2. La prison, problème public
p. 55-86
Texte intégral
1L’univers pénitentiaire est traditionnellement géré par les acteurs de l’administration pénitentiaire qui imposent une prise en charge technico-administrative des structures carcérales au sein d’une « communauté de politique publique » relativement fermée. Dans ce contexte, la prison échappe au statut de problème politique et ne fait guère l’objet d’interventions ministérielles ou parlementaires. En 2000, un traitement et une problématisation politiques des sujets pénitentiaires parviennent pourtant à s’imposer grâce à la publication du témoignage de Véronique Vasseur, médecin-chef à la maison d’arrêt parisienne de la Santé dans Le Monde, qui a déclenché un véritable scandale dans l’espace public. Ce témoignage d’une médecin hospitalière, issue d’un corps professionnel non-pénitentiaire, a été rendu possible par un lent mouvement de décloisonnement de l’institution pénitentiaire qu’il a contribué à accélérer.
L’anoblissement des thématiques pénitentiaires
2Si la prison reste une affaire de sécurisation des bâtiments, de gestion quotidienne d’un flux de délinquants et de circulaires administratives, elle a peu de chance d’intéresser les parlementaires. Si les problèmes pénitentiaires ne sont portés que par des professionnels animés par des revendications catégorielles et des militants d’extrême gauche marginalisés dans le débat public, la probabilité d’une mobilisation politique d’ampleur semble illusoire. En revanche, si la prison devient un enjeu économique, une affaire de santé publique ou un sujet de droit international, l’hypothèse d’un engagement politique s’avère dès lors nettement plus plausible. L’imposition de nouvelles problématisations de la situation carcérale, à la faveur du mouvement de décloisonnement de la prison, l’élargissement de la condition pénitentiaire à de nouvelles catégories sociales de détenus et la prise en charge de celle-ci par des instances européennes, en participant d’un vaste mouvement d’« anoblissement1 » des sujets pénitentiaires, ont favorisé leur mise en politique.
Déconfinements professionnels : le renouvellement des problématisations de la prison
3Dans la prison de la IIIe République, les détenus n’avaient de contacts qu’avec les surveillants pénitentiaires, les ecclésiastiques, présents dans les lieux d’enfermement depuis le Moyen Âge, et les concessionnaires de main-d’œuvre pénale. À cette période de forte clôture a succédé un vaste mouvement d’ouverture. Au-delà des acteurs du processus judiciaro-pénal, une multitude d’intervenants aux statuts variés ont progressivement investi la prison. Malgré quelques phases de retours en arrière, le mouvement de décloisonnement des prisons a été relativement continu depuis la Libération. La coupure entre l’institution totale et le monde extérieur s’est considérablement assouplie2. En pénétrant en prison, ces nouveaux acteurs ont introduit des changements significatifs dans le secteur pénitentiaire : élargissement et mise à l’épreuve de son réseau traditionnel de gestion mais aussi importation de cultures professionnelles et de valeurs très différentes de celles de l’administration pénitentiaire.
4La loi Chalandon de 1987 a confié au secteur privé certaines prérogatives, autrefois dévolues à l’administration pénitentiaire et au ministère de la Justice, en matière de construction et de gestion des prisons. Cette évolution, pensée comme une solution technico-financière au problème de la surpopulation carcérale, a contribué à une redéfinition des rôles et des identités des acteurs de la prison3. Ne pas confier la maîtrise d’ouvrage des 13 000 nouvelles places de détention à l’administration pénitentiaire signifiait la remise en cause du monopole de ses fonctionnaires sur l’action publique en la matière, mais aussi leur mise à distance. Les seuls interlocuteurs des entreprises sollicitées ont été le ministère de la Justice et le groupe de projet, composé de magistrats et de hauts fonctionnaires du ministère de l’Équipement, réuni par le garde des Sceaux. Les personnels pénitentiaires n’ont pas été associés aux projets de conception et de construction des nouvelles prisons. Non consultés en amont, ils ont dû composer avec des dispositifs de surveillance électronique dans les nouveaux établissements et se familiariser avec le rôle de « coordonnateurs » d’activités que les partenaires privés leur ont assigné. Ils ont aussi dû se familiariser avec une nouvelle conception du détenu, désormais considéré comme un individu autonome, capable de s’assumer et de « s’engager dans un projet » de réinsertion4. Dans l’établissement pénitentiaire géré par des prestataires externes privés, le prisonnier est usager d’un certain nombre de services « hôteliers » (livraisons de biens, distribution de repas, organisation du travail en détention) qui doivent leur être fournis en respect d’objectifs fixés par contrat. Cette vision du prisonnier est très éloignée de celle qui prévalait avant l’entrée des sociétés privées en prison, ce dernier étant surtout perçu comme un individu potentiellement dangereux à gardienner. Le surveillant, omniprésent pilier de l’organisation carcérale, s’est vu assigner un rôle différent par les acteurs privés. L’entrée des entreprises dans l’univers pénitentiaire a aussi contribué à changer le regard extérieur sur la prison : celle-ci est désormais considérée comme un débouché économique et comme un secteur d’activité susceptible d’être rentable. Les nouveaux marchés ouverts par la loi Chalandon concernent de grandes entreprises mais aussi de nombreux sous-traitants et prestataires de services appartenant aux secteurs les plus divers : transports, formation professionnelle, restauration, etc. Les appels d’offres et cahiers des charges émis par le ministère de la Justice sont très suivis par ces acteurs privés qui ont, au fil des années, développé de réels savoir-faire en matière pénitentiaire. Le secteur pénitentiaire, défini comme un facteur de développement économique national et local, est plus à même d’attirer l’attention des élus et responsables politiques. Grâce à cette problématisation, la prison trouve une place dans le débat politique, même si le risque de coût partisan reste présent : le caractère potentiellement lucratif de la gestion privée des prisons et de « l’industrie de la punition », à l’instar de la situation américaine5, a été dénoncé par les partis de gauche dès les discussions parlementaires ayant présidé au vote de la loi Chalandon.
5La loi du 18 janvier 1994, en transférant la prise en charge sanitaire des personnes détenues des personnels de l’administration pénitentiaire vers ceux des hôpitaux publics, a introduit un changement d’ampleur tant dans l’organisation des soins dispensés que dans la gestion quotidienne des établissements pénitentiaires. Cette réforme, imposée par la loi, n’a pas été réellement pensée dans son application pratique sur le terrain et a suscité de nombreux conflits6 autour de l’importation d’une culture des soins en prison. La première conséquence de cette réforme a été de faire entrer en prison des personnels soignants, non soumis à la hiérarchie de l’administration pénitentiaire : médecins généralistes et spécialistes, psychiatres, infirmier(e)s, aides-soignant(e)s, exerçant auparavant en milieu libre. Ces nouveaux entrants se sont d’abord retrouvés en concurrence avec les anciennes équipes infirmières de l’administration pénitentiaire dont ils signifiaient l’illégitimité du fait même qu’ils étaient destinés à les remplacer. Ils sont ensuite entrés en conflit avec les surveillants qui ont mal vécu cette invasion durable dans leur espace et qui se sont notamment sentis expropriés et dépossédés des anciennes infirmeries, requalifiées en espaces médicaux indépendants. Les manières de faire et les valeurs professionnelles des personnels médicaux et des surveillants se sont mutuellement heurtées : la compatibilité entre impératifs de sécurité et déontologie médicale n’allait pas nécessairement de soi. Plus de vingt ans après la loi, la cohabitation quotidienne entre ces deux catégories d’acteurs pose encore un certain nombre de problèmes. Un autre effet de la réforme des soins en prison a été la « normalisation » des prisons et leur humanisation par l’alignement de la prise en charge des personnes détenues sur celle des personnes libres7. Les Prisonniers sont devenus des sujets de santé à part entière. Insérés dans les problématiques globales de santé publique, leurs spécificités de délinquants tendent à s’estomper au profit de leur intégration dans le statut générique de « patients ». Les conflits entre personnels soignants et surveillants pénitentiaires sont liés à la difficile conciliation de leurs manières respectives de concevoir le prisonnier : la figure du patient à soigner est très différente de celle du délinquant à gardienner. L’approche des médecins hospitaliers, portée sur l’humanisation des conditions de détention, tend à concurrencer les approches traditionnelles du secteur pénitentiaire et à renouveler le regard porté sur l’institution pénitentiaire et ses finalités : l’établissement carcéral n’est plus seulement un lieu d’enfermement, il devient un lieu de soins. Ainsi définie, la prison est susceptible de s’insérer dans le travail parlementaire. La santé est une thématique à part entière, déjà fortement investie dans les assemblées, d’autant plus que la représentation nationale compte une proportion non négligeable de parlementaires issus des professions médicales ou paramédicales8. Si les passages de la loi de 1994, destinés à répondre à des impératifs de santé publique, la population carcérale présentant des caractéristiques épidémiologiques inquiétantes quant au risque d’infections par le VIH, n’a pas passionné les élus-médecins des commissions des affaires sociales, ils n’en ont pas moins ouvert la voie à leur compétence sur une partie des thématiques carcérales, qui relevaient jusqu’alors essentiellement des commissions des lois et des finances lors des discussions budgétaires. Rappelons que le sénateur Claude Huriet9, professeur agrégé de médecine, s’était rendu à la maison d’arrêt de la Santé dans le cadre de ses fonctions de rapporteur du projet de loi pour la commission des affaires sociales du Sénat. Mais l’effet le plus saillant de la loi de 1994 a été l’élargissement du réseau traditionnel de politique pénitentiaire à de nouveaux acteurs : le ministère de la Santé est devenu un interlocuteur de la direction de l’administration pénitentiaire et, à l’échelon des établissements, les personnels hospitaliers, travaillant dans les Unités de consultations et de soins ambulatoires (USCA) et les Services médico-psychologiques régionaux (SMPR), sont devenus des partenaires de travail quotidiens des cadres et surveillants pénitentiaires.
6Présents dans les établissements pénitentiaires depuis très longtemps, travailleurs sociaux et enseignants ont vu leurs statuts, missions et organisations évoluer dans les années 1990, au point d’imbriquer leurs cultures professionnelles propres à celle de l’administration pénitentiaire et de renforcer leurs contributions à la mission de réinsertion de l’institution carcérale. Après la seconde guerre mondiale, la réforme Amor a instauré l’entrée systématique de travailleurs sociaux dans tous les établissements pénitentiaires français. Les prisons se sont progressivement dotées de services socio-éducatifs dont le fonctionnement a nécessité l’intervention de personnels extérieurs à l’administration pénitentiaire. Dans un premier temps, les travailleurs sociaux étaient formés à l’extérieur de la prison et intervenaient au sein de celle-ci, tout en continuant à exercer leur métier en dehors de l’établissement pénitentiaire. Puis l’administration pénitentiaire a progressivement formé ses propres travailleurs sociaux qui ont pris le nom « d’éducateurs pénitentiaires » puis de « conseillers d’insertion et de probation ». Ces derniers sont aujourd’hui totalement intégrés au personnel pénitentiaire, via leur affectation aux structures départementales des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). La réforme de 199910 portant création des SPIP, place les Conseillers d’insertion et de probation (CIP) sous la responsabilité d’un cadre de l’administration pénitentiaire, Directeur des services pénitentiaires d’insertion et de probation (DSPIP), dont l’action doit s’articuler avec celles des chefs d’établissements pénitentiaires. Les CIP sont devenus des fonctionnaires, formés à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), tout comme les surveillants. Les conseillers d’insertion de la fin des années 1990 font quasiment figure de nouveaux acteurs, tant ils diffèrent des premiers travailleurs sociaux de la prison de l’après-guerre, de par leur statut, leur formation et leurs missions. Ces dernières consistent essentiellement en l’aide à la décision judiciaire et en la réinsertion des personnes placées sous main de justice. Les CIP exercent également des fonctions de suivi et de contrôle des obligations judiciaires, ce qui les conduit à travailler aussi bien en milieu fermé qu’en milieu ouvert. Le décret de 1999 réformant l’organisation du travail social en prison et les précédentes évolutions concernant les travailleurs sociaux peuvent être lus comme des tentatives d’absorption par la colonne vertébrale pénitentiaire d’une catégorie d’acteurs de la prison échappant à son contrôle. Mais ils peuvent aussi être interprétés comme des signes d’intégration de certaines préoccupations dans le quotidien et l’organigramme de l’Administration pénitentiaire (AP). Cette dernière a créé en son sein un corps de métier dont la finalité première n’est pas la sécurité et le gardiennage mais « l’insertion » des détenus et leur « probation », allant jusqu’à inscrire ces termes dans son vocabulaire et à organiser concours de recrutement et formations dédiés à cette nouvelle spécialité pénitentiaire. Cette intégration signifie le renforcement de la mission de réinsertion de l’AP, jusqu’alors délaissée au profit de la mission traditionnellement prédominante de « garde ». Ce renforcement n’est pas seulement symbolique, puisqu’il se traduit par des investissements en termes d’effectifs, même si le nombre de CIP reste, encore aujourd’hui, nettement inférieur à celui des surveillants, dans des proportions d’environ un pour six.
7Les personnels de l’Éducation nationale interviennent, quant à eux, dans les établissements pénitentiaires depuis le début des années 1960. Initialement chargés de dispenser les enseignements obligatoires aux détenus mineurs jusqu’à l’âge de seize ans, leurs missions ont évolué vers la formation des adultes, le dépistage et la prise en charge de l’illettrisme. Leur participation croissante à des missions éducatives d’insertion témoigne du resserrement de leur collaboration avec l’administration pénitentiaire. Au départ, seulement placés sous l’autorité des rectorats, un échelon supplémentaire est venu s’ajouter à cette organisation hiérarchique. La convention du 19 janvier 199511, crée dans chaque région pénitentiaire une Unité pédagogique régionale (UPR) et place à sa tête un responsable, nommé par le ministre de l’Éducation nationale. Cette nouvelle organisation administrative a eu pour effet de créer des liens de subordination des enseignants à l’AP : l’article premier de la convention prévoit que les UPR sont, pour partie, placées sous l’autorité administrative des directions régionales des services pénitentiaires, de la part desquelles elles reçoivent des missions en plus de celles que le recteur leur confie au nom de l’Éducation nationale. Il en résulte une certaine mainmise de l’administration pénitentiaire sur leur travail et, plus généralement, sur les problématiques éducatives en prison. Cette réforme a contribué à lier progressivement les objectifs des enseignants à ceux de l’AP en matière de réinsertion en les faisant participer à des activités éducatives d’insertion. Cette imbrication des rôles et des missions contribue à faire pénétrer les valeurs pénitentiaires dans le corps enseignant mais aussi à faire progresser les préoccupations d’ordre éducatif au sein de l’univers carcéral.
8Conseillers d’insertion et enseignants participent à la diffusion des croyances en la capacité d’amendement des détenus par la formation et l’apprentissage dans les établissements pénitentiaires. Par ailleurs, le travail social et l’éducation constituent des points d’entrée plus aisément empruntables pour les parlementaires, comme cette question écrite le laisse présager.
« M. Jean-Luc Warsmann attire l’attention de Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice, au sujet de l’action éducative en milieu carcéral. Le Premier ministre a annoncé dans sa conférence de presse à l’issue du conseil de sécurité intérieure qu’il y a lieu de renforcer l’action éducative en milieu carcéral en y affectant des équipes enseignantes supplémentaires. Il souhaiterait savoir s’il existe déjà des bilans de cette politique éducative et en connaître les résultats. » (QE no 24979 du 8 février 1999, posée par Jean-Luc Warsmann [député des Ardennes-RPR])
9Enrichi des nouveaux acteurs et des nouvelles modalités de coopération qui viennent d’être évoqués, le réseau traditionnel de gestion du secteur pénitentiaire, peut être requalifié en « réseau élargi ». L’administration pénitentiaire garde une position centrale dans ce réseau, dont elle constitue toujours la colonne vertébrale, mais elle doit désormais composer avec une multitude d’autres acteurs sur lesquels elle n’a pas systématiquement de prise hiérarchique. L’élargissement de la communauté de politique publique originelle a connu une accélération importante dans les années 1990.
10En entrant en prison ou en y consolidant leur position, entrepreneurs et prestataires de services, médecins hospitaliers et personnels médicaux, conseillers d’insertion et de probation ainsi qu’enseignants de l’Éducation nationale, ont importé avec eux, non sans heurts, des valeurs et des problématiques différentes de celles traditionnellement portées par les acteurs de la colonne vertébrale pénitentiaire. En même temps que les catégories d’acteurs intervenant à titre professionnel en détention se renouvellent, des détenus d’un nouveau genre font leur apparition derrière les barreaux.
Déconfinement social de la condition carcérale : les délinquants « cols blancs »
11Dans les années 1990, l’inflexion progressive du jugement social porté sur les actes délictueux commis par les dirigeants politiques et économiques, dans le cadre de leurs activités professionnelles ou mandats électifs12, conduit à l’émergence d’une nouvelle catégorie de prisonniers : les délinquants dits « en cols blancs ». Cette expression désigne des personnes incarcérées pour délits financiers : détournement de fonds, corruption, prise illégale d’intérêt, corruption active ou passive ou abus de biens sociaux. L’appartenance de ces nouveaux délinquants à des catégories sociales favorisées contribue au déconfinement social de la prison, jusqu’alors considérée comme réservée aux franges les plus fragiles de la population. Comme les affections liées à l’amiante n’ont accédé au statut de problème public que lorsqu’elles ont commencé à atteindre les milieux universitaires de Jussieu, capables de réunir les conditions d’une mobilisation, et non plus seulement les ouvriers atteints de maladies professionnelles13, l’audience des problématiques pénitentiaires prend de l’ampleur dès lors que celles-ci concernent d’anciens dirigeants. Contrairement aux « détenus ordinaires », peu audibles du fait de leurs caractéristiques sociales et de leur absence de relais, les prisonniers en cols blancs disposent de ressources médiatiques et d’un capital social important : leurs histoires personnelles ont été très largement relayées par les médias et ils ont parfois bénéficié de comités de soutien. De manière générale, leurs trajectoires sociales descendantes atypiques ont eu un écho important, tant du fait du caractère inattendu de leurs condamnations que des questionnements sociétaux soulevés par celles-ci : corruption, collusion entre milieux politiques et économiques, pouvoirs des juges, remise en cause de l’impunité de l’élite dirigeante, etc. Une couverture journalistique intensive a permis aux téléspectateurs et aux lecteurs de journaux de suivre les différentes étapes de leurs chutes sociales respectives : des perquisitions aux gardes à vue, en passant par leurs procès14 et leurs premières nuits en détention15. À leur sortie ou pendant leur séjour en prison, notamment par l’intermédiaire de membres de leurs familles, certains détenus en col blanc se sont publiquement exprimés : au milieu des récits biographiques et des retours d’expériences sur leurs parcours16, leurs conditions de détention sont évoquées17. En témoigne la longue interview de Bernard Tapie, ancien député, ministre et homme d’affaires, accordée à l’hebdomadaire grand public VSD dans laquelle il évoque son séjour à la maison d’arrêt de la Santé. Bien que bénéficiant d’un traitement privilégié dans les quartiers dits « VIP » de maison d’arrêt, dans lesquels ils jouissent d’une cellule individuelle, les détenus en col blanc n’en ont pas moins partagé une partie du lot carcéral commun : fouilles à corps, piètre et froide nourriture, restriction des douches et des parloirs, obligation de cantiner, côtoiement de violences, etc. C’est ce qu’ils racontent dans leurs premières impressions, livrées aux journalistes. Parmi les images fortes, reprises et véhiculées par l’ensemble des médias, des plus élitistes18 aux plus « grand public », la présence de cafards en détention, symboles de saleté et vecteurs de répugnance, arrive en tête.
12Déjà individuellement audibles, certains détenus en col blanc vont se regrouper pour agir. Une poignée d’entre eux, pour la plupart anciennement détenus dans le quartier « VIP » de la maison d’arrêt parisienne de la Santé, où ils se sont croisés ou rencontrés, a créé une association à la fin des années 1990, sous l’appellation « Groupe Mialet », du nom d’un officier de police judiciaire, retrouvé pendu dans sa cellule en 1997, pendant sa détention provisoire. Pour son lancement, le Groupe Mialet reçoit le soutien de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP). Constitués en groupe de pression et alliés à l’OIP, les détenus en cols blancs lancent collectivement des actions médiatiques dès 1999. Parmi elles, la publication dans Paris Match, d’une lettre de Pierre Botton, chef d’entreprise condamné dans une affaire de marchés publics truqués autour de la mairie de Lyon, à Bernard Bonnet, ancien préfet de Corse, incarcéré pour avoir donné l’ordre d’incendier des paillotes construites illégalement sur le domaine public19. Dans cette missive, le premier décrit le quotidien carcéral à la maison d’arrêt de la Santé, où il a lui-même séjourné, sous couvert d’apporter soutien et conseils au second, qui vient d’y être écroué. La page de l’hebdomadaire reprenant la lettre ouverte de Pierre Botton comprend également une présentation du Groupe Mialet en encadré et se termine par l’énumération de revendications, accompagnées des coordonnées de l’OIP. Cette coopération inter-associative marque le déconfinement social du problème des conditions de détention qui se voit désormais porté par des entrepreneurs de causes aux propriétés sociales très diverses, engagés dans un combat commun. La défense des prisonniers n’est plus alors seulement l’affaire de quelques anarchistes, engagés dans une lutte caricaturale contre l’institution pénitentiaire. La prison concernant principalement les milieux sociaux les plus défavorisés, la plupart des citoyens ne se sentent concernés ni par les conditions de détention ni par un risque potentiel d’incarcération. Il en va de même des représentants politiques qui se préoccupent alors très peu de la prison. La condamnation d’anciens dirigeants à des peines privatives de liberté contribue à changer cette donne en élargissant la condition pénitentiaire à de nouveaux publics.
13Les délinquants en cols blancs se distinguent des autres détenus par une forte proximité sociale avec les élus et dirigeants politiques, quand ils n’ont pas directement appartenu à ces catégories d’acteurs. Le délégué général du Groupe Mialet, Jean-Michel Boucheron, a été maire d’Angoulême, député de Charente et membre du gouvernement socialiste de Michel Rocard. Il a été condamné suite à un rapport de la chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes mettant en cause sa gestion de maire. Parmi les membres de l’association, on distingue aussi Yves Bonnet, ancien préfet et ancien député de la Manche, mis en examen pour complicité d’escroquerie. S’ils n’ont pas eux-mêmes exercé des fonctions politiques, la plupart des cols blancs sont liés à des personnalités qui en ont assumées. Celles-ci ont d’ailleurs parfois été impliquées dans les mêmes dossiers judiciaires. L’homme d’affaires Pierre Botton a été le directeur de campagne de Michel Noir, ancien ministre de droite et maire de Lyon, condamné avec lui en 1996, et qui était, par ailleurs, son beau-père. Le président du Groupe Mialet, Jean-Jacques Prompsy, ancien cadre dirigeant de la Lyonnaise des Eaux, a été impliqué dans deux affaires de financement occulte du parti socialiste français (« affaire Urba ») et du Rassemblement pour la République (« affaire Carignon »). Le vice-président du Groupe, Loïk Le Floch Prigent, ancien directeur général du groupe pétrolier Elf-Aquitaine, a été mis en examen pour abus de biens sociaux et détournement de fonds dans le cadre du « dossier ELF », impliquant notamment un ancien ministre, président du Conseil constitutionnel. Les phénomènes de circulation des élites entre vie politique, haute administration, finance et industrie font que les dirigeants de ces quatre milieux sont issus des mêmes écoles, fréquentent les mêmes lieux de sociabilité et sont inévitablement amenés à se croiser ou se rencontrer. Les relations sociales, professionnelles, amicales, voire familiales, antérieures à leur incarcération ont permis aux détenus en cols blancs de conserver des liens privilégiés avec leurs milieux d’origine même si leurs condamnations les en ont partiellement déchus. Ces réseaux relationnels, préalablement tissés, constituent autant de canaux de diffusion pour leurs revendications en faveur de l’amélioration des conditions de détention. Celles-ci trouvent d’autant plus facilement une audience que le risque carcéral, jusqu’alors censé être réservé aux milieux défavorisés, est en train d’atteindre les activités politiques. Si seule une infime minorité de responsables politiques a été impliquée dans les dossiers et affaires mentionnés, les activités dans le cadre desquelles les cols blancs ont été inquiétés concernent la plupart des élus. Gestion de collectivités locales, financement d’organisations partisanes et de campagnes électorales ou encore, attributions de marchés publics à des entreprises privées, sont autant d’activités sociales liées au fonctionnement banal du champ politique qui deviennent potentiellement délictueuses dans les années 199020. L’empathie liant les personnes susceptibles de se retrouver dans la même situation, conjuguée aux solidarités de corps et de camaraderie, favorise la pénétration des problématiques pénitentiaires au sein de la sphère politique. La résonnance des mobilisations de détenus en cols blancs dans l’univers parlementaire est perceptible dès la fin de l’année 1997, même si la problématisation retenue se cantonne bien souvent à la détention provisoire. La question écrite du député socialiste breton Kofi Yamgnane, directement inspirée par le témoignage de l’un d’entre eux, en est un indice.
« M. Kofi Yamgnane attire l’attention de Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la situation des personnes en détention dans les prisons françaises. L’incarcération et surtout les propos tenus à sa sortie de prison par M. Loïc Le Floch-Prigent mettant en cause le système carcéral : “Mes nuits sont hantées par les bruits que j’entendais là-bas, dont les pires sont sans doute les hurlements des détenus, en particulier ceux des nouveaux venus sodomisés dès leur arrivée par leurs compagnons de cellule… certains bénéficieront d’un non-lieu…” avaient profondément ému le pays. Outre l’échec total de la mission de réinsertion dévolue au système pénitentiaire et le fait que soit bafouée toute présomption d’innocence, la question fondamentale de la dignité humaine, sans le respect de laquelle il ne saurait y avoir de véritable démocratie, était et reste posée par un tel témoignage. En 1996, 55 000 personnes restaient détenues en France, dont la moitié dans un cadre préventif. » (Extrait de la QE no 6339 du 17 novembre 1997, posée par Kofi Yamgnage, député socialiste du Finistère.)
Déconfinement normatif : le droit européen
14Une autre source d’anoblissement des thématiques pénitentiaires réside dans leur prise en charge croissante par des instances européennes qui, en élaborant des standards internationaux, invitent à la comparaison entre États et remettent en cause le confinement qui caractérise les conditions de production des normes pénitentiaires françaises.
« La construction européenne nous force à nous regarder tels que nous sommes. Le miroir européen dans lequel la France se regarde est cruel pour la patrie des droits de l’Homme. Quand je suis arrivé à la Chancellerie, j’ai constaté que, par rapport aux normes du Conseil de l’Europe, le coût d’entretien d’un détenu en France était l’avant-dernier en Europe, juste avant celui de la Turquie. » (Entretien avec Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, mars 2007.)
15Le réseau traditionnel de politique pénitentiaire, jusqu’alors producteur de ses propres règles de fonctionnement, se trouve de plus en plus régulièrement ausculté, évalué, et même condamné, par ces instances. La pression induite par ce mode de régulation par le haut, présent dès les années 1950, tend à se resserrer à la fin des années 1980.
16En complément à la Convention européenne des droits de l’Homme, à vocation générale, le Conseil de l’Europe édicte dans les années 1970 des textes spécifiques au milieu carcéral, parmi lesquels les Règles pénitentiaires européennes (RPE), adoptées une première fois en 1973 et révisées en 198721. Sortes de standards européens à vocation normative, ces 108 règles sont censées constituer une source d’inspiration pour les États membres du Conseil de l’Europe pour l’organisation des conditions de détention. Non contraignantes, les RPE désignent des références collectivement approuvées, issues de valeurs partagées par les signataires de la Convention. À ce titre, elles exercent une pression d’ordre moral. Autrement dit, les règlements intérieurs des établissements pénitentiaires et l’amoncellement de normes d’application secondaires qui prévalent en France, dans un contexte d’absence de loi régissant les conditions de détention, font pâle figure à côté de ces nouveaux standards internationaux, parés de la vertu des grands principes. La balance de la légitimité penche plus spontanément du côté de l’Europe des droits de l’Homme que de celui du réseau traditionnel de politique pénitentiaire qui se voit remis en cause dans son fonctionnement autarcique par la formalisation d’un droit européen dédié au secteur carcéral, même si l’application de ce dernier ne se concrétise pas réellement dans les années 1990.
17La « Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants » du Conseil de l’Europe accède, quant à elle, à une mise en œuvre plus aboutie puisqu’elle bénéficie de l’appui du Comité européen de prévention contre la torture (CPT), créé en 1989 afin de veiller à son respect. Le CPT est un organe non judiciaire indépendant composé d’experts des États membres du Conseil de l’Europe, médecins, psychiatres, juristes, experts des droits de l’Homme et du système pénitentiaire. Il a compétence pour procéder à tout moment à des visites dans les lieux de privation de liberté des États du Conseil de l’Europe et, sur le fondement de ses constatations, formuler des recommandations aux autorités pour limiter les risques de torture et de mauvais traitements. Le champ d’action du CPT couvre l’ensemble des lieux de privation de liberté : établissements pénitentiaires, locaux de police et de gendarmerie, centres de rétention administrative, lieux d’hospitalisation sous contrainte, etc. Les préconisations formulées par le CPT sont adressées au gouvernement de l’État visité, invité à y répondre et à les mettre en œuvre dans les structures similaires sur l’ensemble du territoire. Entre 1991 et 1996, le CPT a effectué quatre visites en France dont deux ont concerné des établissements pénitentiaires. Des extraits des deux rapports de missions du CPT de 1991 et 199622 consacrés au milieu pénitentiaire, il ressort que la surpopulation carcérale en maison d’arrêt est récurrente et que la vétusté de certaines prisons commande des travaux de rénovation. Au-delà de ces constats, déjà pointés par des rapports antérieurs (rapports budgétaires, rapport Bonnemaison), le CPT se penche sur les progrès à accomplir en matière de continuité des soins, de préservation de l’intimité des détenus (fouilles, installations sanitaires non cloisonnées, confidentialité des consultations médicales non garantie) et de condition de détention des prisonniers placés en quartier disciplinaire ou à l’isolement (taille insuffisante des espaces de promenade et de leur ouverture sur le ciel, rareté des contacts avec l’extérieur, etc.), sujets jusqu’alors très peu abordés. Dans son rapport de 1996, le CPT propose même de reconsidérer l’interdiction généralisée de l’accès au téléphone pour les prévenus. Cet organe européen, nouvel entrant dans le réseau de prise en charge des établissements pénitentiaires, est porteur d’une vision de la détention centrée sur l’individu prisonnier et ses droits fondamentaux. Les experts internationaux du Comité apportent leur propre contribution au renouvellement des problématisations de la prison, aux côtés des autres nouveaux intervenants du milieu pénitentiaire. La publicité donnée aux deux premières visites du CPT en France, à ses recommandations et aux réactions gouvernementales afférentes, est restée limitée, cantonnée à des cercles d’experts internationaux. Outre la publication du rapport par le Conseil de l’Europe, aucun média de presse nationale ne consacre d’article à la visite du CPT de l’automne 1991, à l’exception du Monde diplomatique, journal de gauche spécialisé dans l’analyse de l’actualité internationale23. En 1996, l’intervention du CPT a fait couler davantage d’encre, ses experts ayant mis au jour une affaire d’agressions sexuelles de surveillants sur des détenus travestis, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Le traitement journalistique s’est toutefois focalisé sur la procédure judiciaire consécutive et sur les conditions de détention de la catégorie particulière des détenus transsexuels ou travestis. Seule une journaliste de Libération mentionne discrètement, au détour d’un paragraphe, le « problème des conditions de détention en général24 ». Les recommandations du CPT n’ont pas non plus de caractère impératif mais les gouvernements concernés se doivent d’y réagir, via la transmission de mémoires de réponses. Cela signifie que les autorités nationales sont, a minima, contraintes de se saisir du dossier prison, suite au rendu des rapports du Comité, en fournissant des explications sur les constats de mauvais traitements. Les préconisations faisant l’objet d’un suivi, d’une visite du CPT à l’autre, les responsables pénitentiaires, comme les services du cabinet du ministre de la Justice, se trouvent en quelque sorte sommés d’illustrer concrètement leur volonté d’amélioration de la situation et de convaincre du respect de leurs engagements précédents. Les prérogatives du Comité et son travail de visite d’établissements pénitentiaires, initié à partir de 1991, participent de l’instauration d’un contrôle extérieur, indépendant de l’administration pénitentiaire, dont les évaluations s’appuient sur une problématisation de la prison en termes de respect des droits fondamentaux. L’existence même du CPT et la potentialité de sa venue sur le territoire produisent des effets sur le fonctionnement du réseau traditionnel de politique pénitentiaire, qui se retrouve en position d’être ausculté, jugé à l’aune de valeurs qui ne sont pas prioritairement les siennes, et sommé de rendre des comptes. L’activité du Comité favorise la pénétration des préoccupations pénitentiaires dans les premiers cercles de la décision politique. L’audibilité aux plus hauts niveaux de l’État d’un organisme d’experts européens, mandaté par le Conseil de l’Europe, ne fait aucun doute, ne serait-ce que parce que l’avis de ce dernier engage la réputation de la France.
18Une autre application concrète du droit européen en matière pénitentiaire réside dans le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). La CEDH est un organe juridictionnel supranational, créé en 1959 pour veiller au respect de la Convention européenne des droits de l’Homme de 1950, ratifiée par les quarante-sept États du Conseil de l’Europe. Dès 1962, la Cour affirme que même si un requérant se trouve détenu en exécution d’une condamnation, les droits et garanties définis par la Convention ne s’effacent pas à son encontre. Certains principes de cette dernière sont donc mobilisables sur le terrain de la défense des droits des personnes détenues25. Ce recours juridictionnel sur la base de cas individuels peut déboucher sur une condamnation de l’État contrevenant. La France a ainsi été condamnée six fois au cours de la décennie 1990, en référence à l’article 5 de la Convention, pour durée excessive de maintien en détention provisoire26. Les arrêts de la CEDH qualifient, le cas échéant, une violation et prévoient des compensations pécuniaires pour les victimes du préjudice reconnu. Les décisions de ses juges jouent un rôle jurisprudentiel indéniable et peuvent conduire aussi bien à l’inflexion de certaines pratiques qu’à l’évolution formelle du droit interne des États que la sanction stigmatise aux yeux de la communauté internationale. L’activité de la Cour légitime implicitement la cause de la défense des prisonniers. La possibilité donnée aux détenus de recourir à une juridiction, nonobstant leur situation d’enfermement, contribue d’abord à leur normalisation au sein de la société. Ensuite, la recevabilité de leurs requêtes concernant des faits perpétrés en détention accrédite officiellement la potentialité de l’atteinte aux droits en prison. Les entrepreneurs de cause qui se sont donné pour mission de dénoncer ces manquements, trouvent dans la CEDH une sorte d’allié, d’autant plus lorsque celle-ci rend des avis défavorables aux États. Tout groupe d’individus ou organisation non gouvernementale, disposant du droit de requête, les associations de défense des personnes détenues peuvent elles-mêmes saisir la Cour européenne. Cette possibilité constitue non seulement une voie de recours mais aussi une arme mobilisable dans un contexte de lutte contre les autorités pénitentiaires nationales. S’adresser à une juridiction européenne permet à l’Observatoire international des prisons (OIP) de passer outre le réseau pénitentiaire traditionnel en se référant à une institution internationalement reconnue, de remettre publiquement en cause sa capacité à gérer les prisons en toute autonomie et de faire éventuellement condamner ses acteurs. Les règles pénitentiaires européennes, les rapports du CPT et les recours devant la CEDH constituent autant de ressources mobilisables par les organisations non gouvernementales et les associations, mobilisées en faveur de la protection des droits des personnes détenues27.
19La création de la section française de l’OIP au milieu des années 1990, dans un contexte où l’activité des instances européennes en matière pénitentiaire commence à être sérieusement formalisée, ne relève pas d’une simple coïncidence. Le manifeste fondateur de l’OIP, publié en 1991 dans les pages « débats » du quotidien Le Monde, s’appuie très largement sur des références à la situation internationale dans les prisons et au droit européen (« conventions, règles et autres instruments contraignants ou non28 »). La marque de fabrique de l’association OIP, créée en 1996, est de faire systématiquement référence au droit, et surtout au droit international, pour défendre les prisonniers. La prise en charge de la prison par le droit international, dans une optique d’universalisation des droits des personnes détenues, suscite aussi l’enrôlement des associations généralistes de défense des droits de l’Homme qui commencent à intégrer les problématiques pénitentiaires dans leurs champs d’action. C’est notamment le cas d’Amnesty International. Une autre catégorie, mobilisée suite à l’avènement d’un droit pénitentiaire européen, est celle des avocats, notamment sollicités pour la constitution des requêtes devant la CEDH et désormais susceptibles d’intervenir pour la défense de leurs clients en aval de la procédure judiciaire, pendant ou après leur détention.
20La prison des années 1990 diffère de celle de l’après-guerre : les mouvements successifs d’ouverture des établissements et de leur réseau traditionnel de prise en charge à de nouveaux acteurs, l’élargissement de la condition carcérale à des catégories sociales proches des dirigeants politiques ainsi que la construction progressive d’un droit pénitentiaire européen ont fait naître de nouvelles problématisations de l’univers carcéral qui tendent à anoblir les thématiques pénitentiaires. La constitution progressive de l’immigration en enjeu politique, traité au niveau ministériel, résulte de la pénétration de l’espace administratif des étrangers, longtemps géré par de petits fonctionnaires peu qualifiés et relégués, par une noblesse d’État, proche du pouvoir gaulliste dans les années 197029. De la même manière la prison devient un sujet digne d’intérêt politique dès lors qu’elle est portée par des acteurs dont les propriétés sociales, professionnelles, institutionnelles ou morales sont à même de susciter sa « revalorisation symbolique » : entreprises privées créatrices d’emplois, médecins, travailleurs sociaux, enseignants et instances internationales de protection des droits de l’Homme. La prison n’est plus le repoussoir d’autrefois et les conditions de sa prise en charge politique pourraient être réunies à l’approche du XXIe siècle.
La « mise en politique » par le scandale
21Le lent processus d’anoblissement des sujets pénitentiaires, déployé sur plusieurs décennies, a connu un mouvement d’accélération au début de l’année 2000 du fait de l’éclatement d’un scandale, suscité par la publication du témoignage d’une médecin. Tout un ensemble de mobilisations, émanant d’acteurs ou de groupes d’acteurs aux intérêts divers, pour la plupart issus du réseau élargi de gestion pénitentiaire, ont convergé vers la construction de la prison comme problème public, susceptible de faire l’objet d’une prise en charge politique. Ces mobilisations ont contribué à infléchir les tendances qui empêchaient jusqu’alors la mise sur agenda de la prison.
Le tirage d’alarme d’une médecin pénitentiaire
22La construction médiatique de la prison comme problème public démarre avec la publication par le journal Le Monde, d’extraits du livre-témoignage de la médecin Véronique Vasseur30, exerçant à la maison d’arrêt parisienne de la Santé. Le témoignage Vasseur brosse un tableau apocalyptique de l’état de l’établissement et de ses occupants : insalubrité, violences, atteintes à la dignité humaine, état sanitaire déplorable, manque de soins, trafics en tous genres. Le récit de la médecin s’appuie sur des descriptions de l’univers carcéral, étayées par une multitude d’anecdotes, piochées dans son vécu personnel, dont certaines sont particulièrement sordides : viol d’un détenu par ses compagnons de cellule, automutilations d’un « avaleur » et passage à tabac d’un autre détenu par ses surveillants. Au-delà des situations extrêmes de violences interpersonnelles, le fonctionnement carcéral routinier tel que décrit semble soumettre quotidiennement les détenus à des traitements dégradants : fouilles corporelles, menottage systématique, retraits de certains vêtements, lacets et ceintures afin de limiter les risques de suicide. La description alarmiste de l’état de santé des détenus est centrale dans le témoignage : infections au VIH, toxicomanie, troubles psychiques, infections liées aux conditions de détention. La mise en scène journalistique des propos de Véronique Vasseur, contribue à la valorisation de la médecin (photo en portrait) et à la construction d’une image négative de la prison à travers la publication d’une photographie de cour de promenade grillagée aussi vétuste qu’étroite. L’iconographie journalistique mobilise également la reproduction d’une radiographie médicale, pratiquée sur un détenu après une tentative de suicide par avalement d’un objet tranchant, sur laquelle apparaît une fourchette. La double page, qui s’étale au milieu de l’édition du 14 janvier 2000 du Monde, donne à voir au lecteur une prison indigne du XXIe siècle, qui rappelle les geôles insalubres des forçats de romans du siècle précédent. Présenté sous la forme d’un journal de bord, rédigé à la première personne du singulier, retraçant le quotidien de la médecin entre 1992 et 1999, le récit est empreint d’indignation morale : il exprime un sentiment de colère face à la situation pénitentiaire et plus particulièrement à l’égard de la condition faite aux personnes détenues. Véronique Vasseur est une entrepreneuse de cause issue du réseau pénitentiaire élargi : elle s’apparente à une « tireuse d’alarme31 » de l’Intérieur tout en étant extérieure au réseau traditionnel de politique pénitentiaire, parce que rattachée au ministère de la Santé depuis 1994. Sa profession valorisée, mise au service du soin et du bien-être d’autrui, lui confère une certaine crédibilité et une légitimité à défendre les détenus, ne serait-ce qu’en tant que patients. La présence de Véronique Vasseur en prison en tant que médecin et son indépendance vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, qui rendent la publication de son témoignage possible, résultent directement des processus de décloisonnement et de renouvellement des acteurs de l’univers carcéral.
Reprises médiatiques et amplifications
23Au début de l’année 2000, ce qui n’était au départ qu’un témoignage singulier se mue en déclencheur d’un « scandale » généralisé : la révélation publique de l’existence d’une contradiction entre idéal normatif et pratiques32 par la médecin-chef suscite de multiples réactions en chaîne, sur l’ensemble du territoire français. À la suite du Monde, qui lui a donné sa caution33, les autres médias diffusent à leur tour le témoignage Vasseur en l’agrémentant de leurs propres reportages. Pour la seule deuxième quinzaine du mois de janvier 2000, pas moins de vingt-sept articles de presse quotidienne nationale (Le Monde, Le Figaro, Libération, L’Humanité et La Croix), quatre dossiers publiés par des hebdomadaires d’information générale (Le Nouvel Observateur, Le Point, L’Express et Le Figaro Magazine) et quarante-huit articles issus de différents titres de la presse quotidienne régionale, sont consacrés à ce témoignage. De janvier à juin 2000, les sujets pénitentiaires sont au centre de centaines d’articles de presse et de dizaines d’émissions de radio et de télévision. Même des journaux étrangers de premier plan, tels le New York Times International (États-Unis) et le Herald Tribune (Allemagne), ont relayé les dires de la médecin.
24Outre le fait que le début d’année est une période « creuse » en actualité34, la mobilisation des plumes, microphones, appareils photographiques et caméras des journalistes s’explique par l’accessibilité soudaine d’un terrain d’investigation d’une grande rareté : quelques jours après la publication de l’article du Monde, le directeur de la maison d’arrêt de la Santé ouvre les portes de son établissement aux rédactions de presse, de radio et de télévision. Jusqu’alors difficile d’accès, parce qu’encadrée par de multiples procédures d’autorisation, la prison devient brutalement un lieu potentiel de reportage.
Une réalité habituellement difficile à percer, et même à entrevoir, tant l’établissement est fermé au regard […] Nombreux sont ceux qui souhaitent raconter le présent de ces geôles […] Les demandes de reportages sont donc nombreuses. Mais rares sont les élus […] Le Monde s’est vu refuser, à deux reprises depuis trois ans, le droit d’aller raconter le quotidien des quelque 1 300 détenus de la prison. Cette visite organisée à la Santé fera date dans l’histoire de la communication pénitentiaire. (Extrait : « L’administration pénitentiaire ouvre à la presse les portes de la prison de la Santé », 17 janvier 2000, Le Monde, p. 28.)
25La position centrale de la maison d’arrêt, au cœur de la capitale, à proximité des sièges des grands médias français mais aussi accessible aux médias étrangers, a sans doute facilité l’affluence des journalistes en réponse à l’invitation du directeur de la Santé35. Lors de leur venue à la Santé, les représentants des différents médias ont pris part à une expérience sensorielle commune qui leur a permis de s’approprier un environnement jusqu’alors peu connu de leurs professions. La visualisation de l’univers carcéral a servi de canal de transmission du spectacle de la souffrance des détenus au sein des réseaux journalistiques36 qui se sont pour la plupart engagés dans la dénonciation des conditions de détention aux côtés de la médecin Vasseur. L’ouverture des portes de la Santé a aussi permis aux journalistes de produire leurs propres images de la prison, indépendantes de celles fournies par l’administration pénitentiaire et d’en nourrir leurs articles. Des photographies de cellules sont venues illustrer et compléter le témoignage originel. Celle reproduite ci-après, réalisée pour l’Agence France Presse et publiée dans au moins trois titres de presse (La Provence, Le Figaro et le Nouvel Observateur) juste après l’organisation de la visite, donne à voir au lecteur un espace extrêmement réduit dans lequel se concentrent sans réelle séparation, couchages superposés et sanitaires, les toilettes jouxtant quasiment le lavabo. Le commentaire du Figaro sous le cliché indique que dans cette cellule de 10 m2 « s’entassent » quatre prison37. Ce nouveau type d’image fait entrer le lecteur dans l’intimité des détenus, le rapproche de la souffrance carcérale et lui en donne à voir une dimension quotidienne et concrète.
26Une autre raison du succès médiatique du témoignage Vasseur peut être recherchée dans son « système actanciel de dénonciation38 », facilement insérable dans les contraintes du champ journalistique. Les extraits de l’ouvrage ainsi publiés offrent une mise en scène toute prête des détenus, victimes des mauvaises conditions que l’administration pénitentiaire-bourreau leur fait subir et qu’une médecin-courage bienveillante, prenant soin d’eux, entreprend de dénoncer. Le traitement qui en a été fait, notamment par la presse, a accentué cette théâtralisation quelque peu manichéenne, en surinvestissant la figure de la dénonciatrice. Le témoignage de la médecin s’accompagne dès le départ d’une iconographie éditoriale propice à la reprise : sur la couverture de l’ouvrage, publié aux éditions du Cherche Midi, un montage photographique montre au premier plan Véronique Vasseur, souriante et lumineuse, devant la rotonde obscure de la prison de la Santé en arrière-plan. Cette image va être reproduite dans la plupart des titres de presse au début de l’année 2000. La personnalité charismatique de Véronique Vasseur, son physique télégénique, sa capacité à s’exprimer de manière claire et percutante se prêtaient, par ailleurs, particulièrement bien à l’exercice journalistique des portraits et des interviews. Pendant les deux années qui ont suivi la publication de l’avant-première du Monde, la médiatisation de Véronique Vasseur a pris des proportions très importantes.
Vous avez fait beaucoup d’interviews, de plateaux de télévision…
« Vous ne pouvez pas imaginer, ce n’était plus normal ! C’était une sorte de folie. J’ai fait tous les journaux de toutes les chaînes quand même ! Je ne pouvais pas me démultiplier. Il y avait toutes les caméras, les journalistes m’attendaient en bas de chez moi, ils téléphonaient jusqu’à onze heures du soir. Et ça a duré, duré ! Je me disais que ça allait s’arrêter mais ça ne s’arrêtait pas ! » (Entretien avec V. Vasseur, auteure de Médecin-chef à la Santé, mars 2006.)
27La médecin a été littéralement starisée par les journalistes. Portée aux nues, louée pour son courage, abondamment sollicitée et photographiée : un réel emballement médiatique a entouré sa personne. Son livre, tiré à plus de 170 000 exemplaires, a fait l’objet de plusieurs éditions et a été classé parmi les meilleures ventes de l’année 200039. Elle a reçu plusieurs récompenses dont le Prix de l’éthique40 et le Prix Saint Simon. Elle a été élue médecin de l’année par le magazine Impact Médecin Hebdo41. Elle a participé à des débats et donné de multiples conférences à travers la France, suivies de séances de dédicaces. Les hebdomadaires féminins se sont également saisis de son récit. L’adaptation de son histoire à l’écran dans un feuilleton télévisé, envisagée dès 2000, s’est concrétisée une dizaine d’années plus tard. Lancé par une publication de référence plutôt élitiste, le témoignage de Véronique Vasseur a finalement touché un large public et la notoriété de son auteure a largement dépassé milieux parisiens et cercles spécialisés de la médecine. Sa publication contribue à populariser les thématiques pénitentiaires et à en accroître l’audience.
Dénonciation généralisée des conditions de détention
28La soudaine mise en lumière médiatique de la prison ne peut être imputée à la seule mobilisation d’une entrepreneuse de cause, suivie et soutenue par des journalistes. L’explosion de la situation pénitentiaire comme problème public marque l’aboutissement de constructions et de mouvements sociétaux antérieurs. Si les médias ont grandement facilité le dévoilement public, et à grande échelle, de la condition carcérale, ils n’ont pas à eux seuls créé le scandale qui éclate au début de l’année 2000 autour de la prison. À la suite du témoignage de la médecin Vasseur, et à la faveur de l’intérêt médiatique suscité, des groupes d’acteurs ou des personnalités individuelles se mobilisent à leur tour, ou se remobilisent, venant ainsi conforter les propos de l’entrepreneuse de cause.
29Le scandale Vasseur, de par les créneaux médiatiques qu’il ouvre et le contexte favorable qu’il offre aux porteurs des problèmes de la prison, va précipiter la réalisation des projets d’interventions publiques des groupes récemment mobilisés que sont les détenus en cols blancs célèbres et l’OIP, tout en donnant à ces derniers l’opportunité de porter leurs revendications sur le terrain politique. En règle générale, le scandale va contribuer à la légitimation des mobilisations antérieures et permettre leur approfondissement. Les anciens détenus en cols blancs, qui s’étaient exprimés dès juin 1999 par voie de presse sous l’appellation Groupe Mialet, sont toujours actifs au moment de l’explosion du témoignage Vasseur. Ils sont en train de préparer la sortie dans le Nouvel Observateur d’un dossier consacré aux témoignages individuels et au lancement d’un manifeste commun des prisonniers célèbres. Le scandale Vasseur précipite la publication de ce dossier qui sort finalement le 20 janvier 2000, soit une semaine après l’édition du Monde reprenant les propos de la médecin, alors que la rédaction du journal ne la prévoyait pas si tôt. Pour l’occasion, d’anciens détenus célèbres font la couverture du titre hebdomadaire de presse magazine42. Le manifeste des anciens détenus cols blancs fait référence au témoignage Vasseur dont il « atteste la véracité ». Il est appuyé par l’Observatoire international des prisons (OIP). Parallèlement, les responsables de l’OIP préparent un rapport sur l’« état des lieux des prisons françaises » qui passe au peigne fin les conditions de détention sous tous leurs aspects (atteintes aux droits, travail, hygiène, liens familiaux, etc.). La préface de ce document évoque le témoignage Vasseur comme un livre qui a eu « l’effet de l’éclair dans un ciel plombé : il a déclenché l’orage qui grondait depuis quelque temps43 ». L’OIP ayant apporté une contribution très active au grondement, son rapport, qui paraîtra en mai 2000, marque l’aboutissement de plusieurs années de travail dont la concrétisation finale est en partie imputable au scandale. Le manifeste du Nouvel Observateur dénonce des « agressions contre la dignité de l’homme » perpétrées en prison, les inégalités entre détenus, « l’échec du système pénitentiaire » qui ne fait qu’accroître la délinquance, les humiliations infligées aux familles de détenus et la surpopulation carcérale, présentée comme la résultante d’un recours abusif à la détention provisoire44. Signé par vingt-huit personnes, le texte réclame la transparence des établissements pénitentiaires, le strict encadrement de la détention provisoire et le recours à des sanctions alternatives à la détention pour les personnes qui ne sont pas « physiquement dangereuses pour la société ». Depuis les débuts du scandale Vasseur, c’est la première fois que des revendications sont aussi clairement exprimées et que la ministre de la Justice est directement interpelée sur l’état des prisons. Jusqu’alors, la médecin s’en était tenue à une dénonciation implicite et localisée de l’administration pénitentiaire ainsi qu’au dévoilement de faits dont la portée générale n’était pas soulignée. La mobilisation des anciens détenus célèbres marque une nouvelle étape dans la constitution de la prison comme problème public en lui donnant le statut de cause construite, clairement portée devant le ministère par une « coalition de cause », regroupant des acteurs, partageant un ensemble de croyances normatives et de perceptions du monde, qui agissent de concert afin d’infléchir les processus de politique publique dans le sens de leurs croyances45.
30Les dénonciations précédemment évoquées sont issues de témoignages portant essentiellement sur la maison d’arrêt de la Santé, située à Paris. Parallèlement, des témoignages concernant d’autres établissements pénitentiaires se déploient, notamment par le biais de la presse régionale qui porte, et parfois même suscite, de nouvelles dénonciations. Les journaux locaux, tout comme l’ensemble des titres de presse français, relaient les extraits du livre de Véronique Vasseur dans leurs pages nationales. Mais nombre d’entre eux entreprennent ensuite de couvrir le dossier « prison » dans leurs zones géographiques de distribution. Dès les débuts du scandale Vasseur, le délégué national de l’OIP affirme dans un communiqué qu’un certain nombre de prisons françaises devaient être « fermées d’urgence » (Fresnes, la Santé, Lyon, Lille, Fleury-Mérogis, etc.46). Des journalistes de la presse régionale réagissent à ces déclarations. Au lendemain de l’ouverture des portes de la Santé par son directeur, un article du quotidien lyonnais Le Progrès avance l’hypothèse suivante : « Et si l’ouvrage du Dr Véronique Vasseur, médecin à la maison d’arrêt parisienne, était le reflet d’un dysfonctionnement plus général47… », en mentionnant l’inclusion des prisons de Lyon dans la liste noire des établissements vétustes dressée par l’Observatoire. D’autres prennent l’initiative d’aller enquêter autour de l’établissement le plus proche, provoquant ainsi de nouvelles prises de parole sur la dureté des conditions de détention. Le 21 janvier 2000, un journaliste de La Montagne affirme que « l’Auvergne n’est pas en reste », en s’appuyant sur une « sordide affaire de violence entre détenus », sur laquelle le Tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand a dû statuer, et sur le témoignage d’un ancien « taulard » de Riom48. De son côté, L’Est Républicain retrouve la trace d’un ancien détenu belfortain qui a connu plusieurs établissements49, tandis que Le Midi Libre publie le portrait de « Maurice » qui « a passé plus d’un an en prison à Nîmes » et qui en garde des souvenirs traumatisants50. Le Courrier de l’Ouest interviewe quant à lui une Juge d’application des peines (JAP) d’Angers qui confirme un certain nombre de faits mentionnés par Véronique Vasseur51. L’hebdomadaire régional La Croix du Nord Pas de Calais fait témoigner un prêtre officiant à la prison de Loos52. Anciens détenus, responsables associatifs ou judiciaires, aumôniers de prison : les journalistes mobilisent des témoins locaux et les enrôlent dans le scandale par le simple fait de recueillir leurs propos et de les rendre publics.
31Au niveau national, Véronique Vasseur reçoit le soutien de l’Ordre national des médecins, par le biais d’une lettre de son président qui lui garantit la solidarité de ses pairs. La mobilisation de l’Ordre s’exprime plus généralement en faveur des professionnels de santé qui ont relevé le défi du « difficile exercice de la médecine en milieu pénitentiaire53 ». Les acteurs du réseau de politique pénitentiaire élargi, entrés en prison en 1994 à la faveur d’une loi imposée à l’administration pénitentiaire, qui n’ont pas encore été pleinement acceptés par les fonctionnaires de celle-ci54, reçoivent ainsi le soutien de leur profession. Avec l’appui de l’OIP, une trentaine de membres des associations Act Up et Prévention action santé travail pour les transgenres (PASTT), notamment investies dans la défense des droits des malades infectés par le VIH, ont défilé le 11 février 2000, devant l’administration pénitentiaire avec une banderole « Prison = mort ». L’intervention de ces associations apporte une contribution supplémentaire à la définition des problèmes pénitentiaires en termes de santé publique, dans la lignée de la loi Veil de 1994, réorganisant les soins en prison. Jusqu’alors relativement absents sur les problématiques carcérales, des représentants des magistrats et des avocats entrent dans le débat public : le Syndicat de la magistrature se range du côté de la médecin Vasseur tandis que l’Ordre des avocats de la Cour de Paris annonce, par la voix de son bâtonnier, vouloir participer à l’amélioration des conditions de détention en instaurant une « permanence d’accès aux droits du prisonnier » à la maison d’arrêt de la Santé55. Les religieux, qui furent les tout premiers intervenants extérieurs à pénétrer dans les établissements pénitentiaires pour assurer une assistance morale aux détenus, ont eux aussi participé aux débats sur la prison lancés par le témoignage Vasseur. En février 2000, le journal chrétien La Croix publie une tribune du prêtre-ouvrier Guy Gilbert qui remercie la médecin et appelle à porter un « regard fraternel » sur les prisonniers, à faire preuve de « miséricorde » et « de pardon » envers eux56. Outre les personnels religieux, individuellement interrogés par la presse quotidienne régionale au sujet de leurs visites en prison, le Conseil national de l’aumônerie catholique des prisons organise une grande enquête, conduite auprès de 700 détenus chrétiens dont les résultats, publiés en juin 2000, soulignent « l’absence de véritable réinsertion », le « manque de respect dont souffrent les prisonniers », tout en faisant part du souhait de ces derniers « d’être considérés comme des êtres ayant des droits57 ». Une journée du jubilé de l’an 2000 a été spécifiquement consacrée aux prisonniers et à cette occasion, des autorités religieuses se sont rendues dans des établissements pénitentiaires pour y célébrer des messes. Le Cardinal de Paris, Monseigneur Lustiger, a ainsi officié à la maison d’arrêt de la Santé58. Au sommet de l’Église catholique, le Pape Jean-Paul II adresse, quant à lui, un message à ses « frères et sœurs en humanité » détenus, les assurant de sa proximité spirituelle. Plaidant en faveur de l’humanisation du monde carcéral, il se rend également dans une prison de Rome59. L’implication des aumôniers et autorités religieuses dans le scandale confirme la mobilisation de l’ensemble des acteurs du réseau élargi de politique pénitentiaire autour de la médecin Vasseur. L’entrée du Saint Siège dans le débat vient encore accentuer la monté en généralité des problèmes pénitentiaires, en donnant une dimension universelle à l’enjeu de l’humanisation des conditions de détention. Elle participe aussi au processus d’anoblissement des thématiques carcérales.
32Forte d’une aura médiatique exceptionnelle, Véronique Vasseur est quasi-unanimement considérée par les journalistes comme la porte-parole la plus légitime à s’exprimer sur la prison en ce début d’année 2000. De ce fait, elle dépossède les représentants des personnels pénitentiaires qui étaient jusqu’alors les interlocuteurs des médias lorsque les établissements étaient secoués par des événements. La coalition de cause qui se forme autour d’elle dépasse largement son milieu professionnel. Presque un an après la publication de son témoignage, elle rejoint l’OIP60. L’OIP a soutenu le manifeste des détenus célèbres et la manifestation d’Act-Up-PASTT. Nombre d’entre eux ayant été détenus à la maison d’arrêt de la Santé où elle exerçait comme médecin, les anciens prisonniers célèbres ont souvent connu Véronique Vasseur lors de leur séjour en prison. Certains d’entre eux ont même été intégrés au récit de son livre tandis qu’elle est elle-même mentionnée dans la lettre de Pierre Botton au préfet Bonnet, publiée dans Paris Match61. Ces multiples dénonciateurs aux arguments convergents ne sont pas cloisonnés les uns vis-à-vis des autres : entretenant parfois des relations bien avant le scandale, certains ont entrepris de coopérer et de mettre leurs ressources en commun pour agir ensemble. Au début de l’année 2000, leur coalition ne tarde pas à être perçue comme une menace par les acteurs traditionnels du réseau de politique pénitentiaire, d’autant plus que la majorité des médias semblent la soutenir.
Mobilisations et contre-mobilisations des acteurs pénitentiaires
33Le scandale est porteur d’incertitudes : son issue peut conduire à la réaffirmation des valeurs transgressées aussi bien qu’à la démonstration collective de leur obsolescence ; elle peut avaliser les dispositifs existants comme susciter des déplacements ou des réaménagements. Le scandale fragilise les rapports institués en mettant en évidence leur réversibilité potentielle62. Le scandale Vasseur, qui consiste en la révélation publique de la condition dégradante faite aux personnes détenues, questionne l’attachement de la société à la valeur de dignité humaine et le bien-fondé du fonctionnement du système carcéral.
34Au début de l’année 2000, les acteurs du réseau traditionnel de politique pénitentiaire se retrouvent face à une coalition d’acteurs portant, plus ou moins explicitement, de graves accusions à leur encontre. Mis à l’épreuve, ils ne manquent pas de réagir à leurs mises en accusation et aux déclarations publiques sur la prison. Le directeur de la Santé et certains syndicats de surveillants tentent de contrecarrer les témoignages accablants relayés dans l’espace public. Leur action consiste à « attaquer » la principale porteuse de problèmes en remettant publiquement en cause tant la véracité de ses propos que la crédibilité de sa personne63. Le 17 janvier 2000, soit trois jours après le premier article du Monde, le directeur de la maison d’arrêt de la Santé ouvre les portes de son établissement aux journalistes. L’enjeu était sans doute de faire montre d’une certaine transparence, en réponse aux accusations d’opacité, notamment portées par l’OIP et les anciens prisonniers célèbres. Mais la principale préoccupation du directeur de la Santé, relevée par les journalistes présents lors de la visite, était de donner à voir la réalité de la prison afin de rectifier certaines descriptions de la médecin Vasseur, jugées « fallacieuses » ou « caricaturales » par le chef d’établissement. Il aurait eu à cœur de présenter les améliorations apportées aux conditions de vie des détenus au cours des dix dernières années, estimant que le témoignage Vasseur rapportait des faits d’un autre temps. Lors de la venue des représentants des médias, le directeur s’est attaché à démentir certains passages de Médecin-chef à la Santé ainsi que les allégations d’un ancien détenu col blanc. Tout en reconnaissant certains faits dramatiques, il s’est indigné de la généralisation abusive que les témoignages en ont faite.
« Tout est loin d’être parfait certes, mais quand je lis que des rats et des souris courent partout, que c’est plein de vermine, qu’il n’y a que des carreaux cassés, je ne retrouve pas la réalité de la Santé. Ce témoignage donne un sentiment d’actualité et de généralisation du fonctionnement de l’établissement. Comme si toutes ces horreurs étaient le quotidien de la Santé. On ne peut pas admettre ça… » Il (le directeur) qualifie de « délire » la description des entrants en prison rejoignant leurs cellules « deux par deux entravés par des chaînes aux pieds […] », jurant qu’en 20 ans de carrière à l’AP, il n’a « jamais vu ça ». Il conteste que Loïk Le Floch Prigent […] ait pu entendre, la nuit, les hurlements de détenus se faisant violer. « Que des gens crient, s’interpellent la nuit, je ne le conteste pas. Mais tous les soirs, des cris de gens qui se font violer ou sodomiser, ce n’est pas vrai. Il faut arrêter de fantasmer. » (Propos du directeur de la Santé, cités par Cécile Prieur, « La presse a pu effectuer une visite guidée de la prison de la Santé », Le Monde, 18 janvier 2000, p. 10.)
35Certains articles publiés au lendemain de la visite laissent entendre que la mise en contact avec la « réalité », montrée par le chef d’établissement, n’a pas été aussi probante et convaincante pour les journalistes que les responsables de la maison d’arrêt l’aurait souhaité, Le Monde et Libération64 persistant à soutenir Véronique Vasseur. L’Humanité publie en chapeau de son reportage, sous la plume d’Olivier Aubert : « les journalistes ont pu voir un établissement mis au propre. Mais ce qui se cache derrière les murs repeints est terrible65 ». Seul le Figaro Magazine adopte un point de vue plus nuancé en soulignant, dans un dossier intitulé « Prisons : polémiques et réalités », les progrès de la condition faite aux détenus et le fait que la misère de ces derniers est « davantage morale que matérielle ». Jean-François Mongibeaux y insiste aussi sur « la grande misère des surveillants et des personnels de direction des prisons66 ». Cette première tentative aux résultats mitigés, a été lancée par la direction de la Santé, mais aussi implicitement par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) qui a nécessairement donné son accord. Le procureur de la République de Paris, directeur de l’administration pénitentiaire de 1988 à 1990, s’est joint à la contre-mobilisation de ses anciens collègues en dénonçant « la présentation manifestement excessive et volontairement provocatrice » des propos de Véronique Vasseur67. Les syndicats des personnels pénitentiaires réagissent également. Un tract anonyme, circulant au sein de la maison d’arrêt de la Santé et leur étant imputé, dénonce la piètre qualité du témoignage Vasseur, la désuétude des faits mentionnés mais aussi la vénalité et le « delirium tremens » de la médecin. Un second tract, signé par le syndicat local des personnels techniques Force ouvrière, reproche entre autres à la médecin d’avoir « maltraité et sali » les personnels pénitentiaires à des fins « mercantiles ». Dans un communiqué de presse, le bureau local de l’UFAP de la maison d’arrêt des Yvelines dénonce quant à lui « l’acharnement médiatique » dont sont victimes les personnels pénitentiaires, « qualifiés de violents, corruptibles et vicieux par d’anciens détenus, personnalités ou autres lors d’émissions TV ou dans la presse écrite ». Dans le même ordre de réaction, le délégué CGT de la Santé, dont le syndicat est pourtant le seul à soutenir Véronique Vasseur, confie à un journaliste du Monde : « le personnel s’est senti un peu sali68 ». Les arguments portés par les syndicats se déploient dans trois directions : la disqualification de la médecin en tant que personnalité, la remise en cause des faits qu’elle rapporte (FO et UFAP) et la dénonciation unanime (FO, UFAP et CGT) des effets néfastes pour leurs professions des témoignages publiés. Les extraits du tract de l’UFAP résument bien le problème posé par les personnels : « la société va s’intéresser à nous par le biais de qualificatifs négatifs », « plus nous avançons dans cette volonté de transparence, moins il est aisé pour nous de dire civilement que nous sommes surveillants pénitentiaires ». Ceux-ci sont à mettre en relation avec le ressenti des surveillants face à l’image sociale négative que leur renvoyait déjà la société, bien avant le scandale Vasseur. Le témoignage de la médecin et ses retombées médiatiques accentuent un malaise professionnel antérieur69.
36Les porte-parole des personnels pénitentiaires tentent également de profiter de l’exceptionnelle visibilité médiatique de la prison pour porter leurs propres revendications. Ils apportent ainsi leur contribution à la mise sur agenda de la prison. Leurs interventions visent, d’une part, à reformuler leurs revendications antérieures en les adaptant au contexte du scandale Vasseur et, d’autre part, à tenter de remettre les préoccupations des fonctionnaires pénitentiaires au centre de la problématisation publique de la prison. L’ouverture de la prison de la Santé visait sans doute aussi à montrer aux journalistes les difficultés rencontrées par les acteurs pénitentiaires. Les personnels tentent de se réapproprier la dénonciation de départ et de la renvoyer vers le ministère de la Justice. La CGT pénitentiaire affirme que les « thèmes abordés (par Véronique Vasseur) sont dénoncés par le syndicat depuis fort longtemps et sont connus de la chancellerie […] Les crédits annoncés par la ministre ne sont pas nouveaux et restent d’une insuffisance notoire ». De même, l’UFAP prétend n’avoir « cessé de clamer haut et fort devant les portes des prisons françaises ou du ministère de la Justice, sans réponse significative des différents ministres qui ont occupé et qui occupent ce poste ». Tout en se félicitant de la mobilisation de toutes les catégories de personnalités qui se préoccupent de l’actuel état des prisons françaises, Force ouvrière déplore qu’il ait « fallu que ces élus (détenus cols blancs) soient incarcérés pour enfin s’intéresser à ce que les personnels dénoncent depuis toujours70 ». Les revendications traditionnelles des syndicats sont, dans un second temps, reformulées en fonction des éléments du témoignage Vasseur. La CGT71 met l’accent sur l’insalubrité des établissements, soulignée dans les descriptions de la médecin, et la nécessité de fermer les plus vétustes d’entre eux, comme le propose l’OIP. Les représentants des personnels s’efforcent également d’articuler les revendications des personnels avec les préoccupations exprimées dans le débat public concernant les détenus. Pour la CGT, les personnels, trop peu nombreux, ne sont pas en capacité « de protéger les personnes détenues ni d’effectuer une autre mission qu’ouvrir et fermer des portes ». Force ouvrière exige « le recrutement de 2000 surveillants pénitentiaires pour mieux observer et conduire les détenus dans tous leurs actes de vie quotidienne72 ». Les revendications d’augmentation des effectifs s’appuient en partie sur l’argument de la satisfaction des besoins des détenus en matière de protection et de réinsertion. Les syndicats tentent de reprendre, sur les questions pénitentiaires, la parole qui leur a, en quelque sorte, été ravie par la coalition d’acteurs formée autour du témoignage Vasseur. Pour ce faire, ils proposent une reformulation du problème de la situation pénitentiaire au centre de laquelle se trouvent les personnels. L’argumentation du syndicat Force ouvrière pour lequel « le personnel pénitentiaire exerce dans les établissements pénitentiaires, ses missions de façon périlleuse et humiliante » et qui exige « la défense de la dignité des locataires des prisons françaises » déplace les données du scandale des détenus vers les surveillants.
37Il y a « mise en politique » lorsqu’une question est déployée en dehors de son espace de formulation d’origine et devient incontournable tant pour les médias que pour les responsables politiques73. Le scandale Vasseur, en accélérant des processus d’anoblissement et des mobilisations déjà à l’œuvre depuis plusieurs décennies, contribue à faire sortir la prison de son espace traditionnel de traitement, essentiellement technico-administratif. Il dépossède les acteurs de la colonne vertébrale pénitentiaire de leur quasi-monopole sur la formulation des problèmes carcéraux en ouvrant la porte à de nouvelles définitions, ou en renforçant la légitimité de définitions déjà exprimées mais jusqu’alors marginalisées ou minoritaires. En quelques mots, la prison devient « discutable » et les choix de politique publique la concernant deviennent « réversibles74 ».
Traductions parlementaires de la prison
38En janvier 2000, médiatisation et mobilisations convergentes de divers groupes d’acteurs font que la prison occupe l’espace public : les conditions de détention s’imposent comme un véritable problème de société auquel les responsables politiques ne peuvent plus rester indifférents75. Les parlementaires se sentent interpelés par le scandale.
« La publication dans Le Monde des bonnes feuilles de l’ouvrage du docteur Vasseur a frappé l’Assemblée. Il y a eu une indignation générale et c’est à ce moment-là que, concomitamment, Laurent Fabius qui présidait l’Assemblée et moi, membre de la commission des lois, avons demandé la création d’une commission d’enquête. » (Entretien avec Louis Mermaz, ancien député de l’Isère et président de la commission d’enquête, décembre 2006.)
« Nous avons été interpellés par le livre de ce médecin qui est sorti et qui a explosé comme une bombe. À partir de là, on a été quasiment obligés de se saisir de la question. Sans ce livre, il n’y aurait pas eu de commission d’enquête. » (Entretien avec François Loncle, député de l’Eure, ancien membre de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, juin 2006.)
39Dès le début du scandale, des voix s’élèvent au Parlement pour réclamer une prise en charge des questions pénitentiaires. En février 2000, deux commissions d’enquêtes parlementaires voient le jour, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Comment la prison est-elle passée du statut de problème public à celui de problème politique au début de l’année 2000 ? Ce sont des opérations de « traduction76 » qui ont parachevé la « mise en politique » de la prison au Parlement, en février 200077.
La cause des droits de l’Homme et de la dignité humaine
40Au moment de la diffusion du témoignage de la médecin-chef de la maison d’arrêt de la Santé, la prison ne fait pas l’objet d’un investissement significatif au Parlement. La publication des extraits dans Le Monde et l’emballement médiatique autour de ces derniers suscite tant l’intérêt que les réactions d’un certain nombre de parlementaires, jusqu’à ce que l’ensemble de l’institution soit mobilisé par des personnalités de premier plan. Cette mobilisation a été rendue possible par la reproblématisation des indignations individuelles exprimées dans l’espace public en thématiques plus générales, considérées comme relevant de la compétence du Parlement. Dès le 17 janvier 2000, les députés du groupe Démocratie libérale de l’Assemblée nationale réclament la création d’une commission d’enquête « pour faire la lumière sur les conditions sanitaires du système pénitentiaire français et plus particulièrement de la prison de la Santé ». Ils en appellent à la mobilisation générale des parlementaires78. Le même jour, l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter, sénateur socialiste, propose à son tour la création d’une commission, estimant que si les propos de la médecin étaient confirmés « pareille situation constituerait une violation grave du principe de dignité humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation dont la valeur constitutionnelle fonde notre vision de la société79 ». Le président de l’Assemblée nationale, Laurent Fabius, fait ensuite part de son souhait d’assumer la présidence d’une commission d’enquête sur les prisons80. Les différents arguments avancés par les parlementaires pour justifier leur mobilisation se structurent autour de trois axes : la mise en cause de la France, la dénonciation des dysfonctionnements du service public pénitentiaire relevant du ministère de la Justice ainsi que la violation supposée des principes constitutionnels ou, tout simplement, moraux de dignité de l’être humain. Les parlementaires énoncent la question pénitentiaire en termes d’atteinte aux droits de l’Homme, valeur suprême, communément partagée par les citoyens dans un régime politique démocratique. Cette problématisation se nourrit de définitions de la situation carcérale, déjà construites par certaines catégories d’acteurs du réseau élargi de politique publique pénitentiaire (responsables associatifs, instances européennes). La référence aux droits de l’Homme consacre la mise en politique du dossier pénitentiaire en rendant nécessaire l’intervention des parlementaires en tant que représentants de la nation, législateurs et garants des grands principes républicains.
« L’humanisme dont notre pays se veut le fer de lance ne doit pas se limiter à des déclarations d’intentions. Son premier devoir est naturellement d’appliquer à lui-même les leçons qu’il entend donner au monde entier. Or, ces révélations sont autant de coups portés à une certaine conception de notre pays. Il est par conséquent légitime de se demander comment, dans un pays comme la France, si fière de l’image qu’elle entretient s’agissant des droits de l’Homme, de tels dysfonctionnements soient possibles […] Il n’y a là aucune considération de politique partisane, l’enjeu est en effet tout autre et dépasse les clivages puisqu’il en va de l’image de la France, en tant que démocratie moderne, soucieuse et respectueuse des droits de l’Homme. » (Extrait de la proposition de résolution « tendant à créer une commission d’enquête sur les conditions sanitaires dans les prisons françaises », AN, no 2078, 18 janvier 2000.)
41La formulation en termes de droits de l’Homme contribue au dépassement de la frontière entre délinquants prisonniers et citoyens ordinaires en rassemblant ces deux catégories sous l’égide de la communauté des êtres humains ayant droit à un minimum de dignité81. Ce type de cadrage permet le dépassement des clivages partisans et le contournement de l’affrontement droite/gauche. L’une des formations politiques ne peut plus être soupçonnée par l’autre de bienveillance à l’égard des délinquants puisque ces derniers ne sont pas envisagés comme tels dans cette problématisation de la prison. Les questions pénitentiaires deviennent un sujet consensuel et l’ensemble des groupes parlementaires demandent à l’unisson la création de commissions d’enquêtes. Il est dès lors possible de parler d’une prise en charge parlementaire collective, et non plus individuelle de la prison par quelques élus isolés. De la même manière, la prison n’est plus un sujet local, relatif à la situation d’un département ou d’une circonscription d’élection, mais une thématique politique de dimension nationale. L’entrée dans la mobilisation du président de l’Assemblée nationale, haut personnage de la République, et de l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter, jouissant d’une grande aura en raison de son combat en faveur de l’abolition de la peine de mort dans les années 1970-1980, contribue à la consensualisation de la cause pénitentiaire mais aussi à son élévation, parachevant ainsi le processus d’anoblissement.
Un sujet de commission d’enquête
42À l’issue du travail de formulation du problème pénitentiaire en termes de droits de l’Homme, le Parlement s’impose comme un acteur incontournable de son traitement. L’indignation suscitée dans l’espace public a été traduite en langage parlementaire dans les propositions de résolutions portant création de commissions d’enquête. En janvier 2000, la prison n’est pas inscrite à l’ordre du jour du calendrier législatif. Elle ne fait pas non plus l’objet de discussions budgétaires, la mission justice de la loi de finances pour 2000 ayant été examinée à l’automne 1999. Les procédures de contrôle par les questions parlementaires, individuelles (écrites et orales) ou organisées dans le cadre des groupes parlementaires (questions d’actualité), ne permettent pas de répondre à la dimension collective qu’induisent, d’une part, la mobilisation du Parlement dans son ensemble et, d’autre part, le caractère consensuel de l’indignation, portée par les représentants de tous les groupes politiques, représentés au Parlement. Leur caractère routinier semble par ailleurs inadapté aux enjeux d’un scandale d’ampleur exceptionnelle qui semble appeler une intervention politique significative. Le relatif confinement entourant jusqu’alors le traitement habituel des questions pénitentiaires au Parlement, du point de vue de la publicité, apparaît ensuite décalé vis-à-vis de la très forte médiatisation dont les problématiques pénitentiaires font l’objet en ce début d’année 2000. La commission d’enquête parlementaire, procédure exceptionnelle de contrôle82 pouvant être mobilisée en dehors de l’agenda législatif et budgétaire, réunissant des élus issus de tous les groupes politiques83 et dont les travaux accèdent à une certaine publicité, sera le cadre de travail retenu par les parlementaires pour concrétiser leurs mobilisations sur la prison (annexe I).
43Jusqu’en 2000, la présence des thématiques pénitentiaires était fonction décroissante du degré de visibilité des différentes arènes du travail parlementaire, au point que ces dernières se trouvaient confinées, aux marges de la publicité, dans des interventions à peine retranscrites au Journal officiel. La création de commissions d’enquête permet de remettre celles-ci au centre de la publicité parlementaire, les travaux réalisés dans ce cadre accédant à une certaine audience. À l’exception de situations particulières appelant la préservation de l’anonymat des personnes entendues, les auditions des commissions d’enquêtes sont publiques : ouvertes aux citoyens et journalistes, et retransmises sur les chaînes de télévision parlementaires. Les travaux des commissions d’enquêtes donnent lieu à la publication d’un rapport final, souvent largement diffusé à l’extérieur des chambres. Plus les thématiques traitées sont susceptibles d’intéresser un large public, plus les journalistes couvrent le déroulement des travaux, accompagnant parfois les parlementaires dans les missions extérieures afférentes. L’exceptionnelle audience publique du témoignage de Véronique Vasseur, pouvait laisser présager une très forte médiatisation des activités des commissions, par ailleurs souhaitée par certains de leurs initiateurs.
« Des travaux silencieux en matière de prison, il y en a eu beaucoup ! Dans mon idée, si on voulait changer les choses, il fallait quand même qu’il y ait une certaine rupture. Or, si on voulait une rupture, il fallait donner une force particulière à cette affaire-là, ce qui légitimait d’en faire à la fois une commission, de la présider et puis d’essayer d’avoir une vision rassemblée et non pas en compartiments. Je voulais qu’on débouche sur des recommandations précises et qu’on se saisisse de cette procédure de la commission d’enquête un peu comme d’un « hearing » – une idée qui existe aux États-Unis depuis longtemps – pour sensibiliser la population. C’est à la fois une bonne manière d’intéresser les membres de la commission, et l’opinion, et de déboucher sur des conclusions opératoires. » (Entretien avec Laurent Fabius, ancien président de l’Assemblée nationale, avril 2006.)
44Le dispositif de la commission d’enquête, imposé par la plus haute autorité de l’Assemblée nationale, a été notamment choisi en raison du caractère public de ses travaux. Le rapport qui liait jusqu’alors prison et publicité tend à s’inverser en ce début d’année 2000. Le dispositif d’enquête semble d’autant plus approprié que la « contre-mobilisation » des acteurs traditionnels du réseau de politique publique pénitentiaire, en contestant les faits dénoncés dans le cadre du scandale Vasseur, introduit le doute dans la construction du problème posé. Les travaux de la commission d’enquête, orientés vers le recueil d’informations sur un sujet ou une situation donnés, peuvent concourir à dissiper ce dernier.
« Sans préjuger de l’exactitude des propos tenus par ce médecin, il apparaît donc indispensable que toute la lumière soit faite sur ce qu’il est advenu pendant sept ans à la prison de la Santé » (Extrait : PR no 165 « tendant à créer une CE sur les conditions de détention dans les maisons d’arrêt », Sénat, 18 janvier 2000.)
45Une fois les commissions d’enquête relatives à la situation dans les prisons française mises en place à l’Assemblée nationale et au Sénat, en février 2000, un travail parlementaire d’investigation approfondi débute.
Notes de bas de page
1 Sylvain Laurens, Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, Paris, Belin, 2009.
2 Corinne Rostaing, « Pertinence et actualité du concept d’institution totale : à propos des prisons », in Charles Amourous et Alain Blanc (dir.), Erving Goffman et les institutions totales, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 137-154.
3 Akrich et Michel Callon, « L’intrusion des entreprises privées dans le monde carcéral français : le programme 13 000 », in Philippe Artières et Pierre Lascoumes (dir.), Gouverner, enfermer. La prison, un modèle indépassable ?, Paris, Presses de Science Po, 2004, p. 302.
4 Ibid., p. 304 à 313.
5 Nils Christie, L’Industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident, Paris, Autrement, 2003.
6 Marie-Hélène Lechien, « L’impensé d’une réforme pénitentiaire », ARSS, vol. 136, no 1, 2001, p. 15-26.
7 Éric Farges, « Penser la réforme pénitentiaire avec Michel Foucault. Apports et limites à une sociologie politique de la loi du 18 janvier 1994 », Raisons politiques, no 25, février 2007, p. 101-125.
8 57 députés dont 34 médecins sous la 11e législature à l’Assemblée nationale soit presque 10 % de l’effectif total. Source : Archives de la 11e législature (composition à la date du 18 juin 2002) – liste des députés par catégorie socioprofessionnelle, Assemblée nationale. 41 sénateurs dont 17 médecins, soit près de 12 % des élus de la « chambre haute », à la même époque.
9 Claude Huriet, rapport sur le « Projet de loi relatif à la santé publique et à la protection sociale », Sénat, no 49, 21 octobre 1993.
10 Décret no 99-276 du 13 avril 1999 modifiant le code de procédure pénale et portant création des services pénitentiaires d’insertion et de probation.
11 Convention relative à la création d’unités pédagogiques régionales en milieu pénitentiaire, sur le territoire des directions régionales des services pénitentiaires, entre le ministère de la Justice et le ministère de l’Éducation nationale.
12 Pierre Lascoumes, Élites irrégulières. Essai sur la délinquance d’affaires, Paris, Gallimard, 1997, p. 10.
13 Emmanuel Henry, Amiante : un scandale improbable. Sociologie d’un problème public, Rennes, PUR, 2007, p. 86 à 100.
14 Yvan Drapeau, « Trois à quatre ans de prison ferme requis contre Jean-Michel Boucheron. L’ancien maire d’Angoulême jugé pour la seconde fois », Le Monde, 25 septembre 1999, p. 12.
15 Hervé Gattegno, « Un ancien responsable d’Elf Aquitaine placé en détention provisoire », Le Monde, 13 janvier 2000, p. 9.
16 « Ce que la prison m’a appris », Interview de Bernard Tapie, VSD, no 1087, 25 juin-1er juillet 1998, p. 17-21.
17 Rafaële Rivais, « Cellule, parloir et cafards pour l’ancien préfet de Corse à la prison de la Santé », Le Monde, 11 juin 1999, p. 12.
18 Rafaële Rivais, « Cellule, parloir et cafards pour l’ancien préfet de Corse à la prison de la Santé », Le Monde, 11 juin 1999, p. 12.
19 Lettre ouverte de Pierre Botton au préfet Bonnet, Paris Match, 10 juin 1999.
20 Pierre Lascoumes, op. cit.
21 108 Règles pénitentiaires européennes, Recommandation no R (87) 3, Conseil de l’Europe, 1987.
22 Rapports au gouvernement de la République française relatifs aux visites effectuées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en France du 27 octobre au 8 novembre 1991 (19 janvier 1993) et du 6 au 18 octobre 1996 (14 mai 1998), Conseil de l’Europe, Strasbourg.
23 Antonio Cassese, « Prévenir les traitements inhumains. Les casques bleus des droits de l’Homme », Le Monde diplomatique, septembre 1991, p. 6.
24 Dominique Simonnot, « À Fleury, marché sexuel entre gardiens et travestis », Libération, 16 octobre 1996, p. 15.
25 Jean-Paul Céré, « Les droits des détenus sous la Cinquième République : de réels progrès ? », Revue française d’administration publique, no 99, juillet-septembre 2001, p. 418-422.
26 Affaires Letellier (26 juin 1991), Kemmache (27 novembre 1991), Tomasi (27 août 1992), Müller (17 mars 1997), I. A. (23 septembre 1998) et Husseini (9 novembre 1999).
27 Laurent Quéro, « Les standards pénitentiaires internationaux », in Philippe Artières et Pierre Lascoumes (dir.), Gouverner, enfermer. La prison, un modèle indépassable ?, Paris, Presses de Science Po, 2004, p. 319-339.
28 Collectif de signataires, « Pour un observatoire international des prisons », Le Monde, 16 novembre 1991, p. 2.
29 Sylvain Laurens, op. cit., p. 25 à 65 et p. 302-303.
30 Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, Paris, Le Cherche Midi, 2000.
31 Mary Bernstein et James M. Jasper, « Les tireurs d’alarme dans les conflits sur les risques technologiques. Entre intérêts particuliers et crédibilité », Politix, no 44, 1998, p. 109-134.
32 Définition du scandale de Yannick Barthe et Cyril Lemieux, « À l’épreuve du scandale », Politix, vol. 18, no 71, 2005, p. 3-7.
33 Rémy Rieffel, L’Élite des journalistes, Paris, PUF, 1984, p. 112.
34 Pascal Décarpes, « Topologie d’une prison médiatique », Champ Pénal, vol. 1, mars 2004, p. 2.
35 Ibid. et Cécile Prieur, « La presse a pu effectuer une visite guidée de la prison de la Santé », Le Monde, 18 janvier 2000, p. 10.
36 Par analogie, sur le rôle de la visite de quartier dans la sensibilisation des publics à l’enjeu de sauvegarde du vieux Lyon, cf. Joan Stavo-Debauge et Danny Trom, « Le pragmatisme et son public à l’épreuve du terrain. Penser avec Dewey contre Dewey », in Bruno Karsenti et Louis Quéré (dir.), La Croyance et l’enquête. Aux sources du pragmatisme, Raisons Pratiques, no 15, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004, p. 195-226.
37 Christophe Cornevin, « Les derniers abcès de la Santé. Le carnet de bord du médecin en chef de la prison de la maison d’arrêt bouscule un tabou », Le Figaro, le 17 janvier 2000.
38 Luc Boltanski, Yann Darré et Marie-Ange Schiltz, « La dénonciation », ARSS, no 51, mars 1984, p. 3-40.
39 Source : classement annuel L’Express-RTL/IFOP.
40 Prix récompensant « une personnalité dont l’action semble guidée par de hautes valeurs », attribué par la Convention nationale de la fonction publique territoriale. Source : plaquette de la Convention.
41 « Dr Véronique Vasseur, élue Médecin de l’année », Impact Médecin hebdo, no 515, 15 décembre 2000, p. 10.
42 « Coupables ou innocents, les prisonniers célèbres lancent un manifeste. Ce que nous avons vu en prison », Le Nouvel Observateur, no 1837, 20-26 janvier 2000.
43 Observatoire international des prisons, Prisons, un état des lieux, Paris, L’Esprit Frappeur, 2000, p. 5.
44 Extraits du manifeste des détenus célèbres, Nouvel Observateur, op. cit., p. 76.
45 Paul A. Sabatier et Hank C. Jenkins-Smith (dir), Policy change and learning. An advocacy coalition approach, États-Unis, Westview Press, 1984, p. 28 et suiv.
46 « Un certain nombre de prisons françaises “à fermer d’urgence” selon l’OIP », AFP, 17 janvier 2000.
47 « Prisons : un livre, des problèmes », Le Progrès, 18 janvier 2000.
48 Yves Le Faou, « Scènes ordinaires de violence carcérale », La Montagne, 21 janvier 2000.
49 « Un ancien taulard belfortain raconte ses prisons », Propos recueillis par J.-P. Pastissié, L’Est Républicain, 24 janvier 2000.
50 Anthony Jones, « Dans l’univers carcéral, le mot confiance est banni », Le Midi Libre, 24 janvier 2000.
51 « Maison d’arrêt d’Angers : une population de plus en plus fragile », Propos recueillis par Brigitte Chirat, Le Courrier de l’Ouest, 20 janvier 2000.
52 « Dans l’ombre des prisons. Trois questions à Jean-Hubert Vigneau, aumônier », La Croix du Nord Pas de Calais, 28 janvier 2000.
53 « L’ordre soutien le Dr Vasseur », Le Panorama du Médecin, 1er février 2000.
54 Marie-Hélène Lechien, « L’impensé d’une réforme pénitentiaire », op. cit., p. 15-26.
55 Francis Teitgen, « Éditorial », Le Bulletin du Barreau de Paris, no 3, 1er février 2000.
56 Guy Gilbert, « Et si c’était nous, les rats ? », La Croix, 9 février 2000.
57 Xavier Ternisien, « Les aumôniers catholiques dénoncent l’enfer légal de la prison », Le Monde, 29 juin 2000, p. 12.
58 Astrid de Larminat, « Mgr Lustiger en communion avec les détenus de la Santé », Le Figaro, 10 juillet 2000.
59 Guillaume Goubert, « Le Pape demande un signe de clémence pour les détenus », La Croix, 3 juillet 2000, p. 9.
60 « Prisons : Véronique Vasseur va rejoindre l’OIP », Le Monde, 1er décembre 2000, p. 11.
61 Lettre ouverte de Pierre Botton au préfet Bonnet, Paris Match, 10 juin 1999.
62 Damien De Blic et Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, vol. 18, no 71, 2005, p. 9-38.
63 Sur les stratégies de déni d’agenda de coût moyen par « attack », consistant à discréditer le groupe porteur de problème ou le problème en lui-même, cf. Roger W. Cobb et Marc Howard Ross, Cultural strategies of agenda denial. Advoidance, attack and redefinition, United States, University Press of Kansas, 1997, p. 25 à 45.
64 Véronique Simonnot, « Le règne de l’arbitraire et de l’opacité » et Gérard Dupuy, « Témoignage de l’intérieur » Libération, 17 janvier 2000, p. 3-4.
65 Olivier Aubert, « Prisons, l’impitoyable univers », L’Humanité Hebdo, 22-23 janvier 2000, p. 14-15.
66 Jean-François Mongibeaux, « Une misère davantage morale que matérielle », Le Figaro Magazine, 22 janvier 2000, p. 16.
67 « Le procureur de Paris critique le médecin de la Santé », AFP, 17 janvier 2000.
68 Nathaniel Herzberg, « Le débat suscité par le livre du docteur Vasseur sur la Santé s’amplifie », Le Monde, 19 janvier 2000, p. 10.
69 Antoinette Chauvenet, Françoise Orlic et Georges Benguigui, Le Monde des surveillants de prison, Paris, PUF, 1994, p. 50.
70 FO Pénitentiaire, L’Espoir, no 29, 1er trimestre 2000, p. 4.
71 Tract diffusé par la CGT Pénitentiaire, 20 janvier 2000.
72 Ibid.
73 Définition de Yannick Barthe, reformulée par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, Sociologie de l’action publique, Paris, Armand Colin, 2007, p. 80.
74 Yannick Barthe, Le Pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Économica, 2006.
75 Pierre-Victor Tournier, « L’horreur carcérale : le retour de la question pénitentiaire », in L’année des débats, la Suite dans les idées, Éditions La Découverte, 2000, p. 69-73.
76 La « traduction » désigne « l’ensemble des opérations par lesquelles des énoncés sont mis en relation les uns avec les autres mais également avec des éléments matériels, des compétences incorporées dans des êtres humains, des procédures ou des règles ». Cf. Michel Callon, « Quatre modèles pour décrire la dynamique de la science », in Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour (dir.), Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Presses de l’École des mines, 2006, p. 201-251.
77 Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année Sociologique, no 36, 1986, p. 169-208.
78 « DL pour une commission d’enquête sur les conditions dans les prisons », AFP, 17 janvier 2000.
79 « M. Badinter propose une commission d’enquête sur les maisons d’arrêt », AFP, 18 janvier 2000.
80 « Laurent Fabius souhaite présider une commission d’enquête sur les prisons », AFP, 19 janvier 2000.
81 Sur la problématisation similaire de la condition des étrangers en situation irrégulière, cf. Johanna Siméant, La cause des sans-papiers, Paris, Presses de Science Po, 1998, p. 260 et suiv.
82 Sur les moyens d’action des commissions d’enquête, cf. secrétariat général de l’Assemblée nationale, Les Commissions à l’Assemblée nationale, Paris, Assemblée nationale, coll. « Connaissance de l’Assemblée », no 12, janvier 2000, p. 73-78.
83 Pauline Türk, Les Commissions parlementaires permanentes et le renouveau du Parlement sous la Ve République, Paris, Dalloz-Sénat, 2005, p. 314.
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