7. La réémergence des problèmes mémoriels : les controverses sur la date commémorative et sur la question des réparations
p. 175-202
Texte intégral
1Si l’adoption de la loi Taubira consacre assurément une victoire des entrepreneurs de mémoire soucieux de mettre un terme à la domination du régime mémoriel abolitionniste de l’esclavage, elle ne fait pas pour autant l’unanimité parmi tous les protagonistes engagés dans ce processus de reconnaissance. Trois objets principaux de dispute contribuent à rompre le consensus apparent qui régnait autour de son adoption. D’une part, surtout à partir de 2005 et de la mobilisation des historiens sur les lois mémorielles, la légitimité même d’une loi qualifiée désormais de mémorielle ne va plus de soi. D’autre part, surtout à partir de l’instauration du Comité pour la mémoire de l’esclavage, le champ de controverse porte sur le choix d’une journée commémorative. Enfin, surtout depuis que le Conseil représentatif des associations noires s’est saisi du débat, la dispute se cristallise sur la question des réparations.
Les mobilisations historiennes contre la loi Taubira
2Nous ne développerons pas outre mesure ce premier champ de controverses, l’ayant déjà traité en partie dans Gouverner les mémoires1. Nous nous contentons ici d’en restituer les enjeux principaux. La loi Taubira n’est qu’une pièce dans le cadre d’une dispute à caractère juridique, épistémologique et philosophique qui concerne plus généralement la légitimité des lois mémorielles2. Cette dispute mobilise plusieurs catégories d’acteurs : les historiens (du moins une partie de la communauté scientifique historienne) entre eux, les historiens avec les entrepreneurs de mémoire, l’ensemble de ces acteurs avec les acteurs politiques.
3On peut appeler entrepreneurs d’histoire les acteurs, historiens de métier, chercheurs et universitaires pour la plupart, qui défendent principalement la liberté de la recherche historique. Il s’agit de collectifs qui se constituent en groupes de pression pour infléchir l’orientation des politiques mémorielles dans le sens de l’autonomie de la recherche historique, les lois mémorielles, ou certaines d’entre elles, étant jugées liberticides. Les premières mobilisations datent de l’adoption de la loi Gayssot mais sont au départ le fait d’initiatives (notamment sous la forme de tribunes dans la presse écrite) d’historiens qui parlent en leur nom propre. L’adoption de la loi sur la reconnaissance du génocide arménien, l’affaire Lewis3, puis l’adoption de la loi Taubira suscitent de nouvelles réactions d’historiens mais qui s’expriment principalement à titre individuel. Deux événements d’importance incitent les historiens à se mobiliser collectivement : la promulgation de la loi du 23 février 2005 relative à la reconnaissance du rôle positif de la colonisation et l’affaire dite Pétré-Grenouilleau. Cette nouvelle judiciarisation des controverses historiennes au nom du devoir de mémoire met le feu aux poudres. Une première mobilisation collective date du 25 mars 2005 suite à une pétition publiée dans Le Monde intitulée « Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle ». Les auteurs demandent l’abrogation de la nouvelle loi. Une nouvelle étape est franchie le 13 décembre 2005 lorsque dix-neuf historiens de renom publient dans Libération une nouvelle pétition « Liberté pour l’histoire » et décident de se constituer en association. Une structure pérenne, sous la présidence initiale de R. Rémond (avant que P. Nora ne prenne les commandes de ce collectif), de défense de la liberté de la recherche et de l’enseignement de l’histoire est née. Mais les revendications portées par ce collectif vont beaucoup plus loin que la première pétition : il est demandé aux pouvoirs publics d’abroger l’ensemble des lois dites mémorielles (la loi Gayssot, la loi du 29 janvier 2001, la loi Taubira et la loi du 23 février 2005) qui sont autant de menaces selon eux pour l’autonomie de la recherche historique4.
4L’assimilation de toutes ces lois entre elles provoque une véritable division parmi la communauté des historiens. Au nom de la défense des mêmes principes, un collectif d’universitaires5 emmené par Gérard Noiriel refuse cet amalgame et se prononce uniquement pour l’abrogation de la loi du 23 février, estimant donc que les lois précédentes ne brident pas la liberté de l’historien. Les interventions publiques de ces entrepreneurs d’histoire se heurtent du même coup à celles d’entrepreneurs de mémoire soucieux de défendre les acquis des lois antérieures (notamment la loi Gayssot et la loi Taubira).
5Est-ce seulement au nom de principes épistémologiques (la séparation de l’histoire savante et de la mémoire partisane) et au nom de principes démocratiques (la défense de la liberté d’expression) que l’on peut analyser leurs mobilisations ? Autrement dit, n’y a-t-il pas des préférences mémorielles qui peuvent jouer à l’arrière-plan de leurs revendications officielles ? N’y a-t-il pas du côté du collectif « Liberté pour l’histoire », particulièrement chez P. Nora, une nostalgie du régime mémoriel républicain et, corrélativement, une méfiance à l’égard de lois mémorielles qui risquent de mettre à mal l’unité nationale et d’engendrer des « dérives communautaires6 » ? N’y a-t-il pas du côté du collectif CVUH, et singulièrement chez G. Noiriel, une préférence pour le régime victimo-mémoriel et anti-colonialiste (et donc une volonté de déconstruction du roman national républicain), une antipathie pour les lois mémorielles de « droite » et, réciproquement, une sympathie pour les lois mémorielles de « gauche7 » ?
6Si ces controverses existent toujours et structurent encore des divisions fortes parmi les historiens, elles ont connu cependant depuis 2009 un apaisement relatif suite à l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 20058 et la mise en place de « La mission d’information sur les questions mémorielles » (présidée par B. Accoyer, président de l’Assemblée nationale). C’est dans le contexte d’un accroissement des controverses mémorielles (loi du 23 février, affaire Lewis, affaire Petré-Grenouilleau9…), ferment de divisions nationales, dans le contexte de la mobilisation de nouveaux entrepreneurs de mémoire, de la mobilisation d’historiens attachés à la liberté de la recherche qu’il faut analyser la volonté du législateur de mettre en œuvre des commissions chargées de réfléchir sur le phénomène commémoratif et le sens des commémorations nationales, sur la pertinence des missions mémorielles dévolues aux acteurs publics, sur la répartition des compétences mémorielles entre les grands pouvoirs institutionnels, sur la justification des lois mémorielles. Sans pouvoir entrer ici dans le détail des analyses de ladite mission, des débats riches qui ont eu cours pendant presque une année et le rapport final10, retenons l’une des propositions centrales de la commission : ne pas revenir sur l’acquis des lois mémorielles déjà existantes pour ne pas réveiller une « guerre des mémoires » et froisser des communautés mémorielles et en même temps refuser l’adoption de nouvelles lois mémorielles, notamment en vue de préserver l’autonomie de la recherche historique. Si ces propositions ne peuvent satisfaire entièrement les acteurs en conflit (notamment ceux qui souhaitent l’abrogation de l’ensemble des lois mémorielles), les débats auxquels elles ont donné lieu ont permis d’exposer publiquement les arguments des uns et des autres dans le cadre d’une arène publique et ont contribué à établir un consensus, fût-il fragile et provisoire parmi les acteurs politiques (au moins jusqu’en décembre 2011 au moment où une partie de la majorité de l’UMP, avec l’aval de N. Sarkozy, décide d’adopter une nouvelle proposition de loi mémorielle réprimant les génocides. Cette proposition, qui charrie des divisions fortes à l’intérieur de la majorité, sera finalement censurée par le Conseil constitutionnel au nom de la liberté d’expression).
7Le consensus politique, fut-il initialement de façade, autour de la loi Taubira ne s’est pas seulement effrité au gré des controverses historiennes. L’adoption de la loi du 23 février 2005 sur la reconnaissance du rôle positif de la décolonisation, la percée d’une nouvelle génération (suites aux élections législatives de 2002) de députés UMP qui va se regrouper plus tard sous la bannière de « la droite populaire », l’arrivée au pouvoir de N. Sarkozy en 2007 qui a fait de la fin de la repentance et de la fierté nationale l’un de ses leitmotivs de compagne, la création d’un ministère de l’Identité nationale, le discours de Dakar dont nous reparlerons plus loin, autant de phénomènes, pour ne citer que ceux-là, qui contribuent à remettre en cause l’institutionnalisation des régimes victimo-mémoriels sous les mandatures précédentes et à restaurer le régime mémoriel d’unité nationale.
8Autant dire donc que la matrice de sens portée par la loi Taubira va de moins en moins de soi, et pas seulement pour des questions de liberté d’expression. Ce sont les députés à la pointe de la production de la loi du 23 février qui se feront le plus entendre, surtout sous la période sarkozyste, dans les arènes parlementaires et dans les espaces médiatiques, notamment les députés Lionnel Luca, Christian Kert, Christian Vanneste dont les prises de position sont relayées par des faiseurs d’opinion de droite comme Éric Zemmour. Christian Vanneste affirme par exemple dans une interview au Nouvel Observateur, le 3 mars 2011, que « [l] a loi Taubira est une honte pour notre pays, une honte pour la liberté d’expression dans notre pays. Il faut la supprimer tout de suite. C’est une loi antifrançaise11 ». Cette déclaration provoquera de vives réactions de la part à la fois d’associations anti-racistes comme le MRAP, d’institutions comme le CPMHE, et d’associations d’entrepreneurs de mémoire de l’esclavage (CM98, CRAN, Collectif.dom…). Toutefois, en dépit de la droitisation de la vie politique française sous l’ère sarkozyste, aucune initiative consistante et majoritaire n’a pour l’instant été menée en vue de supprimer ou d’amputer la loi Taubira. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012 est censée représenter en outre une protection d’une loi votée de surcroît par un gouvernement socialiste, a fortiori, avec la nomination de Christiane Taubira comme Garde des sceaux.
Les controverses sur l’adoption d’une date commémorative
9À la différence des controverses précédentes, la dispute sur le choix d’une date commémorant l’esclavage mobilise des acteurs profondément attachés aux acquis de la Loi Taubira, bien que certains souhaitent aller plus loin dans le processus de reconnaissance. Il s’agit donc de disputes qui traversent la configuration interne des entrepreneurs de mémoire de l’esclavage.
10Il revient au CM98 –dont certains membres fondateurs comme les époux Romana étaient pourtant initialement réticents à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité– de regretter par la suite toutes les amputations que la loi Taubira a subies au regard de la proposition initiale. Ce n’est pas au départ la question du choix de la date commémorative dont la loi du 10 mai 2001 avait fixé une procédure précise d’adoption (« En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large »), mais au moins trois dispositions qui font l’objet de critiques de la part du CM98. D’une part, l’article premier ne précise pas explicitement les responsables de la traite et de l’esclavage et le mot déportation qui figurait dans le texte initial a été supprimé du texte définitif. D’autre part, la mention des peuples (antillais, guyanais, réunionnais) victimes de ces crimes n’apparaît pas explicitement dans le texte de loi, de même que les demandes de réparations (qui figuraient dans la proposition initiale). Enfin, la négation de l’esclavage comme crime contre l’humanité, à la différence du négationnisme de la Shoah, ne peut faire l’objet de poursuites pénales. Le CM98 a d’ailleurs poursuivi en justice l’historien Max Gallo qui, lors d’un entretien le 4 décembre 2004 sur France 3, s’était demandé à propos de l’esclavage : « est-ce un crime contre l’humanité, peut-être, je ne sais pas ? » Défendant la mémoire des victimes de l’esclavage, « le CM98, en mars 2004, attaque Max Gallo pour négation de crime contre l’humanité devant le tribunal de Grande Instance (TGI). Le 5 juillet 2004, le TGI rejette la procédure intentée par le CM98 et le 13 novembre 2008, lors de la procédure en appel, il prononce la nullité de l’assignation. Les juges présentent l’argument suivant : « la loi TAUBIRA n’a pas créé d’incrimination spécifique destinée à protéger juridiquement une telle reconnaissance » [sic]12 ».
11L’un des objectifs du CM98 consiste donc à demander au législateur de reprendre la loi Taubira et de rétablir le texte initial de la proposition de loi. En d’autres termes, du point de vue du CM98, la loi Taubira ne s’apparente qu’à un régime victimo-mémoriel implicite. L’ambition de cette association consiste à expliciter cette implicite, c’est-à-dire à nommer clairement dans la loi la page historiquement honteuse de l’histoire nationale et les victimes à cause de la France.
12Le point majeur de discorde qui divise encore aujourd’hui les entrepreneurs de mémoire de l’esclavage concerne le choix de la date de commémoration et l’intitulé même de la journée de commémoration. Au vu des comptes rendus de séances parlementaires, relatifs à l’examen de la proposition de la loi Taubira, le Gouvernement témoignait initialement d’un fort attachement pour la date du 27 avril, symbole du régime mémoriel républicain de l’esclavage mais a préféré arrêter une date officielle ultérieurement après « consultation la plus large ». C’est que, parmi les parlementaires en séance, aucun consensus ne s’était dégagé autour d’une date. Trois dates principales, comme on l’a vu au chapitre précédent, circulaient à l’époque : le 16 pluviôse an II (en souvenir de la première abolition de février 1794), le 27 avril (en souvenir de la seconde abolition de 1848) et le 23 août (en souvenir de l’insurrection de Saint-Domingue et parce qu’elle a été retenue par l’UNESCO comme journée internationale de souvenir de l’esclavage et de la traite). Faute donc d’un consensus parlementaire, le Gouvernement a préféré déléguer une part substantielle des initiatives mémorielles et commémoratives à un comité spécifique : le Comité pour la mémoire de l’esclavage (présidé à l’époque par Maryse Condé), prévu par la loi du 10 mai 2001. Il revient en particulier à ce comité la mission de proposer au Gouvernement une date de journée commémorative qui fasse l’objet d’un large consensus parmi les entrepreneurs de mémoire issus du tissu associatif et des élus d’outre-mer et d’organiser des manifestations sur le territoire en conséquence.
13Le débat porte autant sur le choix d’une date commémorative que sur l’intitulé même de la journée commémorative. Dans la première partie du premier Rapport du CPME rédigé sous la présidence de Maryse Condé et remis le 12 avril 2005 au Premier ministre, il est indiqué que le fait de commémorer le seul acte symbolique de l’abolition, aussi fondateur soit-il, ne va plus de soi13. Le rapport de 2005 ne cesse d’opposer « les deux mémoires », en fait il faudrait dire « trois mémoires », celle de l’abolition, celle des luttes anti-esclavagistes, et celle de la souffrance des esclavages (et de la répercussion du système esclavagiste sur les descendants). Si le rapport ne cesse d’en appeler, en se référant fortement à la philosophie de Paul Ricœur, à la production d’un récit commun et d’une « mémoire partagée » qui permettraient de dépasser cet antagonisme, force est cependant de constater que l’argumentation de la première partie est largement dirigée contre la domination historique du régime mémoriel abolitionniste. Contre un régime mémoriel où la « République ne cesse de s’enorgueillir » de l’acte d’abolition au mépris de la longue histoire de la traite et de l’esclavage, le Rapport demande donc, non la suppression du roman national abolitionniste, mais un rééquilibrage au profit des autres grammaires mémorielles.
14C’est pour cette raison que la dénomination même de la journée commémorative proposée par le Comité pour la mémoire de l’esclavage est imprégnée de plusieurs grammaires mémorielles : on parle de « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition ». Cette journée fait désormais partie des plus hautes reconnaissances commémoratives, c’est-à-dire des 11 journées de commémoration nationale, à ceci près qu’elle n’est pas, dans la hiérarchie des distinctions symboliques, une journée chômée. Notons bien que cette proposition de journée commémorative ne vient pas se substituer mais bien compléter le dispositif commémoratif en vigueur depuis la loi et le décret de 1983 qui instituent une journée chômée dont la date est variable selon les départements et territoires d’Outre-mer. Il est donc prévu deux catégories de journées commémoratives, l’une nationale (mais concerne davantage implicitement la métropole) et non fériée, l’autre locale et fériée. S’il y a indéniablement un certain équilibrage entre les grammaires mémorielles dans la proposition d’intitulé par le CPME (proposition qui sera finalement retenue par le Gouvernement), au vu des motifs exposés dans le Rapport, cette journée en vient à relativiser de fait le régime mémoriel abolitionniste alors dominant. Le Rapport n’hésite pas d’ailleurs, peutêtre en raison stratégique du changement de majorité (le Rapport est remis à Jean-Pierre Raffarin nommé par Jacques Chirac), à écorner les commémorations officielles de 1998 sous le Gouvernement Jospin au motif justement qu’elles auraient fait la part trop belle à la célébration républicaine de l’abolition. Par une sorte de paradoxe idéologique sur lequel nous nous attarderons ultérieurement, il est demandé à un Gouvernement de droite d’avaliser une remise en cause du roman national républicain au profit de matrices de sens portées originairement par des mouvements et des partis ultra-marins de tendance nationaliste, communiste ou gauchisante.
15La relativisation du régime mémoriel abolitionniste dans l’intitulé de la journée commémorative est largement confirmée par le choix de la date proposée par le Comité : le 10 mai –date de l’adoption en dernière lecture de la loi Taubira– marque indéniablement un repli du régime mémoriel républicain puisque la date du 27 avril (second décret d’abolition de l’esclavage) n’a pas été finalement retenue. Au vu du Rapport transmis par le Comité pour la mémoire de l’esclavage en 2005, plusieurs alternatives ont été discutées au sein du Comité : outre le 27 avril, le 4 février (premier décret d’abolition de l’esclavage en 1794), le 23 août (jour du début de l’insurrection à Saint-Domingue et journée de commémoration internationale annuelle fixée par l’ONU et l’UNESCO) et le 23 mai (date de la « marche silencieuse » à Paris en 1998).
16Quatre critères ont été retenus par les membres du comité pour justifier le choix du 10 mai et écarter de fait les autres dates : une date qui ne soit liée à aucune région en particulier (sont visées notamment les dates adoptées par les DOM en 1983), une date qui serait trop associée à une communauté (antillaise, guyanaise…), une date qui permettrait de conjuguer la mémoire de l’esclavage et la mémoire de l’abolition, une date « ayant une portée nationale et citoyenne susceptible de revêtir une portée européenne et internationale14 ». En d’autres termes, l’universalisation de la date demeure le commun dénominateur à l’ensemble de ces critères. En conséquence, la date du 27 avril est jugée trop marquée par le régime mémoriel abolitionniste et par l’histoire métropolitaine et ne saurait faire consensus notamment dans les DOM. La date du 4 février, outre qu’elle souffre du défaut précédent, revêt une ambiguïté historique puisque l’esclavage fut rétabli par Napoléon en 1802. La date du 23 août aurait pu satisfaire l’ensemble des critères, mais, du fait du calendrier scolaire, elle aurait eu un faible impact sur la conscience nationale. Enfin, la date du 23 mai est jugée trop associée aux associations antillaises du fait de leur rôle au cours de la « marche silencieuse ».
17A contrario, la date du 10 mai répond selon le Rapport à l’ensemble de ces critères du fait « de la portée universelle » de la reconnaissance par la République de l’esclavage et la traite comme crime contre l’humanité. Ce choix offre plusieurs avantages selon le Rapport :
« la prise en compte de la globalité du fait esclavagiste ; c’est l’aboutissement d’un mouvement et d’une réflexion large et internationale sur les effets de la traite et de l’esclavage. Elle permet plusieurs entrées dans la mémoire de l’esclavage : par le présent des discriminations raciales, par le présent d’une réflexion sur l’Afrique, par le lien fait par les luttes des Africains-Américains, des Caribéens, des Brésiliens, des Africains pour une reconnaissance de cette première globalisation du monde opérée par la traite et l’esclavage15 ».
18Ce choix est tout à fait singulier : l’événement historique qu’il s’agit de célébrer ne porte pas sur un événement en lien avec l’histoire de l’esclavage ou de ses abolitions, mais sur l’impact supposé d’une politique mémorielle qui vaut comme événement historique (la France étant le premier État à reconnaître la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité). Ce choix est tout à fait inédit dans le paysage des politiques mémorielles ; c’est en quelque sorte une politique mémorielle qui commémore une politique mémorielle antérieure. C’est aussi pour cette raison –parce qu’elle ne fait pas référence à un événement historique de l’histoire de l’esclavage– que cette date a suscité de fortes dissensions au sein du comité, parmi les associations et les élus des DOM. On peut douter par ailleurs de l’universalisation et de l’internationalisation d’une date qui renvoie initialement à un débat franco-français ; on peut douter ainsi qu’elle soit un jour adoptée par d’autres États (d’autant plus que l’UNESCO avait déjà choisi une autre date).
19Le choix de la date du 10 mai, qui a provoqué des divisions très fortes au sein même du CPME16 et entre cette institution et une volonté des militants associatifs notamment d’origine antillaise, cristallise pour longtemps une véritable ligne de division entre les entrepreneurs de mémoire de l’esclavage. Le fait que le Gouvernement ait finalement suivi les recommandations du CPME à la fois dans l’intitulé de la journée et dans le choix de la date n’a point apaisé les tensions. Elles sont devenues d’autant plus vives que de nouveaux acteurs –notamment le Collectif.dom et le CRAN– à partir des années 2000 se sont emparés du débat. Sans être, à la différence du CM98, centrés sur les seules questions mémorielles et identitaires, ces nouveaux acteurs ont fait également de la mémoire de l’esclavage l’une de leur marque de fabrique.
20D’un côté, le CM98 et le Collectif.dom17, qui ont notamment la particularité commune de comporter parmi leurs membres une part dominante de métropolitains d’origine antillaise, font front commun contre le choix du 10 mai et militent pour le 23 mai. Pour deux raisons symboliques essentielles à leurs yeux. D’une part, en souvenir de la « marche silencieuse » du 23 mai 1998 qui marque un tournant dans les mobilisations collectives en faveur de la mémoire de l’esclavage. D’autre part, parce que c’est le 23 mai 2001 que la loi Taubira a été publiée au Journal Officiel.
21D’un autre côté, Christiane Taubira, Maryse Condé (à l’époque présidente du CPMHE) et le CRAN18 portent leur choix sur la date du 10 mai qui rappelle l’adoption définitive par l’Assemblée nationale de la loi sur la reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crimes contre l’humanité. Le choix du 23 mai reviendrait pour ses détracteurs à faire la part trop belle à une mémoire franco-antillaise de l’esclavage ; le 10 mai marquerait au contraire un choix qui impliquerait tous les Français autour d’une mémoire réconciliée :
« Pour la première fois dans ce pays, on est sur la voie de la mémoire-réconciliation. Moi je ne suis pas de ceux qui veulent une mémoire-combat, une mémoire des uns contre les autres en voulant des avantages, moi je ne veux aucun avantage pour la population noire. Le 10 mai doit être un jour extraordinaire pour arriver à faire que tous nos concitoyens, que 61 millions d’habitants, parlent de cette histoire, parlent de leur histoire sans honte, sans culpabilité19. »
22Les militants pro-23 mai poursuivent depuis 2005 leur lobbying mémoriel, notamment les membres du CM98 qui organisent, depuis plus de 10 ans, chaque année du 8 au 23 mai « le temps de Lanmékanfènèg » qui charrie toute une série d’initiatives (journées d’études, expositions…) dédiée à la mémoire des victimes de l’esclavage et à une meilleure connaissance de leurs descendants. Le temps fort est l’organisation d’une journée alternative de commémoration des victimes de l’esclavage chaque 23 mai en s’appuyant sur les réseaux associatifs des ultra-marins à Paris, et notamment des réseaux antillais. L’objectif est notamment de montrer au public et aux pouvoirs publics que la journée commémorative la plus populaire auprès des ultra-marins installés en Métropole n’est pas la journée du 10 mai mais celle du 23 mai. Les organisateurs se targuent de rassembler chaque année environ 10 000 personnes et plus d’une centaine d’associations. Selon Viviane Romana, des mères et leurs enfants d’origine ultra-marine sont invités en outre à solliciter leurs élus locaux pour une reconnaissance officielle du 23 mai. Des micro-réseaux de lobbying mémoriel se tissent surtout à Paris et en Seine-Saint-Denis. Des élus sont invités à participer aux commémorations du 23 mai comme Didier Paillard (maire de Saint-Denis), Claude Bartolone (président du conseil général de Seine-Saint-Denis) ou encore Jean-Paul Huchon (président du conseil régional Île de France). Il s’agit pour ces entrepreneurs de mémoire d’entériner une situation de fait pour mieux faire reconnaître un principe de droit.
23Cette séquence des mobilisations orchestrées par le CM98 correspond à la 4e phase du modèle d’histoire naturelle des problèmes sociaux, phase dite d’invention de solutions alternatives : « Un groupe (ou plusieurs) de plaignants rejette(nt) la réponse ou l’absence de réponse de l’agence en charge aux dénonciations et aux revendications et développe(nt) de nouvelles activités pour fonder, en réaction aux procédures établies, des institutions alternatives ou parallèles20. » Du fait de l’insatisfaction de ces mouvements sociaux (suite au choix gouvernemental de la commémoration du 10 mai), le CM98 organise chaque année un rituel commémoratif alternatif. Dans ce cas, ce sont les acteurs sociaux eux-mêmes qui s’auto-organisent pour répondre à leur « trouble » (la reconnaissance des souffrances de l’esclavage et la reconnaissance de l’événement fondateur de la marche du 23 mai 1998) en court-circuitant les commémorations officielles dans lesquelles ils ne reconnaissent pas ou pas entièrement.
24À la différence du modèle de Spector et Kitsuse qui fait de la quatrième phase une phase de « rejet pur et simple » des institutions officielles qui peut se traduire parfois en révolte, nécessairement en ressentiment lorsque les acteurs sociaux ont l’impression que leur demande n’a pas été prise en compte, l’analyse des modes de problématisation et des modes d’action du CM98 nous conduit à un constat plus nuancé. Il nous semble en effet qu’il demeure une tension structurante qui parcourt ce mouvement social entre la tentation de cultiver une mémoire publique de l’esclavage proprement particulariste (destinée aux « descendants d’esclavages ») contre les institutions officielles et la tentation d’obtenir une reconnaissance officielle des pouvoirs publics de leur engagement mémoriel. C’est toute l’équivoque notamment du rapport des membres fondateurs, dont beaucoup viennent au départ des mouvements nationalistes antillais, à l’égard de la France et de la République.
25C’est ce qui ressort très clairement de la « carrière » du rituel commémoratif du 23 mai : rester une commémoration particulariste célébrée par les Antillais métropolitains ou l’officialiser par les pouvoirs publics comme nouvelle journée de commémoration. Les élections présidentielles de 2007 créent une opportunité pour les membres fondateurs du CM98 et du Collectif.dom en publicisant leurs revendications auprès des deux principaux candidats. Au cours de la campagne de 2007, à la fois Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal s’engagent non pas à supprimer la date du 10 mai mais à créer une autre journée commémorative en souvenir des victimes de l’esclavage. À l’occasion du meeting organisé le samedi 14 avril 2007 à Paris « avec les originaires de tous les outre-mers qui lui apportent leur soutien », S. Royal, tout en affirmant son attachement à la date du 10 mai, indique qu’elle demandera au Comité pour la mémoire de l’esclavage d’examiner, en concertation avec les associations, les modalités d’organisation d’une « journée du souvenir » le 23 mai, initiative complémentaire des célébrations du 10 mai :
« J’en profite, déclare-t-elle, pour répondre clairement à la question du Comité Marche du 23 mai 1998, que m’a posée Serge Romana. Le Comité Marche du 23 mai ne demande pas qu’on revienne sur cette décision et cela est sage. Il souhaite en revanche qu’un jour soit plus spécifiquement consacré à la “mémoire des victimes” et que cette journée du souvenir soit, elle aussi, inscrite au calendrier de la République. J’en prends ici l’engagement : le 23 mai sera également inscrit au calendrier de la République. Je demanderai au Comité pour la mémoire de l’esclavage de piloter une consultation des associations –c’est aussi cela la démocratie participative– afin de préciser la meilleure manière d’organiser, avec celles et ceux qui en ont porté le projet, cette journée du souvenir21. »
26De son côté, Nicolas Sarkozy précise notamment ses intentions au cours du discours de campagne du 31 mars 2007 à Paris à l’occasion « d’une Rencontre avec les Ultramarins de métropole ». C’est aussi au cours de cette rencontre que le candidat annonce la création d’une « Délégation interministérielle pour la cohésion sociale et l’égalité des chances des Français d’Outre-mer et d’origine ultra-marine » qui sera confiée à P. Karam :
« Le président de la République a fixé au 10 mai la journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage. La nation, dans son ensemble, peut désormais prendre conscience de ce qu’a été l’esclavage et de l’importance de lutter contre toutes les formes modernes de cette infamie. Mais je sais qu’il y a d’autres dates importantes pour les domiens de métropole concernant la mémoire de l’esclavage, comme par exemple celle du 23 mai. Je saurai, le moment venu, faire inscrire dans l’Histoire ces dates importantes22. »
27La logique électoraliste et clientéliste joue très clairement dans cette « offre » mémorielle : la promesse de l’inscription du 23 mai au titre des commémorations de la mémoire de l’esclavage en échange d’un soutien électoral d’une partie des populations ultra-marines par l’intermédiaire de l’influence du Collectif-dom et du CM98 sur les réseaux associatifs antillais. Rien sociologiquement ne permet d’attester le lien éventuel de correspondance dans ce jeu de l’offre et de la demande, l’essentiel étant les effets de croyance qu’il génère sur les acteurs : croyance que la promesse du candidat sera tenue ; croyance que les responsables associatifs ont suffisamment d’influence sur les ultra-marins notamment de métropole ; croyance que la promesse de la reconnaissance effective du 23 mai se traduira par un vote favorable pour l’un des candidats.
28P. Karam explique, au cours de notre entretien, les raisons qui l’ont poussé à plaider en faveur du 23 mai auprès du candidat Sarkozy :
« La date du 10 mai ne faisait pas l’unanimité. Il était quand même incroyable que le CPME n’ait même pas pris soin de consulter le Collectif.dom au moment où le Comité était censé prendre l’avis des associations. De fait, les associations ont été peu consultées. Et la proposition du Comité a été prise contre une partie de la volonté populaire des ultra-marins. Ce fut un déni de démocratie. Le 10 mai faisait d’autant moins l’unanimité qu’au cours des commémorations de chaque année il y avait des protestations publiques. Le 10 mai tendait en outre à occulter ce qui s’était passé avant l’adoption de la loi Taubira, notamment la marche du 23 mai 98. La loi Taubira est la conséquence des mobilisations de 1998. Il était important que l’on crée une date pour les descendants d’esclaves et en souvenir des ancêtres esclaves. J’ai convaincu Sarkozy que la date du 10 mai n’apaisait pas, ne faisait pas l’unanimité et qu’il fallait créer une nouvelle date commémorative. Il ne s’agissait pas en même temps de supprimer le 10 mai, mais d’en faire une commémoration nationale qui célèbre les abolitions, alors que le 23 mai aurait été une date hexagonale en souvenir des souffrances de l’esclavage qui coexisterait avec les dates spécifiques de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion. Or le décret qui a institué le 10 mai en avait fait une simple date hexagonale en oubliant les départements d’outre-mer qui étaient les terres d’esclavage. Il fallait une date qui rassemble tous les Français autour des abolitions de l’esclavage et pas seulement ceux de l’hexagone. Je savais que Sarkozy, une fois convaincu, irait jusqu’au bout dans le cas de son élection, parce que son souhait était d’apaiser les mémoires. Ce qui n’était pas le cas de Ségolène Royal qui, en dépit de sa promesse, aurait dû faire face à l’opposition de Taubira. » (Entretien avec P. Karam le 2 avril 2013)
29La nomination en juillet 2007 de Patrick Karam comme « Délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’Outre-mer » par le président de la République ouvre une opportunité pour traduire effectivement cette revendication mémorielle en nouvelle politique publique de la mémoire qui prendra la forme d’une circulaire – la circulaire dite Fillon : « La date du 23 mai sera, pour les associations regroupant les Français d’outre-mer de l’Hexagone, celle de la commémoration du passé douloureux de leurs aïeux qui ne doit pas être oublié » (JORF no 0103, 2008, p. 7323). Les questions mémorielles, confiées au CPME, n’entraient pas en principe dans les attributions du délégué interministériel23, mais son nouveau titulaire s’est investi sur ce terrain pour obtenir satisfaction sur le 23 mai sans passer par les procédures prévues. Ces procédures supposent en effet que le Comité pour la mémoire de l’esclavage procède à une large consultation des associations. L’enjeu pour P. Karam et S. Romana, dans la mesure où ils mettaient directement en cause la légitimité du CPME, consistait alors à court-circuiter cette institution et les procédures habituelles pour obtenir gain de cause. L’adoption de la circulaire, malgré la promesse de campagne de N. Sarkozy, a donc nécessité la levée d’une série d’obstacles, si l’on se fie au témoignage de P. Karam lui-même :
« Cela a été très compliqué. Il fallait d’abord convaincre que cette circulaire ne devait pas alimenter des revendications réparatrices. Il fallait rassurer sur ce point que cette date est une journée où les descendants célèbrent leurs aïeux. Il y avait des oppositions au cabinet du Premier ministre, au sein du ministère de l’Outre-mer, parmi les parlementaires, au sein du CPME, notamment avec F. Vergès. C’est l’Élysée qui m’a directement soutenu dans cette initiative. Sans le soutien de Sarkozy, elle n’aura pu voir le jour ; il y avait donc des allers-retours entre moi et l’Élysée. En même temps, j’ai travaillé en étroite collaboration avec Serge Romana qui travaillait dans l’ombre et avec le Collectifdom. On me demandait de ne pas consulter les associations. Mais moi j’ai voulu le faire. C’était la moindre des choses. J’ai donc travaillé en étroite collaboration avec Romana et Dalin et en relation directe avec l’Élysée. En principe, le délégué interministériel ne va pas directement au président et une réunion interministérielle est arbitrée par le Premier ministre d’autant que c’est lui qui signe formellement la circulaire. Mais comme cela pouvait bloquer du côté du Premier ministre, il a fallu s’adresser directement à l’Élysée. » (Entretien avec P. Karam le 2 avril 2013)
30Sans que nous ayons la possibilité de vérifier la véracité de ce récit, il est intéressant en revanche de le confronter avec le point de vue de Marie-Hélène Dumeste24 qui montre l’usage « routinisé » qui était fait de ces circulaires avant l’adoption de celle de 2008 :
« Chaque année, depuis 2006, une circulaire rédigée par les services du ministre chargé de l’Outre-mer, destinée aux préfets, et donc à l’ensemble des services déconcentrés de l’État, en particulier ceux de la métropole, attirait leur attention sur les manifestations relatives à la mémoire de l’esclavage, organisées par les pouvoirs publics (mairies…) ou les associations, qui se déroulaient le 10 mai sur l’ensemble du territoire. Il était en outre demandé aux préfets de prévoir une cérémonie officielle à leur initiative le 10 mai. Elle pouvait être signée par le Premier ministre, ou le ministre de l’intérieur, voire le ministre ou secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer, selon le choix effectué par les cabinets. De même, l’Education nationale diffusait chaque année (et le fait toujours) une circulaire sur la question de l’enseignement de l’esclavage. » (Entretien avec Marie-Hélène Dumeste, le 22 mars 2013)
31Il reste à expliquer cependant comment une circulaire émanant au départ du cabinet ministériel de l’Outre-mer devient une circulaire interministérielle (parce que justement la question de l’esclavage ne concerne pas seulement les DOM) signé du Premier ministre (F. Fillon). En 2008, la signature in fine par la main du Chef de Gouvernement de la circulaire est rendue d’autant plus nécessaire que la mémoire de l’esclavage est estimée une question sensible. Marie-Hélène Dumeste, qui a été au cœur de la production des politiques publiques mémorielles de l’esclavage, surtout de 2005 à 2009, explique clairement ce processus, au cours de notre entretien et des nombreux échanges que nous avons eus avec elle :
« Décrets, circulaires relevant d’un niveau interministériel… relèvent du Premier ministre, qui signe, même si le texte est préparé dans les services d’un ministère “pilote”, et que d’autres ministres sont concernés […]. Le choix d’une signature au plus haut niveau, outre la transversalité du sujet, marque l’importance politique qui lui est accordée. S’agissant de l’esclavage, rappelons que le comité pour la mémoire de l’esclavage est créé par un décret en conseil d’État signé par le premier ministre, nommé par le Premier ministre, et que c’est au Premier ministre que le comité devait proposer la date de commémoration et un rapport annuel sur les actions entreprises. Ce positionnement a toujours été respecté et même voulu par les ministres de l’Outre-mer, dans la fidélité à la loi Taubira qui fait de ce crime un devoir de mémoire nationale partagée, au-delà de la partie de l’Outre-mer français actuel plus particulièrement concernée. En 2008, la volonté politique d’appeler l’attention sur les différentes dates, dont une nouvelle, le 23 mai, par un texte marquant a donc rencontré cet usage de la circulaire interministérielle, qui était l’occasion d’un bon relais au bon niveau pour faire œuvre d’information et de pédagogie. L’Éducation nationale désormais la reprend d’ailleurs comme référence. Bien sûr, comme pour toute circulaire, a fortiori du Premier ministre, ce fut un travail collectif, chacun dans la chaîne, fort longue et diversifiée, y compris le délégué interministériel pour l’égalité des chances. » (Entretien avec Marie-Hélène Dumeste, le 22 mars 2013)
32Il est essentiel de noter que ce qui était pensé par l’administration comme une simple circulaire interministérielle parmi d’autres ait produit des effets qui n’étaient pas prévus initialement. Le CM98 et le Collectif.dom se sont emparés d’une simple circulaire interministérielle pour en faire une véritable politique de reconnaissance officielle : la pratique non officielle du 23 mai qui existait avant la circulaire reçoit désormais l’onction de l’État. La victoire du tandem Karam-Romana tient dans la reconnaissance officielle pour la première fois par la République de la date du 23 mai, même si chacun sait qu’une circulaire n’a pas le même poids juridique (et symbolique) qu’un décret, et a fortiori, qu’une loi dans la hiérarchie des normes (c’est la raison pour laquelle S. Romana milite toujours pour transformer la circulaire en décret). Mais la réappropriation par le CM98 vaut la peine d’être remarquée : là où la circulaire parle de journée « des associations regroupant les Français d’outre-mer de l’Hexagone » en hommage « au passé douloureux de leurs aïeux », les affiches du CM98, chaque 23 mai, arborent en gros caractères « journée nationale de commémoration des victimes de l’esclavage ». L’objectif des militants est donc de faire comme si la journée du 23 mai avait été hissée au rang symbolique des 11 journées de commémorations nationales (au même titre par exemple que la journée du 10 mai ou que la fête nationale du 14 juillet).
33Si le 10 mai demeure toujours la journée de commémoration officielle, la reconnaissance par la République de la journée du 23 mai contribue à institutionnaliser ce qui s’est présenté initialement comme une contre-grammaire officielle, une « institution alternative » au sens de Spector et Kitzsuse. Les pouvoirs publics intercèdent directement en faveur des revendications du CM98 et du Collectif.dom : « Cette date rappelle, d’une part, celle de l’abolition de l’esclavage en 1848 et, d’autre part, celle de la marche silencieuse du 23 mai 1998 qui a contribué au débat national aboutissant au vote de la loi reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité » (JORF no 0103, 2008, p. 7323).
34Cette victoire ne signifie pas la fin des actions menées par ces entrepreneurs de mémoire pour une plus grande institutionnalisation du régime victimo-mémoriel de l’esclavage25, notamment parce que l’objectif de modifier le texte de la loi Taubira demeure. La reconnaissance officielle du 23 mai, qui renforce la labellisation juridique de la victimité des esclaves et des descendants d’esclavages, conforte les membres du CM98 ou du Collectif.dom dans leur volonté d’intensifier les manifestations commémoratives à cette date plutôt que le 10 mai. L’invitation d’élus locaux ou nationaux est chaque fois un enjeu de démonstration et de certification de la reconnaissance de la victimité de l’esclavage le 23 mai de chaque année. Les enjeux de la reconnaissance se posent ici aussi bien dans les textes de lois, par la présence d’autorités officielles que dans la popularité et la ferveur des cérémonies commémoratives auprès des « descendants d’esclaves26 ». Le 23 mai de chaque année la victimité inhérente à l’esclavage se construit à travers l’interconnaissance de celles et ceux qui se revendiquent comme descendants d’esclaves et à travers la reconnaissance publique, politique et juridique de non-descendants d’esclavages qui rendent hommage à la tragédie de l’esclavage. Le régime victimo-mémoriel de l’esclavage comme « institution du sens », plus encore que lors du 10 mai de chaque année plus volontiers associé à une « commémoration nationale », se rejoue rituellement le 23 mai de chaque année dans les interactions commémoratives.
35On peut affirmer cependant qu’un processus partiel d’apaisement a commencé à se mettre en place en 2011, dans le contexte particulier de l’anniversaire des 10 ans de la loi Taubira et de la cérémonie du 10 mai au Jardin du Luxembourg en présence de N. Sarkozy. À notre étonnement, comme on l’a vu, Serge Romana, pourtant l’un des pourfendeurs de la date du 10 mai, était présent parmi les personnalités invitées. S. Romana, avec qui nous avons eu l’occasion de discuter juste après la cérémonie, justifie sa présence à cette cérémonie en raison des 10 ans de la Loi Taubira et des mises en cause récentes dont elle fait l’objet, notamment par L. Luca. En guise de reconnaissance réciproque, le CPME, au moins à travers la représentation de sa présidente F. Vergès, s’engage à venir assister aux cérémonies du 23 mai à Saint Denis. À l’approche des cérémonies du 10 mai 2011, F. Vergès contacte l’ensemble des associations engagées sur les questions mémorielles er renoue le contact avec les Romana. Au cours de la campagne électorale de 2012, elle écrit une lettre de soutien officiel pour transformer la circulaire de 2008 en décret.
36Si ce processus d’apaisement semble se confirmer depuis lors, l’intensité conflictuelle s’est désormais déplacée sur la question des réparations qui fait intervenir de nouveaux protagonistes sur cette scène mémorielle.
La résurgence des controverses autour de la question des réparations
37Outre le choix de la date commémorative, la question des réparations n’a jamais été entièrement réglée depuis le vote de la loi Taubira. On se souvient que la proposition initiale de la loi prévoyait un volet des réparations, sans qu’il prenne d’ailleurs nécessairement une forme matérielle. Du fait de l’équivoque de la notion de réparations, le Premier ministre et le Gouvernement d’alors avaient marqué clairement leur opposition à cette disposition, ne souhaitant aucunement ouvrir la boîte de pandore aux indemnisations individuelles. C’est pourquoi, dès le travail en Commission des lois, Christiane Taubira avait en quelque sorte auto-censuré sa disposition initiale. Malgré cette auto-censure et l’opposition du Gouvernement, des élus communistes et ultra-marins avaient déposé une série d’amendements en vue du rétablissement de la disposition litigieuse. En vain.
38Des entrepreneurs de mémoire n’ont cessé depuis lors à la fois de réfléchir et de militer pour que les Gouvernements successifs réexaminent cette question. Mais la cartographie des entrepreneurs de mémoire de l’esclavage atteste de profondes divisions entre eux, voire alimentent récemment des lignes de fractures radicales. C’est le Comité Devoir de Mémoire qui a joué en France, avant même le dépôt de la proposition de loi Taubira, un des rôles moteurs (avec le COFFAD) dans cette réflexion. Bien qu’invitant à leurs colloques des acteurs associatifs ou politiques favorables à des formes d’indemnisations financières et individuelles, le CDM se prononce essentiellement en faveur de réparations morales et culturelles (enseignement de l’histoire de l’esclavage, réseaux de recherche, ouverture d’archives, érection de lieux de mémoire…). Si la question des réparations matérielles est envisagée, elle l’est davantage sous la forme de politiques publiques de développement, de luttes contre les inégalités et non sous la forme d’indemnisations individuelles. À quelques nuances près, c’est aussi la position du CM98 et du Collectif. DOM. L’ADEN (Associations des descendants d’esclaves noirs et leurs amis), bien qu’opposé au CM98 et au Collectif.dom sur la question de la date commémorative (l’ADEN reste très attaché à la date du 10 mai), refuse toute forme d’indemnisation financière individuelle jugée impossible à mettre en œuvre matériellement selon la présidente Marie Astegiani27. Les modalités de réparations envisagées par l’ADEN sont à la fois d’ordre moral (la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, la désignation des responsables de la traite et de l’esclavage (ce que ne fait pas explicitement, comme on l’a vu, la loi Taubira), les progrès de l’enseignement et de la recherche sur ces questions) et d’ordre matériel à destination essentiellement des pays africains pour le préjudice subi : « nous sommes favorables à l’annulation complète de la dette des pays victimes de la traite28 ».
39À l’opposé, nous avons des entrepreneurs de mémoire qui souhaitent aller plus loin dans le processus de réparations matérielles, par exemple sous la forme d’indemnisation financière (en s’inspirant notamment de l’expérience menée par certains États des USA ou par des entreprises comme la banque JP-Morgan Chase contrainte en 2005 par la justice de distribuer des bourses d’études aux jeunes des ghettos noirs de Chicago) ou sous la forme de redistributions des terres dans les DOM. Au titre de ces entrepreneurs, qui agissent souvent en réseaux les uns avec les autres, signalons l’un des plus actifs : le MIR (Mouvement International pour les Réparations) : le MIR a été crée en 2004 d’abord en Martinique sous l’impulsion du maire de la commune de Saint-Anne (élu en 1988) et conseiller général (élu en 1989) : Garcin Malsa. Le MIR s’est singularisé le 23 mai 2005 en portant plainte contre l’État français au tribunal de Fort-de-France et en déclarant l’État français « responsable du préjudice matériel et immatériel que subit actuellement le peuple martiniquais descendant d’Africains déportés et mis en esclavage sur le sol martiniquais ». Dans cette assignation, le MIR indique que « l’État français devra réparer intégralement le préjudice subi par le peuple martiniquais ». Dans la même logique, le MIR et le CRAN ont soutenu une initiative inédite dont ils espèrent qu’elle se renouvellera pour continuer à faire pression sur l’État français : sur la base de recherches généalogiques (la plaignante prétend avoir retrouvé l’acte d’affranchissement de son aïeul, Lucien Thelismard, émancipé en 1834, à Petit Canal, en Guadeloupe), Rosita Destival, une Française originaire de Guadeloupe, entend assigner l’État français pour crime contre l’humanité et demande réparation auprès du tribunal de grande instance de Paris29.
Né en 1942 à Saint-Anne en Martinique, Garsin Malsa, dont on a déjà rencontré le nom à plusieurs reprises, notamment à l’occasion du colloque sur les réparations organisé par le CDM, est une des figures importantes du nationalisme martiniquais. Professeur de biologie dans le secondaire (aujourd’hui à la retraite), G. Malsa est l’un des fondateurs avec A. Marie Jeanne de la « Parole du peuple » qui donnera naissance à la fin des années 1970 au Mouvement Indépendantiste Martiniquais. Il est également l’un des instigateurs du Mouvement d’Occupation des Terres au début des années 1980. Engagé en même temps sur des questions écologiques, il fonde en 1992 un nouveau parti indépendantiste le MODEMAS (Mouvement des démocrates et écologistes pour une Martinique souveraine). G. Malsa est connu en Martinique pour certains de ses coups d’éclats : le 17 octobre 1995, il prend l’initiative avec son conseil municipal de Sainte-Anne de hisser le drapeau nationaliste rouge, vert et noir au fronton de la mairie (en souvenir notamment de l’insurrection de 1870) ; le 19 décembre 2010, Garcin Malsa, avec d’autres militants nationalistes, présente une nouvelle carte nationale d’identité martiniquaise30.
40Si le MIR est engagé sur d’autres actions « comme la lutte contre toutes les discriminations via l’amélioration de l’organisation des personnes victimes de racisme et de discrimination », ses initiatives principales portent sur la « mise en œuvre d’un processus de réparation des dégâts résultant des invasions coloniales : Réparation d’ordre politique, économique, financier, moral, social, culturel et spirituel ». On se souvient que lors du colloque de 1999 organisé par le Comité Devoir de Mémoire et consacré à la question des réparations, Garcin Malsa se prononçait en faveur d’une redistribution des terres. Chaque année, au mois de mai, le MIR organise le Konvoi pou la Réparasyon (« convoi pour la réparation » en créole), pour réclamer la réparation des crimes commis pendant la période de l’esclavage. Cette marche aux flambeaux qui dure plusieurs jours se termine le 22 mai (date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique31).
41Inscrit dans le même réseau d’acteurs, le Comité d’Organisation du 10 mai a été fondé en 2005 par l’antillais Théo Lubin (entrepreneur « quadra » qui travaille en Île de France dans le secteur du service aux entreprises), membre également du MIR. Ce collectif mémoriel poursuit sensiblement les mêmes objectifs (lutter contre les discriminations raciales, contre les héritages du colonialisme, débaptiser toutes les rues portant le nom de négriers…) que le MIR, à ceci près qu’il est davantage engagé en Métropole. Association loi 1901, le C-O10MAI se présente officiellement comme « une structure d’organisation événementielle qui a pour objectif de générer un groupe de pression « LOBBY » autour de l’entière application de la loi 2001-434 dite Taubira32 ». Comme le MIR, le C-O10MAI –qui organise le 10 mai de chaque année avec d’autres associations (dont le MIR et le COFFAD) une marche à Paris réunissant seulement quelques centaines de personnes–, se prononce en faveur de réparations matérielles qui peuvent passer par des indemnisations financières. À la différence des membres du CM98, les militants du C-010Mai restent très attachés au 10 mai qu’ils souhaitent transformer en jour férié et obtenir la reconnaissance par le Conseil de l’Europe de la traite et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité.
42Le collectif mémoriel, sans doute le plus ancien et le plus radical dans ses revendications, est le COFFAD sur lequel on s’est attardé dans le chapitre consacré à la labellisation de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Prenant clairement pour modèle les modes de problématisation et les modes de mobilisation des entrepreneurs de mémoire de la Shoah, les membres du COFFAD, majoritairement Africains (à la différence des collectifs précédents composés majoritairement d’Antillais33), proposent de chiffrer précisément la somme que les institutions financières, commerciales et étatiques doivent aux « peuples africains » pour le préjudice subi du XVe au XIXe siècle. Remarquons que les populations guyanaises, réunionnaises et antillaises ne sont pas mentionnées dans l’exigence de réparations :
« Sur des bases de données fiables, le COFFAD a estimé à plus de 960 TRILLIONS DE DOLLARDS US actuels (soit, 1000 Trillions d’EUROS environ) la somme que les pays occidentaux doivent payer aux Peuples Noirs pour avoir réduit des Africaines et des Africains en esclavage, en travailleurs forcés et pour s’être emparé (par la violence) de l’Afrique et de ses richesses depuis le XVe siècle. Outre ces réparations, le COFFAD exhorte les États africains à dénoncer unilatéralement toutes les prétendues dettes de l’Afrique envers l’Occident34. »
43Si ces collectifs mémoriels favorables aux indemnisations financières ont trouvé dans le 10 mai de chaque année depuis 2006 une manière de publiciser leurs revendications, notamment à l’occasion de la marche qu’ils organisent à Paris, force est de constater qu’ils ont récolté jusqu’alors un faible écho médiatique et politique. La question des réparations financières divisant profondément les associations et les partis politiques ultra-marins, il n’y a pas de relais et de front commun parmi les élus des DOM pour défendre une telle cause.
44Ces divisions sont devenues de plus en en plus vives depuis que le CRAN s’est lui aussi saisi du problème, du fait de l’ampleur de sa base militante, de ses relais politiques et médiatiques. Le CRAN relance en 2012 le débat sur la question des réparations, enterré selon Louis-Georges Tin (le nouveau président de l’association depuis 2011) depuis que la disposition initiale de la proposition de loi Taubira a été censurée en Commission des lois. L’année 2012 n’est pas choisie par hasard : les élections, et donc la perspective d’un changement de majorité, apparaissent comme une occasion pour reproblématiser cette revendication et mener un intense lobbying mémoriel.
Né en 1974 en Martinique d’un couple d’enseignants, agrégé et docteur en lettres, Louis-Georges Tin est Maître de conférences à l’université d’Orléans. Il est engagé sur plusieurs combats militants : lutte contre l’homophobie, le racisme et pour la réouverture du débat sur les réparations/esclavage. Au cours de l’entretien que nous avons eu avec lui, Louis-Georges Tin nous livre brièvement son parcours de sensibilisation à la question de l’esclavage et des réparations :
« Même si la question est plus ancienne qu’on ne le pense souvent, j’ai été surtout sensibilisé à la question des réparations et des modalités en conséquence d’action à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu à Tours en 2005. En revanche, la question de l’esclavage est présente dès mon enfance. Comment pourrait-elle ne pas l’être, venant de Martinique où règne encore la domination des Békés ? À chaque fois que je retourne en Martinique, et j’y retourne chaque année, la réalité coloniale se rappelle à moi. Un souvenir d’enfance m’avait particulièrement marqué : alors que je faisais ma première communion, je souhaitais aller au premier rang dans l’église où devait se dérouler la procession. Et là on me dit que je ne peux pas m’y mettre, que les places sont réservées… Voilà une prise de conscience de ségrégation raciale. » (Entretien le 2 avril 2013.)
45Sans reprendre ici toute la subtilité du modèle d’analyse proposé par Kingdon35, on peut montrer avec le politiste américain que des changements de majorité politique, parmi d’autres facteurs, peuvent constituer des types de « fenêtre d’opportunité » où des « flux de solution » (Policy Stream) peuvent rencontrer « des flux de problème » (Problem Stream). Il n’y a évidemment rien de mécanique dans cette « rencontre » d’autant que les « flux » en question peuvent évoluer selon des logiques propres : cela suppose, pour qu’il y ait rencontre, la présence d’autres facteurs favorables, des mobilisations d’acteurs, des médiatisations, des revirements d’opinion publique… On a ainsi remarqué que, depuis le début des années 1980, c’était tendanciellement au moment de changements de majorité (et singulièrement au moment où la gauche reprenait le pouvoir) que des mobilisations et des changements de politiques mémorielles ont eu lieu : l’adoption de la loi et du décret de 1983 sur la commémoration de l’abolition de l’esclavage au début du premier septennat de Mitterrand ; les commémorations de 1998 et les discussions autour de la proposition de loi Taubira au moment du retour des socialistes au pouvoir en 1997 ; les élections présidentielles de 2007 et l’adoption de la circulaire dite Fillon sur la commémoration des souffrances de l’esclavage en 2008 (dans le cas ici d’un Gouvernement de droite). Les élections de 2012 n’échappent pas à ce qui n’est sans doute pas une règle, mais au moins une tendance… La victoire de F. Hollande aux élections est vécue d’autant plus comme une opportunité par certains entrepreneurs de mémoire de l’esclavage qu’il y a au moins deux membres du Gouvernement qui sont supposés avoir une écoute favorable à l’égard de leurs revendications : le Premier ministre Jean-Marc Ayrault dont on connaît le rôle moteur qu’il a joué dans la ville de Nantes pour la dés-occultation de la mémoire de l’esclavage et bien entendu Christiane Taubira, nommé Garde des Sceaux en 2012.
46Peu de temps après l’élection de F. Hollande, le CRAN organise un colloque le 23 mai, en collaboration avec le journal Libération, à la Grande Halle de la Villette à Paris, autour du thème « À qui a profité la traite négrière36 ? », dans une perspective clairement concurrente aux actions menées par le CM98 qui organisait au même moment son rituel commémoratif dans la ville de Saint-Denis. Le 23 mai devient un enjeu de légitimation et de captation symbolique de la réappropriation de la mémoire de l’esclavage. Louis-Georges Tin, au nom du CRAN, se dit pourtant attaché à la date du 10 mai comme date de commémoration de l’esclavage :
« Nous sommes très attachés à la date du 10 mai. Mais puisque la date du 23 mai existe également, pour des raisons pragmatiques, on peut l’utiliser également. Pour ma part, je ne vois pas d’inconvénients à ce qu’il y ait deux dates. Cette année, en 2013, nous utiliserons le 10 mai où nous ferons une conférence de presse ; nous ferons état de notre volonté d’assigner au tribunal une entreprise qui a directement profité du commerce de la traite. » (Entretien du 2 avril 2013.)
47Les termes du débat organisé lors du colloque du 23 mai 2012 consistent à s’interroger sur le sens et la forme des « réparations » dans la France contemporaine en les confrontant aux expériences étrangères (notamment le Brésil et les États-Unis). Après une conférence inaugurale d’E. Morin, le colloque est structuré autour de deux tables rondes : la question des réparations sur la scène internationale37 ? La question des réparations dans l’espace national français38 ? Sans pouvoir ici retracer le contenu des interventions, nous importe la position officielle du CRAN qui se veut prudente sur le principe : lever le tabou sur les réparations en rouvrant le débat, sans préconiser une solution particulière, mais sans exclure a priori des réparations matérielles, y compris sous la forme d’indemnisations individuelles : on est dans une « phase d’inventaire et d’exploration », affirme ainsi Louis-Georges Tin, au cours de son intervention, mais n’exclut pas d’aller « frapper la porte à Matignon39 ». Au cours de notre entretien, Louis-Georges Tin affirme « ne pas être opposé aux indemnisations individuelles ou par d’autres modalités comme des réformes agraires. Si l’esclavage est un crime contre l’humanité, ce qu’il est bien entendu, on doit pouvoir identifier des coupables et des victimes et des descendants de victimes » (entretien avec Louis-Georges Tin le 2 avril 2013).
48C’est bien ce qu’entreprend le président du CRAN en se servant toujours habilement des médias (d’abord Libération et Le Monde, puis Mediapart), la médiatisation du problème des réparations étant censée renforcer sa transformation en problème public et son éventuelle mise à l’agenda. Louis-Georges Tin, accompagné d’autres représentants d’associations (le MIR et le Co10mai) parvient à obtenir un rendez-vous avec l’un des conseillers de Ayrault à Matignon le 29 mai, puis le 8 octobre 2012 : ils ressortent de cette entrevue avec l’assurance que Matignon organisera dans le mois suivant (en novembre) une réunion interministérielle sur la question des réparations40. Mediapart enquête de son côté et confirme l’entrevue : « Au cabinet de Jean-Marc Ayrault », on confirme l’engagement de Matignon :
« Nous sommes très ouverts à l’idée de réparations liées à l’esclavage, indique-ton dans l’entourage du Premier ministre. On en est au stade de la réflexion et du dialogue. Nous sommes en contact régulier avec le Cran et d’autres associations, et nous attendons d’eux qu’ils nous disent ce qu’ils souhaitent secteur par secteur. Les réparations couvrent un large champ, pas seulement financier, c’est pour cela que tous les ministères concernés doivent participer41. »
49On pourrait s’étonner au prime abord de la rapidité de la re-problématisation et de mise à l’agenda d’un problème qui avait en effet été enterré par la gauche elle-même depuis l’adoption de la loi Taubira. À cela s’ajoute, le contexte budgétaire teinté d’austérité que prépare le Gouvernement Ayrault après les élections qui semble difficilement compatible avec l’ouverture d’un fonds d’indemnisation. Nous ne disposons pas bien entendu de toutes les informations qui nous permettent d’expliquer la rapidité de ce processus, d’autant que cette question ne figurait pas dans le programme de compagne du candidat Hollande, d’autant que le CRAN n’a jamais été l’interlocuteur privilégié par les pouvoirs publics sur les questions d’esclavage, à la différence par exemple du CM98 dont la légitimité historique est bien plus grande. C’est encore une fois la légitimité municipale du Premier ministre sur des questions d’esclavage qui semble avoir favorisé la rencontre entre « un flux de problèmes » et « un flux de solutions », même si l’entourage du Premier ministre reste, lors des rencontres de mai et d’octobre, très flou sur les solutions que le Gouvernement est susceptible d’apporter au problème des réparations.
50Mais le processus de mise à l’agenda de la question des réparations s’effrite au moment même où il était censé se renforcer, c’est-à-dire au moment de la visite officielle de François Hollande –visite censée reconfigurer les relations entre la France et l’Afrique– sur l’île de Gorée, haut lieu symbolique de la traite. Interrogé par des journalistes sur la question des réparations, le nouveau président du Sénégal affirme qu’il n’est pas favorable aux réparations et préfère quand « l’Afrique doit aller de l’avant ». Interrogé sur le même sujet, F. Hollande ne répond pas vraiment, mais ne s’engage pas sur le volet matériel :
« La réparation n’est pas seulement morale. Elle est aussi de savoir ce que nous voulons faire ensemble. Est-ce que nous nous tournons vers le passé pour nous en féliciter autant que pour nous en flétrir ? Ou est-ce que nous sommes capables de définir un développement partagé ? C’est ce que nous faisons entre la France et le Sénégal42. »
51Si l’on se fie toujours à l’enquête menée par Mediapart, les conseillers de F. Hollande présents à Dakar n’auront de cesse au cours de la journée de démentir les informations données par Matignon au point de produire un « cafouillage » entre les deux têtes de l’exécutif :
« Au fil des minutes, le ton va crescendo, passant de déclaration “un peu prématurée” à “non-événement” puis à “fausse information”. Concrètement, l’Élysée dément d’abord la convocation officielle d’une réunion interministérielle (Rim) sur les “réparations” avant d’en relativiser l’importance. “Des réunions à l’Élysée et à Matignon, il y en a tous les jours !” explique-t-on à Dakar. Plus important : le cabinet de François Hollande est opposé à toute réparation financière. “Le terme de réparation est mal choisi parce qu’on entend financier. Or il n’est pas question de cela”, explique un conseiller43 ».
52Suite au véto de l’Élysée et à l’apparente contradiction avec les engagements de Matignon44, l’entourage du Premier ministre minimise les promesses tenues antérieurement et refuse désormais de « sortir le carnet de chèques ». Ce changement de registre provoque une vive déception de la part des associations porteuses du problème notamment de la part de Louis-Georges Tin : « M. Hollande rétropédale le jour même où il se rend à Gorée, c’est honteux ! » lâche-t-il45. Le processus de mise à l’agenda tourne cours. L’analyse de ce processus permet précisément de comprendre l’avortement d’une mise à l’agenda lorsque, malgré l’ouverture de plusieurs fenêtres d’opportunité (changement de majorité, présence de ministres et du Premier d’entre deux engagés sur la question de l’esclavage, voyage officiel de Hollande sur l’Île de Gorée…), les Problem stream ne rencontrent pas entièrement les policy stream, faute de political stream assez favorable : faute de volonté politique du chef de l’État, faute d’un contexte budgétaire favorable à l’ouverture d’indemnisation, à cause d’une division forte parmi les entrepreneurs de mémoire… Cet avortement au moins provisoire du processus de mise à l’agenda correspond au cas analysé par Kingdon en termes de fermeture de fenêtres d’opportunité lorsque par exemple il n’y a pas d’alternative disponible parmi les « flux de solution », lorsqu’un nouvel événement contrarie l’ouverture initiale de la fenêtre d’opportunité…
Malgré le revers subi, le CRAN et le MIR ne renoncent pas pour autant à l’espoir d’une mise à l’agenda future de la question des réparations en accentuant les pressions sur le gouvernement, indirectement, on l’a vu, sur le terrain judiciaire. Le CRAN multiplie en même temps les coups d’éclat médiatique notamment lors de la semaine anticoloniale et antiraciste qu’il co-organise au mois de février de chaque année depuis 2005. Pour la cession 2013, le CRAN organise un « Colonial tour » dans les rues de la capitale : regrettant l’absence de véritable lieux de mémoire de l’esclavage à Paris, Louis-Georges Tin –accompagné d’une vingtaine de journalistes, d’historiens (Pascal Blanchard, Gilles Manceron, Marcel Dorigny), d’élus EEVL (Eva Joly, Jean-Jacob Bicep) et de militants du CRAN– affrète un bus à plateforme des années 1930 pour « visiter » les hauts lieux parisiens, souvent oubliés aujourd’hui, rappelant l’histoire de la traite et de l’esclavage : place de la victoire (où se réunissait le lobby esclavagiste), la rue Vivienne (où se trouvait le siège de la Compagnie des Indes), l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde (où était géré le « système colonial »), la Caisse des dépôts, rue de Lille (centre d’encaissement des réparations imposées à Haïti). Ce « colonial tour », comme ironie d’une visite touriste, est soigneusement mis en scène : outre le bus de l’époque coloniale, le port de casques coloniaux pour des intervenants, une affiche rappelant la publicité pour « Banania », détournée de son slogan initial, est collée sur les vitres : « y a bon colonisation ».
Cette dramaturgie, au sens de K. Burke et de J. Gusfield, a une fonction bien précise : mettre en récit, selon des séquences habilement choisies, une expérience passée dissimulée en jouant ironiquement sur les stéréotypes touristiques et coloniaux pour attirer l’attention du public, pour construire une modalité particulière de problèmes publics (l’érection de lieux de mémoire consacrés à l’esclavage ; la mise à l’agenda des réparations) qui n’ont pas été pris en compte par les autorités politiques. Cette modalité dramaturgique de construction de problèmes publics qui témoigne en même temps de l’invention dans l’art de la protestation collective, parce qu’elle agit directement sur les émotions (le détournement de la publicité Banania en est un exemple), est censée produire ce que James Jasper46 appelle « des chocs moraux » : « lancer des alertes », « faire prendre conscience », par la radicalisation dramaturgique et émotionnelle, d’un problème public jusqu’alors occulté par les cycles de la vie quotidienne.
53Cette péripétie du début du quinquennat de F. Hollande laisse aussi des traces à l’échelle des rapports de force et de sens entre les entrepreneurs de mémoire engagés sur la question des réparations ; à travers la question de fond sur le problème des réparations se joue ou plutôt se rejoue, du fait de la nouvelle majorité socialiste arrivée au pouvoir, le problème de la légitimité des interlocuteurs qui « auront l’oreille » des pouvoirs publics. Le fait que le CRAN ait été reçu à Matignon, le fait que cette entrevue aient été fortement médiatisée ont fait clairement de l’ombre aux interlocuteurs historiques que sont notamment le CM98 et le Collectif.dom (mais dont la médiatisation est plus faible que celle du CRAN) : la question des réparations cristallise une véritable lutte des pouvoirs entre les entrepreneurs de mémoire de l’esclavage. Deux communiqués de presse (des 3 et 12 juin 2012) signés de S. Romana, pour le CM98, et de Daniel Dalin, pour le Collectif.dom, dénoncent sans ambiguïté « les imposteurs du CRAN » :
« LE PREMIER MINISTRE A REÇU LES IMPOSTEURS DU CRAN !
Nous avons appris avec stupéfaction et indignation que les services du Premier ministre avaient reçu le CRAN le mercredi 30 mai 2012 à propos des réparations à envisager quant à l’esclavage colonial. Stupéfaction, car nous ne pouvions imaginer que la première action du gouvernement AYRAULT quant à la mémoire de l’esclavage colonial, serait de recevoir une association qui, à ce jour, n’a aucune action à son actif sur les questions mémorielles liées à l’esclavage colonial. Nous sommes d’autant plus surpris que le candidat Hollande avait refusé de prendre en considération la proposition des associations Antillaises soutenues par le Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CPMHE) visant à transformer la circulaire du 29 avril 2008 en un décret d’application – Circulaire qui, nous vous le rappelons, clarifie le régime commémoratif de l’esclavage colonial (communiqué de presse du 15 juin 2012, CM98-Collectif.dom). »
54On peut dire que, stratégiquement, le CM98 et le Collectif.dom ont su prendre leur revanche sur le CRAN en 2013 en jouant moins la carte de Matignon que celle de l’Élysée et du ministère de l’Outre-mer. Alors que le CRAN, à la veille des commémorations du 10 mai 2013, poursuit ses offensives sur le terrain judiciaire (le CRAN prévoit de déposer une plainte contre la Caisse des dépôts accusée de s’être enrichie grâce à la traite et l’esclavage), le CM98 poursuit son entreprise de délégitimation des revendications attenantes aux réparations financières (interviews dans les JT de France 2 et France 3 d’Emmanuel Gordien et de Serge Romana le 10 mai 2013, tribune de Serge Romana dans Le Monde du 10/05/2013 intitulée « Mémoire de l’esclavage : réconciliation ») pour mieux se placer sur le terrain du devoir et du travail de mémoire. D’un côté, le Chef de l’État, au cours de son allocution du 10 mai 2013, ferme une nouvelle fois la porte, en se réclamant de Césaire, aux réparations matérielles47 :
« Ce qui a été a été. “il y aurait une note à payer et ensuite ce serait fini”, écrivait-il. “Non, ce ne sera jamais réglé.” L’Histoire ne s’efface pas. On ne la gomme pas. Elle ne peut faire l’objet de transactions au terme d’une comptabilité qui serait en tout point impossible à établir. Le seul choix possible, c’est celui de la mémoire, et c’est la vigilance, et c’est la transmission48. »
55D’un autre côté, par ses dernières paroles, F. Hollande tend la main et trouve un allié opportun dans le CM98 qui fait justement de la transmission son credo. Le jour même où Serge Romana, dans sa tribune du Monde, en appelle à une « réconciliation avec la République », F. Hollande reconnaît dès le début de son discours que d’autres dates –autres que le 10 mai– servent de points de repère à la commémoration de l’esclavage. Non seulement il cite le 23 mai où « les victimes de l’esclavage sont honorées », mais, en outre, il annonce un geste supplémentaire de reconnaissance de l’État, alors que les commémorations du 23 mai laissent généralement place à des représentants des collectivités locales :
« Cette année, Victorin Lurel, représentera la République à l’inauguration de deux monuments à Sarcelles et à Saint-Denis. Ces œuvres sont le fruit des efforts du “Comité de la marche du 23 mai” animé par Serge Romana qui a permis à de nombreux Antillais de retrouver la trace de leurs ancêtres africains ainsi que l’origine de leur nom. Puisqu’ils en avaient été privés, comme pour mieux nier leur existence49. »
56À la fois les controverses sur la date commémorative et les controverses sur la question des réparations créent des lignes de fractures d’autant plus fortes parmi les entrepreneurs de mémoire que, selon les enjeux, les matrices d’identifications (descendants d’esclaves, Noirs…), les appartenances sociologiques et culturelles (Africains, ultra-marins, mixtes), les associations sont susceptibles de faire pencher les revendications dans un sens plutôt que dans un autre. Dans l’esquisse de cartographie que nous avons proposée, l’ADEN, le Collectif.dom, le CDM, le CM98 se retrouvent autour des revendications de réparations morales et d’aide au développement mais se divisent notamment sur la question de la date commémorative (entre le CM98 et le Collectif.dom d’un côté, et le CDM et l’ADEN, de l’autre). Le MIR, le CRAN, l’ADEN, le Co98, le CDM, le COFFAD s’accordent sur la date commémorative du 10 mai mais ne sont pas tous d’accord sur les modalités de réparations, sans parler de la question de l’identification raciale où le CRAN reste relativement isolé. Outre les réticences des Gouvernements à s’aventurer sur un terrain d’indemnisation financière, en période de disette budgétaire, les modalités conflictuelles de construction de ces problèmes publics au sein du tissu associatif ne sont pas de nature à faciliter les arbitrages politiques. L’action publique sur les dates commémoratives, malgré les divisions encore présentes, constitue un levier plus aisé pour les pouvoirs publics, du fait notamment du faible engagement financier que cela représente50. D’où l’opportunité de l’exécutif de tisser des reconnaissances stratégiques avec les entrepreneurs de mémoires réfractaires aux politiques d’indemnisation. L’écheveau actuel formé de trois catégories de dates commémoratives – le 10 mai, le 23 mai, et les dates propres à chacun des DOM –, s’il ne satisfait pas nécessairement toutes les parties en conflit – constitue aujourd’hui une sorte de modus vivendi. Il n’en va pas de même de la question des réparations.
Notes de bas de page
1 Voir également l’excellente étude de Stéphane Dufoix, « Historiens et mnémographes », Controverses, 2, 2006, p. 15-36.
2 Dans Gouverner les mémoires, on préférait parler de « lois historico-mémorielles » pour qualifier la loi Gayssot (même si, en punissant le négationnisme, elle se présente explicitement comme une loi anti-raciste), la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives, la loi du 18 octobre 1999 (changement d’expression pour qualifier la guerre d’Algérie), la loi du 10 juillet 2000, instituant une journée nationale à la mémoire des victimes racistes et antisémites, la loi du 29 janvier 2001, relative au génocide arménien, la loi Taubira (2001), et enfin la loi du 23 février 2005. Le dénominateur commun concerne explicitement la qualification officielle d’événements historiques et une injonction plus ou moins explicite au devoir de mémoire et à la reconnaissance victimaire. Le législateur prend expressément parti en faveur d’une version de l’histoire et de la mémoire (peu importe ici qu’elle fasse consensus parmi les historiens). Il reste cependant à différencier ces lois entre elles, en fonction notamment de leur dimension coercitive.
3 L’historien américain Bernard Lewis, proche des milieux néo-conservateurs et des thèses sur le « Choc des civilisations » est condamné, suite à une plainte déposée par le Forum des associations arméniennes de France, par le tribunal de Grande Instance de Paris le 21 juin 1995 pour avoir nié l’existence du génocide arménien. La judiciarisation des controverses historiques et mémorielles peut donc se produire en l’absence même de lois historico-mémorielles stricto-sensu, mais sur la base juridique notamment de l’article 1382 du code civil qui impose à l’historien de respecter un devoir d’objectivité et de prudence. C’est sur le fondement de cet article que B. Lewis a été condamné.
4 Le collectif « Liberté pour l’histoire » ne s’oppose nullement à la légitimité de mettre en œuvre des politiques publiques de la mémoire, mais à la condition que celles-ci ne se traduisent pas en lois dites mémorielles. P. Nora est favorable par exemple aux résolutions qui n’engagent pas de judiciarisation de l’histoire.
5 Il s’agit du Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire (CVUH) fondé le 17 juin 2005. Sur la généalogie de cette division parmi les historiens, voir Stéphane Dufoix, « Historiens et mnémographes », Controverses no 2, juin 2006, p. 15-38.
6 On pourra observer que, dans Les Lieux de mémoire, la mémoire de l’esclavage est pratiquement absente. Ce que regretterons nombre d’historiens et d’entrepreneurs de mémoire de l’esclavage.
7 « Cette loi (la loi du 23 février 2005) est non seulement inquiétante parce qu’elle est sous-tendue par une vision conservatrice du passé colonial, mais aussi parce qu’elle traduit le profond mépris du pouvoir à l’égard des peuples colonisés et du travail des historiens. » (Manifeste du comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, 17 juin 2005.)
8 Calqué en partie sur une des dispositions de la loi Taubira, l’article 4 stipule que « les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite ». Sur l’analyse de cette loi, voir Romain Bertrand, Mémoires d’empire, op. cit.
9 On rappelle qu’Olivier Pétré-Grenouilleau, à l’époque professeur à l’université de Lorient et spécialiste reconnu de l’histoire de l’esclavage, a été assigné le 30 novembre 2005 devant le tribunal de grande instance de Paris. Le collectif des Antillais Guyanais-Réunionnais, présidé par Patrick Karam, lui reproche une interview au Journal du Dimanche du 12 juin 2005. Ses propos nieraient « le caractère de crime contre l’humanité qui a été reconnu à la traite négrière par la loi du 23 mai 2001 ». Cette plainte provoque une véritable levée de boucliers d’une partie de la communauté historienne au nom de la protection de la liberté de la recherche. Le Collectif.dom décide finalement de retirer sa plainte en février 2006. Rétrospectivement, P. Karam, avec qui nous nous sommes entretenus le 2 avril 2013, ne remet pas en cause la distinction juridique entre génocide et crime contre l’humanité (l’esclavage et la traite sont des crimes contre l’humanité, sans faire partie de la catégorie de génocide) que proposait l’historien. Le motif « véritable » de sa plainte contre Petré-Grenouilleau aurait été que l’historien affirme, en référence à l’affaire Dieudonné, « que les mobilisations mémorielles des descendants d’esclaves favorisent l’antisémitisme. Nous lui avons reproché de rendre la loi taubira responsable de la montée de l’antisémitisme et de jouer de la confusion entre crime contre l’humanité et génocide pour disqualifier le premier concept » (entretien du 2 avril 2013). À la question de savoir pourquoi le Collectif.dom a finalement retiré sa plainte, P. Karam nous avance deux raisons : « D’une part, une première raison est liée à Petré-Grenouilleau lui-même. Suite à cette affaire, il avait été menacé physiquement. Il était inconcevable qu’en République l’on puisse être menacé pour avoir exprimé une opinion. D’autre part, la société française n’avait pas compris le sens de notre plainte. Il y avait eu à l’époque des pétitions d’académiciens et d’historiens qui demandaient l’abrogation des lois mémorielles. Nous ne voulions pas faire l’objet d’un rejet de la société française et marginaliser les ultra-marins. » (Entretien du 2 avril 2013.)
10 Le rapport d’information au nom de la Mission d’information sur les questions mémorielles, dit « rapport Accoyer », a été publié le 18 novembre 2008 et est consultable sur le site de l’Assemblée nationale (www.assemblee-nationale.fr, Les rapports d’information). On se permet également de renvoyer ici à notre contri contribution : Johann Michel, « Regards croisés sur les rapports Kaspi et Accoyer. Le retour du régime mémoriel d’unité nationale », in Michel Danti-Juan (dir.), La Mémoire et le crime, Paris, Éditions CUJAS, 2011, p. 199-216
11 [http://tempsreel.nouvelobs.com/opinions/20110303.OBS9072/interview-christian-vanneste-deschiens-de-chasses-sont-en-train-d-egorger-la-liberte-d-expression.html].
12 [http://www.cm98.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=123&Itemid=64&5a8ba2524b66f432c7b8159053b07b45=374c357acb6fa5d8974dd6c04f0e55c7], consulté le 28/02/2012.
13 Ce rapport d’une centaine de pages est disponible en intégralité sur le site du CPMHE : [http://www.cpmhe.fr/IMG/pdf/Rapport_memoire_esclavage.pdf].
14 Ibid., p. 26.
15 Ibid., p. 30-31.
16 Voir le chapitre suivant pour une analyse détaillée des controverses et du processus de décision qui a abouti au choix du 10 mai.
17 Le Collectif.dom (collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais et Mahorais) est créé en avril 2003 par l’antillais Patrick Karam (docteur en science politique et chef d’entreprise), au départ pour lutter de manière très sectorielle contre les hausses des prix des billets d’avion à destination des territoires ultra-marins. Par la suite, le mouvement a connu une « extension de ses cadres » de revendication, pour reprendre les analyses d’Audrey Célestine, pour lutter contre toutes les formes de discrimination qui pèsent sur les Français d’origine ultra-marine (Audrey Célestine, « Mobilisation et identité chez les Antillais de France. Le choix de la différentiation », op. cit.). Au cours de l’entretien que nous avons eu avec P. Karam, il ressort que c’est surtout à partir des années 2004-2005 que la question de la protection de la mémoire de l’esclavage est devenue un motif de mobilisation : « Il y avait à l’époque un climat de remise en cause des acquis de la loi Taubira. Les propos de Petré-Grenouilleau ou de Max Gallo sur l’esclavage, la volonté des pouvoirs publics de célébrer Napoléon et la bataille d’Austerlitz, en passant sous silence celui qui a rétabli l’esclavage. Il fallait pouvoir faire entendre notre voix. Or, les associations mémorielles étaient un peu isolées pour répondre à ces attaques. Nous voulions utiliser notre appui sur les réseaux associatifs ultra-marins pour mener ce combat. » (Entretien avec P. Karam le 2 avril 2013.)
18 Le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) a été fondé le 26 novembre 2005 par Patrick Lozès. Il prétend regrouper aujourd’hui 120 associations et fédérations d’associations, qui ont pour objectif la lutte contre les discriminations raciales, ainsi que la mémoire de l’esclavage et de la colonisation. Il est présidé actuellement par Louis-Georges Tin.
19 Entretien de Patrick Lozès avec Yoann Lopez (texte cité dans sa thèse pour le doctorat de l’université de Bordeaux II, mention sociologie, 27 octobre, 2010, Yoann Lopez, Les Questions noires en France. Revendications collectives contre perceptions individuelles, p. 123).
20 Malcolm Spector et John I. Kitsuse, « Sociologie des problèmes sociaux », op. cit., p. 91.
21 Ce discours figure sur le site de « Désirs d’avenir » : [http://desirsdavenir-mosaique.over-blog.com/40-categorie-851663.html].
22 [http://sarkozyoutre-mer.blogspot.fr/].
23 Décret no o 2007-1062 du 5 juillet 2007 instituant un délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer [archive], JORF no 155 du 6 juillet 2007, texte no 5, NOR.
24 Marie-Hélène Dumeste, de 1999 à 2009, occupe la fonction de Chef de département chargé de la culture, de l’audiovisuel, de l’enseignement supérieur, de la jeunesse et des sports au sein du ministère d’État (ou du secrétariat d’État) à l’Outre-mer.
25 En plus de son travail de psychologue clinicienne, Viviane Romana a été élue en 2010 conseillère régionale Île de France sur la liste de Jean-Paul Huchon. Ce dernier lui a notamment confié la responsabilité de diriger une mission de pré-figuration d’une « Maison des îles » à Paris.
26 Cette auto-labellisation où l’ancien stigmate s’inverse en valorisation s’est diffusée auprès d’ultra-marins installés en Métropole. C’est d’abord une présentation de soi qui concerne cette catégorie spécifique de migrants-citoyens d’origine antillaise installés surtout dans la région parisienne et beaucoup moins une déclinaison de soi de celles et ceux restés aux Antilles ou dans les autres DOM. L’un des enjeux des entrepreneurs de mémoire du CM98 est de propager cette nouvelle déclinaison identitaire et cette nouvelle grammaire mémorielle au sein des territoires ultra-marins eux-mêmes à travers toute une série d’initiatives (mémorial, reconstitution d’arbre généalogique pour nommer les descendants d’esclaves…).
27 Entretien le 13 mars 2013.
28 Entretien le 13 mars 2013.
29 Afin de médiatiser l’affaire, le CRAN, à Paris, et le MIR, en Martinique, ont tenu une conférence de presse le même jour (le 8 janvier 2013). La volonté de ces deux organisations de radicaliser leur engagement sur le terrain judiciaire fait suite au revers subi de leurs mobilisations sur le terrain politique : la promesse jugée non tenue du Gouvernement Ayrault de préparer une réunion interministérielle sur la question des réparations. Le CRAN cherche clairement à internationaliser la question des réparations : « Je reviens du Forum Social Mondial qui s’est tenu à Tunis. Nous avons obtenu que l’Assemblée des mouvements sociaux prenne position sur la question des réparations. Cette question n’avait pas été intégrée à la Conférence de Durban sur le racisme. Le CRAN, en s’appuyant notamment sur des députés verts, cherche à poursuivre le combat des réparations à l’échelle du Parlement européen. » (Entretien avec Louis-Georges Tin le 2 avril 2013.)
30 Sur le mouvement d’occupation des terres et le mouvement nationaliste martiniquais, voir Christine Chivallon, L’Esclavage, du Souvenir à la mémoire, op. cit., p. 468-479 dans la suite des travaux d’U. Zander (conscience nationale et identité à la Martinique, thèse de doctorat en anthropologie Sociale et Ethnologie, Paris, EHESS, 2000).
31 Nous avons suivi de près les actions du MIR et de G. Malsa à l’occasion de notre enquête de terrain aux Antilles (mai 2014) notamment suite aux marches pour les « convois des réparations » en Martinique. Nous réservons à une étude ultérieure les résultats de cette enquête ethnographique en cours.
32 [http://lubintheobjectifs.blogspot.fr/2011/05/objectifs-du-c-o10mai.html].
33 Le COFFAD s’est associé à la marche silencieuse de 1998 et aux actions du CM98 à ses débuts. Des différends entre les deux associations sont apparus par la suite à la fois sur la question de la filiation mémorielle et sur la question des dates commémoratives : « Le président du COFFAD nous a demandé dans un premier temps d’utiliser le terme « noir » ou « descendants d’Africains déportés » pour la marche à la place de Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais et Réunionnais. L’affirmation de l’identité de descendants d’esclaves a entraîné progressivement une séparation nette entre ce mouvement et le CM98 dès 2001. Ils ont ensuite organisé des marches le 23 mai jusqu’en 2006. Depuis, ils défilent le 10 mai avec le MIR » (entretien avec S. Romana, le 28/01/2013).
34 [http://www.coffad.net/francais/reparation.htm].
35 John W. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston (Mass), Little, Brown and co, 1984. Le modèle de Kingdon vise à introduire la notion de « fenêtre d’opportunité » (changement de majorité politique, événement exceptionnel…) pour expliquer les conditions de changement de politiques publiques.
36 Pour accentuer sa pression sur le Gouvernement, le CRAN publiera un appel-pétition dans Le Monde (le 12/10/2012) pour rouvrir le chantier des Réparations, en ralliant la signature de personnalités politiques, syndicales et intellectuelles de gauche et d’extrême gauche. On retrouve parmi les signataires les entrepreneurs de mémoire à la pointe du combat sur l’exigence de réparations matérielles, et notamment financières (G. Malsa, A. Fassassi). On remarque de manière tout aussi intéressante l’absence de représentants du Collectif.dom et du CM98 parmi les signataires. La présence de Françoise Vergès (alors présidente du CPMHE) parmi les signataires, créera une polémique, on le verra, qui rétroagira directement sur sa succession à la tête de cette institution.
37 Avec les interventions d’Ali Moussa Iyé, Chef de la section « Histoire et Mémoire pour le Dialogue » et coordonnateur du projet « La Route de l’esclave » de l’UNESCO ; Doudou Diène, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie, fondateur du projet La Route de l’esclave de l’UNESCO ; Mireille Mendès-France Fanon, experte auprès des Nations Unies, membre du groupe de travail sur les Afro-descendants ; Blaise Tchikaya, président de la Commission de l’Union africaine pour le droit international ; François Durpaire, historien ; Maryse Saint-Pierre Cyprien, deuxième secrétaire de l’ambassade d’Haïti ; Nora Wittman, juriste, experte auprès du MIR (Mouvement International pour les Réparations).
38 Avec les interventions de Louis-Georges Tin, président du CRAN ; Jacques Martial, président de l’établissement public du parc et de la grande halle de la Villette ; Françoise Vergès, présidente du Comité pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage ; Claudy Siar, délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’Outre-Mer ; Myriam Cottias, historienne, directrice de recherches au CNRS, directrice du CIRESC (Centre international de recherches sur les esclavages, acteurs, systèmes, représentations) ; José Pentoscrope, président du Cifordom.
39 Propos recueilli par Michel Henry pour Libération (en date du 24 mai 2012) [http://www.liberation.fr/societe/2012/05/24/esclavage-sang-dommages-et-interets_821206].
40 Selon les informations qu’ils ont données à Mediapart, « Esclavage : Matignon se dit “très ouvert” à des réparations », Carine Fouteau, édition du 12 octobre 2012.
41 Ibid.
42 Propos rapporté par Lénaïg Bredoux, « Esclavage : cafouillage Élysée-Matignon sur les réparations », Mediapart, le 13 octobre 2012.
43 Ibid.
44 Au cours de l’entretien que nous avons eu avec lui, Marc Vizy, conseiller Outre-Mer de Hollande, cherche à relativiser ce qui est présenté comme « un couac » par les médias : « Je me trouvais avec le Chef de l’État au Sénégal ; les journalistes parlaient de “couacs” ; mais il n’a jamais été question d’une réunion interministérielle. Vous savez Matignon reçoit des associations, des conseillers font des propositions, mais rien ne dit qu’elles vont être entendues par le pouvoir. » (Entretien à l’Élysée du 26 octobre 2012.)
45 Propos rapporté par Lénaïg Bredoux, « Esclavage : cafouillage Élysée-Matignon sur les réparations », Mediapart, le 13 octobre 2012.
46 James Jasper, « L’art de la protestation collective », Les formes de l’action collective, op. cit., p. 146-147 ; Voir également du même auteur, The Art of Moral Protest : Culture, Biography, and Creativity in Social Movements, Chicago, University of Chicago Press, 1997.
47 Sans être dissidente, la voix de Christiane Taubira, alors Garde des sceaux, se distingue à la fois de celle du CRA N et de celle du Chef de l’État (au cours d’un entretien au Journal du Dimanche du 12/05/2013) en prônant une politique foncière en faveur des descendants d’esclaves.
48 Intervention du président de la République à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et leurs abolitions, 10 mai 2013, archives de l’Élysée.
49 Ibid.
50 Lors de son allocution du 10 mai 2013 au jardin du Luxembourg, F. Hollande engage cependant l’État à co-financer avec les collectivités locales le « Mémorial ACTE » à Pointe-à-Pitre, projet qui veut « faire sortir de terre » « le centre le plus important du monde consacré au souvenir de la traite et de l’esclavage » (Allocution de F. Hollande, 10 mai 2013, Jardin du Luxembourg).
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