1 À l’instar de Marc-Henry Soulet (2005b), nous envisageons la vulnérabilité sociale dans sa dimension structurelle et dans son rapport aux transformations d’ensemble du système social. Ainsi, nous pouvons mettre l’accent sur certains types de liens qui fragilisent ou qui maintiennent dans la fragilité. « Raisonner en terme de vulnérabilité plutôt qu’en termes d’exclusion, c’est souligner le lien intrinsèque qui unit un mode d’organisation et de représentation des rapports sociaux et les déficits qu’il génère […]. Ainsi, la vulnérabilité est-elle à saisir dans la relation entre un groupe ou un individu ayant des caractéristiques particulières (notamment un déficit de protection pour se garder de la potentialité à être blessé) et un contexte social qui valorise la capacité à agir à partir de soi. » (Ibid., p. 25.)
2 Les institutions ne sont pas seulement des faits et des pratiques collectives, ce sont aussi des cadres cognitifs et moraux dans lesquels se développent les pensées individuelles (Douglas, 2000). Dans ce sens, on entendra l’insertion sociale et professionnelle des jeunes comme une institution. Son application en tant que cadre cognitif et moral des trajectoires de transition des jeunes provoque une organisation des pratiques qui engendre une forme particulière de socialisation (Dubet, 2002).
3 [http://www.gouvernement.fr/action/la-garantie-jeunes].
4 L’approche de la désaffiliation sociale telle qu’elle a été formalisée par Robert Castel (1991), ainsi que celle de la disqualification sociale, théorisée par Serge Paugam (2002), se rejoignent dans l’analyse des difficultés qui touchent les « jeunes en errance ». En effet, les protections sociales ne sont pas efficientes pour les jeunes qui ne peuvent ni bénéficier d’un soutien familial, ni se prémunir d’une qualification leur permettant de prétendre à une insertion professionnelle rapide. De plus, les difficultés psychologiques cumulées depuis l’enfance fragilisent fortement les individus et leur capacité à rebondir et mettent en péril la dimension identitaire du lien social. Les jeunes font l’expérience de la rupture en cumulant une multitude de handicaps dont l’accumulation conduit à la marginalisation. Les jeunes passent donc très rapidement de la phase de fragilité à la phase ultime du processus de disqualification sociale.
5 Voir à ce sujet les travaux foisonnant de l’observatoire du non-recours aux droits et aux services, dont je me suis largement alimentée : [http://odenore.msh-alpes.fr/].
6 « Ces condamnations de tous ceux qui ne travaillent pas, assimilés aux “mauvais pauvres” d’autrefois, sont dangereuses pour la démocratie car elles instituent un clivage qui se creuse entre deux catégories de la population. Il y a les citoyens à part entière, et ce sont toujours ceux qui sont censés tirer leur indépendance et leur dignité de leur travail (ceux “qui se lèvent tôt”). Et il y a les assistés, les parasites, les mauvais pauvres, etc., qui vivent largement au crochet des premiers. Or, derrière ces condamnations morales, il y a un déficit de citoyenneté sociale. Ceux qui sont ainsi renvoyés à l’indignité de sous-citoyens sont aussi, le plus souvent, les perdants dans le nouveau jeu de la concurrence économique qu’ils étaient mal armés pour affronter. C’est ce que l’on appelle “blâmer les victimes”. La sociologie peut avoir ici son utilité en rappelant que la capacité de se conduire comme un individu indépendant n’est pas une donnée substantielle attachée de toute éternité à la qualité d’individu en tant que tel : elle dépend de ressources et de droits qui sont nécessaires à cet individu pour qu’il puisse accéder à la citoyenneté sociale. » (Castel, 2008.)
7 Patricia Loncle (2010), dans une analyse sur les discours développés sur la jeunesse en France et en Europe, met en évidence le caractère allégorique et le pouvoir de légitimation de la jeunesse pour les acteurs publics. En s’intéressant à la façon dont les discours contribuent à façonner un cadre cognitif particulier et à la manière dont ils légitiment l’intervention publique menée par différents acteurs à différents échelons de décision, elle souligne la coexistence de deux éléments apparemment paradoxaux : les acteurs publics s’intéressant à la jeunesse sont de plus en plus nombreux et l’examen des politiques proposées en laisse entrevoir une faiblesse durable. Elle pose alors l’hypothèse suivante : « Si les acteurs publics qui interviennent en matière de jeunesse sont nombreux et que les mises en œuvre publiques sont réduites, c’est que les acteurs s’appuient sur des discours qui servent davantage à les légitimer eux-mêmes qu’à légitimer l’intervention en direction de ce public. »