Un parcours universitaire
p. 19-31
Texte intégral
1Quarante-six années d’activité universitaire… ! Bien que ce laps de temps soit finalement très court, curieusement, il faut atteindre l’âge de la retraite pour s’en apercevoir. Cependant, comme la fuite du temps est un thème abondamment traité depuis les origines de la philosophie, je m’abstiendrai ici d’y ajouter mon grain de sel. D’autant que ce thème ne m’inspire ni fébrilité ni états d’âme. Néanmoins, en regardant derrière moi par-dessus mon épaule, je suis bien obligé de constater la longueur du chemin parcouru depuis ma première nomination à un emploi académique, en 1964. Et je dois admettre que le paysage, institutionnel et intellectuel, a beaucoup changé tout au long de cette marche à travers cinq décennies.
2En ce temps là…, c’était avant les grands chahuts de 1968, on pouvait (avec un peu de chance il est vrai) mettre le pied à l’étrier d’une carrière universitaire dès la première année de thèse, en tant qu’assistant. Certes les postes étaient peu nombreux mais les candidats ne l’étaient pas non plus. À Rennes, unique université pour toute la Bretagne1, dans notre promotion d’étudiants en droit nous n’étions qu’une centaine en 1re année, et, dans l’option droit public, moins de trente au sortir d’une licence en quatre ans.
3La science politique était alors une discipline plutôt molle, jugement qu’il faut considérer moins comme un stigmate que comme un euphémisme. Dans la plupart des universités elle était enseignée par des juristes qui y voyaient volontiers une manière de compléter leur service d’enseignement par un cours moins technique, donc plus attrayant. Ce fut effectivement le cas en histoire des idées politiques grâce au brio d’un Pierre-Henri Teitgen, l’ancien garde des Sceaux du général de Gaulle à la Libération. Par respect pour mes maîtres, je ne commenterai pas le contenu du DES (Diplôme d’études supérieures) de science politique que les candidats potentiels à l’agrégation suivaient alors après un premier DES de droit public beaucoup plus sérieux. Je me suis laissé imposer un sujet de thèse qui ne m’a jamais inspiré le moindre enthousiasme : La Notion de liberté publique en droit français (1967). C’était, paraît-il, un sujet porteur pour un candidat à l’Université. Je l’ai traité d’une manière parfaitement abstraite, qui mettait bien en évidence l’un de mes défauts d’alors : l’esprit de système, confondu à tort avec la capacité de synthèse et la montée en puissance de la théorie. Je suis néanmoins reconnaissant envers mon directeur de thèse, Georges Dupuis, pour m’avoir intelligemment préparé au concours d’agrégation, dit de « droit public et science politique », quoique seule la première de ces deux mentions fût réellement pertinente.
4Le déroulement du concours en 1968 aura relevé d’un double folklore. Présidé par Pierre-Henri Teitgen, il devait débuter le 13 mai, jour de grandes turbulences nationales. De report en report, et après quelques palabres avec le ministre Edgar Faure, il s’est ouvert finalement à la fin octobre, au milieu de mesures de sécurité qui se voulaient sourcilleuses mais paraissaient surtout un peu risibles. Malgré les périls extérieurs, le cérémonial traditionnel a tenu bon. Port obligatoire de la robe, ajustée, non moins obligatoirement et moyennant finances, par les appariteurs de la faculté de droit de Paris ; trois leçons préparées en 24 heures, après une seule leçon en loge (sur le droit administratif qui plus est !). Cette singularité des 24 heures au sein des concours à la française aura constitué une expérience de socialisation inoubliable, d’autant plus étonnante que les candidats étaient conduits à travailler avec ceux-là même que le concours mettait en compétition entre eux. Expérience inoubliable aussi pour la fatigue physique (dix nuits blanches au total dont six dans les trois dernières semaines) et pour les frais exorbitants qu’elle entraînait. Plus tard, en tant que président de jury, j’ai suggéré la suppression de l’unique leçon de ce type qui subsistait encore à l’agrégation de science politique et je me félicite qu’elle ait immédiatement disparu des concours ultérieurs.
Formation intellectuelle
5Au lendemain de l’agrégation, censée consacrer une compétence d’enseignant-chercheur, mieux valait se considérer comme un débutant quand on ambitionnait de tourner définitivement le dos au droit pour devenir politiste. Heureuse coïncidence : la section de science politique des universités était créée peu de temps après (1972), grâce à l’action menée auprès des pouvoirs publics par Maurice Duverger et François Goguel. Sans l’ombre d’une hésitation j’ai opté pour un rattachement, seul de mon concours à faire ce choix avec Francine Batailler-Demichel (mais les vocations avaient été plus nombreuses dans le concours précédent). Le renégat a cependant conservé l’intime conviction qu’une formation juridique constitue toujours un « plus » pour un politiste. Peut-on se passer de connaissances techniques sérieuses sur les institutions politiques et administratives, les procédures de décision législatives et réglementaires, les modes de conclusion des traités et autres conventions internationales ? Respectées, éludées ou bafouées, « les règles du jeu sont des enjeux ». (Je ne résiste pas au plaisir de citer ici l’un des tics de langage les plus admirés de Pierre Bourdieu.) Quant au raisonnement juridique, il constitue assurément un des langages importants de la scène politique.
6Le nouvel agrégé devient parfois un miles gloriosus, enivré par sa récente consécration. Difficile de sombrer dans ce travers quand, aux débuts des années soixante-dix, on entre en science politique. Embrasser cette discipline, en venant d’une formation juridique, exige plutôt de se faire modestement autodidacte, une expérience partagée, je crois, par toute une génération. Mais auprès de qui s’instruire ? Dans l’espace intellectuel franco-français encore très étriqué, les maîtres au sein de la discipline restent rares. Après un livre réellement savant (Les Partis politiques, 1952), Maurice Duverger doit sa notoriété surtout à son talent d’essayiste et d’éditorialiste. Quant à Georges Lavau, il est très absorbé par la direction de la Revue Française de Science Politique. Il demeure néanmoins un remarquable lecteur de manuscrits, exigeant et rigoureux. Je lui dois la révision attentive de mes premières publications aux PUF ou à la RFSP.
7Intellectuellement, les années 1970 ont été une période de grande effervescence (un gros bon point !) mais aussi d’activité brouillonne (plus fâcheux !). En sciences sociales, n’importe qui ou presque pouvait trouver un éditeur. L’abondance des publications ne présente pas que des avantages pour des lecteurs en quête de repères sérieux. Les intellectuels mondains, comme il se doit, occupent largement le devant de la scène médiatique, occultant en partie des travaux plus solides. Les traductions sont rares et l’anglais n’est pas encore devenu, en France du moins, la langue scientifique d’usage. Dans le paysage franco-français, le marxisme (orthodoxe, althussérien, gramscien, voire maoïste…) est pour un temps largement hégémonique, favorisant le mélange des genres entre discours savant, exégèse scolastique et engagement militant. Pour beaucoup, avoir été orthodoxe, puis être devenu dissident, aura été un must de l’ascension sociale dans les médias, comme l’illustrera la trajectoire météorique d’un Jean Elleinstein, bien oublié aujourd’hui. Plus sérieusement, on traduit les stars de l’École de Francfort, ce qui ébranle quelque peu le dogmatisme rampant, chez les intellectuels marxistes patentés. Et l’inclassable Michel Foucault, servi par une prose éclatante, introduit de l’air frais dans le débat historique et sociologique. La psychanalyse se trouve également à son zénith, avec Jacques Lacan détrônant Didier Anzieu comme interprète autorisé de Freud (tout en « ne s’autorisant que de lui-même », comme chacun sait). Le foisonnement des rééditions, des essais, des revues, mais aussi celui des polémiques, entraîne les dévots du Freudisme sur les sentiers non balisés d’une imagination verbale largement dédaigneuse de toute vérification empirique. La conception même du livre d’Eugène Enriquez, De la horde à l’État. Essai de psychanalyse du lien social, paru chez Gallimard en 1983, en est un témoignage frappant, même si cette étude domine largement d’autres publications plus consternantes. Quant aux auteurs qui, comme Pierre Fougeyrollas, veulent en sciences sociales conjuguer Marx et Freud, ils jouissent d’une aura aussi éclatante qu’éphémère, à laquelle peu de jeunes universitaires restent totalement insensibles. Bref, un environnement propice à d’excitantes aventures intellectuelles mais aussi à des tâtonnements coûteux, voire à de parfaites impasses. Vanitas vanitatum ! Que reste-t-il aujourd’hui de ces gloires passées ? À mon avis, pas vraiment grand-chose. La pensée marxiste, orthodoxe ou althussérienne, s’est repliée dans de petites chapelles d’influence limitée ; quant à la psychanalyse qui, comme théorie, a fait un temps mes délices, elle s’est largement discréditée par ses outrances verbeuses, et, comble de disgrâce, l’essor des neurosciences a périmé nombre de ses concepts fondateurs.
8Le marxofreudisme ambiant (je n’utilise cette expression qu’avec une certaine dérision) aura au moins souligné la nécessité de dépasser la coupure entre sociologie et psychologie dans l’approche du politique. Ce qui aura été mon souci permanent en tant que chercheur. Mais pour m’inscrire dans un si beau programme, il m’a semblé urgent de regarder ailleurs. D’abord chez ces trois incontournables que sont devenus à cette époque (ils le sont restés) Max Weber, Pierre Bourdieu et Norbert Elias. À condition d’adopter pour la lecture de leurs travaux une focale bien précise. On oublie souvent, chez l’auteur d’Économie et société, sa mise en garde contre le « préjugé rationaliste qu’impliquerait la sociologie », c’est-à-dire « la croyance en la prédominance effective du rationnel dans la vie humaine » (chap. 1er, § 1er). Autant dire qu’après avoir lui-même parlé de « refoulements » et de « sublimation », il reconnaissait la constante importance des affects dans la construction des attitudes et comportements politiques (ibidem § 2). Paradoxalement, et malgré ses dénégations, Pierre Bourdieu est également de ceux qui ont posé de précieux jalons dans cette même direction. Quand il prend pour objet de recherche les « stratégies de distinction » en matière de goût esthétique ou de politique matrimoniale, son lecteur ne peut ignorer la présence sous-jacente de la problématique de l’estime de soi. Quand il publie l’ouvrage : La Misère du monde, ses observations sur la souffrance signalent bien une prise en considération de certaines dimensions émotionnelles de la vie sociale. Quant à Norbert Elias, j’ai retenu surtout de La Dynamique de l’Occident une démarche attentive à détecter, sur une longue période historique, des processus parallèles de rationalisation et de psychologisation des rapports politiques, processus inscrits dans sa fameuse notion de « curialisation des guerriers ». Ceci étant, s’il était initialement confortable (et prudent) de pouvoir s’abriter derrière ces prestigieuses références, il convenait pour aller plus loin de mobiliser des problématiques plus précises.
9La psychologie politique, celle tout particulièrement d’un Fred Greenstein, fortement appuyée sur du matériel empirique, m’a un temps séduit. Mais, de l’aveu même de cet auteur, elle est d’un usage relativement limité quand elle se focalise sur les traits de personnalité des acteurs puisqu’il est assez exceptionnel que ceux-ci jouent un rôle décisif, même dans les processus décisionnels. Finalement, pour dégager la voie d’une meilleure compréhension des phénomènes politiques, il convient de s’affranchir de l’éternelle fausse question : la psychologie est-elle socio-compatible ?, et d’aller directement à l’essentiel, c’est-à-dire la prise en compte des dimensions émotionnelles de la vie sociale et politique. De toute évidence, la peur ou l’indignation, le besoin de reconnaissance, l’affirmation de solidarités identitaires ou compassionnelles, jouent un rôle majeur dans la construction du débat politique comme dans les mobilisations sociales ou dans les motivations des électeurs. Ce sont des leviers que la rhétorique des candidats en campagne ne manque d’ailleurs jamais d’activer. Et ces exemples, pour déterminants qu’ils soient, sont loin d’épuiser le sujet ! Le véritable problème est donc moins de savoir, selon les termes de Marcel Mauss, si la psychologie peut « rendre des services à la sociologie » et réciproquement, mais de dépasser le stérile débat de leurs (in)compatibilités. Ce qui importe c’est d’identifier les manières d’analyser sociologiquement le rôle des affects puisqu’il n’existe aucune activité rationnelle qui ne soit émotionnellement connotée ou informée.
10Mes lectures et mes réflexions m’ont convaincu de la fécondité de deux problématiques. Celle du symbolique tout d’abord. Elle concerne tout autant nos sociétés modernes que celles qu’étudient africanistes et autres ethnologues des « sociétés primitives » (pour parler archaïquement comme Lucien Lévi-Bruhl). Celle des « logiques de situations » également, sous réserve d’un réexamen sérieux du concept d’acteur stratège. Clifford Geertz surtout, mais aussi Edward Sapir, Murray Edelman, Dan Sperber et quelques autres, m’ont aidé à concevoir le symbolique comme le produit d’une surcharge de sens, riche de connotations émotionnelles socialement construites. Bien loin de confiner son importance sociale aux cérémonies et aux rituels, il faut savoir l’appréhender et l’analyser dans toute activité politique, le débat sur un plateau de télévision aussi bien que l’explosion de violence physique dans la rue ou le déroulement maîtrisé d’un scrutin. Chez Erving Goffmann ou Luc Boltanski, j’ai surtout retenu le brio des analyses qui mettent en situation un acteur désireux d’optimiser des satisfactions qu’on peut appeler psychosociologiques. Chez le premier, c’est l’importance accordée dans la vie quotidienne à la préoccupation de « ne pas perdre la face », de rester « dans le jeu », i. e d’être pris en considération (Les Rites d’interaction). Chez le second, c’est l’analyse, dans La Souffrance à distance, des dilemmes du spectateur devant la misère du monde étalée sous ses yeux à la télévision. Dans sa description de la « topique de l’indignation accusatoire » ou de la « topique esthétique » en passant par la « crise de la pitié », on identifie les profits et les coûts en termes d’estime de soi que comporte chacun de ces scénarios. Ainsi ces deux auteurs nous offrent-ils d’excellentes illustrations de cette nécessaire sociologisation de catégories psychologiques, sans laquelle la science politique appauvrit la lecture de son objet. Quant à Irving Janis, son ouvrage sur l’effet Groupthink, paru au début des années 1970, m’aura ouvert les yeux sur de subtiles logiques de comportements en groupe restreint, lourdes d’implications politiques : celles qui conduisent les proches conseillers du Prince à infléchir leurs analyses ou même à censurer leurs informations, pour éviter la disgrâce d’être mis « hors jeu » ; avec le risque d’œuvrer sans le vouloir à un fiasco final.
11J’ai cru longtemps être un peu seul en France, avec Pierre Ansart, à emprunter cette voie étroite de l’exploration du rôle des émotions et des passions dans l’analyse des situations politiques. Je me réjouis aujourd’hui de l’évolution qui se manifeste sur ce terrain chez de jeunes politistes français, de plus en plus nombreux à s’y risquer sans complexes. Ils peuvent d’ailleurs se sentir puissamment confortés par l’essor, depuis plus de quinze ans, des travaux empiriques américains sur l’Affect Effect qui ouvrent de très intéressantes perspectives pour la conduite d’études de terrain. Même l’approche, plutôt philosophique, d’un Charles Taylor se révèle précieuse : soulignant l’importance cruciale des problématiques de la « reconnaissance », elle incite à prendre en considération de subtiles dimensions des comportements politiques dans l’arène politique et internationale, jusqu’ici trop méconnues par les chercheurs.
Expériences enseignantes
12En tant que professeur j’ai exercé au sein de trois institutions. À Rennes dans une faculté de droit, puis à Paris I dans une UFR purement politiste, le département de science politique, enfin à Sciences Po, un « établissement à statut dérogatoire ». Chacune m’a paru relever d’un monde bien à part.
13À Rennes, avant 1968, un nouveau « chargé de cours » était solennellement intronisé, pour son premier cours d’amphi, par le Doyen de la Faculté. Pour la circonstance, j’ai osé demander une dispense du traditionnel port de la robe ; un symbole qui me paraissait déjà passablement désuet. Elle m’a été accordée mais à contrecoeur, et l’épisode a contribué, je crois, à raccourcir le traditionnel éloge de bienvenue. Après 1968, la porter ou non deviendra un marqueur idéologique particulièrement visible dans la communauté des juristes. La section de science politique n’était composée que de trois professeurs : un constitutionnaliste, Jacques Georgel, un philosophe politique, François Monconduit, et moi-même, tous issus, bien sûr, d’une formation juridique de droit public. Notre influence au sein de la faculté de droit était des plus limitées, ce qui n’était pas sans quelque inconvénient pour les attributions de crédits de recherche ou même pour la répartition des enseignements. Certes personne ne nous disputait les Méthodes des sciences sociales (mais nous-mêmes n’avions jamais été chercheurs au sens actuel du terme !) ni les cours du DES de science politique (mais avec combien d’étudiants ?). En revanche il fallait se battre pour obtenir une moitié de l’Histoire des idées politiques ou l’un des deux cours d’Institutions politiques et droit constitutionnel. J’ai dû pendant longtemps enseigner les Finances publiques, un cours que je trouvais d’autant plus rébarbatif qu’au départ j’ignorais tout de cette matière qui ne m’avait jamais été dispensée. Avec le temps j’ai fini par la trouver fort instructive. Il est bien connu que la meilleure façon d’apprendre quelque chose, c’est encore d’être contraint de l’enseigner.
14Les étudiants rennais étaient sérieux, motivés et peu contestataires, je dirais même indulgents. Du moins jusqu’à ce que les bourrasques déclenchées par le cyclone de Mai, finissent par provoquer, dans la plus grande partie de la décennie 1970, des tempêtes à répétition. Les grèves ont été nombreuses qui faisaient bourgeonner des AG bavardes et des Comités d’action inquisiteurs devant lesquels les « profs » étaient enjoints de comparaître. Cela ne me gênait pas outre mesure, car j’aimais assez ces bains de foule turbulents qui flattent le narcissisme des orateurs invités à s’expliquer. On le sait, le gauchisme n’était pas uniquement le fait des étudiants. En DES de science politique, la pression était encore plus forte. J’étais sommé d’étudier le marxisme devant des étudiants très majoritairement militants, les uns à l’extrême gauche (trotskyste, maoïste, bretonne… et même albanaise), les autres à l’ultra-gauche. Plus férus que moi des textes sacrés de Marx ou de Lénine, ils guettaient avec le plus grand sérieux les commentaires déviationnistes du professeur… ou de leurs camarades des autres chapelles. L’ambiance était chaude.
15Dans ces années 1970, les charges d’enseignant sont écrasantes. Les services légaux sont assurés à 100 %, sans ces coefficients de correction opportunément mis en œuvre dans d’autres établissements, comme je le découvrirai plus tard. S’y ajoutent des heures complémentaires, quasi forcées en raison du trop faible taux d’encadrement d’effectifs étudiants en pleine explosion. Mais pour être honnête, chacun de nous aggrave encore son cas en acceptant de très lucratives missions d’enseignement à Brest puis à Vannes où de futures universités demeurent encore en gestation. Toutes ces heures de cours tendent à un alignement sur le volume d’un service dans l’enseignement secondaire, ce qui n’est peut-être pas sans effet sur le niveau de notre « enseignement supérieur ». Circonstance aggravante : le souci de promouvoir une pédagogie active, innovatrice et progressiste, du moins chez les universitaires acquis à l’héritage de Mai, gonfle démesurément la tâche. Il s’ensuit une diversification sans fin des formes de contrôles des connaissances, l’octroi de possibilités de « repentirs » pour les étudiants qui veulent rattraper une note médiocre par une note meilleure ; bref, in fine, une addition extravagante de documents à distribuer en cours, de travaux écrits à corriger, d’oraux à faire passer, d’entretiens personnalisés sur des projets de mémoires, collectifs ou individuels. Tout cela dévore des semaines entières de l’année universitaire. Le mois de juin est celui de l’abondante moisson des copies d’examen (plus de 500 en première année), qu’on se fait un devoir de corriger personnellement, en réaction vertueuse contre les pratiques d’Ancien régime qui toléraient de très larges sous-traitances. De quoi, in fine, étouffer le souffle sacré qui nous faisait travailler à la naissance d’une université enfin affranchie de ses archaïsmes et ses inégalités. Et de fait, une certaine lassitude s’est manifestée chez beaucoup d’entre nous à la fin des années soixante-dix. En ce qui me concerne elle m’a conduit à envisager d’autres voies que ce militantisme dévoreur d’énergie, pour sauver l’université. Mais les nécessaires réformes législatives se font attendre qui responsabiliseraient totalement les établissements dans la définition de leurs politiques scientifiques et pédagogiques, et les autoriseraient enfin à réguler les flux d’entrée des étudiants pour assurer leur meilleur encadrement.
16Parmi d’autres facteurs, cette situation m’a poussé à vouloir entamer une autre phase de ma carrière. En 1985, au département de science politique de Paris I, Maurice Duverger prenait sa retraite. C’était une occasion à saisir d’autant plus qu’un second poste était miraculeusement ouvert grâce à l’intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg, alors secrétaire d’État aux universités. Naturellement beaucoup de candidats étaient officieusement sur les rangs. Les anciens assistants de Paris I qui avaient réussi l’agrégation se percevaient comme des exilés tant qu’ils restaient en poste en province ou dans la périphérie parisienne ; et, parmi eux, le Directeur de cabinet du président de la République. En leur faveur, on parlait alors d’une « loi du retour ». Mais au bénéfice de qui ? Il était difficile de les départager sur la seule base du mérite, et leurs protecteurs respectifs pouvaient se diviser. Dans ces conditions, un outsider avait une carte à jouer si la chance se déclarait en sa faveur, ce qui s’est effectivement produit.
17On le sait depuis Pascal, un provincial à Paris rencontre immédiatement beaucoup de sujets d’étonnement. De loin, l’université Paris I est, à juste titre, considérée comme intellectuellement prestigieuse. En revanche les conditions matérielles qu’elle offre alors au nouveau venu, habitué au confort minimal d’un bureau, d’un téléphone et d’un laboratoire correctement doté de crédits, peuvent surprendre. C’est une litote. En matière d’enseignements, il lui faut, en outre, se soumettre à la loi d’airain d’attribution des restes au dernier arrivé. Tarde venientibus… Un cours de sociologie politique pour les dispensés de cours, à 20 h 30 dans un amphi quasi désert, un enseignement en licence d’administration publique devant des effectifs « modestes » (en tous les sens du terme), enfin une intervention dans un tronc commun de l’unique (et pléthorique) DEA de science politique : c’est le capital de départ de celui qui, à Rennes, avait fini par acquérir, grâce à son ancienneté locale, le meilleur service imaginable. Agréables surprises cependant : le bon niveau des étudiants sinon en licence du moins en maîtrise et en IIIe cycle, mais aussi l’accueil très amical de plusieurs collègues, professeurs, maîtres de conférences et assistants. Progressivement, des enseignements intéressants se libèrent, dans la maîtrise de science politique, fleuron du département, ainsi qu’en DEA à la faveur de son éclatement en plusieurs formations distinctes. Pierre Birnbaum dirige l’une d’entre elles et j’ai eu le plaisir d’y trouver à ses côtés toute ma place. Avec de très bons étudiants, la direction de mémoires et de thèses constitue sans aucun doute la partie la plus gratifiante du métier d’enseignant. Nombre de mes doctorants sont devenus non seulement des collègues dont j’avoue être fier mais aussi, parfois, des amis précieux. Cet aspect du métier ne m’a pas empêché d’être sensible au plaisir, fort ambigu d’ailleurs, de « tenir » un amphi de plusieurs centaines d’étudiants de 1re année, ce qui fut mon cas pendant de longues années en sociologie politique.
18La singularité du département de science politique de Paris I, depuis l’origine, est le nombre de politistes qui lui sont rattachés. Ils constituent une masse critique qui leur ouvre de réelles perspectives d’influence et d’innovation puisqu’ils opèrent dans le cadre institutionnel d’une UFR aux compétences clairement définies. J’ai apprécié le fait que nous, universitaires de science politique, restions les maîtres du jeu dans l’organisation et l’orientation de nos filières, même si nos différences et nos divergences rendaient parfois problématique l’aboutissement de bonnes décisions. Mais c’était la rançon de la diversité (d’écoles et de personnalités) qui y régnait alors. Certes, les moyens matériels et financiers étaient cruellement limités : peu d’espace, peu de crédits, trop peu d’encadrement administratif. Mais je crois qu’en réalité la plupart d’entre nous s’en accommodaient, et même trop bien sans doute, car chacun vivait son métier sur un mode encore très artisanal et très individualiste.
19Et puis, petite transgression aux yeux de quelques-uns, j’ai émigré de Paris I vers Sciences Po pour y passer les onze dernières années de ma carrière. Le nouveau venu redécouvre le plaisir d’avoir un bureau individuel bien équipé, au milieu de collègues amicaux logés à la même enseigne, le confort aussi de bénéficier d’une assistance administrative compétente et diligente. Davantage encore, tout devient tellement plus facile en termes d’ouverture à l’international, de réseaux à construire et activer, d’opportunités de collaboration intellectuelle à saisir. Dans l’ensemble, les étudiants se révèlent particulièrement motivés, exigeants et intelligents, ce qui, pour un enseignant qui aime son métier, constitue une stimulation de grand prix. Ceux du programme international tout particulièrement n’hésitent pas, même en seconde année, à solliciter des conseils, à faire valoir (très poliment !) leurs objections sur le cours, à demander des compléments d’information pour des travaux personnels. En master, la qualité intellectuelle des échanges a parfois été remarquablement élevée. Comble de satisfaction pour un professeur, il se voit libéré de beaucoup de tâches comme les surveillances d’examen (grâce au personnel administratif), la reprographie de textes ou la mise en place de matériel pédagogique (grâce à des tuteurs attachés aux cours d’amphi), tandis que les décharges de services pour exercice de responsabilités sont accordées avec une extrême générosité, du moins par contraste avec des expériences antérieures. Mais Sciences Po n’est pas une université comme les autres. Les universitaires sont en fait des employés, qui doivent savoir rester à leur place, laquelle n’est pas la première dans cet établissement à direction administrative centralisée. Ce système de gouvernance, aux antipodes de ce qui prévaut dans une université de droit commun, présente probablement de grands avantages pour l’élaboration d’une politique volontariste de modernisation et d’ouverture sur le monde, mais aussi quelques inconvénients en termes d’influence collective des universitaires sur la définition des stratégies intellectuelles et pédagogiques qui les concernent au premier chef. Qui s’en plaindra s’il lui demeure possible de travailler en toute tranquillité d’esprit à son œuvre de chercheur ou à son image publique d’expert ?
20Sciences Po et Paris I, deux mondes assez dissemblables comme on sait. Le poids de l’histoire, bien sûr… Ici, on pratique vigoureusement le discours critique dans les institutions représentatives ; là, on le considère comme un pur et simple manque de tact. Ce que l’un des deux établissements sait faire avec brio en matière de communication, l’autre s’y emploie avec une certaine maladresse et, de toute façon, une grande pauvreté de moyens. Ces deux mondes sont riches d’intellectuels savants prestigieux et d’intellectuels médiatiques consacrés, mais le ratio de ces deux catégories n’y est pas exactement le même. Un comité d’évaluation sourcilleux décèlerait, cette fois dans les deux camps, des anomalies en termes d’accomplissements des services légaux d’enseignement, mais les entorses n’ont pas nécessairement la même cause ni ne servent les mêmes desseins. Et puis qui n’a pas, un jour, dénigré l’autre établissement, ou succombé un instant aux tentations de la condescendance ? Petit mystère cependant : les courants migratoires des universitaires, au sein de la capitale, ont presque toujours été à sens unique. Pourquoi ? Peut-être faut-il se poser la question de savoir si les outils de la réussite académique sont équitablement répartis entre les acteurs ?
Responsabilités institutionnelles
21Cette troisième dimension du métier universitaire rebute bien des collègues qui craignent d’y perdre leur temps au détriment d’activités plus intellectuelles… ou plus lucratives. Elle en fascine pourtant quelques-uns, ce qui est heureux pour la collectivité universitaire puisque, sans eux, qui gérerait les universités ou assisterait le ministre ou le chef d’établissement dans la préparation de perpétuelles réformes ? Je me suis, comme beaucoup, cantonné à un niveau intermédiaire. Un niveau modeste de responsabilité mais suffisant pour goûter aux charmes d’un pouvoir presque toujours trompeur, et supporter presque simultanément ses moins attrayantes contreparties.
22C’est sans doute la direction d’un centre de recherches qui permet d’éprouver le plus grand déséquilibre entre les coûts et avantages de l’exercice. Certes, la création du Centre de Recherches Administratives et Politiques à Rennes, n’a été, au départ, qu’une aimable opération de promotion de notre discipline au sein de l’université. Par alignement de noms sur des formulaires administratifs autour d’axes de recherche plus ou moins artificiels, est née une institution de papier. Surprise ! aux yeux des tiers, elle n’avait pas si mauvaise figure. Le regard d’autrui, à Rennes et à Paris, nous a donc empêchés de nous complaire dans des échanges purement conviviaux, à peu près dépourvus de conséquences savantes. Il fallait envisager de passer dans la cour des grands et préparer l’association de ce laboratoire au CNRS. Ce fut le début d’une confrontation à des règles administratives strictes, que nous percevions Patrick Guiol, le directeur adjoint, et moi, comme d’effroyables casse-tête bureaucratiques du fait des limites de notre compétence en matière de gestion, et du manque de personnel technique qualifié pour nous assister. Pourtant, nous n’avions à faire vivre qu’une unité de recherche aux effectifs bien modestes, avec deux seuls chercheurs CNRS. Mais je ne crois pas m’avancer excessivement en disant que, partout, la tâche d’un directeur de labo est particulièrement lourde et ingrate en raison des nombreuses sujétions d’ordre administratif et comptable qui pèsent sur lui. Quant aux gratifications qui pourraient en constituer la contrepartie, elles demeurent modestes. Le poids d’un directeur dans l’élaboration des stratégies scientifiques est évidemment limité par les points de vue de ses pairs et, sauf dans les très grands labos comme le CERI et le Cevipof à Sciences Po, la plus-value de notoriété que le titre de directeur confère auprès des médias, reste assez dérisoire. Encore faut-il avoir quelque appétence pour ce semblant de gloire.
23La direction du département de science politique de la Sorbonne, UFR de l’université Paris I, présente plus d’attraits mais confronte aussi à des difficultés d’un autre ordre. Pendant les six années de mon mandat, j’ai tenté de juguler mes penchants trop vertueux à la transparence ou à l’égalité de traitement, notamment dans les procédures d’attribution de cours vacants ou de recrutement des diverses catégories de personnels universitaires. Les petits arrangements entre amis (mais l’amitié n’a-t-elle pas ses lettres de noblesse ?) ne sont pas toujours harmonieusement compatibles avec le strict respect des règles établies. Et dans une institution riche en fortes personnalités, la gestion des egos relève d’un art particulièrement exigeant. La direction d’une UFR comme le département de science politique de Paris I est donc un redoutable challenge pour qui tente de dégager une stratégie scientifique et pédagogique cohérente, ceci en raison de l’extrême modicité des moyens matériels et de la quasi absence de quelconques leviers d’influence. Les décisions contraignantes pour faire cesser des abus criants (lorsqu’ils existent…), sont à peu près inenvisageables. Peu de crédits à faire miroiter, encore moins de facilités statutaires à promettre pour susciter une conversion active dans un engagement collectif. Dans la mesure où bien des collègues jouissent d’un accès direct aux échelons supérieurs de l’université ou du ministère pour défendre utilement leurs fiefs, la persuasion au service de l’intérêt général trouve vite ses limites. Négocier en position de faiblesse a toujours exigé quelque don exceptionnel.
24Pourtant, la direction de ce département aura été une expérience extrêmement positive. Elle permet d’acquérir un plus grand sens des responsabilités au sein de l’Université. En faisant découvrir les contraintes qui entravent l’action, elle protège du goût pour l’hypercritique et sa stérilité. Elle instruit considérablement, au prix de quelques découvertes surprenantes, dans la connaissance des règles écrites et non écrites qui gouvernent réellement les établissements. Ce qui autorise une méditation plus réaliste sur le pourquoi et le comment des réformes à envisager. Enfin, grâce aux contacts qu’il noue, un Directeur se fait beaucoup d’amis, intéressés et désintéressés. Et s’il lui faut gérer quelques clashs ou déjouer quelques pièges, en dépit ou plutôt à cause de ces défis, il progresse énormément dans la pratique de l’exercice du pouvoir. N’est-ce pas une expérience fort utile pour un politiste ?
25À Sciences-Po je n’ai pas exercé de responsabilités institutionnelles qui méritent d’être signalées, sinon celles de whistle-blower, en compagnie de ma collègue Claire Andrieu. Ce fut notre contribution civique à la difficile mise en place, dans ce lieu de pouvoir bien spécifique, d’un système de checks and balances (pour le dire comme les constitutionnalistes d’outre-Manche). En revanche, au cours des trois dernières décennies, j’ai siégé à plusieurs reprises dans les instances nationales de notre discipline : la commission nationale du CNRS, le conseil de l’Association française de science politique et le CCU dont les divers avatars ont abouti, au fil de réformes successives, à la naissance de l’actuel CNU (Comité national des universités). Cette expérience nationale, il convient de la recommander vivement à tous les collègues désireux d’acquérir une vision globale de notre communauté académique. Sans doute, celle-ci demeure-t-elle, en science politique, de dimension relativement modeste mais elle est riche de diversités insoupçonnées. C’est à partir du CNU et de la section du CNRS que l’on perçoit le mieux les tendances nouvelles en matière de recherche, qu’on peut juger la qualité des thèses qui contribuent au renouvellement de la discipline, qu’on découvre les particularités des itinéraires intellectuels des uns et des autres ou encore la variété des coopérations mises en place avec les universités étrangères. Ces deux observatoires (CNU et CNRS) permettent de réviser certaines réputations, d’apprécier, au-delà des écrans de la notoriété, la solidité des uns ou la fragilité des autres. C’est aussi une expérience humaine de grand intérêt grâce aux rencontres qu’elle implique avec de nombreux collègues de la discipline, ceux qui délibèrent avec nous au sein de ces institutions ou ceux qui, de l’extérieur, demandent une forme ou l’autre de soutien. Jamais je n’ai été autant sollicité dans des jurys de thèse que pendant mon mandat de président de la section science politique du CNU entre 1995 et 1999. Comme par miracle, cette position institutionnelle rend « compétent » pour apprécier les sujets de recherche les plus divers.
26Siéger dans un jury d’agrégation, a fortiori le présider, a le mérite de faire mieux comprendre les forces et faiblesses de ce mode de recrutement dans notre discipline. Bien sûr, tous les agrégés ont quelque faiblesse coupable à l’égard du système qui les a « consacrés », si, du moins, leur succès n’a pas été précédé par trop de déconvenues. À l’inverse, ceux que le concours a intimidés ou rejetés, parfois fort injustement, peuvent difficilement le voir d’un œil excessivement favorable. Un jugement distancié sur cette ordalie est-il possible ? Je le crois, surtout avec le recul de dizaines d’années, lorsque les premiers dividendes du titre se sont suffisamment dévalués. De toute évidence, ce système de recrutement n’est pas la panacée universelle. En science politique, beaucoup d’excellents universitaires ne sont pas passés par cette voie, et d’autres disciplines de sciences humaines et sociales se débrouillent autrement, sans inconvénients majeurs semble-t-il. L’agrégation, parce qu’elle a le mérite d’offrir relativement tôt une carrière définitivement assurée, comporte une dose de pari sur les mérites professionnels futurs de ceux qui la réussissent ; or, il est des paris perdus. Elle accorde probablement une importance excessive aux facilités d’expression verbale ou de réaction rapide, par rapport à des qualités de fond. Je veux dire qu’il n’est pas aisé pour un jury, malgré ses excellentes intentions et les précautions prises, de toujours valoriser suffisamment la substance des travaux par rapport aux qualités de forme orale. Il est vrai que l’on recrute des enseignants, même s’ils doivent aussi être des chercheurs. Avantages peu discutables en revanche, le turn over des membres du jury d’une session à l’autre, et le temps passé à scruter chaque candidature dans l’examen des travaux, puis les auditions et discussions. Ce temps est incomparablement plus long, et la discussion des mérites incomparablement plus approfondie que dans tout autre système de sélection que j’ai eu l’occasion de pratiquer. En définitive, la valeur de ce concours dépend étroitement, comme toujours, de la qualité des personnes qui le mettent en œuvre. D’où l’importance des critères de compétence scientifique, d’intégrité personnelle et de pluralisme intellectuel dans la composition des jurys. À cet égard, la responsabilité du Président est grande.
27Être en mesure de jeter un coup d’œil rétrospectif sur plus de quarante années de vie universitaire, vécues de l’intérieur, est un grand privilège. Sans doute ce statut présente-t-il le léger inconvénient de souligner qu’on n’est plus un jeune homme. S’y résigne-t-on jamais ? Mais il offre l’immense avantage de faciliter des jugements distanciés et sereins. Un temps pour croire aux percées théoriques décisives, un temps pour en relativiser la portée ; un temps pour nourrir l’ambition de réformes salutaires, un temps pour en tester avec modestie les éventuelles avancées ; un temps pour s’enflammer dans de chaudes querelles d’école, un temps pour en sourire. Cette sagesse empruntée à l’Ecclésiaste n’est pas scepticisme mais lucidité. Je la déconseille néanmoins aux nouvelles générations de politistes qui sont encore dans l’action. Comme l’a fortement souligné Bernard Mandeville, ce ne sont pas les vertus qui font progresser l’économie, la politique ou la science mais, respectivement, la passion du lucre, l’ambition (surtout si elle est un peu pathologique), et un minimum d’illusions ou d’aveuglement. Pour confirmer l’essor de notre discipline, il est essentiel que les collègues en activité se protègent des excès de lucidité qui découragent les initiatives et plombent l’espoir d’avancées positives majeures.
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