1 Par ailleurs, des agents m’ont expliqué que, dans ce cas précis, par exemple, des erreurs commises au niveau de l’enregistrement de données relatives à l’état civil des rapatriés avaient pu être modifiées sur simple déclaration du bénéficiaire. En revanche, pour les bénéficiaires étrangers tout changement de ce type nécessite la production d’un extrait d’acte de naissance souvent long et difficile à obtenir pour les intéressés.
2 Même si, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’accueil directement à l’aéroport, du moins avec la participation d’agents appartenant à l’organisme enquêté.
3 Note interne du 7 août 2006.
4 Cette condition de séjour ne vaut que pour les étrangers, la directive interne stipulant que tout Français expatrié retournant dans le pays peut obtenir immédiatement la CMU à la seule condition de s’engager à séjourner au moins trois mois en France.
5 Puis, consécutivement à une nouvelle réforme organisationnelle, une spécialisation des structures assurant le traitement de la CMUC aboutit à la diminution du nombre des centres impliqués. Le « projet d’évolution » de la CPAM (PEV 2006-2009) réorganise les centres du département, qui perdent leur polyvalence pour être reconfigurés selon une logique de « pôles d’activité ». Ainsi, sur la quarantaine de centres du département, neuf sont sélectionnés pour devenir des « pôles d’accès au droit », chacun d’eux s’occupant de l’accueil sur rendez-vous et du traitement des dossiers CMUC de plusieurs communes. Avec pour résultat un nouvel allongement du délai d’attente pour la prise de rendez-vous.
6 A l’exception toutefois des bénéficiaires du RMI pour qui la loi prévoie l’automaticité de leur inscription à la CMU de base.
7 Dans ce contexte, comme me l’ont confirmé plusieurs agents, il n’est plus remis de récépissé de dépôt de dossier à l’accueil pour éviter les contestations des usagers, car les imprimés de ces récépissés indiquaient que la réponse à la demande devait être donnée dans un délai maximum de 2 mois.
8 Fadela, 27 ans, a été embauchée à la CPAM en novembre 2000. Elle appartient à la vague de recrutement des emplois-jeunes. Elle est depuis devenue CAM (niveau 4). Elle est titulaire d’un bac professionnel en gestion administrative et secrétariat.
9 Tout au long de la séquence, l’usager utilise le terme déposition pour parler de l’attestation. S’il montre par là des approximations dans son usage du français, celles-ci sont révélatrices de la parenté qui semble s’imposer à lui entre le centre de Sécurité sociale et le bureau du commissariat, parenté dont on verra plus loin qu’elle se manifeste dans « l’interrogatoire » des usagers par les agents de l’institution.
10 Parce qu’il demande un renouvellement, cf. la position de Médecins du Monde, chap. iv.
11 Bourdieu Pierre, Méditations pascaliennes, Paris, éditions du Seuil, 2003 [1997], p. 301-332.
12 Ainsi, le décret du 14 mars 2007 relatif aux modalités d’application de la condition de résidence pour le bénéfice de certaines prestations modifiant le Code de la Sécurité sociale précise : « La condition de résidence pourra être prouvée par tous les moyens : une liste indicative, non limitative, de pièces justificatives admissibles est proposée. » (Par exemple : trois quittances mensuelles successives de loyer, deux factures successives d’électricité, de gaz ou de téléphone, signature d’un bail avec un propriétaire datant de plus de trois mois, certificat d’immatriculation d’un véhicule de plus de trois mois, etc.)
13 Il s’agit de l’antenne Médecins du Monde où travaille Madame Hanul, dont nous avons présenté plus haut des extraits d’entretien.
14 Une fois les femmes sorties du box, Fadela, soucieuse sans doute de recueillir mon avis sur cette journée à l’accueil, m’adresse un « ça va ? » qui m’invite à quelques commentaires sur ce que j’ai vu. Je réponds que « ça va », « qu’il y a eu du monde en fin de journée ». Fadela me dit qu’il y a en général plus de monde l’après-midi que le matin et, comme pour m’expliquer ce qui s’est passé, me reparle des règles de fonctionnement en usage à l’agence pour l’accueil AME.
15 Cette structure est créée en 1995 et s’inscrit dans un programme de la politique de la ville : la maîtrise d’ouvrage urbaine et sociale (MOUS). C’est un dispositif transversal et expérimental mis en place à la suite d’un état des lieux au triple niveau social, sanitaire et urbanistique réalisé à la fin des années 1980. Le rapport qui en résulte préconise la création d’un service de proximité regroupant dans un même espace des travailleurs sociaux et différents services publics (EDF, RATP, Poste, France Télécom, caisse d’allocations familiales, retraite, assurance maladie, mission locale pour l’emploi, etc.) afin d’offrir une réponse plus globale aux usagers. Jusqu’en 2005, l’activité dans cet espace est le fait d’agents très attachés aux services publics et dont l’investissement leur avait valu d’être qualifiés « d’équipe de militants ». Suite à la suppression de plusieurs permanences du fait de restructurations internes des services publics, en avril 2007, l’ESP de Gault regroupe sept partenaires : une assistante sociale de la mairie, un agent d’accueil de l’assurance maladie, deux agents de la CAF « sociale » (une assistante sociale et une conseillère en économie sociale et familiale [CESF]), une assistante sociale de la caisse régionale d’assurance maladie (CRAMIF), une juriste et un écrivain public. Les conditions d’accueil y sont bien plus confortables que dans les centres et agences de l’assurance maladie, tant pour les usagers que pour l’agent d’accueil. Lors de mes observations, l’agent d’accueil de l’assurance maladie (Fabienne) reçoit, au plus, une vingtaine de personnes au cours des quatre heures de sa permanence. à la différence de ce qui se passe dans les centres, il n’y a pas Sirius pour enregistrer la durée des entretiens. L’agent dispose du temps qu’il souhaite pour traiter les demandes. Par ailleurs, l’accueil pour l’assurance maladie est sans rendez-vous, quel que soit le type de demande à traiter.
16 Vincent Dubois décrit également chez les agents au guichet de la CAF, ce mode pastoral d’exercice du pouvoir associant personnalisation de la relation et protection qui permet de contrôler l’usager en obtenant son assentiment. Dubois Vincent, La vie au guichet, op. cit., p. 127.
17 En revanche, lorsqu’il arrive qu’un bénéficiaire potentiel de CMU ou d’AME manifeste son mécontentement d’avoir attendu longtemps et pour rien (ou s’il rechigne à se déplacer à nouveau pour prendre un rendez-vous), la légitimité de sa protestation est souvent invalidée par les agents d’accueil par une remarque du type « Parce que vous travaillez ? », laissant sous-entendre que son temps, étant un temps de non-travail donc dépourvu d’utilité sociale, doit rester un temps disponible pour ce que lui demande l’institution qui l’assiste. Autrement dit, la valeur que reconnaît l’institution au temps d’un individu traduit la valeur sociale qu’elle accorde à ce dernier. L’attente imposée est une manière privilégiée d’éprouver le pouvoir, elle implique la soumission du dominé. Bourdieu Pierre, Les méditations pascaliennes, op. cit.
18 Chez Bourdieu, l’illusio est une croyance, acquise au cours de la socialisation, qui conduit l’individu, motivé par un enjeu spécifique, à s’investir dans le jeu social, à se prendre au jeu. Ce terme se substitue à celui d’intérêt rationnel.
19 Bourdieu Pierre, Le sens pratique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980, p. 194-195 ; Bourdieu Pierre, Raisons pratiques, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 147-167.
20 Cf. l’histoire de la vieille femme riche s’habillant de guenilles pour bénéficier des soins gratuits à l’hôpital que propagent, dans les années 1930, ceux qui réclament un contrôle plus strict de l’admission des indigents, Pinell Patrice, Naissance d’un fléau. La lutte contre le cancer en France (1890-1940), Paris, Métailié, 1992.
21 À cet effet, j’ai recueilli un témoignage relatant la visite à l’accueil d’un usager très précaire demandant à bénéficier de la CMU. Alors que d’ordinaire il n’accorde pas particulièrement d’importance à sa tenue vestimentaire, il s’était « mis sur son 31 » pour venir au rendezvous. Il est fréquent que, dans la mesure du possible, pour des relations interpersonnelles qu’il juge déterminantes pour son avenir, l’intéressé soigne la présentation de soi pour mettre son interlocuteur dans des dispositions favorables à son égard et soigner son estime de soi (cf. Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, t. I : La présentation de soi, Paris, Les Éditions de Minuit, 1973).
22 Dans quasiment tous les entretiens réalisés avec des nouveaux agents d’origine étrangère – et pas seulement – embauchés à la CPAM, des comportements racistes dans les centres sont dénoncés. Ils sont souvent décrits comme l’apanage d’agents plus âgés, Français ou Européens d’origine, et exercés à l’encontre des personnes d’origine non européenne.
23 C’est, avec la « guérite », le nom qui est donné dans ce centre au box destiné à l’accueil CMU.
24 Même si cette organisation concernant le traitement des dossiers pris à l’accueil va progressivement disparaître avec la mise en place du projet d’évolution 2006-2009, il n’en demeure pas moins que c’est au moment de la constitution du dossier – nous le verrons dans les prochaines scènes – que la décision se joue.
25 Lipsky Michael, « Les agents de base », inJoseph Isaac et Jeannot Gilles (dir.), Métiers du public. Les compétences de l’agent et l’espace de l’usager, Paris, CNRS Éditions, 1996, p. 195-219.
26 Vincent Dubois, dans son enquête à la CAF, a observé ce même phénomène (cf. La vie au guichet, op. cit., p. 127).
27 Dubois Vincent, La vie au guichet, op. cit. ; Spire Alexis, Accueillir ou reconduire, op. cit.
28 Bourdieu Pierre et Balazs Gabrielle, « L’interrogatoire », inBourdieu Pierre (dir.), La misère du monde, op. cit., p. 1425-1447.
29 Il n’en demeure pas moins que l’immixtion dans la vie privée de l’usager peut tendre à le déposséder de sa propre vie.
30 Moulière Monique et Murard Numa, « Le travail des uns et le souci des autres. Approche biographique des agents et des usagers de la CAF », Recherches et prévisions, no 54, 1998, p. 7-23 ; Murard Numa, La morale de la question sociale, Paris, La Dispute, 2003, p. 204-205.
31 Dans ce qu’elle me confie de son histoire, Amina décrit une trajectoire sociale en ascension, qui commence avec celle de ses parents. Son père, venu travailler en France comme ouvrier dans l’industrie automobile, est devenu par la suite chauffeur de taxi avant de s’établir dans le petit commerce et de tenir avec son épouse un café-restaurant à Indigone. Amina, elle, est titulaire d’un bac professionnel et, après avoir effectué quelques « petits boulots », a épousé un agent du centre social de la mairie un peu avant que celui-ci n’en devienne le directeur. Mais la résistance qu’oppose Amina à sa hiérarchie trouve aussi son origine dans un refus précoce, chez elle, des rapports de domination bureaucratiques. Elle m’a raconté comment, alors que sa mère avait été brusquée par un agent administratif de la mairie qui lui réclamait sèchement un document inutile, elle s’est interposée, pour qu’il cesse de tracasser sa mère. Et comment, depuis cet épisode, elle s’était fait la promesse que jamais elle n’accepterait que quiconque la traite ainsi.
32 Ce n’est pas un hasard si, trois mois après l’altercation, Amina démissionne après avoir réussi un concours pour suivre une formation d’éducatrice pour jeunes enfants, réalisant ce qui était alors, selon ses propres mots, « son vœu le plus cher ». À l’issue de cette formation, elle est recrutée dans une municipalité du département pour devenir responsable d’un relais d’assistantes maternelles. Parallèlement, elle reprend ses études à l’université, fait une licence en sciences de l’éducation, puis obtient un master en psychanalyse.
33 À l’exception des situations que certains usagers vivent comme un véritable « parcours du combattant », du fait d’un nombre important d’allers/retours de leur dossier pour leur réclamer de nouveaux documents, et qui sans doute entraînent, dans le cas de ces personnes, l’abandon des démarches pour bénéficier de la CMU ou de l’AME.