Chapitre IV. Il faut « aller de vie a trespas »
p. 173-209
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Texte intégral
1La difficile expérience de la maladie et la perpétuelle conscience de la mort entraînent le besoin de tester et de léguer l’acquis matériel et moral de sa vie. Chaque auteur se fait un devoir de parler des derniers moments de son père et il insiste pour témoigner de son attitude chrétienne devant cette ultime étape de la vie, mais c’est tout au long de leur Livre qu’ils lèguent ce testament véritable que constitue leur conduite quotidienne.
« La grande et perilleuse malladye »
2Les Bodreau parlent très peu de la maladie. Jehan y consacre deux folios sur vingt-sept soit 7,50 % de ses écrits, le notaire treize folios sur cent soixante soit 8 %, l’avocat dix folios sur deux cent quarante-cinq soit 4 % et Charles trois folios sur soixante-sept c’est-à-dire 4,50 % de sa rédaction. Sur un total de vingt-huit folios (5,50 % du Livre) traitant de la maladie dix-neuf annoncent la mort pour issue, c’est-à-dire que sept fois sur dix la maladie est évoquée parce que l’on désire indiquer la cause connue du décès que l’on inscrit.
3Les registres paroissiaux sont muets sur ce sujet. Une seule exception est à relever sur soixante-quatorze années d’enregistrement de sépultures : le 21 août 1667, l’acte de sépulture de Marie Lechat comporte la mention « laquelle mourut du cancer1 ». La cause du décès dans ces actes n’est indiquée que lors d’une épidémie et on peut lire : « mort de contagion2 » sous la plume du curé, mais en juin 1662, lors du décès de Julien, « année où il est bien mort la six ou septième partie du monde3 », le curé, submergé par les enterrements, se contente d’inscrire les noms et les dates sur le registre sans même faire état d’une épidémie.
4Sur le Livre des Bodreau, dans la grande majorité des cas, la maladie qui importe est celle qui provoque la mort ; c’est la seule qui est décrite si l’on excepte les graves maladies dont le notaire et son fils seront atteints tour à tour et dont ils ont fait une relation.
Les maladies de soi
5Deux ans avant son trépas, Jehan s’est arrêté d’écrire et Charles a fait de même quatre ans avant son décès. Julian et son fils Julien sont les seuls qui n’interrompent pas leur rédaction avant que la mort ne les emporte. Or, les deux auteurs les plus bavards du manuscrit ont confié l’inquiétude ressentie lors d’une grave maladie. Au temps de la convalescence, reprenant leur rédaction suspendue par la maladie, ils commencent par rapporter les souffrances endurées.
6Julian décrit sa maladie en trente-cinq lignes et Julien en seize4. Le premier jour de la maladie est précis : c’est une date importante pour l’un comme pour l’autre. Le 1er août 1624, le notaire est « prévenu d’une grande malladye » [f° 78] alors que l’avocat est « affligé d’une grande et périlleuse maladie » [f° 189 v°] le 26 février 1658. L’angoisse de ce dernier se ressent dans cette épithète supplémentaire ainsi que dans la relation qu’il fait de l’impuissance des médecins, relation qui prime sur la description de la maladie dont nous ne savons rien : appellation et symptômes n’apparaissent pas. Julien s’est entouré des meilleurs spécialistes manceaux5, un ami et un parent, et il montre ici à la fois la confiance qu’il accorde au corps médical et la conscience qu’il a des limites de leur science : ils « m’ont gouverné et ont doubté long temps de ma reconvalescence » [f°189v°]. Trois mois après le début de sa maladie, il ne peut accompagner sa fille Marguerite, jeune mariée, à Fontevraud « à cause de [sa] maladie » [f°190]. Il conserve longtemps « une grande foiblesse et [a] beaucoup de peine à marcher » [f°189v°]. Tombant malade à la fin de février, il se démet dès le mois de mars de son office de tiers-référendaire en faveur de son fils, puis dicte son testament au notaire Pierre Gendrot deux jours plus tard. Il ne pense donc pas survivre bien longtemps à son mal.
7Contrairement à son fils, Julian a su décrire sa maladie. Trente-quatre ans plus tôt que lui, il insiste beaucoup plus sur la localisation physique et les effets de la maladie que ne le fait Julien. Il souffre d’ « une fluxion qui est tombée en la jambe » [f° 78] accompagnée « d’une grande fiebvre continue » [f° 78] et il donne la mesure de l’ampleur de son mal en précisant que cette fièvre l’a « retenu au lict huict moys et plus sans ne pouvoir lever ne aller » [f°78]. Constatant les séquelles laissées, il décrit le handicap entraîné par le mal car « estant relevé ladite jambe [lui] est demeurée courte » [f°78]. Condamné à vivre en infirme, il ne peut « aller sinon avec des escrioches » [f° 78] autour de sa maison. Plus d’un an après cette maladie, il se plaint de ne pas pouvoir se déplacer plus loin que l’église et encore, écrit-il : « jé esté nécessité m’y faire porter en une chaire par un long temps » [f° 78 v°], biffant le mot : « beaucoup » et le remplaçant par « un long ». Il avoue quelque temps après, par les lignes ajoutées au bas du folio relatant sa maladie, que la guérison n’est pas intervenue : « la dite fluxion en la jambe m’a tousiours du depuis continuer » [f°78v°] et qu’il en conserve une certaine déchéance physique : « je ne puis aller qu’avec grande peine et aux environs du logis » [f° 78 v°]. Au moment du décès du notaire, son fils écrira qu’il est décédé « après avoir esté affligé d’une douleur de jambe qui avoit ulcéré contre la cheville du pied gauche par le temps de douze ans ou environ » [f° 96]. Une « fluxion » est alors la désignation d’ « une chute d’humeurs sur quelque partie du corps6 » qui présente ici « une solution de continuité faite par érosion aux parties molles, qui est invétérée, et n’est pas sanglante, mais qui jette un pus et sanie qui en retardent la consolidation7 ». Remarquons que Julian se plaignait de « la jambe et cuisse droicte » [f° 78] et que son fils parle de « la cheville du pied gauche » [f°96]. Le mal a-t-il progressé atteignant l’autre jambe, ou l’avocat apporte-t-il moins de précision à la description des choses du corps ? Le notaire décrit précisément sa maladie et l’avocat ne dit rien de la sienne. Julian ne guérira jamais de cette « grande malladye » [f°78] contractée à l’âge de cinquante-deux ans, douze ans avant de mourir, et son fils ne se remettra pas non plus de la sienne, même si, quatre ans plus tard, c’est (peut-être8) une épidémie de pourpre qui l’emporte.
8Julian fait une brève allusion à une indisposition passagère ressentie lors du mariage de son frère le 18 février 1609. Il ne peut assister à la signature du contrat « obstant [qu’il est] au lict malade d’une fiebvre » [f°44], maladie bien vague qui sera disparue le 26 février jour des noces, et nous ne saurons pas ce que recouvre ce mot « fiebvre ». Charles n’éprouvera pas plus que son père et son grand-père la nécessité d’inscrire ses éventuels malaises ; une seule fois, il note au bas du folio relatant la naissance de son troisième fils : « en le mesme temps je suis tombé malade » [f°210] ; mais nous n’aurons pas d’autre précision.
Les maladies des autres
9Les évocations de maladies dans le Livre de famille sont souvent laconiques et se résument à quelques mots. Pour expliquer la mise en nourrice temporaire d’une de ses enfants en 1608, Julian évoque la « malladye » [f°42] de sa femme sans en donner un seul détail. De quoi souffre-t-elle ? Combien de temps cette affection dure-t-elle ? Nous n’en saurons rien. Marguerite en guérit et c’est tout ce qui importe. L’année précédente, Julian a noté la mort attendue de sa belle-sœur Anne Pelard le 8 novembre 1607. Elle a « esté détenue en longueur de malladye l’espace d’ung an ou environ » [f°40], mais rien n’est dit de la nature de ce mal. Tout au plus relève-t-on qu’elle succombe le 8 novembre et que sa fille Anne est née le 23 janvier précédent : meurt-elle de longues suites de couches ? À la mort de Catherine Gilles le 22 avril 1620, la seconde femme de son frère, le notaire précise qu’ « elle est décédée d’ung flux de sang et malladye de mère » [f°69v°], c’est-à-dire probablement d’une fausse couche.
10Inscrivant le décès de son frère Jacques en mai 1622, Julian indique qu’il est mort « d’une maladye d’hydropisie qui l’a tenu malade depuis le jour et feste de Toussaincts dernier » [f° 76], mais si l’on connaît la durée de la maladie, le Livre nous en tait les symptômes. Furetière nous apprend seulement que cette « maladie est causée par un amas d’eaux » et que, « très dangereuse, elle est mortelle aux vieillards ». Décédé le 28 mai 1622 à quarante-cinq ans, Jacques a été sept mois malade et est mort avant d’avoir atteint l’âge de la vieillesse.
11Au moment de son veuvage en 1649, Julien semble être à la recherche d’une explication au drame qu’il vient de vivre en décrivant en vingt-six lignes la maladie et l’agonie de sa femme. La douleur de ce deuil est d’autant plus vive qu’il a cru en la guérison de Magdeleine. Au mois de juillet, « affligée d’une inflammation de poulmon accompagnée d’une fiebvre [elle] avoit gardé le lict trois sepmaines » [f° 147] et « s’estant reconvalescée » [f°147v°] elle était allée « prendre l’air affin de se fortiffier » [f°147v°] dans une de leurs propriétés rurales située à une demie lieue9 de leur maison de ville. Elle trouvait là sans doute autant de repos loin de ses obligations citadines que de « bon air » loin des ruelles malodorantes de la paroisse des tanneurs. Rentrée au Mans à la fin de l’été, « elle prist le lict le 3 du mois de septembre de la mesme maladie » [f° 147 v°] et elle mourut « le dix septiesme jour » [f° 147]. Dans toute maladie, « il était indispensable de connaître encore, pour en tenir grand compte, l’action des jours critiques, des jours pairs et impairs10 ». On ne peut donc s’étonner de la précision donnée ici par l’avocat. Très éprouvé, il survivra treize ans à sa femme sans se remarier. Il ne parle jamais de son épouse : aurait-il écrit ces mots à propos de la maladie de Magdeleine si celle-ci l’avait surmontée ?
12La mort est souvent l’issue de la maladie en ce siècle où la science médicale demeure balbutiante, mais la volonté d’en connaître et d’en expliquer la cause peut apparaître comme une réaction contre la résignation à une certaine fatalité. Julien ne se contente pas de signaler la maladie de sa femme, contrairement à ce qu’il écrira sur la sienne. Il cherche à en montrer le cheminement, inéluctable certes, mais c’est en analysant la progression des maux que l’on parvient, au moins dans les esprits en un premier temps, à lutter contre cette fatalité. Dans le dernier quart du siècle, Charles illustre ce changement dans les comportements en écrivant, à la mort de son cousin René Bodreau « décédé d’une résolution de goutte » [f° 255], qu’une autopsie est pratiquée : « il fut ouvert et l’on trouva son foyt gasté » [f° 255]. Est-ce là une dernière volonté du médecin manceau renommé, passionné par sa profession ? Un besoin de comprendre se ressent dans la phrase de Charles, mais s’il donne la conclusion tirée de cet acte chirurgical, il ne dit pas quel rapprochement est fait avec la maladie qui emporte René. En 1664, le nourrisson de Charles, décédé à sept mois, est également « ouvert par Mr Le Gros chirurgien » [f° 231] sans que nous en sachions la raison. À partir de 1660, les « anatomies » doivent être faites par les chirurgiens dans les écoles de médecine11, or Le Mans n’en comporte pas et maître Le Gros opère sans doute chez lui. Voisin des Bodreau rue Dorée, maître André Le Gros entretient des relations amicales avec Charles qui estime beaucoup cet homme « aymable et habile en son art » [f°242v°]. En 1710, Pierre-Henri de Ghaisne de Classé perd sa fille âgée d’un an et il écrit également : « je l’ai fait ouvrir, elle n’avoit rien de mauvais que le poumon pour avoir sucé de mauvais lait12 ».
13Seules les maladies, d’amis ou de personnalités, suivies du décès sont évoquées ; dire la maladie qui emporte le défunt est une manière d’explication du drame survenu.
14Dès le début de sa rédaction, Jehan inscrit le traitement infligé à son ami François Le Chevrier à qui « fut couppée la jambe [...] pour une maladie qui luy print la nuict de davant » [f°2v°], douloureux et vain remède pour un mal non nommé auquel le mutilé succombe quatre jours plus tard. Pourquoi Jehan note-il ce fait ? L’agonie de son ami l’a-t-il touché au point de le dire au long de seize lignes ? Est-ce pour Jehan une façon d’exprimer son chagrin ? C’est pour lui l’unique information ponctuelle de l’année 1567.
15La seule maladie d’ami que Julian relate est celle de maître Jehan Fais-sot qui « est décédé d’une malladye de dissenterye » [f°38], mal fréquent, épidémique, qui sévit au Mans13 en cette année 1607 et ne cesse de faire des ravages dans la population pendant toute l’époque moderne. Pour Julian, Jehan Faissot est le premier ami de la vie adulte, l’ami qui l’a assisté lors de ses fiançailles et de son mariage, l’ami qui a accepté d’être le parrain de son fils aîné Julien, l’ami enfin qui prête son banc à l’église. Jehan Faissot est aussi le fils du maître de Julian, de celui qui l’initia à son métier de notaire, de celui pour lequel Julian avait écrit en 1597 avec tant de respect : « Me Jehan Faissot mon me est décédé » [f°18v°].
16Julien décrit les maladies mortelles qui emportent deux des évêques du Mans, Charles de Beaumanoir en 1637, et Émeric Marc de La Ferté en 1648. Pour ces grands personnages, il note le nom et la durée de leur maladie, alors qu’il ne le fait pas pour les autres notables de la ville ou de la province, tels les gouverneurs du Maine par exemple. Cependant, il évoque les décès survenus dans la famille Le Vayer dont les membres sont des personnalités importantes, mais qui se situent également au rang des relations amicales des Bodreau. Ce sont là pour lui des informations à mémoriser au même titre que celles qui proviennent de la famille royale.
17Julien décrit en sept lignes la maladie de Charles de Beaumanoir qui est décédé « d’une rétention d’urine par l’espace de treze jours entiers causée d’un amas de pieres qui luy avoient occupé l’orifice des uretères des deux rognons » [f° 97 v°]. Il ne néglige pas les détails qui montrent l’intérêt porté aux observations médicales. Le chapitre de la cathédrale prescrit des prières publiques qui ont lieu dans toutes les paroisses14 permettant ainsi à tous les Manceaux de connaître le déroulement de la maladie de ce grand personnage public, mais Julien n’en parle pas et nous ne savons si ce sont là les sources de son information. Pour écrire que Mgr de La Ferté est mort « d’une maladie de pourpre le neufviesme jour qu’il prist le lict » [f° 129], montrant ici l’importance du calcul des jours, Julien se contente de deux lignes. Un moine capucin manceau contemporain écrit que l’évêque décéda « sans douleur15 » ; Dom Piolin rapporte qu’il contracta cette fièvre au cours d’une visite à l’hôpital et qu’il était déjà affaibli par une maladie depuis un an lorsqu’il s’alita en avril 164816. Julien emploie les mêmes mots que pour l’évêque de Beaumanoir dans sa relation du décès de Mathieu Loys qui meurt « d’une rétention d’urine par unze jours entiers » [f° 207 v°]. Neuf, treize, onze, dix-sept : les jours impairs semblent bien néfastes aux malades. L’avocat porte un grand intérêt17 à la science médicale et il ne raille pas les médecins, en parlant toujours avec respect18. Cependant, il montre plus de rigueur descriptive dans son discours sur les maladies des autres que dans celui qu’il applique à son propre cas. La maladie qui emporte le vieil ami ne peut laisser indifférent et Julien n’a pu se résoudre à annoncer le décès de son « grand et singulier ami » [f° 208] sans en évoquer l’agonie.
18La maladie, si peu et si mal soignée, constitue pour tous l’avertissement divin d’un trépas inévitable et chacun pense alors à préparer ce passage dans l’au-delà en réunissant toutes les conditions pour être fin prêt le jour venu. L’heure, si l’on n’y a pas encore songé, est alors au règlement de ses affaires et à sa préparation spirituelle : c’est le temps du testament.
Le testament
19Il n’est question que d’un seul testament dans les quatre cent quatre vingt dix-neuf folios écrits par les Bodreau : celui d’Anne Pelard, la première épouse de Jacques. Julian, notaire, « a attesté le testament » [f° 40] de sa belle-sœur Anne Pelard, cousine germaine de son épouse et première femme de son frère Jacques. « Détenue en longueur de malladye l’espace d’un an ou environ » [f°40], Anne a eu le temps de se préparer à la mort, mais ce n’est que trois jours avant son décès qu’elle dicte à Julian un testament dans lequel elle lègue d’importants revenus aux religieux chargés, à perpétuité, de dire des messes à des moments précis de l’année. Julian a recopié les principaux articles de ce testament sur son Livre et ce folio « s’est trouvé déchiré » [f°257v°] bien avant la lecture qu’en fit Marin Dominique Chesneau au xviiie siècle. Par qui et pour quelle raison ? Nul n’a répondu aujourd’hui.
20Seul Julien a laissé un testament, mais, comme les trois autres auteurs, il n’en fait aucune mention. Fut-il le seul des trois à en rédiger un ? Les archives départementales conservent quelques testaments de la famille : ceux de Jacques Bodreau, Julien Bodreau, Louise Bodreau, Marguerite Bodreau, Marie Morice et Julian Bourgault. Celui de Jacques est dicté en 1622, les autres datent de la deuxième moitié du xviie siècle. Comparons leur densité.
Figure n° 3 : La densité du testament

21Rédigé au moment de sa grave maladie, quatre ans avant sa mort, le testament de l’avocat manceau ne comporte que deux brèves pages. Celui de sa fille Marguerite dicté vingt-deux ans plus tard, huit mois avant de mourir, n’est guère plus long. Ceci les classe dans les testaments les plus courts relevés par Pierre Chaunu19. Le premier testament de Louise, rédigé trois ans après celui de son père par le même notaire, comporte soixante-quinze lignes, mais, quatorze ans plus tard, elle en dictera presque le double pour son troisième20 testament, passé devant un autre notaire. Celui de Marie, écrit deux jours avant sa mort, se range dans la moyenne avec ses soixante-quinze lignes. Le testament de Julian Bourgault, le petit-fils de l’avocat, compte cent lignes et mille vocables qu’il révoquera deux ans après préférant voir exécuter « celuy qu’il a fait soubs son seing prive21 ». Quant au testament de Jacques, il est tracé d’une grande écriture au long de quinze pages auxquelles il adjoindra un codicille de trois pages (82 lignes et 820 vocables) dicté quatre mois plus tard la veille de son décès. Cette différence entre les textes tient, bien entendu, essentiellement à leur contenu et, s’ils adoptent tous le même canevas, les rubriques qu’ils abordent sont plus ou moins étoffées selon les dernières volontés du testateur.
22Julien ne signale pas dans son Livre qu’il envisage de faire un testament durant sa « périlleuse maladie » [f° 189 v°] alors que ses médecins mêmes « ont doubté long temps de [sa] reconvalesence » [f°189v°] ; est-ce parce qu’il est tout naturel de tester à ce moment-là ? D’après Pierre Chaunu22, au milieu du xviie siècle en province les testateurs restent encore peu nombreux et la plupart d’entre eux ne songent à rédiger cet acte que lorsqu’ils pensent être près de mourir. Les testaments de la famille Bodreau ne précisent pas tous si les intéressés sont déjà atteints par la maladie, mais exceptés Louise et Julian Bourgault, ils meurent tous peu de temps après la signature de cet acte ou, tel Julien Bodreau, sans s’être remis du mal qui en avait suscité la confection.
23Les premiers mots dictés au notaire sont les mots de recommandation pour le salut de leur âme. Julien ne s’adresse qu’à la Vierge ; les autres testateurs invoquent également Dieu et leur saint patron ; seules Marguerite et Marie n’éprouvent pas ce besoin. Ces mots ne sont pas vraiment personnels et, ainsi que l’écrit Michèle Ménard, « la formule du notaire semble s’imposer23 » à ses clients. L’appartenance commune à une paroisse peut se révéler ici : à partir de 1660, tous ont confié leurs dernières volontés à Me Pierre Gendrot. À la mort de son père, Louise s’installe dans une paroisse différente et elle teste devant Me Bertran Jary en 1664, puis Me Jean Loyseau en 1675, alors qu’elle avait signé son premier testament devant Me Pierre Gendrot lorsqu’elle demeurait dans la maison paternelle : les formules successives de ses trois testaments diffèrent totalement. En 1622, c’est Me Jean Roumé qui rédige le testament de Jacques. Après « s’estre cigne du signe de la croix24 » – et c’est le seul –, Jacques demande également l’intervention du Christ et exprime le vœu d’entrer au paradis, de même que Louise qui, en 1675, ne consacre pas moins de cent dix mots à ses recommandations.
Le choix de la sépulture
24En ce qui concerne l’annonce de leur enterrement, seules les femmes et le prêtre Julian Bourgault y songent et c’est Louise qui demande le plus. Marguerite réduit les dépenses à deux sonneurs et son fils Julian l’imite en précisant qu’il désire faire comme sa « deffunte mère ».
25En revanche, chacun indique avec précision le lieu de sa sépulture. Depuis le décès de Jacques en 1622, tous les membres de la famille sont ensevelis dans l’église de Saint-Benoît et quelques-uns, tels Marguerite ou son fils, disent expressément dans leur testament qu’ils veulent rejoindre leurs parents. En 1685, un gendre de Marguerite, René Haireau sieur de Lamboust, demandera « que son corps soit porté dans l’église de Saint-Benoist et en icelle inhumé au lieu ou les ancestres de sa femme ont este25 ». Julien écrit sa volonté dans le Livre au moment du décès de sa femme, treize ans avant sa propre mort, et ne le redit pas dans son testament, s’en remettant à la mémoire de ceux qui lui survivront. Louise, la seule des enfants Bodreau qui ne s’est pas mariée, celle qui vit « dans les maladyes continuelles26 », celle qui chicane ses frère et sœurs toute sa vie, celle qui dicte trois testaments, Louise ne veut pas être enterrée dans le caveau familial. Elle préfère reposer dans un couvent. Dans un premier temps, elle élit l’église des Minimes, puis elle change le choix de ce lieu pour « la chapelle qui est dedans l’église des peres de l’Oratoire ». En optant en novembre 1675 pour ce lieu, Louise choisit la modernité. La chapelle des Oratoriens se trouve encore dans l’église de Saint-Ouen, mais la première pierre de l’église des Oratoriens (aujourd’hui chapelle du lycée Montesquieu) a été posée27 depuis le 26 août dernier. Consacrée28 le 25 mars 1683, l’église pourra accueillir la dépouille de Louise qui mourra l’année suivante et lèguera « aux peres de l’Oratoire sa tavaïolle29 d’ouvrage pour decorer leur eglise30 ».
26Pour le choix du luminaire, comme pour le nombre de sonneurs, seules les femmes ont une idée précise de ce qu’elles veulent ; les hommes se contentent de demander « pareil luminaire » que pour l’enterrement de leur épouse ou de leur mère. Marguerite et Marie restent raisonnables dans leur dépense de cierges. En revanche, dans le testament qu’elle dicte à trente ans, Louise semble vouloir s’entourer de lumière ; elle veut que tous les autels de l’église des pères Minimes portent des cierges ainsi que les enfants de l’hôpital. Mais quatorze ans plus tard, dans son troisième testament, elle s’en remet à son exécuteur testamentaire pour illuminer la chapelle des pères de l’Oratoire. Jacques n’avait pas donné le détail de son luminaire dans son testament du mois de janvier, mais dans le codicille rédigé la veille de sa mort, il veut que « il n’y ait aulcunes torches ne armoieryes sinon une torche blanche du poix de deux livres […] et aura seullement pour luminaire les flambeaux de cire tant autour du corps que sur les autels avec bougies qui seront departies aux assistants31 ». Il désire donc limiter la dépense.
27L’heure de la cérémonie, l’organisation du convoi et l’assistance religieuse de l’enterrement ne préoccupent réellement que Louise qui précise le nombre de pauvres, d’enfants, de prêtres et de pères religieux qu’elle désire avoir autour d’elle. Dans ses deux testaments, elle demande que quatre pauvres portent son corps, mais dans le deuxième, elle n’exige plus qu’ils « portent un bureau d’une aulne et demye ». Louise est la plus exigeante des testateurs pour ce qui concerne la cérémonie de ses obsèques. Elle tient absolument à être accompagnée par un convoi de femmes et à être enterrée avant midi. Son testament est également le seul dans lequel il est question de cercueil. En effet, Louise précise qu’elle veut reposer dans un cercueil en bois, refusant le simple linceul, et elle demande à « estre ensépulturee dans ledit cercueil ». Comme Louise, Marie exige la présence de douze prêtres à ses obsèques. « Le chiffre de 12 est nécessaire, 12 apôtres, 12 tribus d’Israël32 », ainsi que le relève Pierre Chaunu, mais ce sont les seules qui précisent ce nombre. Marguerite demande « que lors qu’elle sera agonisante il soit prontement dict une messe des agonisants33 » et aucun des autres testateurs n’a ce souhait.
Les messes et les obits
28Le corps enseveli, il est nécessaire de prier pour que son repos soit éternel et tous les testateurs donnent avec précision l’organisation des services qui doivent se dérouler dans la semaine suivant leur enterrement. Marguerite ajoute une prière pour ses amis trépassés, intention que les autres testateurs ne montrent que pour les obits. Julien se contente du minimum de ce que nous trouvons chez les autres testateurs : un service solennel. Louise l’imite pour son deuxième testament, mais elle ajoutera des messes basses. Excepté pour Julien qui n’en demande aucune, les messes basses recueillent en effet l’adhésion de tous. Moins onéreuses que les grandes messes chantées, elles peuvent être plus nombreuses et assurent une multitude de prières pour le salut de l’âme. C’est par cinquantaine qu’elles sont commandées. Seule Marie n’en veut qu’une demi-douzaine pendant la semaine qui suit son décès, mais elle tient à ce que le « sieur Gaultier de Saint-Benoist » officie lui-même.
29Afin de ne pas tomber dans l’oubli, chacun demande que l’on dise des messes pendant plusieurs années après sa mort. Seule Louise ne prévoit aucun legs pour des obits dans son testament de 1675. Elle y avait songé dans son premier testament, mais, en 1661, son père n’était pas décédé et elle n’avait que trente ans : elle pouvait encore espérer se marier, espérer acquérir quelque bien sur lequel elle aurait pu assigner une rente. En 1675, elle a quarante-quatre ans et sa fortune se réduit à quelques meubles qu’elle lègue à sa servante. Elle ne peut donc s’offrir des messes anniversaires pour le repos de son âme. Julien se contente d’une messe à l’anniversaire de l’enterrement de son père, de sa mère, de sa femme et de lui-même à perpétuité. Marguerite désire que pendant cinquante ans une messe soit dite pour elle le jour de la sainte Marguerite. Marie demande une messe anniversaire pour sa fille34 pendant vingt ans, une pour elle et une pour son mari Charles pendant trente ans. Jacques avait souhaité avoir une messe pour lui et sa deuxième femme tous les ans pendant vingt ans, mais son codicille réduit ces anniversaires « pour le temps de douze ans seullement35 ». Julian Bourgault demande, comme son grand-père Julien, une messe anniversaire pour son père, sa mère et lui-même à perpétuité. Il englobe aussi ses aïeux dans les obits, montrant qu’il connaît bien sa filiation puisqu’il précise qu’il veut une grande messe à Saint-Jehan « pour le repos de l’âme de ses ayeulx qui y sont inhumés36 ». Or, si l’église et le cimetière Saint-Jehan ont bien reçu les corps des enfants de Jehan et de ceux de Julian au xvie siècle, aucun membre de la famille n’a été enseveli à Saint-Jehan après l’enterrement d’Anne Pelard (la première épouse de Jacques) en 1604. La famille paternelle de Julian Bourgault est originaire de la paroisse de Saint-Ouen, mais il n’y fait pas allusion. La mémoire familiale joue là son rôle, ce rôle que le Livre des Bodreau n’a cessé de mettre en scène.
Les legs civils
30Ces testaments spirituels, destinés à recueillir les volontés du défunt au sujet de la rédemption de son âme, ne comprennent pas, bien souvent, d’autres dispositions. Cependant, trois de ces testaments demandent de faire un don aux pauvres, action qui tend à continuer les aumônes faites du vivant du testateur. Marguerite et Jacques se préoccupent des prisonniers ; Jacques et Julian pensent aux malades ; Jacques précise même dans son codicille qu’il « veult qu’il soit donne et aulmosnes tant aux pauvres honteulx qu’aultres pauvres mandians37 », mais aucun des autres testateurs ne prévoit de donner aux miséreux de sa ville. Julien ajoute le don d’une somme de cinquante livres à sa servante et les autres testaments s’allongent de dons de plus en plus nombreux qui ne sont autres que des legs civils. Ces derniers constituent le tiers du testament de Jacques et la moitié de son codicille, la moitié du dernier testament de Louise et du premier de Julian Bourgault. Seule Marguerite ne fait aucun legs civil.
31Chaque testateur donne à la servante « qui le gouverne38 » au moment où il teste, c’est-à-dire au moment où il est bien malade. Il reconnaît le réconfort apporté par la domestique dévouée. C’est une somme de cent livres « pour recompenser les soins et bons services39 » reçus par Louise, ou encore en « recompense des assistances et bons services40 » prodigués à Julian Bourgault, qui est ainsi léguée. Si quelques dons sont faits à un filleul ou à un protégé, la plupart du temps ces legs viennent compléter les gages des serviteurs pour lesquels le décès du maître représente aussi la perte de l’emploi au terme de leur contrat.
L’exécuteur testamentaire
32Avant de conclure leur testament, tous désignent un exécuteur testamentaire qui se chargera de veiller, non seulement au respect des dernières volontés du défunt, mais aussi au paiement des nombreux legs religieux qui sont ainsi décrétés. Il semble tout naturel que Jacques demande à Julian d’être son exécuteur testamentaire. Pour lui, Julian est non seulement le frère aîné dont le fils unique est déjà marié, mais il est aussi celui qui a remplacé les parents décédés trop tôt, celui qui l’a marié, celui qui l’a accompagné depuis toujours, celui auquel il peut remettre tout ce qui lui reste : la vie de ses jeunes enfants. Quant aux autres testateurs dans la deuxième moitié du siècle, il est nécessaire de remarquer le consensus qui se fait sur le nom de Mathieu Chesneau. Julien est le premier à le charger de cette fonction et il est imité par Marguerite et par Julian Bourgault. Nous avons déjà dit les difficiles relations de Louise avec la famille et, dès 1661, elle préfère nommer son notaire plutôt que son beau-frère contrairement à son père, alors que sur bien des points de son premier testament, elle s’était ralliée à l’opinion de son père ; pour mener à bien l’exécution de son troisième testament, Louise charge deux prêtres de cette tâche. Marie Morice, veuve de Charles, a un fils de dix-sept ans qui commence ses études et elle le nomme tout naturellement pour tenir ce rôle. Marguerite a, elle aussi, un fils âgé de vingt-deux ans et exerçant la fonction de prêtre, mais elle choisit son beau-frère Mathieu Chesneau.
33Julien l’a perçu : Mathieu Chesneau, le premier gendre, le mari de la fille aînée, le riche avocat reçu au présidial manceau alors que Charles Bodreau le fils décevant ne l’est pas encore, Mathieu est le véritable nouveau chef de famille. Pour nous en convaincre, ouvrons à nouveau le testament de René Haireau, mari d’Adélaïde Bourgault, gendre de Marguerite et beau-frère de Julian Bourgault. Il meurt le 30 novembre 1685 après deux ans et demi de mariage et c’est « Me Mathieu Chesneau son oncle [qu’il] prie41 » de devenir son exécuteur testamentaire. René Haireau est avocat en parlement et son testament le dépeint en homme actif en affaires tant à Paris qu’au Mans, mais il le dit aussi originaire de Lassay comme Mathieu Chesneau. Est-ce ce lien commun qui le décide à choisir pour exécuteur testamentaire le chef de la famille dans laquelle il vient juste d’entrer, ou suit-il en cela son beau-frère et sa belle-mère ?
34Ces textes si riches de précision, empreints de la minutie baroque42 que relève Pierre Chaunu à Paris au même moment, montrent un réel souci de mise en ordre de sa vie, de règlement de ses affaires ; ils révèlent une volonté délibérée de ne pas se laisser surprendre par la mort et d’être prêt le jour venu car chaque testateur a conscience de l’irrémédiabilité de l’événement que ces textes évoquent. Par delà le canevas imposé de l’acte notarial, le contenu de ces testaments reflète également la personnalité de celui qui le dicte. Arrêtons-nous un instant sur les volontés de Louise qui vécut dans l’ombre de son père, de la famille et des autres.
Les testaments de Louise
35Louise, qui teste très tôt sans être malade, illustre la crainte de l’insuffisance des prières et des pensées des vivants à l’égard du disparu. En réactualisant plusieurs fois ses volontés, elle avoue sa peur d’omettre un élément qui pourrait nuire à son salut. Dans son dernier testament, ses invocations sont multiples et cependant elle néglige presque certains détails du cérémonial. Il lui faut de la musique, de la lumière, du monde, tout ce qui peut la maintenir encore un peu dans le monde des vivants même si elle n’est déjà plus, tout ce qui peut retenir l’attention des autres, elle qui a vécu seule. Dernière fille de Julien, célibataire demeurant avec son père jusqu’au décès de ce dernier, Louise a fait trois testaments. Elle teste devant Me Pierre Gendrot le 15 mars 1661, puis elle dicte à Me Bertran Jary, le 14 juin 1664, un deuxième testament qu’elle révoque dans le troisième passé devant Me Jean Loyseau le 20 novembre 1675. Louise est alors « détenue au lit de maladie corporelle43 ». En voulant récompenser une de ses servantes, elle y évoque les treize années de maladies continuelles qu’elle vient de vivre, ce qui laisse penser qu’elle était déjà malade lors de la rédaction de son précédent testament44. Fille célibataire très pieuse, Louise prouve par ses testaments successifs qu’elle s’est préoccupée toute sa vie du salut de son âme, mais aussi qu’elle a passé sa vie à se préparer à la mort. Elle n’a pas trente ans lorsqu’elle rédige son premier testament en 1661 alors qu’elle demeure près de son père malade ; elle signe le second à trente-sept ans et le dernier à quarante-quatre ans et elle est encore de ce monde à cinquante-deux ans45 en décembre 1683. Elle va mourir l’année suivante, « le neufviesme jour de juillet 1684 et son corps [sera] le lendemain inhumé dans l’eglise des prebtres de l’Oratoire suivant les dispositions de son testament46 ».
36Regardons enfin de plus près le testament de Julien, le seul des quatre auteurs du Livre de famille qui ait été reconnu pour son talent par ses contemporains, le seul qui ait laissé une œuvre à la postérité, le seul qui ait dicté un testament.
Le testament de Julien
37Julien ne fait qu’une seule invocation, ne prévoit ni annonce, ni détail du luminaire, ne demande qu’un seul service solennel, qu’un seul obit à perpétuité pour ses parents, sa femme et lui-même et ne désire aucune messe basse. Ayant encore quatre années à vivre, Julien n’a pas refait son testament, n’a pas éprouvé le besoin d’ajouter un codicille à ce texte complet et remarquablement sobre. Une seule entorse à cette simplicité : Julien fait ajouter une note au nom de Mathieu Chesneau car il se souvient d’un cadeau fait par son ami le sieur des Abattans47, il s’agit d’un marbre funéraire48 sur lequel il « suplye ledit sieur Chesneau de faire graver un épitafe contenant les noms de son père et sa mère et sa femme49 ». Henri Chardon50 nous dit que sa volonté fut respectée et que les dates des décès « de tous les corps [qu’il avait] les plus chéris et honorés en ce monde » [f° 149 v°] et du sien furent gravées sur le marbre noir. Ce marbre a disparu de l’église aujourd’hui. À l’image de son existence austère, son testament est succinct, mais tout y est dit : il est malade et se prépare dans la foi catholique à rejoindre les siens dans le caveau familial, en assignant une rente sur la maison de famille pour s’assurer de la prière annuelle et perpétuelle dont son âme, celles de ses parents et de son épouse ont besoin. Julien a atteint une certaine sérénité et, reflet de sa vie, cette préparation à la mort n’omet que le superflu.
38Avec ces proches modèles, comment croire que Julian, notaire, n’ait pas fait lui-même de testament ? Il est vrai qu’il meurt en laissant un fils unique bien établi dans la vie et qu’il connaît sans doute une mort subite puisqu’il est « décédé par l’espèce de syncope » ainsi que l’a relevé Henri Chardon. N’a-t-il pas eu le temps de tester alors qu’il est mort, écrit son fils, « après avoir esté affligé d’une douleur de jambe […] par le temps de douze ans ou environ » [f°96] ? N’a-t-il pas eu le souci de préparer ses funérailles ? Dans son propre testament, son fils donnera des ordres pour que « des obits annuels soient lus au jour que son deffunt père est décédé51 », ainsi qu’au jour anniversaire des décès de la mère et de la femme de l’avocat qui, elles non plus, n’ont pas, à notre connaissance, laissé de testament.
39Nous ne savons quelles furent les circonstances du décès de Jehan ni celles de celui de Charles ; cependant, si nous pouvons penser que le premier, encore jeune et peu pratiquant, n’a pas rédigé de testament en 1582, il est difficile de croire que, un siècle plus tard, son arrière petit-fils, avocat, malade et fervent catholique, n’ait pas prévu cette formalité. Cinq ans après la mort de Charles, sa veuve dictant son propre testament « déclare que ledit deffunt sieur Bodreau son mary [avait] volonté de fondre conjointement aveq elle deux grandes messes […] ce que n’ayant fait [elle] désire exécuter sa volonté52 » ; voilà un vœu qui tend à prouver que Charles n’a pas fait de testament, mais qu’il y songeait. Est-il mort brusquement, son acte de sépulture53 ne le dit pas et personne n’a repris le Livre après son décès pour nous éclairer.
40Le testament, tel qu’il se présente alors, révèle le souci de son auteur de garantir le repos de son âme par les prières de ceux qui lui survivent et de s’assurer ainsi de ne pas tomber dans l’horrible néant créé par l’oubli des autres. Le Livre des Bodreau est écrit pour conserver la mémoire familiale : n’est-il pas une sorte de testament ?
41Tout est en ordre désormais après la signature de cet ultime document venant clore une vie terrestre parfois difficile et préparant une vie éternelle au repos espéré et mérité. Le Livre de famille se fait mémoire de tous les décès d’êtres chers, de tous ces deuils notés avec des mots de compassion, de souffrance et de désespoir.
Le temps des grands chagrins
42Ne revenons pas sur le récit de la mort des personnalités, ni de celle des amis, ni de celle de l’enfant si présente dans ce Livre. Les Bodreau relatent aussi la mort de tous ceux qui ont partagé leur intimité. Ils confient à leurs pages la mort de l’épouse, celle de la mère, du père et des frères et sœurs, et ils expriment la douleur à la fois universelle et personnelle éprouvée au moment de la séparation familiale et au moment de l’adieu de la communauté.
La mort de Magdeleine, la femme de Julien
43« La mort de l’épouse reste le déchirement majeur, et souvent prématuré pour les hommes de l’âge classique qui se sont confiés à leurs Mémoires54. »
44Sous la plume de Julien, le Livre en témoigne. Des quatre auteurs, lui seul a la douleur de perdre sa femme et c’est alors qu’il laisse transparaître son « amitié conjugale » pour son épouse Magdeleine. Ce sont douze pages tracées d’une écriture fine, régulière et appliquée que Julien rédige dans le recueillement, quelques jours après l’enterrement. Nous y retrouvons la précision rigoureuse de la description des faits, de la maladie aux obsèques en passant par le décès. Son récit peut se résumer à l’hommage qu’il rend à sa femme, mettant en exergue sa qualité principale : celle d’avoir été une bonne chrétienne. Julien, qui semble réduire la vie de Magdeleine à la maternité, relève aussi ce que fut sa conduite quotidienne : « elle avoit de grandes vertus et perfections chrestiennes » [f° 152], et elle « estoit grande aumosnière » [f° 152]. Furetière dit que cela signifie qu’elle est très charitable55. L’épouse de l’avocat vient en aide aux pauvres et aux démunis de Saint-Benoît, sans doute fort nombreux dans cette paroisse située près des rives de la Sarthe où travaille un petit peuple de tisserands et de tanneurs, aux portes de la cité56 où se réfugient les plus humbles des faubourgs quêtant un geste de pitié en ces « temps de misère » reconnus par de nombreux historiens. Étant admis que donner aux pauvres c’est donner à Dieu, l’aumône devient un geste essentiel au salut et Magdeleine Berault appartient pleinement au courant religieux de son siècle où « l’habitude se prend d’associer dans un ensemble complémentaire l’approfondissement individuel et la charité active57 ». Si Julien relève l’attitude exemplaire de la conduite adoptée par sa femme dans la vie quotidienne, il insiste également sur son attitude de bonne chrétienne devant la mort, et ne forme qu’un souhait : « Dieu me face la grace de mourir comme elle » [f°152]. Magdeleine a consacré les derniers jours de sa vie à la préparation religieuse de sa mort : « elle receu deux foys la scte communion mesme le jour qu’elle décéda » [f° 152]. La communion58 est un signe de faveur chrétienne et François de Sales en recommande la fréquence ; or, son ouvrage La vie dévote est bien diffusé au moment de la mort de Magdeleine et il a sans doute été lu dans cette maison dont les maîtres successifs se préoccuperont de la canonisation59 de l’auteur et où l’on conservera un petit tableau60 du saint. Le curé peut refuser la communion suivant la conduite de la personne ; la recevoir deux fois en peu de temps démontre en quelle estime est tenue la mourante. « Trois jours auparadvant, elle avoit eu le sacrement de l’extreme onction » [f° 152 v°] ; Magdeleine était prête pour franchir « l’étape décisive sur la voie du salut61 » et son mari en ressent un immense soulagement, écrivant que tous la pleurent « mais [qu’] elle nous apprend à bien mourir comme elle a bien vescu » [f°152v°].
La mort de la mère
45Seuls Julian et Julien relatent le décès de leur mère, mais le notaire le retrace en quatorze lignes, alors que l’avocat en écrit soixante-deux pour annoncer le deuil qui l’atteint.
46Julian note la mort de sa mère en 1596, douze ans après son décès et quatre ans après avoir entrepris la rédaction du Livre. Il n’en fait donc pas, apparemment, un événement majeur de sa vie. Décrivant ses changements successifs de domicile, il éprouve le besoin d’expliquer pourquoi, en 1584, à douze ans, il logeait, avec son frère âgé de sept ans, chez les Ledru. C’est alors qu’il écrit que : « deffuncte Macée Fardel ma mère [...] mourut de peste environ le moys d’aoust 1584 » [f°17]. Se reprenant il raye cette date et inscrit : « le 3 ou 4e jour de septembre ». Lors des épidémies de peste, bien peu de gens résistent à la panique et le relevé précis de la date des décès importe guère. Il n’est pas auprès de sa mère au moment de la mort de celle-ci puisque Macée, veuve depuis deux ans, désire se remarier et qu’elle demeure à Souligné avec Jehan Charpentier, son fiancé. Son fils note qu’elle « mourut en la paroisse de Souligné soubz Vallon au lieu de Chaufiou » [f° 17]. Julian s’est-il senti abandonné par sa mère avant de devenir un orphelin en charge de son frère cadet ? Nous ne pouvons que constater qu’il n’écrit aucune prière latine pour le repos de l’âme de sa mère, alors qu’il le fait pour son maître Jean Faissot, pour la femme de celui-ci, pour le couple Ledru qui les a hébergés, son frère et lui après le décès de leur mère, et pour tous les autres défunts qu’il note sur son Livre.
47Il ne faut pas moins de quatre folios à Julien pour inscrire la mort de sa mère. De ce qui doit être gardé en mémoire, tout est dit dans les premières lignes : la date du décès, l’état civil, le temps et le lieu de l’inhumation de la défunte. Julien commet une erreur en donnant l’âge de sa mère : Marguerite « estoit née le 27 janvier 1576 » [f° 112 v°] écrit-t-il en marge afin de préciser son calcul ; or, il la dit « agée de soixante huict ans » [f°112v°] à sa mort en 1642 et se reprend pour écrire « soixante et sept ans dix mois » [f° 112 v°], alors qu’elle n’a que soixante six ans… S’étant acquitté de ce devoir de témoignage, le fils parle de la personne que fut sa mère. Déjà, à la troisième ligne, perce son affection et son respect pour la disparue : « ma très chère et très honorée mère » [f°112v°] ; puis à la dernière ligne, son chagrin transparaît dans l’emploi de l’adverbe « particulièrement » lorsque Julien écrit que sa mère est « regrett[ée] de tous et particulièrement de ceux de sa famille et de moy son fils unique » [f° 113 v°]. Il avait d’abord écrit seulement : « de moy », puis il s’est repris pour associer « ceux de sa famille » à sa peine. Vient ensuite la prière latine, celle que l’avocat n’emploie que trois fois62, pour son père, sa mère et son beau-père : « Anima illius in pace aterna requiescat, amen », cet « illius » marquant peut-être la nuance de considération que ne comporte pas le « ejus » utilisé dans la prière écrite à la mort de sa femme et reprenant la même formule63. Aux yeux de son fils, Marguerite Termeau ne semble exister qu’en tant qu’épouse puis veuve du notaire son père, en dehors de son rôle maternel. La vie de Marguerite a cessé à la mort de son mari ; Julien le montre en écrivant que ses parents « ont veuscu ensemble [...] jusques au samedy 28 juin 1636 que Dieu apella [s]on père le premier et la relaiss[a] en viduitté jusques audict jour qu’il l’appella à luy » [f° 113]. Veuve à soixante ans, son fils unique assumant sa famille, Marguerite ne se remarie pas et semble même se tenir en retrait du monde pendant les six années qu’il lui reste à vivre. En effet, son fils écrit : « et pendant sa viduitté elle s’est retirée en une petite maison [...] proche la grande maison laquelle mon père avoit faict édiffier » [f°113, f°113v°]. Julien s’installe dans cette grande maison à la mort de son père et reste donc près de sa mère, mais ils ne vivent pas ensemble. Ce qu’il faut retenir de la vie de sa mère, il le dit clairement : « son amitié conjugale » [f°113] d’une part et « sa bonté sa pieté et sa charité » [f°113 v°] d’autre part. Julien insiste sur la « parfaicte union » [f°113] formée par le couple de ses parents et montre ainsi l’importance du mariage par delà la mort. Enfin, nous retrouvons la préoccupation essentielle des chrétiens : conduire sa vie terrestre en se préparant sans cesse à la vie éternelle par des actes de piété et de charité. Ayant mené une vie exemplaire sur ce plan, Marguerite passe ses années de veuvage « en dévotions et prières » [f°114] en compagnie d’ « une honneste veufve [...] laquelle estoit sa parfaicte amie » [f°113v°]. Julien tient à remarquer (c’est le terme qu’il emploie) que cette veuve étant décédée, sa mère « dist qu’elle l’appelleroit bientost au ciel aveq elle » [f° 114] et la même année 1642 voit en effet la mort des deux amies. L’importance des liens amicaux ressort bien ici : les deux veuves se sont soutenues dans leur solitude et elles poursuivent leur relation amicale dans la vie éternelle, unies par l’amitié à l’image du lien créé par le mariage : rien, même la mort, ne peut anéantir l’amour. Ce mot n’est pourtant jamais écrit dans ce livre de famille où il apparaît si souvent en filigrane (avec le sens que nous lui donnons aujourd’hui).
La mort du père
48En cette année 1576 « les guerres estoient » [f°11v°], s’excuse Jehan qui habite le faubourg Saint-Jehan occupé par les régiments royaux alors que les troupes des princes rebelles tiennent Souligné-sous-Vallon où se meurt son père. Jehan va le « veoir au lit de la mort » [f°12] mais, les troubles de la Ligue lui faisant prendre trop de risques, il « n’oze aller aux funérailles » [f° 12] le lendemain. Le plus important, à ses yeux, est peut-être d’avoir revu son père vivant et d’avoir pu l’assister dans ses derniers instants ; le curé et le reste de la famille64 pourvoiront au rituel de l’enterrement qui, aux yeux de Jehan, ne vaut pas la peine de prendre le même risque. Cependant, il note avec précision que « le jeudy vingt sixiesme jour de apvril mil Vcs soixante seze sur les dix à unze heures du soir [son] père mourut » [f° 11 v°], corrigeant la date d’une rature énergique car il avait écrit : « le seziesme ». C’est alors pour lui l’opportunité d’inscrire sur le livre de famille le décès de sa mère « qui est auparavant la mort de [son] dict père dix huit ans » [f° 11 v°], recréant par le biais de l’écriture le couple de ses parents réunis désormais dans la tombe. Il n’a pu rendre le dernier hommage à son père, mais il l’honore en le citant dans son Livre, là où il consigne ce qui doit demeurer dans la mémoire familiale.
49Chaque chroniqueur, après Jehan, héritant du Livre à la mort de son père, consacre tout naturellement la première page de sa rédaction à relater ce deuil.
50« Deffunct Jehan Bodreau est allé de vie à trespas puisqu’il plaist à Dieu le douziesme jour de juin l’an mil cinq cens quatre vingts deux » [f°15v°]. C’est par ces mots empreints de fatalisme, tracés d’une belle écriture appliquée, qu’est notée la mort du premier rédacteur. Est-ce la main de son fils Julian qui a écrit ces cinq lignes en 1582 ? Le paraphe qui les clôt ne ressemble guère à ceux que Julian notaire apposera ensuite sur les folios de son Livre et le trait paraît bien assuré pour un jeune enfant de dix ans venant de perdre son père. La première ligne attestée de la main de Julian est celle qu’il écrit en 1586 sur la page de garde du Livre de famille, marquant ainsi sa propriété, peut-être au moment où lui est remis cet héritage paternel qu’il enrichira avec tant de soin. Qui donc a noté le décès de Jehan Bodreau sur le Livre de famille ? Est-ce Macée Fardel, sa veuve ? Savait-elle écrire ? Est-ce le curé de la paroisse de Saint-Jehan où vient de mourir Jehan ? Est-ce l’un de ses nombreux amis notaires, avocats ou bourgeois, parrains de ses enfants ? Est-ce Jehan Ledru, l’ami du faubourg Saint-Jehan, qui recueillera les deux frères orphelins après le décès de Macée ? Nous ne pouvons apporter ici de réponse. Toujours est-il que rien de plus ne nous est connu sur la mort de Jehan.
51En revanche, trente-trois lignes composant deux folios entiers sont nécessaires à Julien pour décrire le décès de son père. Unique fils survivant du notaire, ayant reçu trente-sept années de tendresse paternelle intense, il sait trouver les mots simples et justes qui lui permettent de rendre hommage à son « très cher et honoré père » [f°96], rappelant l’orgueil de sa vie que fut « sa maison qu’il avoit faict bastir » [f°96], décrivant la longue maladie qui l’affligea « par le temps de douze ans ou environ » [f° 96], et montrant le désespoir ressenti lorsqu’ « il a abandonné aux larmes sa très chère espouse Margueritte Termeau et moy Julian Bodreau leur fils unique » [f°96]. L’heure et la date de la mort et des obsèques sont indiquées précisément ainsi que le lieu de sépulture. Julien calcule l’âge de son père et il remarque qu’il naquit « un jour de sapmedy comme celuy de son décès », ne se trompant que de cinq jours dans son décompte. Nous savons, par la relation qu’en fait Henri Chardon, que Julien a également noté ce décès sur un autre manuscrit révélant alors que son père travaillait encore « un demi quart d’heure auparavant ». L’avocat rend hommage à la conscience professionnelle de son père qui a « attesté et signé » le contrat qu’il dictait à son confrère65 avant de « décéder par l’espèce de syncope ». Julian, comme tous ceux qui meurent subitement, n’a pas eu le temps de recevoir les derniers sacrements et son fils tient à souligner qu’il a « toujours vescu en homme de bien et exerçant dignement sa charge, ayant l’esprit beau et l’âme bonne ».
52C’est bien évidemment Charles qui relate la mort de Julien dès qu’il reprend la rédaction du Livre en 1663. En quatorze lignes tracées à la hâte, le fils du célèbre juriste manceau note que : « en l’an 1662 le 13 juin est décédé en bon chrestien et bon catholique et ayant receu tous les sacremens de l’église M. Julien Bodreau, mon cher père » [f° 223] ; attitude qui est primordiale au xviie siècle. Rappelant brièvement les titres et l’œuvre de son père, Charles laisse transparaître un moment son émotion en ajoutant « cher » devant le mot « père » et en précisant « à mon grand regret et à ma grande perte » [f°223v°]. Ces derniers termes peuvent cependant aussi bien concerner la suite du paragraphe au cours duquel il se plaint du fait que son beau-frère Mathieu Chesneau, exécuteur testamentaire de Julien, le « persécutte journellement par ses procès pour [son] hérédité et injustement » [f° 223 v°]. Le patriarche disparu, les dissensions familiales éclatent. Rien dans les écrits de son fils ne nous est révélé sur le mal qui emporta Julien. S’il s’agit bien de l’épidémie de pourpre dont nous parle Henri Chardon et qui décima « la six ou septième partie du monde », Charles n’en souffle mot. À Saint-Benoît en juin 1662 on enregistre dix fois plus de décès que pour un mois de juin habituel et il en est de même pour les autres paroisses mancelles66. Le registre paroissial des sépultures énumère alors quotidiennement les décès de façon hâtive et laconique. Julien avocat a-t-il été honoré par le présidial67 lors de ses funérailles comme l’écrit Henri Chardon68 sans révéler ses sources ? Ou peut-on penser qu’en ces temps d’épidémie l’heure n’était certes pas aux rassemblements dangereux et qu’il n’était « plus question de pompes funèbres pour les riches ou d’une cérémonie, même plus modeste, pour les pauvres69 » ainsi que l’écrit Jean Delumeau ? Charles ne dit rien des obsèques de son père, personnage célèbre de la ville ; il note simplement qu’il « est mort à mesme age que [son] grandpère Bodreau il s’en fault quelques moys » [f°223v°]. Il n’oublie pas ce grand-père dont il porte le nom et dont il possède désormais la demeure, et il montre d’emblée l’importance du rattachement à la lignée familiale. Charles lui-même mourra trop tôt, laissant un fils de douze ans qui n’écrira rien de la mort de son père puisqu’il ne reprendra pas la rédaction du Livre.
53Les parents par alliance de nos auteurs ne sont pas oubliés dans ce livre de famille et leurs décès y sont soigneusement mentionnés.
54Julian considère comme son beau-père celui qui a recueilli Marguerite Termeau sa femme, devenue orpheline aux décès de ses parents Mathurin Termeau et Roberde Pelard. Demeurant à La Suze, « sire Martin Pelard marchand » [f°34] est le mari de Jehanne Roullin et le père de Anne Pelard, la première femme de Jacques Bodreau. Décédé dans « la 81e annee de son aage » [f° 66 v°], Martin est inhumé au grand cimetière de La Suze le jeudi 31 août 1617. Julian y assiste et relève que, « en la croix estant sur ladite sépulture » [f° 66 v°], la date de 1525 rappelle le décès de l’aïeul Jehan Pelard. L’importance de la lignée et de la conservation de son souvenir sont un souci constant chez le notaire.
55Julien fait allusion de temps en temps à l’existence de ses beaux-parents : nous les voyons présents aux événements familiaux, aux baptêmes des petits-enfants qu’ils parrainent, au mariage de leur petite-fille Marie, fille aînée de Magdeleine et de Julien, et aux obsèques de leur propre fille Magdeleine Berault. Julien n’oublie pas de noter leurs décès dans son Livre, marquant ainsi son attachement et son respect envers les parents de son épouse et les grands-parents de ses enfants. « Le samedy 17 decembre 1650 » [f°168] meurt le beau-père de Julien. Toute sa vie, Pierre Berault, sieur des Manières, exerce son métier d’avocat au présidial et devient « antian consultant » [f°168] en vieillissant ; à sa mort, « agé de soixante et dix huict ans » [f°168], Julien son gendre relève qu’il était né la même année que Julian Bodreau. Il est enterré au couvent des Cordeliers alors que son épouse, Magdeleine Poulard, qui meurt deux ans plus tard « le dimanche 19 jour de janvier 1653 » [f° 178 v°], est « inhumée en l’église de Sct Nicolas » [f°178v°]. Julien note que Pierre Berault « est mort en bonne réputation et estime d’homme de bien » [f° 168 v°], et, aux yeux de Julien, cette valeur morale compense l’absence d’héritage matériel que l’avocat ne manque cependant pas de souligner : « il n’a point laissé de biens » [f° 168 v°]. Dix ans plus tard, le chapitre de Saint-Pierre-la-Cour enregistre « le remboursement de la somme principale de deux cens quarante livres deuebs par les heritiers du sieur Berault et les arrérages […] deubs par le sieur Julien Bodreau comme caution et heritier de feu sieur des Masnières70 ».
Les frères et sœurs
56Le Livre, écrit par des adultes, ne nous montre que la mort de frères et de sœurs adultes, et seuls Julian et son petit-fils Charles éprouvent ces deuils.
57Bien sûr, Jacques est atteint « d’une maladye d’hydropisie qui l’a tenu malade depuis le jour et feste de Toussaincts dernier » [f° 76], mais il n’est « aagé [que] de XLV ans quinze jours » [f° 76] ce jour de sabmedi 28 mai 1622 où la mort vient le soustraire à l’affection de son frère aîné. C’est un grand chagrin qui frappe celui-ci. Julian s’est toujours préoccupé de son cadet, remplaçant des parents disparus pendant l’enfance de Jacques. Les deux frères partagent le même logement et ne se quittent pas jusqu’aux noces de Jacques avec Anne, la cousine de la femme de Julian. La famille s’agrandit et les naissances advenues chez les deux couples sont saluées par Julian avec un enthousiasme identique. Lorsque Anne disparaît, Jacques se remarie avec Catherine Gilles, la fille d’amis et de voisins communs aux deux frères. Catherine meurt prématurément à son tour et Jacques, resté seul avec quatre jeunes enfants et bientôt malade, se tourne tout naturellement vers ce « frère paternel » pour remettre légalement71 entre ses mains la charge de ses enfants. Dès « le VIe juin 1622 » [f°77], Julian est nommé curateur de Anne, Michel, René et Catherine, les orphelins de son petit frère au décès duquel il consacre trois folios entiers et cinquante-six lignes de son Livre. Les deux épouses de Jacques ont aussi leur place dans les deuils familiaux.
58Julian reprend les termes du testament qu’il « a attesté » [f°40] lui-même trois jours auparavant pour évoquer le décès de sa belle-sœur Anne Pelard. Il donne son état de santé physique : elle est « détenue en longueur de malladye » [f°40], de santé spirituelle : elle a « receu tous les sacrements de l’église » [f°40], et de santé mentale : elle a gardé « la mémoire et bon sens » [f°40]. Puis il recopie ses dernières volontés qui indiquent le lieu de sa sépulture et les nombreux legs religieux qu’elle exige avec force détails. Julian a dû écrire un peu plus de trois folios pour les reproduire, mais le folio 41 ayant été déchiré, nous ne pouvons en connaître le contenu. Son fils Julien fait référence au folio 41 dans sa rédaction, ce qui prouve que, près de soixante ans après le décès de Anne, il existait encore. Charles n’en dit rien, et c’est Marin Dominique Chesneau qui fera remarquer son absence en 1767. Qui a eu besoin de ce testament, pour quel motif et quand ? Nous ne pouvons répondre. Mourant très jeune, « le 8e novembre 1607 » [f°40], dans la quatrième année de son mariage, Anne Pelard laisse son mari seul avec une fille de dix mois. Après dix-huit mois de veuvage, Jacques se remarie, mais sa nouvelle épouse, meurt à peine onze ans plus tard. « Catherine Gilles ma belle-sœur et femme de mon frère est décédée […] d’une malladye de mère » [f°69v°]. C’est ainsi que Julian note la disparition de la seconde épouse de Jacques le 22 avril 1620 et il plaint ses trois neveux « Michel René et Catherinne les Bodreaux » [f°70] qui viennent de perdre leur mère, demandant à Dieu de les bénir et de les conserver. Il ignore que, deux ans plus tard à la mort de son frère, c’est à lui que la tâche de les assumer incombera.
59Charles inscrit sur son Livre les décès des membres de sa belle-famille. L’année de son mariage avec Marie Morice, il est parrain d’un « enfant de Mr Morice » [f°224v°] le frère de sa femme, chez lequel a eu lieu la signature de son contrat de mariage. Charles a trouvé au sein de sa belle-famille la chaleur qui semble lui manquer dans la sienne. Mais, l’avocat Pierre Morice meurt deux ans plus tard, vite suivi par « sa femme Marie Pageot [qui] décéda six moys après » [f° 227 v°]. Charles donne la date du 7 juillet pour le décès de Pierre, puis quelque temps après il note le 8 juillet ; il écrit que Marguerite est décédée le 26 décembre alors que le registre indique le 28 et il l’appelle Marie, puis Marguerite72 lorsqu’il inscrit la mort de « madame Pageot mère de ladicte Pageot » [f°230v°]. Sans doute Charles est-il affecté par tous ces deuils qui se produisent en 1662, l’année même du décès de son propre père. La mort de la grand-mère des enfants Morice engage Charles à prendre la curatelle des sept orphelins, mais il en obtient la décharge. Nous apprenons, par les actes notariaux, que Me Louis Morice, autre beau-frère de Charles, devient le « curateur des enfants mineurs de deffunt Me Pierre Morice73 ». Quelques années s’écoulent et, le 20 octobre 1671, Radegonde Morice, belle-sœur de Charles, meurt à cinquante ans ; ce dernier assiste74 à son enterrement en l’église Saint-Benoît. Il note le décès de Radegonde « sur les 4 heures du soir » [f° 250] et son inhumation qui a lieu le lendemain « à St Benoist sous le banc de feu son père » [f° 250]. Or, dix folios en arrière, la même nouvelle a déjà été inscrite, sans doute sur une page restée vierge. En effet, après avoir noté la naissance de son fils en 1667, Charles relate, au verso de ce folio, un événement se déroulant en 1670. Sur le recto du folio suivant, il recopie l’acte de baptême75 de Radegonde Morice née « le 29 juillet 1621 » [f° 241], allant même jusqu’à reproduire le « B » de la marge du registre. Au verso de sa page, il indique qu’elle « est décédée à nostre grand regret le 20 octobre 1671 » [f°241v°], prouvant ainsi qu’il a noté le baptême de sa belle-sœur au moment de son enterrement. En signant l’acte de sépulture sur le registre de l’église, il a recherché celui du baptême de Radegonde et en a fait une copie qu’il s’est plu à inscrire sur les pages blanches de son Livre, sans se soucier de chronologie. Lorsqu’il écrit la mort de sa belle-sœur, Charles remarque amèrement qu’elle « a faict un testament si excessif qu’il ne [lui] est pas bien demeuré de biens oultre que elle estoit bien endebtée » [f°250]. Les archives notariales conservent des comptes76 établis le 3 mars 1681 entre Marie Morice, alors veuve de Charles, et son frère Louis Morice, tous deux étant héritiers de Radegonde. Ces actes attestent de la difficile succession de leur sœur, compliquée par la défense des droits des orphelins mineurs de Pierre Morice également héritiers de Radegonde.
Les obsèques
60En avril 1576, Jehan avoue qu’il « n’oze aller aux funérailles » [f° 12] de son père ; la guerre l’empêche de s’y rendre, mais il sait l’importance de cette cérémonie. En 1601, Julian se contente d’écrire que Monseigneur Claude d’Angennes « fut inhumé en grande solennité » [f°27] pour noter les obsèques de l’évêque, mais il n’explique pas ce que recouvre ce mot de « solennité ». En 1607, il nomme les officiants et les personnalités qui assistent à l’enterrement de Jehan Faissot, mais il ne donne pas de détails et il résume les cérémonies ainsi : « il a esté solennellement inhumé » [f°38]. Pour l’abbesse du Pré en 1607, il ne fait aucune description et s’en tient à l’énumération des gens présents. Charles annonce « la triste nouvelle de la mort de monsegneur évesque du Mans » [f° 249 v°], mais reprend les mots du registre77 de Saint-Benoît pour dire que Mgr Philibert Emmanuel de Lavardin « est inhumé au Mans sans cérémonie » [f° 249 v°]. En revanche, Julien relate six convois funèbres : les enterrements de son épouse et de trois personnalités, et les deux cérémonies organisées pour deux évêques du Mans.
61Les personnalités civiles sont ensevelies le lendemain de leur mort et, même si le défunt en a prévu lui-même le déroulement dans son testament, leurs obsèques sont plus modestes que celles des évêques. Ces dernières font l’objet d’un grand déploiement de faste que Julien décrit minutieusement. Les prélats sont enterrés plusieurs jours après leur décès78 et les cérémonies sont très organisées et bien orchestrées, même s’il s’y produit parfois quelque querelle de préséance. Il est indéniable que le récit de Julien est plus étoffé pour les obsèques de Charles de Beaumanoir que pour celles de son successeur. Deux raisons à ce fait : d’une part, Julien tient le Livre depuis un an seulement lorsqu’il rédige la première relation et il se complaît à n’omettre aucun détail ; d’autre part, l’évêque défunt appartient à l’une des plus grandes familles mancelles dont tous les membres assistent aux funérailles. Les cortèges funéraires sont suivis par la foule des paroissiens qui emplit les étroites rues de la ville. Ceux des évêques sont composés par des centaines de personnes réunies autour du corps et les cortèges des personnalités civiles, quoique beaucoup moins imposants, rassemblent plusieurs dizaines de gens officiels. Ce sont-là de grands spectacles qui se déroulent sous les yeux des Manceaux parmi lesquels Julien se trouve. Ses écrits offrent en effet ici un témoignage direct qui permet de relever la présence des uns autant que l’absence des autres.
62Magdeleine n’a pas de sonneurs à son enterrement, mais ses filles en demanderont pour leurs propres obsèques. En effet, dans son testament79 de 1675, Louise prévoit quatre sonneurs à ses funérailles ; en 1680, Marguerite80 souhaite être annoncée par deux sonneurs et, en 1683, son fils Julian Bourgault81 curé du Pré veut deux sonneurs. Pour l’évêque Charles de Beaumanoir, soixante douze hommes, la moitié agitant des clochettes et l’autre portant des torches, ouvrent le cortège devant les dix ordres religieux dont Julien ne dénombre pas les membres. C’est le seul convoi relaté dans le Livre qui comporte des « crieurs ou sonneurs de clochettes » [f° 98v°] et le récit de Julien vient étoffer celui d’Antoine Le Corvaisier qui se contente d’écrire « en premier lieu marchoient les sonneurs82 ». Dix ans plus tard, il y a beaucoup moins de bruit pour l’évêque Émeric Marc de La Ferté car les crieurs ont disparu. Aucun des récits des autres enterrements n’en fait état alors que la tradition demeure.
63Pour Émeric Marc de La Ferté, les pauvres remplacent les crieurs en nombre car son cercueil est porté par quinze d’entre eux et trente six autres tiennent des torches. Dans ces convois, les pauvres, dont l’intercession est importante pour l’obtention du salut, sont nombreux : quinze pour l’évêque de La Ferté, douze pour la femme de Julien et vingt-six pour François Le Vayer. Les trente-six torches, tenues par des porteurs de torches pour l’évêque Mgr de Beaumanoir en 1638, le sont par des pauvres en 1648 pour Mgr de La Ferté, ainsi qu’en 1649 pour François Le Vayer. Aux obsèques de ce dernier, ce sont « les eschevins et procureur de ville qui port[ent] les quatre coins du drap mortuaire » [f° 157 v° et 158], représentant l’autorité municipale pour rendre hommage au lieutenant général. Tout naturellement, celui de Mgr de Beaumanoir est porté par des chanoines, mais ce sont des pauvres qui portent le corps de de Mgr de La Ferté ainsi que celui de Magdeleine la « grande ausmosnière » [f°152]. Julien ne précise pas si des pauvres assistent à la cérémonie de l’enterrement de René Le Vayer, mais il note que son fils « a faict donner aux povres suivant le testament » [f°217v°] de son père.
64Aux obsèques des évêques et de René Le Vayer comme à celles de Magdeleine Berault, le corps du défunt est précédé par les religieux respectant un ordre rigoureux et immuable, mais si les ordres religieux sont tous présents à celles des évêques, il ne sont que quelques-uns à celles du « cy davant Lieutenant général au Mans et depuis intendant à Arras » [f°216v°].
65Viennent ensuite les personnes civiles qui font partie de la maison du défunt, puis sa famille et les autorités. Les avocats assemblés en corps prennent part au cortège et sont nombreux : « quatre vingt six » [f° 101] pour Charles de Beaumanoir et « nombre » [f°151v°] pour Magdeleine Bérault. Julien ne les a pas comptés aux obsèques d’Émeric Marc de la Ferté ni à celles de Renée Vasse, mais il les évoque. Aux obsèques de sa femme, il nomme les amis et les personnalités qui soutiennent les parents et les enfants de Magdeleine. Cette présence « honore ses pompes funèbres » [f° 152], et elle le réconforte également. La sollicitude montrée par les grands personnages manceaux le touche sans doute autant que la venue des nombreux avocats et de « Me Mathurin Louis [leur] syndic » [f°152] qui est aussi son ami.
66Nombreux sont donc les gens présents aux funérailles, mais des absences sont également à remarquer. Les échevins, par exemple, n’assistent pas aux enterrements des évêques. En effet, pour Mgr de Beaumanoir « attendu que Messr les chanoines de St Julian ne voulurent pas consentir qu’ils portassent les quatre bouts du drap » [f° 101], ainsi que cela s’était fait pour son prédécesseur, les échevins n’assistèrent plus aux obsèques des évêques à partir de cette date. Certaines autorités sont absentes aux obsèques des membres de la famille Le Vayer. Pour François et sa mère, aucun religieux n’est présent. À l’enterrement de François, les officiers « de la provosté n’y furent pas parce qu’il y eut de la dispute pour la préséance entre ceux de l’Election et eulx » [f° 158]. De même, le corps des avocats ne figure pas aux enterrements de François et de son père. En effet, à la suite de la querelle survenue aux obsèques de Renée Vasse, opposant « messrs les officiers du présidial et le corps des advocats » [f°156], les avocats n’assistent pas à celles de son fils quelques jours après ni à celles de son mari treize ans plus tard. Aux obsèques de François Le Vayer en 1649, « il fut aresté que les advocats n’assisteroient point aux pompes funèbres » [f° 159], mais qu’ils iraient « le dimanche ensuivant en corps en la chapelle du grand cimetière faire célébrer une grande messe » [f°159v°]. Ce qui fut fait. À la mort de son père, René Le Vayer, en 1662, les avocats ont opéré de même et, n’ayant pas assisté la veille à l’enterrement, ils « sont alez jusques en la chapelle du grand cimetière ou il a esté célébré une grande messe de requiem en musique par le bas chœur de l’Église Royale et Collégiale de St Pierre » [f° 218 v°] à laquelle « se sont trouvez messrs les parents de mondict sr l’intendant » [f° 219]. Julien insiste pour montrer la dissension qui existe entre les avocats et le reste des notables de la ville. Il les oppose en notant à trois folios de distance que « messieurs du siège présidial, de l’Élection et le corps de la ville » [f° 217] ont assisté aux obsèques « le jeudy 2 dudict mois de Mars » [f°216v] et que le « 4 mars 1662 le corps des advocats » [f° 218 v°] s’est rendu au cimetière. Relevons l’hommage particulier réservé aux membres de la famille Le Vayer, hommage rendu par le corps des avocats, et que Julien décrit en détail, désirant montrer au moment du dernier adieu en quelle estime il tient ses grands amis.
La cérémonie funéraire
67Antoine Le Corvaisier note que, aux obsèques de Charles de Beaumanoir, « certain nombre de pauvres couverts de bureaux portent des torches avec les armoiries83 », et Julien détaille les crieurs vêtus « de petites casaques de duoil » [f° 98 v°] et les porteurs de torches « couverts de bureaux aveq les armes dudit seigneur à unze billettes d’argent autrement coups de marteau à fond d’azur timbrées d’un chapeau verd » [f°98v°]. Derrière les ordres religieux vient « le seau à trente et six flambeaux de cire blanche et au milieu le portrait dudit seigneur évesque en médaille » [f°99], puis suit le corps « couvert d’un grand drap mortuaire de velours noir aveq ses armes » [f°99v°]. Aux obsèques d’Émeric Marc de La Ferté, les aumôniers portent l’un « une mytre couverte de crespe en un bassin d’argent l’autre une crosse brisée aussi couverte de crespe en un bassin d’argent » [f°129v° et 130]. Son drap mortuaire est aussi de velours noir, mais il a « une grande croix de satin blanc [et] aux quatre coins les armes du deffunct relevées en broderye et orfrairye » [f° 130 v°]. Les « enfans de l’hostel dieu [sont] vestus de robes bleues » [f°148v°] aux obsèques de Magdeleine. Du monde et des couleurs, le son et la teinte du deuil, le luxe des étoffes et des armoiries nobiliaires, voilà ce qui frappe le souvenir de Julien : l’importance de la mise en scène et le sens du spectacle tiennent ici une grande place.
68C’est à l’occasion des funérailles de Charles de Beaumanoir que Julien décrit le mieux l’organisation de la cérémonie funéraire. « Depuis le milieu de la nef de ladite église jusques au hault contre le jubé, il y avoit autour des piliers une cloison de charpente pour recevoir toute la pompe funèbre et au milieu y avoit une chère où la harangue funèbre fut faicte » [f°102]. Il est aisé de s’y retrouver dans un décor si bien planté et l’on tend l’oreille pour écouter la harangue funèbre qui n’a pas manqué d’intéresser la foule massée dans la cathédrale. Antoine Le Corvaisier84 précise qu’elle fut prononcée par le père Grisel, jésuite, mais son récit détaille moins le décor de la cérémonie. La peinture soignée et la clarté de la description de Julien révèle sa grande capacité d’observation et fait ressortir l’aisance de son écriture.
69Le Livre dit la mort des êtres chers, s’attardant sur le chagrin éprouvé et accordant une place importante à cet adieu ultime. Les registres paroissiaux conservent le compte de ces morts et permettent de jeter un regard plus scientifique et moins sentimental sur la saison des morts.
La saison des morts dans la paroisse de Saint-Benoît
70Les relevés anonymes effectués à partir du dépouillement des registres paroissiaux permettent de comptabiliser les décès mensuels. À Saint-Benoît, un ou deux paroissiens sont enterrés par mois et il est rare d’avoir plus de six sépultures dans le même mois. Le maximum de décès se relève en juin où une moyenne de trois décès est atteinte contre un en novembre qui est le mois le plus creux. En juin 1662, date de la mort de Julien, trente personnes sont inscrites sur le registre des sépultures, dix fois plus qu’au cours d’un mois de juin habituel et six fois plus que les mois les plus chargés depuis 1651.
71Les courbes conjuguées des naissances et des décès enregistrés pendant soixante-quatorze ans font apparaître deux clochers de mortalité : le premier en 1649-1650 et le second en 1661-1662. Nous comptabilisons en 1650 quatre vingt-neuf décès : ce qui représente une multiplication par deux et demi de la moyenne relevée entre 1640 et 1679 qui est de trente-cinq décès par an. Dans la paroisse de Saint-Pierre-la-Cour, nous relevons « quarante-trois décès cette même année pour douze à quinze les années suivantes85 », ce qui donne une proportion au moins équivalente. En 1662, Le Crucifix, une paroisse proche de Saint-Benoît voit son nombre de décès quintupler86 alors que Saint-Benoît déplore trois fois plus de morts que d’habitude en enterrant cent seize personnes pour une moyenne de trente-cinq de 1640 à 1679. Magdeleine est décédée au cours de l’automne 1649, Julien disparaît pendant la seconde crise de mortalité en juin 1662 et bien peu de familles peuvent traverser ces périodes sans subir de cruels deuils.
72Le relevé des sépultures mensuelles révèle que le printemps est la saison la plus meurtrière de l’année. Une inégalité entre les sexes devant la mort existe : il meurt plus de femmes que d’hommes (1 129 femmes contre 924 hommes, c’est-à-dire 55 % des morts) bien qu’il naisse moins de filles que de garçons (2 587 filles contre 2 784 garçons, c’est-à-dire 48 % des naissances). Les femmes meurent tout au long de l’année alors que la mortalité masculine s’accentue nettement en mai et juin. En l’absence de données suffisantes sur l’âge au décès, il est difficile de dire si la longévité masculine l’emporte sur la longévité féminine, mais il est certain que nombre de femmes meurent en couches ou dans les mois qui suivent leur dernier accouchement. Sur 144 fiches de famille pour lesquelles la date du décès de la femme est connue, 22 morts surviennent dans l’année qui suit la dernière naissance enregistrée, ce qui représente une mortalité post-accouchement de 6,5 %. Nous n’avons pas l’âge au décès de tous les Bodreau, mais on vit en moyenne une cinquantaine d’années dans la famille lors-qu’on réussit à atteindre l’âge adulte. L’âge au décès des hommes se répartit entre quarante-cinq ans et soixante-trois ans et celui des femmes entre trente-quatre ans et soixante dix-sept ans.
73Lors de la nouvelle d’un décès dans le Livre, les quatre Bodreau n’omettent jamais de noter avec précision le jour de la mort, celui des obsèques et le lieu de la sépulture. De même, les registres paroissiaux comportent tous sans exception la mention du jour de l’enterrement et de celui du décès ainsi que l’indication du lieu de la sépulture : église, couvent ou cimetière.
Le temps de la sépulture
74Le tableau ci-après montre que l’on enterre presque toujours le jour même du décès (93 %) et au plus tard le lendemain (7 %).
Figure n° 4 : Tableau des dates et des lieux des sépultures à Saint-Benoît

75En soixante-quatorze ans, sur 2 115 décès, cinq personnes sont enterrées le surlendemain de leur mort ; ce sont deux nobles conseillers du roi, l’épouse d’un conseiller du roi, celle d’un avocat et l’épouse d’un archer huissier de la maréchaussée. Une seule sépulture87 a lieu plus de deux mois après le décès, mais il s’agit d’un noyé dont le corps n’avait pu être retrouvé le jour du drame. À propos des enterrements des évêques, Julian et Julien font remarquer l’écart qui est laissé entre le décès et la sépulture. Une exception est faite pour « dame Charlotte de Miée de Guépré abesse de l’abaye du Pré » [f° 213 v°] en 1661 qui est enterrée le lendemain de son décès. Mais en 1607, relatant l’inhumation de dame Catherine de Chourses, Julian relève – et il l’écrit en marge de son folio – que l’abbesse du Pré « estoit décédée quinze jours avant et plus » [f°38v°], remarquant ainsi la différence entre l’élite ecclésiastique et les civils.
76Si nous dressons un tableau analogue à partir des informations du Livre des Bodreau, nous remarquons qu’une grande différence apparaît dans les dates puisque les enterrements se déroulent, pour la famille ou les amis, aussi bien le jour même que le lendemain du décès.
Figure n° 5 : Tableau des dates et des lieux des sépultures dans le Livre

Le lieu de la sépulture
77Les relevés anonymes montrent que l’église ou le couvent (51,70 %) constituent, aussi souvent que le cimetière (48,30 %), la dernière demeure des habitants de Saint-Benoît. Cette paroisse regroupe une population de petits artisans et sa situation aux portes de la cité favorise la présence de gens pauvres et miséreux venus des proches faubourgs et de la campagne. Nombre d’entre eux sont enterrés au cimetière alors que les familles plus aisées se font « ensépulturées » dans l’église. Église et couvent sont nettement préférés au cimetière par les amis (68,75 %) et les membres de la famille Bodreau (67,45 %). Malgré les nombreuses protestations de certains ecclésiastiques et les avis de quelques médecins, il faudra attendre la fin du siècle des Lumières et l’édit royal de 1776 pour obtenir l’interdiction des sépultures dans les églises.
78Suivant l’usage, les ecclésiastiques sont enterrés dans leur église. Les Bodreau prennent soin d’indiquer l’endroit exact où gisent les abbesses du Pré et les évêques. Julien précise que Mgr Charles de Beaumanoir rejoint « les corps de messire le mareschal de Lavardin père et Madame la femme de Monsieur le marquis » [f°102v°] membres de sa famille, à l’image des chrétiens de son diocèse qui, même au cimetière, se font enterrer près des leurs. C’est le cas des époux Ledru qui ont élevé Julian et Jacques ; en 1601, Julian assiste à leurs funérailles à Saint-Jehan88 et relève que le corps de Roberde Durand, veuve de Jehan Ledru, « a esté inhumé le lendemain près de celui de son deffunct mary » [f°27].
79Deux amies de la famille se font enterrées dans un couvent et elles choisissent celui des Cordeliers. En 1603, Marie Thuaudet, tante du grand ami de Julian, Jehan Faissot, « a esté inhumée aux Cordeliers » [f°33v°] ; son testament est conservé aujourd’hui encore dans les archives89 du couvent. Renée Vasse, femme de René Le Vayer, meurt la même année que Magdeleine Berault. Épouse et mère de lieutenants généraux du Mans, qui ont eux-mêmes choisi le cimetière pour dernière demeure, elle est « enterrée en l’Église des Cordeliers » [f°156] où son frère Jean Vasse repose depuis un an. Elle choisit de rejoindre sa famille maternelle ne désirant peut-être pas suivre les Le Vayer dans le grand cimetière « au derrière de l’enclos de l’abbaye de La Coulture » [f° 157]. Trois jours après elle, son fils François Le Vayer est enseveli « soubs une tombe qui est soubs le ballet de la grande porte de ladite chapelle du grand cimetière » [f°160]. François, « demandant à être enterré sous le porche du grand cimetière Ste Croix afin que son corps puisse être piétiné par la foule90 », fut inhumé dans le caveau où, depuis 1624, reposait son grand-père. Celui-ci y avait fait graver ces simples mots : « cy gist un misérable pécheur » [f° 161], lui qui avait été, comme son petit-fils et son fils, lieutenant général de la province. Leur grand ami, l’avocat Julien Bodreau, témoignant de son admiration pour ces personnalités, écrivit alors sur son Livre : « ce petit espace de terre enserre les corps de deux hommes qui furent des lumières de leur temps » [f°161]. Et c’est là également, « au-dessous du ballet de la grande-porte de la chapelle du grand cimetière » [f°216v°], que René Le Vayer, le père de François, se fera ensevelir à son tour en 1662. Trois générations de lieutenants généraux du Mans qui demeurent unies par leur fonction dans la vie et leur attitude dans la mort.
80Cependant, si des personnages, tels les Le Vayer ou l’avocat Pierre Nicolle en 1638, sont enterrés au grand cimetière, plus nombreux sont ceux – les avocats Jehan Faissot en 1607, Claude Gilles en 1633, Mathieu Loys en 1660, Julien Bodreau en 1662, les notaires Noël Rousseau et Julian Bodreau père en 1636, le médecin Noël Péan en 1650, pour n’en citer que quelques-uns – qui sont inhumés sous les dalles de l’église Saint-Benoît.
Le choix des Bodreau : enterrés « près des autres », « au mesme lieu »
81Le lieu de la sépulture est choisi avec soin par les familles – si le disparu n’a pas pris la précaution de l’indiquer dans un testament – et les Bodreau font souvent remarquer que les défunts sont enterrés « au mesme lieu » (six fois) et surtout « près des autres » (seize fois) membres de la famille qui les ont précédés dans la mort.
82Jehan enterre ses enfants là où il demeure au moment de ces deuils : dans l’église de Saint-Pierre-l’Enterré, dans le cimetière Saint-Jehan et dans le cimetière de Souligné-sous-Vallon où son père sera enseveli en cette terrible année 1576. Mais il ne donne pas d’autre indication que le nom de l’église ou du cimetière et c’est son fils Julian qui, des années plus tard, précise, alors qu’il note le décès de sa mère, que la sépulture familiale de Souligné se situe « près la petitte porte » [f°17] du cimetière.
83Julian et son fils Julien ne manquent jamais de décrire le lieu où ils déposent leurs morts avant d’y être eux-mêmes enterrés. Cette description précise revêt une telle importance à leurs yeux qu’elle constitue les premiers mots de leur rédaction du Livre. Si ce fait paraît logique pour Julien qui commence sa part du manuscrit le jour même du décès de son père, il l’est moins pour Julian qui n’entreprend sa rédaction que sept ans après la mort de Jehan. Le décès de ce dernier est inscrit sur le Livre, au moment où il survient en 1582, par une main inconnue qui ne donne pas le lieu de la sépulture, et Julian comble cette lacune en 1589, précisant que « en l’église Sct Jehan au droict de l’autel St Sébastian y a une petitte tombe et marque » [f° 15 v°]. Nul doute qu’il va alors s’y recueillir. Il insiste pour dire que Macée, mourant deux ans après son époux, ne sera pas enterrée près de lui à Saint-Jehan, mais à Souligné-sous-Vallon « près la petitte porte et la sépulture de deffunct Jehan Bodreau » [f° 17] son beau-père. C’est le seul couple de Bodreau qui n’est pas réuni dans la tombe.
84Perdant six enfants sur sept, Julian les enterre au cimetière Saint-Jehan et dans l’église Saint-Jehan alors qu’il les baptise tous à Saint-Benoît, la paroisse où il demeure. Ses premiers nouveau-nés sont ensevelis « près le ballet de la grande porte au cimetière » [f° 31] rejoignant ainsi ses « autres frères et seurs décédez audit St Jehan » [f°31] et les deux suivants sont enterrés au même endroit « près de [ses] autres enfants » [f°35v°]. Quant à ses filles, Marguerite décédée à sept ans et Catherine à deux ans, il les ensevelit dans l’église Saint-Jehan « près la sépulture de [son] deffunct père » [f°37 et f°53]. La famille doit rester unie à travers la mort malgré le changement du lieu de vie de ses autres membres. Anne Pelard, la première femme de Jacques Bodreau, quoique originaire de La Suze et habitant la paroisse Saint-Benoît, est enterrée elle aussi en l’église Saint-Jehan près de la sépulture des Bodreau. Jacques, se remariant en 1609 avec Catherine Gilles, fait ensevelir leur première fille dans l’église de Saint-Benoît près « de la sépulture de feu Mr Gilles » [f°52v°], puis sa femme « près de ses deffuncts père et mère » [f° 69 v°] avant d’être à son tour enterré en 1622 dans la même église. Sa sépulture se situe près de la chapelle Saint-Sébastien « en proximité de la sépulture de deffuncte Catherine Gilles sa seconde femme plus bas que la sépulture de deffunct général de La Rivière proche le derrière de l’enclos du chœur » [f°76v°]. À partir de ce jour, les Bodreau seront tous91 réunis par la mort dans l’église de Saint-Benoît.
85Après le décès de Jacques, c’est Julien avocat qui, perdant son premier enfant en 1623, le fait enterrer dans l’église Saint-Benoît « près la chapelle Saint-Sébastian » [f° 77 v°]. La proximité de cette chapelle rappelle l’emplacement de la tombe de Jehan dans l’église Saint-Jehan, mais Julien ne donne pas la raison de ce choix. Peut-être désire-t-il simplement s’approcher du caveau de Jacques qui se situe également « proche la chapelle St Sébastian » [f°76] ? Hormis Pierre qui meurt en nourrice à Tranger, cinq des six enfants décédés de Julien sont ensevelis dans le caveau familial de l’église Saint-Benoît avant que leur grand-père Julian ne les y rejoigne en 1636, suivi par sa femme Marguerite Termeau en 1642. Julien précise alors que ses parents sont inhumés « affin que leurs corps demeurassent unis en mesme lieu en terre attendant la résurrection universelle comme leurs ames sont maintenant unies au ciel par la grace de Dieu » [f°112v°], mettant l’accent sur la nécessité de rester ensemble. Nécessité, mais aussi volonté car, au moment de déposer le corps de sa femme « au mesme lieu où [son] père et [sa] mère sont enterrés en attendant la résurrection générale » [f°149], Julien demande à ses « enfans qui [lui] survivront parens et amis de satisfaire à [son] désir et d’accomplir [sa] volonté » [f°150] qui est de « reposer auprès des corps [qu’il a] les plus chéris et honorés en ce monde » [f° 149v°].
86Julian entretient la mémoire familiale en notant la présence des ancêtres dans le même lieu, même si celle-ci est très ancienne. Ainsi rappelle-t-il que Martin Pelard, l’oncle et le tuteur de sa femme, est enterré au grand cimetière de La Suze près de son grand-père qui mourut en 1525. Manière aussi pour le notaire de dire qu’il a assisté aux obsèques et que l’on y a peut-être évoqué l’ancienneté rassurante de la famille. Les liens de solidarité restent très ténus non seulement tout au long de la vie, mais aussi au moment du trépas et au-delà lorsqu’il s’agit de garder le souvenir du disparu. Le besoin de connaître ses racines et de ressentir l’appartenance à une communauté transparaît également dans cette volonté constante de relier, d’une part les défunts au monde des vivants et, d’autre part les nouveaux morts à ceux qui les ont précédés. Julien éprouve ce même souci de relever l’union de tous. À l’occasion des funérailles de la mère92 de son voisin, il montre que, par delà la mort, les liens sociaux demeurent puisqu’elle est enterrée, écrit-il, « proche la fosse de mes père et mère et de ma femme » [f°162v°]. Les paroissiens restent des voisins pour l’éternité.
87Julien n’oublie jamais, que ce soit à propos de la famille, des amis ou des personnalités dont il note les obsèques, de montrer la nécessité de conserver l’unité familiale. Mais son fils Charles montre moins l’importance qu’il attache au lieu de la sépulture. Il n’évoque le caveau paternel que lorsqu’il y conduit son fils de sept mois en 1664 et il remarque qu’il est proche du banc familial « écheu en partage à mr Bourgault » [f°231v°]. L’année suivante, enterrant son autre fils à Étival, il précise aussi qu’il est « soubs le banc autrefois appartenant à la dame Piveron et où nous nous mettons » [f° 236]. Charles semble donc mettre davantage l’accent sur les vivants qui utilisent ce banc que sur les morts qui y reposent déjà même si, en 1671, il désigne la sépulture de sa belle-sœur, Radegonde Morice, comme étant « sous le banc de feu son père » [f°250]. Cette localisation de tombes situées sous les bancs privés de l’église tend sans nul doute à relier fortement les vivants et leurs morts. Tous se retrouvent réunis dans l’église pour la prière : les défunts auxquels on demande de prier pour les vivants et ces derniers qui viennent ici prier pour leurs morts.
88L’existence de quatre générations d’une famille ne peut se résumer à une liste, même exhaustive, de tous les membres qui l’ont composée pendant un siècle. Le désir de laisser un souvenir vivant de cette existence a poussé les Bodreau à échafauder leur arbre généalogique à l’aide de la vigoureuse sève de leurs écrits. Copiant les inscriptions scrupuleuses des trois actes de la vie tels qu’ils sont contenus dans les registres paroissiaux, Jehan et ses descendants ont su mettre dans leurs pages toute l’humanité qui manque aux cahiers officiels. Au-delà des formules empruntées aux registres, chaque rédacteur du Livre a su trouver le mot juste et la petite phrase essentielle ; il a su montrer sa joie et sa détresse ; il a su personnaliser le récit de la vie des siens.
89À l’instar des Bodreau eux-mêmes qui, au moment du décès de l’un des leurs, ont dressé un court bilan de sa vie, nous avons chiffré l’existence de chacun, décompté ses années, noté ses enfants, ses neveux, ses filleuls, ses amis, montrant ainsi son appartenance à la population paroissiale. Les auteurs du Livre de famille ont consacré le tiers de leurs écrits à relater ce qui a fait la trame de leur existence, et c’est beaucoup plus le contenu qualitatif de leur vie qui ressort de ces pages que le calcul quantitatif qu’ils y ont mis. Ils n’ont pas accordé moins d’importance aux grandes étapes de la vie que leurs contemporains n’écrivant que leur généalogie ; ils ont simplement choisi de placer leur famille dans le contexte qui fut le leur à chaque génération, lui insufflant ainsi une vie éternelle que leur Livre conserve à jamais. Bien à leur place dans leur temps et dans leur espace, les Bodreau ont vécu une existence semblable à celle de milliers de leurs contemporains, mais ils ont su, par la rédaction consciencieuse et passionnée de leur Livre, la transformer en un témoignage unique et immortel.
Notes de bas de page
1 Acte de sépulture du 21 août 1667 du registre de Saint-Benoît, coté 88-14-39, vol. 13 c.
2 Actes de septembre et octobre 1611 du registre de Saint-Benoît par exemple, coté 88-14-38, vol.13 b.
3 Henri Chardon a relevé cette phrase dans le second livre.
4 Les folios 78 et 78v° pour le notaire, et le folio 189v° pour l’avocat.
5 Charles Pean du Chesnay et René Bodreau : tous deux sont cités dans l’ouvrage de P. Delaunay en temps que médecins renommés du xviie siècle au Mans. Ceux qui soignaient nos pères, médecins manceaux d’autrefois, Laval, A. Goupil, 1921, pp. 61, 75 et 92.
6 A. Furetière, op. cit., article « Fluxion ».
7 A. Furetière, op. cit., article « Ulcérer ».
8 C’est du moins ce qu’écrit Henri Chardon citant l’autre manuscrit des Bodreau aujourd’hui introuvable : « il mourut d’une fiebvre maligne et pourprée ».
9 Il s’agit de Lespine située paroisse du Petit Saint-Georges.
10 A. Franklin, La vie privée d’autrefois, arts et métiers, modes, mœurs, usages des Parisiens du xiie au xviiie siècle d’après des documents originaux ou inédits, Paris, Plon, Nourrit et Cie, vol. 11 : « Les médecins », 1892, p. 209.
11 A. Franklin, op. cit., vol. 12 : « Les chirurgiens », 1893, p. 108.
12 Abbé G. Esnault, « Le livre de famille de Ghaisne de Classé », dans Les livres de famille dans le Maine, Le Mans, Pellechat, 1883, p. 16.
13 P. Delaunay, Études sur l’Hygiène, l’Assistance et les Secours publics dans le Maine, Monnoyer, Le Mans, 1920, 2e série : « Les maladies contagieuses et l’assistance aux épidémies », p. 43.
14 P. dom Piolin, Histoire de l’Église du Mans, Paris, H. Vrayet de Surcy, 1863, tome VI, p. 161.
15 Frère Balthazar de Bellême, Annales de la province de Bretagne, ms Bibliothèque de Rennes coté 1 Mi 41.
16 P. dom Piolin, op. cit., p. 223.
17 P. Delaunay, Médecins manceaux d’autrefois, Laval, A. Goupil, 1921, p. 6. Paul Delaunay montre l’admiration portée par l’avocat Julien Bodreau à « l’excellence de la profession médicale » en se référant au propre ouvrage de l’avocat sur les Coutumes du Maine.
18 L’un de ses gendres, Pierre Bourgault, sera le médecin de l’abbesse de Fontevraud, et son cousin germain René Bodreau un docteur en médecine renommé au Mans. Au cours de la terrible épidémie de pourpre de 1661 et 1662 qui emporta l’avocat, René Bodreau avait rédigé un ouvrage intitulé « observationes medicæ » resté manuscrit et perdu aujourd’hui. P. Delaunay, ibid., p. 32.
19 P. Chaunu, La mort à Paris aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris, Fayard, 1978, p. 372.
20 Son deuxième testament ne nous est pas parvenu, mais il est révoqué dans le troisième.
21 Annotation datée du 6 janvier 1685 figurant à la fin du testament de Julian Bourgault dicté à Me Pierre Gendrot le 2 janvier 1683. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 288.
22 P. Chaunu, La mort à Paris aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris, Fayard, 1978, p. 394.
23 M. Ménard, Une histoire des mentalités religieuses aux xviie et xviiie siècles. Mille retables de l’ancien diocèse du Mans, Paris, Beauchesne, 1980, p. 283.
24 Testament de Jacques Bodreau du 27 janvier 1622. Arch. dép. Sarthe cote 111 AC Le Mans 157/8.
25 Testament de Me René Haireau du 25 novembre 1685. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 290. p. 1.
26 Testament de Louise Bodreau du 20 novembre 1675. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 222. p. 2.
27 R. Triger, Études historiques et topographiques sur la ville du Mans, Monnoyer, Le Mans, 1926, Article V : « Le collège de l’Oratoire et les vieilles maisons entre l’Oratoire et l’abbaye de Saint-Vincent », p. 25.
28 Ibid., p. 30.
29 C’est-à-dire son drap de baptême ouvragé.
30 Testament de Louise Bodreau du 20 novembre 1675. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 222. p. 2.
31 Codicille du testament de Jacques Bodreau du 28 mai 1622. Arch. dép. Sarthe cote 111 AC Le Mans 157/8.
32 P. Chaunu, La mort à Paris aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris, Fayard, 1978, p. 359.
33 Testament de Marguerite Bodreau du 15 août 1680. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 285.
34 Marie Bodreau est décédée un an après son père Charles et elle est ensevelie dans l’église d’Étival. Acte de sépulture du 1er octobre 1680. Registre paroissial d’Étival. Arch. dép. Sarthe cote 1 Mi 177 R 2.
35 Codicille du testament de Jacques Bodreau du 28 mai 1622. Arch. dép. Sarthe cote 111 AC Le Mans 157/8.
36 Testament de Julian Bourgault du 2 janvier 1683. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 288.
37 Codicille du testament de Jacques Bodreau du 28 mai 1622. Arch. dép. Sarthe cote 111 AC Le Mans 157/8.
38 Testament de Jacques Bodreau du 27 janvier 1622. Arch. dép. Sarthe cote 111 AC Le Mans 157/8.
39 Testament de Louise Bodreau du 20 novembre 1675. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 222.
40 Testament de Julian Bourgault du 2 janvier 1683. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 288.
41 Testament de me René Haireau du 25 novembre 1685. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 290.
42 P. Chaunu, La mort à Paris aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris, Fayard, 1978, p. 58.
43 Testament de Louise Bodreau du 20 novembre 1675. Arch. dép. Sarthe cote 6 F 4.
44 Nous n’avons pas ce testament.
45 Lors du partage des biens de sa sœur Marguerite, le 8 décembre 1683, une clause de l’acte notarial prévoit que « la pension duë a dlle Louise Bodreau » sera versée par celui auquel « échera Ribémont ». Arch. dép. Sarthe cote 108 J 167.
46 Acte de sépulture de Louise Bodreau. Registre paroissial de Saint-Nicolas. Arch. dép. Sarthe cote 1 Mi 465.
47 Le sieur des Abattans est le sieur Nicolas Marest, conseiller du roi et président au siège présidial en 1658.
48 A. Belin, « Les marbriers de Sablé », dans : Province du Maine, 1942, p. 22-26, 83-91, 139-146. Cette dalle de marbre noir peut provenir des carrières de Sablé où « il fut exploité dès les premières années du xviie siècle ».
49 Testament de Julien Bodreau, op. cit., p. 2.
50 H. Chardon, « Mémoires de Julien Bodreau », dans Annuaire de la Sarthe, 1904, Introduction p. 38.
51 Testament de Julien Bodreau, op. cit.
52 Testament de Marie Morice du 2 juillet 1684. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 289.
53 Acte du 24 mai 1679 du registre paroissial de Saint-Benoît coté 88-14-39.
54 M. Vovelle, Mourir autrefois, Attitudes collectives devant la mort aux xviie et xviiie siècles, Paris, Gallimard/Julliard, 1974, p. 23.
55 A. Furetière, op. cit., article « Aumosnière » : Furetière relie dévotion et charité en donnant cette phrase en guise d’explication : « cette femme est fort dévote qui donne souvent l’aumosne ».
56 La rue Dorée longe le mur sud de la ville et relie la Vieille Porte à la porte du Pont Perrin.
57 R. Taveneaux, Le catholicisme dans la France classique (1610-1715), Paris, SEDES, p. 215.
58 F. de SALES, Introduction à la vie dévote, Paris, Impr. royale, 1641, p. 143. Dans le chapitre XX de la seconde partie, François de Sales donne ce conseil : « Pour communier tous les jours, il faut [...] avoir surmonté la pluspart des mauvaises inclinations, et que ce soit par advis du père spirituel. »
59 Julien en 1662 au folio 221v et Charles en 1666 au folio 236v évoquent les cérémonies qui eurent lieu au Mans à l’occasion de la béatification puis de la canonisation de Saint-François de Sales.
60 En novembre 1684, lors de la vente des biens de la veuve de Charles, Marie Bodreau épouse de Mathieu Chesneau rachète pour 25 sols ce petit tableau qui était dans la maison de la rue Dorée.
61 R. Taveneaux, op. cit., p. 353. Dans un paragraphe intitulé « la mort ordonnée », René Taveneaux montre combien le chrétien est, tout au long de sa vie, préparé à l’idée de sa propre mort. Le spectacle des misères, l’avertissement divin personnel donné au travers des maladies font que « bien mourir est en effet essentiel pour le chrétien car il s’agit de l’étape décisive sur la voie du salut ».
62 f°96v°pour son père, f°113v°pour sa mère et f°168 pour son beau-père.
63 Cette nuance existe pendant la période classique du latin et pendant le Moyen-Âge où le pronom ille a une connotation positive élogieuse qui se perd peu à peu.
64 Souvenons-nous que sa sœur Gillette demeure à Souligné.
65 Le notaire Me Noël Rousseau rédigeait alors un « contrat de remboursement pour les chapelains de la confrayrye de l’Église du Mans ».
66 F. Dornic (dir.), Histoire du Mans et du pays manceau, Toulouse, Privat, 1975, p. 182.
67 Les archives consultées ne nous ont rien livré à ce sujet. Cf. Organisation judiciaire de la sénéchaussée et du présidial. Arch. dép. Sarthe cote 111 AC Le Mans 61 et 63. Et cote B 1283.
68 H. Chardon, op. cit., p. 34.
69 J. Delumeau, La peur en Occident (xive-xviiie siècles), Paris, Fayard, 1978, p. 153.
70 Délibérations capitulaires de Saint-Pierre-la-Cour (1659-1668). Arch. dép. Sarthe cote G 493.
71 Testament de Jacques Bodreau du 27 janvier 1622. Arch. dép. Sarthe cote 111 AC Le Mans 157/8.
72 L’acte de sépulture du 28 décembre du registre paroissial la nomme Marguerite. Registre paroissial de Saint-Benoît année 1662, cote 88-14-38 vol. 13 b.
73 Compte sommaire de la succession de Radegonde Morice. Acte de me Bertrand Jarry du 12 août 1672. Arch. dép. Sarthe cote 108 J 167.
74 L’acte de sépulture de Radegonde le précise : l’enterrement a lieu « es présences de Mes Charles Bodreau advocat beaufrère deladite Morice et de Michel Ducleray son cousin et executeur testamentaire » qui ont tous deux signé le registre. Registre paroissial de Saint-Benoît année 1671, cote 88-14-39 vol. 13 c.
75 Le texte de l’acte de baptême de Radegonde est rigoureusement le même que celui du folio de Charles. Registre paroissial de Saint-Benoît année 1621, cote 88-14-38 vol. 13 b.
76 Compte Marie Morice établi par me Pierre Gendrot le 3 mars 1681. Arch. dép. Sarthe cote 108 J 167.
77 Décédé à Paris, l’évêque est « inhumé en la cathedrale du Mans avec flambeaux, sans ceremonie ». Registre paroissial de Saint-Benoît année 1671, cote 88-14-39 vol. 13 c.
78 Décédé le 17 novembre 1637, Charles de Beaumanoir est enterré le 6 février 1638. Décédé le 30 avril 1648, Émeric Marc de La Ferté est enterré le 16 mai 1648.
79 Testament de Louise Bodreau du 20 novembre 1675. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 222.
80 Testament de Marguerite Bodreau du 15 août 1680. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 285.
81 Testament de Julian Bourgault du 2 janvier 1683. Arch. dép. Sarthe cote 4 E XXXVII 288.
82 A. Le Corvaisier De Courteilles, Histoire des evesques du Mans, Paris, Cramoisy, 1648, p. 883.
83 A. Le Corvaisier De Courteilles, Histoire des evesques du Mans, Paris, Cramoisy, 1648, p. 883.
84 A. Le Corvaisier, op. cit., p. 884.
85 F. Dornic, sous la direction de, Histoire du Mans et du pays manceau, Toulouse, Privat, 1975, p. 180.
86 F. Dornic, ibid., p. 180.
87 Guillaume Compain, qui « se noya et na este retreuve », est inscrit sur le registre des sépultures le 30 décembre 1641 et il bénéficie d’un second acte le 18 février 1642 car son « corps retrouve est ensepulture dans l’eglise ». Registre de Saint-Benoît coté 88-14-38 vol. 13 b.
88 Les registres paroissiaux de Saint-Jehan ne commençant qu’en 1606, nous n’avons pu retrouver les actes de sépultures.
89 Testament de Marie Tuaudet épouse de me Denis Fricquet. Arch. dép. Sarthe cote H 1 293.
90 A. Bouton, « Humilité chrétienne au xviie siècle », dans SASAS, Le Mans, Martin, 1964, p. 228-234.
91 Exceptée Louise Bodreau ensevelie selon sa volonté à Saint-Ouen.
92 Décès « de Renée Brebant veuve Pierre Broussin vivant droguiste de ceste ville pere et mere de François Broussin Me apotiquere mon voisin » [f°162 v°].
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