sans précédent dans l’industrie cinématographique8 ». Même en 1936, le secteur n’était pas sorti d’affaire. C’est dans ce contexte que la Lianhua tenta de rester la compagnie de prestige qu’elle prétendait être à sa fondation.
La compagnie à « un million de yuans » ?
5L’appel de fonds pour la Lianhua lancé dans le Yingxi zazhi en août 1930 faisait état d’une ambition financière sans précédent dans le milieu de l’industrie cinématographique : il s’agissait de réunir un million de yuans. Par comparaison, la compagnie Mingxing, fondée en 1922, avait alors lancé un appel à capital pour cent mille yuans9. Quelques années plus tard, elle était solidement établie avec une marge bénéficiaire de cinq cent mille yuans. En 1928, deux ans à peine avant la fondation de la Lianhua, une compagnie fut fondée avec cent cinquante mille yuans, ce qui paraissait un financement de départ acceptable10.
6Les objectifs financiers de la compagnie étaient d’une tout autre dimension, tout comme ses prévisions de recettes et de dépenses. Alors que vers 1928 le coût moyen de production d’un film tournait autour de quelques milliers de yuans11, la Lianhua évaluait en 1932 à quinze mille yuans son coût de production pour un film12. En 1934, l’estimation avait encore augmenté, passant à quarante mille yuans13. D’une façon générale, la compagnie s’affichait comme une entreprise de prestige et c’est ainsi que les journaux la décrivaient, parlant de ses locaux situés dans la Concession internationale, des coûteux studios de Hong Kong, ou encore de l’importance de la masse salariale, évaluée à douze mille yuans mensuels en 193214. Mais la Lianhua pouvait prétendre à des budgets ambitieux, puisqu’elle avait, dit-on, dégagé un bénéfice de plus de cinquante mille yuans pour son premier film, Rêve de printemps dans une antique capitale, là où habituellement un film chinois parvenait à ramener un ou deux mille yuans15.
7On peut comprendre que la Lianhua, en avançant le chiffre d’un million de yuans, voulut marquer les esprits, se positionner comme une entreprise d’importance et se donner les moyens d’une politique artistique de qualité. La réalité financière de la compagnie fut cependant moins grandiose. Elle ne réussit jamais, en vérité, à réunir le million prévu. Trois ans à peine après sa fondation, quand elle lança un nouvel appel de fonds, il s’agissait en vérité de réunir les six cent mille yuans manquants16. Le capital d’un million de yuans n’existait donc qu’à l’état virtuel.
8Ce second appel n’eut guère de succès : il tomba au plus mauvais moment, alors que la Chine était touchée par la récession et se relevait difficilement des attaques japonaises. Luo Mingyou lui-même souffrit de la perte des régions du Nord-Est de la Chine où était implanté le réseau de salles de sa compagnie, la Huabei. Les difficultés financières de la Lianhua ne firent qu’augmenter dans les années suivantes, comme l’attestent les rapports financiers publiés en 1933 et 1935. Selon les comptes du Crédit de Chine de mars 1933, la compagnie déclara officiellement un capital 399 100 yuans de fonds en actions réellement reçues17. Cette année-là, la production fut très basse, la compagnie réalisa neuf films, contre dix-sept l’année précédente18. La situation ne s’améliora pas par la suite. Le document d’inspection du 14 février 1935 de la Banque de Shanghai faisait état d’un capital à peine plus important de 471 500 yuans19. Et le document indiquait par ailleurs qu’il fallait inclure dans le capital initial de quatre cent mille yuans la valeur de tous les équipements apportés par la Minxin et la Da Zhonghua-Baihe. Les sommes disponibles en argent liquide étaient donc en fait bien inférieures aux quatre cent mille yuans déclarés.
9Le document d’inspection de 1935 dressait un bilan de santé de la compagnie inquiétant : des profits bas (15 910,44 yuans de juillet 1932 à juin 1933) ; une dette en augmentation constante : de 69 457,82 yuans au 30 juin 1934, elle passa à 230 000 yuans en février 1935. Les coûts fixes de l’entreprise, hors les coûts de production, étaient sans doute élevés et plombaient les comptes puisque, d’après le rapport, « les studios de cette compagnie sont tous en location, avec un loyer d’environ mille yuans par mois… La compagnie emploie environ trois cents acteurs professionnels, avec des dépenses courantes mensuelles de quinze mille yuans ». Avec dix-neuf films produits en 1934, une des meilleures années, la production restait insuffisante pour assurer des bénéfices.
10Le constat était sans appel : la compagnie se trouvait dans une situation financière dramatique. La crise eut des conséquences immédiates sur le personnel et les structures, comme un troisième rapport de la Banque de Shanghai, daté de septembre 1935, le montre. La compagnie n’avait plus qu’une trentaine d’acteurs permanents20. L’emménagement à Xujia hui est présenté comme une mesure de restructuration nécessaire pour « concentrer les capacités de production et faire des économies ». On était loin de l’ambitieux projet entrepreneurial annoncé au début. La compagnie à un million de yuans était devenue une compagnie fragile, à la recherche de solutions pour sa survie.
Un colosse aux pieds d’argile
11Si les rapports financiers de la Banque de Shanghai permettent de dessiner les grandes évolutions économiques de la compagnie et montrent l’ampleur des problèmes de 1935, le journal de Lu Jie, directeur du Studio no 2, révèle l’insécurité matérielle permanente qui fut le quotidien des responsables de la Lianhua dès les débuts : la réalité économique de la compagnie ne put jamais être à la hauteur des enjeux artistiques et techniques affichés.
12L’association sous l’emblème de la Lianhua de plusieurs compagnies ne doit pas faire illusion : elles étaient pour la plupart dans des situations financières périlleuses et leur réunion était nécessaire à leur survie. Li Minwei reconnaît ainsi dans son journal qu’il n’avait pas l’argent pour se rendre à Pékin au moment du tournage de Rêve de printemps dans une antique capitale21. Au moment où Luo Mingyou rencontra les directeurs et producteurs de la Da Zhonghua-Baihe gongsi pour leur exposer son projet en novembre 1929, ceux-ci, en proie à de grosses difficultés financières, envisageaient de fermer des unités de production22.
13Le contexte de fondation de la Lianhua était un contexte de crise et de mutation de l’industrie cinématographique23. On était au moment où la question de la transition vers le parlant – et les coûteux investissements que cela induisait – était dans tous les esprits alors même que les recettes générées par les films avaient baissé. Il fallait pouvoir investir davantage pour produire des films de meilleure qualité, potentiellement plus rentables. L’accord conclu semblait être le suivant : du côté de la production, les compagnies existantes s’unissaient pour renforcer leurs moyens techniques et financiers, apportant leur catalogue de films, leur personnel, leur matériel et leur capital restant, tandis que Luo Mingyou se chargeait de réunir des fonds supplémentaires pour consolider le projet et d’assurer un réseau de distribution ample pour garantir des bénéfices24.
14Or, les fonds promis par Luo Mingyou n’arrivèrent pas et la compagnie encore embryonnaire commença dès le départ à produire des films ambitieux sans en avoir les moyens. C’est du moins ce qui ressort des notes du journal de Lu Jie sur l’année 1930 et le début de l’année 1931. Le 27 septembre 1930, Lu Jie écrit par exemple : « J’envoie un câble à Hong Kong pour Luo Mingyou : le film en tournage, Une mère courageuse, sera un film Lianhua, je lui demande de transférer dix mille yuans en plus des fonds importants déjà dépensés. » L’argent n’arrive pas et Lu Jie récapitule le 26 janvier 1931 la situation : « J’ai expliqué à Luo que j’avais reçu de nombreux télégrammes de Shanghai qui demandaient de l’argent. J’ai déjà avancé suffisamment, je lui ai demandé d’en verser à son tour. » Le 8 février 1931, Lu Jie note que quatre-vingt mille yuans ont été déjà dépensés pour le tournage de films alors que l’argent promis n’a toujours pas été amené par Luo Mingyou.
15Luo Mingyou, qui ne disposait personnellement d’aucun fonds, semble bien avoir fait des promesses impossibles à tenir. Son espoir de lever un million de yuans se heurta rapidement au désintérêt des investisseurs de Hong Kong, plus prompts à soutenir des projets qu’à acheter des actions. Et Lu Jie de se désespérer : « Il y a eu encore quatre appels de fonds… En montant la Lianhua, les lieux, les équipements ont tous été apportés par la Da Zhonghua et la Minxin. Les anciens studios de la Da Zhonghua servent maintenant pour tourner les films de la Lianhua ; les fonds viennent tous de la Da Zhonghua. Cette fois nous sommes venus en nombre de Shanghai jusqu’à Hong Kong et Canton dans l’idée de lever de l’argent. Résultat : une somme modeste récoltée, bien loin de ce que Luo attendait25. » Nous sommes en février 1931, la situation financière de la Lianhua, enregistrée depuis moins de six mois, est déjà fragile.
16Sur ces bases incertaines se greffèrent de nombreuses difficultés que la compagnie put difficilement surmonter. L’année 1932, avec la guerre de Shanghai et la destruction du Studio no 4, fut rythmée par les problèmes financiers. Lu Jie mentionna régulièrement des discussions avec les dirigeants de la compagnie, Luo Mingyou et Wu Xingzai, sur le manque de fonds dont il disposait26. À la fin de l’année 1932, son studio est endetté à hauteur de vingt mille yuans et sa confiance en Luo Mingyou est au plus bas27. L’appel de 1933, censé remettre à flot la compagnie, se solda par un échec reconnu ouvertement par la direction en mai 193328. La situation empira dans les années suivantes. En mai 1934, le Studio no 2 paraît directement menacé et Wu Bangfan parla de le fermer provisoirement tandis que Luo Mingyou voulait en réduire le personnel29. C’est apparemment grâce à une hypothèque de trente mille yuans sur le Studio no 1 que la compagnie put récupérer assez d’argent pour finir trois films en cours30. Emprunts successifs et restructurations majeures ne suffisaient plus cependant. Malgré la concentration des studios sur le site de Xujia hui en avril 1935, vers la fin de l’année 1935, le constat est amer : « Luo dit qu’après le tournage des Chevreaux égarés (Mitu de gaoyang, Cai Chusheng, 1936), Retour à la Nature (Dao ziran qu, Sun Yu, 1936), Les vagues tamisent le sable (Lang tao sha, Wu Yonggang, 1936) et Le Chant d’une mère on arrêtera les tournages, on ne paiera plus les salaires et on se contentera de louer les terrains pour des tournages. Zhu Shilin demande de la solennité ; il dit que la société chinoise a perdu espoir, que les industries comme les nôtres sont ridiculisées et que nous devons tous prendre cela en considération31. »
Un quotidien chaotique
17Les difficultés économiques de la compagnie eurent un impact direct sur son fonctionnement, que ce soit au niveau de la gestion du personnel ou des choix de production. Le journal de Lu Jie est à ce propos édifiant. Les tensions mirent à mal le modèle artistique, économique et social que l’entreprise souhaitait incarner.
18Au quotidien, Lu Jie, dans son rôle de directeur du Studio no 2 gérait continuellement le manque d’argent. Qu’il s’agisse de trouver quelques milliers de yuans pour relancer une équipe en tournage32, d’avancer des fonds de sa poche pour acheter du matériel33, de chercher des moyens de payer les salaires34, d’emprunter…, le directeur de production était sur tous les fronts et se sentit souvent seul. Les difficultés impactèrent le déroulement des tournages, parfois arrêtés ou ralentis quand l’argent venait à manquer35. Il fallut aussi freiner les ardeurs créatives des employés : dès 1931 le décorateur Fang Peilin était sommé de faire des économies pour les décors de Deux étoiles de la Voie lactée36. À l’automne 1932, on limita à quatorze mille yuans le coût d’un film37 ; et malgré cela, l’argent manqua pour acheter la pellicule pour finir L’Aube (Tianming, Sun Yu, 1932)38. Sous la pression financière, producteurs et réalisateurs se virent demander de faire ce que la Lianhua dénonçait à ses débuts : plus de films à moindre coût. Mais malgré les efforts des réalisateurs, à l’été 1935, la compagnie était à nouveau en panne. Plusieurs tournages furent arrêtés39, on n’écrivait plus de scénarios40, les sociétés refusèrent d’avancer à la Lianhua des pellicules41. La compagnie n’avait aucune marge de manœuvre et, dans ces conditions, des prises de vues ratées, des négatifs abîmés, représentaient une véritable catastrophe42.
19On comprend mieux pourquoi la question de l’achat de matériel d’enregistrement pour les films parlants fut problématique. En 1934, il était devenu évident que le parlant allait s’imposer. La compagnie avait cherché diverses solutions, travaillant d’abord avec d’autres sociétés pour produire des films sonorisés. Elle investit finalement dans du matériel acheté aux États-Unis pour passer définitivement au parlant. L’arrivée des appareils de prise de son, au début de l’année 1935, correspondait au moment où les studios se concentraient à Xujia hui et où la compagnie envisageait un nouveau départ43. Mais producteurs et réalisateurs durent d’abord s’adapter à une nouvelle technologie coûteuse et les problèmes engendrés dans la prise de son causèrent de nouveaux retards44.
20Le quotidien chaotique des producteurs et le poids des problèmes financiers invitent à regarder tout autrement les restructurations mises en œuvre. Celles-ci apparaissent davantage comme des plans de sauvetage que comme la réalisation de projets visionnaires. Finalement, la Lianhua ne paraît pas avoir eu de structure stable ; à chaque crise, la question de la gestion de l’entreprise et en particulier de la relation entre les différents studios et la direction centrale se posait de nouveau. Ainsi, quelques mois après la bataille de Shanghai de janvier-mars 1932, une réorganisation rendit leur autonomie aux deux studios shanghaïens. Le Studio no 2, devenu une structure indépendante, prit le nom de Lian’an45 et fonctionna ainsi jusqu’au début de l’année 1933, date à laquelle il redevint le Studio no 2 (Lian’er) de la Lianhua46. Mais la question de l’autonomie des studios et de leur poids relatif dans l’économie générale de l’entreprise revint à chaque moment de difficulté financière. Le Studio no 2 fut considéré comme un studio dispendieux47 et la tentation fut forte de le fermer en réponse aux problèmes récurrents d’argent : entre avril 1934 et août 1934 cette solution est évoquée par différents membres de la direction à trois reprises au moins48. L’idée de concentrer sur un seul lieu, à Xujia hui, les trois studios shanghaïens fut présentée par Luo Mingyou début septembre 1934 en réponse à ces problèmes financiers.
21Cependant, malgré la concentration de 1935, les tensions financières perdurèrent et les problèmes de structure refirent surface. Dès la seconde partie de l’année 1935, Luo Mingyou recommençait à parler de réformer la compagnie pour faire des économies : il en était, début juillet, à son quatrième projet de restructuration qui impliquait en particulier le départ de cent huit personnes49. Mais, malgré les changements envisagés, en novembre 1935 la compagnie est au bord du gouffre : c’est à ce moment que pour la première fois est évoquée l’idée d’un départ de Luo Mingyou.
Un État absent, voire hostile
22Les difficultés économiques que rencontra la Lianhua furent amplifiées par le contexte politique et économique de la Chine. La crise économique qui toucha le pays à partir de 1933 survenait dans une nation encore jeune. Le soutien de l’État manqua bien souvent. Pire, celui-ci développa un système qui entrava les initiatives privées. Aux difficultés conjoncturelles s’ajoutèrent alors pour les entrepreneurs chinois des obstacles structurels. Au Guomindang, dans la lignée de la pensée de Sun Yat-sen, on considérait avec méfiance le capitalisme, et lorsqu’il s’agit de développement économique, l’accent fut mis sur l’appropriation par l’État des moyens de production et la concentration des efforts sur l’industrie lourde. Un secteur privé continua bien d’exister, mais celui-ci fut préempté par des hommes issus de l’appareil bureaucratique qui ne choisirent d’investir que pour leur seul profit. Ce système bénéficia ainsi surtout à quatre « grandes familles » qui concentrèrent les richesses du pays : aux côtés des familles de Chiang Kai-shek, de son épouse Song Meiling (1898-2003), de son beau-frère Kong Xiangxi (1880-1967), on trouve entre autres les noms de deux personnages que les milieux de l’industrie cinématographique chinoise connaissaient bien : Chen Guofu et Chen Lifu50.
23Dans les années 1930, les entrepreneurs chinois ne se heurtaient pas seulement à des blocages économiques. La décennie de Nankin marqua la fin de l’âge d’or de la bourgeoisie qui perdit en autonomie et vit son rôle politique marginalisé.
24À Shanghai par exemple, la municipalité nationaliste prit peu à peu le contrôle des organisations professionnelles, parfois avec brutalité, le pouvoir n’hésitant pas à user de moyens violents pour contraindre les entrepreneurs à respecter ses mots d’ordre.
25L’industrie cinématographique connut, elle aussi, ses heures sombres. Elle concentrait bien des handicaps : industrie de divertissement, elle était loin d’être un secteur prioritaire pour le gouvernement qui ne lui apportait aucune aide financière. Un temps considérée avec méfiance par les ligues de vertu, elle devint l’objet d’attentions plus soutenues quand le Guomindang commença à percevoir son potentiel comme outil de propagande. Il fallut alors se plier aux injonctions contradictoires du box-office – les entrées constituant les seules recettes –, des préceptes moraux édictés en haut lieu pour orienter la production cinématographique et des interdits politiques de plus en plus précis et de plus en plus pressants. Entre un État financièrement absent et parfois politiquement hostile, et une société de plus en plus clivée, le chemin de la Lianhua était étroit et périlleux.
Un État absent…
26Née trois ans après l’instauration du régime de Nankin en 1927, la Lianhua avait, dès sa fondation, émis à l’encontre du gouvernement des signes de bonne volonté. Elle récolta, on l’a vu, quelques marques de faveur, sous forme de prix, distinctions, visites officielles. Mais au moment où la compagnie fut en péril, le soutien de l’État manqua.
27Compagnie à capitaux privés, la Lianhua, comme les autres compagnies cinématographiques, ne recevait aucune aide financière de l’État. Si elle parvint à établir une collaboration pour la production de films d’actualités, celle-ci ne dura qu’une année. On manque de données sur d’éventuelles subventions ponctuelles, mais, s’il est clair que Luo Mingyou avait lourdement investi en 1934 et 1935 dans la production de trois films (L’Humanité, L’Âme de la nation, Piété filiale) proches de l’idéologie de Guomindang51, rien ne laisse penser que ces trois films furent soutenus autrement que verbalement par l’État. Celui-ci avait pourtant, à la même époque, financé des films documentaires de propagande, réalisés par la concurrente de la Lianhua, la Mingxing52. D’une façon générale, Luo Mingyou ne fut guère payé en retour quand la Lianhua en appela à ses appuis gouvernementaux et l’État se montra cruellement absent au moment des crises de la compagnie53.
… voire hostile
28L’indifférence de l’État face aux problèmes de la Lianhua fut peut-être le moindre des maux. L’industrie cinématographique, qui espérait voir émerger un partenariat profitable pour les deux parties avec l’arrivée du gouvernement de Nankin, vit au contraire sa marge de manœuvre réduite sans compensation en raison du système de censure.
29À partir de 1927, le système de régulation des films évolua dans le sens d’une centralisation progressive des organes de censure et de leur politisation54. C’est en février 1931 qu’est créé, à la demande des compagnies cinématographiques souhaitant échapper aux pressions locales, le Comité national de censure des films (ci-après CNCF55). Émanation conjointe des ministères de l’Éducation et de l’Intérieur, le CNCF comprenait un groupe hétérogène de personnalités issues du monde de l’éducation et de bureaucrates du Comité central de la propagande. Autant dire que la vision que ces individus avaient de leur rôle différait : pour les premiers, il s’agissait de veiller à ce que le cinéma ait une influence positive sur la société, pour les seconds, la question politique primait56. Les lois édictées en novembre 1930 restaient encore assez vagues, définissant quatre types de films à bannir : 1) ceux qui offensaient la communauté chinoise, 2) ceux qui ne respectaient pas les « Trois Principes du peuple57 », 3) ceux qui portaient atteinte aux bonnes mœurs et à l’ordre public et 4) ceux qui enseignaient de mauvaises idées ou encourageaient les superstitions58. Les « éducateurs » pouvaient en conséquence interpréter assez librement ces lois et se montrèrent de fait assez peu sévères. Ils acceptèrent, voire encouragèrent des films proches des idées de « gauche », en raison de leur valeur éducative et leur contenu patriotique59.
30Durant la période d’activité du CNCF, cinq films de la Lianhua furent censurés sur un total de soixante films chinois interdits de projection60. La procédure de censure était relativement simple : le film devait être présenté au Comité avant sa projection publique, le Comité donnait alors son accord, avec ou sans recommandations de transformation, ou en interdisait purement et simplement la projection. Les raisons de l’interdiction de ces cinq films furent plus morales que politiques : trois films furent censurés en vertu de l’article deux, alinéa trois de la loi, « entrave aux bonnes mœurs ou troubles de l’ordre public61 », un autre le fut en raison de l’article deux, alinéa quatre comme « film encourageant les croyances et la superstition62 ». Ces films ne furent, semble-t-il, jamais projetés en salle.
31Le cas du dernier film mentionné sur cette liste, L’Issue (Chu Lu, Zheng Jiduo, 1934) est symptomatique de l’évolution de la censure cinématographique. Le film fut interdit en décembre 193363. Les accusations étaient cette fois clairement politiques : le film, qui raconte la tragique histoire d’un jeune homme de bonne famille qui perd successivement son emploi, son épouse, sa fille et son honneur suite à la guerre de Shanghai, est accusé de « s’opposer aux Trois Principes du peuple », de « faire le portrait de mendiants, bandits et autres individus contrevenant à l’ordre social et entravant par leur attitude réfractaire l’ordre public » et « d’appeler à la lutte des classes64 ». Le Comité lui laissa cependant une seconde chance et le film sortit le 20 février 1934 sous un nouveau titre65.
32L’interdiction de L’Issue intervint au moment où le Comité était attaqué par le pouvoir lui-même, en la personne de Chiang Kai-shek et des membres du Comité central de la propagande, pour son manque de vigilance politique. En effet, dans le contexte d’une guerre menée par le Parti nationaliste contre le Parti communiste chinois, les hommes de l’appareil voyaient avec de plus en plus d’agacement la bienveillance des éducateurs à l’égard de films véhiculant des idées dites progressistes, considérées comme hostiles au régime. Trois films de la Lianhua furent ainsi dans le collimateur des politiques. Sur ordre du ministère de l’Éducation, en vertu de l’ordre secret n ° 372 sur les suspicions de communisme, Suite de Rêve de printemps dans une antique capitale, L’Aube et Trois femmes modernes durent être réexaminés par le Comité66.
33Ces trois films ne furent finalement pas interdits ; ils eurent sans doute beaucoup de chance, car, cette même année, la censure se durcit et devint ouvertement politique. À la fin de l’année 1933, le Comité central de la propagande commença à reprendre en main le système de censure, imposant par exemple un contrôle des scénarios et renforçant les lois de censure67. En mars 1934, le Comité national de censure des films fut dissous et remplacé par un Comité central de censure des films (ci-après CCCF) directement sous son contrôle68 : les politiques de l’appareil d’État avaient supplanté les éducateurs. Chen Lifu, cheville ouvrière de cette réorganisation, devint alors un personnage incontournable dans le monde de l’industrie cinématographique, tandis que la censure cinématographique devenait idéologique.
34Ce durcissement de la censure eut des conséquences sur le rythme de production des compagnies et leurs finances. Les procédures d’examen des films étaient devenues plus complexes, les films étant examinés une première fois à l’étape du scénario puis avant leur projection en salle. Les amendes infligées avaient augmenté. Comme le résume un observateur anglo-saxon: « the law and fees now in force in China are respectively the most stringent and highest in the world69 ».
35On en sait peu sur les difficultés que connut la Lianhua durant cette période. La censure était alors devenue un système complexe, empilant différentes instances aux intérêts parfois contradictoires : à la censure d’État, s’ajoutaient une censure locale (municipale ou provinciale), et, à Shanghai, la censure exercée par les autorités contrôlant les concessions internationales de Shanghai70. Il fallait aussi compter avec les pressions exercées par des organisations politiques téléguidées par l’État. Ces différentes instances de contrôle n’avaient pas toujours la même opinion sur les films. Ainsi Retour à la nature faillit connaître des problèmes, mais fut « sauvé » par le CCCF. Cette comédie, adaptée de la pièce anglaise The Admirable Crichton, fut vivement critiquée par l’Organisation de la capitale pour la promotion du Mouvement de la Vie Nouvelle qui demanda au CCCF l’interdiction d’une œuvre considérée comme obscène, en raison de publicités montrant les acteurs vêtus de feuilles et de peaux de bêtes. Le Comité ne suivit pas ces recommandations, défendant un film « ironique, en faveur des sports71 ».
36Au-delà des obstacles posés par le renforcement de la censure, le rôle du gouvernement dans la gestion de l’industrie cinématographique oscilla entre une volonté de contrôle et un désintérêt parfois nuisible. Les compagnies cinématographiques, convoquées à Nankin à l’Assemblée sur le soutien de l’industrie cinématographique de mars 1934, purent ainsi croire que le gouvernement manifestait enfin son intérêt pour cette industrie, et qu’il allait leur apporter son aide. Mais la profession ne fut guère entendue et il lui fut en revanche demandé de bannir les films idéologiquement incorrects et de faire la propagande des idées du gouvernement72. Instrumentalisées, les compagnies souffrirent par ailleurs de décisions politiques : Luo Mingyou rappelle notamment que l’obligation faite en 1931 aux compagnies chinoises shanghaïennes de produire des films parlant la « langue nationale » (le mandarin) leur ferma durablement le marché essentiel de la diaspora chinoise d’Asie du Sud-Est, parlant majoritairement cantonais73.
37Ce dernier exemple montre que, d’une façon générale, les priorités du gouvernement étaient souvent contraires aux intérêts du monde de l’industrie cinématographique : entre l’injonction faite de propager l’idéologie nationale et le poids de la censure, l’État fut un obstacle plus qu’une aide.
Dans une société de plus en plus divisée
38La reprise en main de la société chinoise par l’État nationaliste ne se fit pas seulement dans le cadre légal et administratif. La violence sociale qui l’accompagna toucha aussi le monde de l’industrie cinématographique.
39Le 12 novembre 1933, le siège de la compagnie cinématographique Yihua fut attaqué et mis à sac par un petit groupe d’individus se réclamant de l’Association des camarades anticommunistes de l’industrie cinématographique shanghaïenne74. Les tracts laissés sur place et les lettres envoyées aux journaux reprochaient aux compagnies de produire des films encourageant la lutte des classes75. Le Shenbao publia ainsi le 20 janvier 1934 le long courrier de menace que l’Association adressait aux compagnies, salles de cinéma, rédactions de périodiques cinématographiques et aux membres du Comité national de censure. L’Association exigeait que les quatre grandes compagnies (la Mingxing, la Lianhua, la Tianyi et Yihua) arrêtent immédiatement la production de films « propageant la pensée rouge et portant atteinte à la nation, encourageant la lutte des classes et décrivant les maux de la société76 … » Étaient visés plus particulièrement des films prêts à être distribués : dans le cas de la Lianhua, c’était le film Le Vent (Feng, Wu Cun, 1934), qui était mentionné. Il était aussi exigé que pour Trois femmes nouvelles, Lumière maternelle (Muxing zhi guang, Bu Wancang, 1933), L’Aube et Les Nuits de la ville, films déjà sur les écrans, les scènes censées attaquer l’unité nationale ou véhiculer l’idéologie communiste soient supprimées. Les compagnies étaient aussi sommées de mettre fin à leur collaboration avec les « scénaristes communistes » comme Tian Han, auteur en 1933 de scénarios pour la Lianhua ou la Mingxing. La lettre sonnait comme un ultimatum : l’Association menaçait de déposer des bombes dans toute salle de cinéma du territoire (concessions internationales comprises) qui projetterait les films incriminés. Au même moment, la Lianhua reçut une série de lettres de menaces77. Venant après le sac de la Yihua, le danger devait être pris au sérieux.
40L’État intervint d’autant moins dans cette affaire qu’il agissait probablement en sous-main. Le climat de suspicion à l’égard des compagnies et, à la Lianhua, de certains réalisateurs ou acteurs, comme Sun Yu, Fei Mu, Jin Yan et Li Lili, avait même été nourri par des rapports émanant de membres du Parti nationaliste78. C’était un des modus operandi du gouvernement de Nankin que de confier à des bandes mafieuses ses basses œuvres en vue d’impressionner et de faire plier les membres de la société civile. L’attaque de la Yihua et les lettres de menaces publiques arrivaient à point nommé, quelques mois à peine avant la mise en place des nouvelles instances de contrôle de l’industrie cinématographique.
41Dans une société en proie à des clivages politiques de plus en plus profonds, les menaces et les obstacles se multiplièrent bien au-delà des cercles de l’État. C’est ainsi qu’à deux reprises, la Lianhua fut en butte à de violentes campagnes menées par des associations professionnelles. Son film Femmes Nouvelles fut attaqué en février et mars 1935 par les journalistes qui se sentaient insultés par la façon dont le monde de la presse, avide de potins et de scandales au mépris de toute déontologie, était décrit. Au cours d’une cabale qui n’épargna pas l’actrice principale du film, Ruan Lingyu, et qui ne fut pas étrangère au suicide de la jeune femme le 8 mars 1935, l’Association des journalistes de Shanghai exigeait que la compagnie accepte de couper toutes les scènes « portant atteinte à l’honneur des journalistes ». Elle eut en outre un droit de regard sur le film remonté et fit promettre à la compagnie que la version non expurgée du film ne serait jamais montrée dans les salles shanghaïennes. La compagnie dut s’incliner79.
42Peut-être inspirés par l’exemple des journalistes, des médecins shanghaïens attaquèrent à leur tour la Lianhua : le film Au revoir ! Shanghai ! (Zaihui ba Shanghai, Guan Yunbo, 1934) avait soulevé leur mécontentement en raison de présence dans l’histoire d’un médecin amoral usant de son autorité médicale pour violer l’héroïne. L’Association des professeurs de médecine de Shanghai négocia donc avec la compagnie pour que celle-ci coupât les scènes du film néfastes à leur image80. Une fois de plus, la compagnie dut se soumettre à la pression de ce lobby professionnel. L’affaire fit moins de bruit, car les coupes intervinrent avant la sortie du film. Mais, à peine un mois après la crise de Femmes Nouvelles, et au moment où la compagnie traversait de graves difficultés financières, elle tombait au plus mal.
43La société chinoise des années 1930 s’avéra donc être un terreau difficile pour y implanter et y faire fructifier une grande compagnie cinématographique sur le modèle hollywoodien. Les questions politiques, les contraintes sociales, l’absence de protection de l’État, voire son rôle prédateur, sont autant de facteurs qui, ajoutés à la fragilité économique de la Lianhua, la mirent en péril. Pouvait-elle encore, dans de telles circonstances, protéger ce modèle social qu’elle avait tenté de construire, le monde interne de la compagnie pouvait-il ne pas être gangrené par cette société chaotique et violente ?
L’impossible vivre ensemble
44 Une mer de talents, ce film collectif tourné en 1937 avec lequel nous ouvrions ce chapitre, offre décidément bien des aperçus sur le monde de l’industrie cinématographique. Le premier sketch, Une ville cinématographique (Dianying cheng, Zhu Shilin), s’ouvre ainsi sur un tournage en studio. Mais, malgré la mobilisation de toute l’équipe, la scène filmée – une scène d’incendie – est ratée : l’actrice principale refuse de « risquer sa vie pour un gagne-pain », dit-elle, en feignant de se jeter dans les flammes pour sauver sa famille. La star est montrée comme une enfant gâtée qui n’a pas le sens des responsabilités collectives. Si l’histoire se termine bien, c’est parce qu’on la remplace par une jeune actrice entièrement dévouée à son art. Le message ne peut être plus clair : la réussite du projet cinématographique ne peut se faire sans des individus ayant un sens aigu du sacrifice. Tourné alors que la compagnie a subi de profonds changements et qu’elle vivait ses dernières heures avant la guerre81, ce film révélait les regrets de ceux qui crurent à l’utopie portée par la Lianhua des débuts, et qui la virent remise en cause par les problèmes économiques, les coups de boutoir politiques, les divisions sociales. Le vivre et le travailler ensemble, pourtant au cœur du projet de la compagnie, furent incessamment en péril.
Un train sans locomotive ? Une direction désunie
45Un projet comme celui de la Lianhua avait besoin d’une direction cohérente et unie. Pourtant ce ne fut pas le cas : la personnalité de son principal fondateur, Luo Mingyou, et les tensions au sein de l’équipe dirigeante furent source de difficultés.
46Si Luo Mingyou a pu être décrit comme un visionnaire ambitieux, les témoignages de ceux qui travaillèrent avec lui sont plus nuancés. Pour Lu Jie par exemple, c’est un patron autoritaire, mais absent et indécis, qui le soutient peu dans les moments les plus graves. Il faut dire que Luo Mingyou fut géographiquement loin, vivant entre Hong Kong – où siégeait la direction de la Lianhua et où sa famille résidait jusqu’en 193382 –, et Shanghai. Dans certains cas, ses absences furent ressenties comme un abandon, notamment lorsqu’il quitta Shanghai juste avant l’attaque japonaise en janvier 1932, laissant les employés shanghaïens livrés à leur sort. De Hong Kong, il envoya ensuite des câbles mal perçus par ceux-ci, donnant l’ordre de fermer les studios pour relocaliser à Hong Kong la compagnie83. De même, en novembre 1935, au plus fort de la crise, Luo Mingyou partit brusquement pour Pékin, en revint une semaine plus tard sans que Lu Jie ne parvienne à le rencontrer ni que les motifs de ce départ lui soient communiqués84.
47Luo Mingyou fut aussi critiqué de façon récurrente pour son manque d’idées pour résoudre les problèmes de la compagnie85 ; il sembla même avoir perdu la maîtrise du gouvernail en 1935, ne cessant de prendre des décisions, souvent sans concertation, avant de revenir dessus : entre avril et décembre 1935, la compagnie connut au moins six changements d’organisation86. L’homme ne paraît pas non plus avoir été un excellent gestionnaire. Ainsi est-il décidé seulement en avril 1935 que toute dépense serait d’abord visée par Luo Mingyou87. Mais la compagnie continua de s’enfoncer et si Luo Mingyou finit par assumer la responsabilité de ce désastre économique, le mal était fait88. Malgré son mea culpa, il dut accepter de céder sa place à Tao Boxun le 28 décembre 193589.
48Luo Mingyou n’est pas seul responsable des difficultés au sein de la direction de la Lianhua où les tensions étaient problématiques. Dès 1932, des disputes surviennent entre Luo Mingyou et Wu Xingzai90, mais aussi, en 1935, entre Luo Mingyou et Li Minwei, son partenaire de la première heure91. Les problèmes de la compagnie furent tels, cette même année, qu’il devint impossible de trouver des hommes acceptant d’assumer des fonctions de responsabilité : Tao Boxun envisagea même de démissionner92 et Lu Jie refusa de devenir directeur des studios93. Li Minwei lui-même refusa d’assumer la position de sous-directeur dans une Lianhua restructurée, mais fut finalement contraint d’accepter en septembre 1935.
49La Lianhua ne parvint jamais non plus à surmonter les tendances centrifuges des studios qui la composaient. Ce fut particulièrement le cas pour les deux principaux studios shanghaïens, le Studio no 1, sous la direction de Li Minwei, et le Studio no 2, sous la direction de Lu Jie. Ces studios reprirent même brièvement leur autonomie entre le printemps 1932 avant d’être à nouveau associés au printemps 1933. Lorsque, en 1932, la Lianhua décida que les deux studios fonctionneraient séparément, le Diansheng Ribao parla de « rupture » effective même si la Lianhua gardait un nom unique pour l’extérieur94. Désormais entités indépendantes, avec des budgets entièrement distincts, les deux studios connurent des problèmes autour de la gestion des acteurs, ceux-ci devenant rattachés exclusivement à un studio : les deux parties durent finalement passer un accord pour encadrer l’échange d’acteurs entre elles95. Les problèmes subsistèrent une fois les deux studios réunis de nouveau au début de l’année 193396 : en juin 1933, Li Minwei annonçait que le Studio no 1 reprenait son indépendance avant de déclarer sa fermeture et sa démission. Il fallut qu’une délégation composée de managers et de réalisateurs issus des deux studios vienne le persuader de rester97.
50La Lianhua apparaît ainsi comme un navire pris par des vents contraires, et Luo Mingyou comme un piètre capitaine, incapable de garder le cap. Manquait-il d’autorité ou ne put-il imposer ses décisions en raison des origines quasi fédératives de la compagnie ? Son témoignage manque pour se faire une idée du problème dans son ensemble. Vu du Studio no 2 en tout cas, le modèle de direction n’avait pas de cohérence, entre les décisions collégiales et les ordres donnés par télégramme. Dans ces conditions, le monde que la Lianhua tentait de construire pouvait difficilement résister à l’hétérogénéité sociale, culturelle et politique de ceux qui y travaillaient.
Une communauté éclatée
51Il y avait à la Lianhua un véritable désir de proposer un modèle social fondé sur l’entente harmonieuse. Les films de la compagnie ne cessèrent de mettre en scène ces espoirs de cohésion, de rassemblement, de fraternité. Mais au-delà du désir, réel et partagé, les rêves divergeaient. La société rêvée par la Lianhua devaitelle ressembler à la communauté occidentalisée et morale décrite dans Deux étoiles de la Voie lactée ? Ou à cette troupe de jeunes gens au chômage qui mettent leur jeunesse, leur bravoure et même leur vie au service de la construction d’une route stratégique (La Route, Sun Yu, 1934) ? Ou bien encore à ces deux familles des Petits Anges – les riches bourgeois occidentalisés et leurs humbles voisins, véritables modèles détenteurs des valeurs morales chinoises – capables de laisser de côté leurs différences grâce à leurs enfants ? Le désir de créer un vivre ensemble était d’autant plus impérieux que la communauté réelle que fut la Lianhua n’échappa pas aux divisions qui étaient à l’œuvre alors dans la société chinoise : les divisions géographiques et sociales ou les divergences de vues et d’opinions se retrouvaient dans la compagnie.
52Le vivre ensemble de la compagnie fut d’emblée menacé par une division géographique. Que le siège de la Lianhua se trouve à Hong Kong, dans les quartiers occidentalisés, tandis que les principaux studios étaient à Shanghai, marquait symboliquement l’éloignement entre ceux qui dirigeaient (et finançaient) et ceux qui faisaient et travaillaient. Aux premiers le luxe occidental, aux seconds le maintien dans l’univers chinois. Ceci fut particulièrement manifeste au moment des festivités qui eurent lieu lors de la fondation de la compagnie. Si Luo Mingyou tint un banquet pour les « officiels » dans le club de luxe le Xinxin-Sun Sun à Shanghai98, le personnel pour sa part accueillit trois nouveaux arrivants dans un restaurant de la ville en l’absence du directeur de la compagnie99. On retrouve cette distinction dans les lieux de vie des employés. Les dortoirs construits pour ses employés n’hébergeaient pas, tant s’en faut, tout le monde100 : ni les producteurs et l’équipe de la direction shanghaïenne, ni les principales stars de la compagnie n’y habitaient. Ruan Lingyu par exemple logeait dans des villas de la Concession française, de même que Li Minwei, qui habitait une élégante maison rue Doumer louée au patron du gang mafieux La Bande Verte, Du Yuesheng, dont la demeure se situait quelques numéros plus bas dans la même rue. La jeune actrice Li Lili en revanche habitait avec sa famille dans une maison du quartier de Xujia hui, non loin des studios101. Cette différence dans les lieux d’habitation s’explique en partie par de grandes disparités dans les salaires. Au bas de l’échelle, certains gagnaient moins de trente yuans par mois, comme le jeune musicien Nie Er qui, au moment où il signa son premier contrat avec la Lianhua en 1931, s’indignait de l’opacité qui régnait dans la logique de rétribution102. En 1932, la star de la compagnie, Ruan Lingyu, gagnait 350 yuans par mois, plus des bonus. Son partenaire à l’écran, Jin Yan, gagnait cent cinquante yuans alors que sa collègue, Chen Yanyan, qui devint vite elle aussi une des stars de la compagnie, gagnait alors uniquement trente yuans103.
53Pas plus que le vivre ensemble, le travailler ensemble n’était simple à la Lianhua. Au départ, les personnels étaient rattachés à un studio en particulier. Ainsi, en septembre 1933, le Studio no 1 de la Lianhua était placé sous la direction de Li Minwei et comprenait le réalisateur Bu Wancang et les acteurs Jin Yan, Ruan Lingyu, Lin Chuchu et Chen Yanyan, considérés alors comme les plus grandes stars de la compagnie104. Les choses évoluèrent par la suite, avec la mise en commun des acteurs et de nouveaux recrutements : en 1934, le Lianhua nianjian dénombrait trois réalisateurs (Fei Mu, Jiang Qifeng, Maxu Weibang) au Studio no 1, quatre au Studio no 2 (Sun Yu, Cai Chusheng, Wu Cun, Zheng Jize), deux au tout nouveau Studio no 3 (Zhu Shilin, Yang Shaozhong) et deux au Studio de Hong Kong (Guan Wenqing, Zhao Shu). Quant aux techniciens, on ne sait pas s’ils furent eux aussi rattachés à un studio, le Lianhua nianjian mentionnant huit chefs opérateurs et trois chefs décorateurs sans indiquer leur studio de rattachement. Il semble en tout cas, d’après les génériques de films, mais aussi les notes de Lu Jie, que les réalisateurs avaient pris l’habitude de travailler avec certains techniciens.
54Au-delà des frictions au niveau de la direction, les habitudes de travail divergeaient pour les deux studios les plus importants à la compagnie. Un fossé culturel et linguistique séparait les « Cantonnais » de l’ancienne Minxin qui travaillaient surtout au Studio no 1, des « Shanghaïens » de la Da Zhonghua-Baihe qui se retrouvèrent dans le Studio no 2. Il y avait entre les deux studios des différences d’opinion, de culture intellectuelle ou politique. Sun Yu se souvient ainsi comment, en 1932, il voulut passer du Studio no 1 au Studio no 2, car il s’entendait bien avec ses réalisateurs105. Les deux équipes n’avaient pas toujours la même conception du cinéma. L’incident qui survint durant la guerre de Shanghai, à un moment où l’on pouvait s’attendre à une cohésion patriotique, parle de lui-même. Alors qu’il avait été décidé d’un commun accord que tous les studios enverraient des équipes dans les zones de combats pour réaliser des films d’actualité, seul Li Minwei et ses hommes y allèrent effectivement106. Au Studio no 2, on décida plutôt de réaliser un film de fiction collectif (Tous pour la Nation). Mais, comme en représailles à l’absence des collègues sur le terrain de la guerre, ce furent les actrices du Studio no 1 qui manquèrent alors à l’appel107.
55Cette impossible cohésion persista bien au-delà des premières années et se manifesta à nouveau lorsque les studios shanghaïens furent tous rassemblés à Xujia hui en 1935. Les conditions du déménagement ne furent sans doute pas idéales. Telle qu’elle est racontée par Lu Jie, l’opération de fusion consista en fait à un déménagement du Studio no 2 dans les locaux du Studio no 1108. Il fallut faire de la place aux nouveaux arrivants et s’acclimater à travailler ensemble, ce qui ne fut pas chose facile. Trois jours après l’emménagement, Lu Jie confessait en ces termes son désarroi : « J’ai l’impression que les anciennes habitudes sont difficiles à changer ; la réorganisation est difficile109. » Il partageait ce sentiment avec son équipe, notant combien « les différences entre les deux studios étaient grandes » et les efforts d’adaptation importants110. Il lui resta, visitant les anciens locaux du Studio no 2, un sentiment de nostalgie tenace. La concentration, présentée à l’extérieur comme un projet ambitieux, fut parfois vécue en interne comme une mise en commun contrainte.
Le cauchemar de Nie Er : du paternalisme à la lutte des classes
56Le 1er février 1932, en pleine attaque japonaise sur Shanghai, Nie Er fit un cauchemar. Cauchemar de temps de guerre où la mort survient dans la rue, emportant son amie partie travailler sur un film. Il coucha aussitôt par écrit ce rêve dans son journal, concluant sur ces mots : « Elle est morte en tournant pour la compagnie111 ! » Le journal se poursuit avec le compte rendu de la situation, cette fois-ci bien réelle : « Les banques sont fermées, on ne peut recevoir notre salaire. J’ai bien peur que nous ne mourions de faim à nouveau. »
57Ce récit de Nie Er est révélateur. Certes, on pourrait reprocher à ce jeune musicien talentueux, qui travailla pour la Lianhua entre 1931 et 1935 et rejoignit le PCC en 1933, d’analyser les situations en des termes partisans, relevant de la rhétorique de la lutte des classes. Certaines pages de son journal n’en livrent pas moins un ressenti qui corrige sévèrement l’image idyllique que la compagnie voulait donner d’elle. Le monde du cinéma n’était certes pas le monde de l’usine. Cela étant dit, les employés souffraient de pressions qui, ajoutées à des baisses de salaires ou aux incertitudes quant à leur sort, rendirent leur vie professionnelle pénible. Le personnel se retrouva sur le terrain des revendications. Les conditions de travail à la Lianhua, du salaire à la pénibilité de certaines tâches, en passant par l’autoritarisme de la direction, justifiaient bien des protestations. Le modèle d’une société sans conflits de classe, proposé par Luo Mingyou, n’était pas nécessairement celui du personnel.
58Le cauchemar de Nie Er ne parle pas seulement de l’angoisse de la mort : il évoque aussi la pression exercée par une compagnie qui présente l’engagement professionnel en termes de sacrifice sans pouvoir protéger ses employés de la précarité de la vie quotidienne. Le sacrifice rappelle cette scène d’Une ville cinématographique où à la star capricieuse est opposée à l’actrice décidée à « consacrer sa vie à l’art dramatique », sans crainte devant les dangers des tournages, renonçant au mariage et à l’amour. La figure sacrificielle se retrouve de façon récurrente dans le discours de la Lianhua et tout particulièrement dans la façon de présenter les actrices. Les anecdotes publiées dans le magazine insistent sur leur dévouement à toute épreuve. C’est ainsi que la Lianhua entend revaloriser le métier d’acteur. Dans la réalité, les quelques témoignages qui nous sont livrés laissent penser que le métier fut pénible. Nie Er plaint en ces termes Chen Yanyan, obligée de jouer une scène dans le froid : « Les plus à plaindre dans cette compagnie, ce sont les acteurs. Voilà qu’elle a un contrat pour 5 ans, et au bout d’un an, c’est à peine si elle gagne 100 yuans. C’est vraiment dur112 ! » La Lianhua n’hésitait pas non plus à intervenir dans la vie privée de ses actrices. Chen Yanyan – encore elle – ne put se marier tant qu’elle travailla pour la Lianhua, alors qu’elle avait commencé à nouer une idylle avec un collègue113. Actrice favorite des jeunes écoliers et des étudiants, elle représentait l’idéal de la jeune fille pure et sérieuse ; la compagnie refusait qu’elle brise cette image en devenant une femme mariée114.
59Au-delà du cercle des actrices, la pression s’exerça sur l’ensemble des employés, la compagnie obligeant ceux-ci à participer à la vie sociale qu’elle mettait en scène. Nie Er se plaignit ainsi d’être constamment sollicité : « Ma vie se passe presque incessamment en réunion : du côté de la Lianhua, il y a je ne sais quelle réunion du groupe patriotique aérien, du club de loisir, du comité de sélection des scénarios. Cela commence dès le matin jusque tard dans la nuit115. » Derrière les photographies de tel acteur inaugurant telle exposition ou participant à tel gala de charité, combien y eut-il d’injonctions, de rappels à l’ordre, de contraintes ? La façon dont Nie Er parle du peu d’enthousiasme des employés à participer au groupe patriotique que la compagnie mit sur pied à l’automne 1931 suite aux événements de Mandchourie, avec obligation faite de se porter volontaire pour une tâche ou une autre, est révélatrice116 : au moment où les bombes s’abattirent sur Shanghai et où la ferveur patriotique aurait dû être à son comble « personne n’avait envie d’y aller117 ».
60La pression professionnelle fut tout aussi forte. Elle se manifesta par exemple avec l’exigence de produire toujours plus. En janvier 1932, injonction est faite au Studio n ° 2 de produire douze films par an. Mission impossible, répondit le personnel118. Cela n’empêcha pas Luo Mingyou de revenir à la charge en avril 1933, assortissant son discours de menaces : « Les paroles de Luo Mingyou sont vraiment terribles, très dures. Il dit que désormais, si on ne peut pas faire deux films par mois, il ne pourra pas continuer et qu’il nous faudra trouver un autre salaire119 », nota Nie Er. De cette pression résultèrent des conditions difficiles : très longues heures de tournage jusque tard dans la nuit, jours fériés non chômés, accidents du travail tragiques comme celui que rapporte le Diansheng ribao en août 1932 lorsque, sur le tournage de Trois femmes nouvelles, deux électriciens, montés fixer des projecteurs, chutèrent avec leur matériel. On était en plein été, la température était caniculaire, si bien que les tournages s’effectuaient de nuit pour bénéficier d’une atmosphère plus supportable dans des bâtiments en verre surchauffés sous le soleil et le feu des lampes. Malgré l’émoi causé sur les acteurs qui virent tomber devant eux les deux hommes et malgré des blessures sérieuses, une fois les premiers soins dispensés, le tournage reprit120. Cette fois-ci, il n’y eut pas de perte, mais Lu Jie pour sa part déplorait la mort d’un éclairagiste blessé au cours d’un tournage en janvier 1934121.
61Le cauchemar de Nie Er, c’est aussi la crainte de ne pouvoir subsister faute de salaire. La pression subie par les employés fut d’autant plus mal ressentie lorsque les difficultés de trésorerie apparurent. Les premières baisses de salaires furent décidées en février 1932122 ; des problèmes sérieux surgirent à nouveau en octobre 1933 : à la veille de l’importante fête de la Mi-automne, le salaire de septembre n’avait pas encore été versé si bien qu’on organisa une collecte123. Dès la moitié de l’année 1934, les retards de paiement devinrent récurrents. Ils atteignaient déjà deux mois et demi à la mi-août. Au Studio no 2, Lu Jie essaya de payer une partie de ses employés, mais en octobre la situation ne s’était pas améliorée124. En 1935, des réductions de salaire furent décidées, alors que la compagnie était à nouveau en retard de plusieurs mois sur le versement des salaires125. En novembre 1935, elle devait toujours plus de quarante mille yuans à ses employés126. À la compréhension et la solidarité des premiers temps, succèdent alors revendications et grèves. S’il avait existé un esprit d’entreprise, celui-ci semble avoir disparu avec les crises de la compagnie.
62La précarité dans laquelle les difficultés financières de la compagnie plongeaient les employés, ajoutée aux pressions sur leur rythme professionnel et leur vie privée, ne contribua pas à cimenter la collectivité. Certains employés choisirent de travailler en extra dans d’autres compagnies pour s’assurer un revenu complémentaire127 ; d’autres quittèrent la Lianhua128. Plus généralement, les instances participatives mises en place par la compagnie furent le lieu où s’exprimèrent les oppositions de classe et d’opinions politiques. Revendications et grèves engendrèrent une nouvelle communauté, bien différente de celle imaginée par Luo Mingyou, reposant sur les principes de la lutte des classes et non de l’harmonie sociale. Les premières protestations eurent lieu en 1932, lorsque Luo Mingyou ordonna de fermer les studios de Shanghai. Cette décision causa de gros remous, les deux studios se réunirent en assemblée générale le 1er mars 1932 et signifièrent à Luo Mingyou leur opposition. Au même moment, la compagnie décidait de dissoudre sans les compensations salariales prévues les UPS Follies, ce groupe de danse et de chant qu’elle avait acheté quelques mois plus tôt. De longues et pénibles négociations s’engagèrent entre le représentant du groupe et la direction, c’est-à-dire Luo Mingyou et Tao Boxun129. Elles sont décrites en ces quelques phrases par un Nie Er révolté : « Des ventres creux parlant avec Luo Mingyou : son attitude est restée continuellement inébranlable, il a brandi des menaces pernicieuses, dignes d’un gros porc capitaliste130 ! » Jusqu’en 1935 cependant, les grèves ou protestations eurent principalement pour cause des revendications idéologiques, et non salariales. Comme si, malgré tout, le personnel de la Lianhua était prêt à accepter les difficultés matérielles, pourvu que leurs sacrifices soient mis au service d’une juste cause, du projet de société qu’ils voulaient défendre avec la compagnie. Lorsque la conception que les employés se faisaient de ce projet ne fut plus en accord avec la politique de la compagnie, ils n’hésitèrent pas à se mobiliser. C’est ainsi qu’en juillet 1932 le Diansheng ribao fit état de désaccords entre la direction et l’équipe de tournage de L’Humanité131. Cette dernière s’inscrivait en faux contre la façon dont le film avait été présenté par le département de publicité de la Lianhua comme « une œuvre représentative » de la compagnie. Le réalisateur Bu Wancang déclara même que s’il s’agissait d’un « film représentatif », il n’était en rien « représentatif de son travail ». Tous demandaient que la direction fasse disparaître ce slogan qu’ils ne voulaient pas assumer. Sur un scénario rédigé par Zhong Shigen, le beau-frère de Luo Mingyou, L’Humanité raconte l’histoire d’un jeune homme venu étudier à la ville, mais qui, absorbé par une amourette avec une jeune fille, en oublie sa famille sur qui s’abattent des calamités naturelles. Lorsqu’il rentre au village, sa femme est déjà morte de faim… Ce film, qui fut, on s’en souvient132, fort apprécié des notables nationalistes, ne fit pas l’unanimité et fut critiqué par certains journalistes133. Pour Bu Wancang et ses collègues, la compagnie ne pouvait se réduire à défendre des idées approuvées uniquement par la partie la plus conservatrice de la société. Ils avaient accepté de réaliser le film mais refusaient d’en faire un porteétendard idéologique.
63C’est à nouveau essentiellement pour des raisons idéologiques que les employés s’opposèrent à la direction en juillet 1934, rejetant le nouveau slogan des « Quatre nationalistes » proposé par Luo Mingyou, ressenti comme trop proche de l’idéologie du gouvernement. Le conflit entre les employés et la direction souligne combien le mot « nationalisme » pouvait recouvrir d’opinions politiques différentes134 : le consensus de départ autour du « renouveau du cinéma national » pouvait rapidement se trouver remis en cause dès que le programme prenait une inflexion plus politique. Ceci éclaire d’une autre façon le souci de décision collégiale qui animait l’entreprise : ne traduisait-il pas aussi l’inquiétude ressentie par tous de voir le vivre ensemble menacé par la mise en place d’une ligne politique unique et contraignante ? Si les employés placèrent en tête de leurs revendications l’exigence d’être associés plus étroitement à la conduite de l’entreprise, loin devant les revendications salariales, et si la direction obtempéra, n’était-ce par parce que les uns et les autres pressentaient que c’était dans la prise en compte de la pluralité des opinions, dans la recherche d’un socle fédérateur commun que l’avenir de la Lianhua était possible ? Car non seulement Luo Mingyou accéda à toutes les revendications, mais il garda dans la compagnie des employés connus pour leur engagement politique à gauche. Sous sa direction, réalisateurs et représentants du personnel eurent bien leur part dans les prises de décision.
64Quel fut alors ce socle fédérateur qui permit aux employés et à la direction de la compagnie de construire malgré tout une cohésion interne ? Les conditions de vie, les revenus, les origines sociales et géographiques des uns et des autres pouvaient bien différer, les opinions politiques pouvaient être diamétralement opposées, le sens de la mission dont la plupart se sentaient investis était partagé : il y avait une véritable foi dans la possibilité de changer la société par le cinéma. Les réalités économiques, d’abord, qui s’aggravèrent au milieu de l’année 1935, engendrant des grèves cette fois strictement salariales, puis, bien plus encore, la guerre de 1937, eurent raison de ce qui restait, envers et contre tout, de la compagnie. La mission n’en demeura pas moins vivante et c’est peut-être là que la qualité utopique du projet de la Lianhua se révèle : ce qui allait agoniser, sur plus de dix années, refusant de disparaître, était le désir de le voir un jour aboutir.
Notes de bas de page
1 Voir supra chapitre iv.
2 Marie-Claire Bergère, Capitalismes et capitalistes, op. cit., p. 146, note qu’il y avait 510 faillites en 1934 et 1065 en 1935.
3 D’après Cheng Jihua (éd.), Li Shaobai et Xing Zuwen (co-éd.), op. cit., t. I, p. 182.
4 Seize des trente-neuf salles de cinéma situées dans les quartiers de Zhabei et Hongkou sont détruites. Ce sont les salles distribuant les films chinois qui sont ainsi touchées. Ibid.
5 Selon Huang Xuelei, op. cit., p. 46-49, la Mingxing dépensa 120 000 yuans pour produire le premier film parlant chinois (avec le système son-sur-disque Pathé), là où un film moyen coûtait dans les 40 000 yuans. En juillet 1931, pour répondre à la concurrence, elle acheta tout un équipement pour produire des films parlants (son-sur-film) et en couleurs auprès de la Multicolor Company aux États-Unis. Mais la compagnie rencontra de nombreux problèmes lors de la production et diffusion des films prévus et se trouvait, selon certains, endettée à hauteur de 600 000 yuans à la fin de l’année 1931.
6 En 1933, cette compagnie participa à hauteur de 22,5 % de la production cinématographique chinoise pour 14 % pour la Lianhua et 12,5 % pour la Tianyi. Voir les statistiques proposées par
7 Cette dette passa de 47 320,72 yuans en 1932 à 3 millions de yuans en 1934. Voir Kwei Chungchu (éd.), The Chinese Year Book, 1935-1936, Shanghai, réédition Nendeln/Liechtenstein, Kraus, 1968, p. 984 et Yingjin Zhang, op. cit., p. 69.
8 Chen Mo, « Zhenguang bu mie… », art. cité, p. 35, note 19, citant Dianying xinwen, 13 juillet 1935, 1.2, p. 2 et Dianying xinwen, 7 juillet 1935, 1.1, p. 6 : « Effondrement en vue : rigueur, baisse des salaires, faillites ! »
9 Huang Xuelei, op. cit., p. 21.
10 Yingjin Zhang, op. cit., p. 42-43.
11 Selon Yingjin Zhang, ibid., qui s’appuie sur des sources contemporaines, environ 2 000 yuans en 1928, mais le coût variait plus vraisemblablement entre 4 000 et 6 000 yuans d’après ses estimations p. 45, tableau 2.4.
12 SMA, s. d. (75-76).
13 Gu Jianchen, « Zhongguo dianying fada shi » (Histoire du cinéma chinois), in Zhongguo dianying nianjian 1934, op. cit., p. 344. Guo Youshou, « Ershi er nian zhi guochan dianying » (L’industrie cinématographique chinoise de l’année 1933), in Zhongguo dianying nianjian 1934, op. cit., p. 188.
14 Diansheng ribao, 4 mai et 5 mai 1932, no 4 et no 5, « Lianhua gongsi buxing neibu da polie » (Rupture malheureuse à l’intérieur de la Lianhua).
15 Diansheng ribao, 4 mai 1932, no 4, art. cité. Selon ce même article, Herbes folles et fleurs sauvages aurait fait plus de quarante mille yuans de bénéfices.
16 SMA, s. d. (75-76). Voir supra, chapitre iv.
17 SMA (03-1933). Les actions étaient de 50 yuans.
18 SMA (09-1935) : Shanghai yinhang jingli xiansheng, di 9010 hao (Document de l’administrateur de la Banque de Shanghai, no 9101). Inspection du 7 septembre 1935, publié le 11 septembre 1935.
19 SMA (02-1935): Shanghai yinhang, di 7265 hao (Banque de Shanghai, no 7265). Inspection de février 1935, publié le 25 février 1935.
20 SMA (09-1935).
21 Li Minwei et Li Xi (coll.), op. cit., 1er janvier 1930. La Minxin se trouvait dans de grosses difficultés financières pour avoir investi jusqu’à 30 000 yuans (dix fois plus que le coût moyen d’un film à l’époque) dans son film Mulan qui ne fit pas recette comme espéré.
22 Voir Lu Jie, op. cit., 3-5 novembre 1929.
23 Voir supra, chapitre iii.
24 Lu Jie, op. cit., 18 novembre 1930 : « Discussion avec Luo qui retourne à Hong Kong : la Da Zhonghua-Baihe gongsi fait entrer toutes ses parties : revenus, équipements, films dans le capital ».
25 Lu Jie, op. cit., 11 février 1931.
26 Voir par exemple Lu Jie, op. cit., 8 février 1932, 2 juillet 1932 : « J’indique à Luo que la Lian’an n’a pas suffisamment de fonds de roulement. Il faut retourner voir Wu Xingzai pour discuter » ; 3 août 1932 : « Je parle avec Wu Xingzai des problèmes de fonds insuffisants ; si, par manque de négatif, on arrête de tourner, les pertes seront encore plus importantes » ; 8 août 1932 : « Télégramme à Hong Kong à Luo Mingyou : le 3e film de la Lian’an est fini, le 4e est prêt à être tourné, nous sommes en attente des fonds pour tourner. Si Wu Xingzai avance de son côté trop d’argent il ne pourra plus en avancer ensuite. Je demande à Luo d’indiquer la conduite à suivre. »
27 Lu Jie, op. cit., 11 novembre 1932 : « La Lian’an dispose de 30 000 yuans de capital ; elle est déjà endettée à hauteur de 20 000 yuans. J’ai plusieurs fois demandé à Luo Mingyou de trouver une solution. Aujourd’hui il m’a dit que sous deux jours la Lianhua apporterait 30 000 yuans et qu’il donnerait par ailleurs un capital liquide de 20 000. Mais on ne peut lui faire confiance ; il s’agit encore sûrement de paroles dans le vent. » Lian’an est le nom alors donné au Studio no 2.
28 Lu Jie, op. cit., 23 mai 1933 : « Luo convoque à nouveau une réunion des collègues, il annonce l’échec de l’appel à capital et des difficultés financières. »
29 Lu Jie, op. cit., 8 mai 1934 et 16 mai 1934.
30 Li Minwei mentionne que le Studio no 1 et trois de ses films ont été mis en hypothèque pour 20 000 dollars (Li Minwei et Li Xi [coll.], op. cit., 11 mai 1934). Lu Jie pour sa part mentionne à la même date une discussion autour d’une hypothèque de 30 000 yuans « pour finir les films de Cai, Zheng et Tan ».
31 Lu Jie, op. cit., 24 octobre 1935.
32 Par exemple : Lu Jie, op. cit., 9 juillet 1931 : « Je récupère 400 yuans que j’envoie à Wuxi (sur le tournage). »
33 Li Minwei et Li Xi (coll.), op. cit., 23 juillet 1935 : « Donne 2 000 dollars pour acheter caméra et matériel d’enregistrement. »
34 Par exemple Lu Jie, op. cit., 12 septembre 1932 : « Je cherche des moyens pour me procurer des fonds, je trouve tout juste l’argent des salaires » ou encore 24 octobre 1932 : « Les traites arrivent à échéance ; pour les coûts des négatifs aussi : 4 000 yuans. Je cours partout sans résultat, le soir je demande à Cuiyun de m’avancer 4 000 yuans ».
35 Voir infra chapitre x.
36 Lu Jie, op. cit., 23 juillet 1931.
37 Lu Jie, op. cit., 17 octobre 1932.
38 Lu Jie, op. cit., 21 décembre 1932 : « Plus de pellicule pour tourner L’Aube, j’en emprunte 2 000 pieds. »
39 Lu Jie, op. cit., 3 et 12 juillet 1935.
40 Lu Jie, op. cit., 5 septembre 1935 : « On est venu m’avertir qu’au département des scénarios que l’argent manquait pour écrire les scripts, les décors extérieurs sont prêts, mais on n’a pas d’argent pour passer à l’action. »
41 Lu Jie, op. cit., 21 octobre 1935 : « Le tournage de Fleurs de pétales fanées (Qi can hong, Wang Cilong) devait commencer aujourd’hui, mais on a accumulé les dettes chez Kodak… on ne peut plus y prendre de négatif et Luo a décidé de stopper le tournage. »
42 Lu Jie, op. cit., 3 octobre 1935.
43 Lianhua huabao, 16 mars 1935, 5.6, p. 7.
44 Voir infra chapitre x.
45 Lu Jie, op. cit., 16 avril 1932.
46 Lu Jie, op. cit., 12 janvier 1933.
47 Lu Jie, op. cit., 5 avril 1935 : « Tao Boxun dit qu’autrefois des gens trouvaient que le Studio no 2 dépensait de façon arrogante. Maintenant, c’est le contraire. »
48 Lu Jie, op. cit., 18 avril 1934 : « Wu Bangfan vient dire que Zhu (Shilin) a ordonné à Zhang de mettre fin au Studio no 2. Le soir réunion au restaurant Xin Ya, Luo (Mingyou) décide
49 Lu Jie, op. cit., 9 juillet 1935.
50 Marie-Claire Bergère, L’Âge d’or…, op. cit., p. 391, no 11. que le Studio no 2 continue comme de coutume avec des moyens réduits, mais ne stoppe pas » ; 8 mai 1934 : « Wu Bangfan vient discuter, il envisage de ne garder que Sun Yu, Cai Chucheng, Meng et de mettre un terme provisoire au Studio no 2 » ; 15 août 1934 : « J’envoie un télégramme à Luo pour réclamer les fonds ; reçois aujourd’hui une réponse : “préserver le Studio no 1 comme fleuron, stopper les deux autres studios”. »
51 Voir supra chapitre v, et Poshk Fu, « rewriting Lo Ming-yau… », art. cité, p. 108.
52 Huang Xuelei, op. cit., p. 44-46.
53 Voir infra chapitre vii.
54 La synthèse qui suit reprend les travaux de Zhiwei Xiao, op. cit., et de Wang Chaoguang, art. cité, p. 416-444.
55 Zhiwei Xiao, op. cit., p. 122-127.
56 Ibid., p. 133-139.
57 Les « Trois Principes du peuple » ou « Triple Démisme » (San Min zhuyi), héritage du Sun Yat-sen qui les formula en 1905 au moment de la fondation de la Ligue Jurée, devinrent la base du programme du Parti nationalise. Ils comprennent : le nationalisme (minzu zhuyi) entendu comme la centralité de la race Han ; la démocratie (minquan zhuyi) conçue comme la mise en place d’un État fort pour guider le peuple chinois vers la République et le bien-être du Peuple (minsheng zhuyi) qui reposerait sur une sorte de collectivisme mal défini. Voir Marie-Claire Bergère, Sun Yat-sen, op. cit., p. 174-194.
58 Zhiwei Xiao, op. cit., p. 127.
59 Ibid., p. 162-178.
60 Zhongguo dianying nianjian 1934, op. cit., p. 615-618. Le tableau des films censurés présentés dans cet ouvrage couvre la période allant du 15 juin 1931 au 20 février 1934, c’est-à-dire quasiment toute la période de fonctionnement du CNCF.
61 Selon « Dianying jiancha fa » (Règles de censure cinématographique), 3 novembre 1930 et « Dianying pian jiancha zanxing biao zhun » (Critères provisoires de censure cinématographique) (1932), in Zhonghua minguo, 5.1, p. 357-358. Parmi ces films interdits, seul Une perle brillante (Anshi mingzhu, de Guan Wenqing, studio de Hong Kong) nous est connu. Pour les deux autres, intitulés Le Cœur d’une épouse (Furen xin) et Le Chevalier caché du royaume de l’amour (Qintian yinxia), le réalisateur reste inconnu. Pour Le Chevalier…, l’interdiction intervient en vertu de l’accusation d’entrave aux bonnes mœurs et troubles de l’ordre public avec la précision suivante : « des scènes par trop vulgaires pourraient influencer les jeunes gens et les enfants ».
62 Le film intitulé La troisième demoiselle Lü, chevalier volant (Feixia Lu san Niang) était probablement un film d’arts martiaux. Le réalisateur de ce film reste inconnu.
63 Lu Jie, op. cit., 11 décembre 1933.
64 « Dianying pian jiancha », art. cité.
65 Lu Jie, op. cit., 20 février 1934. Le nouveau titre est La Route de l’espérance (Guangming zhi lu).
66 « Huang Shaohong, Wang Shijie zhi Xingzheng yuan cheng » (Lettre en réponse aux accusations de Huang Shaohong et Wang Shijie), 2 décembre 1933, annexe 3, in Zhonghua minguo, 5.1, p. 351.
67 Wang Chaoguang, art. cité, p. 420-421.
68 Zhiwei Xiao, op. cit., p. 142, Wang Chaoguang, ibid., p. 422.
69 Kwei Chungchu (éd.), op. cit., p. 973.
70 Sur différents exemples de censure, voir infra chapitre x.
71 Wang Chaoguang, art. cité, p. 424.
72 Ibid., p. 423.
73 Luo Mingyou, « Lianhua gongsi Minguo ershi wu nian du zhuang kuang bao gao shu » (État des lieux de la compagnie Lianhua durant l’année 1936), Lianhua huabao, 16 mai 1937, 9.3, p. 2.
74 Voir Cheng Jihua (éd.), op. cit., t. I, p. 296-297.
75 Wang Chaoguang, art. cité, p. 420. Voir aussi Laikwan Pang, op. cit., p. 53.
76 Shenbao, 20 janvier 1934, « Zhongguo qingnian chan gong da tongmeng xuan yan. Wei chanchu dianying jie chihua huodong » (L’Association des camarades anticommunistes de l’industrie cinématographique annonce son intention d’éradiquer les activités « rouges » dans le monde du cinéma).
77 Lu Jie, op. cit., 2 février 1934.
78 Rapport du président du gouvernement du Zhejiang Lu Diping : « Lu Diping guanyu huan jiu dianying yishu wei zhong gong xuan zhuan cheng » (Rapport de Lu Diping pour sauver l’art cinématographique de la propagande communiste chinoise), 3 avril 1933, in Zhonghua minguo, 5.1, p. 383-384.
79 Shenbao, 19 mars 1935, « Jizhe gonghui yu Lianhua gongsi jiaoshe jiejue jingguo » (Négociations en vue de régler le différend entre l’association des journalistes et la compagnie Lianhua).
80 Shenbao, 22 avril 1935, « Shanghai yishe gonghui zuo juxing chunji da hui » (Assemblée de l’Association des médecins de Shanghai hier).
81 Voir infra, partie 3.
82 Chen Mo, « Luo Zhengheng, Luo Zhengqiang, Luo Zhengliang… », art. cité, p. 49. Les enfants se souviennent que lorsque la famille habitait Hong Kong, leur père les voyait uniquement le dimanche.
83 Li Minwei et Li Xi (coll.), op. cit., 17 février 1932 : « Luo m’envoie un télégramme confidentiel de Hong Kong : “Ferme les studios de Shanghai et déménage à Hong Kong dès que possible”. » Lu Jie mentionne dans son journal un télégramme de même nature reçu le 24 février ; le 28 février, il rapporte que Zhu Shilin a reçu une lettre de Luo Mingyou lui disant de fermer les studios de Shanghai.
84 Lu Jie, op. cit., 15 novembre 1935 : « J’ai entendu dire que Luo était de retour, mais je ne le vois pas. »
85 Voir Lu Jie, op. cit., 31 octobre 1932 : « Le bureau de Shanghai vient demander à Luo quelle est sa politique pour la compagnie. Réponses creuses : il n’a en vérité aucune idée. » Voir aussi par exemple Lu Jie, op. cit., 16 novembre 1933 : « Luo est de retour à Shanghai, je discute avec lui des difficultés de la compagnie, mais aucune solution n’est trouvée. »
86 Lu Jie, op. cit., 9 juillet 1935, 6 septembre 1935, 18-29 décembre 1935.
87 Lu Jie, op. cit., 23 avril 1935. Le problème de contrôle des dépenses n’est cependant pas résolu. Le 25 juin 1935, Lu Jie note : « La compagnie ne fonctionne pas ; Luo mandate Tao Boxun et Wu Bangfan pour devenir secrétaires des affaires courantes du studio et diriger la comptabilité de celui-ci. »
88 Lu Jie, op. cit., 16 novembre 1935 : « Réunion. Luo dit que la Lianhua est sa création ; qu’il l’a mal gérée et qu’il a nui à tout le monde. »
89 Lu Jie, op. cit., 28 décembre 1935.
90 Lu Jie, op. cit., 28 mars 1932 : « Désaccord entre Luo et Xing (Wu Xingzai) sur la question de la compagnie. Hypothèque à Lu Gen : dans ce cas l’argent avancé par ma partie est perdu. » Voir aussi Lu Jie, op. cit., 30 mars 1932 et 1er avril 1932. Voir aussi Lu Jie, op. cit., 11 avril 1931 : « Réunion à la branche shanghaïenne de la Lianhua : trop long, trop de dispute, pas assez de résultats ».
91 Lu Jie, op. cit., 29 juin 1935 : « Grosse dispute cet après-midi entre Li Minwei et Luo Mingyou dans le bureau de Luo. Réunion l’après-midi, Luo décide qu’à partir du 1er juillet, on sépare en deux unités de production, Li et moi en avons chacun une sous notre responsabilité. » Les disputes continuent en juillet : Lu Jie, op. cit., 13 juillet 1935 : « Après la réunion, certains disent que Luo et Li se sont disputés toute la journée : Li veut tout le pouvoir dans le studio, Luo n’est pas d’accord. »
92 Lu Jie, op. cit., 1er mai 1935.
93 Lu Jie, op. cit., 4 septembre 1935 : « Le soir Tao (Boxun) et Wu Bangfan viennent me dire que Tao envisage de changer encore la structure de la compagnie ; ils voudraient que je devienne directeur des studios ; j’ai usé de toutes mes forces pour refuser tout en les remerciant. » Lu Jie, op. cit., 5 septembre 1935 : « Luo ayant réclamé de me parler, je suis allé au studio malgré ma maladie ; j’ai encore refusé d’assumer les fonctions de directeur de studio en proposant que Wu Bangfan s’en charge. »
94 Diansheng ribao, 4 et 5 mai 1932, no 4 et no 5, art. cité.
95 Lu Jie, op. cit., 21-26 avril 1932, 8 mai 1932, 23 juin 1932, 2 juillet 1932. Sur le règlement concernant l’échange d’acteurs et les coûts de l’emprunt, voir Diansheng ribao, 30 août 1932, no 122, « Lianhua gongsi fen er fuhe. Yanyuan keyi suiyi diaodong. Jie yong qi jian ling gei chou lao. Gongsi fangbian yanyuan ye hen pianyi » (La compagnie Lianhua s’est scindée, mais revient à des formes de collaboration. Les acteurs peuvent être enrôlés selon les projets. Durant le temps où ils sont « empruntés », ils reçoivent une compensation. La compagnie propose ainsi quelque chose de convenable pour ses acteurs à moindres frais).
96 Nous n’avons pas de date officielle de réunification, mais en mai 1933, Lu Jie évoque cette éventualité. Voir Lu Jie, op. cit., 12 mai 1933 : « la question de savoir si on en revenait à une autonomie ou si l’on continuait de coopérer se pose ».
97 Lu Jie, op. cit., 11, 15, 19 juillet 1933 et Li Minwei et Li Xi (coll.), op. cit., 23 juin 1933, 4, 14, 19, 22 juillet 1933.
98 Li Minwei et Li Xi (coll.), op. cit., 16 août 1931.
99 Li Minwei et Li Xi (coll.), op. cit., 10 juillet 1931 : « Grande réunion à Shanghai pour accueillir à la Lianhua Tao Boxun, Jin Qingyu. Participants : Li Jinhui, Xu Lai, Li Lili, Wang Renmei, Xue Lingxian, Hu Jia, Tang Tianxiu, Ye Juanjuan, Zhou Lili, Ruan Lingyu, Zhou Wenzhu, Wang Cilong, Zhu Shilin, Gao Xiping, Lu Hanzhang, Ou Weian, Bu Bangfan, Bu Wancang, Huang Tianshi, Huang Tianzuo ; Dan Duyu, Yin Mingzhu, Florence Lin Chuchu, Mai Manwai. Le banquet a lieu au Dongxi lou ». Lu Jie parle du restaurant Dongya.
100 Sun Yu raconte ainsi avoir habité dans « le sombre dortoir pour célibataires du Studio no 1 de la Lianhua, situé au bas de la rue Xiafei ». Voir Sun Yu, op. cit., p. 86.
101 Li Lili, Xingyun liushui : Huiyi, zhuinian, yingcun (S’en vont les nuages, coule l’eau : souvenirs), Beijing, Zhongguo dianying chubanshe, 2001, p. 30.
102 Nie Er, op. cit., 5 septembre 1931. Nie Er signe alors un contrat pour 25 yuans. Il commente : « Je n’y comprends rien : un type arrivé en même temps que moi reçoit 40 yuans et Yan Hua, arrivée avant moi, reçoit 3 yuans de moins : ce genre de différence est absolument inacceptable. » Par comparaison, un ouvrier des meuneries industrielles de Shanghai à cette époque gagnait entre 7 et 10 yuans. Voir Han Chaolu, Beyong the Neon Lights, Everyday Shanghai in the Early Twentieth Century, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 1999, p. 161.
103 Diansheng ribao, 30 août 1932, no 122, art. cité. Pour les salaires de Jin Yan et Ruan Lingyu, considérés comme les plus hauts de la compagnie, voir aussi Diansheng ribao, 4 mai 1932, no 4, art. cité. Selon l’article, Ruan Lingyu recevait 350 yuans de plus en bonus et une compensation de 30 yuans par jour si elle était « empruntée » par le Studio no 1. Jin Yan de son côté recevait un bonus de 150 yuans et les compensations d’emprunts se montaient à 15 yuans hebdomadaires. Quant à Chen Yanyan, elle touchait une aide au logement se montant à 10 yuans, un bonus de 100 à 150 yuans et des compensations journalières de 10 yuans.
104 Lianhua huabao, 3 septembre 1933, 2.10.
105 Sun Yu, op. cit., p. 90. Ce transfert ne s’effectua pas sans mal, il y eut d’importantes disputes entre le réalisateur et Luo Mingyou et Li Minwei qui cédèrent pour ne pas perdre un de leurs principaux « faiseurs de succès ».
106 Li Minwei et Li Xi (coll.), op. cit., 17 février 1932. La version de Lu Jie diffère : il mentionne d’abord un télégramme, envoyé de Hong Kong par Luo Mingyou le 5 février 1932, demandant que des films de guerre soient réalisés puis des réunions entre les réalisateurs et les producteurs (5 et 8 février 1932).
107 Lu Jie, op. cit., 26 février 1932 : « Début du tournage de Tous pour la Nation. Toute la Lianhua est mobilisée, mais les actrices du Studio no 1 (Lin Chuchu, Li Zhuozhuo) ne viennent pas ».
108 Lu Jie, op. cit., 9 février 1935 : « Luo vient pour préparer le déménagement du Studio no 2 dans le Studio no 1. Il attribue les sept pièces à l’arrière du Studio no 1 au Studio no 2 pour en faire ses bureaux. » Voir aussi 18 mars 1935 et 25 mars 1935.
109 Lu Jie, op. cit., 3 avril 1935.
110 Lu Jie, op. cit., 28 mars 1935.
111 Nie Er, op. cit., 1er février 1932.
112 Nie Er, op. cit., 3 janvier 1933.
113 Diansheng zhoukan, 23 mars 1934, 3.10, « Nanguo de ruyan. Chen Yanyan de san ai. Huang Shaofen… qiche… gou » (La petite hirondelle du Sud. Les trois amours de Chen Yanyan. Huang Shaofen… les voitures et les chiens).
114 Sur la façon dont la compagnie forgea des images médiatiques de ses actrices, voir Anne Kerlan, « The making of modern icons », art. cité et « Profession actrice : vie, carrière et mort des actrices chinoises », in Damien Paccellieri (dir.), Les Actrices Chinoises, Paris, Écrans d’Asie, 2010.
115 Nie Er, op. cit., 22 mars 1933.
116 Nie Er, op. cit., 4 et 28 octobre 1931, 10 janvier 1932.
117 Nie Er, op. cit., 14 février 1932. On peut ici interpréter ce « personne » comme « personne dans le groupe de danse et de chant de la Lianhua » auquel appartenait Nie Er ou « personne » de la compagnie, ce qui paraît moins probable.
118 Lu Jie, op. cit., 26 janvier 1932.
119 Nie Er, op. cit., 29 avril 1933.
120 Diansheng ribao, 21 août 1932, no 113, « Lianhua gongsi di yi chang fasheng canju. Peiguang ren ban kong die xia. Chen Yanyan da chi yi jing » (Tragédie au Studio no 1 de la Lianhua. Des assistants-éclairagistes tombent dans le vide. Chen Yanyan effrayée).
121 Lu Jie, op. cit., 8 et 14 janvier 1934. L’électricien fut électrocuté et mourut de ses blessures. Le 14 janvier, Lu Jie note qu’une cérémonie en sa mémoire a été organisée au studio. Lu Jie rapporte également deux accidents de tournage les 25 et 28 janvier 1931.
122 Lu Jie, op. cit., 15 février 1932 : « Cet après-midi, réunion au siège shanghaïen de la compagnie : on décide de baisser les salaires et de ne plus payer ceux qui ont demandé des congés. »
123 Lu Jie, op. cit., 3 octobre 1933.
124 Lu Jie, op. cit., 18 août 1934, 19 octobre 1934.
125 Lu Jie, op. cit., 30 juillet 1935 : « À la réunion de cet après-midi, il est décidé de régler les salaires jusqu’à fin mai. » Autrement dit, les employés perdaient deux mois de salaires (juin et juillet).
126 Lu Jie, op. cit., 4 novembre 1935.
127 Lu Jie note ainsi dès juin 1931 que beaucoup d’employés demandent des congés pour aller travailler sur les plateaux de la Tianyi, ce qui ralentit le rythme de construction des décors (Lu Jie, op. cit., 10 juin 1931).
128 Lu Jie rapporte le départ de plusieurs employés pour la compagnie Yihua à la fin de l’année 1933. On peut aussi se reporter à l’article du Diansheng ribao, 8 juin 1932, no 39, « Wang Cilong, Zhou Wenzhu tuili Lianhua » (Wang Cilong et Zhou Wenzhu quittent la Lianhua) ou à l’annonce passée par l’acteur et réalisateur He Feiguang dans Diansheng ribao, 20 juillet 1934, no 3.27, « Tuoli Lianhua yuanyin de zibai » (Mise au point sur mon départ de la Lianhua). Les circonstances de son départ, qui firent l’objet de rumeurs et articles de presse, sont intéressantes. Un des problèmes entre lui et la compagnie tourna autour de l’affaire d’un habit d’hiver, lui appartenant, qu’il avait mis en gage le printemps venu, comme c’était souvent le cas chez les personnes de revenu modeste. La compagnie lui avait demandé de porter cet habit pour la scène d’un film, mais avait refusé de lui avancer les cinquante yuans nécessaires au retrait de l’habit, alors même qu’elle n’avait pas payé à l’acteur son salaire depuis un mois et demi. Lorsque finalement elle retira le vêtement, elle prétendit que celui-ci lui appartenait désormais, ce qui provoqua une grave dispute entre l’acteur et son manager. Il était d’usage à la Lianhua que les acteurs fournissent leurs propres habits comme costume. Ce fut aussi le cas avec le manteau de fourrure que porta Ruan Lingyu dans Rêve de printemps dans une antique capitale.
129 Nie Er, op. cit., 2-29 mars 1932.
130 Nie Er, op. cit., 21 mars 1932. Le mot « capitaliste » est barré dans le manuscrit.
131 Diansheng ribao, 30 juillet 1932, no 91, « Lianhua gongsi neibu raodong. Daoyan zhiyuan lianhe fandui Rendao » (Remous à la Lianhua. Le personnel et les réalisateurs s’opposent à L’Humanité).
132 Voir supra chapitre v.
133 Sur la réception contrastée de L’Humanité, voir infra, chapitre xii.
134 Voir supra chapitre iv et Diansheng zhoukan, 7 juillet 1934, 2.25, art. cité.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'acteur de cinéma: approches plurielles
Vincent Amiel, Jacqueline Nacache, Geneviève Sellier et al. (dir.)
2007
Comédie musicale : les jeux du désir
De l'âge d'or aux réminiscences
Sylvie Chalaye et Gilles Mouëllic (dir.)
2008