8. Des murs qui parlent : l’iconographie contestataire nationaliste en Corse
p. 143-162
Texte intégral
« Quand je traite d’une œuvre d’art comme un témoignage, les petits maîtres m’apprennent plus que les génies. Car le génie projette une forme personnelle originale. Tandis que le petit maître reflète beaucoup plus la pensée commune. Dans son œuvre, on trouve bien d’avantage à s’ informer. »
Georges Duby, L’art et l’image. Une anthologie, Paris, éditions Parenthèse, 2000, p. 37.
1L’iconographie politique est un objet d’étude qui a été peu investi par la science politique en France1. La plupart des approches en la matière semblent surtout s’être orientées, dans une perspective souvent de type socio-historique, vers un examen des aspects symboliques de la matérialité de l’iconographie « officielle » afin généralement de souligner combien ses multiples supports comme « les drapeaux, armoiries, cocardes […] contribuent à rappeler le lien identitaire national2 ». Parallèlement, extrêmement rares sont les travaux qui se sont intéressés à la diffusion de l’iconographie politique dans l’espace public par d’autres acteurs que ceux relevant du pouvoir central, alors même que ce champ de recherche a pu, ailleurs en Europe dès le début des années 1990, être couvert par des ouvrages passionnants soulignant le caractère déterminant de l’investissement des murs par des représentations picturales et scripturales dans la production de certaines formes de nationalismes contestant radicalement la légitimité et l’action de l’État central3. Curieusement, aucune analyse d’envergure systématique n’avait jusqu’alors été entreprise en Corse4, territoire où pourtant, au moins depuis les années 1960, se donne à voir une abondance de messages sauvages nationalistes aux formes et contenus diversifiés5. L’article ici présenté vise à combler ce vide en exposant les principales caractéristiques du marquage iconographique de la géographie de cette île qui constitue un quasi-monopole de la mouvance nationalitaire6. Celui-ci s’intéresse ainsi aux dimensions socio-politique, identitaire et idéologique auxquelles renvoie la propagation massive de cette pratique clandestine et montre que cette manifestation originale d’un véritable nationalisme de la quotidienneté, essentiellement orientée vers la diffusion de messages faisant l’apologie de la violence, permet de mieux comprendre les spécificités de la réalité nationaliste insulaire. Comme le souligne Philippe Braud,
« l’icône, en tant qu’objet symbolique, condense des projections sur un matériau brut, dès lors investi de sens […] Il appartient à cette catégorie de signes qui, inscrits dans l’univers physique, sollicitent directement les sens à travers des codifications suggérées par les choix de supports, de formes ou de genres esthétiques7 ».
2Les marquages souvent grossiers de l’espace mural par les signes contestataires fonctionnent ici comme autant d’empreintes iconographiques qui offrent au spectateur attentif un état des lieux de l’actualité et des cadres cognitifs du nationalisme, de ses mutations, de ses ambitions et peut-être même du devenir de cette famille politique.
État des lieux
Précis méthodologique
3L’entreprise de recensement des graffitis observables sur le territoire de la Corse8 a nécessité, préalablement à sa réalisation, l’élaboration d’une grille d’observation qui, accompagnée d’un système succinct de codage, comprenait plusieurs rubriques destinées à déterminer rigoureusement :
- le nombre d’inscriptions constatées (une ou plusieurs figurants sur un même support) ;
- leurs caractéristiques en termes de couleur et de visibilité ;
- l’aspect formel qu’elles empruntent selon qu’il s’agisse d’un graffiti, d’une fresque ou d’un dessin ;
- le type de message délivré lorsque celui-ci est d’inspiration nationaliste ;
- leur localisation géographique (zones urbaines ou rurales) et les supports investis.
4Muni d’une telle grille, chacun des deux chercheurs s’est rendu, au cours du printemps et de l’été 2010, dans deux régions du territoire insulaire volontairement choisies en raison de leurs caractéristiques différentes (zones littoral et montagneuse de Cargèse, Porto et Corte ; zone urbaine des environs de Porticcio). Il s’agissait alors d’y parcourir les routes en voiture afin de « tester » in situ l’instrument méthodologique conçu et d’évaluer les problèmes matériels auxquels était susceptible de se heurter la démarche de collecte envisagée. Ces premières confrontations au terrain ont immédiatement permis de constater, parallèlement au criblage par balle des panneaux de signalisation routiers et à l’effacement quasi-systématique des noms de village rédigés en français qu’ils indiquent9, l’importance quantitative et la grande variété des tags nationalistes dans le marquage de l’espace public. Celles-ci ont aussi mis en évidence la difficulté de mener efficacement ce type de recherche en agissant seul. En effet, conduire un véhicule sur d’importantes distances et sur des routes souvent très tortueuses ou en mauvais état, repérer des inscriptions visibles dans les deux sens de la circulation, s’arrêter dans des zones de montagne peu propices au stationnement afin de pouvoir les photographier dans de bonnes conditions, renseigner correctement les nombreuses rubriques de la grille d’observation, couvrir à pieds de vastes espaces urbains, etc. constituaient autant de contraintes auxquelles il serait plus aisé de faire face en ne travaillant pas de manière isolée10. C’est pourquoi, par la suite, la phase principale de recueil des tags a été menée en commun pendant une dizaine de jours à la fin du mois de mars 2011 (période durant laquelle certaines parties du réseau routier ne sont pas encore encombrées par l’afflux des touristes).
5Au cours de ces trois moments successifs d’enquête, 1 050 kilomètres de routes ont été parcourus soit une très large partie du territoire insulaire carrossable. Plus de 90 % des routes nationales ont été explorées puisque seulement 51 km de routes nationales (sur les 588 existants) n’ont pas été visités. Nous avons aussi veillé à emprunter d’importantes portions routières départementales tant en montagne qu’en bord de mer (plus de 460 kilomètres de départementales) ainsi que plusieurs chemins secondaires en terre. Ce travail a été complété par un quadrillage systématique, accompli à pied, de l’ensemble des rues de plusieurs villes (notamment Corte, Sartène et Calvi) et de quartiers entiers des deux principales citées corses (Bastia et Ajaccio).
6De la sorte a pu être élaborée une sorte de « photographie » précise de la réalité iconographique insulaire qui n’est cependant valable que pour un instant « t ». En effet, cette réalité ne peut être considérée que comme évolutive et soumise aux aléas de l’actualité : aux graffitis de fraîche date répertoriés –souvent en lien avec une série d’arrestation ou l’apparition de micro-partis cherchant de la visibilité– peuvent s’en être ajoutés, depuis lors, d’autres encore plus récents sur le terrain couvert. De même, des tags ayant fait l’objet d’un recensement malgré une faible lisibilité (indiquant que leur existence remonte parfois à plusieurs années) seront certainement amenés à disparaître dans un proche avenir, définitivement désagrégés en raison de l’écoulement du temps et des intempéries. À ces phénomènes s’ajoute, bien évidemment, celui de l’effacement volontaire de certaines inscriptions, souvent les plus violentes et jugées dérangeantes (menaces de mort pas exemple) qui, aisément perceptible, peut résulter d’initiatives privées (un propriétaire recouvre d’une couche de peinture un tag inscrit sur le mur de sa villa) ou de pratiques plus méthodiques de nettoyage dont sont en charge les services de la voirie, en particulier dans les villes.
7Apparition, disparition, datation de messages parfois enchevêtrés sur un même support, apparaissent comme des problèmes récurrents auxquels le chercheur est confronté dans une entreprise de recueil qu’il souhaite la plus précise et la plus exhaustive possible. S’en greffe d’ailleurs un autre non moins épineux : qui sont les auteurs des inscriptions constatées ? Le caractère clandestin de l’acte à l’origine de leur production et la dimension anonyme des messages (aucun tag recensé n’est accompagné d’une quelconque signature personnalisée) rend impossible l’identification de ceux qui décident d’y recourir. Si la pluralité des taggeurs et de leurs profils ne fait aucun doute, l’évaluation quantitative de leur importance numérique s’avère tout aussi irréalisable. Dès lors, une posture prudente s’impose : il convient de ne pas voir en chaque Corse un graffeur en puissance en raison de la forte implantation de l’iconographie sauvage sur l’île. Si sa densité a pour effet de rendre extrêmement visible et de démultiplier la présence du message nationaliste dans l’ensemble de l’espace public, elle peut parfois ne résulter, dans certaines zones localisées, que de l’activisme d’un seul et même individu facilement repérable en raison d’un type singulier d’écriture par lequel il investit l’environnement de slogans répétitifs. De la même façon, si, on le verra, l’espace mural est investi de façon quasi monopolistique par des signes nationalistes, rien ne permet de penser que les entreprises de bombage sont le fait d’organisations structurées ou même uniquement de militants nationalistes. Enfin certains messages à caractère raciste ou xénophobes ou même violemment agressifs à l’encontre de telle ou telle catégorie d’individus ne peuvent être attribués aux seuls acteurs nationalistes, même s’ils semblent souvent compléter une logorrhée identitaire reconnue.
La réalité iconographique en Corse (présentation de la base de données)
8Le bombage sauvage en Corse se caractérise par la pratique du graffiti au dépend d’autres répertoires d’action iconographiques comme les fresques, les pochoirs, l’usage des affiches ou des stickers, très répandus en Euskadi ou en Ulster. Le graffiti constitue de loin la forme d’expression iconographique privilégiée (près de 81 % des observations), bien avant le dessin (environ 10 %), les pochoirs (2 %) et les fresques (moins de 1 %). Comparé à l’Ulster, à l’Euskadi et même à la Sardaigne11, il n’est pas excessif d’évoquer l’idée d’un registre iconographique nationaliste de type amateur qui, caractérisé par des pratiques et des savoir-faire au faible degré de perfectionnement, se réduit le plus souvent à la simple mention d’un mot unique, d’une courte phrase hâtivement rédigée à l’aide d’une bombe de peinture ou à la confection d’une représentation picturale extrêmement peu élaborée12. Particulièrement rares, les fresques sont de surcroît bien loin de revêtir le degré d’achèvement artistique des murals13 ou la richesse des affiches et stickers en Pays Basque14. À la pauvreté de la mise en forme matérielle des messages diffusés répond d’ailleurs celle de leur fond : ici pas de riches et multiples références écrites et imagées à des items historiques et culturels, mais bien davantage l’expression d’une représentation du nationalisme visant prioritairement à faire l’apologie du mythe guerrier.
9Très bien distribuée sur l’ensemble de l’île, la pratique iconographique militante apparait pourtant nettement plus prononcée dans les grands centres urbains mais également dans des lieux fortement investis par une tradition contestataire (Corte en raison de l’implantation de l’université) ou symbolique (Cargèse, terre d’origine d’Ivan Colonna ; Aléria où le mouvement nationaliste est né ; Ponte Novu, lieu symbolique de la Corse indépendante du XVIIIe siècle). Même si de l’avis de nombreux observateurs la pratique du bombage a tendance à diminuer au fil des ans et au gré de la baisse d’influence des formations nationalistes clandestines, elle demeure quantitativement forte. Nous avons relevé 774 occurrences, ce qui correspond à un tag tous les 1,8 kilomètres. Même si on ne peut réfléchir en terme de régularité, la carte ci-dessous atteste d’une couverture géographique que l’on pourrait qualifier de totale :
10Si le tag est majoritairement une pratique urbaine, ce n’est pas le cas en Corse où l’ambition prosélyte du bombage politique conduit ses promoteurs à en assurer la visibilité sur l’ensemble du territoire, majoritairement rural. La relative discrétion que permet le bombage en pleine campagne sur une île très peu peuplée hors période estivale participe évidemment également à l’importance de ce phénomène hors des villes.
11Autre spécificité insulaire plus remarquable en la matière : la quasi-totalité des écrits ou représentations iconographiques (94,7 %) revêtent une dimension nationaliste. Ceux-ci se répartissent essentiellement en quatre grandes catégories. Celle qui prédomine (27,4 %) renvoie au registre de la violence au sein de laquelle le sigle « FLNC » représente plus de 3/4 des occurrences. La seconde (près de 21 %) comprend des slogans à caractère politicien qui se limitent généralement à l’affichage de l’acronyme, du sigle d’un parti nationaliste existant ou disparu (ANC, Cuncolta, Corsica Libera, etc.) ou du nom d’un de ses principaux leaders. Vient ensuite la catégorie identitaire faisant l’apologie de l’île, de sa terre et de sa culture (près de 20 %). Enfin, les tags racistes et xénophobes représentent 16,7 % du corpus. Parallèlement, les autres catégories (blagues, rejet des forces de l’ordre, lutte contre la drogue, etc.) apparaissent plus marginales puisqu’elles ne représentent généralement pas plus de 2 % du corpus constitué. Seule la catégorie mémorielle, constituée pour une grosse moitié de rappels des noms de militants nationalistes assassinés et pour un tiers d’énoncés à la gloire d’Yvan Colonna, avoisine les 8 %.
12Une dernière particularité mérite encore d’être soulignée qui concerne les endroits et les matériels faisant l’objet de l’investissement scriptural et iconographique dont la grande majorité relève de la puissance publique. Certes, les murs d’habitations privées (près de 20 %) et de bâtiments publics (25 %) constituent à part quasi égale la moitié des lieux sur lesquels s’affichent les messages. Toutefois, si l’on opère une distinction entre les supports « publics » (murets bordant les routes, transformateurs EDF, murs d’édifices publics, panneaux de signalisation, abri bus, etc.) et les supports « privés » (murs de maisons ou de villas), ces derniers ne représentent que 19,95 % du corpus contre 80,05 % pour les premiers.
Les ressorts utilitaires de l’iconographie sauvage
13En Corse comme ailleurs, le graffiti politique, qu’il soit accompagné d’une représentation picturale ou qu’il se présente sous la seule forme d’un trait d’écriture ou d’un slogan, répond à plusieurs objectifs dont témoigne la densité de la couverture murale sur l’île. On proposera de distinguer les ressorts sociopolitiques de l’iconographie nationaliste (1) de son utilité identitaire (2), auxquels on ajoutera une lecture plus idéologique de cette pratique (3), en lien direct avec la volonté de rupture avec l’État qui s’affiche sur les murs.
Les lectures sociopolitiques de l’iconographie nationaliste
14À l’image du nationalisme politique qu’il soutient, le tag contestataire rappelle le besoin des entrepreneurs nationalistes de s’imposer dans un système politique institutionnel clos16. Près de 21 % du corpus relevé17 renvoie à des tags dont la dimension directement politique vise à faire connaitre un parti politique ou un leader nationaliste en affichant son nom ou son sigle. Avec seulement 4,40 % de tags politiques non nationalistes, on saisit immédiatement l’ambition prosélyte de cet outil publicitaire qu’est l’inscription militante sauvage, laquelle permet aux formations nationalistes (a cuncolta, Corsica Nazione, MPA, ANC, a Manca naziunale, Scelta para, etc.) une très forte –et durable– visibilité publique18. Alors que le système clanique a pendant longtemps tenu à l’écart de la scène politique et électorale les formations régionalistes contre lesquelles il tentait de maintenir son monopole sur la vie publique, le bombage sauvage –comme la violence politique– constitue un moyen d’affirmation et de popularisation du combat politique ancré dans l’histoire du mouvement identitaire19.
15Le tag relève de ce que Lyman Chaffee a appelé la « low technology mass communication »20. Déroutante dans un monde de high technology, celle-ci revêt pourtant des avantages communicationnels certains : durabilité des inscriptions, ancrage dans un territoire, liberté des messages, etc. Si les formations nationalistes ont longtemps été marginalisées de la scène publique, elles useront du spectacle de la violence mise en scène mais aussi de la diffusion de leurs idéaux à travers le tag de rue comme des moyens d’attraction des médias officiels. Ainsi, les représentations de cagoulés, les bombes ou les cercueils peints sur les murs de villas ou de bâtiments publics, les accusations nominatives à l’encontre des forces de l’ordre ou de certains hommes politiques de premier plan favorisent la médiatisation en offrant aux caméras des grandes chaines nationales une traduction imagée, claire et simpliste des tensions politiques dans l’île21. En forçant le regard de la caméra, les formations clandestines s’assurent une visibilité médiatique à moindres frais. La relativement bonne visibilité des tags nationalistes et leur forte présence sur les lieux de passage (zone urbaine, bord de routes, chemin en terre unique menant à certains lieux médiatisés comme la paillote « Chez Francis » à la Cala d’Orzu) attestent cette recherche de notoriété22.
16Le tag nationaliste a également une fonction de mobilisation élective en s’adressant à la communauté nationaliste et, au-delà, au « peuple corse » que les formations nationalistes prétendent incarner23. Les tags directement politiques d’appel au vote en faveur des partis nationalitaires accompagnent les affiches qui fleurissent en période électorale. Même si ce dernier moyen de communication est assez largement répandu dans toutes les formations politiques, le tag reste un véritable monopole nationaliste qui inscrit durablement dans l’espace public les ambitions électorales de ces partis. Que ce soit le registre politicien (21 % du corpus) ou celui plus diffus qui loue l’identité (20 % du corpus), l’appétence élective est indéniable qui associe à la défense consensuelle de la Corse les formations nationalistes.
17Enfin, le tag sert aussi les desseins de chaque parti nationaliste en proie, au sein d’un espace politique très concurrentiel, avec des formations rivales. L’histoire du nationalisme corse se caractérise par un très haut niveau de fragmentation politique que ce soit dans la sphère officielle (trois partis dits nationalistes et deux partis affichés comme régionalistes se sont longtemps affrontés) ou clandestine (trois grandes organisations paramilitaires ont majoritairement œuvré en Corse où l’on a pu compter jusqu’à 30 sigles clandestins différents). Exister sur un champ politique protestataire nationaliste très concurrentiel est une nécessité qui implique un usage récurrent et intensif du bombage. Ce dernier permet en effet de signer la réalité politique du mouvement et de l’inscrire partout et de manière permanente dans l’espace public qu’il ambitionne de représenter24.
Les lectures identitaires de l’iconographie nationaliste
18Si les tags nationalistes relèvent pour la plupart de l’affirmation identitaire, ils ne sont que très indirectement des instruments de promotion culturelle, à la différence de ce que peut afficher l’iconographie murale en Ulster ou en Euskadi, peu avare de représentations historiques (scènes de batailles) et d’affirmations essentialistes (souvent d’inspiration religieuse). Pour la plupart rédigés en langue corse (plus de 95 % des phrases du corpus), les graffitis sont très peu à défendre ou promouvoir expressément l’usage de cette langue ou à proposer une filiation historique singulière. Seules 7 références à l’histoire paolienne ou à la langue vernaculaire peuvent être comptabilisées sur les 154 tags relevant du registre identitaire25. L’immense majorité des référents identitaires renvoie au sigle pictural du contour de l’île –généralement tracé grossièrement (66 occurrences)– et, de façon beaucoup plus anecdotique, au dessin d’une tête de maure (4 occurrences).
19Peu « pédagogique », la culture iconographique nationaliste n’en a pas moins une ambition identitaire affirmée qui passe par une tentative de délimitation ou plutôt de remodelage des frontières de l’identité insulaire26. L’usage du corse est de rigueur, mais le caractère extrêmement sommaire des slogans proposés limite le propos à une seule affirmation le plus souvent belliciste. Sauvagement inscrit sur les murs de Corse, le tag nationaliste n’est pas tant destiné à faire voir l’identité insulaire mais bien davantage à afficher une identité singulière : celle des acteurs clandestins violents mis en scène sur les façades de l’île. C’est ainsi que plus de la moitié des référents identitaires concernent la nécessaire défense de la terre ou affirment l’exigence de liberté au moyen d’un énigmatique « Libertà » dont on ne sait s’il renvoie à un mot d’ordre philosophique ou à un programme d’action aux perspectives inévitablement violentes. De même, le type d’inscription le plus fréquent sur les murs est celui qui se rapporte à la violence (27,43 % des tags répertoriés) et, au sein de cette rubrique, le sigle du mouvement clandestin armé FLNC domine largement (77,83 %). Si on ajoute les référents mémoriels (8 %) dont un gros tiers concerne la figure héroïsée d’Yvan Colonna27 (34 %) et près de la moitié des rappels de militants tués ou disparus ces dernières années, ainsi que les propos menaçants racistes ou xénophobes à l’encontre des « Français » ou des Maghrébins (16,7 %), l’espace public investi par les nationalistes apparaît bien comme un espace dominé par les référents guerriers ou bellicistes.
20Le marquage public de l’île par l’iconographie politique permet ainsi le travestissement intéressé d’une identité davantage centrée sur l’activisme clandestin et l’opposition conflictuelle avec l’autre que sur l’affirmation d’une culture à défendre. Ce faisant, les nationalistes radicaux les plus présents sur le terrain iconographique fondent une identité violente et totalisante qui légitime leur activisme - devenu élément de la culture de l’île - et cannibalise les autres formes, plus consensuelles, d’identitarisme (le chant, la langue, la cuisine, etc.)28.
21En complément de cette ambition hégémonique, l’iconographie nationaliste telle qu’elle s’affiche vise aussi à pérenniser l’idée ou l’illusion d’un conflit permanent et radical entre la Corse et l’État français. La forte présence de certains slogans comme « Indipendenza », « Libertà », « LLN », le rappel constant du « FLNC » ou « ribellu29 » ainsi que le rejet –moins visible toutefois- des forces de l’ordre (2,07 % des tags enregistrés30) contribuent à façonner une réalité fantasmée : celle d’une île en guerre avec un État colonial étranger. L’objectif de cette couverture picturale de l’espace public en déconnexion totale avec la réalité politique d’une région nullement militarisée, permet aux formations nationalistes de prospérer en s’érigeant comme les remparts naturels face à un ennemi qu’ils inventent en le représentant. Ce marquage violent du territoire, accentué par ce que Jeremy Mac Clancy appelle le « roadsign protest31 » –le criblage systématique par armes à feu des panneaux indicateurs routiers–, favorise également un sentiment de toute puissance qui indique que le prosélytisme iconographique s’adresse tout autant aux militants qu’à un public extérieur à la communauté nationaliste. La présence régulière en bord de route du sigle « FLNC » ou du regard menaçant d’un visage cagoulé rappelle la présence invisible –mais constante- des acteurs nationalistes clandestins, lesquels s’instaurent ainsi en vigie attentive sur la moindre parcelle du territoire de l’île. L’iconographie sauvage permet un monitoring imperceptible mais réel de la communauté insulaire, signe l’appartenance du territoire à un groupe et rassure la communauté clandestine sur sa présence intrusive dans le champ politique32.
22Enfin, l’iconographie nationaliste permet à cette même communauté d’imposer des normes qui prétendent encadrer des citoyens spectateurs. En appelant à la commémoration des « soldats » du Front morts pour « la cause », les tags viennent ainsi proposer des référents héroïques qui, en accord avec l’idéologie du mouvement, sont pourtant assez éloignés d’une morale collective nationale. Les inscriptions de menaces parfois explicites associant tel patronyme aux forces de l’ordre (« untel = balance de flics ») rappellent que le silence civique est une vertu que nul ne saurait oublier faute de voir son existence menacée. Parallèlement, l’importance numérique des tags racistes à l’encontre des populations maghrébines de l’île ou des français continentaux (le fameux « IFF », « I Francesi Fora » : « Les Français dehors ») permet de mettre en exergue une double catégorie de citoyens opposant les Corses « de souche » aux autres appelés à s’effacer33. Sur un plan nettement plus moralisateur, le nationalisme radical corse propose également une série de campagnes anti-drogue, souvent violentes, dont on retrouve sur les murs de l’île les reflets. Une dizaine de bombages, parfois associés à des relents racistes et surtout réalisés à destination de la jeunesse34, prennent directement pour cible les dealers qu’ils menacent et condamnent toute forme de trafic et de consommation de stupéfiants.
Les lectures idéologiques de l’iconographie nationaliste
23Anthony Oberschall évoquait dans un article la nécessaire production par les entrepreneurs nationalistes d’un « cadre cognitif de crise »35 propre à transformer la perception routinière du monde social en une vision hostile et dangereuse dans laquelle l’autre apparaît comme une menace qu’il faut détruire. Il insistait par là même sur l’importance des cadres de perception militants pour mener à bien une action collective, fût-elle criminelle36. Si l’iconographie contestataire en Corse ne propose pas une lecture apocalyptique de la situation sociopolitique, elle contribue néanmoins à la constitution d’une « opinion publique du refus »37 en réagissant aux yeux de tous à l’actualité38. Véritable caisse de résonance de la perception insulaire de l’actualité, l’iconographie nationaliste propose un cadre cognitif de rejet de l’État et de ses institutions ainsi que de défense de certaines valeurs ou postures en réaction à la légalité publique.
24Le soutien perceptible sur les murs de l’île à Yvan Colonna, l’assassin condamné du préfet Claude Erignac, peut être lu de deux façons. D’une part, comme la défense d’un homme dont la culpabilité serait douteuse car établie par un État dont la légitimité est contestée. D’autre part, comme la défense d’un acte : celui d’un criminel/militant coupable du meurtre/exécution du plus haut représentant local de l’État qui, à ce titre, doit être perçu comme un « modèle national ». Dans les deux cas l’opinion rendue publique s’oppose frontalement à celle de la légalité républicaine, soit qu’elle conteste la parole judiciaire, soit qu’elle approuve un assassinat politique.
25Derrière l’affichage de cette parole subversive se manifeste l’illusion d’une pratique véritablement démocratique, offrant au « peuple corse » une parole dégagée de la contrainte légaliste qu’impose un État jugé colonial. L’iconographie vaut ici pour ce qu’elle exprime : l’expression d’une voix populaire, ouverte à tous, l’accès à un espace public rendu plus démocratique, rejoignant ainsi les paroles libérées qui pouvaient se manifester à travers les tags des soldats mutins de 191739 ou dans les inscriptions séditieuses de la période de la Commune40, toutes deux déjà fort bien analysées.
26La fondation d’une culture murale de résistance à la parole d’État ne trouve pas qu’à s’exprimer dans les propos séditieux41. Celle-ci concurrence également la puissance publique dans son monopole sur l’identification institutionnelle. Ce que Joe Hermer et Alan Hunt appellent les « official Graffiti », sigles apposés par les acteurs de la gouvernance pour limiter ou encadrer les actions de chacun (« no smoking », « ne pas entrer », « sens interdit », etc.), trouvent dans les bombages contestataires leurs pendants nationalistes42. Non seulement les taggueurs reproduisent une forme de gouvernance généralisée des mouvements et interdits en usant des façades de l’espace public pour prévenir, avertir, menacer et borner les actes et pensées de tous, mais encore ils colonisent les lieux mêmes de présence de la parole institutionnelle en s’affichant sur les panneaux de signalisation ou les poteaux indicateurs d’entrée dans les villages, presque tous systématiquement bombés43. Certains symboles de la présence de la puissance publique sont également systématiquement la cible de messages nationalistes, comme les transformateurs EDF dont la surface lisse en bord de route invite tout autant à l’activisme que le statut d’entreprise publique qu’ils incarnent. Si les « graffitis officiels révèlent que non seulement la gouvernance s’effectue à distance mais que ses auteurs demeurent invisibles44 », on ne saurait mieux dire concernant les graffitis contestataires destinés tout autant à réguler l’espace social en imposant une contre-culture de substitution à la parole d’État.
Pour une anthropologie du « banal nationalism » contestataire
27L’iconographie contestataire en Corse vient rappeler à l’analyste des phénomènes nationalistes que ceux-ci ne sont pas l’apanage d’entrepreneurs autorisés ou de la puissance publique, mais que le nationalisme révèle toute sa force de persuasion dans son instrumentalisation des outils et des moyens ordinaires de communication ainsi que des supports les plus routiniers. Yves Déloye le souligne avec justesse en insistant sur « les multiples pratiques invisibles qui parviennent à fabriquer et plus encore à entretenir, les identités en politique. Loin d’être seulement le résultat de l’action volontaire, instrumentale des élites ou des mouvements idéologiques ou encore des appareils idéologiques d’État que ces derniers contrôlent, la diffusion du sentiment d’appartenance politique comme la capacité de s’identifier à une « communauté imaginée » empruntent des voies variées et non univoques et reposent sur des processus largement inconscients45 ». Ce sont bien les pratiques ordinaires, répétitives, populaires et donc perçues sans le filtre d’une culture élitiste, qui favorisent la diffusion et l’efficacité symbolique du nationalisme.
28Nous poserons l’hypothèse que ce « nationalisme banal46 » trouve dans les graffitis et bombages sur les murs de Corse une forme de représentation et de diffusion particulièrement efficace. La sur-visibilité du phénomène induit une forme de naturalisation dans l’espace public qui favorise l’intériorisation du message nationaliste même si celle-ci ne signifie pas son acceptation. À l’inverse de Billig pour qui ce nationalisme du quotidien est particulièrement valorisé par l’État via un processus de socialisation des citoyens impliquant le développement de pratiques ordinaires aux finalités nationalistes, nous insisterons ici sur le rôle des acteurs contestataires dans cette insertion dans la quotidienneté pour transmettre leur message politique.
La naturalisation d’un nationalisme guerrier
29On l’a vu, la couverture du territoire insulaire par les inscriptions iconographiques s’avère très dense et l’on peut raisonnablement penser qu’elle est fonction de la présence des formations nationalistes dans l’espace public. Plusieurs éléments photographiques semblent d’ailleurs indiquer que l’actualité iconographique revêtait une plus forte acuité lorsque les mouvements nationalistes étaient à leur apogée électorale (au début des années 1990) ou militante (dans les années 198047). Plus encore, la pratique iconographique sauvage est presque exclusivement le fait des nationalistes qui s’approprient ainsi symboliquement l’ensemble du territoire48. On peut parler d’une véritable « colonisation de l’espace public » par les formations ou sympathisants nationalistes qui diffusent leurs messages à moindres frais et avec très peu de risques49. L’usage systématique d’inscriptions ou de slogans formulés en langue corse, le refus affiché de la France et de ses institutions, le rejet du français comme langue commune, l’utilisation du sigle du contour de l’île comme pendant de la représentation hexagonale50, les quelques testa mora en lieu et place du drapeau tricolore… Tous ces bombages participent d’une volonté de conscientisation nationaliste, concurrente du travail de socialisation étatique.
30Les inscriptions durablement installées sur les murs de l’île sont inévitablement propices à un processus d’intériorisation invisible et insensible dont il est évidemment difficile de mesurer la portée51. Plusieurs discussions avec des passants ont donné lieu à des commentaires blasés sur la naturalisation de ces inscriptions : « Je ne les vois même plus » ; « Je les vois sans les voir » ; « Je passe devant mais je ne les remarque qu’à peine », etc. Si elles influent sur les spectateurs involontaires, ces traces iconographiques le font sans violence ni insistance, de façon routinière et ainsi de manière d’autant plus efficace52. Pourtant, certaines personnes avouaient aussi être contrariées ou à l’inverse séduites à la violence de certains messages ou à la vue répétée de certains dessins, réunissant les deux formes du nationalisme que Billig oppose. Au nationalisme du quotidien invisible et noyé dans des pratiques bénignes, s’ajoute un nationalisme « chaud » emprunt d’émotions et d’attraction spectaculaire. L’iconographie contestataire en Corse marrie les deux approches en naturalisant dans l’espace de la quotidienneté (sur les murs des villes, sur les équipements publics, sur les parois rocheuses de bord de route, etc.) des messages politiques extrêmes, le plus souvent violents, parfois présentés de façon spectaculaire53.
31Car le message nationaliste offert à la vue de tous est différent de celui qui anime les plaquettes des partis et mouvements officiels. On parlera d’un nationalisme guerrier en complément du nationalisme politique des formations institutionnalisées. Si ces dernières peuvent parfois affirmer leur solidarité avec les acteurs clandestins, elles se doivent, par souci de respectabilité et de sérieux programmatique, de toujours présenter un visage acceptable en démocratie et de prendre leur distance avec les appels outranciers à la violence. Rien de tel dans l’espace mural où la majorité des inscriptions sont de nature belliqueuse, soit qu’elles reposent sur un appel clair à la violence comme mode d’action politique, soit qu’elles louent la figure du clandestin, soit qu’elles évoquent la perspective d’une indépendance arrachée à l’État français. Dès que l’iconographie devient visuellement riche en usant de dessins ou de pochoirs –et donc s’avère plus attractive pour le regard– les référents violents (bombes, cercueils, cagoulés, etc.) sont majoritaires (si l’on excepte le sigle graphique de l’île très présent sur les murs54).
32L’empreinte nationaliste qui couvre les murs de l’île ne présente donc pas le visage d’un nationalisme banal au sens d’anodin. Si sa naturalisation dans l’espace public le rend banal aux yeux de spectateurs habitués, il demeure un nationalisme de combat, violent et belliqueux, instaurant une culture du conflit aux antipodes des messages consensualistes des élites républicaines. Plus encore, la propagande nationaliste œuvre à la construction de nouvelles figures mythifiées du Panthéon des nationalistes corses : derrière le ribellu ce sont les clandestins qui sont loués et c’est la figure tutélaire de l’organisation militante FLNC qui fait l’objet d’une surreprésentation dans les tags muraux. La « check list identitaire » banalisée de la contestation dans l’espace public est dominée par des références militaristes, depuis le sigle FLNC qui offre une présence constante et insidieuse à l’organisation clandestine sur l’ensemble du territoire jusqu’aux célébrations des « martyrs » tués pour leurs idéaux55. Ce faisant, c’est à une nouvelle construction mythique qu’aboutit l’iconographie militante : celle d’une histoire dont les référents sont les acteurs nationalistes actuels, où les clandestins des origines signent la pureté idéologique d’une cause que ni l’histoire insulaire, ni les traditions culturelles n’incarnent visuellement56. Le « roman national57 » corse tel qu’il est écrit sur les murs de l’île débute en 1976 avec la création du FLNC, est peuplé de figures clandestines évoluant dans le maquis des bords de route58 tout autant que dans les grandes villes qu’elles occupent jusqu’à la saturation. Cette restriction des référents identitaires sert une ambition de transfiguration du nationalisme fondée sur une histoire du temps présent ordonné par les clandestins plutôt que sur l’empreinte d’un lointain passé glorifié.
L’envers du « texte caché »
33On parlera de « texte caché » pour définir l’idéologie générale qui ressort des murs bombés sur l’île, tel que l’a défini James Scott dans sa magistrale étude sur les formes de la résistance populaire59. Le « texte caché », par opposition au « texte public » renvoie au discours des dominés qui ne peut s’afficher publiquement mais est transmis clandestinement ou sous couvert d’anonymat et permet de fonder une culture de la résistance à la domination institutionnelle. Art de la résistance proclamée, le graffiti nationaliste anonyme possède des caractéristiques propres qui éclairent la réalité politique du nationalisme insulaire. Faiblement référencés, les bombages nationalistes, on l’a dit, traduisent moins une volonté d’imposition d’un message idéologique empreint de références doctrinales, historiques ou culturelles que l’affirmation d’une culture clandestine mythifiée fonctionnant parfois sous la forme de la confidentialité. Les slogans « IFF » ou « IAF », très présents, ne sont compréhensibles que par la communauté corse qui sait les lire et nullement par les touristes étrangers auxquels pourtant ceux-ci s’adressent. Comme l’écrit Scott, pour un tout autre terrain, « le dialecte fonctionne ici comme une sorte de discours moral, exprimant un sens d’identité et d’affiliation avec ses camarades »60. L’objectif n’est donc pas tant de produire une histoire nationale que de convaincre de la présence durable des acteurs clandestins, de leur centralité politique et de leur « mutualité » sociale61.
34Le texte caché est également un texte profondément interniste, presque exclusivement centré sur l’actualité politique corse, la discussion d’enjeux à dimension locale et la glorification ou la stigmatisation d’acteurs politiques insulaires. À l’inverse d’autres terrains où l’iconographie militante de type nationaliste est très répandue (comme l’Irlande du Nord), les références aux situations étrangères sont très peu présentes. Sur les presque 800 bombages recensés, seuls 3 font référence à la situation basque– pourtant érigée en modèle de lutte par les instances partisanes du nationalisme corse– et aucun à la situation nord-irlandaise. De la même façon, là où le nationalisme en Euskadi est empreint d’allusions à la lutte altermondialiste avec laquelle il prétend se confondre62, le nationalisme iconographique corse ne propose aucune référence doctrinaire extra-locale, si ce n’est trois pochoirs représentants le Che dans la région de Corte (influence étudiante) et en Balagne. On notera cependant d’importantes références au combat écologique confondu avec la lutte sociale contre la spéculation immobilière et la présence mafieuse dans l’île, sans qu’une montée en généralité hors de l’espace local ne soit vraiment visible63.
35Plus dérangeant et surprenant de la part d’un discours nationaliste public volontiers moraliste et officiellement ouvert sur l’altérité, le texte caché iconographique est marqué par une très forte présence d’inscriptions racistes et xénophobes visant directement des populations immigrées très visibles dans certaines zones de l’île (plaines orientales, villes comme Bastia, Ajaccio et Sartène) ainsi qu’à l’encontre des « Français » compris ici comme les continentaux. Presque 17 % du corpus recensé est d’inspiration raciste et xénophobe, ce qui traduit une haine parfois violente des immigrés ou/et continentaux servant un objectif de différenciation ethnique et de singularisation nationaliste64. À ces messages –dont on ne peut attribuer la seule responsabilité à des militants politiques– s’ajoutent un certain nombre d’insultes ou de ragots le plus souvent nominatifs à l’encontre de personnes parfois tournées en dérision (« Santoni, la chèvre de Monsieur Seguin ») ou directement menacées physiquement lorsqu’elles sont soupçonnées de renseigner la police (« P. et V., attenti a voi, balances de flics »). L’objectif du texte caché révélé est ici de contribuer à la fondation de normes d’action : « le ragot renforce ces normes en les invoquant et en enseignant à chaque personne colportant le rejet précisément quelle sorte de conduite aura de grandes chances d’être raillée ou méprisée65 ».
36Plus anecdotique, mais révélatrice de la naturalisation du discours nationaliste dans l’espace public insulaire, est apparue ces dernières années une tendance à l’iconographie moqueuse ou grivoise qui se maquille bien souvent des ressorts linguistiques et tics langagiers du nationalisme clandestin, pour rire de cette emprise du texte caché violent ou proposer d’autres référents66. Presque 2 %, soit 15 occurrences de ce type ont été relevées qui raillent les acteurs nationalistes eux-mêmes (« FLNC canal inexistant », « I canistrelli clandestini fora pepito », « gaziu power + sigle bombe67 », etc.) ou se moquent de l’actualité nationale (« Sarkozy, t’es cocu on a baisé Cécilia et Carla »). Lorsque le texte caché humoristique sert à traduire en dérision le texte caché des clandestins, ce dernier peut se vanter d’avoir réussi son processus de naturalisation, en devenant lui-même un texte officiel… ou presque.
37Aborder la question des résistances nationalistes sous l’angle de l’iconographie militante peut paraitre déplacé. L’objet est bien étroit pour un sujet académique dans la discipline et empreint de grandeur dans l’espace militant. Pourtant par delà les textes doctrinaux et les déclarations partisanes, la violence des actes et la militance du quotidien, c’est bien confronté visuellement à l’espace de la rue, dans ses nécessaires déplacements, que le visiteur prend contact avec la politique locale. Appréhender les révoltes périphériques de cette façon est de plus instructif comme semble en témoigner une comparaison tout juste ébauchée entre les diverses scènes européennes de la contestation militarisée (Pays Basque, Ulster, Corse). Derrière les façades bariolées ce sont les desseins militants et les projets politiques qui se révèlent. Non pas tant ceux que l’on proclame mais ceux qui se réalisent concrètement. À ce titre le contraste est saisissant entre les fresques grandioses visibles en Irlande du Nord, le mariage entre nationalisme et internationalisme perceptible en Euskadi et la glorification d’une violence mythifiée mais pourtant plus modérée en Corse. L’analyse gagne à vouloir saisir les dynamiques sociales et politiques par le bas plutôt que de vouloir s’en saisir via les discours et programmes souvent complaisants des entrepreneurs de cause.
Notes de bas de page
1 C’est un chantier de recherche qui avait pourtant été ouvert par Pierre Favre lors de cours professés à l’IEP de Paris (Iconographie politique : cours-séminaires, 1990-1991, côte : 4°023653) et dont on trouve quelques développements dans Favre P., Fillieule O. et Jobard F., L’atelier du politiste. Théories, actions, représentations (quatrième partie), Paris, La Découverte, 2007. On pourra se reporter également au travail de Dezé A., Essai d’iconographie politique comparée, mémoire de DEA, IEP Paris, 1996. Des historiens comme Philippe Buton (« L’adieu aux armes ? L’iconographie communiste française et italienne depuis la Libération », Vingtième siècle, vol. 4, no 80, 2003, p. 43-54) ou Christian Delporte (Image et politique en France au XXe siècle, Paris, Nouveau-Monde Éditions, 2006) ainsi que la sociologue Dominique Memmi (Du récit en politique. L’affiche électorale italienne, Paris, Presses de la FNSP, 1986) ont également abordé la question politique à travers leurs études sur l’affiche électorale et de propagande.
2 Braud Ph., Sociologie politique, Paris, LGDJ, 5e édition, 2000, p. 90. On pense en particulier aux travaux des historiens et politistes sur les décorations républicaines (Olivier Ihl), la figure de Marianne (Maurice Agulhon), les monuments aux morts (Antoine Prost) ou le drapeau national (Raoul Girardet ou Robert Goldstein aux États-Unis).
3 Roston B., Politics and Painting. Murals and Conflict in Northern Ireland, Londres, Associated University Press, 1991; Chaffee L., Political Protest and Street Art. Popular Tools for Democratization in Hispanic Countries, Londres, Greenwood Press, 1993. Dans la continuité de ces travaux, on mentionnera la thèse comparatiste de science politique que consacre actuellement Pascal Pragnère aux « murals » en Irlande du Nord et au Pays-Basque. Pour une synthèse des principaux axes de son approche, voir notamment Pragnère P., « Peintures de guerre. Irlande du Nord, Pays Basque », Silence, no 376, février 2010, p. 18-21.
4 On notera tout de même l’existence d’une thèse d’anthropologie Graffiti bombé et territoire Corse (1973-2003) soutenue par Pierre Bertoncini à l’université de Corse en 2005 qui a donné lieu à une publication récente : Le tag en Corse. Analyse d’une pratique clandestine, Paris, L’Harmattan, 2009. Ce travail, assez impressionniste, dont la méthodologie ne nous a pas paru très solide, n’a pas été ici mobilisé.
5 Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement André Fazi de l’université de Corse pour son aide logistique et ses précieux conseils prodigués lors de cette recherche.
6 On entend par « nationalitaire » les mouvements régionalistes et nationalistes.
7 Braud Ph., L’émotion en politique, Paris, Presses de science po, 1996, p. 123-124.
8 Cette démarche s’inscrit dans un cadre de recherche plus large visant à analyser l’iconographie nationaliste contestataire en Corse dans une optique comparatiste avec celle observable dans d’autres territoires européens (Euskadi, Ulster, Sardaigne).
9 Étant donné le caractère généralisé de cette pratique, nous avons décidé de ne pas la prendre en compte dans notre analyse.
10 Ce travail a donné lieu à 248 clichés photographiques qui seront prochainement mis en ligne.
11 Cozzolino F., Les peintures murales d’Orgosolo en Sardaigne. Étude anthropologique, thèse de doctorat de l’EHESS, décembre 2010.
12 Si cet amateurisme peut faire penser à un certain éloignement entre les graffeurs et les organisations politiques qui incarnent le message nationaliste, on soulignera que les campagnes organisées de bombage dans les années 1980 à l’issue d’arrestations de militants ou de phases de négociation avec l’État, ne donnaient pas de résultats esthétiques particulièrement séduisants !
13 Sur les murals en Ulster, on se reportera au travail de Roston B., Politics and Painting…, op. cit.
14 Un très beau travail de recherche a été réalisé par Bedrani S., La contestation politique des abertzals au Pays basque espagnol : l’iconographie murale comme répertoire d’action, mémoire de master 2 sous la direction de Xavier Crettiez, UVSQ, 2010.
15 Chaque rond représente en valeur brute le nombre d’occurrences iconographiques relevé.
16 Crettiez X., La question corse, Bruxelles, Complexe, 1999 et Violence et nationalisme, Paris, Odile Jacob, 2007. Voir aussi les thèses de Briquet J. L., La tradition en mouvement, Paris, Belin, 1997.
17 20,96 % soit 162 occurrences. Il s’agit de la seconde plus grosse rubrique après celle relative à l’affirmation violente.
18 Des inscriptions relatives à des formations politiques actuellement disparues continuent d’être visibles sur l’ensemble de l’île en attendant que les intempéries ne les effacent à jamais. Des inscriptions nouvelles peuvent aussi surgir subitement en certains lieux, offrant ainsi à d’autres formations une visibilité sans commune mesure avec leur poids politique réel (plus d’une dizaine de tags imposants dans la région de Porticcio et sur la route bordant l’aéroport d’Ajaccio ont été réalisés en mars 2011 en faveur de Scelta para, petite formation pour l’instant marginale).
19 On pourra se reporter au bel ouvrage photographique signé Murati P., 30 ans de graffiti politique en Corse, Bastia, Anima Corsa, 2010. Sur la logique de la violence politique dans l’île, voir notre article « La violence politique en Corse : état des lieux », in Crettiez X. et Mucchielli L. (dir.), Les violences politiques en Europe, Paris, La découverte, 2010. On retrouve au Pays Basque une même tendance à l’expression identitaire murale suite aux années noires du silence franquiste. Cf. notamment sur ce phenomène: Raento P., « Political Mobilisation and Place Specificity: Radical Nationalist Street Campaigning in the Spanish Basque Country », Space and Polity, vol. 1, no 2, 1997, p. 197.
20 Chaffee L., Political Protest and Street Art. Popular Tools for Democratization in Hispanic Countries, London, Greenwood Press, 1993, p. 3.
21 En Ulster où la culture des fresques murales est nettement plus développée, les « murals » sont devenus pour les médias télévisuels de véritables incarnations visuelles des troubles dans la province. À Dublin ou Manchester, certains murals nord irlandais sont d’ailleurs reproduits comme fond d’image de reportages afin d’éviter aux équipes de télévision de se déplacer lorsque celles-ci réalisent un commentaire sur une émeute ou un attentat. De même, les déclarations de responsables communautaires sont presque systématiquement effectuées devant le mural de leur obédience. Cf. sur ces points: Jarman N., « Painting Landscapes: The place of Murals in the Symbolic Construction of Urban Space », in Geisler M. (dir.), National Symbols, Fractured Identities, Middlebury College Press/University Press of New England, 2005, p. 180-181.
22 Sur le corpus relevé, 85,9 % des tags enregistrés sont très visibles ou assez visibles. Seuls 14,10 % ne l’étaient pas, rarement en raison de leur emplacement mais le plus souvent à cause de leur effacement « naturel » lié à l’écoulement du temps. De la même façon, si 57 % des tags recensés sont situés en zone rurale, ceux-ci sont toujours visibles depuis les routes. Les zones géographiques les moins touchées par le phénomène iconographique sont systématiquement les plus isolées et les moins passantes (zone intérieure Porto-Evisa ; zone intérieure nord du Golo ; zone intérieure Galéria : moins de 1 % de l’ensemble des tags).
23 Pour l’Ulster, Bill Roston évoque une fonction de conversion élective des murals nationalistes : Roston B., Politics and Painting. Murals and Conflict in Northern Ireland, london, Associated University Press, 1991, p. 123.
24 Alexandre Dezé propose un témoignage proche à travers un entretien réalisé avec un responsable du Front National pour qui l’affiche politique est le principal moyen de mobilisation électorale au sein des sympathisants d’extrême droite : Dezé A., « L’image fixe en question. Retour sur une enquête de réception du discours graphique du FN », in Favre P., Fillieule O. et Jobard F. (dir.), L’atelier du politiste, Paris, La découverte, 2007, p. 313-330.
25 Pasquale Paoli (général à l’origine d’une Corse indépendante en 1754) est, depuis le revival identitaire régionaliste, considéré comme le plus symbolique des représentants d’une Corse indépendante, du moins pour les nationalistes.
26 On se réfère ici à l’apport de Barth F., Ethnic Groups and Boundaries. The Social Organization of Cultural Differencies, Londres, Allen and Unwin, 1969.
27 Une grosse vingtaine de « Gloria a te Yvan » couvrait les murs de l’île en juin 2011, en plein procès en cassation du berger corse.
28 Crettiez X., Violence et nationalisme, op. cit., p. 266. Voir également sur la même idée le très beau livre de Féron E., Abandonner la violence ? Comment l’Irlande du Nord sort du conflit, Paris, Payot, 2011.
29 On a comptabilisé plus de 25 occurrences de ces sigles ou appels à une lutte de libération nationale, en plus des presque 200 rappels du sigle FLNC, « ribellu » et autre dessins de cagoulés.
30 Le « DNAT fora » (« Division Nationale Anti-Terroriste dehors ! ») domine le genre.
31 Mac Clancy J., Expressing Identities in the Basque Arena, Oxford, SAR Press, 2007, p. 156.
32 Sur la notion de monitoring dans les conflits ethniques, voir Laïtin D., « National Revivals and Violence », Archives européennes de sociologie, vol. 36, no 1, 1995, p. 3-43.
33 16,69 % de tags racistes ou xénophobes composent le corpus. Dans cette rubrique, 30,2 % concernent des insultes anti-arabes et 64,3 % s’en prennent directement aux « Français ». L’usage récurrent des sigles « IFF » et « IAF » (pour « I Arabi Fora », orthographiquement maladroit puisqu’en langue corse une voyelle ne peut suivre le pronom « I », ce qui montre en soit la piètre rigueur identitaire des bombeurs insulaires) atteste une naturalisation de l’offense.
34 1,3 % du corpus. Nous n’avons pas ici comptabilisé les affiches, souvent signés de syndicats étudiants nationalistes, faisant campagne contre l’usage des drogues. On retrouve une même ambition morale et sanitaire dans le nationalisme irlandais. Voir la très complète fiche de Wikipedia sur le conflit nord-irlandais : [http://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_nord-irlandais].
35 Oberschall A., « The manipulation of Ethnicity: From Ethnic Cooperation to Violence and War in Yugoslavia », Ethnic and Racial Studies, vol. 23, no 6, novembre 2000, p. 982 et suiv.
36 Voir l’article de Contamin J. G., « Cadrages et luttes de sens », in Fillieule O., Agrikoliansky E. et Sommier I. (dir.), Penser les mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2010, p. 55 et suiv.
37 Jürgen Habermas parle des « opinions informelles » s’exprimant dans les rumeurs et la culture de masse indiscutée que l’on retrouve sur les murs de l’île : Habermas J., L’espace public, Paris, Payot, 1978, p. 255.
38 On peut constater cet usage médiatique « grass root » de l’iconographie sauvage sur d’autres scènes conflictuelles. Sur le cas palestinien, voir notamment Abdeljawad S., « Les sources primaires de l’intifada », Revue d’études palestiniennes, no 36, été 1990, p. 67-77.
39 Loez A., « Mots et cultures de l’indiscipline : les graffitis des mutins de 1917 », Genèses, no 59, 2005, p. 25-46. Voir du même auteur, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Paris, Gallimard, 2010.
40 Braconnier C., « Braconnages sur terres d’État. Les inscriptions politiques séditieuses dans le Paris de l’après Commune », Genèses, no 35, 1999, p. 107-130.
41 L’usage du graffiti comme mode de résistance est répandu comme l’ont montré les révolutions arabes où les tags à l’encontre des régimes autoritaires sont devenus légion avec le relâchement de la surveillance policière. Un reportage du journal Le Monde en Egypte atteste cette fonction de résistance mais aussi de renouvellement de la parole publique du tag sauvage, Le Monde, 2 septembre 2011, p. 8-9. Une nouvelle de Julio Cortazar –Graffiti– qui inspirera le premier long métrage d’Alexandre Aja, Furia, repose sur cette idée de la résistance à l’autoritarisme au moyen du dessin mural. Plus généralement, un graffeur devenu culte comme Bansky relève dans son travail une vraie volonté de détournement de l’ordre dominant et de résistance aux injonctions du « système », Bansky, Guerre et Spray, Paris, éditions alternatives, 2010.
42 Hermer J. et Hunt A., « Official Graffiti of the Everyday », Law and Society Review, vol. 30, no 3, 1996, p. 455-480.
43 Le « roadsign protest » est extrêmement répandu en Corse sous la forme de coups de chevrotine tirés sur les panneaux. Celui-ci s’y exprime aussi autrement : sur ces mêmes supports où est indiqué de façon systématiquement bilingue le nom de chaque village, celui rédigé en français est effacé ou barré afin de ne laisser visible que la signalisation formulée en langue corse. C’est le cas pour la quasi-totalité des panneaux indicateurs.
44 Hermer J. et Hunt A., op. cit., p. 477.
45 Déloye Y., « En deçà de l’identité ou le miroir brisé de l’identification », in Constant Martin D. (dir.), L’identité en jeux, Paris, Karthala, 2010, p. 414.
46 On s’appuie ici sur l’ouvrage de Billig M., Banal Nationalism, Londres, Sage, 1995.
47 On se référera au travail de Murati P., op. cit., ainsi qu’au visionnage de nombreux films militants sur le nationalisme corse des années 1970 et 1980 comme L’histoire du FLNC. Le FLNC dans l’histoire, 1976-1991, VHS SECAM, 1993.
48 94,7 % des bombages politiques recensés sont nationalistes (contre 4,4 % qui ne le sont pas). Bien que n’ayant pas recensé les bombages non politiques (culture hip hop ou bombages personnalisés), ceux-ci ne sont présents que dans certaines zones très touristiques de l’île (sorties de camping de la région de Porticcio notamment). Même dans les quartiers très populaires de Bastia ou d’Ajaccio, la culture de l’inscription murale demeure systématiquement en lien avec le monde nationaliste.
49 Contrairement à l’Euskadi sud où le bombage en faveur de l’ETA peut mener son auteur en prison pour une assez longue période en raison de l’adoption de lois anti-terroristes d’une extrême sévérité et où a été mise en place une politique d’effacement systématique des fresques nationalistes, la Corse demeure un espace accessible à la pratique iconographique contestataire. Les arrestations de tagueurs sont rarissimes et donnent lieu, au pire, à quelques travaux d’intérêt général (comme ce fut le cas en mai 2011 pour deux tagueurs dans la région d’Ajaccio). La fabrique sommaire des graffitis demande très peu de temps de réalisation et nécessite un « savoir-faire » limité (à l’inverse des fresques et murals). De plus, ces graffitis peuvent facilement être effectués sur tout le territoire, en particulier dans les zones rurales isolées caractérisées par une faible circulation. Ces phénomènes offrent aux contestataires de très grandes opportunités d’action avec un risque moindre.
50 Eugen Weber écrivait à propos de l’invention de l’hexagone pour figurer la nation française : « On pourrait parler de l’utilité de symboles schématiques –donc facilement identifiables– capables de faire apparaitre clairement le lien entre les limites politiques et l’identité nationale » : Weber E., « L’Hexagone », in Nora P. (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997, p. 1183.
51 Nous avons distribué un questionnaire en cours d’analyse à presque 300 passants, insulaires pour la plupart, en vue de mesurer la perception de ces bombages au quotidien. Une publication à venir devrait permettre d’en savoir plus sur ces processus d’intériorisation des images contestataires.
52 Ainsi que le notait par exemple Pascal Pragnere en Ulster et Euskadi, « Peintures murales en Ulster et Pays Basque : Mobilisation populaire et création d’identité nationale », Cahiers du Mimmoc (mis en ligne le 20 juin 2010) : [http://cahiersdumimmoc.edel.univ-poitiers.fr/index.php ?id =405].
53 Ce que souligne bien, pour d’autres terrains, Vincent Martigny dans « Penser le nationalisme ordinaire », Raisons politiques, no 37, 2010, p. 8-9.
54 1/3 des occurrences graphiques recensées sont en lien avec la violence (essentiellement des dessins ou des pochoirs du ribellu – le tireur du FLNC cagoulé) ou des représentations de cagoules assorties du sigle FLNC. Si l’on ne tient pas compte du sigle contour de l’île, c’est plus de 80 % des dessins qui sont violents.
55 Le paradoxe voulant que la grande majorité des nationalistes tués l’a été au cours des années 1995-1996 sous les balles de leurs « frères d’arme » devenus rivaux au sein d’une famille politique totalement déchirées par des enjeux de pouvoir et autour du partage des ressources. Voir sur ce point Crettiez X., « Quelles violences ? », in Crettiez X. et Ferret J., Le silence des armes ?, Paris, La Documentation française, 1999.
56 Plusieurs représentations iconographiques traduisent cette sur-visibilité de la clandestinité. Ainsi en est-il du sigle de la Corse sur lequel est apposé un visage cagoulé qui recouvre presque totalement le territoire, insistant ainsi sur la présence écrasante des acteurs clandestins et leur incarnation dans la géographie de l’île. Sur les usages similaires du contour géographique de l’Inde à des fins nationalistes, voir Maheshwari M., « Comment représenter la nation indienne ? Le nationalisme ordinaire à travers l’art calendaire », Raisons politiques, no 37, 2010, p. 56 et suiv.
57 Thiesse A. M., La création des identités nationales, Paris, Le Seuil, 1999.
58 Plus de 35 % des occurrences ont été relevés en zones maquis, en bord de route, sur des rochers, poteaux ou murets.
59 Scott J., La domination ou les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2008.
60 Idem, p. 145.
61 Idem, p. 134.
62 La différence est notable avec l’usage militant de l’iconographie au Pays basque français. Une couverture de la seule ville de Bayonne réalisé en août 2011 montre que la grande majorité des occurrences iconographiques porte sur un thème totalement absent en Corse : l’altermondialisme et la lutte contre le capitalisme (57 %). 13 % du corpus porte sur des référents identitaires et 12 % sur des référents mémoriels. Seul 0,7 % des occurrences ont trait directement à la lutte armée de l’ETA le sigle n’apparaissant que deux fois ! Ce travail sera présenté dans une publication comparatiste à venir.
63 La lutte contre le PADDUC (Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse) et celle contre l’envolée des prix du foncier résultant de phénomènes de spéculation immobilière est sensible dans le discours iconographique puisque plus d’une vingtaine d’occurrences ont été relevées.
64 64,34 % des tags racistes sont formulés à l’encontre des continentaux et 30,23 % à l’encontre des maghrébins, appelés « arabes ». Certains propos recensés sont d’une extrême violence : « un bon français est un français mort », « kill arabs », « melons de mes couilles » ou encore « une balle dans la bouche pour les arabes ».
65 Scott J., op. cit., p. 160.
66 On parle en Corse de macagna pour qualifier la « chambre » ou la moquerie souvent cruelle à l’encontre des autres.
67 Les canistrelli sont des gâteaux secs traditionnels corses. Gaziu renvoie au sexe masculin en langue corse.
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