9. La fabrique du Programme commun
p. 165-179
Texte intégral
1Formellement signé en juin 1972, puis « réactualisé » pendant quinze réunions à l’été 1977, avant d’être officiellement rompu en septembre, le Programme commun est singulier. Il l’est tout d’abord par son volume (88 ou 138 pages selon les éditions1) qui contraste avec les 110 propositions de François Mitterrand en 1981 ou encore les 60 engagements pour la France de François Hollande2. Ensuite, le Programme commun engage trois partis – le PCF, le PS, rejoints ensuite par le Mouvement des Radicaux de Gauche (MRG) –, et leurs listes ou candidats communs, à la différence des programmes qui, notamment lors des présidentielles récentes, engagent des personnes et peuvent, de plus, être distincts de ceux des partis. Enfin, ce sont les dirigeants et les membres des instances nationales qui participent aux négociations. C’est donc le haut des hiérarchies partisanes3 qui en a été le producteur, et non des think tanks ou, a fortiori, des militants et des citoyens ordinaires, comme dans les processus inspirés par la démocratie participative mobilisés par la candidate Ségolène Royal.
2Le Programme commun est souvent au cœur des témoignages qui constituent l’un des matériaux privilégiés de l’historiographie du communisme. De même qu’il est ancré dans les mémoires, il a contribué à transformer un temps le PS en parti de militants4. Mais s’il a été abordé par les historiens ou politistes qui ont travaillé sur la période et sur les partis qui l’ont signé5, c’est avant tout sa rupture6 et les mystères qui l’entoureraient, ainsi que le degré d’implication des partenaires qui ont focalisé l’attention. Loin de vouloir revenir à une explication « étiologique » de la signature et de la rupture ou à des analyses qui hypostasient les organisations partisanes pour leur prêter une stratégie rationnelle et unique, il s’agira ici d’entrer dans le travail de production du programme – c’est pourquoi nous nous focaliserons sur les périodes (avant et après 68) qui précèdent sa signature. Quelles sont les séquences de négociations ? Qui participe à l’élaboration du Programme commun ? Quelle part ont les dirigeants de premier plan ? Comment produit-on un texte unique ? Quels sont les propriétés et les savoir-faire des différents négociateurs ? Que se passe-t-il en coulisses ? Que montre-t-on aux différents publics que sont les dirigeants de son propre parti, les militants et les électeurs ? Questions proches des réflexions récentes sur les coalitions dont les négociations programmatiques sont, en effet, le premier temps inaccessible à l’observation7.
3Nous nous appuierons sur des témoignages de négociateurs soit recueillis par nous-mêmes8, soit publiés, ensuite sur des archives de dirigeants communistes déposées aux Archives de la Seine-Saint-Denis9. En raison de la familiarité que nous ont procurée nos recherches, nous avons privilégié les sources communistes, par ailleurs plus rarement exploitées. Ces sources permettent de reconstituer les argumentaires, les échanges, les concessions et les blocages voire l’ambiance des négociations. Il s’agira ainsi de contribuer à l’analyse des savoir-faire des professionnels de la politique et plus globalement à l’analyse du métier politique. Enfin, si l’on admet que l’histoire sociale des idées suppose de ne pas s’en tenir aux producteurs cardinaux que sont les « grands » penseurs, le Programme commun constitue un exemple intéressant. Texte sans auteur cardinal mais écrit par des contributeurs multiples, il connaît plusieurs éditions10. Si les raisons sont sans doute en partie financières11, la mise en livre (logo, préface, couverture, etc.), selon la désignation de Roger Chartier, manifeste sous l’unité du texte unique, la persistance des enjeux « domestiques » qui sous-tendent les longs processus de négociation.
Aléas et temps long
4Le Programme commun est l’aboutissement d’un processus qui, loin d’être rectiligne, est fait d’aléas, d’avancées et de retours en arrière. On peut néanmoins distinguer trois périodes principales12. La première débute dès la fin de la Guerre d’Algérie et s’achève en 1968 avec les événements de mai et la répression en août du « Printemps de Prague » par les troupes du Pacte de Varsovie. La deuxième est parallèle à la refondation du PS, elle-même précédée par le rassemblement de la gauche socialiste autour de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS)13. Vient ensuite une troisième période où les trois partis présentent à toutes les élections (dont la présidentielle de 1974, avec la candidature unique de Mitterrand) des candidats tenus par des engagements programmatiques. Cette période voit progressivement le PS prendre l’ascendant sur son concurrent communiste au point de devenir en 1978, après la rupture de l’automne précédent, le premier parti de gauche.
5Lorsque le processus commence, Maurice Thorez est toujours secrétaire général du PCF, tandis que la gauche socialiste se compose de la SFIO et d’une multitude de partis et de clubs, nés pour une part de dissidences au regard de la politique jugée trop réformiste et trop colonialiste du parti de Guy Mollet. Aussi, est-il pris dans des logiques propres à chacun des groupes. Côté communistes, après les révélations du xxe Congrès du PCUS sur les crimes de Staline, une fois levée l’hypothèque Servin-Casanova14, commence une évolution qualifiée d’aggiornamento par référence à Vatican II. Dans cette évolution, renforcée avec l’accession au poste de secrétaire général de Waldeck Rochet15, poursuivie un temps par son successeur Georges Marchais, la révision théorique (par exemple l’acceptation des urnes comme moyen de conquête du pouvoir ou la formulation d’une voie française au socialisme), la pratique des alliances électorales à gauche, le renouvellement du personnel dirigeant (son rajeunissement et l’élévation de son niveau de diplôme) et le nouveau statut concédé aux intellectuels (décrits comme des salariés, destinés à lutter aux côtés des ouvriers, en compagnie des techniciens et cadres) s’appellent les uns les autres.
6De son côté, la SFIO affaiblie par la Guerre froide (et sa participation à des gouvernements de coalition avec le MRP) puis par les guerres coloniales qui ont entraîné de nombreuses scissions (comme celle qui a finalement donné naissance au PSU auquel appartient l’ancien président du Conseil Pierre Mendès France16), entreprend de réunifier les socialistes. Cette réunification (accidentée) au principe du nouveau PS en 1969 est parallèle à la conquête (elle aussi accidentée) de ce même bloc par Mitterrand, achevée en 1971 au Congrès d’Épinay. Enfin, le MRG naît pour l’essentiel de la signature du Programme commun par le refus d’une partie des radicaux de se voir rejetés à droite17. Pour ces deux partis, le rythme des négociations dépend, dernier facteur, du calendrier électoral. En 1965, par exemple, les municipales permettent tout d’abord un protocole d’accord entre les fédérations PCF et SFIO de la Seine, tandis que la présidentielle conduit le PCF à se rallier, une fois avéré l’échec de la candidature Gaston Defferre (« Monsieur X »), à celle de Mitterrand. Au-delà de ces raisons, le calendrier des rencontres entre socialistes et communistes est complexe parce que, comme permettent de le montrer les archives et comme certains souvenirs l’avaient déjà révélé, les rencontres officielles qui font l’objet de communiqués ou de conférences de presse s’accompagnent de rendez-vous officieux. Est ainsi connue désormais la série de contacts clandestins voire rocambolesques qui a abouti au choix par le PCF de Mitterrand comme candidat unique de la gauche à la présidentielle de 196518.
7Plusieurs types d’acteurs, qui entrent en scène à des stades distincts des négociations, participent à ces rencontres : les chefs de partis eux-mêmes (« les Premiers » comme les désigne Pierre Juquin en entretien) qui peuvent parfois être deux par parti, comme c’est le cas lors des rencontres de 1966-1967 lorsque Mollet et Mitterrand représentent la FGDS ; les dirigeants de premier plan, membres des délégations des partis ; des dirigeants nationaux, membres du Comité central (CC) ou du Comité directeur qui, en tant qu’experts, pilotent les groupes de travail qui élaborent les différentes parties des textes. S’y ajoutent enfin des émissaires divers qui, parallèlement aux contacts officiels, prennent langue avec tel ou tel, ou bien font remonter des informations. Les manières de négocier et les savoir-faire nécessaires à chacun de ses stades diffèrent ; ce sont eux que nous allons étudier, en distinguant trois types de séquences qui peuvent se succéder comme s’intercaler19.
DES (calendrier des négociations)
Avril-mai 1962 : début des échanges entre intellectuels socialistes et communistes dans La Nouvelle Critique
28 septembre 1962 – 11 octobre 1962 : Discussions Bernard Jourd’hui – Claude Fuzier
Novembre 1962 : discours de Guy Mollet à Souchez – accord électoral aux législatives
Discussions Claude Fuzier-Bernard Jourd’hui (puis Fuzier-Gosnat)
1964 : dialogue idéologique avec la SFIO
1965 : accord électoral des Fédérations de la Seine et de la SFIO
Juin-juillet puis septembre-octobre 1965 : Jules Borker sert d’intermédiaire entre Waldeck Rochet et François Mitterrand
23 septembre 1965 : annonce du soutien de Rochet à la candidature de Mitterrand
10 novembre 1965 : dîner Rochet-Mitterrand
9 décembre 1965 : dîner Guy Mollet, Georges Marchais, Paul Laurent, Waldeck Rochet
Campagne présidentielle : réunion des commissions entre les deux tours de la présidentielle
12, 16, 19 décembre 1966 : dialogue doctrinal avec la FGDS
20 décembre 1966 : accords de désistements FGDS-PCF
Mai-juin 1967 : rencontres entre délégations PCF et FGDS
1967-1968 : discussions entre groupes mixtes
24 février 1968 : déclaration commune FGDS-PCF
Novembre-décembre 1969 : rencontre de délégations du nouveau PS et du PCF
18 décembre 1969 : déclaration commune
6 mars 1970 : première réunion au siège du PCF
Mars-décembre 1970 : réunions de groupes de travail mixtes
Décembre 1970 : « Premier bilan des conversations engagées entre le Parti
communiste français et le Parti socialiste sur les conditions fondamentales d’un accord politique »
Juin 1972 : Signature du Programme commun
Sources : Fonds Plissonnier, Fonds Rochet, Fonds Kanapa, Archives privées Juquin, Dumas R. Le fil et la pelote…, op. cit.
En coulisses et sans filet de sécurité
8Les premiers acteurs à entrer en scène, ou plutôt en coulisses, peuvent être qualifiés à bon droit d’hommes de l’ombre qui servent d’intermédiaires entre les sommets des hiérarchies partisanes. Le plus connu est l’avocat communiste Jules Borker, ancien résistant, qui a servi de go between entre Mitterrand et Rochet en 1965. De manière plus étonnante, c’est aussi lui qui, le 2 octobre 1962, a rencontré Pierre Mendès France, ce dernier estimant là encore de manière surprenante qu’« il faut élaborer un Programme commun à toutes les forces démocratiques20 ». C’est encore Borker qui, en mai 1963, participe à une réunion du Club des Jacobins où sont notamment présents Gérard Jaquet, Fuzier, et Mitterrand, réunion et émissaire qui permettent d’informer discrètement le BP du PCF des futures motions déposées par la minorité du PS21.
9Côté socialistes, Fuzier, rédacteur-en-chef du Populaire de Paris, et secrétaire général de la Fédération de la Seine, est un intermédiaire récurrent entre PCF et SFIO. C’est lui, par exemple, que rencontre le communiste Bernard Jourd’hui, le 28 septembre 1962, puis le 11 octobre 1962 – avant, contrairement à la version généralement retenue mais de façon plus logique22, que Guy Mollet en novembre 1962 ne lance la « bombe de Souchez », ville du Pas-de-Calais où il appelle au second tour des législatives à « ne jamais ni au premier ni au second tour, [voter] pour un béni-oui-oui », soit pour un partisan du gaullisme23. Dans ces rencontres dont les comptes-rendus sont adressés par Jourd’hui aux membres du secrétariat du PCF et destinés – comme il est précisé dans le rapport sur la première – à ne pas être publics, Fuzier informe, lors de ce même rendez-vous, « d’une “trêve de fait” dans les accusations réciproques entre les deux partis24 », puis lors de la seconde de la future stratégie de retrait du candidat socialiste et de l’appel à voter pour le candidat communiste si celui-ci est mieux placé25.
10Enfin, dans cette période d’incertitude, d’autres communistes ont des conversations avec des socialistes et en rendent compte au secrétariat : c’est le cas de François Billoux, membre du Bureau politique (BP) et député des Bouches-du-Rhône, après sa rencontre avec Defferre, député-maire de Marseille, le 15 octobre 196226. À son issue, dans l’analyse qui accompagne le compte-rendu adressé ensuite par le secrétariat au BP, Billoux pronostique que Defferre souhaite une « entente à Marseille » – le socialiste lui a rappelé qu’il était « un homme de 34-36 » –, il estime qu’une proposition de candidature unique est même possible à Marseille, et rapporte les propos de Defferre : « Je sais que [Mollet] se prépare à ce qui deviendra obligatoire : l’entente avec les communistes, même s’il ne le fait pas de gaîté de cœur. »
11Ces contacts ne sont pas officiels. S’ils sont autorisés – Jourd’hui (puis Georges Gosnat27) et Fuzier, sont mandatés (avant donc, sans doute plutôt qu’après, Souchez) par Rochet et Mollet pour « engager les conversations », et Billoux agit également en accord avec le BP et peut-être à sa demande28 – ils ne sont pas destinés à être publicisés au-delà d’un cercle très étroit.
12Parallèlement, certains dirigeants régionaux (par exemple des secrétaires fédéraux qui peuvent être aussi membres du CC) envoient des informations, comme en témoigne une note transmise par le secrétariat, à laquelle elle a été adressée, au BP « sur une réunion de Guy Mollet à Lille, le 25 mars 196329 ». Celle-ci, peut-être rédigée par Michel Simon30, analyse à la fois convergences (« Disons que Milhau31 et moi-même n’avions nullement l’impression d’être à l’étranger dans cette réunion et que nous avons mieux mesuré combien socialistes et communistes étaient gens du même sang ») et divergences (« En relisant mes notes, je mesure mieux le contenu oppositionnel que Guy Mollet donne à des formules qui apparemment nous rapprochent »). De même, Gustave Ansart à la fois responsable syndical CGT, secrétaire de la fédération du Nord et membre du BP, transmet quelques courriers des dirigeants socialistes du Nord adressés à la fédération communiste du même département.
13Ces deux groupes d’hommes de l’ombre sont relativement distincts. Dans le premier cas (les réunions « secrètes »), les émissaires sont des hommes sans responsabilités (Borker), ou en délicatesse vis-à-vis du PCF (Jourd’hui, élu très jeune en 1956 à la députation et au CC, mais marginalisé au moment de ces manœuvres d’approche par son implication dans l’affaire Servin-Casanova32). Les socialistes eux-mêmes sont soit des minoritaires de la SFIO (Fuzier), soit des hommes ayant des stratégies électorales personnelles de court terme (Defferre aux législatives de 1962 à Marseille33 et Mitterrand à la présidentielle de 1965, l’un et l’autre dans une position de concurrence avec Mollet). Beaucoup d’entre eux – même s’il y a là un effet de génération – ont eu l’expérience des contacts (semi-) clandestins, parce qu’ils ont été résistants, ont participé aux réseaux d’aide à l’Espagne républicaine, ou bien ont été actifs pendant la Guerre d’Algérie. Mais on peut aussi faire l’hypothèse inverse (et complémentaire) : c’est parce que les savoir-faire de ces hommes ont été produits pour partie dans l’expérience (semi) - clandestine, expérience éprouvée également par les dirigeants des organisations et à laquelle ils ont été parfois même formés34, que ces organisations privilégient ce type de contacts. Autrement dit ces savoir-faire les rendent possibles tout autant qu’ils leur donnent leur forme. Dans le second cas (l’envoi de « notes »), ce sont des dirigeants fédéraux et/ou nationaux qui font remonter de manière classique des informations. Dans l’un et l’autre cas, la petite fraction qui entoure le secrétaire général (Thorez d’abord, Rochet ensuite) peut se dégager à tout moment du processus, sans avoir même à se considérer comme engagé par lui. Il en va manifestement de même, côté socialistes, si l’on en croit la biographie de Fuzier35.
14Enfin, ce processus pour partie officieux voire (semi-)clandestin peut avoir une façade publique, comme le montre le dialogue avec les socialistes mené de février 1961 à mai 1965 dans La Nouvelle Critique et publié en partie dans La Revue Socialiste. La négociation d’accords électoraux ou programmatiques suppose donc également la présence d’intellectuels, travaillant ici à donner un soubassement idéologique à un changement de stratégie annoncé.
Face-à-face
15Le deuxième type de séquences est constitué par les négociations proprement dites. Celles-ci sont nombreuses : elles prennent place dans la succession de la présidentielle de 1965, mais sont interrompues par Mai 68 et l’écrasement du Printemps de Prague, avant que les contacts soient renoués avec la fondation du nouveau PS. Comme le montrent les quelques photos de négociations, c’est face-à-face que discutent les délégations, soit alignées de part et d’autre d’une même table, soit de deux tables disposées l’une face à l’autre – lorsque le MRG rejoindra les négociations, les tables seront installées en U inversé, les radicaux siégeant au sommet de ce U inversé. Au milieu de chacune des rangées se faisant face, se trouvent les « Premiers36 » qui se font donc eux aussi personnellement face : Mitterrand et Rochet sont ainsi l’un en face de l’autre sur une photo de décembre 196537. Les cendriers sont nombreux et pleins, signe que les photos ont été prises à la fin et que les discussions ont été longues et sans doute tendues (un texte récapitulatif de Rochet à propos des rencontres de 1966 évoque une dernière réunion d’une dizaine d’heures), et certains membres ont une cigarette aux lèvres, souriants, dans une pose au contraire détendue. Elles se déroulent alternativement au siège de chacun des partis et certains échanges de politesses en début de réunion tendent à prouver que la chaleur de l’accueil est considéré par l’invité comme un signe positif de l’invitant, comme en témoignent les divers comptes-rendus. Cette disposition et la proximité physique (sur l’une des photos, il n’y a guère qu’un mètre et demi entre les représentants de chacun des partis) qui en découle (surtout quand il n’y a qu’une seule table) préparent en elles-mêmes à (ou induisent) une discussion pied-à-pied, ce que confirme le contenu des débats. On peut dire également, et c’est légèrement différent, que ces dispositifs comme un décor de théâtre mettent en scène l’affrontement, qu’ils viennent non seulement l’induire mais aussi le signifier. Si l’on prend au sérieux cette double logique, il faut donc prêter attention à la virulence des propos (nous allons y revenir), aux interruptions de séance demandées par l’un ou l’autre camp, aux feintes de rompre, mais sans négliger que ce sont des manœuvres dans ce qui est aussi une négociation « mascarade38 ».
16L’affrontement et sa mise en scène portent dans la première période de ces négociations de face-à-face sur la doctrine (il s’agit alors d’un « dialogue idéologique », même si les communistes veulent un programme, doublé de recherches d’alliances électorales). Un brouillon de Rochet ainsi que des notes prises lors des premières réunions39 permettent de retracer l’objet et le propos de négociations avortées de 1964. Plus généralement, il permet d’analyser ce deuxième type de séquences. Clairement en demande de Programme commun, alors que les membres de la délégation SFIO paraissent réticents voire pour certains hostiles40, Rochet constate d’emblée la divergence stratégique des deux partis (« vous accepterez certes le soutien communiste de votre programme mais vous rejetez toute négociation sur l’élaboration du Programme commun ») et que la SFIO « subordon[ne] la réalisation de l’unité d’action contre le pouvoir gaulliste et pour l’avènement d’un gouvernement d’union démocratique à la solution des divergences idéologiques qui séparent les deux partis ». Ces « divergences » que, selon Rochet, la SFIO juge « insurmontables » sont sans surprise liées aux développements théoriques du marxisme-léninisme (parti unique, dictature du prolétariat, transition) ainsi qu’aux pratiques qui se sont développées dans les démocraties populaires et en URSS. C’est pourquoi, il tente tout d’abord de prendre les devants à propos des crimes de Staline41. Contre les soupçons qu’il devine chez ses interlocuteurs (« la condamnation des agissements de Staline » ne serait que « tactique ») et contre l’analyse que font selon lui les socialistes de leur fondement, il plaide que « vous nous imaginez autrement que nous sommes. Nous avons condamné sincèrement [les] agissements [de] Staline, et il n’est pas vrai que ces méthodes trouvent leur origine dans les principes que nous professons » – argument conforme à l’analyse officielle. Enfin, il entend écarter un dernier soupçon : « vous nous accusez de subordination totale à l’URSS. Là aussi, vous vous trompez sur notre compte ». Cette subordination étant supposée aussi doctrinale, Rochet souligne que le « passage pacifique [au socialisme est de plus en plus possible », précise que « ce que l’on appelle dictature du prolétariat peut […] revêtir des formes nouvelles » et enfin que « nous ne considérons pas que le socialisme doit être obligatoirement réalisé par un seul parti : le parti communiste ».
17Du point de vue du contenu, les discussions des « Premiers » portent toujours, quelle que soit la période, sur le cœur des divergences : ici, en 1964, le rapport à l’URSS et ses conséquences théoriques et tactiques. Il en va de même, le 15 juin 1967, lorsque Rochet commence par souligner que la « crise du Moyen-Orient [la Guerre des six jours] a fait apparaître des divergences42 » et aborde d’emblée la politique extérieure, secteur privilégié d’opposition entre les deux partis. Ces discussions délimitent aussi l’étendue de l’accord, étendue qui a une traduction sémantique précise. Ainsi, la passe d’armes, manifestement assez serrée entre Rochet et Mitterrand, le 13 décembre 1966, porte sur l’opportunité même d’un programme : « pour nous, le Programme commun est une vue de l’esprit ; il se ferait au détriment de la gauche » assène le socialiste43. Le 19 décembre 1966, elle porte sur les termes mêmes : « plate-forme minimum » ou « plate-forme minimum positive » pour Rochet, ce que refuse Mitterrand « parce qu’identifié à Programme commun », avant que les deux s’accordent sur « base d’action commune ». En juillet 197144, Mitterrand récuse la méthode passée (« le dialogue idéologique45 »), souhaite un programme court (« quatorze, quinze, vingt-deux points… quatre pages », « Il n’y aura pas de Programme commun de A à Z en 1973 ») et demande des gages sur « société socialiste et liberté ».
18Le brouillon de Rochet de 1964 permet ensuite de repérer combien et comment ces réunions sont préparées au sein du PCF (on peut supposer qu’il en va de même côté socialistes). L’intervention, prononcée juste après la déclaration d’ouverture de l’ancien ministre SFIO Gérard Jaquet a été dûment écrite (et réécrite, puisqu’il en existe plusieurs états). Il en va de même pour les négociations qui se déroulent après Épinay où « Georges Marchais a résumé [le] point de vue [du PCF] en lisant un texte préparé46 ».
19Plus généralement un travail partisan précède les négociations. À la différence de la phase précédente, semi-secrète, il ne s’agit pas de s’assurer que l’on pourra bien s’accorder ou négocier mais de commencer, pourrait-on dire, à « débroussailler ». En 1966, les réunions communes (« dialogue public sur les questions fondamentales ») annoncées par un communiqué de presse le 24 février, ont été préparées par deux commissions (Jacques Piette, Claude Fuzier, Robert Pontillon côté FGDS, Victor Joannès, Jacques Denis, Jacques Chambaz, côté PCF), selon les informations que donne au CC Rochet sur l’ensemble des contacts avec Mitterrand et les socialistes47. Les trois communistes, membres du CC, ont par ailleurs transmis à Rochet en octobre 1965 un document dactylographié de six pages qui porte sur la méthode préconisée pour les réunions au sommet (faire la liste des « positions concordantes », des « positions proches » et des « points de divergence »), qui présente des arguments autour de ces divergences en matière de doctrine (soit sur le passage à la « démocratie socialiste (nous) » ou au « socialisme démocratique (eux) ») ainsi que des éléments de définition de la « démocratie véritable ». Ces négociations peuvent se tenir juste avant les sessions où sont présents les « Premiers » avec des membres des délégations de façon, sans doute, à établir les points de discussion et à baliser jusqu’où chacun pourra aller dans les concessions. Par exemple, le matin même de la réunion du 19 décembre 1966, la dernière avant l’accord, Leroy et Marchais ont rencontré des représentants de la FGDS48. Parfois même le travail en petits groupes se déroule en parallèle des sessions – les « Premiers » négocient en face-à-face, d’autres membres de la négociation sortent préparer un texte commun.
20L’existence de ces négociations juste antérieures voire parallèles permet de faire ressortir que les réunions de face-à-face, et les démonstrations de fidélité aux positions et aux croyances de son propre parti, sont aussi des représentations que (se) donnent les délégations. Les réunions qui réunissent les cinq ou six dirigeants de premier plan de chaque parti, en tenant compte des sensibilités (Étienne Fajon, présent dans les discussions d’avant Mai 68, est plus « conservateur » que Paul Laurent) ou des tendances (au sein de la SFIO ou de la FGDS), supposent donc la mise en œuvre de savoir-faire différents de ceux déployés dans les rendez-vous précédents. Alors qu’il fallait savoir se faire discret voire invisible, accepter d’être publiquement désavoué, et sans doute se montrer suffisamment libre vis-à-vis de l’idéologie et de la pratique partisanes pour trouver des arrangements inédits, il s’agit au contraire de montrer (aussi au sens figuré de « faire la montre », soit pour l’apparence) son attachement à celles-ci, à quel point on les incarne jusque dans leurs plus petites inflexions. On peut également imaginer qu’il s’agit de faire ces mêmes preuves devant les différentes fractions et sensibilités de son propre parti représentées autour de la table. Enfin, ces négociations, photographiées, faisant l’objet de communiqués communs, sont aussi destinées aux militants et aux sympathisants de chacune des organisations partisanes.
Ensemble : la division du travail d’écriture
21La méthode privilégiée, une fois la décision prise par ces délégations de mener un « dialogue doctrinal » ou de produire un programme à proprement parler, est la constitution de groupes de travail de spécialistes. Ce troisième type de séquences peut chronologiquement précéder les réunions de délégations des « Premiers », destinées à solenniser et publiciser les accords et programme. En effet, ce sont, bien sûr, les directions des partis qui ont, le dernier mot.
22Entre juin et octobre 1967, trois commissions (questions institutionnelles et défense des libertés ; problèmes économiques et sociaux ; politique extérieure49) se réunissent régulièrement, produisent chacune un texte, avant de se retrouver en plénières50. On remarquera qu’il s’agit là d’un découpage proche de celui du futur Programme commun51, de même que l’on notera que beaucoup d’engagements en sont déjà actés52. Il en va de même sur les divergences et les points de discussion. Les plus accentuées portent premièrement sur les nationalisations : au-delà de l’accord sur la nationalisation des secteurs de l’armement et de l’espace, le PCF veut leur extension aux secteurs-clés (transports, pétrole, chimie, sidérurgie, etc.) tandis que le FGDS entend s’en tenir aux banques nationales d’investissement et à un contrôle de l’État sur la sidérurgie ou la pharmacie. Elles portent ensuite sur la politique étrangère, où de très nombreux points font débat comme tout ce qui touche au Marché commun et à « l’indépendance nationale » (c’est-à-dire au ralliement ou non à la force de frappe nucléaire), mais aussi aux conditions de retrait des troupes israéliennes, à la reconnaissance de la RDA (demandée par le PCF) ou à l’appui à l’autonomie de la Guadeloupe (position communiste).
23La même technique est proposée, début 1968, par Kanapa53, après une rencontre avec Fuzier, destinée à « mettre au point la liste des questions devant faire l’objet d’une discussion commune », liste établie à partir des échanges précédents des délégations. Il souhaite constituer neuf groupes de travail54, soit « autant de groupes qu’il y a de chapitres – et non “deux forts groupes” – il était initialement prévu à l’issue de la réunion du 15 mai, deux groupes de cinq55 ». Ces groupes « composés de spécialistes de chaque question […] élaboreront chacun leur chapitre, aboutissant si possible à une rédaction commune et mentionnant le cas échéant les points de divergence ». Côté communistes, chaque groupe serait piloté par un membre du CC qui ferait ensuite appel à des spécialistes. Kanapa dresse la liste de ces futurs responsables56. Il préconise enfin que les réunions soient préparées pour éviter les « “échanges de vues” sans fin », et que, côté communistes, elles le soient par conséquent dès maintenant, l’objectif étant d’aboutir avant la Fête de l’Humanité (soit début septembre 1968). Cette dernière précision est à la fois critique sur les discussions précédentes et représentative de la manière dont il s’agit de peser sur le partenaire par une préparation accrue et supérieure.
24La même méthode est enfin choisie lors de la négociation du Programme commun proprement dit. En mars 1970, ce sont quatre groupes qui se sont réunis, dont en octobre les mêmes Fuzier et Kanapa dressent un « avant-projet de bilan ». Techniquement, comme le montrent des textes intermédiaires57, ce sont les futurs items du programme que rédigent ces groupes de travail. Pour la circulation et la transmission des informations, chaque paragraphe est numéroté (il en existe 205 dans la version de septembre 1970). Lorsqu’il y a des divergences de la part des rédacteurs, ces différentes rédactions (et parfois leurs auteurs) sont mentionnées58. C’est le cas, par exemple en 1970, pour la liberté de la presse59 et pour les droits des minorités60.
25Un dossier conservé dans les archives de Plissonnier permet encore de préciser la manière de procéder de ces groupes : celui que Juquin a transmis sur le groupe de travail « Objectifs sociaux » qu’il pilotait en 1972. Aux quatre sous-groupes d’origine (« salaires, pouvoir d’achat, conditions de travail » ; « santé, sécurité sociale » ; « logement, équipement collectif » ; « Éducation nationale, culture, sport, recherche scientifique et technique »), les participants ont décidé d’en ajouter trois (jeunesse, femmes, agriculture). Chaque sous-groupe s’est réuni au moins une fois, puis les bilans de chacun d’entre eux ont été (ou seront, après la date d’envoi de la note) examinés en commission. Ils ont eu la charge de rédiger des propositions de rédactions communes auxquels ils ont ajouté des « indications d’implication sur d’autres commissions ».
26Le travail de ces sous-groupes est donc la matière première des onze premiers chapitres du Programme commun, rassemblée dans la partie intitulée « Vivre mieux, Changer la vie ». Le dossier transmis à Plissonnier comporte également des notes intermédiaires, des procès-verbaux de réunions, des textes à différents états dont certains déjà très élaborés et transmis aux partenaires socialistes (par exemple adressé à Roger Fajardie pour Berégovoy sur l’enseignement supérieur) et d’autres très raturés.
27Dans ce groupe de travail, les convergences ont été aisées, à la différence de celui consacré à la politique internationale. Une analyse génétique des textes de ces commissions pourrait permettre de préciser plus avant encore le processus de production du programme ainsi que les compromis dont il garde la trace. Les savoir-faire nécessaires sont ici pour partie différents, même s’il s’agit, bien sûr, toujours d’imposer ses vues au partenaire sans jamais rompre la négociation. Il existe tout d’abord des compétences partisanes collectives. En effet, plus une organisation partisane a des équipes d’experts, plus elle peut peser sur la négociation. De ce point de vue, le PCF qui dispose à cette époque de sections de travail très étoffées (politique extérieure, économie, intellectuels…) et de nombreuses revues dédiées aux différents secteurs sociaux, les unes et les autres rassemblant de nombreux intellectuels, habitués qui plus est à la posture de « conseiller du prince », c’est-à-dire à produire des argumentaires pour soutenir la stratégie des politiques a, sans doute, un avantage stratégique. C’est ce qu’avance notamment Juquin dans ses mémoires à propos du secteur de l’enseignement qu’il a supervisé dès la fin des années 1960. En revanche, les compétences individuelles attendues sont avant tout rédactionnelles, il s’agit de savoir écrire et vite, compétences qui peuvent être aussi bien fournies par le parcours scolaire que par la socialisation partisane61. Côté PCF, les agrégés (Chambaz, Kanapa, Juquin, Cogniot…), parfois anciens élèves de l’ENS, côtoient ainsi Fernand Clavaud (métayer et responsable des questions agraires) ou Jean Burles (certificat d’études et CAP d’ajusteur), mais il n’y a sans doute que lors de ces séquences que les diplômés sont aussi nombreux.
28L’écriture du Programme commun est donc un processus accidenté, et non le fruit d’une stratégie rationnelle. Les négociations se font à de multiples niveaux et engagent des acteurs aux ressources et aux savoir-faire différents selon les types de séquences. Si globalement les deux principaux partis font participer leur groupe dirigeant, en respectant les nuances ou les courants, que ce soit au sein des délégations, des groupes de travail, ou des négociations parallèles qui se tiennent en marge des rencontres des délégations pour faire avancer les accords, il existe aussi des rencontres secrètes, destinées à le rester, où les acteurs peuvent être désavoués à tout moment et ne sont pas détenteurs d’une légitimité partisane. Les savoir-faire sont multiples, allant de l’action clandestine à l’écriture politique, en passant par la maîtrise et la mise en scène de l’affrontement. Les décrire revient à souligner leur dimension contextuelle : par exemple, le choix de la clandestinité est liée à l’expérience historique immédiate des organisations tout autant, voire plus, qu’il est appelé par les circonstances. Plus généralement la croyance en un écrit qui engage est très ancrée dans la culture des négociateurs avant tout liée au livre et à l’écriture (et non à l’audiovisuel, aux sondages ou aux réseaux sociaux). De même, tenter à partir des archives, des photographies, des témoignages, de retrouver les dispositifs concrets de la production du programme conduit à conclure que l’on négocie face à des partenaires, mais aussi face aux concurrents de son propre parti et à souligner la part de mise en scène vis-à-vis de ces partenaires et concurrents. Ces compétences et ce jeu entre scène publique et coulisses se retrouvent en 1977, lorsque les partis ont décidé d’un toilettage initialement très limité du même Programme commun. À l’issue d’une réécriture plus ambitieuse des groupes de travail et des délégations, la rupture intervient. Pour le moment, elle est restée définitive.
Notes de bas de page
1 Il existe plusieurs éditions du Programme commun. Voir infra.
2 Édités en 42 pages, petit format, aérées et illustrées.
3 Ce processus se double de pratiques d’union sur le terrain qui peuvent précéder le programme, ou une fois celui-ci publicisé, être constituées de réappropriations multiples. Voir notamment Bué N., Rassembler pour régner. Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane : L’union de la gauche à Calais (1971-2005), thèse de Science Politique, Lille 2, 2006.
4 Voir notamment Sawicki F., Les Réseaux du Parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin, 1997.
5 Voir par exemple Becker J.-J., Candar G. (dir.), Histoire des gauches en France, vol. 2, « XXe siècle : à l’épreuve de l’histoire », Paris, La Découverte/Poche, 2005, [2004] ; Courtois S., Lazar M., Histoire du Parti communiste français, Paris, PUF, 2e éd., 2000 ; Dreyfus M. et alii, Le Siècle des communismes, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 2004 [Éditions de l’Atelier, 2000] ; Pudal B., Un monde défait. Les communistes français de 1956 à nos jours, Bellecombe-en-Beauges, Éd. du Croquant, 2009 ; Tartakowsky D. et Bergounioux A. (dir.), L’Union sans Unité. Le Programme commun de la gauche 1963-1978, Rennes, PUR, 2012.
6 Robrieux P., Histoire intérieure du Parti communiste, tome 3, 1972-1982, Paris, Fayard, 1982, a même évoqué une intervention des Soviétiques pour l’expliquer.
7 Pour un aperçu de ces travaux surtout anglophones, cf. Bué N. et Desage F., « Le “monde réel” des coalitions. L’étude des alliances partisanes de gouvernement, à la croisée des méthodes », Politix, no 88, 2009/4, p. 7-37.
8 Dans le cadre de notre thèse publiée dans une version remaniée, Intellectuels communistes. Une sociologie de l’obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005.
9 Parmi ces fonds d’archives trois (d’après nos repérages) comportent des cartons qui concernent l’élaboration concrète du Programme commun : le fonds Jean Kanapa (317 J), le fonds Gaston Plissonnier (264 J) et le fonds Waldeck Rochet (307 J). Enfin, nous avons pu, grâce à Nicolas Azam qui nous en a informée, et grâce à Pierre Boichu qui nous l’a permis, consulter un autre fonds en cours d’inventaire et de classement, celui de Jacques Denis (357 J), comportant des dossiers liés aux négociations du Programme commun. Nous utiliserons également une partie des archives personnelles de Pierre Juquin.
10 L’une des éditions PS, chez Flammarion, ornée du logo de la rose créé quelques mois plus tôt, comporte une préface intitulée « Du programme socialiste au Programme commun », le Programme socialiste « Changer la vie », adopté en mars 1972, et le programme en 88 pages. Dans l’édition communiste, parue aux Éditions sociales, principale maison d’édition liée au PCF, sa mise en page plus aérée de 138 pages est précédée d’une préface de Georges Marchais. Enfin l’édition du MRG chez Presses Pocket comprend des « extraits » du programme, une préface de Robert Fabre, et des « réflexions » de Maurice Faure et Henri Caillavet.
11 Le texte s’est beaucoup vendu : la deuxième édition communiste mentionne un premier tirage de 300 000 exemplaires et un deuxième en septembre 1972 de 100 000.
12 Nous faisons le choix comme dans L’union sans unité de privilégier le temps long, conformément à la perception qu’en ont les acteurs, notamment les communistes dont l’objectif constamment répété est bien celui d’un Programme commun.
13 La FGDS, présidée par Mitterrand, rassemble, à partir de septembre 1965, autour d’une charte commune la SFIO (secrétaire général : Mollet), le Parti radical (président : René Billières), et une série de clubs, pour une part fédérés par la mitterrandiste Convention des Institutions républicaines.
14 En pleine guerre d’Algérie et alors que l’accession au pouvoir de Khrouchtchev a entraîné un certain « dégel » en URSS, Laurent Casanova et Marcel Servin, tous deux membres du Bureau politique, soutenus par une partie de l’Union des Étudiants communistes et quelques membres du groupe dirigeant, essaient d’infléchir la ligne vers plus d’ouverture, une rénovation des thèses économiques, une plus grande considération pour les classes moyennes et une lutte anticolonialiste plus offensive. Ils sont écartés ainsi que leurs proches lors du xvie Congrès en mai 1961.
15 Voir Vigreux J., Waldeck Rochet. Une biographie politique, Paris, La Dispute, 2000.
16 Voir la thèse de Morin G., L’Opposition socialiste à la guerre d’Algérie et le Parti socialiste autonome ; un courant politique de la SFIO au PSU (1954-1960), thèse de doctorat d’histoire, université Paris 1, 1992.
17 Cf. Fogacci F., « Chercher l’ambiguïté : les radicaux de gauche et l’union de la gauche », in Bergounioux A et Tartakowky D. (dir.), L’Union sans unité…, op. cit.
18 Roland Dumas les a révélés à la mort de Rochet, puis les a détaillés dans Le Fil et la pelote. Mémoires, Paris, Plon, 1996.
19 Se succèdent généralement contacts secrets, réunion des délégations où sont présents l’état-major de chacun des partis puis réunions des groupes de travail. Mais les délégations peuvent se scinder pour que se déroulent des réunions parallèles à celles où sont présentes les « Premiers ». Des réunions dont la composition varie peuvent les précéder et les préparer. Cf. infra.
20 Entrevue Borker-Mendès France, 2 octobre 1962, Archives Gaston Plissonnier, 264 J 34.
21 Notes du 17 mai 1963, Archives Waldeck Rochet, 307 J 59.
22 Parler de « bombe de Souchez » suppose que le rapprochement commence avec le discours. Il est, de fait, plus logique d’imaginer que de chaque côté, on a « tâté le terrain » et préparé les déclarations.
23 Cf. Lefebvre D., Claude Fuzier, un homme de l’ombre, Paris, L’Encyclopédie du socialisme, 2004 et « Le Parti socialiste à l’heure de l’union de la gauche », in L’Union sans l’unité…, op. cit., p. 36. Selon D. Lefebvre, c’est Georges Gosnat qui a ensuite remplacé Bernard Jourd’hui dans ces tractations.
24 Note de Bernard Jourd’hui à Jacques Duclos, 28 septembre 1962, Archives Plissonnier, 264 J 34.
25 Note de Bernard Jourd’hui à Waldeck Rochet, 11 octobre 1962, Archives Plissonnier, 264 J 34.
26 Rien n’interdit de penser qu’au niveau des fédérations d’autres membres du groupe dirigeant du PCF ont eu des rencontres parallèles mais elles ne figurent pas dans les archives. En tout cas, la géographie des contacts est celle des zones de forces (et de concurrence) des socialistes et des communistes (Nord, Bouches-du-Rhône, région Parisienne).
27 Georges Gosnat, membre de la Jeunesse Communiste dès 1930, est entré, à la demande de Thorez, à France-Navigation, entreprise chargée de transporter clandestinement des armes pendant la Guerre d’Espagne. Sous-secrétaire d’État à l’Armement en 1946, il est entré au CC en 1954. Cf. Maitron J. et Pennetier C., Notice « Georges Gosnat », in Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier.
28 En revanche, il n’est pas sûr que Gaston Defferre en ait informé la SFIO.
29 Archives Waldeck Rochet, Notes du 22 avril 1963, 307 J 59.
30 Le futur spécialiste du comportement électoral, futur membre du CC, commence alors à travailler sur sa thèse. Il enseigne la philosophie en classes préparatoires au Lycée Faidherbe de Lille.
31 Jacques Milhau, agrégé de philosophie, enseigne également en classes préparatoires à Faidherbe.
32 Né en 1925, médaillé de la Résistance, Jourd’hui a commencé une ascension dans l’appareil syndical de la CGT avant de monter dans la Fédération de Paris à la faveur de l’élimination d’André Marty en 1952. Promu au CC en 1956, en même temps qu’il est élu député (puis battu en 1958), il devient également secrétaire de la Fédération de la Seine en 1957. Alors que celui qui a été parfois présenté comme son rival, Marchais, gravit les échelons qui mènent au secrétariat à très grande vitesse (BP en 1959, secrétariat en 1961), Jourd’hui perd peu à peu ses responsabilités politiques (Paul Laurent prend sa place à la Fédération de la Seine en juin 1962 et il quitte le CC en 1967) pour être cantonné à l’appareil syndical. Notice de Giovaninetti M. in DBMOF.
33 Le géographe Marcel Roncaloyo analyse les scrutins successifs à Marseille, et les difficultés spécifiques à chaque scrutin rencontrées par la SFIO (« L’élection de Gaston Defferre à Marseille », Revue française de science politique, vol. 15, no 5, 1965, p. 930-946).
34 Côté dirigeants communistes, un certain nombre, à commencer par Rochet, sont passés par l’École Léniniste Internationale (ELI) à Moscou. Ceux qui en suivent la scolarité de deux ans et demi commencent par quitter le territoire avec une identité d’emprunt. Cf. Vigreux J., Waldeck Rochet…, op. cit. Sur l’ELI, cf. notamment Studer B., Parti sous influence : le Parti communiste suisse : une section du Komintern, Éditions l’Âge d’Homme, 2000 et « L’être perfectible. La formation du cadre stalinien par le “travail sur soi” », Genèses, no 51, juin 2003, p. 92-113.
35 « Le secrétaire général lui a d’ailleurs dit qu’il serait d’ailleurs désavoué si la moindre rumeur transpirait », in Lefebvre D., Claude Fuzier…, op. cit., p. 43.
36 En mars 1970, les délégations comprennent côté PS Alain Savary (le Premier secrétaire), Pierre Bérégovoy, Denis Cépède, Fuzier, Jaquet, Pierre Mauroy, Robert Verdier et côté PC Marchais (alors secrétaire généraladjoint, Rochet, malade, étant empêché depuis fin 1968), Étienne Fajon, Paul Laurent, Roland Leroy, Jean Burles, Léo Figuères, Henri Jourdain, Pierre Juquin et Jean Kanapa. Le 7 juillet 1971, la délégation PS comprend Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement, Jaquet, Pierre Joxe et Mauroy. Nous n’avons pas retrouvé la composition de la délégation PCF.
37 Fonds Gaston Plissonnier, 264 J 35.
38 On utilise à dessein ce terme employé dans les gender studies, repris du texte fondateur de Joan Rivière, pour désigner une féminité surjouée dans les situations où les femmes sont socialement déplacées. Ici, le face-àface est en lui-même une performance et une performance genrée dans un univers exclusivement masculin.
39 « Premiers contacts PCF-PS 1963-1964 », Fonds Waldeck Rocher 307 J 59.
40 Comme l’ancien député Francis Leenhart, battu en 1962, par un communiste avec lequel il a refusé de s’allier dans les Bouches-du-Rhône. [http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/IVRepublique/leenhardt-francis-emile-daniel-24041908.asp].
41 Rappelons que, juste après le 20e Congrès du PCUS de février 1956, le PCF a implicitement nié l’existence du rapport Khrouchtchev en le désignant comme « attribué au camarade Khrouchtchev », avant que Le Monde ne le publie en juin 1956. Aucune analyse n’est ensuite menée du stalinisme au sein des instances ou des organes officiels du PCF, La Nouvelle Critique faisant exception en publiant en décembre 1963 un numéro consacré aux « Réflexions sur le culte de la personnalité » qui lui a valu des critiques d’une partie du groupe dirigeant.
42 PV de la rencontre du 15 juin 1967, Fonds Waldeck Rochet, 307 J 66.
43 PV de la rencontre du 13 décembre 1966 au siège de la FGDS. Présents : PCF : Rochet, Marchais, Billoux, Fajon, Laurent. FGDS : Mitterrand, Mollet, Billières, Pierre Brousse, Fuzier, Louis Mermaz, Michel Soulié, Charles Hernu, Julien Cazelles. Fonds Waldeck Rochet, 307 J 64. Le 19 décembre 1966, Roland Leroy est également mentionné dans les présents communistes. Fonds Plissonnier, 264 J 35.
44 Nous reprenons le verbatim de Juquin P. in De battre mon cœur n’a jamais cessé. Mémoires, Paris, L’Archipel, 2006, p. 342 sq.
45 Ce qui conduit d’ailleurs à une intervention de Mauroy qui récuse cette interprétation, Juquin P., De battre mon cœur n’a jamais cessé…, op. cit., p. 344.
46 Juquin P., ibid., p. 343.
47 Comité central du 4 janvier 1966. 16 pages dactylographiées, 307 J 63, Fonds Waldeck Rochet.
48 Fonds Gaston Plissonnier 264 J 35.
49 Pour le PCF : Laurent, Burles, Paul Courtieu, Denis, Jean Fabre, Figuères, Juquin, Kanapa, Lucien Mathey. Pour la FGDS : Georges Dayan, Dumas, André Cellard, Fuzier, Marc Paillet, Piette, Auguste Pinton, Pontillon, Soulié.
50 23 p. dactyl datées du 12 octobre 1967, Fonds Plissonnier, 264 J 35.
51 Celui-ci est composé de quatre parties (« Vivre mieux, changer la vie » ; « Démocratiser l’économie, développer le secteur public, planifier le progrès » ; « Démocratiser les institutions, garantir et développer les libertés » ; « contribuer à la paix et développer la coopération internationale »). Problèmes économiques et problèmes sociaux ont ainsi été scindés en deux groupes.
52 Par exemple, suppression de l’article 16 de la Constitution, de la garde à vue, réduction du temps de travail, abaissement de l’âge de la retraite, réforme fiscale, construction massive de logements (600 000 par an dans cette version) pour la partie économie et société.
53 Lettre du 19 janvier 1968, fonds Kanapa 317 J 20. Kanapa, membre du CC depuis 1959, prendra la responsabilité de la politique extérieure du PCF dès 1969 (officiellement en 1972). Archétype de l’intellectuel de guerre froide, il deviendra l’inspirateur principal de la rénovation du PCF.
54 Un plan de travail sans date, sans doute postérieur, toujours dans le fonds Kanapa, détaille sept groupes : 1. Tradition démocratique française et mouvement ouvrier. 2. Critique de la démocratie française actuelle. 3. Les éléments de base de la démocratie française actuelle. 4. L’exercice du pouvoir, démocratisation de l’économie, fondements des institutions politiques d’une démocratie nouvelle. 5. Définition de l’objectif socialiste. 6. Construction du socialisme, voies de passage et conditions de passage pacifique, démocratie socialiste. 7. Les partis.
55 Notes manuscrites de Jean Kanapa sur la réunion du 31 mai 1967, fonds Kanapa 317 J 20.
56 Chambaz, Courtieu, Joannès, Fabre, Juquin, Denis, Cogniot, Kanapa, Burles. Henri Claude, Fernand Clavaud et Henri Jourdain sont également prévus. Dans le document précédent sans date, tous ces noms ainsi que celui de François Hincker ont été répartis sur les 6 groupes. À l’exception de l’historien François Hincker, décédé en 1998, dont la présence n’est guère compréhensible puisqu’il n’a pas encore de responsabilité nationale (à moins qu’il ne soit déjà le secrétaire de Leroy, lui-même empêché pour une part à cette période par un accident de voiture), tous sont au moins membres du Comité central.
57 Par exemple, un texte de 87 pages dactyl., datées du 19 septembre 1970, fonds Plissonnier, 264 J 36.
58 Ainsi trouve-t-on par exemple les deux rédactions de Jean-Pierre Worms et de Guy Ducoloné à propos de la pluralité des partis.
59 « Sera également garantie une totale liberté de la presse » pour la formulation PS ; « sera également garantie une réelle liberté de la presse. La loi proscrira toute propagande en faveur de la guerre, toute propagande xénophobe ou raciste et la propagation de fausses nouvelles » pour le PCF.
60 « Des minorités pourront exister et jouir pleinement de leurs droits politiques » pour le PS, « les droits des minorités seront respectés dès lors qu’ils s’exerceront selon la règle démocratique dans le cadre de la légalité établie par la majorité » pour le PCF.
61 Voir sur ce point à propos du MJS contemporain les fines analyses de Bargel L. in Jeunes socialistes, jeunes ump. Lieux et processus de socialisation politique, Paris, Dalloz, 2009.
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