4. Le financement de la vie politique et les primaires ouvertes en France
p. 125-140
Texte intégral
1Le 25 avril 2016 ont été adoptées la loi organique no 2016-506 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle modifiant, en application de l’article 6 de la Constitution, la loi no 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel, et la loi no 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections. Ces deux lois procèdent à une réforme d’ensemble de l’élection présidentielle et de certaines dispositions du code électoral1.
2Certaines des modifications apportées portent sur le contrôle des dépenses électorales. D’une part, la loi organique confirme finalement le délai d’un an d’imputation des dépenses aux comptes de campagne de l’élection présidentielle (art. 6) en insérant un nouvel alinéa dans la loi de 1962 d’après lequel « Pour l’application des deuxième et troisième alinéas de l’article L. 52-4 du code électoral, le mandataire recueille, pendant l’année précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses engagées en vue de l’élection ». Cette précision est essentielle car la loi ordinaire modifie d’autre part la durée de contrôle pour les autres élections à six mois par la modification de l’article L. 52-4 du code électoral (art. 2), changement heureux car plus conforme à la réalité des campagnes locales.
3Initialement, la proposition de loi organique prévoyait pourtant exactement l’inverse, c’est-à-dire entendait réduire le délai d’imputation des dépenses pour la présidentielle à six mois. Pourquoi ? Pour un problème concernant directement les primaires ouvertes.
4L’idée venait d’une proposition de la CNCCFP (Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques) émise dans ses rapports 2013 et 2014, qui mettait en avant le problème du président-candidat et la difficulté à saisir les primaires ouvertes, laquelle pourrait être résolue en réduisant le contrôle des comptes de la présidentielle à six mois (CNCCFP, rapport 2014, p. 89). Le délai d’un an fut rétabli par un amendement du député Romain Colas (V., rapport sur l’évaluation de la pertinence des dispositions législatives et réglementaires relatives au financement des campagnes électorales et des partis politiques, présenté par M. Romain Colas, AN, 15 juillet 2015), soucieux de l’effet d’une telle modification sur le contrôle des primaires. Pour lui, en effet, il aurait existé un risque réel à adopter cette réforme, qui aurait eu pour effet de faire échapper les primaires ouvertes à tout contrôle : « Je crois profondément que, si nous n’y prenons pas garde, le prochain scandale politico-financier sera lié au financement des élections primaires » (Assemblée nationale, débats de la séance du 16 décembre 2015, amendement no 56). Le pire a donc été évité. C’est qu’il existe des problèmes juridiques importants aujourd’hui avec les primaires ouvertes. Cette question n’est pas résolue en l’état du droit.
Problématique générale : l’argent et les primaires
5Le problème que l’on propose d’explorer ici est le rapport entre le droit des financements politiques et les primaires ouvertes. En effet, il n’existe pas en droit français de dispositions spécifiques sur les primaires et celles-ci sont soumises au droit commun. Cela entraîne toutefois un état du droit très incertain pouvant donner lieu à un jeu politique.
6En France, tout candidat à une élection, et pour les élections municipales si la commune comporte plus de 9 000 habitants2, doit établir un compte de campagne retraçant l’ensemble des recettes perçues et des dépenses engagées en vue de l’élection3, à compter de l’année précédant le premier jour du mois de l’élection4 (depuis la loi no 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables « dans les six mois », pour toutes les élections sauf la présidentielle). Les dépenses sont plafonnées. Le montant de ce plafond est pour l’élection présidentielle fixé par la loi no 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel : il est établi à 13,7 millions d’euros pour le premier tour et porté à 18,3 millions d’euros pour chacun des candidats présents au second tour. Cependant, conformément au dernier alinéa de l’article L. 52-11, applicable à l’élection présidentielle, dans sa rédaction issue de la loi de finances no 2011-1977 du 28 décembre 2011, ce plafond est actualisé tous les ans par décret (mais il est gelé à partir de 2012). Le dernier texte intervenu est le décret no 2009-1730 du 30 décembre 2009 portant majoration du plafond des dépenses électorales qui fixe le coefficient de majoration à 1,23. Sur le fondement de ce texte, les plafonds de dépenses autorisées se sont élevés respectivement à 16,851 millions d’euros et à 22,509 millions d’euros5. Pour les autres élections, le plafond est fonction du nombre d’habitants de la circonscription ou de la collectivité territoriale6. Le respect du plafond conditionne le remboursement forfaitaire des frais de campagne par l’État7 et leur non-respect peut donner lieu au prononcé d’inéligibilités par le juge de l’élection, lesquelles peuvent conduire à des annulations d’élection8, sauf pour la présidentielle, l’inéligibilité n’étant pas applicable9.
7La question de l’articulation de ces dispositions avec les primaires ouvertes pose beaucoup de difficultés. Les dépenses des primaires ouvertes doivent-elles être imputées aux comptes de campagne des candidats et dans quelle mesure ? La réponse n’est pas du tout stabilisée. Or elle est porteuse d’enjeux très forts, en termes d’accès et d’utilisation des ressources financières, de contrôle de ces ressources, de respect des plafonnements, ou de la menace de sanctions administratives ou pénales liées au non-respect des dispositions du code électoral. La question de la règle et de son utilisation peut aussi faire l’objet d’un jeu entre les acteurs : manipulation dans un sens ou dans une autre en fonction des objectifs politiques, possibilité d’augmenter ses dépenses de campagne en profitant des incertitudes de la législation, remise en cause de l’élection de l’adversaire politique sur ce fondement par des recours juridiques, etc. Les règles financières des primaires constituent un enjeu présent et sans aucun doute d’avenir eu égard à la diffusion du dispositif, et elles ne manqueront peut-être pas, comme les autres règles liées au financement de la vie politique, d’être instrumentalisées dans le jeu politique10.
Les primaires présidentielles : la position de 2012
8Les réponses de la CNCCFP à la question de l’imputation des dépenses de primaires ouvertes ont beaucoup varié. Dans son Mémento à l’usage du candidat et de son mandataire relatif à la présidentielle de 2012, elle ne distingue pas entre les primaires fermées et les primaires ouvertes et considère que les dépenses engagées dans le cadre de primaires ne présentent pas, en principe, le caractère de dépenses engagées en vue de recueillir le suffrage des électeurs devant être imputées aux comptes de campagne, tout en réservant l’hypothèse de dépenses faites à cette occasion en vue des électeurs à l’élection présidentielle à venir, mais relevant alors de la catégorie des dépenses électorales présidentielles classiques11.
9Dans sa décision du 19 décembre 2012 relative au compte de campagne de François HOLLANDE, elle a précisé la position adoptée dans le mémento, en considérant qu’il fallait intégrer dans les comptes « certaines dépenses d’impressions et de réunions publiques, effectuées avant ou pendant la campagne de la « primaire » et visant la promotion du candidat auprès des électeurs [qui] relèvent du scrutin présidentiel » car ces dépenses relèvent des « dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection et spécifiquement destinées à l’obtention des suffrages ». Cela ne signifie pas l’imputation de toutes les dépenses de la primaire, mais seulement de celles qui, au sein de la primaire, ont pour but de promouvoir le candidat auprès de l’ensemble des électeurs. En pratique, cela a conduit à la solution suivante : au départ, le compte de campagne comportait une somme de 299 546 euros de dépenses relatives à la « primaire » organisée en 2011 par le Parti socialiste. Cependant, pour la CNCCFP, certaines dépenses d’impressions et de réunions publiques effectuées avant ou pendant la campagne de la « primaire » et visant la promotion du candidat auprès des électeurs relevaient du scrutin présidentiel mais n’avaient pas été imputées au compte de campagne, et à ce titre elle a considéré qu’il convenait de réintégrer une somme de 65 010 euros aux dépenses payées par les formations politiques. Certaines dépenses ayant par ailleurs été reformées à cause d’une erreur de double comptabilisation, la CNCCFP a donc imputé au compte la primaire pour un montant de 330 000 euros environ12.
10La consultation du compte de campagne et des documents de la procédure contradictoire permet de mieux comprendre le raisonnement de la CNCCFP à cette occasion. S’il est depuis longtemps admis que l’on peut accéder sur demande aux comptes de campagne considérés juridiquement comme des documents administratifs librement communicables13, la jurisprudence récente du Conseil d’État a ouvert de nouvelles possibilités de vérification scientifique. En effet, dans un arrêt d’Assemblée CNCCFP c/ Mediapart du 27 mars 2015, le Conseil d’État a estimé, alors que la CNCCFP n’acceptait de communiquer jusque-là que les comptes de campagne et ses propres décisions, que tous les documents produits ou reçus par la CNCCFP sont des documents administratifs communicables, y compris la procédure contradictoire c’est-à-dire l’ensemble des échanges entre la Commission et les candidats sur le contenu de leurs comptes de campagne14. Les développements qui suivent sont donc fondés sur la consultation de la procédure contradictoire, associée au compte de campagne de François HOLLANDE, obtenue auprès de la CNCCFP sur demande.
11La consultation de la procédure montre que l’imputation des dépenses de primaires aux comptes de campagne a tout de suite posé des difficultés. Ainsi il existe un chapitre entier consacré aux primaires ouvertes dans la première lettre d’observation de la CNCCFP (datée du 17 septembre 2012). La CNCCFP réitérant la position adoptée dans le memento, elle constate qu’avait été imputé 100 % du montant des factures relatives à certains meetings (Limoges, Colombes, Trianon, Strasbourg, Lyon, conférence de presse Paris 7e, Nantes, Villeneuve-sur-Lot, Dunkerque), alors que la location de la salle du Bataclan le 13 octobre 2011 n’avait été imputée que partiellement. En revanche certains meetings des primaires n’avaient pas été inscrits : Clichy la Garenne le 27 avril 2011, Annequin le 28 juin 2011, Toulouse le 6 octobre 2011, et la soirée du second tour des primaires du 16 octobre 2011. Par ailleurs seuls 19 286 euros avaient été imputés pour des frais d’impression sur un total de factures de 42 375 euros, ces factures ayant été imputées avec des prorata variant de 0 % à 100 % selon les cas. 21 000 euros sur 52 730 avaient été imputés concernant les frais de transport. Dans la lettre en réponse (datée du 12 octobre 2012), l’association de financement de la campagne de François HOLLANDE justifiait assez longuement les montants retenus, considérant cependant que par principe les dépenses de la primaire n’avaient pas à figurer dans le compte car les « dépenses engagées par M. François HOLLANDE, comme celles des autres concurrents, n’avaient pas pour objet de rechercher des votes pour l’élection présidentielle. Elles avaient pour seule finalité d’expliquer aux militants et sympathisants les raisons de sa candidature et les idées-forces la distinguant des autres compétiteurs ». Ayant pris acte du refus de la CNCCFP de prendre en compte une part forfaitaire, idée défendue par l’association de financement, cette dernière s’est orientée sur une imputation au cas par cas en fonction de la visibilité de l’événement c’est-à-dire en s’attachant à mesurer « les retombées médiatiques particulières des actions menées et évaluer si le message a pu avoir une influence, au-delà des cercles militants, sur une grande partie du corps électoral et a pu servir le participant désigné aux primaires dans sa campagne présidentielle ». Pour les meetings, ce sont les retombées médiatiques qui ont servi de fil conducteur, imputant les réunions publiques fortement médiatisées et non les meetings confidentiels et limités à une audience exclusivement composée de militants ou de sympathisants acquis au parti socialiste. Pour les frais d’impression, c’est le message des tracts qui a été pris en compte : un tract se contentant d’expliquer les modalités de vote à la primaire ou d’appeler à voter à la primaire n’a pas été imputé, un tract contenant le projet du candidat a été imputé en proportion de la taille du projet sur le tract (50 % pour un verso, 25 % quand le programme n’occupe qu’une faible place) et la totalité du tract a été intégrée lorsque seul le projet était mentionné, le dossier contenant des justifications par pièce de cette imputation. Quant aux déplacements, n’ont pas été imputés les déplacements vers Paris et ceux qui étaient seulement liés à la primaire.
12En réponse (datée du 15 novembre 2012), la CNCCFP décida de réintégrer une partie des dépenses : le meeting de Toulouse, pour 33 256 euros, la réunion de Clichy-la-Garenne pour 920 euros, celle de la Maison de l’Amérique Latine pour 4 432 euros, et des compléments d’impression de plus de 22 958 euros pour un total donc de 42 244 euros soit la quasi-totalité des factures d’impression et l’augmentation de l’imputation pour le Bataclan à hauteur de 3 534 euros. L’interprétation de la CNCCFP a donc été plus large, prenant en considération les impacts médiatiques de ces meetings (extraits d’articles de journaux relatant ces réunions) mais aussi l’intention des organisateurs à cette occasion (extraits d’éléments de langage de Stéphane Le Foll). Ces réformations furent acceptées par le candidat qui ne chercha pas à les remettre en cause sur le fond (réponse du 26 novembre 2012).
13En conclusion, il faut donc souligner que l’imputation des dépenses de la primaire fut partielle, au sens où seules des dépenses générales dirigées vers des électeurs furent prises en compte. Par ailleurs, seules les dépenses du candidat gagnant et donc du candidat officiel à la campagne présidentielle sont retenues, à défaut des dépenses engagées par le parti politique et les autres candidats aux primaires, qui pourtant profitent à la médiatisation de la campagne, car les autres candidats ne sont pas alors considérés comme des soutiens de celui-ci. Cette position est logique eu égard aux dispositions du code électoral mais ne manque pas de poser des problèmes de fond quant au ratio avantages liés à la primaire/dépenses imputées.
14La position de la CNCCFP a été confirmée et a évolué à partir du Guide du candidat et du mandataire, dans sa version en date du 24 mai 2013 (modifiée depuis), lequel considère que « les réunions de confrontation contradictoire entre plusieurs pré-candidats ne présentent pas non plus de caractère électoral » dès lors qu’elles visent à obtenir les suffrages des militants et des « sympathisants ayant versé une participation aux frais d’organisation de la campagne », à l’exception bien sûr des dépenses engagées par le candidat victorieux et dirigées vers tous les électeurs15. Ainsi, les primaires semi-ouvertes ou ouvertes, car les réunions entre pré-candidats visant à obtenir les suffrages des militants et des sympathisants ayant versé une participation aux frais d’organisation de la campagne visent bien les élections primaires semi-ouvertes et ouvertes (les primaires semi-ouvertes avec participation financière des écologistes, le fameux euro pour les primaires socialistes), ne sont pas imputées, sauf les dépenses qui dans cette primaire sont engagées directement en vue de l’élection auprès de tous les électeurs, et non des seuls votants à la primaire. Cette solution est cependant peu pertinente en réalité, notamment lorsque cette « participation aux frais d’organisation de la campagne » est récoltée le jour du vote, après la primaire et ses effets sur l’électorat.
À propos des primaires municipales : la position du Conseil d’État et la réaction de la CNCCFP
15C’est peut-être la fragilité de cet état du droit qui a conduit le gouvernement, en 2013, à saisir le Conseil d’État (section de l’intérieur) pour avis en application de l’article L. 112-2 du code de justice administrative à propos des élections municipales à venir. Or, dans son avis d’assemblée générale du 31 octobre 2013, le Conseil d’État a considéré qu’à la différence des primaires fermées, les « dépenses engagées ou effectuées à l’occasion d’une élection primaire ouverte à l’ensemble des électeurs doivent être regardées comme engagées en vue de l’élection ». C’est donc une vision différente de celle de la CNCCFP qui a été retenue, puisque les dépenses de primaires ouvertes sont considérées comme des dépenses électorales en général. Cependant l’avis ne va pas plus loin en indiquant quelles dépenses électorales doivent être prises en compte dans ce cas.
16Le Conseil d’État tire toutes les conséquences spécifiques au scrutin municipal de cette solution sur le double fondement des articles L. 52-12 et L. 52-13 du code électoral, suivant sur ce point la solution suggérée par la CNCCFP16. En vertu de l’article L. 52-12, « [s] ont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l’accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien… », ce qui implique l’absence de distinction, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, entre les dépenses engagées par le candidat tête de liste et celles engagées par ses colistiers17. En outre, et surtout, l’article L. 52-13 prévoit que « [l] es dépenses exposées par des candidats ayant agi séparément avant de figurer sur une même liste sont totalisées et décomptées comme faites au profit de cette liste lorsqu’elle a été constituée avant le premier tour ». Cela implique, lorsque les différents candidats à la primaire se regroupent sur une liste commune, de « totaliser et de décompter […] les dépenses de leurs campagnes respectives à l’occasion de cette élection primaire dans le compte de campagne du candidat à l’élection en vue de laquelle l’élection primaire a été organisée ». En somme, selon le Conseil d’État, les dépenses de tous les candidats aux primaires ouvertes présents sur la liste doivent fusionner dans le compte de campagne de la liste. Il s’agit d’une solution maximaliste.
17Prenant acte de cet avis du Conseil d’État, la CNCCFP a pourtant maintenu une position très proche de sa position traditionnelle dans le Guide du candidat et du mandataire, dans sa version du 20 décembre 2013, selon lequel pour la primaire ouverte « est considérée au cas par cas comme dépense à intégrer au compte de campagne toute dépense engagée par ou pour le (ou les) pré-candidat(s) en définitive désigné (s) candidat(s) et visant sa (leur) promotion auprès des électeurs ». Notamment, les « dépenses d’organisation de la (ou des) journée(s) de vote des primaires et de communication sur cette (ou ces) journée(s) ne présentent pas le caractère de dépenses au sens des dispositions de l’article L. 52-12 du Code électoral et de la jurisprudence, et ne sont en conséquence pas imputables au compte de campagne du candidat en définitive désigné ». Peuvent être considérées comme des dépenses électorales les « frais de conception, d’édition, de diffusion et de promotion d’ouvrages ou de brochures développant le programme du candidat ; […] frais d’impression et de diffusion de tracts destinés à un large public et engagés pour le compte du candidat ; […] frais d’organisation de réunions publiques organisées par le candidat ou pour son compte18 ».
18La CNCCFP a donc fait une interprétation restrictive, et sans doute volontairement, de la décision du Conseil d’État. Celle-ci pose en effet trop de problèmes. Notamment, les plafonds de dépenses seraient sans doute insuffisants, et l’hypothèse d’une augmentation de ceux-ci est obérée juridiquement. En effet, l’article 112 de la loi no 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a prévu qu’il n’y aura pas d’actualisation « à compter de 2012 et jusqu’à l’année au titre de laquelle le déficit public des administrations publiques est nul ». Enfin, si l’on suivait cette solution, les partis pourraient être tentés d’organiser leurs primaires plus en amont encore de l’élection, c’est-à-dire avant la date à partir de laquelle les comptes de campagne doivent être établis. La France se trouverait alors dans un état d’élection permanent, y compris au niveau local. Cependant la solution de la CNCCFP présente un effet pervers : dans la mesure où elle conduit à n’imputer aux comptes que très partiellement les dépenses de primaires, elle fournit un avantage considérable du point de vue financier aux partis qui organisent une primaire ouverte au détriment des autres. L’impératif d’égalité qui justifie le système français de contrôle financier semble donc mis à mal.
Problématique des villes à statut particulier : l’hypothèse de Marseille
19En outre, le problème redouble pour ce qui concerne les villes à statut particulier, c’est-à-dire Paris, Lyon et Marseille. La discordance du fait et du droit est ici édifiante. Alors que la primaire ouverte sert à désigner un maire au niveau de la ville tout entière, le droit ne prévoit pas, pour ces villes, une seule élection municipale, mais autant d’élections qu’il y a de secteurs19. Les règles relatives au financement de la campagne s’appliquent alors secteur par secteur et non au niveau de la ville tout entière20. Pourtant, la CNCCFP a d’abord estimé que les dépenses engagées pendant les primaires pouvaient être « proratisées » dans les comptes de campagne de chaque secteur21.
20Cette position a conduit le gouvernement à demander au Conseil d’État s’il fallait imputer ces dépenses aux comptes de campagne des listes de secteurs et, si oui, quelle « clé de répartition » appliquer. La solution adoptée par l’avis de 2013 est particulièrement alambiquée. Le Conseil d’État a fait une interprétation stricte de la loi et refusé l’application d’une quelconque clé de répartition. Les règles des villes à statut particulier empêchent l’application de la solution de droit commun, dans la mesure où elles s’opposent à ce que les dépenses faites par un candidat même vainqueur, au cours de la primaire, soient réparties entre les listes se réclamant de ce candidat dans les différents arrondissements de la ville. L’élection ayant lieu par secteur, elles s’opposent à ce que ces dépenses puissent être imputées sur les listes des secteurs où ledit candidat ne figure pas. En raison de la chronologie de l’élection et de la non-identité des personnes concernées entre les différentes listes, ces dépenses ne peuvent être regardées ni comme ayant recueilli l’accord de ces listes, ni comme exprimant le soutien de ce candidat à ces listes, ni, surtout, comme exposées directement au profit de ces listes en vue de l’élection au niveau du secteur. Il est ainsi impossible de procéder à une confusion entre les différentes élections des secteurs et l’élection primaire ouverte au niveau de la ville. Les dépenses d’un candidat ne peuvent être imputées qu’au compte de campagne de la liste sur laquelle ce candidat figure. Cependant, l’imputation se trouve alors limitée au seul secteur concerné, et les dépenses ne doivent être retracées qu’« à concurrence de leur effet utile dans l’arrondissement ou le secteur concerné, c’est-à-dire pour la fraction correspondant à la part de la population de cet arrondissement ou secteur dans la population de la commune ».
21Cette solution complexe conduit à des ruptures d’égalité, notamment pour les secteurs qui comptent des candidats aux primaires et présente de grandes difficultés pratiques du point de vue du calcul, et surtout entraînera la non-comptabilisation d’un grand nombre de dépenses, celles qui sont faites par le candidat pour d’autres secteurs que le sien. En dégageant ces solutions, le Conseil d’État applique ce qui lui semble découler de la loi, mais ce raisonnement conduit à une solution peu logique. Il considère lui-même que « cette solution, qu’imposent l’état du droit et la lettre de l’article L. 52-12 du code électoral reflète l’inadaptation de la législation applicable à la place prise par les élections primaires ouvertes dans les processus électoraux ». Pour le Conseil, cette « inadaptation et l’exigence de sécurité juridique des opérations électorales appellent une intervention du Parlement en vue de compléter, pour l’avenir, une législation qui ne prend pas en compte l’impact du développement récent des élections primaires », notamment pour « clarifier, et, le cas échéant, modifier le droit applicable aux recettes perçues et dépenses exposées à l’occasion d’élections primaires ». Il existe donc des difficultés très fortes pour déterminer la correcte imputation des dépenses de campagne concernant les primaires ouvertes.
22Sur ce point, c’est le rejet de six comptes de campagne sur huit à Marseille qui pose le plus question : ce rejet a-t-il un rapport avec les dépenses liées aux primaires ouvertes ? S’il semble ne pas y avoir eu de problème dans la plupart des villes où a eu lieu une primaire ouverte (notamment, l’examen du compte de Mme Nathalie Kosciusko Morizet ne révèle rien sur ce point), il y a eu une difficulté à Marseille où 6 comptes sur 8, la ville étant organisée par secteur, ont été rejetés par la CNCCFP, seuls les comptes de M. MENNUCCI et Mme GHALI ayant été validés22. Le rejet de ces comptes fut justifié par la non-intégration de dépenses importantes d’impression (entreprise Bremond) dans le compte initial et une correction trop importante et tardive des comptes après coup. Saisi par la CNCCFP conformément à l’article L. 52-15 du code électoral qui fait obligation à la CNCCFP de saisir le juge de l’élection en cas de rejet des comptes de campagne, le Tribunal administratif de Marseille a confirmé le rejet des comptes en considérant qu’ils n’étaient pas sincères car régularisés a posteriori de façon trop importante, ces erreurs n’étant cependant pas suffisantes pour entraîner l’inéligibilité des candidats23. Qu’a-t-il bien su passer à Marseille, pour que de telles dépenses ne soient pas correctement intégrées et donnent lieu à une telle modification des comptes a posteriori ?
23D’après le rapporteur public qui a conclu sur ces affaires, il s’agissait ici de l’intégration de « dépenses payées par la Fédération socialiste des Bouches du Rhône dont certaines n’ont pas été comptabilisées ou mal comptabilisées dans leur premier compte de campagne déposé, s’agissant notamment de dépenses d’impression d’affiches, tract, cartes », et il semble « qu’il a été compliqué pour les mandataires financiers des candidats et pour le parti socialiste ou pour l’expert-comptable d’imputer dans les délais requis à chaque candidat la part des dépenses communes dues à chacun, payées par le parti politique et dès lors que les montants étaient élevés et les factures tardives ». Alors que les candidats plaidaient l’erreur comptable, le rapporteur public a décidé de faire un « aparté » :
« nous ouvrons toutefois une parenthèse. Il ne s’agirait pas vraiment selon nous d’une erreur, mais plutôt de la prise en compte tardive de nombreuses factures, et de la nécessité, in extremis comme l’écrit la commission, de répartir les concours et dépenses des candidats pour éviter tout dépassement de plafonds des comptes de campagne de certains d’entre eux. On pense par exemple au compte de M. CASELLI, qui dépassait le plafond avec l’ajout des factures d’impression. Mais cette circonstance n’est pas envisagée par la commission des comptes de campagne, alors qu’elle avait les moyens nous semble-t-il de le faire, et les éléments de preuve ne résultent pas de l’instruction. Nous refermons la parenthèse24 ».
24Il y a donc bien une inconnue en la matière. Mais au-delà, on peut poser la question de savoir, sachant que le problème venait d’une difficulté de ventilation des dépenses entre les différents comptes, si une telle situation a un lien avec l’organisation des primaires.
25Il est possible de tester l’hypothèse depuis l’arrêt Mediapart25. Les développements qui suivent sont donc fondés sur l’analyse des comptes et des procédures contradictoires de M. MENNUCCI, Mme GHALI, M. HOVSEPIAN, M. CASELLI, Mme CARLOTTI, Mme LEVY-MOZZICONACCI, M. ZERIBI, et M. MASSE, obtenus auprès de la CNCCFP sur demande. Certes, il ressort de l’analyse de ces documents, dont la lecture permet difficilement de se faire une idée de l’organisation véritable de la campagne, que les experts comptables ont fait preuve d’un amateurisme et d’une désorganisation qui expliquent le rejet des comptes, et que la répartition de l’ensemble des dépenses de la campagne entre les secteurs a posé des difficultés notamment dans l’imputation de dépenses d’impression de l’entreprise Bremond, de sorte qu’on ne peut affirmer scientifiquement que le rejet se justifierait par l’organisation des primaires. Néanmoins, il semble que certaines difficultés d’imputation des dépenses et qu’une partie des réintégrations ne sont pas dénuées de tout lien avec les primaires, lesquelles ont au moins causé des difficultés. En outre, on peut avoir quelques doutes par ailleurs, même si on se trouve dans l’impossibilité de prouver le lien direct avec les primaires.
26Le premier compte qu’il convient d’examiner pour les besoins de la démonstration est celui de Mme CARLOTTI, rejeté car le compte rectificatif conduisait à une modification de 17 % du montant du compte initial. C’est en effet celui qui permet d’acter du fait que les primaires étaient un enjeu important de la comptabilisation des dépenses de campagne. Ce compte faisait explicitement état dès le départ, à la différence de beaucoup d’autres, de dépenses relatives aux primaires, pour une somme de 3 086 euros d’après la procédure contradictoire. La spécificité de ce dossier, dont la procédure contradictoire a été faite en amont de toutes les autres à partir du 13 juin 2014, est en effet d’avoir conduit la CNCCFP à s’interroger très précisément sur la façon d’imputer ces dépenses aux comptes de campagne de la candidate, considérant que « dans votre compte déposé le 30 mai, les factures étaient éparses alors que les primaires ont eu lieu à l’automne 2013. Il convient de s’interroger sur une volonté de comptabilisation claire », estimant que la dépense pourrait être portée au triple, faisant état de nombreuses difficultés et considérant que « seul un état global des frais des primaires pour l’ensemble des candidats permettra de lever les interrogations […]. Il permettra l’examen des autres comptes de campagne26 ». Cette demande a donné lieu à une longue réponse de Mme CARLOTTI justifiant ses dépenses imputées dans le prolongement de l’avis du Conseil d’État du 13 octobre 2013, ne retenant en général que 11 % des dépenses engagées pour son compte par son parti Liberté Égalité Marseillais dans la mesure où ses dépenses de primaires n’étaient pas engagées pour les seuls électeurs de son secteur, sauf dans l’hypothèse d’une dépense effectuée à 100 % dans le 3e secteur. La réponse comporte en outre une note explicative de l’organisation des élections municipales à Marseille (pièce no 1) et une note relative aux dépenses réglées par les formations politiques détaillant toutes les dépenses de primaires – prestations musicales, locations de salles, impressions et banderoles dont certaines réalisées par l’entreprise Bremond, badges, etc. – (pièce no 4). Cette réponse, particulièrement complète27, a emporté la conviction de la CNCCFP et lui a permis de se positionner sur les autres dossiers. Cependant, d’après la réponse du rapporteur, il reste des anomalies sur les dépenses payées par les formations politiques, notamment par le PS 13, concernant les factures Bremond, des factures payées par le parti Pour Marseille 2014 et des dépenses communes de primaires, le rapporteur laissant entendre que le travail du comptable lui-même aurait pu être rendu difficile par la complexité et l’opacité des documents fournis par les différents acteurs28. Les échanges ultérieurs montrent l’impossibilité pour les deux parties de s’entendre29.
27Le compte de M. MASSE, également candidat aux primaires et dont le compte a été rejeté car modifié a posteriori à hauteur de 12,84 %, était dans une situation analogue car dès le premier dépôt il faisait référence à des dépenses pour les primaires à hauteur de 3 426,34 euros. Cependant, dans le second dépôt, les dépenses de primaires baissaient mystérieusement pour n’atteindre que 503,16 euros, et le rapporteur s’interrogerait sur l’imputation qu’il convenait alors de retenir sur le compte30. Cette soustraction fut justifiée par le fait que la dépense en cause était une dépense liée à la campagne générale, payée par le PS National et non par le PS 1331, ce qui fut accepté par le rapporteur qui considéra qu’il « est noté que le décompte des primaires vous concernant a lui aussi été présenté de manière erronée, le montant total définitif est de 5 000 euros, 635 euros figurant sur votre compte ». Cela n’empêcha pas la proposition de rejet du compte pour d’autres raisons32. On remarque cependant que le montant retenu, 635 euros, apparaît absolument dérisoire ce qui montre bien le caractère assez absurde de la règle posée par le Conseil d’État.
28On retrouve ces difficultés dans les autres comptes de campagne, dont les comptes ont été examinés un peu plus tard. C’est d’accord le cas des comptes de M. MENNUCCI et de Mme GHALI, tous deux candidats à la primaire, qui ont été validés parce que les réformations a posteriori étaient faibles, 4,32 % pour le premier et 0,97 % pour la deuxième. Cependant, pour M. MENNUCCI, on constate que la primaire a pu être une source de difficulté comptable : en effet, contrairement à son premier compte qui ne contient pas explicitement d’éléments sur la primaire, ses comptes rectificatifs comportent une section entière relative aux dépenses payées par la formation politique Pour Marseille 2014 relatives aux primaires. Celle-ci comporte notamment un tableau faisant la part des dépenses de primaires en l’espèce visuels, photocopies, location de salles, téléphone, badges, autocollants, carburant, site internet, brochures de l’entreprise Bremond, etc. liées à l’ensemble des secteurs et pour lesquelles seule la quote-part utile au secteur 1 est prise en compte en fonction du pourcentage de la population conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (8,5 %), et la part des dépenses affectées au seul secteur 1 pour lesquelles l’imputation est totale (100 %), pour un montant de 2 987,30 euros33, le compte faisant apparaître au final une somme totale dérisoire de 3 615,90 euros pour les primaires ouvertes d’après la procédure contradictoire34. M. MENNUCCI, pour expliquer ces difficultés, fait état de la « complexité de la situation marseillaise, qui a conjugué la tenue d’élections primaires et les difficultés inhérentes au découpage en 8 secteurs, nécessitant d’identifier et de répartir les dépenses communes engagées », impactant les sommes versées par les formations politiques et notamment la formation Pour Marseille 2014 qui a financé la primaire du 1er secteur35.
29Le même type de modification a été effectué dans le compte rectificatif de Mme Samia GHALI, qui fait état de dépenses électorales payées en vue des primaires soit par l’association Marseille Unie du Nord au Sud soit par le PS directement36, pour une somme de 2 367 euros, marginale, d’après la procédure contradictoire37. Pour M. CASELLI, dont le compte a été rejeté car modifié à hauteur de 20,83 %, le rapporteur de la CNCCFP constate entre autres difficultés le fait que « quant aux primaires socialistes auxquelles vous avez participé les dépenses et les décomptes étaient absents de votre dossier » pour le premier compte. Elles apparaissent finalement dans les annexes pour une dépense de 18 084 euros, prises en charge au compte par le parti Marseille Rassemblée à hauteur de 3 214 euros38. La dépense de 18 084 euros correspond à la dépense totale pour la primaire à hauteur de la ville, la dépense de 3 214 euros étant la seule figurant sur le compte de campagne car utilisée utilement pour le deuxième secteur39. Si cette réponse semble avoir satisfait la commission dans le sens où la question des primaires n’est plus abordée, reste cette mystérieuse difficulté de répartition des dernières dépenses communes, expliquant l’absence de factures du PS13 dans les premiers comptes de campagne des candidats40.
30Il résulte des éléments qui précèdent que l’imputation des dépenses de primaires ouvertes a sans aucun doute posé des difficultés. Néanmoins il semble que ce sont plus les errements des comptables et des difficultés de ventilation des dépenses que les primaires en tant que telles qui ont conduit au rejet des comptes. On le constate aussi avec les têtes de liste qui n’étaient pas candidates aux primaires, dont les dossiers sont toutefois moins étayés. Pour M. ZERIBI, dont le compte a été rejeté pour une modification à 28,5 % du montant initial, ce sont des mauvaises imputations de dépenses et des problèmes dans les paiements par les formations politiques qui ont conduit au rejet du compte41. Pour Mme LEVY-MEZZICONACCI, dont le compte a été réformé en raison d’une modification à hauteur de 29,14 %, on retrouve les mêmes difficultés, s’agissant notamment de l’imputation de certaines dépenses d’impression Bremond payées par le PS 1342. Pour M. HOVSEPIAN, dont le compte a été rejeté pour une rectification à hauteur de 40,11 %, ce sont également les dépenses réalisées par les formations politiques et les factures Brémond qui ont entraîné le rejet du compte43. Ce sont donc en général les mauvaises imputations de certaines dépenses aux comptes qui expliquent leur rejet, et notamment des factures d’impression Bremond, ainsi que le considère le tribunal administratif de Marseille dans ses décisions44. Un lien direct entre la primaire ouverte et le rejet des six comptes de campagne ne peut pas être scientifiquement établi au regard de ces éléments.
31Cependant, les doutes ne sont pas levés et le mystère demeure sur ces factures Bremond. D’après les décisions du TA, les sommes imputées à chaque fois sur les comptes « ont trait aux documents électoraux produits spécifiquement pour la liste » du secteur en cause « dont le candidat et son mandataire ne pouvaient ignorer que le coût devait figurer sur le compte de campagne ». Toutefois, si les factures en cause sont souvent indiquées pour la campagne municipale en général et proratisées par secteurs par la trésorière générale du PS13, il est impossible de savoir, au-delà des factures, à quelles prestations elles correspondent en réalité d’après la seule lecture des dossiers. En effet, et on peut insister sur ce point, les comptes de campagne et la procédure contradictoire de Marseille ne contiennent pas, à la différence notable du compte de campagne et la procédure contradictoire de François HOLLANDE, de pièces justificatives, concrètement de photocopies des impressions en cause. De sorte qu’il est difficile de déterminer quel est était le contenu concret de ces impressions Brémond…
32D’après la note sur l’organisation des primaires citoyennes à Marseille contenue dans la procédure contradictoire de Mme CARLOTTI, « chaque candidat a organisé seul sa campagne, sans soutien de la Fédération du PS13, ni du PS national. Aucun moyen humain ou logistique n’a été mis à notre disposition. La Fédération PS 13 s’est engagée seulement à payer directement des factures à hauteur de 5 000 euros ». Toutefois, l’ensemble des factures d’impression Bremond étaient-elles vraiment sans aucun rapport avec l’élection primaire ? N’est-il pas surprenant que la ventilation tardive de ces différentes factures impacte le plus les plus petits candidats, dont les dossiers sont peu étayés ? Peut-on être réellement convaincu que le rejet soit intégralement le fait d’une organisation défaillante du cabinet d’expert-comptable ? Il n’est pas possible de répondre à ces questions. L’affaire Bygmalion nous a malheureusement appris que le contrôle réalisé par la CNCCFP, exclusivement sur factures, pouvait connaître des failles45.
Épilogue
33Les difficultés évoquées ci-dessus ont finalement conduit la CNCCFP à adopter une position plutôt étonnante dans son rapport de 2014 : elle suggérait de « Raccourcir la période de prise en compte des dépenses électorales » et de n’imputer les dépenses que sur une période de six mois, considérant que « cette mesure pourrait également clarifier la question des primaires dites “ouvertes”, ce qui répondrait à la préoccupation exprimée par le Conseil d’État. En effet, dans cette hypothèse, l’inscription dans un futur compte de campagne des dépenses exposées par le candidat sélectionné à la suite d’une élection primaire pourrait alors être obligatoire au sein de cette période et exclue dans le cas (le plus fréquent) où cette élection se déroulerait plus de six mois avant le scrutin46 ». Autrement dit, il semblerait que le malaise était tel que la CNCCFP envisageait sérieusement d’occulter le problème, tout simplement en faisant en sorte que les primaires sortent du champ du contrôle des dépenses électorales par une simple astuce de calendrier. Et cette solution a été sérieusement envisagée, puisque la proposition de loi organique de modernisation de l’élection présidentielle dans sa version initiale la retenait. Finalement, la loi organique no 2016-506 de modernisation de l’élection présidentielle a, on l’a dit, conservé le contrôle sur le délai d’un an. Sage décision, tant le fait de faire échapper les primaires à tout contrôle financier aurait pu entraîner des dérives47.
34La CNCCFP a pris en compte cette décision et, au final, décidé de changer sa solution. Dans son nouveau guide du candidat et du mandataire pour l’élection présidentielle de 2017, mis en ligne le 4 mai 2016, la CNCCFP considère désormais que « les dépenses exposées par le candidat désigné à l’issue d’une primaire, ouverte ou non, visant à sa promotion personnelle et à celle de ses idées auprès de personnes autres que les seuls adhérents du ou des partis organisateurs de cette primaire seront considérées comme des dépenses électorales devant être intégrées, ainsi que leur contrepartie en recettes, dans son compte de campagne de candidat à l’élection présidentielle », lequel précise cependant que « les dépenses engagées, pour leur propre compte, par les autres “pré-candidats” durant la période considérée n’ont pas à figurer au compte de campagne du candidat désigné48 ». En revanche les différents frais d’organisation (acquisition des listes électorales, locations de salles, informations sur la primaire, matériel de vote, etc.) restent à la charge du parti et n’ont pas à figurer dans le compte de campagne. Cette nouvelle conception est donc à la fois plus précise et plus large, visant les dépenses engagées en direction de toutes les personnes autres que les adhérents du parti et non les seuls électeurs à l’élection présidentielle, et allant même au-delà des primaires ouvertes. En cela, elle prend mieux en compte la particularité du phénomène des primaires, toute personne étant à ce stade un électeur potentiel aux primaires et à la présidentielle.
35Sur le fond, seule la mise en pratique en 2017 et son application à chaque espèce permettront de déterminer les effets concrets de cette nouvelle conception, qui n’empêchera pas une appréciation in concreto des dossiers. Elle permettra sans doute d’éviter que trop de dépenses n’échappent aux comptes de campagne et, eu égard à la multiplication des primaires, ouvertes ou pas, et de leur retentissement médiatique certain, c’est probablement l’effet recherché par la CNCCFP. Elle permettra aussi de maintenir une égalité entre les différents partis en prenant en compte l’intégralité des dépenses engagées en vue de l’élection présidentielle sans faire de distinction entre les partis organisant des primaires et ceux ne le faisant pas. On ne peut donc qu’être favorable à une telle prise de position sur le plan des principes.
36Cependant, cette règle finira par poser directement la principale question de fond. Le système français, très strict, de plafonnement des dépenses électorales pour l’élection présidentielle est-il encore compatible avec le développement contemporain des campagnes électorales et le surenchérissement conséquent de leur coût ? Derrière la question des primaires, c’est peut-être l’équilibre même du droit électoral français qui se joue.
Notes de bas de page
1 Pour une vision d’ensemble de cette réforme Rambaud R., « Le paquet de modernisation électorale : de la réforme de l’élection présidentielle au droit électoral de la démocratie continue », Actualité juridique du droit administratif, no 23, 2016, p. 1285.
2 Art. L. 52-4 du code électoral.
3 Article L. 52-12 du code électoral.
4 Article L. 52-4 du code électoral.
5 CNCCFP, Mémento à l’usage du candidat et de son mandataire relatif à la présidentielle de 2012.
6 Art. L 52-11 du code électoral.
7 Article L. 52-11-1 du code électoral.
8 Article L. 118-3 du code électoral.
9 Loi no 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel.
10 Francois A., Phelippeau E., Le Financement de la vie politique. Réglementations, pratiques et effets politiques, Armand Colin, 2015, 228 p.
11 CNCCFP, Élection présidentielle de 2012, Mémento à l’usage du candidat et de son mandataire, p. 25.
12 CNCCFP, Décision du 19 décembre 2012 relative au compte de campagne de M. François HOLLANDE, considérant no 12.
13 Avis CADA no 20084035 du 23 octobre 2008, no 20113922 du 20 octobre 2011, no 20131038 du 11 avril 2013.
14 CE, Ass., CNCCFP c/Mediapart du 27 mars 2015, no 382083 ; note Rambaud R., « L’accès aux documents administratifs et l’élection présidentielle, commentaire de l’arrêt d’Assemblée CNCCFP c/Mediapart du 27 mars 2015 (no 382083) », RFDA, mai-juin 2015, p. 598.
15 CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, version mise à jour le 24 mai 2013, p. 22-23.
16 CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, dans sa version du 24 mai 2013, p. 22-23.
17 CE, 27 juin 2005, Gourlot, no 272551 ; CE, 19 juin 2009, Mme Ollivro c/CNCCFP, no 322051.
18 CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, mis à jour au 30 novembre 2015.
19 Art. L. 261 du Code électoral.
20 CE, 19 mars 1997, Élections municipales de Marck-en-Calaisis, no 174008.
21 CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, dans sa version du 24 mai 2013, p. 22-23.
22 CNCCFP, 20 décembre 2014, décisions relatives aux comptes de campagne de M. HOVSEPIAN ; de M. CASELLI ; de Mme CARLOTTI ; de Mme LEVY-MOZZICONACCI ; de M. ZERIBI ; de M. MASSE ; seuls les comptes de M. MENNUCCI et de Mme GHALI ont été validés.
23 TA de Marseille, 9 février 2015, CNCCFP, no 1408523, 1408530, 1408532, 1408535, 1408542, 1408545.
24 TA de Marseille, concl. RETTERER, affaires no 1408542 et autres, inédit.
25 Cf. Supra.
26 CNCCFP, procédure contradictoire Mme CARLOTTI, observations du rapporteur du 13 juin 2014.
27 Ibid., réponse de Mme CARLOTTI en date du 27 juin 2014.
28 Ibid., réponse du rapporteur en date du 1er juillet 2014.
29 Ibid., lettre de Mme CARLOTTI du 8 juillet 2014, observations du rapporteur en date du 1er septembre 2014, réponse de Mme CARLOTTI du 16 septembre 2014, mémoire de Mme CARLOTTI du 30 septembre 2014.
30 CNCCFP, procédure contradictoire de M. MASSE, lettre du rapporteur du 18 juin 2014.
31 Ibid., réponse de M. MASSE du 30 juin 2014, annexe no 8.
32 Ibid., lettre du rapporteur du 1er septembre 2014.
33 CNCCFP, M. MENNUCCI, comptes rectificatifs.
34 CNCCFP, procédure contradictoire M. MENNUCCI, observations du rapporteur du 23 juillet 2014.
35 CNCCFP, procédure contradictoire, mémoire en réponse de M. MENNUCCI en date du 17 septembre 2014.
36 CNCCFP, Mme GHALI, comptes rectificatifs.
37 CNCCFP, procédure contradictoire Mme GHALI, observations du rapporteur du 23 juillet 2014.
38 CNCCFP, procédure contradictoire M. CASELLI, lettre du rapporteur du 18 juin 2014.
39 Ibid., réponse de M. CASELLI du 8 juillet 2014, PJ no 9.
40 Ibid., lettre du rapporteur du 3 septembre 2014.
41 CNCCFP, procédure contradictoire de M. ZERIBI.
42 CNCCFP, procédure contradictoire de Mme LEVY-MEZZICONACCI, lettre du rapporteur du 18 juillet 2014, lettre du rapporteur du 16 septembre 2014.
43 CNCCFP, procédure contradictoire de M. HOVSEPIAN, lettre du rapporteur du 17 juillet 2014, lettre du rapporteur du 15 septembre 2014.
44 TA de Marseille, 9 février 2015, CNCCFP, nos 1408523, 1408530, 1408532, 1408535, 1408542, 1408545.
45 Lazard V., 2014, Bigmagouilles, Stock, 226 p.
46 CNCCFP, Rapport 2014, p. 89-90.
47 Cf. Supra.
48 CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire 2017, p. 23-24.
Auteur
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