6. De la mise à l’agenda à l’adoption de la loi reconnaissant l’esclavage et la traite comme crime contre l’humanité
p. 145-174
Texte intégral
1Si l’objectif de ce chapitre est d’étudier les conditions de mise à l’ordre du jour gouvernemental et parlementaire du traitement du problème de la reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crime contre l’humanité, soulignons d’emblée que la notion de mise à l’agenda ou d’agenda-bulding, depuis les travaux fondateurs de sociologie de l’action publique de R. Cobb et de Charles Elder1, est plus riche que celle de simple mise à l’ordre du jour. L’agenda-bulding intervient dès la construction de faits sociaux en problèmes publics susceptibles d’être traités par les autorités politiques et administratives. Rappelons qu’il n’y a aucune « naturalité » pour des phénomènes sociaux à devenir des problèmes publics. Il en est de même pour les phénomènes mémoriels. D’où la nécessité d’étudier les mobilisations d’acteurs et de ressources (cognitives, matérielles…) qui contribuent à inscrire un « trouble » à l’agenda des politiques publiques :
« L’agenda politique, qu’il s’agisse de ceux des États-nations ou de ceux des collectivités locales, comprend l’ensemble des problèmes perçus comme appelant un débat public, voire l’intervention des autorités publiques légitimes. Trois traits délimitent le profil des problèmes inscrits ou candidats au “menu”, si l’on peut dire, de l’agenda politique : “(i) Des élites (syndicales, administratives, politiques), des citoyens qui peuvent être plus ou moins organisés définissent une situation comme problématique. Il y a problème, dirons-nous, quand des acteurs sociaux perçoivent des écarts entre ce qui est, ce qui pourrait être ou ce qui devrait être. […] (ii) Cette découverte d’un problème s’accompagne de procédures d’étiquetage qui le qualifient comme relevant de la sphère de compétence des autorités publiques. Enfin, (iii) l’intervention de la société politique est attendue – y compris l’option de ne rien faire2”. »
2Ainsi les actions des entrepreneurs de mémoire, les processus de labellisation, les opérations de cadrage, les dispositifs de traduction de l’esclavage comme crime contre l’humanité que nous avons analysés, dans les chapitres précédents, au sein des arènes littéraires, des forums hybrides, au cours de mobilisations collectives s’inscrivent bien dans le processus de mise à l’agenda, avant tout traitement de fait par les autorités politiques. Il n’y avait par ailleurs aucune nécessité à ce que cette problématisation débouche sur une politique publique mémorielle. Comme le rappelle Padioleau, la « carrière » d’un problème public peut s’achever « dans l’option de ne rien faire ». Dans la mesure où ce sont des entrepreneurs de mémoire extérieurs à l’appareil politico-administratif qui sont parvenus à se constituer en coalitions de cause pour problématiser et publiciser l’esclavage comme crime et pour contraindre les autorités à l’inscrire à l’ordre du jour gouvernemental, on peut parler dans ce cas de modèle de mobilisation externe de mise à l’agenda (par opposition notamment au modèle de l’anticipation lorsque les autorités politiques jouent un rôle moteur dans le dispositif de mise à l’agenda3). Il reste précisément à analyser comment et pourquoi la « carrière » de ce problème mémoriel a pu se traduire dans le traitement et finalement dans l’adoption d’une nouvelle loi dite mémorielle relative à l’esclavage, en fonction d’opportunités politiques et historiques (nouvelle majorité socialiste au pouvoir dans un contexte de cohabitation, effets des célébrations du 150e anniversaire de l’abolition…), de la mobilisation et du front commun de porteurs de causes parlementaires (élus communistes et ultra-marins), des demandes de reconnaissance des populations domiennes.
3Analyser les mobilisations parlementaires qui ont abouti à l’adoption de la loi sur la reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crime contre l’humanité suppose de prendre également en compte un nouveau contexte juridique et mémoriel qui ouvre une opportunité inédite à la re-problématisation de l’esclavage dans les termes du crime contre l’humanité : l’adoption de la loi dite Gayssot en 1990 qui rend punissable pénalement le négationnisme de la Shoah4 et la reconnaissance, dans sa suite, du génocide arménien par le parlement français (loi qui sera adoptée le 29 janvier 2001). L’avènement du régime victimo-mémoriel de la Shoah génère une « crise » de croyance du régime mémoriel d’unité nationale : les pouvoirs publics ne célèbrent plus seulement les grandeurs nationales et les héros morts pour la France mais rendent également hommage aux morts et aux victimes à cause de la France. Ce phénomène n’affecte pas seulement un pays comme la France mais se présente, comme le montre H. Rousso, comme une mondialisation des identités collectives en souffrance qui appellent les pouvoirs publics et la société civile au « devoir de mémoire5 ». La matrice juridique du crime contre l’humanité, depuis sa lente institutionnalisation à partir de la loi de décembre 1964, tient lieu de nouveau dispositif de certification et d’administration de la preuve de la victimité de l’esclavage. Sachant que cette labellisation6 ne va pas de soi, elle repose sur l’intervention en amont de professionnels du droit –d’abord dans les forums d’experts que l’on a évoqués précédemment–, qui se sont chargés précisément de traduire dans le langage juridique du crime contre l’humanité la victimité inhérente à l’esclavage. La difficulté qui se posait pour les grammairiens dans les forums d’experts se repose dans les forums de praticiens au sein des commissions des lois et dans les enceintes parlementaires.
4L’aboutissement de ce processus donnera naissance à la loi dite Taubira (la loi no 2001-434 adoptée le 10 mai 2001 et promulguée le 21 mai 2001). La gestation de cette loi se situe plus précisément à l’entrecroisement des mobilisations collectives de « descendants d’esclaves », d’une logique interne au jeu parlementaire, et des enjeux politiques locaux, notamment dans les DOM. Pour rendre compte de ce processus, on peut reprendre, dans une certaine mesure seulement, le modèle d’analyse proposé par Romain Bertrand7 au cours de son étude consacrée à la production de la loi du 23 février 2005, à savoir la mobilisation d’une nouvelle génération de députés (bien implantés politiquement au niveau local), de « nouveaux entrants » dans le jeu parlementaire qui ont eu intérêt à subvertir une configuration mémorielle.
L’instrumentation juridique du crime contre l’humanité, comme on l’a montré dans un précédent travail8, offre une illustration remarquable de l’hypothèse d’une autonomisation des instruments d’action publique (selon la théorie que nous avons reprise de Lascoumes et Le Galès9) qui génère des effets décisifs sur les changements de politiques publiques de la mémoire dans la France contemporaine. La thèse que l’on développe dans cet article consiste à montrer qu’un instrument législatif en particulier, l’instrument juridique de crime contre l’humanité, en développant des effets propres, a contribué de manière décisive à transformer les régimes mémoriels, à institutionnaliser le régime victimo-mémoriel, à modifier en retour les rapports entre les acteurs sociaux porteurs de revendications mémorielles. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la prégnance d’un régime mémoriel d’unité nationale, imposé par les gaullistes, ne permet pas d’introduire l’instrument du crime contre l’humanité dans le droit interne. Il faut attendre l’adoption de la loi de 1964 pour que le droit français se mette en conformité avec cette nouvelle norme juridique internationale. Le paradoxe est cependant que cette loi, encore en prise avec le régime mémoriel d’unité nationale, vise avant tout à protéger les intérêts et la mémoire de la Résistance contre les criminels nazis. On assiste à une première étape d’autonomisation (au cours des années soixante-dix) du crime contre l’humanité lorsque des entrepreneurs de mémoire et de droit (notamment les époux Klarsfeld) instrumentent cette loi pour désocculter la mémoire de la Shoah et pour porter plainte contre des responsables Français dans la déportation des Juifs de France. Une seconde étape d’autonomisation voit le jour au milieu des années quatre-vingt, au cours du procès Barbie, et, au début des années quatre-vingt-dix, avec l’adoption de la loi Gayssot lorsque la grammaire victimo-mémorielle de la Shoah s’institutionnalise comme nouveau régime mémoriel. On observe une troisième phase d’institutionnalisation, au début des années deux-mille, lorsque de nouveaux entrepreneurs de mémoire parviennent à traduire des causes mémorielles (mémoire du génocide arménien, mémoire de l’esclavage) dans le langage du crime contre l’humanité et parviennent à faire adopter de nouvelles lois mémorielles. L’extension du crime contre l’humanité à d’autres causes mémorielles contribue ainsi à institutionnaliser la démultiplication de « grammaires » victimo-mémorielles, à concurrencer et à ébranler le régime mémoriel d’unité nationale.
La constitution de coalitions de causes parlementaires autour de la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité
5Parmi les six députés les plus en pointe dans le processus de reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crimes contre l’humanité, quatre d’entre eux sont des « nouveaux entrants » (suite aux élections législatives de 1997) : Bernard Birsinger, Claude Hoarau, Alfred Marie-Jeanne, Huguette Bello ; tous ont exercé antérieurement des mandats d’élus locaux (généralement comme maire ou comme conseiller régional). À l’exception de Christiane Taubira et d’Alfred Marie-Jeanne, les principaux protagonistes du processus législatif sont membres ou bien du Parti Communiste Français (Bernard Birsinger) ou bien du Parti Communiste Réunionnais (Claude Hoarau, Huguette Bello, Élie Hoarau). À l’exception de Bernard Birsinger10, tous les initiateurs sont des élus des DOM, affiliés à des partis ou bien indépendantistes (Alfred Marie-Jeanne est l’un des fondateurs du Mouvement indépendantiste martiniquais), ou bien régionalistes (Christiane Taubira est présidente et fondatrice du parti régionaliste guyanais « Walwari »), ou bien autonomistes (le Parti Communiste Réunionnais fondé par Paul Vergès en 1959). Tous ces acteurs occupent donc, du fait de ces caractéristiques, une position bien spécifique au sein de la « majorité plurielle » à l’Assemblée nationale, à la marge des forces politiques dominantes.
6Le fait qu’un nombre important de députés porteurs d’une nouvelle grammaire mémorielle vienne de mouvements autonomistes ou indépendantistes ultra-marins témoigne davantage, en cette fin des années 1990, d’une provenance idéologique que d’une revendication militante ici et maintenant. Le processus de conversion que l’on a observé dans le cas de militants issus du mouvement indépendantiste guadeloupéen est valable, dans une certaine mesure, malgré les spécificités locales, pour les autres mouvements indépendantistes ou autonomistes ultra-marins. Comme le souligne Michel Giraud, le combat identitaire et anticolonialiste quitte en partie le terrain politique pour se réfugier sur un terrain culturel et mémoriel : les revendications identitaires « tendent ainsi à absorber le tout de la revendication anticoloniale, ne laissant exister d’expression politique antillaise que la revendication culturelle11 ». Il serait inexact de parler purement et simplement de dépolitisation à cette époque mais il est approprié de parler de recul des revendications politiques nationalistes (on assiste également à un essoufflement du mouvement de l’occupation des terres aux Antilles à partir de la fin des années 1990). « La déclaration de Basse-Terre », à l’initiative de Lucette Michaux-Chevry (présidente du conseil régional de la Guadeloupe), d’Alfred Marie-Jeanne (président du conseil régional de Martinique) et d’Antoine Karam (président du conseil régional de la Guyane), signée le 1er décembre 1999, va exactement en ce sens. Littéralement, cette déclaration, adressée au président de la République et au Gouvernement, vise « à créer un statut nouveau de Région d’Outre-Mer doté d’un régime fiscal et social spécial pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique, dans le cadre de la République Française d’une part et de l’Union européenne d’autre part (article 299-2 du traité d’Amsterdam) ». En réclamant ce nouveau statut, ces élus, notamment Alfred Marie-Jeanne, renoncent de fait à l’indépendance. En réalité, si l’on s’en tient au mouvement indépendantiste martiniquais analysé par J. Yang-Ting12, il convient de relativiser l’hypothèse même d’un tournant militant, tout au plus une inflexion à la fin des années 1990 (fin par exemple de l’appel au boycott des élections nationales) des revendications indépendantistes. En effet, le programme du Mouvement Indépendantiste Martiniquais de Marie-Jeanne, et ce, dès la fin des années 1970, est plutôt modéré : l’accession à l’indépendance est d’abord pensée comme l’aboutissement d’une prise de conscience collective progressive qui passe davantage par des ressources éducatives et culturelles : informer et éveiller « les masses » à la cause nationale. Cette stratégie non insurrectionnelle permet de rassurer les électeurs et les pouvoirs publics métropolitains, tout en diffusant lentement une conscience nationale antillaise. La mémoire de l’esclavage et de l’insurrection de 1870 entrent ainsi dans le cadre de la formation culturelle d’une nouvelle identité nationale.
7Dans un contexte politique historique local spécifique, on assiste à un processus similaire à la Réunion, même si le Parti Communiste Réunionnais a toujours préféré l’autonomie à l’indépendance. La spécificité de ce parti, très bien analysée par Gilles Gauvin, tient dans le fait qu’historiquement l’autonomie est pensée comme condition de l’instauration d’une société socialiste et comme suppression corrélative des méthodes de production capitaliste. Sans jamais renoncer à une décentralisation plus active en faveur des pouvoirs locaux, le Parti Communiste Réunionnais connaît également une transformation à la fin des années 1990 ; la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l’Union Soviétique ayant joué un rôle substantiel dans cette dynamique : « La lutte contre l’impérialisme et pour la défense des masses populaires s’est muée en défense de “l’égalité sociale”13. » Le combat identitaire se déplace sur un terrain à la fois social, humaniste et écologiste. Notre hypothèse tient dans la conversion identitaire, dans des contextes locaux spécifiques, de mouvements et de partis ultra-marins d’un combat politique indépendantiste ou autonomiste vers un combat pour une part droit-de-l’hommiste dans lequel la reconnaissance du crime contre l’humanité tient lieu de référent juridique. En lieu et place de la Révolution socialiste ou de l’indépendance, l’horizon des peuples ultra-marins se pense notamment dans l’ordre de la reconnaissance mémorielle du crime qui est à l’origine de leur identité. En faisant reconnaître ce crime par la puissance publique et la nation, il s’agit en même temps de toujours accuser un oppresseur, un colonisateur, un système esclavagiste qui a pour nom la France, et non d’encenser la République qui les a libérés de leurs chaines. Nul hasard en ce sens, avant même le dépôt de la proposition de loi de Christiane Taubira, si le conseil régional de Martinique, à l’initiative d’Alfred-Marie Jeanne, a pris à l’unanimité une résolution déclarant que « l’esclavage et la traite des nègres auxquels ont été réduits en terre d’Amérique des millions d’êtres humains arrachés à l’Afrique soient reconnus crimes contre l’humanité » (compte rendu de la séance parlementaire de l’Assemblée nationale du 18 février 1999, p. 01650).
8Le processus de transformation du régime mémoriel abolitionniste ne s’est pourtant pas réalisé d’un seul tenant. Il est même frappant de constater que la première proposition de loi (première étape) présentée par Bernard Birsinger (et soutenue par le groupe communiste) relative « à la célébration de l’abolition de l’esclavage en France métropolitaine » (proposition de loi no 792) reste, à la fois dans son intitulé et dans « l’exposé des motifs », tributaire de la seule grammaire abolitionniste. Aucune mention n’est faite du « crime contre l’humanité » pour qualifier l’esclavage (remarquons que les noms des élus communistes réunionnais ne sont pas mentionnés parmi les députés ayant soutenu cette initiative). La proposition de loi a été déposée le 31 mars 1998, c’est-à-dire au moment où les autorités officielles s’apprêtent à commémorer le 150e anniversaire de l’abolition et surtout avant la « marche silencieuse » du 23 mai et le premier colloque organisé par le Comité Devoir de mémoire d’avril 1998.
9On se souvient que l’adoption d’une journée nationale commémorant l’abolition de l’esclavage n’avait pas été tranchée au cours des débats parlementaires à l’origine de la loi de 1983. Les cérémonies entourant les célébrations du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage offrent donc une opportunité pour remettre dans le débat politique cette question non résolue. En fait, l’initiative émanant du Parti Communiste Français est plus ancienne. En consultant des copies d’archives internes au PCF que Marie-France Astegiani-Merrain a bien voulu nous prêter, on peut observer qu’une action en ce sens avait été menée dès 1993, sous l’impulsion de Jean-Claude Gayssot. Profitant de la venue prochaine du 150e anniversaire de la première abolition de l’esclavage en février 1994, le député communiste de Seine-Saint-Denis a transmis une série de lettres14, sensiblement sous le même format, notamment au Premier ministre Bérégovoy (le 2 février 1993), puis –après les élections législatives de 1993 qui signent la victoire de la droite et inaugurent une seconde cohabitation–, deux lettres au Premier ministre Balladur (le 13 septembre 1993 et le 15 février 1994), à la ministre déléguée à l’Action humanitaire et aux droits de l’Homme, Lucette Michaux-Chevry (lettre du 31 mars 1993). Arguant notamment de la dette de la France à l’égard des populations victimes de l’esclavage et de la sensibilité toujours vive des territoires ultra-marins à la question de l’esclavage, de l’existence de servitudes actuelles, Jean-Claude Gayssot se prononce clairement pour l’institution d’une journée nationale commémorant l’abolition de l’esclavage, en laissant ouvert le débat sur le choix de la date : « la date, le contenu de cette journée en métropole sont à débattre. Je pense que les ressortissants des DOM-TOM et leurs associations apprécieraient cette initiative et seraient disposés à en préciser les modalités15 ». Si l’initiative pionnière du PCF mérite d’être soulignée, force est cependant de constater que la formulation de la requête reste toute entière puisée dans une grammaire abolitionniste (il est d’abord question de célébrer l’abolition de l’esclavage). Par ailleurs, aucune mention n’est faite dans ces lettres de la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. La proposition de loi no 792 de Birsinger reste donc dans la continuité et dans la même matrice de sens que les actions antérieures menées par le groupe communiste.
10Une seconde proposition de loi (seconde étape) est déposée, toujours à l’initiative de Birsinger et du groupe communiste à l’Assemblée nationale, le 7 juillet 1998. Désormais la formulation de la loi « tendant à perpétuer le souvenir du drame de l’esclavage » sort du cadrage abolitionniste et s’inscrit ouvertement dans un cadrage victimo-mémoriel. Il n’est toujours pas fait allusion au « crime contre l’humanité » dans l’intitulé de la loi, mais cette notion apparaît clairement et pour la première fois dans « l’exposé des motifs ». C’est ici que l’on peut reformuler l’hypothèse selon laquelle la logique interne au jeu parlementaire subit directement le contrecoup de la contre-commémoration du 23 mai 1998. Bernard Birsinger fait explicitement référence à cette mobilisation collective et aux revendications du CM98 au cours de son intervention lors de la séance parlementaire du 18 février 1999 :
« Ils étaient 25 000 à manifester le 23 mai dernier à l’appel du comité pour la mémoire de l’esclavage. Aujourd’hui, nous n’octroyons pas cette reconnaissance. Nous répondons à leur exigence de devoir de mémoire. À l’occasion d’une réunion organisée le 9 février dernier, à l’initiative de mon groupe, Serge Romana, coordinateur de la marche pour la mémoire des esclaves soulignait que le devoir de mémoire était double. Les associations accomplissent le leur quotidiennement. La République doit s’engager désormais à accomplir pleinement le sien16. »
11Comme l’attestent les entretiens que nous avons eus avec Serge Guichard et Serge Romana, le PCF a été le premier soutien politique à la marche du 23 mai, notamment
« par l’intermédiaire de Serge Guichard. IL ne faisait pas partie du comité de la marche, mais il y avait au sein du comité Monsieur Lafond Galou qui était membre du PCF et, si mes souvenirs sont exacts, conseiller ou adjoint au maire à Saint-Ouen. Je crois que c’est le PCF qui a fourni le petit podium sur lequel nous étions à Nation. Par la suite, j’ai eu des contacts avec Serge Guichard et Stéphane Colonneau (qui n’était pas dans le comité). Ils nous ont soutenus pour le combat pour l’obtention du 23 mai. Ce soutien a pris la forme d’une lettre que Marie-Georges Buffet a envoyée en 2005 à Chirac pour soutenir la date du 23 mai. Le PC a été très souvent à nos côtés. Ce n’est pas hasard si le 23 mai se déroule à Saint-Denis (et ce même si nous faisons attention à ne pas nous mettre sous la dépendance idéologique d’un parti politique quelconque) ». (Entretien avec Serge Romana, le 26 mars 2013)
12Si le PCF, par idéologie anticolonialiste et par ancrage sociologique d’une partie de son électorat (notamment la communauté antillaise de Seine-Saint-Denis17), a soutenu un certain nombre de mouvements associatifs ou de propositions de loi sur la mémoire de l’esclavage (surtout à propos de la date commémorative), il a toujours été hésitant, jusqu’à la fin de l’année 1998, sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Ainsi, le 25 avril 1998, à l’approche du 150e anniversaire, le PCF organise une rencontre (sur l’initiative notamment de Babacar N’Diongue communiste d’origine sénégalaise) sur la commémoration de l’abolition de l’esclavage à Paris, sous la présidence de Francis Wurtz (député européen et responsable de la politique internationale du PCF), en présence de Francis Arzalier (historien), Eliko M’Bokolo (directeur d’études à l’EHESS) et de Joceline Chipotel (membre du PC guadeloupéen). Après consultation du programme et des conclusions de cette rencontre (rédigées par Francis Wurtz), on peut noter qu’il est question de la singularité de l’esclavage négrier, de l’histoire de son abolition, des luttes anti-esclavagistes, de la mise en œuvre de nouveaux rapports de coopération avec l’Afrique, et de l’adoption d’une journée commémorant l’esclavage. Mais à aucun moment dans le texte final il n’est fait mention de la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, alors que cette question figurait déjà dans le débat public au printemps 2008.
13Une des hypothèses pour expliquer ces hésitations, voire ces réticences, tient dans la crainte de heurter la « communauté juive » de France (par exemple la « communauté juive » de Drancy où Jean Claude Gayssot –dont le nom reste associé à la loi de 1990 sur la pénalisation du négationnisme–, avait été élu maire en 1997), le crime contre l’humanité étant associé à la Shoah. Marie-France Astegiani-Merrain18, ancienne membre du bureau national du PCF, a suivi de près l’évolution de la direction centrale du parti sur cette question :
« Il y avait une gêne de la direction centrale par rapport à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Ils savaient que la communauté juive n’en voulait pas de peur de relativiser le génocide commis contre les Juifs. En faisant une proposition de loi en ce sens, le risque était de provoquer une concurrence des victimes. » (Entretien avec Marie-France Astegiani-Merrain à Paris le 27 mars 2013)
14Cette question reste encore délicate à évoquer au sein du Parti Communiste Français et au cours de notre entretien (ce dont témoignent les nombreuses périphrases pour évoquer le sujet) où étaient présents également Robert Lalaurie19 ainsi que Serge Guichard20 par téléphone. La reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité a suscité des tensions car un certain nombre de membres du PCF, notamment d’origine antillaise, n’était pas d’accord avec la position officielle de la direction centrale du parti. Il y avait bien une réflexion sur la reconnaissance du crime contre l’humanité au sein de cette petite fraction du PCF dès le début des années 1990 :
« À l’époque, dès 1992, nous formions un petit groupe encore informel. Je me souviens, on se réunissait souvent au Trocadéro ; nous étions un petit groupe majoritairement antillais, de gauche, beaucoup de Martiniquais. Beaucoup avaient leur carte au PCF. Mais il y avait des liens aussi avec le PPM de Césaire. En 1993, on a commencé à alerter le comité central sur la nécessité de faire quelque chose sur la question de la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Mais on s’est heurté à un mur. Notre pression à gagner en ampleur au début de l’année 1998 à l’approche des commémorations du 150e anniversaire. La direction n’en voulait toujours pas. Mais nous on n’a jamais lâché. » (Entretien avec Marie-France Astegiani-Merrain à Paris le 27 mars 2013)
15Cette réflexion sur le crime contre l’humanité, parmi ce petit groupe informel de militants communiste métropolitains d’origine antillaise21, a été très largement stimulée par Marcel Manville22 en relation étroite avec « Le cercle Fanon » (qui se veut « au service de la désaliénation des victimes de l’oppression coloniale »). Avant sa mort en décembre 1998, Marcel Manville a multiplié les interventions dans l’espace public pour problématiser l’esclavage comme crime contre l’humanité23. Mais son influence s’est ressentie plus tôt dans les petits cercles communistes antillais de métropole. Il y a donc un hiatus entre une minorité d’intellectuels et de militants communistes d’origine antillaise favorable à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité et la ligne dominante de la direction centrale toujours réfractaire. Ce petit groupe informel a toutefois reçu le soutien de quelques cadres du parti, notamment Serge Guichard et Bernard Birsinger (« nous avons passé des heures dans le bureau de Birsinger pour lui faire part de nos revendications », ajoute Marie-France Astegiani-Merrain). À cela s’ajoutent les menaces de démissions des communistes antillais du PCF ; certains d’ailleurs quitteront le Parti, nous confiera Marie-France Astegiani-Merrain, face aux réticences de la direction centrale. Ces soutiens n’ont pas été suffisants toutefois pour inscrire clairement dans la proposition de loi du groupe communiste de juillet 1998 la reconnaissance de ce crime. On observe plutôt des hésitations qui témoignent de ces divisions internes : d’un côté, la référence au crime contre l’humanité dans « l’exposé des motifs », de l’autre, son euphémisation dans l’intitulé de la proposition de loi qui parle de « drame de l’esclavage » en lieu et place du « crime contre l’humanité ».
16Il faudra attendre une troisième étape, le 22 décembre 1998, lorsque trois députés communistes de la Réunion, Huguette Bello, Élie Hoarau et Claude Hoarau, déposent une proposition de loi (no 1302) relative « à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité », pour que le PCF se lance davantage dans la bataille. Encore que la proposition de loi ne soit signée que des trois députés communistes réunionnais, et non de l’ensemble du groupe communiste à l’Assemblée nationale. Si le Groupe communiste, et surtout Birsinger, sera par la suite l’un des soutiens de poids de la proposition de loi sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité (y compris sur la question des réparations), il y a encore, en cette fin d’année 1998, des hésitations de la direction centrale du Parti à s’associer au départ à cette nouvelle proposition de loi. Ce sont une nouvelle fois des communistes ultramarins –ici réunionnais– qui ont pris clairement l’initiative, en même temps que Christiane Taubira. Notons que si l’intitulé de la proposition de loi des trois députés de la Réunion n’explicite pas les origines géographiques de l’esclavage et de la traite, « l’exposé des motifs » insiste bien pour ne pas oublier la traite intra-africaine, et notamment celle pratiquée à la Réunion :
« C’est parce que nous sommes des citoyens français, c’est parce que nous sommes des Réunionnais citoyens français, et que nous avons conscience que notre peuple est né d’un crime contre l’humanité, que nous avons le devoir d’assumer, vis-à-vis de nos compatriotes et de nos ancêtres, les conditions historiques de notre naissance et de déposer ce texte devant l’Assemblée nationale24. » (« Exposé des motifs » de la proposition de loi no 1302)
17La postérité associera la reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crime contre l’humanité à la proposition de loi no 1297 déposée par Christiane Taubira le 22 décembre 1998, en oubliant souvent qu’il ne s’agit que de la dernière étape d’un processus qui commence au printemps 1998. Au cours d’un entretien accordé à Curiosphere. tv, Christiane Taubira reconnaît qu’elle a été sensibilisée relativement tardivement à la revendication de l’esclavage comme crime, suite à la rencontre de milieux associatifs au cours de l’année 1998 (dont le Comité Devoir de mémoire). Mais elle confesse en même temps que cette sensibilisation n’était pas gagnée d’avance : « Ce qui m’a conduit malgré mes fortes réticences et même mon agacement au début à rédiger une proposition de loi et à demander cette parole, dont je n’avais aucun besoin personnellement mais qui m’a paru indispensable25. » Le travail mené par les entrepreneurs de mémoire de l’esclavage en amont –qu’il s’agisse du Comité Devoir de mémoire, du Comité Unitaire pour une Commémoration de l’esclavage, des élus nationalistes ultra-marins– a produit des effets certains sur celle qui va devenir la figure emblématique de la proposition de loi. Si le formatage de la proposition de loi initiale a été largement élaboré, comme on l’a vu, par les juristes du Comité Devoir de mémoire26, il reste à Christiane Taubira et à ses collègues à faire accepter au Gouvernement et à sa majorité une proposition qui n’est pas vraiment en concordance avec la grammaire abolitionniste encore prédominante au cours des commémorations officielles de 1998.
18Si Christiane Taubira a fini par acquérir une légitimité auprès de certains milieux associatifs et d’élus ultra-marins pour porter cette loi, si elle bénéficie d’une certaine visibilité politique à l’époque, elle n’occupe pas cependant de position dominante au sein de la majorité plurielle. La députée de Guyane rencontre alors des oppositions au sein de son propre camp, la crainte étant la comparaison problématique avec le judéocide et une démystification du roman national républicain. Le problème qui s’est posé au sein du Parti communiste se repose au sein de la majorité socialiste. Au cours d’un entretien réalisé avec l’historien Sébastien Ledoux, elle relate le fait que des collègues socialistes lui ont proposé d’adopter un article unique sur le modèle de la loi portant reconnaissance du génocide arménien. Ce qu’elle refuse :
« Je résiste car pour moi il y avait à aborder dans cette loi l’aspect éducatif, culturel et économique. C’est là que je rencontre le terme “devoir de mémoire” de l’État français et que je vais l’utiliser […]. En utilisant ce concept de devoir de mémoire, je réponds à des interrogations, des réticences. Je réponds à l’inquiétude et à l’interrogation de certains députés27. »
19Ces réticences doivent se comprendre comme une résistance à l’importation d’une grammaire victimo-mémorielle au cœur du dispositif mémoriel national. Il ne s’agit plus de reconnaître les grandeurs de la France, mais une page honteuse de son histoire. On peut ainsi interpréter en première analyse (qu’il faudra nuancer par la suite) l’adoption de la proposition de loi Taubira comme une victoire d’une grammaire postcoloniale –issue moins sans doute des Subaltern Studies à l’anglo-saxonne que de la créolisation à la française– sur les grammaires abolitionnistes :
« Les élites politiques hexagonales masculines blanches ont ainsi négocié la déconstruction de l’un des piliers encore en vigueur du « roman national » –l’abolition de 1848 vue comme l’acte libérateur de Victor Schœlcher dans le cadre de la naissance de la IIe République– par l’intermédiaire d’une formule qui appartenait alors au code langagier de leur communauté discursive. Les élites politiques et intellectuelles des minorités d’outre-mer, quant à elles, ont parlé en utilisant le langage de cette communauté afin d’être entendues et reconnues28. »
20Christiane Taubira a joué ainsi une fonction de médiatrice29 incontournable entre, d’un côté, les arènes littéraires créoles, les forums d’expertise, les mouvements associatifs, les mobilisations collectives où se sont construites des grammaires post-coloniales et victimo-mémorielles de l’esclavage et, de l’autre, les arènes parlementaires dans lesquelles prédominaient encore les grammaires abolitionnistes à la veille de la discussion du projet de loi. Cette médiation n’aurait pas été possible sans les opérations de cadrage et de traduction de revendications post-coloniales dans le langage de politiques mémorielles dicibles dans les enceintes parlementaires. D’où la fonction décisive de professionnels du droit qui ont œuvré en amont au sein notamment du CDM pour traduire ces revendications dans le cadrage du devoir de mémoire et de la labellisation juridique du crime contre l’humanité, au prix cependant d’aménagements substantiels (impossibilité de poursuites judiciaires…).
21L’adoption à l’unanimité de la proposition de loi par l’Assemblée nationale ne doit pas seulement à la ténacité de Christiane Taubira, même si son engagement personnel sera largement salué par ses collègues. Plusieurs acteurs vont permettre le ralliement progressif de la majorité plurielle à la proposition de la députée. D’une part, Christiane Taubira a bénéficié du soutien de ce qu’elle appelle elle-même des « faiseurs d’opinion de gauche » :
« J’ai déposé la première version de la proposition de loi en 1998. Cela a plutôt bien marché dans un premier temps : très vite des faiseurs d’opinion de gauche tels que Jack Lang ou Laurent Fabius m’ont dit que c’était une très bonne idée. J’ai dû néanmoins beaucoup me battre durant 2 ans et demi, à l’Assemblée et au Sénat, pour que cette loi soit finalement adoptée à l’unanimité le 10 mai 200130. »
22D’autre part, la proposition de loi de Christiane Taubira sera ardemment défendue par les autres élus des DOM en séance publique à l’Assemblée nationale (notamment Léo Andy, Daniel Marsin, Camille Darsières, Michel Tamaya, Henry Jean-Baptiste, Ernest Moutoussamy, Anicet Turinay) et au Sénat (Lucette Michaux-Chevry, Georges Othily, Claude Lise, Paul Vergès), sans compter les élus communistes métropolitains. Enfin, le Premier ministre, sans lequel la proposition de loi n’aurait pu être mise à l’ordre du jour ou aurait été repoussée aux calendes grecques, « était plutôt favorable, sauf la question des réparations31 ». C’est Marc Vizy (principal relai de Christiane Taubira auprès du Premier ministre) alors conseiller technique pour l’Outre-mer de Jospin, qui a œuvré auprès du Premier ministre pour mettre la proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale (le 18 février 1999).
Les controverses mémorielles au sein des arènes parlementaires : l’adoption de la loi dite Taubira et la « dépendance au chemin emprunté »
23Le rapport no 1378 établi par Christiane Taubira-Delannon (au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République) et enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 février 1999 est un document précieux (près de 50 pages) pour analyser les motivations et les cadrages cognitifs à l’origine de la loi qui reconnait l’esclavage comme crime contre l’humanité. Précisons que ce rapport ne porte pas seulement officiellement sur la proposition de loi no 1297 de Christiane Taubira mais également sur les autres propositions de loi qui l’ont précédée (la proposition no 792 de Birsinger relative à la célébration de l’abolition de l’esclavage en France métropolitaine, la proposition no 1050 de Birsinger tendant à perpétuer le souvenir du drame de l’esclavage et la proposition no 1302 des députés communistes réunionnais relative à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité).
24À la lecture toutefois du rapport, il apparaît que ces trois dernières propositions de loi sont largement diluées ou intégrées dans la proposition de loi no 1297, la plus exhaustive, laquelle se trouve de fait au cœur du rapport et qui se trouvera par la suite au centre des débats parlementaires. Pour dire les choses un peu abruptement, Christiane Taubira rapporte d’abord et avant tout sur sa propre proposition de loi. Il n’est pas question de rentrer ici dans un commentaire détaillé de l’ensemble d’un rapport qui –après avoir restitué didactiquement les grandes étapes historiques de l’esclavage et de la traite transatlantique puis les étapes de l’abolition en France et dans le monde– cherche à justifier la nécessité de légiférer sur la reconnaissance nationale et internationale de l’esclavage comme crime contre l’humanité, sur la nécessité d’adopter une journée de commémoration nationale de l’abolition, sur la nécessité d’accorder une plus grande place dans l’enseignement et dans la recherche à la traite négrière et à l’esclavage, sur la nécessité de protéger la mémoire de l’esclavage contre toute forme de négationnisme. Nous importe d’étudier les cadrages cognitifs, les grammaires de justification, les opérations de traduction qui se dégagent de ce long plaidoyer. Remarquable est le fait que le rapport s’appuie largement sur les matrices de sens élaborées en amont dans les forums d’expertise où ont été élaborées les nouvelles grammaires de la mémoire de l’esclavage. C’est à partir de ces cadres cognitifs que le rapport justifie chaque article de la proposition de loi.
25L’expertise historienne (sont cités notamment les travaux de M. Cottias, de G. Benssoussan, de J.-M. Deveau, d’O. Pétré-Grenouilleau) est mobilisée à plusieurs titres : d’une part, pour restituer factuellement l’histoire de l’esclavage et de la traite et analyser les dispositifs politiques, sociaux et culturels qui ont conduit à l’oubli de la tragédie de l’esclavage, d’autre part, pour singulariser l’esclavage afro-américain et la traite transatlantique (du XVe au XIXe siècle), notamment par son ampleur (entre 15 et 30 millions de victimes) et sa dimension raciste, au regard des formes antiques et contemporaines de l’esclavage. C’est ainsi qu’est justifiée, d’une part, la mention spécifique de l’esclavage moderne dans l’article 1 (« La république française reconnait que la traite négrière transatlantique et l’esclavage, perpétrés à partir du XVe siècle par les puissances européennes, contre les populations africaines déportées en Europe, aux Amériques, et dans l’océan Indien, constituent un crime contre l’humanité ») qui permet de le distinguer juridiquement de la disposition du code pénal en son article 212-1 qui classe l’esclavage en général comme crime contre l’humanité. C’est ainsi qu’est justifié pour conjurer l’oubli de l’esclavage, d’autre part, l’article 2 de la proposition de loi qui demande aux manuels scolaires et aux programmes de recherche d’accorder « à la plus longue et à la plus massive déportation de l’histoire de l’humanité la place conséquente qu’elle mérite ».
26L’expertise juridique (qui reprend les travaux de P. Truche, de M. Delmas-Marty et d’E. Jos) permet de redéfinir l’espace de possibles juridiques dans l’opération de traduction de l’esclavage et de la traite comme crime contre l’humanité à la fois au regard de la jurisprudence internationale et des contraintes du droit interne. Le rapport reprend l’essentiel de l’argumentation du professeur Jos : il s’agit de déterminer un nouveau statut du crime contre l’humanité dans lequel l’esclavage et la traite pourraient trouver une place privilégiée :
« C’est ainsi. La vie, l’Histoire, le parcours des sociétés, l’évolution des rapports humains ne se conforment pas toujours absolument aux schémas judiciaires prévus par les situations courantes. En l’occurrence, qualifier la traite négrière transatlantique et l’esclavage de crime contre l’humanité relève de l’acte politique, de l’acte de justice universelle, de l’affirmation des valeurs qui dictent le respect de la personne humaine au point d’énoncer des droits de l’homme qui transcendent les législations nationales. Il s’agit de donner nom et statut à ces méfaits historiques, de les sortir de l’énoncé imprécis du code pénal32. »
27La portée politique et morale donnée à cette labellisation trouve sa consécration dans l’article 1 de la proposition de loi. L’expertise juridique est mobilisée à un second titre en vue d’étendre la loi Gayssot (articles 6 et 7 de la proposition de loi) à la négation de l’esclavage et de la traite comme crimes : « Toute association régulièrement déclarée depuis au moins deux ans à la date des faits dont les statuts stipulent la défense des intérêts moraux, la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants peut exercer les droits reconnus à la partie civile en qui concerne l’apologie des crimes contre l’humanité tels qu’ils sont établis par l’article 24 ter ».
28La littérature créole (sont surtout citées dans le rapport les œuvres de Chamoiseau et de Glissant) en tant qu’elle s’interroge en même temps sur les problèmes identitaires des Antillais tient lieu de troisième expertise et de troisième cadrage cognitif qui intervient à un double titre, d’une part, pour montrer que les sociétés antillaises et réunionnaises sont nées d’un crime fondateur resté largement dans l’oubli. D’autre part, pour se reconstruire, ces sociétés ont besoin d’une reconnaissance pleine entière qui doit engager les pouvoirs officiels sur la voie d’une politique de réparation. C’est tout le sens de l’article 5 de la proposition de loi initiale : « il est instauré un comité de personnalités qualifiées chargées de déterminer le préjudice et d’examiner les conditions de réparations dues au titre de ce crime. Les compétences et les missions de ce comité seront fixées en conseil d’État ».
29Ces trois cadrages cognitifs ont la particularité de centrer les grammaires mémorielles de l’esclavage sur les victimes et sur les descendants de victimes. C’est ce qui distingue cette proposition de loi de toutes les politiques mémorielles antérieures relatives à l’esclavage. En cela cette proposition sort clairement du « chemin emprunté33 » par les politiques publiques passées relatives à l’esclavage. À la lecture du rapport, la grammaire abolitionniste de la mémoire de l’esclavage passe largement au second plan, si ce n’est pour rappeler assez factuellement les conditions historiques de l’abolition. Les luttes anti-esclavagistes et les héros de couleur sont davantage mis en scène dans le rapport, mais largement déconnectés de toute revendication nationaliste. Surtout, cette grammaire mémorielle ne constitue aucunement le cœur de la matrice de sens du Rapport qui fait des victimes les véritables protagonistes de la proposition mémorielle.
30Si la loi finalement adoptée conserve l’intention de la proposition initiale, elle va subir, comme on le voir, des modifications substantielles suite à son passage en commission des lois et surtout dans les arènes parlementaires. Pour analyser ces transformations, après l’étude des centaines de pages d’archives parlementaires, il faut bien entendu tenir compte des rapports de force politiques : rapports de force au sein de la majorité parlementaire (domination du Parti socialiste), rapports de force (existence du « fait majoritaire ») entre le Gouvernement et les rapporteurs de la proposition (et en particulier les élus ultra-marins), rapports de force entre les deux Assemblées (l’Assemblée nationale dispose constitutionnellement du « dernier mot » en cas de désaccord entre les deux chambres, alors que le Sénat est dominé par la droite) et entre les partis politiques. S’intéresser aux rapports de force ne peut se faire en même temps sans prendre au sérieux les rapports de sens (le « travail de signification » au sens de D. Snow) dans lesquels se jouent les jeux d’argumentation et les grammaires de justification. C’est ce processus que l’on se propose désormais d’analyser.
31Si certaines dispositions de la proposition de loi ont fait l’objet de controverses dont on a va retracer les tenants et aboutissants, force est cependant de reconnaître que l’idée de qualifier l’esclavage comme crime contre l’humanité fait l’objet d’un large consensus (au moins « un consensus de façade ») parmi l’ensemble des acteurs institutionnels et des forces politiques (y compris à droite) invités à se prononcer sur la proposition, à quelques exceptions près (par exemple le député RPR Robert Pandraud de la 8e circonscription de Seine Saint Denis indique en Commission des lois qu’il votera contre le texte pour ne pas succomber au geste de la repentance et au motif « que les appréciations sur le passé reviennent aux historiens »). Si on analyse les résultats du vote en première lecture à l’Assemblée nationale le 18 février 1999, on remarque certes que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité (les 81 députés présents ou ayant délégué leur droit de vote en séance ont voté pour). Mais on constate en même temps la présence de (seulement) 3 députés du groupe RPR (qui en compte 138) et d’un seul membre du groupe UDF (qui en compte 70) ayant pris part au vote, par comparaison avec les 64 députés présents du groupe socialiste (qui en compte 250). On ne saurait donc en déduire que l’ensemble des représentants de la nation partage à l’époque la proposition de loi.
32Par ailleurs, la première partie des débats parlementaires à l’Assemblée nationale (première lecture de la proposition de loi du 18 février 1999) est marquée par une certaine violence dans les invectives entre les parlementaires qui nous éloigne d’une atmosphère consensuelle. Cette violence est liée aux réactions suscitées par les interventions dans l’hémicycle des députés Robert Pandraud qui fustige de nouveau la logique de repentance et Gilbert Gantier (député Droite Libérale) qui estime notamment que la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité « est d’une telle évidence qu’il est absolument superfétatoire de mobiliser le Parlement pour le proclamer en 199934 ». Ces positions provoquent l’ire de députés de la majorité (notamment le député socialiste Kofi Yamgnane et le député socialiste Serge Janquin qui traite Gantier de « jésuite »).
33Cette dispute doit être également replacée dans un contexte plus ancien. La droite s’est sentie en effet « humiliée » suite à une intervention de L. Jospin le 15 janvier 1998 dans l’enceinte de l’Assemblée nationale au moment où il s’agit de préparer les commémorations de l’abolition de l’esclavage : « Aujourd’hui, en 1998, proclame à l’époque le Premier ministre, l’ensemble de la France se rassemble dans des commémorations. Mais, si l’on se replace à l’époque des événements, on est sûr que la gauche était pour l’abolition de l’esclavage. On ne peut pas en dire autant de la droite. On sait que la gauche était dreyfusarde et que la droite était antidreyfusarde ». En associant la droite à la cause esclavagiste et à la vindicte antisémite, L. Jospin provoque une véritable levée de boucliers dans les rangs de la droite parlementaire dont les députés quittent l’hémicycle en conspuant le Premier ministre : « honte à vous », « démission ». « Pauvre type », lâche le président du RPR, Philippe Séguin, à l’adresse du Premier ministre. Ce clivage très vif se ressent encore au début de la séance parlementaire lorsque Gilbert Gantier rappelle explicitement l’incident qui s’est pourtant déroulé un an auparavant : « J’ai craint que ne ressurgissent certains sectarismes et certaines assimilations trop faciles. Il n’y a pas si longtemps, dans cet hémicycle même, le Premier ministre de l’actuel Gouvernement n’a pas hésité à injurier la droite en la traitant d’“esclavagiste” et d’“antisémite”. J’espère que le ton ne sera pas le même aujourd’hui35. » L’incident ne s’est pas renouvelé au cours de la séance, mais les interventions de G. Gantier ont cristallisé le début du débat autour des origines intellectuelles et historiques de la droite, le député DL l’inscrivant dans la tradition libérale et humaniste (qui aurait justement servi de socle idéologique à la cause abolitionniste…). Le départ de ce député de l’enceinte de l’Assemblée avant la fin des débats parlementaires et du vote a, semble-t-il, apaisé les tensions initiales, sachant toutefois que le nombre de députés de l’opposition est très faible en séance au cours de la première lecture de la proposition de loi.
34Malgré ces protestations (mais même G. Gantier ne cherche pas à remettre en cause la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, même s’il refuse de soutenir la proposition de loi), on pourrait s’étonner de ce relatif consensus, fût-il de façade, dans la mesure où cette proposition de loi, pour innovante qu’elle est, sort du « chemin emprunté » des politiques mémorielles relatives à l’esclavage et n’est pas donc là pour chanter les grandeurs de l’histoire de France. On aurait pu s’attendre à davantage de résistances (dont certaines viendront plus tardivement au sein de la « droite populaire » et de la part de certains historiens) de la part de parlementaires et de forces politiques attachés au régime mémoriel abolitionniste républicain.
35On peut émettre plusieurs hypothèses pour expliquer le fait qu’il était très risqué politiquement de rendre dicible dans une arène publique à la fin des années 1990 une opposition franche à la philosophie de cette proposition de loi. D’une part, émettre une protestation sur la philosophie générale du texte de loi reviendrait implicitement à cautionner des valeurs incompatibles avec celles de la « cité civique » et des droits de l’homme : justifier la France esclavagiste, pour des motifs économiques et politiques de puissance, était encore dicible dans les arènes parlementaires jusqu’au XIXe siècle, mais devient quasi-impossible, sauf peut-être à l’extrême droite, à la fin du XXe siècle. D’autre part, la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, comme on l’a vu, est déjà inscrite dans plusieurs traditions juridiques qui font autorité (l’article c du tribunal de Nuremberg, l’article 212-1 du nouveau code pénal…) et donc contre lesquelles il apparaît risqué aussi bien juridiquement que politiquement de s’élever. Enfin, le roman national républicain depuis le début des années 1990 a été largement remis en cause dans certaines de ses certitudes fondatrices, sous le coup notamment de l’institutionnalisation du régime victimo-mémoriel de la Shoah (procès Barbie, Loi Gayssot, allocution de J. Chirac du 16 juillet 1995 qui reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs…). Cette blessure narcissique nationale est susceptible de laisser place à d’autres demandes de reconnaissance mémorielles de victimes à cause de la France.
36Dire qu’il y a eu peu de protestation frontale à l’égard de la proposition de loi ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de résistances parfois larvées, parfois masquées derrière des objections juridiques ; résistances qui témoignent précisément d’un attachement, à des degrés variables, d’acteurs institutionnels (y compris de la part du Gouvernement) et de forces politiques au régime mémoriel abolitionniste de l’esclavage et plus généralement aux commémorations « positives » des « grandeurs » historiques de la France. Ce sont ces résistances qui expliquent largement pourquoi la proposition de loi initiale va subir des modifications et des amputations, qui expliquent pourquoi la proposition de loi définitive ne sort que partiellement du « chemin emprunté ».
37On peut dégager plusieurs catégories de disputes : celle concernant la spécificité de la reconnaissance de l’esclavage et de la traite négrière au regard des autres formes historiques d’esclavage ; celle concernant l’identification explicite des responsables et des responsabilités de l’esclavage et de la traite ; celle concernant la possibilité d’étendre la loi Gayssot à la répression de la négation de l’esclavage ; celle concernant la possibilité de prévoir des réparations notamment matérielles à l’adresse des descendants d’esclaves ; celle concernant l’adoption d’une journée de commémoration métropolitaine de l’abolition ; celle concernant la possibilité de passer par la loi pour améliorer la connaissance et l’enseignement historique de la traite et de l’esclavage. Parmi les farouches partisans du maintien de la proposition de loi initiale, sous réserve de quelques amendements, on retrouve les membres du groupe communiste des deux chambres et la quasi-intégralité des élus d’outre-mer. Parmi les opposants les plus actifs aux dispositions litigieuses, on trouve la droite parlementaire, notamment au Sénat où elle est majoritaire.
38Le Gouvernement, et d’abord le Premier ministre, a soutenu, on l’a vu, la proposition de loi de la députée de Guyane, ne serait-ce qu’en acceptant de la mettre à l’ordre du jour. Les choses n’étaient pas gagnées d’avance tant la grammaire mémorielle portée par la proposition de loi sort précisément du régime mémoriel abolitionniste encore largement dominant au cours des commémorations de 1998. Certes, on a souligné l’innovation de la campagne mémorielle gouvernementale, sous l’influence de Daniel Maximin, dès lors qu’un hommage, sans commune mesure avec l’expérience passée, avait été fait en l’honneur des luttes et des héros anti-esclavagistes. Mais au prix d’un silence relatif sur les victimes et les descendants de victimes de l’esclavage. Il est intéressant précisément d’analyser les registres de justification du Gouvernement pour appuyer la proposition de loi. Cette mission revient particulièrement à deux membres du Gouvernement, la Garde des sceaux, Élisabeth Guigou et le secrétaire d’État à l’Outre-mer, Jean-Jack Queyranne, en séance plénière.
39C’est dans la mesure où il n’y a pas de contradiction interne entre les grammaires mémorielles de l’esclavage que la Garde des sceaux peut tout à fait soutenir la proposition de loi, comme une suite donnée aux commémorations officielles du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. L’injonction à laquelle se réfère constamment la Garde des sceaux, véritable leitmotiv de son plaidoyer en faveur de la proposition de loi, est celle du « devoir de mémoire », adossée elle-même à des valeurs supposées consensuelles parce que « républicaines » (droits de l’homme, luttes contre les discriminations raciales). Même si le « devoir de mémoire » s’adresse d’abord aux victimes, les « valeurs » qui lui sont associées peuvent se retrouver aussi bien dans la grammaire abolitionniste/républicaine de la mémoire de l’esclavage que dans la grammaire victimo-mémorielle :
« En reconnaissant ainsi à l’esclavage le caractère de crime contre l’humanité, notion qui découle du droit naturel et qui a été consacrée en droit à l’occasion du procès de Nuremberg, nous remplissons un devoir de mémoire vis-à-vis du passé mais nous réaffirmons en même temps, au présent, notre refus de toutes les discriminations, notre amour de la liberté et de l’égalité36. »
40En dénonçant un tel crime, le Gouvernement et les parlementaires socialistes peuvent en même temps sauver la République et ses valeurs. Non seulement la sauver mais la glorifier comme le fait Louis Mermaz :
« Le devoir de mémoire est donc un acte de justice. La reconnaissance par la République française du crime que constituent la traite et l’esclavage est d’autant plus légitime et naturel que ce fut toujours dans le passé la République qui les dénonça. La Ire république a aboli l’esclavage le 4 février 1794, mais celui-ci fut rétabli dès le régime autoritaire du Consulat, en 1802, et perdura jusqu’en 1848, à travers des régimes autoritaires, pour être définitivement aboli dans les colonies française, le 4 mars et le 27 avril 1848, par la IIe République37. »
41Pas question ici de dénoncer la République coloniale. C’est redire, suite à notre désaccord sur ce point avec S. Ledoux, que l’injonction au « devoir de mémoire » n’est pas consubstantielle aux subatern studies, à une position anti-coloniale de déconstruction du roman national républicain : cette injonction est suffisamment étanche et plurivoque pour réaménager sémantiquement le roman-nation. Et c’est précisément au prix de ce réaménagement que le Gouvernement et le groupe socialiste ont pu soutenir, sans se contredire, la proposition de loi de Christiane Taubira. Lorsque certaines dispositions risqueront de trop heurter ce roman national, le Gouvernement marquera son désaccord. La proposition de loi de Christiane Taubira introduit assurément une dose inédite de grammaire victimo-mémorielle de l’esclavage (comme la loi de 1983 avait introduit une dose de grammaire mémorielle d’origine nationaliste/anticolonialiste). En cela, elle sort « du chemin emprunté ». Mais au prix d’amendements et d’amputations, cette proposition de loi peut cohabiter avec un régime mémoriel abolitionniste.
42La proposition de loi initiale subit des modifications et des amputations dès le travail de discussion en Commission des lois de l’Assemblée nationale. La volonté du rapporteur de faire une loi sur l’esclavage sur le modèle de la loi Gayssot rencontre dès cette étape des objections importantes, venant principalement de députés RPR (notamment Robert Panderaud et Richard Cazenave).
43Une première modification d’importance concerne précisément la suppression des dispositions relatives à l’extension de la loi Gayssot : la justification officielle de cette suppression est de nature juridique pour autant que ces dispositions, parce qu’elles seraient susceptibles de remettre en cause la liberté d’expression, pourraient être jugées non conformes à la Constitution. À travers cette objection juridique, il y a également la volonté politique et morale de parlementaires, comme on l’a déjà évoqué, de sanctuariser la mémoire de la Shoah. En substitution, la Commission « a adopté un article ouvrant la possibilité aux associations défendant la mémoire des esclaves de se constituer partie civile en cas d’incitation à la haine et à la discrimination raciales, de diffamation et d’injure ; ces infractions permettent en effet de sanctionner la plupart des éventuels propos remettant en cause les atrocités de l’esclavage38 ».
44En second lieu, la Commission a modifié le contenu initial de l’article 5 qui prévoyait la création d’un comité chargé de déterminer les conditions du préjudice subi et des réparations. C’est Christiane Taubira elle-même qui censure, dans son rapport, sa propre proposition de loi, sachant que le Gouvernement ne la suivrait pas sur ce point. La question épineuse des réparations présentait un double problème aux yeux du Gouvernement : d’une part, de pointer explicitement des responsabilités dans le commerce de la traite et de l’esclavage, d’autre part, s’engager dans un registre financier d’indemnisation matérielle qui ouvrirait une boîte de pandore impossible à refermer.
45En troisième lieu, la mention « des puissances européennes » dans la version initiale de l’article premier disparaît dans la version modifiée après le travail en commission. Peu d’éléments sont donnés dans le rapport pour justifier cette suppression qui a pourtant une haute valeur symbolique en ce que cette mention permet d’imputer explicitement une responsabilité dans les atrocités commises au cours de la période esclavagiste. C’est là que l’on peut reformuler l’hypothèse d’une résistance au changement (et donc une dépendance au sentier emprunté) du Gouvernement et des députés métropolitains, à l’exception des députés communistes, à toute logique de mise en accusation (sans même parler de repentance) trop explicite de la France pour ses fautes passées. Il est d’ailleurs remarquable que l’entité politique « France » ne soit point nommée (dans le texte de loi modifié) pour elle-même ou comme partie de l’Europe au titre des responsables dans le commerce infâme. Le registre d’imputation n’est qu’implicite dans la proposition de loi, alors qu’il est explicite dans l’exposé des motifs.
46En quatrième lieu, sous la pression des députés et des sénateurs de la Réunion, un amendement ajoute à l’article premier la mention de « la traite dans l’Océan indien » qui ne figurait pas dans le texte d’origine. Cet amendement qui permet de ne pas réduire la traite à sa dimension transatlantique n’a pas soulevé d’objections en commission.
47Les modifications apportées au texte de loi par les deux assemblées (au cours des deux lectures pour chaque assemblée de 1999 à 2001) reprennent certaines controverses en commission (la question des réparations), en abandonnent certaines jugées acquises (l’extension de la loi Gayssot), en ajoutent d’autres (la question de la spécificité de l’esclavage moderne, la question des programmes scolaires, le choix de la date commémorative). Du fait des rapports de force politiques différents entre les deux chambres (majorité de la « gauche plurielle » à l’Assemblée nationale, majorité de droite au Sénat), l’ampleur des amendements ne sera pas de même nature d’une chambre à l’autre : modifications de certaines dispositions litigieuses à l’Assemblée nationale, refonte entière du texte de loi au Sénat. L’essentiel des modifications a eu lieu au cours de la première lecture : en seconde lecture, l’Assemblée nationale a repris ses dispositions initiales sans tenir compte des amendements des sénateurs. Le Sénat, n’ayant pas le dernier mot, a avalisé en seconde lecture le 10 mai 2001 le texte de loi de l’Assemblée nationale.
48Si les controverses recoupent largement le clivage traditionnel droite/gauche, elles peuvent en certains cas les transcender. D’une part, le groupe communiste, souvent de concert avec des élus d’outre-mer, peut s’opposer au Gouvernement sur certaines dispositions, notamment sur la question des réparations. D’autre part, les élus d’outre-mer –les plus présents et les plus dynamiques dans les deux assemblées– même affiliés à des partis de droite, font généralement front commun pour soutenir la proposition de loi. Entre par exemple le député RPR de Martinique Anicet Turinay et le député RPR Robert Panderaud, il y a un véritable abîme qui fait que la parole publique du premier se retrouve de fait plus proche des élus ultras-marins de gauche. Nous sommes loin des divisions et des tensions très fortes entre élus domiens qui régnaient encore au moment du vote de la loi de 1983 relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage. La grammaire victimaire de la mémoire de l’esclavage a permis précisément de transcender les clivages politiques habituels entre départementalistes et nationalistes. Certes, on retrouve dans la rhétorique de certains élus affiliés à des partis autonomistes ou indépendantistes (Camille Darsières, Paul Vergès, Alfred Marie-Jeanne…) une grammaire mémorielle, centrée sur les luttes anti-esclavagistes, qui rappelle celle que l’on rencontrait au début des années 1980. Mais celle-ci, comme on l’a déjà analysé par ailleurs, se trouve largement déconnectée de revendications nationalistes d’autant plus que la nouvelle proposition de loi ne remet en aucune manière les célébrations départementales des commémorations de l’abolition de l’esclavage instituées depuis 1983. La nouveauté consiste précisément pour ces élus à mettre davantage l’accent sur une matrice de sens victimo-mémorielle, Alfred Marie-Jeanne rappelant par exemple en séance que le conseil régional de la Martinique qu’il préside « a devancé le Parlement en adoptant à l’unanimité le 10 juillet 1998 une résolution déclarant l’esclavage et la traite comme crime contre l’humanité39 ».
49À l’Assemblée nationale, en première lecture du texte de loi, la discussion porte plus spécifiquement sur trois objets de désaccord. En premier lieu, ressurgit la question des réparations qui avait déjà fait l’objet des débats en Commission : celle-ci avait décidé de retirer la mention des « préjudices subis et de l’examen des conditions de réparations » en modifiant l’article 5 initial. Le débat est relancé suite au dépôt d’un amendement (11) par le député communiste B. Birsinger et le député communiste guadeloupéen E. Moutoussamy pour rétablir l’article initial. Même si la réparation, dans l’argumentaire de Birsinger, n’est pas pensée en termes matériels, une telle mention est rejetée par le rapporteur (Christiane Taubira) qui est pourtant à l’origine de l’article : « La commission a repoussé cet amendement. Cette idée était contenue dans le texte original et il n’y a pas eu un débat sur ce point. Les discussions ont fait apparaître que l’ambiguïté demeurait très forte et que, par ailleurs, il s’agissait d’un vocabulaire très marqué en législation civile40. » Le Gouvernement, par l’intermédiaire de la Garde des sceaux, lui emboîte le pas pour repousser définitivement l’amendement : « Je ne crois pas non plus que l’on puisse se situer dans une perspective d’indemnisation qui, en pratique, serait impossible à organiser en raison de la manière dont cette traite s’est déroulée et du temps qui s’est écoulé41. »
50En second lieu, le désaccord porte sur l’article 2 de la proposition initiale (« les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire accorderont à la plus longue et à la plus massive déportation de l’histoire de l’humanité la place conséquente qu’elle mérite »). Le désaccord est placé sur un terrain juridique : les programmes scolaires relèvent du domaine réglementaire, en vertu des articles 34/37 de la Constitution de 1958, et non du domaine de la loi. Déjà formulé par des députés de l’opposition en Commission et à l’Assemblée nationale, cet argument est repris par la Garde des sceaux en séance qui demande à retirer l’article 2. Invitée à se prononcer, Christiane Taubira est prête à céder à l’objection juridique d’E. Guigou. Sous la pression cependant de députés socialistes, communistes et d’outre-mer dans l’Assemblée (le député Alain Néri scande un « Mais non ! » lorsque le rapporteur s’apprête à retirer son article), Christiane Taubira conditionne la suppression de l’article « si le Gouvernement s’engage solennellement à prendre des dispositions et à mettre en place des moyens pour, dès l’adoption du texte, aller rapidement et efficacement dans le sens que nous souhaitons42 ». Malgré l’engagement pris par la ministre, il n’est pas de nature à satisfaire les députés communistes et d’outre-mer. À la question adressée par le président de l’Assemblée nationale à Christiane Taubira pour savoir si elle maintient l’article 2, on entend dans l’hémicycle, avant même sa réponse, un concert de « oui » sur plusieurs bancs des groupes socialiste et communiste. Christiane Taubira décide alors de maintenir l’article 2 qui, après la séance de vote, est adopté, contre l’avis du Gouvernement.
51En troisième lieu, le débat concerne le choix d’une date commémorative : dans la proposition de loi initiale, le 8 février avait été proposé (en souvenir du Congrès de Vienne de 1815 qui condamne solennellement la traite négrière) espérant qu’elle soit adoptée également sur le plan international. Cette date n’a pas été retenue par les députés : outre le fait que le Congrès de Vienne fait suite à une défaite française, outre le fait que la France ne peut s’engager pour les autres nations, le député communiste Birsinger, le député RPR Anicet Turinay militent pour la date du 27 avril. Le secrétaire d’État à l’Outre-mer, si sa préférence se porte également pour la date du 27 avril, préfère toutefois s’en remettre à un décret du Gouvernement qui, après une large consultation, devra déterminer une date officielle en France métropolitaine (c’est cette disposition qui sera finalement retenue à l’issue du vote).
52Il faudra attendre plus d’un an, dans le jeu des « navettes parlementaires », avant que la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale soit mise à l’ordre du jour du Sénat. D’abord examinée par la Commission des lois (avec le sénateur UMP Jean-Pierre Schosteck comme rapporteur) le 8 mars 2000, la proposition de loi est ensuite discutée au Sénat le 23 mars 2000. Si la Commission des lois du Sénat s’accorde et soutient la philosophie générale de la proposition de loi, elle propose en revanche une refonte entière du texte qui se trouve de fait dépossédé de nombre de ses dispositions novatrices. La Commission propose ainsi de supprimer purement et simplement l’article 5 de la proposition de loi modifiée (possibilité pour les associations de se constituer partie civile pour défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants), au motif que cette disposition contrevient le principe de la liberté d’expression garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Commission propose également de supprimer, outre l’article 4 (création d’un comité chargé de proposer des lieux et des actions de mémoire), l’article 2 de la proposition de loi modifiée (disposition relative au développement de l’enseignement et de la recherche sur la traite négrière et l’esclavage), au motif, déjà formulé par le Gouvernement, que la détermination des programmes scolaires relève d’une prérogative du Gouvernement (article 5 de la loi 89-486 du 10 juillet 1989). Plus emblématique encore est la volonté de la Commission de modifier de manière substantielle l’article 1 de la proposition de loi. Au motif que l’esclavage a existé avant sa forme moderne, au motif qu’il existe des formes contemporaines de l’esclavage contre lesquelles il faut lutter, la Commission décide de retirer à la traite transatlantique et à l’esclavage négrier leur spécificité historique. Reformulé sous la forme d’une proposition générale, l’article premier s’exprime comme suit : « L’esclavage, conformément à l’article 212-1 du code pénal, quels que soient le lieu et l’époque où il est pratiqué, constitue un crime contre l’humanité43. » Cet amendement proposé par la Commission et adopté en première lecture par le Sénat est celui qui provoque le plus de controverses au sein de la commission, en séance de discussion au Sénat puis en seconde lecture à l’Assemblée nationale.
53Parmi les détracteurs (Gouvernement, groupes socialiste et communiste, élus ultra-marins) de cette modification proposée par la droite sénatoriale, deux catégories d’arguments sont formulées. D’une part, une objection juridique argue du fait que cet amendement se présente comme une « tautologie juridique » puisque l’article modifié ne fait que rappeler une disposition du code pénal et n’apporte donc rien à l’arsenal du droit. D’autre part, un argument politique, plus essentiel encore, porte sur le fait que l’article premier de la proposition de loi initiale se présente comme une reconnaissance des souffrances subies par les peuples ultra-marins (a contrario l’article amendé par les sénateurs passe outre cette politique de reconnaissance). C’est une justification que l’on rencontre tout particulièrement parmi les prises de position des élus ultra-marins, par exemple le sénateur Paul Vergès : « Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette reconnaissance est attendue dans tout l’Outre-mer, et au-delà44. »
54L’opposition à l’amendement sénatorial (qui sera adopté en première lecture au Sénat mais rejeté par l’Assemblée nationale en seconde lecture) témoigne précisément d’une particularité de la grammaire victimo-mémorielle de la mémoire en ce qu’elle s’adresse de préférence à des groupes particuliers qui ont eu à subir des souffrances à cause de la France (c’est la raison pour laquelle on peut parler également de « politiques particularistes » au sens de Claire Anzieu). Pour les élus ultra-marins, l’enjeu ne concerne pas seulement la reconnaissance de l’esclavage en général comme crime contre l’humanité (même si ces élus se disent bien entendu concernés par les formes contemporaines de l’esclavage dont la disposition du code pénal permet la condamnation), la reconnaissance d’un crime qui a affecté leurs ancêtres et dont les descendants portent encore les séquelles45. Le fait que l’amendement sénatorial supprime également l’entame « La République française reconnaît que… » va également dans le même sens d’une résistance à toute forme de reconnaissance officielle, même implicite, des horreurs que la France a commises au cours de cette période. Les sénateurs de droite en séance plénière (à l’exception des sénateurs ultra-marins), dont G. Larcher en particulier, manifestent assurément un attachement au régime mémoriel abolitionniste de l’esclavage (dans la lignée des commémorations officielles de 1998) et ne sont prêts à soutenir le principe général de la proposition qu’à la condition d’en minorer les effets sur le roman national républicain. Inversement, les élus ultra-marins en particulier, de gauche comme de droite, souhaitent aller plus loin dans la déconstruction de cet imaginaire national pour reconnaître précisément la particularité de leur souffrance. La sénatrice, proche du RPR, Lucette Michaux-Chevry s’oppose par exemple très clairement à l’amendement de ses collègues :
« J’avais déposé un sous-amendement et je voterai le texte de l’Assemblée nationale parce que prétendre que les dispositions de l’article 212-1 du code pénal, qui vise les personnes, s’appliquent aux esclaves, est faux. On l’a dit tout à l’heure, c’est surprenant, c’est triste à dire, on était moins que des objets46. »
55Le Sénat a déposé un autre amendement (qui n’avait pas été acté en commission des lois), à l’initiative de Lucette Michaux-Chevry, pour proposer une date de commémoration de l’esclavage. Non pas la date du 8 février retenue initialement par la proposition de loi, non pas la date du 27 avril qui avait la préférence notamment de députés communistes, mais la date du 23 août (en souvenir de l’insurrection de Saint-Domingue et parce qu’elle a été retenue par l’UNESCO comme journée internationale de souvenir de l’esclavage et de la traite). En dépit de l’opposition de la Commission et du Gouvernement (par la voix de Jean-Jack Queyranne), cet amendement sera adopté en première lecture par le Sénat mais rejeté par l’Assemblée nationale en seconde lecture (au motif notamment que cette date, se situant en période estivale, n’est pas de nature à avoir le retentissement attendu en France).
Le modèle de l’histoire naturelle des problèmes sociaux : des problèmes publics de l’esclavage à la création d’institutions alternatives
56L’analyse des débats en seconde lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat présente un intérêt mineur dans la mesure où ils reprennent –souvent avec les mêmes porteurs et les mêmes détracteurs de causes– les grammaires de justifications déjà formulées en première lecture. En seconde lecture, l’Assemblée nationale, toujours dominée par la Gauche plurielle, a rejeté l’essentiel des amendements sénatoriaux pour mieux rétablir la proposition de loi initialement adoptée en première lecture. En seconde lecture, malgré une opposition de principe du rapporteur Jean-Pierre Schosteck et de certains de ses collègues de l’UMP, le Sénat, sachant le rapport de force institutionnel en sa défaveur, a préféré adopter à l’unanimité le 10 mai 2001 la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale, sans déposer de nouveaux amendements.
Loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité NOR : JUSX9903435L
Article 1er
La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité.
Article 2
Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l’esclavage sera encouragée et favorisée.
Article 3
Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l’océan Indien et de l’esclavage comme crime contre l’humanité sera introduite auprès du Conseil de l’Europe, des organisations internationales et de l’Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d’une date commune au plan international pour commémorer l’abolition de la traite négrière et de l’esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d’outre-mer.
Article 4
Le dernier alinéa de l’article unique de la loi no 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Un décret fixe la date de la commémoration pour chacune des collectivités territoriales visées ci-dessus.
« En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large.
« Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d’associations défendant la mémoire des esclaves, chargé de proposer, sur l’ensemble du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations. La composition, les compétences et les missions de ce comité sont définies par un décret en Conseil d’État pris dans un délai de six mois après la publication de la loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. »
Article 5
À l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : « par ses statuts, de », sont insérés les mots : « défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants, ».
57Du point de vue des matrices de significations, la loi dite Taubira introduit indéniablement un changement inédit dans l’histoire des politiques mémorielles relatives à l’esclavage en France. Alors que les politiques antérieures véhiculaient de manière écrasante une grammaire centrée sur les célébrations de la République abolitionniste ou, de manière plus atténuée, sur les luttes anti-esclavagistes, la loi no 2001-434 du 21 mai 2001se singularise par la reconnaissance des victimes de l’esclavage. Cette sortie du « chemin emprunté », fût-elle partielle et relative, a été rendue possible par une congruence de plusieurs facteurs : des facteurs anthropologiques (le changement de statut de la victime dans les sociétés contemporaines occidentales), des facteurs institutionnels (l’extension du crime contre l’humanité dans le droit international et dans le droit interne français), des facteurs historiques (la remise en cause du roman national sous l’impact du régime victimo-mémoriel de la Shoah), des facteurs sociaux (la mobilisation des entrepreneurs de mémoire de l’esclavage issus des populations ultra-marines), des opportunités conjoncturelles (l’impact des commémorations du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage en 1998), des changements de majorité politique (la gauche au pouvoir étant historiquement et idéologiquement plus sensibilisée à la question de l’esclavage), la formation de coalitions de causes parlementaires (le front commun des élus ultra-marins et des élus communistes).
58Si cette sortie du « chemin emprunté » n’est toutefois que relative, cela tient au fait que la proposition de loi initiale a subi une série de modifications et d’amputations qui atténue son caractère radicalement novateur : qu’il s’agisse de la question des réparations, qu’il s’agisse de la mention des responsabilités, qu’il s’agisse de l’extension de la loi Gayssot. Ces résistances au changement, cette dépendance au sentier emprunté sont de nature à la fois institutionnelle (l’impossibilité juridique de poursuites pénales, la protection constitutionnelle de la liberté d’expression…) et cognitive (l’attachement structurant des acteurs politiques au roman national républicain). C’est au prix de cette atténuation de la proposition de loi initiale que le Gouvernement a pu se reconnaître, sans trop se dédire, dans une matrice sens qui contrarie pourtant, sous certains aspects, la mémoire officielle de l’esclavage au moment des célébrations du 150e anniversaire de l’abolition. La « grandeur » du devoir de mémoire, comme principe de justification, du fait de son caractère polysémique a permis de faire la jonction entre la grammaire républicaine et la grammaire de l’esclavage centrée sur les victimes : sauver l’honneur et les valeurs de la République, tout en rendant hommage aux victimes de l’esclavage. Adossé aux droits de l’homme et aux luttes contre les discriminations, le devoir de mémoire regarde du côté de la tradition républicaine/universaliste ; adossé à la reconnaissance des victimes, le devoir de mémoire regarde du côté des politiques particularistes et des études post-coloniales47. À la faveur de l’usage de cette « grandeur », l’on assiste à un réaménagement symbolique du roman républicain, plutôt qu’à sa destruction. À la faveur de ce réaménagement, le régime mémoriel abolitionniste peut cohabiter avec le régime victimo-mémoriel de l’esclavage.
59Pour synthétiser l’analyse de la « carrière » du problème de la reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crime contre l’humanité, on peut reprendre le modèle d’analyse sociologique dit d’histoire naturelle théorisé par Spector et Kitsuse48. À la différence de l’approche séquentielle conceptualisée par Jones49 dans les années 1970, le modèle d’histoire naturelle se présente moins comme un modèle d’analyse des politiques publiques que comme un modèle sociologique d’analyse des problèmes sociaux, non sans avoir cependant des implications sur l’étude de l’action publique. L’idée d’histoire naturelle signifie qu’un phénomène donné « se développe en passant par un certain nombre de phases distinctes, chacune étant caractérisée par des processus ou par des dynamiques, par des distributions de personnages, des types d’activité et des dilemmes qui lui sont propres50 ». À la différence du modèle séquentiel de Jones qui pâtit de la linéarité supposée de l’agencement des phases qui aboutissent à la décision ou l’implémentation d’un programme public, les phases constitutives du modèle d’histoire naturelle sont davantage conçues comme des idéaux-types, c’est-à-dire un processus « où le passage d’une phase à la suivante est facilité ou entravé par différents facteurs51 ». Autre différence avec l’approche séquentielle de Jones : la « carrière » d’un problème social ne débouche pas nécessairement sur sa prise en charge par les pouvoirs publics. C’est le cas par exemple lorsque des acteurs sociaux –par suspicion, rejet, défiance– préfèrent s’en remettre à « des solutions sociales alternatives » pour résoudre leur problème plutôt que d’interpeller les autorités publiques (créer par exemple des patrouilles privées plutôt que de demander un renfort policier pour résoudre un problème d’insécurité).
60La première phase du modèle d’histoire naturelle proposée par M. Spector et J. Kitsuse correspond à « l’émergence du problème à la controverse publique » : « Un groupe (ou plusieurs) tente(nt) d’affirmer l’existence d’une condition qu’il(s) défini(ssent) t comme nuisible ou dommageable (harmfull), outrageant ou choquante (offensive) ou de quelque autre façon, indésirable, et s’efforce(nt) de rendre publiques (publicize) des revendications, de provoquer l’avènement de controverses et de créer un conflit politique autour de la question52 ». L’analyse de cette phase suppose de prendre en considération le pouvoir et les ressources des groupes qui se constituent comme « publics » porteurs du problème, de la nature et de la diversité des revendications, et enfin des stratégies de promotion des revendications. Dans le cas de la « carrière » du problème de la reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crime contre l’humanité, cette phase correspond à la labellisation et la catégorisation de grammaires alternatives de la mémoire de l’esclavage dans les arènes littéraires, dans les forums hybrides, à travers les mouvements de protestation (marche silencieuse du 23 mai, pétitions…). Ces nouvelles grammaires apparaissent au cours des années 1990 et singulièrement au moment des commémorations officielles du printemps 1998. L’hommage rendu à la République abolitionniste est vécu comme un déni de reconnaissance des populations (et de leurs descendants) qui ont eu à souffrir des ravages de l’esclavage. L’une des résolutions de ce problème passe par la reconnaissance par les pouvoirs publics de l’esclavage et de la traite négrière comme crime et par la protection de la mémoire souffrante de l’esclavage.
61La formation de coalitions parlementaires porteuses de cette cause, l’adoption de la loi Taubira en tant qu’elle répond, ne fût-ce que partiellement, à des revendications émanant des entrepreneurs de la matrice victimo-mémorielle de l’esclavage correspondent à la seconde phase dans le modèle d’histoire naturelle des problèmes sociaux proposé par Spector et Kitsuse. Il s’agit de la phase de la « prise en charge par les institutions des problèmes publics » : « Une organisation, une agence ou une institution officielle reconnaît la légitimité des revendications de ces groupes. Cela peut conduire à une enquête officielle, à des propositions de réforme et à l’établissement d’agences qui répondent à certaines de ces dénonciations et revendications53. » Le modèle d’histoire naturelle, dans la mesure où lui importe avant tout la « carrière » des problèmes sociaux, ne s’attarde pas, à la différence de l’approche dite séquentielle, sur les processus de décision publique, encore moins sur les dispositifs de mise en œuvre ou d’évaluation des politiques publiques. C’est la raison pour laquelle la troisième phase idéal-typique du modèle d’histoire naturelle dite de « bureaucratisation et de déplacement des termes du problème » se concentre sur les phénomènes de réémergence de problèmes qui font suite aux insatisfactions des groupes sociaux porteurs de cause, malgré l’intervention des pouvoirs publics (sachant que cette troisième étape n’est point nécessaire lorsque les dits groupes estiment que les autorités officielles ont traité les problèmes initiaux et ont répondu à leurs revendications originaires). C’est cette troisième phase que nous nous nous proposons d’expliciter dans le prochain chapitre dans la mesure où la loi Taubira et ses suites vont cristalliser de nouveaux champs de controverses et de nouvelles mobilisations collectives.
Notes de bas de page
1 Roger Cobb et Charles Elder, Participation in American Politics : The Dynamics of Agenda-Bulding, Baltimore (Md), The Johns Hopkins University Press, 1983.
2 Jean-Gustave Padioleau, L’État au concret, PUF, Paris, 1982, p. 25.
3 Philippe Garraud, « Politiques nationales : élaboration de l’agenda », L’Année sociologique, vol. 40, 1990, p. 17-41.
4 Au vu du rapport initial présenté par Christiane Taubira (rapport no 1378 enregistré le 10 février 1999 à l’Assemblée nationale, Archives de la XIe législature), il ressort que l’« intention » initiale du rapporteur visait clairement à adopter les dispositions de la loi Gayssot pour y inclure l’esclavage, c’est-à-dire créer un délit de négationnisme de l’esclavage.
5 Henry Rousso, « Vers une mondialisation de la mémoire », Vingtième Siècle, vol. 2, no 94, 2007, p. 3-10.
6 Sur les effets sociaux des labellisations et des catégorisations, voir la contribution de Violaine Roussel, « Les “victimes” : label ou groupe mobilisé ? Eléments de discussion des effets sociaux de la catégorisation », Mobilisations de victimes, op. cit., p. 101-107 ; voir également Bernard Fradin, Louis Quéré et Jean Widmer (dir.), L’Enquête sur les catégories : de Durkheim à Sacks, Paris, EHESS, coll. « Raisons Pratiques », 1994. Sur d’autres terrains d’enquête (à propos du chômage et du paysage à la fin du XIXe siècle), Danny Trom et Bénédicte Zimmermann mobilisent la notion goffmanienne de cadres pour penser la production de labels et de catégories publiques dès lors disponibles pour problématiser « une série d’expériences quotidiennes » (Danny Trom et Bénédicte Zimmermann, « Cadres et institutions des problèmes publics. Le cas du chômage et du paysage », Les Formes de l’action collective, op. cit. p. 281-310).
7 Romain Bertrand, Mémoires d’empire, Paris, éditions du Croquant, 2006.
8 Johann Michel, « L’institutionnalisation du crime contre l’humanité et l’avènement du régime victimo-mémoriel en France », Canadian Journal of Political science, volume 44, 3, p. 663-684, 2011.
9 Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, (dir), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de sciences po, 2004.
10 Soulignons toutefois qu’il a été élu maire de Bobigny (en 1995) et député de Seine-Saint-Denis (en 1997), circonscription électorale dans laquelle réside une importante « communauté » antillaise.
11 Michel Giraud, « La patrimonialisation des cultures antillaises. Conditions, enjeux et effets pervers », Ethnologie française, XXIX, 3, p. 380.
12 Jeanne Yang-Ting, Le Mouvement indépendantiste martiniquais, Petit-Bourg, Ibis Rouge Éditions, 2000.
13 Gilles Gauvin, « Le parti communiste de la Réunion (1946-2000) », Vingtième siècle, 66, octobre-décembre 2000, p. 92.
14 Sous une autre modalité, le Groupe communiste à l’Assemblée nationale déposera une proposition de loi (à laquelle il ne sera pas donné suite) le 8 juin 1993 relative à l’instauration d’une journée commémorative pour célébrer l’abolition de l’esclavage.
15 Lettre de Jean Claude Gayssot au Premier ministre Balladur, Paris, le 13 septembre 1993. La seule trace de réponses que nous avons trouvée du cabinet du Premier ministre est celle d’une lettre stipulant que la requête du député sera examinée et transmise au ministère de l’Intérieur. En date du 11 juillet 1994 (CAB/CP : 8303/1 ; V/REF : JLT/CP), le chef de cabinet du ministère de l’Intérieur répond par la négative à sa requête en s’appuyant sur les dispositions de la loi de 1983 qui prévoient déjà une heure de réflexion dans les établissements scolaires sur la question de l’esclavage et une journée chômée dans les DOM. Le chef de Cabinet (Michel Sappin) du ministre de l’Intérieur (Charles Pasqua) explique en outre pourquoi l’accord sur une nouvelle date commémorative serait problématique : « À l’évidence, celle du 4 février ne conviendrait pas, le décret de Pluviôse an II ayant été abrogé en 1802. La date du 27 avril, en référence au décret de 1848, présenterait, elle, un autre inconvénient : celui de sa proximité avec la journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, que la loi du 14 avril 1954 fixe chaque année au dernier dimanche d’avril. »
16 Archives de l’Assemblée nationale, compte rendu de la séance parlementaire du 18 février 1999, p. 01650.
17 Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux députés communistes (Jean Claude Gayssot et Bernard Birsinger) les plus en pointe sur la question de la mémoire de l’esclavage l’ont été dans les circonscriptions de Seine-Saint-Denis.
18 Née en 1945 en Martinique, aujourd’hui retraitée, ancien cadre administratif du conseil général de Seine-et-Marne, Marie-France Astegiani-Merrain, fille et petite-fille de communistes, est toujours membre du Parti Communiste Français.
19 Robert Lalaurie, aujourd’hui retraité, membre du PCF et ancien secrétaire général de la Mairie de Drancy, a joué un rôle très important dans la mise en œuvre d’échanges et de jumelages entre la ville de Drancy et la ville de Gorée au Sénégal autour d’une réflexion commune sur le crime contre l’humanité et sur deux lieux de mémoire de la déportation (le jumelage officiel entre les deux villes a eu lieu le 27 avril 1998).
20 Serge Guichard, ancien membre du comité exécutif national du PCF, est surtout connu aujourd’hui comme président de l’Association de Solidarité en Essonne avec les Familles Roumaines et Roms (ASEFRR).
21 Une partie de ce petit groupe se constituera en association dite « Devoir de mémoire » (bien distincte du Comité Devoir de Mémoire) avec pour objectif de promouvoir « un devoir actif pour une meilleure connaissance de l’histoire de l’esclavage, du commerce triangulaire, de la traite des Noirs, dont les conséquences sont encore visibles. Elle prendra des initiatives correspondant à ses objectifs : elle œuvrera au devoir de réparation, à la reconnaissance de la traite des Noirs comme crime contre l’humanité, à la promotion de nouveaux rapports de coopération et de respect mutuel entre les hommes et entre les peuples, pour la libération humaine » (déclaration d’association « Devoir de mémoire » au Préfet de police de Paris, le 19 juin 1998). On trouve notamment parmi ses membres fondateurs Christian Robert, Henri Malberg, Babacar Ndiongue, Marie-France Merrain, Serge Guichard. L’association « devoir de mémoire » est « l’ancêtre » de l’ADEN qui poursuit sensiblement les mêmes objectifs. Née le 21 septembre 2001, à la suite de l’adoption de la loi reconnaissant la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité, l’ADEN a été fondée par Marcel Rosette, ancien sénateur-maire communiste du Val-de-Marne aujourd’hui décédé. Elle est présidée aujourd’hui par Marie-France Merrain. L’ADEN s’est notamment illustrée par l’organisation d’un important colloque à Gorée en 2007 (sous le parrainage notamment d’Aimé Césaire, de Paul Vergès, d’Angela Davis, d’Edouard Glissant). Il en est sorti un ouvrage « Les traites négrières coloniales. Histoire d’un crime », Marcel Dorigny et de Max-Jean Zins (dir.), aux éditions du Cercle d’art, en 2009.
22 Marcel Manville (1922-1998) était un avocat communiste martiniquais, co-fondateur du MRAP. Décoré de la Croix de guerre, il s’engage en 1944 dans les forces françaises libres. Compagnon de F. Fanon, il s’engage pour l’indépendance de l’Algérie. Militant nationaliste antillais, il co-fonde le Parti communiste pour l’indépendance et le socialisme.
23 Par exemple, dans une tribune « Périssent les colonies », Le Monde Diplomatique, avril 1998, p. 16 et 17. Voir également le discours qu’il devait prononcer pour le colloque de Lisbonne organisé dans le cadre du programme de l’Unesco : « la route de l’Esclave » en décembre 1998 (bien que mort quelques jours avant la tenue du colloque, son discours sera lu intégralement en son hommage).
24 Archives de l’Assemblée nationale, « exposé des motifs » de la proposition de loi no 1302.
25 [http://www.curiosphere.tv/esclavage/comprendre/interview-christine-taubira-deputee-de-la-guyane.html], consulté le 15/01/2013.
26 Sébastien Ledoux, op. cit., p. 123.
27 Ibid., p. 124.
28 Ibid., p. 127.
29 On reprend de nouveau ce concept à Pierre Müller, mais en le désolidarisant de son modèle des référentiels. On retient seulement ici l’idée que ce qui caractérise les médiateurs « est leur capacité à faire le lien entre deux espaces d’action et de production du sens spécifiques » (Pierre Müller, « Esquisse d’une théorie du changement dans l’action publique, Structures, acteurs et cadres cognitifs », op. cit., p. 183).
30 [http://www.curiosphere.tv/esclavage/comprendre/interview-christine-taubira-deputee-de-la-guyane.html].
31 Entretien avec Marc Vizy le 26 octobre 2012.
32 Archives de l’Assemblée nationale, rapport no 1378 établi par Christiane Taubira-Delannon au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 10 février 1999.
33 On rappelle que la notion de « dépendance au chemin emprunté » (Path Dependence) vient initialement de la théorie économique et a été transposée au cours des années 1990 dans l’analyse des politiques publiques (approches néo-institutionnalistes historiques). Théorisée notamment par Paul Pierson (« Path dependence, Increasing Returns, and the Study of Politics », American Political Science Review, 94 (2), juin 2000, p. 251-267), la notion de dépendance au chemin emprunté souligne le poids des choix effectués dans le passé et la sédimentation des institutions publiques dans la formation des politiques publiques présentes. Dans la mesure où des changements trop radicaux engendreraient des incertitudes et des coûts (financiers, politiques) trop importants, les politiques publiques ne sont le plus souvent modifiées qu’à la marge, en adaptant les recettes et les institutions déjà existantes. Sans pouvoir rentrer ici dans le détail des controverses que cette notion a suscitées, notons cependant qu’elle a fait l’objet de critiques pour autant qu’elle tend à majorer les continuités de l’action publique, tout en minorant certains changements importants que peuvent générer certaines politiques publiques.
34 Archives de l’Assemblée nationale, compte rendu des débats, 1re séance du 18 février 1999, p. 01642.
35 Ibid., p. 01641.
36 Ibid., p. 01640.
37 Ibid., p. 01641.
38 Archives de l’Assemblée nationale, rapport no 1378 établi par Christiane Taubira-Delannon au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la générale de la République, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 février 1999.
39 Ibid., p. 01649.
40 Ibid., p. 01659.
41 Ibid., p. 01659.
42 Ibid., p. 01660.
43 Archives du Sénat, rapport fait au nom de la Commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale par Jean-Pierre Schosteck, le 8 mars 2000, p. 21.
44 Archives du Sénat, compte rendu de la séance du 23 mars 2000.
45 Malgré la richesse de son article, nous marquons notre désaccord avec la thèse d’A. Gueye (Abdoulaye Gueye, « Memory at Issue : On Slavery and the Slave Trade among Black French », Canadian Journal of African Studies, vol. 45 Issue 1, 2011, p. 77-106) selon laquelle la production parlementaire de la loi Taubira témoignerait de l’avènement d’une « conscience noire » en France et aurait été portée par des « blacks entrepreneurs of memory » ou des « black French mnemonic entrepreneurs ». Si l’on s’appuie au moins sur les archives parlementaires, l’identification raciale n’est jamais brandie par des parlementaires qui se présentent le plus souvent comme des élus ultra-marins définis par leur appartenance partisane ou nationale. Par ailleurs, nous avons vu que les porteurs de cause (CM98) du printemps 1998 préfèrent l’identification « descendants d’esclaves » à toute forme d’identité raciale. L’auto-labellisation raciale entrera dans le débat public sur la mémoire de l’esclavage en France surtout à partir de la création du CRAN.
46 Archives du Sénat, compte rendu de la séance du 23 mars 2000.
47 Sur l’importance des études post-coloniales sur la reconfiguration de la mémoire de l’esclavage, voir Sébastien Ledoux, « “Le devoir de mémoire”, fabrique du post-colonial ? Retour sur la genèse de la “loi Taubira” », op., cit ; Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Françoise Vergès, La République coloniale, essai sur une utopie, Bibliothèque Albin Michel Idées, 2003. Voir également Christine Chivallon, « La quête pathétique des études post-coloniales », La Situation post-coloniale, Marie-Claude Smouts (dir.), Paris, Presses de sciences po, 2007, p. 387-405, 2007. Nous verrons plus loin en quoi Françoise Vergès a joué un rôle de premier-plan, notamment par ses fonctions au sein du Comité pour la Mémoire et l’Histoire de l’esclavage, dans la reproblématisation de la mémoire de l’esclavage à partir du cadrage des études post-coloniales.
48 Malcolm Spector et John I. Kitsuse, « Social problems : A re-formulation », Social Problems, 21 (2), 1973, p. 145-159 ; trad. fr. par Daniel Cefaï et Cédric Terzi, « Sociologie des problèmes sociaux. Un modèle d’histoire naturelle », L’Expérience des problèmes publics, op. cit., p. 87-107.
49 Charles. O. Jones, An introduction to the Study of Public Policy, Belmont, Duxbury Press, 1970.
50 Malcolm Spector et John I. Kitsuse, « Sociologie des problèmes sociaux. Un modèle d’histoire naturelle », L’Expérience des problèmes publics, op. cit., p. 89.
51 Ibid., p. 90.
52 Idem.
53 Ibid., p. 90.
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