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Les sociétés en guerre sur mer
p. 494-502
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Texte intégral
1La mondialisation c’est la guerre. Il est évident que cette affirmation est excessive et que la guerre sur mer est une réalité bien antérieure. Pourtant le volet militaire est indissociable de la politique mercantiliste douanière et d’expansion coloniale mise en œuvre par des états qui s’affirment. L’océan est à la fois un enjeu et un théâtre majeur des affrontements entre les puissances européennes. L’usage de l’arme maritime se vérifie par la multiplication des guerres navales au cours du xviie siècle. Ce sont d’abord des guerres bilatérales entre l’Espagne et les Provinces-Unies, entre l’Espagne et l’Angleterre puis entre l’Angleterre et les Provinces-Unies. Surtout ces affrontements deviennent des conflits européens généralisés, durant les guerres de la ligue d’Augsbourg (1688-1697) et de Succession d’Espagne (1702-1713) où le théâtre d’opération maritime est essentiel.
Des Marines de guerre
2Avant 1650, les flottes de guerre sont non permanentes, constituées de navires marchands aménagés, mais les états ont la capacité d’armer des flottes nombreuses, à l’instar de l’Espagne qui réussit à armer une armada de 125 vaisseaux avec 28 000 hommes contre l’Angleterre en 1588. D’ailleurs ces navires sont avant tout utilisés pour le transport de troupes et la protection de la marine de commerce. Les batailles navales qui ont lieu sont des chaos de mêlées confuses et des abordages où les troupes sont plus importantes que la puissance de l’artillerie. Néanmoins l’Espagne et l’Angleterre tentent de mettre sur pied leur marine militaire. L’Espagne utilise généralement des navires loués à des propriétaires privés et dont la construction, dans la perspective d’un usage éventuellement militaire, a bénéficié de subventions royales. Au début du xviie siècle, l’État contrôle les chantiers de constructions navales de Barcelone, Cadix et Bilbao avec le souci de la normalisation des types de construction. La Junte de Armada dispose de deux flottes, l’une « l’Armada de Guardia » dont la mission est de protéger les flottes américaines, l’autre « l’armada del mar océano » affectée à la protection des intérêts espagnols en Europe. La guerre avec les Pays-Bas oblige à mettre en place une organisation locale sur Bruxelles et Dunkerque, et les difficultés financières de la monarchie nécessitent d’avoir massivement recours à la guerre de course. L’Angleterre s’est dotée très tôt d’une administration centrale avec le Board of admiralty et le Navy Board et possède des arsenaux à Portsmouth, Woolwich, Deptford, Chatham. La Navy dispose d’un nombre relativement élevé de vaisseaux sous l’impulsion d’une politique de construction menée notamment par Charles Ier et Cromwell, même si elle doit toujours recourir, en période de conflit à l’incorporation temporaire de navires marchands.
3Si les effectifs de la flotte espagnole décroissent, il faut observer une croissance forte des flottes anglaise, française et hollandaise dans la seconde moitié du xviie siècle. Elle s’accompagne d’une modification de l’art de la guerre sur mer et de la mise en place de marines spécialisées et permanentes. Les guerres anglo-hollandaises constituent un tournant décisif (1652-1654, 1665-1667, 1672-1674)48. La guerre navale se militarise et impose le dogme de la ligne de file. C’est l’Amirauté britannique qui définit le combat en ligne de file. C’est une ligne ininterrompue de vaisseaux protégeant leurs proues et leurs poupes, faisant face à une autre ligne de file ininterrompue à une distance de 150 à 300 mètres, le combat mettant aux prises deux puissantes artilleries de flanc. Cette tactique est indissociable d’une mutation de la construction navale. En effet, seuls les vaisseaux de ligne suffisamment armés vont s’imposer. Cela signifie au moins 30 puis 40 canons avant 1670 et à la fin du xviie siècle 50 canons49. Le choix d’une artillerie de flanc va modifier la conception et la hiérarchie des vaisseaux. D. J. Lyon indique que le système des six rangs apparu au milieu du xviie siècle pour servir de référence comptable aux soldes et de tableau d’avancement des capitaines va servir à classer la taille et la puissance de feu des navires50. Les armées navales qui s’affrontent sont de plus en plus nombreuses, avec 70 à 80 % de vaisseaux de ligne (160 à Solebay, 140 à Bévéziers, 130 à Barfleur, 103 à Vélez-Malaga). La puissance de feu est considérable comparée à celle mobilisée dans les combats terrestres. 4 600 pièces françaises contre 4153 aux autres assaillants à Bévéziers, 3 142 contre 8 980 à Barfleur. Le nombre de boulets tirés est plus qu’impressionnant : 400 000 à Solebay, 102 886 pour les seuls français à Vélez-Malaga51. Si le brûlot est encore utilisé aux batailles de Palerme, La Hougue et Vigo, le sort de la bataille dépend de l’artillerie. Monck et Ruyter, lors des guerres anglo-hollandaises avaient utilisé la ligne de file comme tactique de chaos pour détruire les forces ennemies et obtenir une victoire décisive. En revanche Tourville impose une version défensive de la ligne de file. Il ne s’agit plus de gagner mais d’apparaître comme le meilleur, ce qui fait dire à Daniel Dessert que « la réputation d’indécision et de stérilité des combats en ligne n’est pas usurpée ». La guerre sur mer présente trois formes différentes d’affrontements. La promotion de la frontière maritime fait que les escadres s’affrontent dans des batailles navales qui se déroulent à proximité des côtes européennes, notamment en Manche, du moins jusqu’à la défaite française de La Hougue en 1692 : 1672-1678 : combats de navals de Solebay, Schooneveldt, Texel ; Alicudi, Agosta, Palerme ; 1688-1697 : Bévéziers, Barfleur-La Hougue. Sur les mers coloniales, à la fin de la guerre de la ligue d’Augsbourg et pendant la guerre de Succession d’Espagne, les opérations militaires maritimes, mais dans le cadre de la guerre de course, relève du raid destructeur ou du pillage. Mais la guerre maritime va toucher les populations littorales. Elle se traduit par des débarquements sur le littoral, des bombardements qui prennent pour cibles des sites stratégiques, avec l’objectif de les neutraliser. Durant la guerre de la ligue d’Augsbourg, la Navy va multiplier les bombardements contre Saint-Malo, Dieppe, Le Havre, Dunkerque, l’île de Ré, les Sables-d’Olonne. Elle va débarquer ses troupes à Camaret, avec pour cible, Brest. Elle va mettre le blocus devant Toulon.
L’État, des Arsenaux et des hommes
4« L’état et le gouvernement en Angleterre ne sont pas fondamentalement affectés par la naissance d’une importante marine permanente : elle existait depuis les années 1620 et 1630 […]. Mais c’est dans la politique française que les changements sont le plus remarquables » écrit J. R. Bruijn. La construction de l’État s’est faite tout d’abord en regardant vers les frontières terrestres orientales. Les zones côtières sont perçues comme des territoires sauvages, incontrôlés, des confins mal connus et redoutés. Le xviie siècle constitue un tournant dans la perception du littoral. L’État, à travers les initiatives de Richelieu et Colbert, montre une double lecture des zones côtières. C’est d’abord une zone frontière qu’il faut défendre, c’est ensuite le point d’appui de sa politique de protection océanique. Les implications de ce nouveau regard de l’État sont la militarisation du littoral à travers d’une part, les fortifications pour résister aux opérations de débarquements et aux agressions, d’autre part les ports-arsenaux. Il faut remarquer que la France porte une attention particulière à la défense terrestre du littoral, les Anglais faisant davantage confiance à son « wooden wall ». Cette militarisation passe par un encadrement institutionnel qui a un double objectif. D’abord, il s’agit d’une normalisation administrative qui s’accompagne d’une substitution des agents de l’État à ceux des seigneurs, ensuite l’État met en place un système de contrôle et d’acculturation des populations du littoral. Cette institutionnalisation aboutit à tisser un maillage serré sur les régions côtières. Les amirautés de l’état colbertien sont les instruments d’une police de navigation et de commerce, tandis que le système des classes introduit le premier régime de conscription des gens de mer.
5Les états doivent disposer d’arsenaux. La géographie de leur implantation témoigne des enjeux atlantiques. En Angleterre toutes les bases se trouvent sur la Tamise ou sur la côte sud. Chatham, sur la Tamise, s’est développé pour affronter les Hollandais au milieu du xviie siècle et Sherness est créé en 1666 comme base avancée de Chatham. En revanche, à partir de 1688, avec la disparition du risque hollandais et la montée de la menace française, la nécessité de renforcer le dispositif sur la côte sud favorise le développement de Portsmouth et la création de Plymouth. Le dispositif français avant Louis XIV comprend deux embryons d’arsenaux à Toulon et Brest. Vauban se charge de l’aménagement de Toulon. Sur le Ponant, le dispositif de Richelieu (Le Havre, Brest et Brouage) se trouvait réduit à Brest. Sous Louis XIV, le développement de Brest, la création de Rochefort en 1665, la récupération de l’arsenal de la compagnie des Indes en 1685 par Seignelay, démontrent l’importance du dispositif atlantique. En Espagne, le virage atlantique, pour reprendre une expression de M. Acerra52, s’observe à travers l’abandon de Barcelone au profit de Carthagène et de Guarnizo (province de Santander), tandis que Cadix confisque au détriment de Séville la fonction militaire. Néanmoins les états ont fait des choix différents en matière de construction. Le choix français est clair. La marine d’état doit être intégralement construite dans les arsenaux d’état, ce qui n’exclut pas le recours conjoncturel à des chantiers civils. En Angleterre, l’effort de construction est réparti entre les arsenaux d’état et les chantiers privés.
6Ainsi sur les 72 vaisseaux lancés entre 1688 et 1697, 38 sortent des chantiers privés, 34 des arsenaux de la Navy. Ces villes présentent souvent un profil monolithique. Les ouvriers de la construction navale, les personnels de la Marine, les équipages et les troupes encasernées constituent les effectifs de ces sociétés urbaines particulières qui connaissent un premier développement à la fin du xviie siècle.
7Les navigants à la pêche et au commerce représentent un effectif global en Europe de 350 000 hommes. L’un des enjeux majeurs de la constitution des flottes de guerre est leur mobilisation pour constituer les équipages en temps de guerre. Encore fallait-il pouvoir les compter ! C’est le sentiment d’une baisse des effectifs des marins qui pousse les autorités espagnoles à instituer en 1626 un recensement des navigants et à mettre en place la matricula qui collecte les informations sur chacun d’entre eux. André Zysberg considère qu’il y aurait 50 000 seamen en Angleterre en 1690. La Navy solde en temps de guerre de 40 000 à 50 000 marins et soldats. Durant la guerre de la ligue d’Augsbourg, les effectifs embarqués passent de 12 714 en 1688 à 44 743. Or, poursuit André Zysberg, 20 000 à 30 000 marins sont indispensables pour la pêche et le commerce maritime sans oublier les besoins des corsaires. Il fallait donc recruter en dehors du milieu maritime. Le recrutement reposait traditionnellement sur le volontariat des gens de mer, attirés par la prime d’engagement, et sur la presse, mais qui restait d’un usage exceptionnel jusqu’à la guerre de la ligue d’Augsbourg. Les besoins en hommes entraînent des modifications essentielles l’Impress service est chargé à l’intérieur de l’Admiralty board d’une politique de recrutement qui gère, grâce à un réseau d’un millier d’auxiliaires, les engagements volontaires, la presse, et la recherche de déserteurs. Surtout, « une nouvelle catégorie de matelots apparut alors sur le muster’s books, celle de landmen, qui étaient payés 18 shillings par mois, soit un shilling de moins qu’un ordinary seaman53 ». Le choix de Colbert est d’instaurer un véritable service militaire qui contraint les gens de mer à servir sur les bâtiments de la flotte royale. « Le 12 novembre 1669 est la véritable date de la naissance de la marine française : ce jour là le Roi décida que l’ensemble des personnels de la Marine serait dorénavant nommé par lui et non plus par l’Amiral de France ou le Grand-maître54… » Cette royalisation se traduit par la mise en place d’un processus de recensement. Les ordonnances qui mettent en place le système des classes sont nombreuses : septembre 1669, janvier 1670, mars 1671, août 1673, puis 1683, 1689, sans compter les textes d’application de 1692-1693. En 1668, le système est expérimenté sur la côte d’Aunis-Saintonge et le résultat n’est pas très concluant lors de la guerre de Hollande. Le système se met en place entre la paix de Nimègue et le début de la guerre de la ligue d’Augsbourg. L’ordonnance de 1689 crée l’administration des classes avec ses circonscriptions (six départements et 80 quartiers) et ses personnels. Cette conscription concerne les gens de mer et ceux qui exercent des métiers paramaritimes. Ce sont les marins, les pêcheurs, les ouvriers de la construction navale (charpentiers, calfats, voiliers cordiers, poulieurs). Les besoins en hommes ne cessant de croître, le système des classes ne cesse de s’étendre à d’autres catégories dans l’arrière côte, les estuaires et les vallées fluviales, mais les zones frontières du Labourd et de Flandres y échappent. Les inscrits sont mis en fiches, remises à jour lors de revues, avec l’ensemble des informations sur leur vie familiale et professionnelle. Ils sont répartis en trois ou quatre contingents ou classes. Chaque classe sert à tour de rôle un an sur les vaisseaux du roi ou dans les arsenaux dans le cadre des levées. Le service des classes est contraignant et trop faiblement compensé. En période normale, ils ne peuvent naviguer sans avertir le bureau des classes. En période de service ou de levée potentielle, ils ne peuvent s’embarquer sur les navires de pêche ou de commerce. La rémunération durant le service et les contreparties qui sont mises en place ne suffisent pas toujours pour faire accepter ce système qui pèse lourdement sur les sociétés et les économies littorales55. En revanche pour la Marine, c’est une main-d’œuvre à bon compte dont elle n’avait pas à assurer la formation. Les gens de mer étaient sous le contrôle de l’État. T. J. A. Le Goff donne un effectif global de l’ordre de 50 000 à 55 000 hommes pour la période 1686-1700 avec un maximum de 55 090 pour 169056. Alain Cabantous donne la répartition régionale suivante des 52 106 officiers mariniers et matelots de 1686 : Picardie/Normandie (9 861), Bretagne (14 823), Sud-Ouest (12 270), Levant (15 152)57. Mais il faut rester prudent sur ces chiffres et ne pas oublier que les populations littorales gèrent leur territoire et leur temps et qu’il n’y a pas un cloisonnement étanche entre le monde de la mer et de la terre. La pluriactivité est dominante sur les côtes et le rapport à la mer est pluriel. Aligner différents types d’embarquements selon le calendrier maritime, alterner les activités maritimes avec les activités artisanales et agricoles caractérise « la carrière » d’un bon nombre de gens de mer58. La militarisation et l’étatisation du littoral dans le dernier tiers du xviie siècle, qui se traduit par la mise en place des amirautés, des quartiers maritimes, sans oublier les traites, font des habitants du littoral la population la plus surveillée du territoire.
La guerre de course
8Le droit corsaire s’impose au xvie siècle. La guerre de course se pratique avec des bâtiments appartenant à des particuliers qui ont reçu une commission de la part du souverain qui équivaut à une véritable délégation du souverain qui autorise son titulaire à faire la guerre aux navires ennemis. Le monarque peut lui-même armer en course soit directement avec sa flotte, soit indirectement dans le cadre d’armements mixtes. Néanmoins il faut souligner que, les Espagnols, au nom du traité de Tordésillas assimilent les corsaires des autres pays européens à des pirates.
9Patrick Villiers59 souligne que « la guerre de course a été la stratégie dominante des cités marchandes de l’Atlantique, de la Manche et de la mer du nord au xvie ». Elle « est un élément essentiel de la stratégie et de l’économie maritime jusqu’en 1680 ». Il donne des indications chiffrées éloquentes. Pendant la guerre anglo-espagnole de 1585-164, plus de cent corsaires anglais sont armés chaque année. Les Anglais ont fait 300 prises lors de la guerre contre la France et l’Espagne en 1624-1629. La course espagnole qui opère à partir des ports des Pays-Bas, Dunkerque, Ostende, Nieuport, est particulièrement efficace de 1621 à 1648 lors de la guerre contre les Provinces-Unies. J. Everaert évalue le butin de la course des trois ports à 30 millions de florins durant la période 1627-1658, « ce qui signifiait que la course était devenue une besogne lucrative à part entière bien qu’intérimaire60 ». La course est en effet une activité de reconversion pour continuer à faire du profit quand l’exercice des activités de commerce et de pêche n’est plus praticable. Aussi les navires de course ne sont que des navires de temps paix dotés d’une artillerie et d’un équipage renforcé. Il ne faut pas s’étonner de trouver des petits tonnages parmi les corsaires de Dunkerque et des îles anglo-normandes qui se livrent à la pêche harenguière ou cabotage et de plus gros tonnages à Saint-Malo, Londres Cadix qui disposent de flottes océaniques ou de grand cabotage. P. Villiers souligne que les meilleurs équipages sont issus d’une part de la pêche morutière en Islande et à Terre-Neuve et d’autre part du smooglage, que pratiquent les Dunkerquois et les Anglo-Normands, ou du trafic interlope océanique. À partir de la guerre de Hollande les plus grands ports corsaires se situent dans les mers étroites : Saint-Malo, Jersey-Guernesey, Dunkerque, Flessingue et Londres. Mais cette guerre de course privée n’est qu’un des volets de la guerre au commerce et de la guerre du commerce durant les guerres maritimes de la période 1670-1714. En effet, En France, les objectifs économiques des guerres apparaissent très clairement dans les cibles désignées à de puissants armements. En 1691, les escadres de J. Bart et Forbin s’attaquent aux pêcheries hollandaises sur le doggerbank, en 1693 aux flottes baleinières du Spitzberg et de Groenland. En 1692, c’est la flotte anglaise de la compagnie de Moscovie qui est la cible. En 1693, la flotte de Tourville s’empare du Convoi de Smyrne d’une valeur de 30 millions de livres. Mais les ressources d’outre Atlantique constituent les enjeux principaux. En mars 1697, une escadre de Pointis-Ducasse, où sont intégrés des flibustiers, attaque Carthagène au cœur de l’empire espagnol et ramène un butin de 8 millions de livres61. En 1708, Duguay-Trouin réussit la mise à sac de Rio de Janeiro, détruisant quatre vaisseaux, deux frégates, soixante navires marchands, ramenant 1300 kilos d’or fin et quatre millions de marchandises. En réalité, après l’échec de La Hougue face à la Navy, la France passe de la guerre directe à la guerre d’usure, à la guerre au commerce par le biais d’armements mixtes qui associent l’État et les investisseurs privés. J.-Y. Nerzic définit ainsi un armement mixte : le roi prête ses bâtiments et fournit les moyens militaires ; les bâtiments sont armés dans un arsenal de la Marine, le roi fixe la répartition du produit des prises. Une société de droit privée, généralement par actions, assure le recrutement des équipages et avance les fonds pour financer les soldes, les vivres et les approvisionnements. Ces investisseurs sont des traitants, des grands serviteurs de l’État, des membres de la cour, des négociants d’envergure. Les officiers des amirautés délivrent les commissions et conduisent les procédures des prises.
10Si l’on considère que la guerre de course à deux objectifs, miner la puissance économique de l’ennemi, permettre au négoce de faire du profit tout en apportant une force militaire auxiliaire qui oblige l’adversaire à mobiliser des moyens dans des missions d’escorte et de protection, quel bilan peut-on tirer ? De 1695 à 1717, la guerre française au commerce a enregistré 10 000 prises (D.Starkey62 donne le chiffre de 7 000) contre 2 000 prises enregistrées en Angleterre. Si après La Hougue, la Navy à la suprématie navale, elle est plus virtuelle que réelle. La guerre de course dans toutes ses dimensions en dispersant les flottes anglaises a maintenu ouverts des marchés. Les trafics passent vers les Antilles et l’océan Indien. Ainsi la guerre a préparé l’essor du commerce maritime français. Si la guerre de course est bénéficiaire durant les guerres de la ligue d’Augsbourg à Saint-Malo et à Dunkerque, André Lespagnol63 précise : « La minceur des surplus nets […], ne nous permet pas de conclure que la course ait été un secteur d’accumulation exceptionnel, dans une période qui passe pourtant pour avoir été celle de son apogée historique, et qui le fut effectivement, si l’on en juge par le volume des armements et la masse brute des résultats. » Il considère que c’est au niveau des négociants et des intéressés aux investissements qu’il faut faire le bilan. Quelques réussites exceptionnelles font oublier les pertes et les faillites. La course est d’abord une activité de substitution, un moteur auxiliaire d’accumulation du capital mais très sélectif au profit de quelques-uns, à l’exemple de Danycan, simple armateur terre-neuvier en 1689, négociant de premier plan au lendemain de la paix de Ryswick.
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Bibliographie
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Notes de bas de page
47 Ce tableau issu des Travaux de Modelski et Thompson cités dans le chapitre intitulé « Les États et leurs marines de la fin du xvie siècle à la fin du xviiie » de Jaap. R. Bruijn in Contamine P., Guerre et concurrence entre les États européens du xive au xviiie siècle, Paris, PUF, 1998, p. 85-121.
48 Poussou Jean-Pierre, Les Îles britanniques, les Provinces-Unies, la guerre et la paix au xviie siècle, Paris, Economica, 1991.
49 Acerra Martine et Zysberg André, L’Essor des Marines de guerre européennes (1680-1790), Paris, SEDES, 1997 ; Acerra Martine (dir.), L’Invention du vaisseau de ligne, 1450-1700, Éditions SPM, 1997 ; Laver B., The Ship of line, Londres, 1983.
50 Acerra Martine, Merino José et Meyer Jean, Les Marines de guerres européennes, PUPS, 1985, 448 p.
51 Dessert Daniel, La Royale, vaisseaux et marins du Roi-Soleil, Paris, Fayard, 1996, p. 262-265.
52 Acerra Martine et Zysberg André, L’Essor des marines européenne, p. 30.
53 Ibid., p. 135-150.
54 Verger-Franceschi Michel, La Marine française au xviiie siècle, Paris, SEDES, 1996, p. 36.
55 Nous ne disposons pas de chiffres concernant la ponction démographique sur la communauté des gens de mer du service en période de guerre. Néanmoins, la fourchette admise pour la période 1672-1814 est de 10 à 25 % des effectifs engagés.
56 Le Goff T. J. A., « Offre et Productivité de la main-d’œuvre dans les armements français au xviiie siècle », Histoire, Économie et société, n° 3, 1983, p. 454.
57 Cabantous Alain, Les Citoyens du large, les identités maritimes en France (xviie-xixe siècle), Aubier, collection historique, 1995.
58 Le Bouëdec Gérard, « La pluriactivité dans les sociétés littorales xviie-xixe siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 109, année 2002, n° 1, p. 61-89.
59 Villiers Patrick, Marine royale, Corsaires et trafics dans l’Atlantique de Louis XIV à Louis XVI, SDA, 1991 ; Villiers Patrick et alii, Les Européens et la mer : de la découverte à la colonisation (14551860), Paris, Ellipses, 1997, p. 166.
60 Everaert J., « La vocation maritime de la Flandre, la course ou la pêche : une alternative », Richezza del mare, Richezza dal mare, Secc. xiiie-xviiie, Atti delle « Trentasettesima di Studi », 11-14 avril 2005, série II, 37, Instituto internationale di Storia Economica, Prato, mai 2006, p. 1075-1089.
61 Nerzic Jean-Yves et Buchet Christian, Marins et flibustiers du Roi-Soleil, Carthagène 1697, PyréGraph, 2002, 276 p.
62 Starkey David-John, British Privateering Enterprise un the xviiith century, Exeter University Press, 1989, 344 p.
63 Lespagnol André, La Course malouine au temps de Louis XIV, Rennes, Apogée, 1995, 188 p.
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