Chapitre IV. Ceux qui festoient
p. 83-117
Texte intégral
1Le festin représenté par la Tapisserie de Bayeux peut servir de point de départ à une étude des participants aux festins anglo-saxons1. Rappelons les circonstances. Guillaume, duc des Normands, vient de débarquer sur la côte sud de l’Angleterre, dans le Sussex, le 28 septembre 1066. Son armée est épuisée par une longue attente de vents favorables à Saint-Valery-sur-Somme. Le roi Harold est dans le Nord, où il vient d’écraser l’armée norvégienne d’Harald Hardrada : Guillaume a donc quelques jours de répit, qu’il saura mettre à profit2. En attendant, il faut se nourrir, et on prendra donc sur le pays. Les premières images de la séquence sont éloquentes. Des cavaliers s’élancent hors des navires, en armure et lance au poing. Des animaux sont abattus, d’autres transportés. Un poney porte des vivres dans les fontes bien remplies de sa selle. C’est le pillage, sans doute supervisé par un certain Wadard dont nous ne savons rien de plus. Mais la scène devient plus précise, s’organise. Les serviteurs font cuire la viande dans un chaudron et confectionnent d’appétissantes brochettes. Un barbu sort d’un petit fourneau des pains ou des gâteaux qu’il arrange sur un plateau. Sur des boucliers placés sur des tréteaux, d’autres serviteurs défont les brochettes et disposent la nourriture dans des écuelles. Puis c’est la table elle-même : l’évêque Odon de Bayeux siège au centre, deux doigts levés en geste de bénédiction. Devant lui, un poisson. Les autres convives parlent, mangent, boivent. Devant la table en demi-cercle, un serviteur, à moitié agenouillé, une serviette au bras, présente une écuelle. Enfin, dans un bâtiment en bois, on voit siéger en majesté le duc Guillaume, l’épée nue à la main, entre ses deux demi-frères, l’évêque Odon et le comte Robert de Mortain.
2Que peut nous apprendre une telle série d’images ? D’abord que, même en campagne, et dans des circonstances difficiles, un prince comme le duc Guillaume se doit de marquer sa position par un festin digne de ce nom. Le 29 septembre est jour de la Saint-Michel, un saint particulièrement honoré en Normandie : il serait inconcevable de ne pas fêter ce jour avec honneur. Ajoutons que ceux – ou plutôt celles – qui ont brodé cette tenture, ainsi que leurs commanditaires, y attachaient aussi de l’importance. Enfin, on peut remarquer la diversité des personnages présentés ici. Organiser un prandium princier, même dans des circonstances aussi pressées et dangereuses que celles de cette fin septembre à Hastings, n’est pas l’affaire d’un petit groupe et ne s’improvise pas. Quelles sont les personnes impliquées ?
- 1- Le duc Guillaume, d’abord. Il est le chef de l’armée, celui qui donne les ordres : il siège en majesté. Cependant il ne semble pas être présent dans la scène du repas proprement dit, à moins – hypothèse a priori peu crédible – qu’il ne soit l’individu assis à la droite d’Odon, à moitié caché par le bras du personnage barbu accoudé à la table. Guillaume, en tout état de cause, est le responsable suprême de l’expédition, c’est lui qui reçoit.
- 2- Son demi-frère Odon, évêque de Bayeux, a une place essentielle dans l’image. Il bénit la nourriture : évêque et frère de Guillaume, c’est l’un des principaux barons normands et, au moment où la Tapisserie est réalisée, il est sans doute encore earl du Kent. Sa place à table est donc triplement justifiée par des raisons religieuses, familiales et politiques. Sa place dans l’image, au centre de la table, est une question plus délicate, pour laquelle on peut proposer deux explications. Soit la Tapisserie a bien été commandée par Odon, et les brodeuses lui ont attribué la place d’honneur, soit le commanditaire, quel qu’il soit, a jugé important de mettre un évêque au centre de l’image : un tel choix renforce le caractère sacré de ce repas, pris le jour de la Saint-Michel (saint guerrier) dans le pays que Guillaume a conquis, renforce par là même la légitimité de ce repas, et réaffirme celle des prétentions de Guillaume sur l’Angleterre, que l’on sait bien incertaines. Ce n’est donc pas parce que cette scène représente Odon au centre que ce dernier est le commanditaire de la Tapisserie – mais c’est peut-être parce qu’il en est le commanditaire qu’il apparaît au centre. Le rôle du clerc, et singulièrement de l’évêque, dans le festin, est donc un élément à prendre en compte. La présence d’un poisson, alors que la Saint-Michel est jour de charnage et que les scènes précédentes ont clairement représenté la préparation de viande (oiseaux, bœuf, mouton, cochon, sont réquisitionnés), va dans ce sens d’une insistance sur le caractère clérical du personnage, au-dessus des deux autres raisons, familiales et politiques, qui le font asseoir à cette table.
- 3- Les autres convives, dont peut-être Robert de Mortain, autre demi-frère du duc, se partagent les autres places. L’entourage du duc et/ou de l’évêque est composé des milites qui participent à l’expédition, ceux qui ont suivi le « coup de dé » de Guillaume, ses fidèles. Ce sont aussi ceux qui ont été envoyés, armés et cuirassés, chercher de la nourriture au début de la séquence. On remarquera qu’à table ils ne sont pas habillés en guerre mais portent des vêtements de cour : tuniques, broches, capes. Y a-t-il parmi eux ce Wadard qui, semble-t-il, a coordonné le ravitaillement ? En tout cas, il est intéressant de voir qu’il n’est pas seulement le fait des serviteurs, mais qu’il est confié à des personnages comme Wadard : à cheval, vêtu d’une cotte de mailles, armé d’un bouclier et d’une lance, il est lui aussi un miles, chevauchant au milieu des maisons et autour de qui s’activent les personnages à pied apportant les animaux à abattre et le poney chargé.
- 4- Les serviteurs semblent se répartir en deux groupes : ceux qui préparent le repas et ceux qui disposent et servent les mets. Les premiers sont des « spécialistes » : le « boulanger barbu », mais aussi les deux « cuisiniers », qui installent la marmite au-dessus du feu. Le second groupe est celui des ministri, les serviteurs serveurs, dont la tâche semble bien plus de représentation que d’utilité pure. Leurs fonctions sont plus symboliques qu’efficaces : l’un d’eux sonne dans une corne, comme pour appeler à table ; un autre est agenouillé devant la table avec un déhanchement digne du plus stylé des maîtres d’hôtel. Ces personnages sont là pour la montre, pour que les écuelles soient bien préparées, les viandes bien découpées (il y a un couteau devant l’un d’eux). Ceux-ci combattront-ils – à pied ou à cheval – ou sont-ils simplement là pour servir ? Et dans ce cas ont-ils un autre service, par exemple auprès des chevaux ? Là cessent malheureusement les informations directement apportées par l’image.
3Les groupes ici dégagés sont ceux que nous étudierons dans le présent chapitre. Tous ne sont pas toujours présents dans les sources, mais tous ceux qui participent à un festin, de près ou de loin, rentrent dans une de ces catégories. L’hôte d’abord3, ici le duc Guillaume, est celui qui rend possible le festin : c’est lui qui mobilise le personnel, qui se procure la nourriture, qui la met à la disposition des convives. L’invité d’honneur ou destinataire principal, ici Odon, est celui qui a été choisi par l’hôte comme donataire du festin, ou celui que la source – comme c’est le cas ici – met à la place d’honneur, au propre comme au figuré. Les convives, ici les milites, sont en général liés d’une manière ou d’une autre à l’hôte ou à l’invité d’honneur, voire aux deux : ils sont, au sens étroit, ceux qui festoient ; sans eux pas de festin. Il y a encore le personnel, ceux qui assurent le service : on verra que cela peut être un honneur, voire une charge âprement disputée. Enfin les spécialistes, les « hommes de l’art » : cuisiniers, boulangers, ils donnent au festin un tour particulier en permettant que les nourritures y sortent de l’ordinaire. Un sixième groupe pourrait être examiné, qui n’est sans doute pas présent dans cette scène, à moins que les hommes non armés qui s’activent autour de Wadard n’en fassent partie : je veux parler de tous ceux qui ne s’approcheront jamais de la table, ceux qui, pour diverses raisons qu’il conviendra d’élucider, sont exclus du festin.
Donner un festin : comment et pourquoi l’hôte reçoit
4L’hospitalité offerte au roi est un trait important de la période anglo-saxonne. Le format du présent livre ne nous permet pas de l’étudier pour elle-même : je me contenterai de rappeler ici les principales conclusions auxquelles je suis parvenu. Obligatoire et universelle – du moins exigible auprès de tous les hommes libres – au début de notre période, elle semble disparaître au cours du ixe-xie siècle. En réalité, elle est remplacée dans la plupart des cas par le paiement d’une rente en nature, le feorm, voire de consuetudines en argent, mais aussi par une hospitalité d’apparence plus spontanée : seuls les grands reçoivent désormais le roi, pour leur plus grand avantage d’ailleurs. En effet, l’essor de l’administration royale, sa capacité à prélever de manière efficace un grand nombre de taxes, redevances et impôts, son recours à l’écrit dans la codification des droits et charges dont la couronne bénéficie, rendent plus « honorable », pour les puissants, la vieille coutume de recevoir le roi.
5Mais ce que nous voulons observer ici c’est, en adoptant la perspective inverse, le festin offert par le roi à ses fidèles, du « haut » vers le « bas ». C’est en effet pour celui-ci que les documents sont les plus abondants ; c’est celui qui, idéologiquement, semble le plus fondamental. Le couple royal possède une dimension nourricière : l’Angleterre anglo-saxonne ne différait pas sur ce point des autres régions d’Europe occidentale. Les travaux de Michael Enright ont bien mis en lumière ce type de festin, que l’on pourrait décrire comme imprégné de l’éthique du comitatus. Le seigneur, dans la poésie en particulier, mais aussi dans des textes en prose, est alors désigné comme hlaford, littéralement « gardien du pain », terme qui est à l’origine de l’anglais moderne lord. Quant à la dame, son épouse, elle est la hlæfdige, la « pétrisseuse de pain »4. Est donc hlaford, au moins symboliquement, celui qui peut nourrir ses hommes, celui dont les revenus lui permettent d’entretenir une suite de hlafætan5, de « mangeurs de pain », c’est-à-dire une bande armée.
6Que ces hommes entretenus par le hlaford soient des parents, des dépendants ou une bande recrutée dans diverses régions, il se doit de leur procurer des dons et des festins fréquents. Si Beowulf est bien, comme le propose André Crépin, une manière de « miroir au prince6 », il n’est pas étonnant d’y rencontrer des jugements sur la manière dont un prince doit dispenser à ses hommes des festins. Le roi danois Heremod est blâmé pour l’avarice dont il fait preuve vis-à-vis de ses hommes : au lieu de les nourrir, Heremod tue ses beodgeneatas (compagnons de table) et ses eaxlgesteallan (compagnons d’épaule)7. Les « compagnons d’épaule » désignent bien entendu ceux qui se battent à ses côtés, épaule contre épaule, dans le « mur de boucliers » : signe du lien entre fraternité guerrière et commensalité. Au contraire, Hrothgar, sage souverain, parvenu au sommet de sa puissance, se préoccupe de construire une grande salle pour ses hommes, et il ne lésine pas sur les moyens. L’évocation de la construction de Heorot multiplie les termes exprimant la grandeur du projet et surtout l’inclusion de tous8. L’itinéraire du héros Beowulf dans le poème est donc bien, comme l’affirme A. Crépin, celui du guerrier apprenant à être roi9. Il a commencé sa carrière comme foster-son de son grand-père maternel le roi Hrethel, qui l’a accueilli à sa cour à l’âge de sept ans et, à cause de leur parenté, lui a procuré sinc ond symbel, les trésors et le festin10. Ensuite, il a servi Hygelac, le fils de Hrethel, et a payé largement au combat les trésors qu’il recevait, si bien que Hygelac n’a pas eu besoin d’aller chercher ailleurs d’autres guerriers qu’il aurait dû payer plus cher11. Beowulf, donc, s’est bien comporté parce que ses parents, Hrethel puis Hygelac, s’étaient bien comportés envers lui : aucun étranger n’a dû entrer dans le circuit, car entre parents tout s’est bien passé. Mais il peut arriver, dans le monde du poème, que le roi ne trouve pas dans son entourage les forces nécessaires. C’est le cas de Hrothgar, affligé par les dévastations de Grendel, et qui doit accepter l’aide de Beowulf : là aussi Hrothgar se comporte honnêtement, et offre à Beowulf des trésors et des festins. À la fin de sa vie, Beowulf est devenu, comme le rappelle son parent Wiglaf, celui qui dispense l’hydromel et les anneaux dans la salle, et c’est lui qui attend en retour un paiement de ses guerriers : le verbe utilisé est gyldan, qui signifie littéralement payer, apporter sa part12. Et c’est précisément la trahison de ses guerriers, effrayés par le dragon, qui entraîne sa mort. Jos Bazelmans a remarqué avec justesse qu’à chaque moment de sa carrière, Beowulf se trouve dans une position différente en tant que participant à des rituels de don, et expérimente toutes les modalités de la vie en société d’un membre de l’élite guerrière : rapports entre roi et membres du comitatus, entre roi et roi, entre roi et gens du peuple13. Pour Frands Herschend enfin, il y a une véritable « spirale du bien » qui fait passer le héros d’une position à une autre au fur et à mesure qu’il accumule les actions héroïques14.
7Le rôle du hlaford dans le comitatus est donc assez clair. Celui de la hlæfdige est plus délicat. Il a été abondamment étudié, par Enright par exemple, et pourtant il y aurait encore beaucoup de choses à ajouter à ce propos. La hlæfdige de la poésie possède, c’est certain, un rôle essentiel, à mi-chemin de celui de l’hôte et de celui du « personnel de service ». Officiant dans la salle, elle porte la coupe à son seigneur et la fait passer de main en main, à la fois hôtesse et échanson. En tout cas, elle n’est pas comme dans certaines civilisations exclue du festin ni reléguée à un rôle de pur service. Si on ne la voit pas boire elle-même, elle est le signe vivant de la paix dans la salle, en particulier si elle est l’objet d’un mariage diplomatique15. Elle est aussi chargée de procéder à une partie des distributions de dons qui ont lieu pendant le festin16. D’ailleurs, si Beowulf ou Hrothgar, les bons rois, ont un repoussoir dans le personnage de Heremod, Wealhtheow, la reine modèle, en a un dans celui de Thryth, l’épouse du légendaire roi Offa. Avant son mariage, nous dit le poète, elle faisait mettre à mort ceux qui osaient la regarder, au lieu de « tisser la paix ». Ce n’est qu’après son mariage qu’elle se comporta comme il sied vis-à-vis des « buveurs de bière », faisant preuve de munificence et siégeant parmi eux17.
8Le hlaford et la hlæfdige ont donc, dans les festins poétiques, un rôle idéal, qui peut être résumé par les traits suivants :
- - ils nourrissent et abreuvent les guerriers, et leur prodiguent des dons : ceci est un devoir, une obligation liée à leur statut, et s’ils ne le font pas, s’ils utilisent l’espace du festin pour y faire régner la violence, ils encourent comme Heremod et Thryth les reproches des convives et des générations suivantes ;
- - par ce biais, ils renforcent des liens préexistants, que ces liens soient ceux de la parenté comme entre Beowulf et Wiglaf, ou qu’ils aient été créés par une sorte de contrat d’engagement comme celui que passe Beowulf avec Hrothgar ;
- - ils ont enfin un rôle d’éducation envers les plus jeunes, surtout envers ceux de leurs parents qui leur sont confiés, les habituant à donner lors des festins, et leur enseignant les règles de l’hospitalité. Les nombreux conseils de Hrothgar à Beowulf sont à expliquer dans ce cadre : le festin est, autant qu’un lieu de réjouissance, un lieu d’éducation à la souveraineté.
9Peut-on retrouver, en dehors du monde de la poésie héroïque, ces trois fonctions du couple princier ? Remarquons d’abord que les mots hlaford et hlæfdige semblent recouvrir, au fil des siècles, des sens assez différents. Au début du viie siècle, il n’est semble-t-il nul besoin de faire partie des couches les plus élevées de la société pour être un hlaford : les lois d’Æthelberht parlent des hlafætan d’un ceorl, c’est-à-dire d’un paysan libre18. Au ixe-xie siècle en revanche, les mots hlaford et hlæfdige semblent réservés aux nobles. En effet, il faut placer entre la fin du viie et le début du xe siècle un double mouvement, décrit en particulier par Rosamond Faith : alors que tout homme en vient à avoir un seigneur, la capacité à être le seigneur d’autres hommes en vient à être limitée à ceux qui possèdent le statut de thegn19. Si les mots hlaford et hlæfdige, au viie siècle, semblent donc proches de leur sens étymologique, ils ne sont plus, au xe-xie siècle, un indice d’un tel rôle mais sont plutôt liés à un statut juridique.
10Le rôle de hlaford et celui de hlæfdige ne seraient plus, par conséquent, marqués sexuellement comme ils le sont dans la poésie : une hlæfdige au xie siècle peut tout à fait occuper la position d’un hlaford, avoir son propre comitatus et donc offrir des festins. Cette évolution semble s’amorcer dès le début du xe siècle pour les rois et les reines. Le cas d’Æthelflæd, hlæfdige des Merciens de 911 à 918, est tout à fait significatif de ce glissement20. Ici, le mot a un tout autre sens que celui qu’il a dans la poésie : il devient au sens propre la forme féminine de hlaford, et non plus le nom de la « parèdre » du hlaford. La matrona de la Vie de Kenelm, que nous avons évoquée plus haut21, serait l’équivalent au niveau des élites locales de cette possibilité pour les femmes d’organiser au xe-xie siècle leurs propres festins, et plus seulement d’officier à ceux de leurs maris.
11Le rôle nourricier du couple princier est malgré cela resté un idéal, régulièrement affirmé : on le retrouve exprimé dans un certain nombre de textes « normatifs » – non pas dans des textes de loi au sens strict, mais dans des œuvres exprimant ce qu’il convient de faire, ce qui est considéré comme normal :
Le roi doit par une somme fournir la reine
en coupes et en anneaux ; les deux doivent avant tout
être bons au sujet des présents. Le combat doit chez l’homme
croître largement, et la femme doit prospérer,
aimée de son peuple, être de caractère facile,
garder les secrets, avoir le cœur plein de largesse
pour les chevaux et les trésors ; dans la discussion sur l’hydromel
face à la troupe des nobles compagnons elle doit toujours et partout
le rempart des princes saluer en premier,
la première coupe aux mains du seigneur
présenter, précieuse, et pour eux [elle doit] savoir les conseiller,
eux qui possèdent le bâtiment, eux deux ensemble22.
12Ce texte est tiré des Maximes I, qui ne sont pas un poème héroïque mais un recueil de poésie gnomique compilé avant la fin du xe siècle : il est certain que certaines « maximes » remontent à un passé très ancien. L’image donnée ici correspond à celle de Beowulf : le roi et la reine coopèrent à la fois au gouvernement du comitatus, à la distribution des dons et à la « discussion sur l’hydromel ». Chacun est à sa place, même si tous deux sont désignés comme « propriétaires conjoints du bâtiment » : le roi fournit, la reine donne, le roi décide, la reine conseille. « Elle est vue en relation avec son seigneur et sa troupe de guerriers23. » Si ce texte ne reflète plus, au moment où il est copié, une réalité, s’il exprime un idéal déjà dépassé par les faits, cela ne signifie donc pas qu’il ne soit plus actif en tant qu’idéal. La reine reste idéalement la « parèdre » du roi, une figure qui, au même titre que le bouteiller ou le sénéchal, fait partie de sa maison et joue un rôle dans le festin. Ce rôle, dans l’idéal comme dans la poésie héroïque, est donc en conformité avec son rôle traditionnel de « tisseuse » de paix et d’alliance. La permanence de l’idéal du seigneur dispensateur d’hydromel est quant à lui fortement exprimé, encore à la fin du xe siècle, par un poème comme la Bataille de Maldon.
13Ceci vaut pour l’idéal. En réalité, le relatif effacement des reines au ixe siècle, du moins chez les Saxons de l’Ouest24, préside à un certain nombre de changements, qui semblent confirmer l’évolution déjà constatée des mots hlaford et hlæfdige. Dès lors que le couple royal ne fonctionne plus comme une unité organique, le retour des reines sur le devant de la scène au milieu du xe siècle entraîne l’apparition pour elles d’un rôle propre, qui n’est plus celui de « parèdre du roi ». Vis-à-vis des nutriti et des autres membres de la cour, la reine n’est plus, à la fin du xe et au xie siècle, un membre de la maisonnée du roi comme au viie-viiie siècle : elle possède sa propre maison, ses domaines où elle prélève le feorm, ses officiers de bouche ; ainsi les reines Ælfthryth, Emma et Édith ont-elles leur propre bouteiller. Le festin de couronnement d’Edgar en 973 peut être vu comme l’expression de ce nouveau rôle : au lieu d’être aux côtés de son mari pour offrir la coupe comme doit le faire la « bonne épouse » des Maximes I – poème pourtant contemporain –, la reine Ælfthryth préside un banquet à part, réunissant en particulier les abbés et les abbesses, alors que le roi réunit les évêques et les grands seigneurs laïques25. Le rôle de la reine comme patronne des abbayes est particulièrement important : dans les listes de souscription des chartes, il est fréquent que le nom de la reine apparaisse non pas immédiatement après le roi, mais après les évêques, à la tête des abbés. Ce rôle peut d’ailleurs être vu comme nourricier : à Abingdon, à la fin du xiie siècle, on racontait que la reine Édith avait donné à l’abbaye la terre de Lewknor pour nourrir les enfants de l’école monastique26. Beaucoup de princesses et de reines ont d’ailleurs été élevées au xe-xie siècle dans des couvents comme Wilton ou Shaftesbury, où elles ont appris la manière de se comporter en société tout autant que l’ascétisme, et ce en général auprès d’abbesses qui étaient elles-mêmes des veuves royales ou des princesses du sang. Édith, fille de Godwine et épouse d’Édouard le Confesseur, élevée à Wilton, est réputée avoir elle-même confectionné pour son époux des vêtements de prix, qu’il portait « plus en raison de la coutume des rois que par un désir périssable d’une vie de luxe27 ». En outre, en raison de sa modestie, elle refusait en général, selon le biographe de son époux (qui bien souvent semble exalter sa sainteté autant que celle du roi), de tenir son rang et de s’asseoir aux côtés du roi, sauf dans deux occasions : à l’église et à table28. L’auteur de la Chronique d’Abingdon, qui désigne la reine comme urbana, « du siècle », s’étonne de sa connaissance des usages monastiques. Frank Barlow réplique en rappelant qu’elle avait été élevée à Wilton29, mais cette éducation, si elle explique sa connaissance des usages bénédictins, ne la rend pas moins urbana que les autres femmes de l’aristocratie. De tels monastères étaient aussi des écoles de comportement aristocratique. À Wilton, on apprenait aux jeunes filles de l’aristocratie que le festin était une chose sérieuse.
14Pour résumer, le rôle nourricier du roi et de la reine, et plus généralement celui du seigneur et de la dame, sont attestés pendant toute notre période, mais des changements n’en sont pas moins sensibles. Ce rôle semble en particulier rester important vis-à-vis des jeunes, mais dans des sphères désormais distinctes : au roi les jeunes garçons nourris à la cour, à la reine les jeunes filles des monastères. Bien sûr, cela ne veut pas dire que la reine n’a plus aucun rôle à la cour, loin de là. Mais il semble qu’elle y ait plutôt un domaine réservé, l’ornement et la beauté de la demeure royale faisant spécialement partie de ses attributions. Cela ne veut pas dire non plus que ce rôle n’est pas ancien. Les pendentifs de ceinture qu’on a retrouvés dans de nombreuses tombes de femmes avant le viiie siècle comportent en général des clefs, ou plutôt des imitations de clefs – peut-être signes d’un rôle particulier de la maîtresse de maison vis-à-vis du trésor ou des réserves30. On peut comparer ce domaine d’activité à celui qu’Hincmar attribue à la reine, qui (avec le chambrier) est selon lui chargée de veiller à la noblesse et à l’ornement du palais, et est particulièrement sollicitée pour gérer le trésor et les dons31. Toujours « gardienne32 » des intérêts de son époux, l’épouse veille encore, au xe-xie siècle, à la bonne marche de la maisonnée, à la splendeur et à l’honneur des événements qui en ponctuent la vie, et singulièrement des festivités. En revanche, son rôle d’officiante directe du festin s’estompe : du moins n’en trouve-t-on que rarement trace. Peut-être l’éducation des princesses dans des abbayes a-t-elle favorisé cette évolution ? Les abbesses ont en effet depuis longtemps, comme l’a montré Bonnie Effros à partir des Vies de Radegonde, un rôle d’accueil et de présidence des festins qui ne se confondait pas avec le rituel de la coupe33. L’influence franque a ainsi pu être déterminante, surtout si le texte d’Hincmar est le signe d’un usage plus ancien en Francie qu’en Angleterre. Peut-être faut-il surtout y voir le résultat de la distension des liens entre le couple royal et les grands, qui sont de plus en plus des proceres et optimates du royaume, et de moins en moins des ministri et des comites du roi : dans de telles circonstances, le rôle de la reine reste valorisé, idéalisé, mais il s’oriente vers d’autres buts. Moins présente dans le déroulement du festin de son époux, elle peut désormais assumer un rôle nourricier qui lui est propre en restant un relais efficace d’un pouvoir qui reste investi dans le couple.
Recevoir un festin : droits et devoirs du destinataire
15Le voyageur arrivant dans la demeure d’un homme ou d’une femme riche est susceptible de recevoir le logement et le couvert pour un maximum de trois nuits : ainsi, une loi du Kent (viie siècle) limite à trois jours la « franchise » accordée à un hôte recevant un invité34 : les trois premiers jours, il n’est qu’un invité, mais au-delà, l’hôte peut être amené à répondre des actes de son invité, exactement comme si ce dernier était entré dans son comitatus. Cette durée de trois jours est régulièrement mentionnée comme la durée des festivités, comme si les faire durer plus longtemps engageait à quelque chose de plus35.
16Trois nuits, c’est aussi le temps que passe Beowulf à Heorot36. Pendant cette durée, le héros s’assoit trois fois au festin. Sans préjuger du plan intérieur du hall, qui sera étudié plus loin, on peut s’interroger sur la place offerte à Beowulf par Hrothgar lors de son séjour à Heorot, et sur le sens que prend cette place. Beowulf, à son arrivée à Heorot, est un étranger, mais il a un nom, un père et un seigneur : ces raisons suffisent à le faire admettre dans le hall. Une place est libérée pour lui et ses compagnons37. Lui-même s’assoit près des fils de Hrothgar, qui sont manifestement de très jeunes gens38. Il semble que, lors des deux autres festins, sa place reste la même, y compris après sa victoire sur Grendel puis sur sa mère39. De cette place, il peut aisément dialoguer avec le roi Hrothgar et son conseiller Hunferth, assis à ses pieds. Il semble donc certain que la place qui lui est octroyée dès le début est une place d’honneur. Mais les raisons qui président à ce choix varient. La première fois, le festin a déjà commencé à l’arrivée de Beowulf : celui qu’on honore par cette place, c’est le voyageur de haut rang qui arrive inopinément. La seconde fois, il est lui-même le héros de la fête, il reçoit la plupart des dons et est honoré tout spécialement par Wealhtheow et Hrothgar : sa place est donc justifiée non plus seulement par son rang, mais aussi par ses actes au service du maître du hall. Le troisième festin est en cela semblable à la fois au premier et au second. Beowulf, que tout le monde croit mort, arrive inopinément porteur de la tête de Grendel : il est alors invité à s’asseoir et rejoint sans doute la place qui est la sienne. On remarquera qu’à chaque fois, c’est Hrothgar qui demande à Beowulf de s’asseoir40.
17Cette situation tranche avec celle qui prévaut dans le hall de Hygelac. Là Beowulf est en quelque sorte chez lui : il s’assoit dès son arrivée face à son oncle et seigneur, « parent face au parent », après que Hygelac a donné l’ordre de libérer des places pour ses compagnons41. Beowulf aurait donc ici un siège pré-défini. En tant que neveu de Hygelac et seul homme adulte de la famille royale, Beowulf occupe dans le hall de son oncle la place qu’occupe Hrothulf dans le hall de Hrothgar : à proximité immédiate du roi42. Cette place près du roi n’est donc pas, comme on pourrait s’y attendre, la place de l’invité d’honneur, de l’étranger honoré. Celle-ci, dans Beowulf, se situerait plutôt parmi les « hommes qui boivent », au sein de la communauté, avec les jeunes (geoguð) ou les vétérans (duguð) selon l’âge de celui qui est honoré. On insistera donc sur la difficulté qu’il peut y avoir à reconnaître le destinataire d’un festin. Le fait de s’asseoir aux côtés du prince n’en est pas nécessairement le signe : il faut se garder de transposer nos propres notions de la « place d’honneur ». Certes, les places aux côtés du roi sont honorables : elles reviennent dans Beowulf à la reine et au membre le plus en vue de la famille royale. Mais ces places sont institutionnelles. C’est dans les gestes et les raisons invoquées par les sources que l’on peut reconnaître le destinataire principal d’un festin.
18Quels sont alors, dans la poésie mais aussi dans les autres sources, ces gestes et ces raisons qui permettent de reconnaître l’invité d’honneur ? Voici ceux que l’on peut isoler, qui rappellent de manière troublante certains traits du festin compétitif tel qu’il est analysé par Douglas Oliver43 :
- - L’invitation formelle à prendre place, éventuellement à une place précise. La place est prédéterminée : chacun sait quelle est la sienne dans le hall. C’est pour les nouveaux venus qu’une telle indication est nécessaire. En le faisant asseoir près de ses deux fils, Hrothgar honore Beowulf. On retrouve une telle invitation dans la Vie de Wulfhilde. La jeune moniale Wulfhilde est aimée du roi Edgar, qui s’arrange pour la faire inviter chez sa tante Wenflæd, à la villa de Wherwell. Quand Wulfhilde, sortie de son couvent, arrive chez sa tante qu’elle croit malade, elle trouve le roi et toute la compagnie attablés au festin. Edgar lui demande alors courtoisement de prendre place entre lui et Wenflæd44. La « place d’honneur » ici n’est pas la même que dans Beowulf, et nous devrons y réfléchir quand nous étudierons le « plan de table » du festin anglo-saxon. Mais il est certain que l’invitation formelle à prendre place est un des marqueurs de l’honneur d’être le destinataire principal : le festin a été préparé pour Edgar et Wulfhilde, même si la seconde dédaigne les propositions de mariage du premier. Ne pas prononcer ces mots d’invitation, ou s’asseoir sans les attendre, est une faute. Quand Egill, après avoir remporté une victoire pour le compte du roi Æthelstan, se rend au banquet du roi, il s’assoit immédiatement « dans le haut-siège, face au roi ». Cette situation de tension n’est réglée que quand Æthelstan se lève et lui fait un don, permettant ainsi que le festin puisse suivre son cours normalement45.
- - L’offrande de la coupe. La reine, on l’a vu, présente la coupe au roi dans ce qui est peut-être un ancien rituel de souveraineté dans le comitatus, comme l’a proposé M. Enright. Mais elle présente aussi la coupe, dans Beowulf, à tous les convives, et singulièrement au héros lui-même. Celui-ci est le seul, avec Hrothgar, à être gratifié d’un discours de la reine : de l’hôte (Hrothgar) à l’invité d’honneur (Beowulf), Wealhtheow montre par son comportement que le « rituel de la coupe » ne sert pas uniquement à exalter le seigneur et à resserrer ses liens avec le comitatus. Il sert aussi à honorer spécialement un invité exceptionnel. Ce rituel, comme l’a montré Enright, remonte très loin dans l’imaginaire des peuples européens : n’est-ce pas ainsi que Marseille a été fondée46 ? que Théodelinde a reçu Authari déguisé47 ? Au-delà du rôle de faire-valoir du pouvoir de son époux et de lien entre lui et le comitatus, la reine des récits semi-légendaires a aussi la tâche d’honorer ceux qui doivent l’être d’une façon plus ostentatoire. On remarquera toutefois que ce rôle n’est présent que dans des récits marqués par le ton héroïque et/ou légendaire : peut-être faut-il y voir à nouveau le signe que ce rôle de la reine reste purement idéal et qu’en réalité elle remplit assez tôt des fonctions à la fois plus diverses et plus effacées ?
- - Le don ostentatoire. L’épisode de la présentation de la coupe à Beowulf se double d’un don particulièrement précieux : le collier des Brosiens, dont le poète raconte l’histoire48. Beowulf est rempli des dons faits par le couple royal au héros, à la fois avant et après sa victoire. Aussi certains dons lui sont-ils accordés en tant que voyageur, fils d’un ami, neveu d’un roi, alors que d’autres lui sont accordés en tant que vainqueur, comme récompense. Ces dons sont de nature diverse, mais les armes occupent la place principale. À chaque fois, la remise des dons a lieu dans le hall, avant ou pendant un festin. Ils sont donc eux aussi le signe du statut particulier de Beowulf dans le hall de Hrothgar et Wealhtheow. Le festin est donc, dans l’Angleterre anglo-saxonne comme ailleurs, un des moments privilégiés pour honorer quelqu’un par des dons : dans la Saga d’Egill, le héros reçoit du roi Æthelstan un bracelet49 ; le roi Gontran, lors d’un banquet à Tours, fait briser 15 plats d’argent et les fait distribuer aux évêques présents50. Ce dernier récit préfigure l’histoire rapportée par Bède du roi northumbrien Oswald et d’un plat d’argent brisé et donné aux pauvres à l’occasion d’un festin pascal51. Si de tels présents, distribués dans un festin, marquent en effet l’honneur accordé à certains convives, alors le fait qu’Oswald fasse distribuer aux pauvres les morceaux du plat montre qu’il les considère, en quelque sorte, comme les invités d’honneur de son festin pascal (même si, bien sûr, il ne les fait pas venir à table !). Un voyageur noble s’attend à recevoir de tels dons de ses pairs dont il sollicite l’hospitalité. Bède remarque comme un trait étonnant le fait qu’Aidan ne donnait jamais d’argent aux nobles qu’il recevait, mais seulement de la nourriture52. Or la nourriture elle-même, et surtout la boisson, pouvaient être vues comme des dons particulièrement précieux et désignant eux aussi l’invité que l’on honore par des mets ou des boissons spéciales. Car le mets honore l’invité : il est préparé à son attention et est placé spécialement et ostensiblement devant lui.
- - Les conseils et louanges. Hrothgar n’en est pas avare envers Beowulf, à qui il adresse à plusieurs reprises de véritables sermons53. De la part du prince, de son épouse ou de sa fille, s’adresser à l’un des convives en particulier – que ce soit ou non en lui présentant la coupe – est une marque d’honneur, d’attention. Cette louange peut parfois être prodiguée par un professionnel, comme c’est le cas pour Beowulf, qui après sa victoire sur Grendel est gratifié d’un chant le comparant au héros Sigemund54. De même, des poèmes et des récits pouvaient être produits dans les grandes occasions comme les couronnements (ceux d’Æthelstan et d’Edgar notamment) ou les funérailles d’un roi : la Chronique anglo-saxonne en conserve quelques-uns55, comme celui sur la Bataille de Brunanburh, qui a pu être composé dans un tel cadre festif pour honorer le roi Æthelstan après sa victoire.
- - Les divertissements nobles. Un hôte honore aussi son invité par des divertissements qui, au cours comme en dehors du festin, expriment le statut élevé des deux individus. On vient d’évoquer la poésie, mais on pourrait tout aussi bien évoquer la chasse que Louis le Pieux offre au Danois Hérold56. Parmi ces divertissements, l’invité peut aussi être convié à prononcer lui-même un poème. Ceci n’est pas présent dans Beowulf, mais Egill, l’un des plus grands scaldes du Nord, ne se prive pas de ce plaisir, qui est en même temps une courtoisie qu’il rend à son hôte Æthelstan.
- - Le logement dans un quartier séparé. La première nuit, Beowulf dort dans le hall, mais les deux autres nuits il est honoré par un logement à part57. Un tel traitement est un grand honneur, lié à son rang et à son lien de parenté avec le roi : un conseiller aussi honoré de Hrothgar qu’Æschere dort dans le hall, où il meurt victime de la mère de Grendel. Seules les femmes et, chez les hommes, Hrothgar, Beowulf, sans doute les proches parents de Hrothgar (ses fils et son neveu), et probablement son þyle Hunferth, dorment hors du hall, dans un bur séparé58. Et ne croyons pas que la première nuit Beowulf ne soit pas encore « digne » d’obtenir un tel logement : s’il dort dans le hall, c’est bien sûr parce qu’il y attend Grendel, et que le hall lui a été confié. Un logement particulier est donc un signe de grand honneur, et héberger un invité de marque n’est pas une mince affaire : ce n’est pas pour rien que la limite légale est fixée à trois jours.
19L’invité d’honneur, on le voit, n’est pas seulement celui qui s’assoit « à la droite de l’hôte » : toute une série de gestes et d’attitudes permettent d’honorer certains invités, et d’abord les rois, les évêques et les potentes en général, qui sont les destinataires « par nature » du festin. Beowulf, on l’a vu, est reçu comme invité d’honneur non pas parce qu’il est un voyageur, non pas parce qu’il se propose de vaincre Grendel, mais parce qu’il est fils d’Ecgtheow et neveu de Hygelac. En un mot, pour être honoré d’une telle manière, il faut être déjà en position – sociale, politique et familiale – d’être le destinataire principal d’un festin. Le festin ne crée pas l’honneur : il le renforce, il l’exprime. L’immense majorité des invités d’honneur que l’on peut repérer dans nos sources sont des rois, des évêques, des abbés et des nobles laïques. Certes, cela peut être dû à un effet d’optique : les sources nous parlent peu des autres. Mais, chez Bède, le voyageur breton qui reçoit l’hospitalité dans une maison d’un vicus n’est pas traité en invité d’honneur59 : on ne lui dit pas de prendre place à un endroit précis, on ne lui fait pas de cadeau, on ne chante pas ses louanges.
20Le roi est souvent l’invité d’honneur des festins : il doit se montrer à table, à intervalles réguliers. Les couronnements des deux frères Eadwig (fin janvier 956) et Edgar (à la Pentecôte de l’année 973) sont tout à fait révélateurs de ce principe et en disent long sur l’importance accordée au repas par les grands ecclésiastiques et laïcs à la fin du xe et au xie siècle. Voici le récit des deux couronnements, tels qu’ils sont rapportés par ‘B’ dans la Vie de Dunstan et par Byrhtferth de Ramsey dans la Vie d’Oswald60 :
Et quand, au jour que tous les grands parmi les Anglais avaient déterminé, il fut par une commune élection oint et consacré roi, le jour même, après la cérémonie sacrée de l’onction royale, cet homme lascif s’échappa immédiatement et abandonna le joyeux festin et l’assemblée convenable de ses nobles pour les caresses déjà mentionnées de ces louves61. Or quand le pontife suprême Oda62 vit l’impudence du roi, qui plus est le jour de sa consécration, qui déplaisait à tout son sénat63 assis en cercle, il dit à ses co-évêques et aux autres grands : « Que certains d’entre vous, je vous en supplie, aillent et ramènent le roi, afin qu’il soit pour son entourage, comme il convient, un convive joyeux de ce festin royal. » Mais eux, craignant d’embarrasser le roi ou d’être l’objet des plaintes de ces femmes, commencèrent à se récuser un à un. À la fin, ils choisirent en fait deux d’entre eux qu’ils savaient très constants dans leur courage, à savoir l’abbé Dunstan64 et l’évêque Cynesige65, lui-même parent de Dunstan, afin qu’à la demande de tous ils ramènent le roi, qu’il le veuille ou non, au siège qu’il avait abandonné. Et, comme ils étaient entrés, selon l’ordre que leur avaient donné les grands, ils trouvèrent la couronne royale […] qui par négligence avait été arrachée de la tête et gisait à terre, et ils le trouvèrent lui, vicieusement installé entre les deux femmes, se roulant de façon répétée comme le font les porcs dans leur bauge immonde. Ils lui dirent : « Nos princes nous ont envoyés pour te demander avec insistance de rejoindre au plus vite la digne salle de ton festin, et de ne pas refuser par mépris de prendre part au joyeux banquet de tes grands. » Et Dunstan se mit le premier à crier contre la folie de ces femmes, et de sa propre main, alors qu’il ne voulait toujours pas se lever, il l’arracha à la couche adultère des deux parentes, et lui ayant remis le diadème en tête il l’emmena avec lui, même si c’était par la force qu’il l’enlevait à ces femmes, jusqu’à l’assemblée royale66.
21Le récit du banquet d’Edgar diffère en tous points de celui d’Eadwig :
On n’entendit pas alors le son des trompettes, ni la flûte du jongleur, mais toutes choses, à la manière du sage Salomon, y furent menées décemment, si bien que chacun buvait selon son âge et selon sa capacité. Les très excellents évêques, le vénérable Dunstan67 et l’admirable Oswald68, furent installés avec le roi sur une estrade surélevée. […] Le roi cependant, couronné de lauriers, orné de l’honneur des roses, se tenait comme on l’a dit avec les évêques ; avec lui les ducs resplendissants, et tout ce qu’il y avait de digne parmi les Anglais reluisait de gloire, se réjouissant dans le Roi d’en-haut, qui leur avait donné d’avoir un tel roi, dont l’esprit montrait miséricorde et vérité. La reine69 en vérité fit le festin avec les abbés et les abbesses : elle était vêtue d’une tunique de lin fin, ceinte de pierres et de perles de toutes sortes, élevée plus haut que les autres matrones, elle que la dignité royale avait ornée, parce qu’après la mort du précieux duc70 elle avait mérité d’être conduite à la chambre du roi. Après la fin de ces très nobles noces de la couche royale, tous revinrent chez eux, en bénissant le roi comme la reine et en leur souhaitant la tranquillité et la paix que les rois leurs ancêtres avaient su gagner71.
22Ces deux textes ne se laissent pas aborder sans explication. Les deux vitae ont été rédigées bien après la mort des souverains, vers l’an mil. Toutes deux évoquent des figures d’évêques considérés comme des porte-drapeau de la « réforme bénédictine » du xe siècle, et émanent du même milieu des monastères réformés. Dans le débat, qui est en train de se clore au moment où ces deux vitae sont écrites, entre « réformateurs » et tenants de l’ancien système, l’image des souverains et de leurs rapports avec les évêques est un enjeu – religieux autant que politique – essentiel. Eadwig et Edgar sont invoqués par ces écrivains comme deux images antagonistes de souverains, le premier devenant l’image même du « mauvais roi » ennemi de l’Eglise et des réformateurs, qui exile Dunstan et s’entoure de mauvais conseillers, alors qu’Edgar est érigé en modèle du « bon roi » favorable à la réforme et entouré d’ecclésiastiques de valeur. L’enjeu politique est renforcé par le parallèle, sans doute établi par tous les contemporains, entre ces deux frères et les rois de la génération suivante, Édouard le Martyr et Æthelred le Malavisé, lequel est encore roi, et pour de nombreuses années, au moment où les deux textes sont écrits.
23Dans ce cadre, la manière dont ces deux festins sont décrits s’explique mieux. Qu’on ait ici des textes hostiles ou favorables au régime d’Æthelred, ces textes ont d’abord pour but de fournir au roi actuel et aux rois à venir un modèle de comportement face aux ecclésiastiques et face aux grands de leur royaume. Ainsi, même dans des milieux cléricaux réformateurs, qu’on aurait pu croire moins sensibles aux obligations mondaines du pouvoir, le festin, vers l’an mil, était considéré comme un des devoirs du roi : la manière dont il s’en acquittait, tout comme sa manière de protéger ou de doter des monastères, pouvait même servir dans l’écriture hagiographique de pierre de touche à la définition du « bon roi » et du « mauvais roi ». Le comportement d’Eadwig à son couronnement est très grave, car un couronnement est un moment où le roi doit être irréprochable, afin que ses sujets n’encourent pas la colère de Dieu. Les grands dans cet épisode paraissent terrifiés, écartelés entre leur peur de déplaire au roi et la crainte que cette situation ne soit un présage du « style » du règne à venir72.
24On remarquera toutefois que le souverain du xe siècle est plus libre que ses prédécesseurs, plus affermi sur un trône devenu largement héréditaire : le roi peut s’échapper du festin sans risquer sa vie, comme c’est le cas, au viie siècle, pour le roi est-saxon Sigebert, qui ne peut se dérober à l’invitation de son parent excommunié73. Sigebert n’a pas le choix, car il y va de son trône. L’excommunication de son parent, qui se trouve être un de ses comites, le met dans une situation impossible. Ce comes, possessionné dans le royaume et qui a sa propre domus, a à la fois le droit et le devoir de recevoir le roi chez lui, et il les exerce. La repentance publique de Sigebert est par conséquent une insulte directe faite à ce grand du royaume, qui est en droit de se venger. Au contraire, les grands assemblés au festin de couronnement d’Eadwig ne tiennent pas à défier le bon plaisir du roi, et sans doute à travers lui le groupe auquel appartiennent les deux « louves de haute naissance » qui exercent sur lui une influence si importante. L’absence du souverain est ressentie par la majorité des grands comme une insulte, mais peu d’entre eux osent contester ce choix. C’est d’ailleurs « en famille », en représentants d’un autre groupe de pression, que Dunstan et Cynesige se rendent auprès d’Eadwig. Le roi est donc toujours, au xe siècle, tenu de participer à des festins dont il est le personnage principal, mais il semble avoir une marge de manœuvre plus large puisque, comme on l’a dit, il n’y risque plus sa vie : il n’en risque pas moins sa réputation et son autorité… et peut encourir l’humiliation d’être raccompagné manu militari dans la salle par ses évêques, comme un gamin à qui l’on apprend les bonnes manières !
25Cette observation est-elle propre au roi ou peut-elle être étendue à tous ceux qui exercent une autorité ? L’exemple des évêques est ici le plus utile. Eux que leur fonction devrait plutôt éloigner des festins – en particulier dans les textes hagiographiques où leur sainteté est exaltée – semblent y siéger aussi souvent que les rois. D’ailleurs, l’ascétisme dont ils font preuve dans ces circonstances permet de renforcer le propos hagiographique sans pour autant les montrer en rupture avec la société. Trois exemples rapportés par Bède illustreront ce propos. Quand Cuthbert, accueilli dans un uicus, refuse le repas qui lui est offert, il fait preuve d’une attitude complètement asociale74. Aidan, pour sa part, participait aux festins d’Oswald, même si, nous dit Bède, il sortait très tôt pour lire75. Venu consacrer une église, l’évêque Jean de Beverley est invité à rester manger par le comes Puch : il commence par refuser, mais devant l’insistance de l’hôte et de son propre entourage, il reste76. Les trois exemples de Cuthbert, Aidan et Jean forment un triangle assez logique si l’on considère que les obligations sociales croisent ici les règles du genre hagiographique. Cuthbert, même évêque, est un ermite, il n’est pas tenu d’apparaître dans le texte comme lié par les règles qui régissent la vie en société. Aidan et Jean sont au contraire des évêques à part entière, avec des devoirs pastoraux qui priment sur leurs autres devoirs : la différence entre leurs deux attitudes doit donc s’expliquer par une différence sociale, leurs obligations doivent être différentes. Or si l’on considère qu’Aidan, dans les festins d’Oswald, n’est pas l’invité d’honneur, alors que Jean chez Puch l’est manifestement, on comprend que la pression qui s’exerce sur lui est bien plus forte que celle qui s’exerce sur Aidan chez le roi. En outre, Aidan ne quitte le festin qu’à partir du moment où commence la potatio proprement dite : il sélectionne les moments qui n’engagent pas trop son image afin de froisser le moins de monde possible77.
L’honneur de servir
26Le thegn est d’abord un serviteur : le terme, apparenté au verbe allemand dienen, dénote l’idée de service. Mais les thegns sont aussi, on le sait, des nobles, des aristocrates, des guerriers. Entre service et honneur, on trouve ceux qui assuraient le bon fonctionnement des festins, des cuisines à la table. Nous commencerons par ceux dont le rôle était le plus visible et le mieux reconnu : les officiers de bouche.
27On voit apparaître dans les chartes des personnages portant le titre de discþegn (serviteur du plat, en latin discifer ou dapifer) ou de bur-þegn (serviteur de la chambre, en latin camerarius)78. Les fonctions auliques comme celles de bouteiller ou de sénéchal sont porteuses de prestige : « le bouteiller nous semblerait un humble sommelier si nous ne savions le rôle considérable que joue « politiquement » le vin d’honneur de l’époque, beuverie obligatoire pour qui sait honorer ses hôtes et commensaux79. » Mais il ne suffit pas de s’arrêter à cette constatation de bon sens. Le service, on le sait, s’effectue près du roi, de la reine ou d’un grand, et c’est un service noble. Officier dans le hall est donc un « honneur », dans tous les sens du terme : une charge, un revenu, une source de prestige. La proximité du bouteiller et du prince est reconnue par les sources narratives, illustrée dans deux récits où les bouteillers jouent le rôle de « mauvaise conscience » de leur maître. Dans la Passion de Saint Édouard, le jeune roi est empoisonné et poignardé : le poison est apporté par le bouteiller80. Chez Guillaume de Malmesbury, le bouteiller du roi Æthelstan le persuade que son demi-frère Edwin s’apprête à le trahir, entraînant la mort injuste de l’ætheling81. La simple proximité physique que le bouteiller entretient avec son seigneur apparaît dans cet épisode comme une forme particulièrement évidente et ostentatoire de Königsnähe, qui ne peut qu’exciter la jalousie, et l’hostilité, des autres membres de la cour, relayées par l’Église qui se méfie naturellement de celui qui sert à boire au roi.
28Pour préciser la position sociale et le rôle des « officiers de bouche », j’ai étudié dans ma thèse les listes de souscription des chartes anglo-saxonnes. Le moteur de recherche du site internet « Anglo-Saxon Charters », dont l’usage est encore facilité par les tableaux compilés par Simon Keynes (qui a recensé tous les noms apparaissant dans les listes de souscription des chartes anglo-saxonnes), permet une étude exhaustive que je ne peux répéter ici82. Je me contenterai d’en reprendre les principales conclusions.
29Une bonne vingtaine de chartes mentionnent des officiers de bouche et des individus liés au service de la table, sénéchaux et bouteillers principalement. Ce sont des personnages importants. Si le rang dans la souscription est le signe d’un rang à la cour, on doit en général placer les officiers de bouche derrière les détenteurs de grands commandements militaires (ealdormen au xe siècle, earls au xie), mais avant la masse indéterminée des ministri (c’est-à-dire des thegns) sans emploi particulier, y compris les équivalents des maréchaux et connétables continentaux : les « officiers de maison », les officiers « civils », passent donc avant les officiers au rôle plus militaire83. Sans atteindre les statuts les plus élevés, ils ne sont pas non plus de simples serviteurs nobles, des officiers sans office. L’un d’eux, Eatta, est dux et discifer, et semble avoir eu une longue carrière auprès du roi Offa avant d’attester, en 785, la charte où il apparaît avec ces titres84. Un autre, Æthelmær, est bien connu. Fils de l’ealdorman Æthelweard (le chroniqueur), membre donc d’une branche de la famille royale (il descend d’Æthelred Ier, frère aîné et prédécesseur d’Alfred le Grand), il atteste comme minister, et une fois comme discþegn, les chartes d’Æthelred II entre 983 et 1005, avant de se retirer au monastère d’Eynsham85. Il en sortira brièvement en 1013-1014 pour devenir ealdorman du Wessex occidental lors la crise de la fin du règne d’Æthelred, qui semble l’avoir tenu à l’écart pendant tout son règne : sans doute l’a-t-il cantonné, en faisant de lui son discþegn, à des tâches de représentation. Pour tout autre individu, un tel office aurait été un grand honneur : pour un homme de la stature d’Æthelmær – son ascendance ferait de lui un ealdorman naturel de sa région – il s’agissait sans doute en effet d’un poste purement honorifique.
30L’étude de ces officiers, et particulièrement des cas de Wigot et Hearding, bouteillers respectivement du roi Édouard le Confesseur et de la reine Édith, mentionnés par plusieurs chartes ainsi que par le Domesday Book, nous permet de formuler plusieurs hypothèses86 :
- 1. Ce ne sont pas des « serveurs », du moins en cette deuxième moitié du xie siècle. Certes, les sources narratives nous montrent des pincernae en train de servir le vin, mais il est difficile d’établir si les personnages désignés par ce nom dans les sources narratives portaient le titre et exerçaient l’office palatin en question, ou si le mot latin est utilisé en raison de la fonction qu’ils exerçaient dans un banquet particulier. Wigot, en tout cas, n’était pas toujours présent à la cour pour servir le roi : il était en effet en charge de la garnison de Wallingford.
- 2. Les offices auliques ne sont cependant pas de simples offices honorifiques : ils sont attachés à la personne du roi ou de la reine et ne sont pas héréditaires. En cela, la cour anglaise diffère de son homologue française : au xie-xiie siècle, le titre de sénéchal, ou comte palatin, est porté par un grand seigneur, le comte de Blois. Les autres offices auliques sont détenus par de petits seigneurs du domaine royal – plus proches par leur niveau social de leurs homologues anglais mais se transmettant souvent leur fonction de manière héréditaire : ainsi, les bouteillers appartiennent à la maison des sires de Senlis87. Or nous n’avons aucun cas d’officier de bouche attestant, avec le même titre, sous deux rois différents : il est donc probable qu’une charge aulique prenait fin à la mort du souverain. Hearding, pincerna de la reine Édith en 1060, est resté dans sa maison après la mort du roi Édouard, et n’a pas été attaché à la maison de l’autre reine Édith, l’épouse d’Harold, et encore moins à celle de la reine Mathilde. Cela montre à nouveau le contrôle beaucoup plus grand exercé par les rois anglais sur leur noblesse au xie siècle : leurs officiers de bouche ne sont pas de grands seigneurs, ce ne sont pas les earls qui accaparent les charges auliques.
- 3. Les officiers de bouche sont proches de ceux qu’ils servent, et certains d’entre eux au moins ont accès à une forme particulière, sans doute très personnalisée, de Königsnähe. Que les deux pincernae du roi et de la reine aient « survécu » à la Conquête, et surtout aux « purges » des années 1067-1070, est peut-être un hasard, mais n’en est peut-être pas un. Une explication pourrait être cherchée dans cette proximité très spéciale entre les officiers de bouche et leurs maîtres, et qui a pu jouer différemment pour Wigot et Hearding. Il est certain que Guillaume a cherché à montrer la continuité de son régime avec celui d’Édouard en favorisant ceux qui étaient les plus proches du défunt roi (les clercs d’origine continentale de son entourage, par exemple, ont vu leur carrière progresser), et Wigot par exemple a pu profiter de ce contexte.
- 4. Æthelmær mis à part, ces hommes appartiennent déjà, avant de prendre leur service à la cour, aux élites, mais à une frange moyenne voire inférieure de la noblesse : leur service, s’il est rendu possible par leur statut, n’en est donc pas moins décisif pour leur avancement. Hearding, fils du staller Eadnoth, appartient à une parentèle qui possède des terres dans tout le West Country. Cependant, avec ou sans le choc de la Conquête, il est clair que le maintien de cette famille à un haut niveau dépend essentiellement de son service auprès du roi, ou ici de la reine : la majorité des revenus d’Eadnoth provient d’une terre qu’il tient de l’évêque de Winchester88. Pour que son fils en hérite ou acquière d’autres domaines, il lui faudra une protection : miser sur le service de la reine est une solution logique et qui se serait sans doute avérée efficace sans l’« accident » de la Conquête.
31Pour clore cette exploration des officiers de bouche, force est de reconnaître que les questions les plus importantes restent sans réponse. Servaient-ils vraiment à la table royale ? Si oui, avec quelle fréquence ? Dans quelles occasions ? Et quel était leur véritable rôle ? Se contentaient-ils de diriger une équipe de disciferi ou avaient-ils eux-mêmes un rôle cérémoniel ? Les chartes merciennes du viiie siècle semblent indiquer que les officiers auliques étaient aussi pourvus de commandements militaires, et il en était de même pour Wigot au xie siècle : on peut donc avancer l’hypothèse que, s’ils servaient à la table royale, c’était dans les grandes occasions, lors des assemblées.
32Parmi le groupe indéterminé des serviteurs non-nobles se dégage une catégorie particulière, celle des cuisiniers. Le cuisinier – en vieil-anglais coc, terme emprunté assez tardivement au latin cocus89 – est un des personnages du Colloque d’Ælfric. Il n’est pas le mieux traité, puisqu’il est le seul « professionnel » dont le métier soit contesté dans son utilité même. Voici le dialogue imaginé par Ælfric :
- Que dirons-nous du cuisinier ? Avons-nous besoin de son art ?
- Le cuisinier dit : Si vous m’expulsiez de votre communauté, vous mangeriez vos légumes tout verts et vos viandes crues, et sans mon art vous ne pourriez même pas avoir de bouillon gras.
- Nous ne nous soucions pas de ton art : il ne nous est pas nécessaire parce que nous pouvons cuire nous-mêmes ce qu’il faut cuire, et rôtir ce qu’il faut rôtir.
- Le cuisinier dit : Si vous m’expulsiez pour cette raison, et si vous faisiez ce que vous dites, alors vous seriez tous cuisiniers, et aucun d’entre vous ne serait seigneur, et ainsi sans mon art vous ne mangeriez pas90.
33Remarquons pour commencer que ce dialogue se situe dans un contexte monastique : il ne faut donc pas d’abord y rechercher des renseignements sur la place du cuisinier dans une maisonnée laïque. Dans le monastère idéal d’Ælfric, il est perçu comme inutile : les moines (et les enfants de l’école) pourraient parfaitement faire cuire leur nourriture. Mais c’est là qu’intervient le critère social : s’il n’y avait pas de cuisiniers professionnels, s’il n’y avait pas de partage du travail, alors tout le monde serait cuisinier – le texte vieil-anglais dit « esclave » –, et il n’y aurait plus de seigneurs. Ælfric n’approuve ni ne désapprouve les paroles qu’il met dans la bouche du cuisinier : c’est à nous de lire entre les lignes. De fait, les paroles du cuisinier témoignent d’une tension entre l’égalitarisme monastique – tous les moines sont censés faire le même travail – et les nécessités du partage des tâches. Le boulanger et le saunier, qui sont les deux personnages précédents dans le Colloque, sont eux aussi menacés d’être déclarés inutiles91, mais ils se sortent beaucoup plus facilement de ce mauvais pas : leur art est déclaré éminemment utile et ils sont irremplaçables. C’est sans doute que leur service est moins socialement marqué et ne touche pas fondamentalement à cette idée que, sans eux, il n’y aurait pas de seigneurs : avoir un cuisinier est vraiment un symbole de statut, mais avoir besoin des services d’un saunier ou d’un boulanger est plus habituel. D’où vient cette différence ? Deux raisons, en partie contradictoires, peuvent être avancées.
34D’abord, l’art du cuisinier est bien moins spécialisé que ceux du saunier et du boulanger. La charge de cuisinier de l’abbaye peut donc être remplie par n’importe quel moine, ou par tous à tour de rôle. Mais comme le fait remarquer le cuisinier, il faut un certain art : « vous n’auriez même pas de bouillon gras », dit-il. Ce pingue jus ou fætt broþ est sans nul doute le bouillon de cuisson des viandes en « pot-au-feu », que le cuisinier d’occasion, contrairement au spécialiste qui connaît son métier, ne sait pas isoler, garder et réutiliser. L’art du cuisinier paraît simple, mais il demande lui aussi une compétence et un savoir spécifiques.
35Ainsi, l’art du cuisinier est tellement spécialisé qu’il est en fait réservé à l’abbé et aux « seigneurs », alors que ceux du saunier et du boulanger bénéficient à toute la communauté. D’ailleurs, la viande et le bouillon ne sont pas une nourriture pour les moines, même si l’on sait que les établissements religieux anglais du xie siècle étaient assez peu regardants sur ces questions. La question est alors : à quoi sert, dans notre communauté, un spécialiste dont l’art n’est utile qu’au seul abbé ? Or Ælfric répond : le cuisinier n’est pas là pour le seul plaisir de l’abbé, il est là pour le statut de l’abbé, parce que l’abbé est un seigneur et qu’il est normal qu’il en soit ainsi. D’ailleurs les moines eux-mêmes, dans les grandes occasions, et en particulier quand on mange de la viande, bénéficient de ce savoir-faire et accèdent le temps d’un festin au statut de seigneurs.
36Qui sont ces cuisiniers, spécialistes sinon professionnels ? Certains sont sans aucun doute des esclaves, ou en tout cas des semi-libres : dans un testament rédigé vers 950, Wynflæd lègue plusieurs serviteurs, dont Ælfsige þene coc, à sa petite-fille Eadgifu92. À haute époque, il est probable que les cuisiniers – s’il existait de tels spécialistes et si la cuisine n’était pas tout simplement confiée à la maîtresse de maison et à ses servantes – étaient tous esclaves : nous n’avons pas de cas explicite en Angleterre, mais les parallèles continentaux pointent dans ce sens93. En revanche, au xie siècle en Angleterre, nombre de cuisiniers étaient libres, comme le laisse entendre le Domesday Book, dans lequel plusieurs personnages sont affublés du surnom cocus. Certes, le sobriquet ne signifie pas qu’ils étaient cuisiniers au sens strict : il pouvait s’agir de l’activité de leur père, ou ils pouvaient être chargés de superviser les cuisines de leur seigneur plus que de faire réellement la cuisine. Mais il me semble qu’en termes de milieu social, on peut parler des cuisiniers, car dans tous les cas on peut dire qu’ils sont liés au monde des cuisines. Certains sont, comme l’étaient Wigot et Hearding, des « survivants » ayant sans doute bénéficié de protections particulières : Alric cocus détient en 1086 une terre qui a autrefois appartenu à la reine Édith94, et il est possible qu’il s’agisse de son ancien cuisinier, peut-être le même que cet Ægelric coc qui atteste une vente en 107095. Il en est sans doute de même de Theodric, « cuisinier du roi », qui tenait au temps du roi Édouard un terrain à Winchester96. Mais la plupart des cuisiniers mentionnés dans le Domesday Book ont un nom d’origine continentale : Raoul cocus dans le Yorkshire97, Robert cocus dans le Sussex98, Robert cocus encore dans le Cheshire99, Garin cocus dans le Norfolk100. Ce ne sont pas là des hommes de statut servile, mais des hommes libres, détenteurs de terres. Certains deviennent même des propriétaires assez importants : Manassès cocus et son épouse tiennent du roi et de l’évêque de Salisbury des terres dans le Dorset et le Somerset101 ; Tezelin coquus est tenant-en-chef d’une terre dans le Surrey, et en tient d’autres de Guillaume de Warenne dans le Sussex102.
37Tous ces cuisiniers professionnels dont nous entendons parler sont des hommes. Si certains métiers ont des formes féminines et masculines (cf. le doublon bacere/bæcestre pour boulanger/boulangère), le mot coc reste masculin103. Y avait-il, comme de nos jours, un snobisme du « chef » ? Ceci est possible, puisque le cuisinier homme va à l’encontre du rôle classiquement dévolu à la femme. Bien sûr, certains cas s’expliquent par les circonstances : la scène de cuisine de la Tapisserie de Bayeux n’implique que des hommes, mais il s’agit d’une expédition militaire (on remarquera toutefois l’absence de « cantinières ») ; le Colloque d’Ælfric s’adresse à un cuisinier homme mais tous les autres personnages sont des hommes, dans un contexte de monastère masculin. En revanche, le fait que le Domesday Book ne mentionne que des hommes est un signe plus net : en effet, l’enquête comprend un grand nombre de femmes détentrices de terres, les désignant régulièrement par leur profession/occupation. Le fait que tous les cuisiniers soient des hommes semble donc indiquer qu’au xie siècle au moins il est de bon ton de recruter un cuisinier homme : un spécialiste qualifié, connaissant le vocabulaire et les usages de la cuisine – le fætt broþ du cuisinier d’Ælfric – un homme libre susceptible d’être récompensé par des terres, mais à niveau bien moindre des officiers de bouche, car il exerce son service dans les coulisses.
38L’image qui se dégage des sources au sujet des spécialistes du diverstissement est au contraire celle de l’itinérance. Certes quelques joculatores mentionnés dans le Domesday Book semblent, comme les cuisiniers, attachés à des maisons nobles : les jongleurs eux aussi pouvaient espérer accéder à la propriété. Berdic, joculator regis, possède en 1086 trois villae dans le Gloucestershire : il semble qu’on ait là un fidèle de Guillaume, récemment récompensé par lui104. En revanche, il est difficile de dire si Adelina joculatrix, qui a reçu du comte Roger une virgata de terre près d’Andover105, est une jongleuse itinérante récompensée pour une prestation ou une série de prestations, ou si elle faisait partie de la maison du comte.
39Dans les textes du xe-xie siècle, les mentions de jongleurs se font un peu plus fréquentes, en particulier dans les contextes de festin. On remarquera cependant que c’est au xiie siècle seulement qu’ils « envahissent » les sources. Cela ne veut pourtant pas dire que les joculatores et mimi n’existaient pas avant cette date, ou qu’ils n’étaient pas importants. C’est dans une vita tardive qu’on apprend que le roi est-anglien Æthelberht faisait chanter en sa présence des « experts dans la science du chant », qui connaissaient des « carmina de sa propre lignée royale106 », mais ce détail est conforme à ce que l’on sait du rôle du scop, qui connaît les histoires des dieux et des héros, et par conséquent les généalogies royales, puisque les rois descendaient des dieux. La propagande royale pouvait utiliser leur absence comme un signe de la sainteté du roi après le couronnement d’Edgar à Bath en 973 : c’est bien le signe que leur présence était considérée comme normale. Pour Gerd Althoff, au début du xe siècle, « l’admission des jongleurs et des musiciens est déjà un trait caractéristique qui fait du repas une fête107 ».
40Michael Richter considère que les jongleurs professionnels ont existé tout au long du haut Moyen Âge, malgré la rareté des sources, due plutôt à l’hostilité et à la méfiance des milieux cléricaux108. Cette méfiance est toute relative. Les décrets des conciles et les divers textes à teneur légale émanant des autorités ecclésiastiques ne condamnent pas les jongleurs comme, au xviie siècle, ils condamneront les comédiens. Ils sont avant tout soucieux de marquer la ligne qui sépare les clercs des laïcs, et ce sont les clercs qui ne doivent pas favoriser à leur table de tels divertissements. Ce qui ressort cependant de ces textes, c’est que les jongleurs sont connus à la table des grands en Angleterre depuis au moins la fin du viie siècle : un concile tenu à Rome en 679 pour débattre des questions anglaises ordonne
que les évêques ainsi que tous ceux qui ont prononcé des vœux de vie religieuse dans l’ordre ecclésiastique, n’usent pas d’armes, n’entretiennent pas de citharistes ni quelque musicien que ce soit, ni ne permettent en leur présence les jeux ou les spectacles109.
41Qui sont ces « citharistes » dont parlent les conciles, mais que les sources narratives ne mentionnent pas avant le xe et surtout le xiie siècle ? Pour répondre à cette question, il faut se tourner vers l’archéologie et la poésie. Les archéologues ont mis à jour, à l’heure actuelle, six restes de harpes datant du viie siècle, toutes déposées dans des tombes : à Sutton Hoo, Snape, Taplow, Abingdon, Bergh Apton et Morning Thorpe (une septième aurait été retrouvée à Prittlewell). Il s’agit d’instruments en bois avec des montures de métal (argent ou bronze) : ces montures sont les seuls objets réellement retrouvés. La forme de ces harpes n’est pas connue avec certitude, mais une illustration d’un manuscrit anglo-saxon du viiie siècle, le « Psautier Vespasien110 », représentant le roi David chantant les psaumes, a fourni à l’équipe qui analysa la tombe n° 1 de Sutton Hoo la forme de la harpe. Celle-ci, en l’occurrence, ressemblerait plutôt à une lyre antique, mais j’emploierai de préférence le mot « harpe », plus proche du vieil-anglais hearpe. Les cinq autres instruments ont été interprétés de la même manière.
42Mais comme le montre Graeme Lawson, les contextes sont différents. À Taplow, Sutton Hoo et Abingdon, la harpe a été retrouvée loin du mort, en principe à ses pieds, dans des tombes princières, ou au moins des tombes avec armes. À Snape, Bergh Apton et Morning Thorpe au contraire, les tombes ne contiennent pas d’armes au sens strict, seulement un ou deux couteaux, et sont plus pauvres en artefacts ; la harpe était alors disposée près de la poitrine du mort. Ainsi, les trois premières tombes seraient celles de guerriers possédant une harpe ou que leurs proches ont voulu enterrer avec une harpe : il est possible qu’ils aient à l’occasion eux-mêmes chanté et joué, mais ce n’était pas leur occupation première Au contraire, dans les trois derniers cas, on aurait un harpiste professionnel, ou du moins un homme dont c’était l’occupation principale, et qui a été enterré avec son instrument111.
43Le harpiste de Morning Thorpe comme celui de Taplow ont des parallèles dans la poésie, bien été identifiés par les historiens et les critiques : aussi ne fera-t-on que rappeler ce qu’ils ont dit. La poésie, dans l’Angleterre anglo-saxonne, est le fait du scop, le poète qui, littéralement, « donne forme » aux mots et aux sons : en effet, le mot scop (prononcé shop) est lié au verbe to shape, « donner forme »112. Mais la poésie est aussi le domaine de tous, et en particulier des guerriers. Pour prendre un seul exemple, dans Heorot, le chant, la musique, la poésie, sont le fait d’un scop professionnel, qui chante les exploits du héros du jour et des rois d’autrefois113, mais aussi du roi Hrothgar lui-même114, qui ne manque pas l’occasion de chanter devant ses hommes et devant ses invités. Comme dans le monde viking, où guerriers et scaldes se partagent la capacité à chanter et à composer des strophes115, l’Angleterre anglo-saxonne connaît semble-t-il ces deux sources possibles de composition et récitation poétiques. Il s’ensuit que, pendant le festin, le divertissement peut être assuré par des spécialistes – les jongleurs ou le scop – ou par les convives eux-mêmes – comme dans l’épisode de Cædmon116.
44Est-ce encore le cas à une époque plus tardive, au xe-xie siècle ? Il est possible que les Anglais aient conservé cette coutume. Les Pseudo-Canons d’Edgar, réunis par l’archevêque Wulfstan au début du xie siècle, enjoignent au prêtre « de se garder de l’ivresse et de l’interdire fortement aux autres hommes », et lui interdisent « d’être poète de bière (ealusceop), ni d’aucune manière de divertir par sa personne d’autres hommes », en lui ordonnant plutôt « d’être tel que l’exige son habit, sage et digne »117. Ces ealuscopas étaient-ils des spécialistes, auquel cas un métier est interdit au prêtre, ou étaient-ils des convives acceptant la harpe circulant parmi eux, auquel cas une activité lui est interdite ? Les deux interprétations sont possibles, et peut-être faut-il comprendre cette mention des deux manières.
Les hommes qui boivent et ceux qui ne boivent pas
45Venons-en pour clore ce chapitre à ceux qui représentent la majorité : les banqueteurs eux-mêmes, les « hommes qui boivent », selon l’expression de la poésie. Le festin – et le hall où il se déroule – est en effet « là où les hommes boivent », þær weras drincað118. Mais qui sont ces « hommes qui boivent » ? Tous les hommes ? Rien que des hommes ? Qui, dans l’Angleterre anglo-saxonne, est admis à festoyer, en particulier avec les puissants, hôtes et invités d’honneur, et pourquoi ? Sur quels critères est-on admis au festin ?
46Là encore, l’arrivée de Beowulf à Heorot peut nous fournir quelques indices. En effet, en déclinant son identité, le héros n’est pas seul à bénéficier en retour de l’hospitalité de Hrothgar : une place est libérée sur les bancs pour ses compagnons. Eux aussi ont droit au festin, même si ce n’est pas à la place qui est attribuée à Beowulf, entre les deux fils de Hrothgar. Ce qui compte par conséquent, c’est d’être introduit, d’avoir, en quelque sorte, des lettres de recommandation : il faut être fils ou neveu de quelqu’un, comme Beowulf, ou au moins pouvoir se recommander de quelqu’un, comme ses compagnons.
47C’est pourquoi les esclaves et les pauperes ne sont jamais présents aux festins voulus et organisés par les grands, et ce durant toute la période. Même accueillis et nourris, ils ne paraissent presque jamais en présence des grands. Le roi Oswald a beau être un parangon de sainteté, il n’invite pas à sa table les pauvres et les malades qui, le matin de Pâques, se pressent à sa porte : au contraire, il charge un minister de leur porter les fragments du plat d’argent qu’il a fait briser119. L’image du saint roi, en ce viiie siècle où l’Histoire ecclésiastique est rédigée, reste aristocratique et ne s’accommode pas encore de la proximité, à table ou ailleurs, avec les pauperes : Bède ne saurait présenter Oswald comme d’autres présenteront Louis IX, visitant les malades, touchant leurs plaies, et même mangeant avec eux. L’auteur anonyme de l’Histoire de saint Cuthbert (xe siècle) raconte comment le roi Alfred, réfugié dans les marais de Glastonbury avec un unique serviteur fidèle, reçoit la visite d’un peregrinus – en réalité le saint lui-même – qui lui demande l’hospitalité. Le roi n’a plus qu’un pain et un peu de vin : il les partage avec le voyageur. Mais pas en personne : c’est le serviteur qui les porte au voyageur et revient transmettre à Alfred les remerciements de ce dernier120. Il est probable que cet épisode est en partie calqué sur l’épisode semblable de la Vie de Cuthbert par Bède, où le saint nourrit lui aussi un voyageur venu du ciel121. Comme dans ce premier épisode, le serviteur, à son retour, trouve à nouveau le pain et le vin entiers. Or si Cuthbert accueille lui-même le voyageur, c’est en tant qu’hôtelier de son monastère : les pauvres sont donc toujours « filtrés » par un officier compétent en la matière. Cette attitude distante semble d’ailleurs normale : le saint n’en veut pas à Alfred de cet accueil « par serviteur interposé », mais au contraire il lui apparaît pendant la nuit et lui annonce sa victoire prochaine sur les Vikings. On a déjà évoqué cette matrone, « présidente » d’un domaine (uille presidens matrona), qui refuse de chômer la fête de saint Kenelm : mais la scène de miracle qu’encadre le récit a lieu, nous dit le texte, « alors qu’elle était installée au repas le jour même de cette fête122 ». C’est donc bien qu’elle est en train de festoyer, sans doute avec ses parents et amis, et qu’elle empêche ses valets et servantes de chômer. Si elle est bien dans la position du seigneur d’un domaine (villa) rural, on peut s’attendre à ce qu’elle entretienne à sa table sa famille et ses amis (venus sans doute de domaines voisins). Le problème est qu’elle veut que le travail continue sur son domaine pendant qu’elle se réjouit : elle prive ainsi de repos et de festin les paysans libres ou semi-libres qui travaillent son domaine, ses esclaves et ses bœufs – ces derniers sont les seuls à être explicitement nommés par la source ! –, l’obligation d’accorder le repos aux esclaves et aux animaux découlant des prescriptions bibliques sur le sabbat (Ex XX, 10). Or si elle se repent à la fin de l’épisode, il n’est pas question qu’elle admette à sa table ses serviteurs – pas plus que ses bœufs !
48De fait, comme on l’a dit, le mot ministri désigne des gens de naissance libre, et souvent noble, entrés au service d’un roi ou d’un prince. La grande table de ferme réunissant maîtres et valets est donc un mythe, qui ne doit en aucun cas être étendu à l’Angleterre anglo-saxonne. Certes, onse doit de mentionner le cas des bordars, dont le nom indique qu’ils sont attachés à la table (board) de leur seigneur123, mais il est possible que, comme les esclaves, ils aient reçu les jours de fête une part de nourriture à consommer chez eux, sans intervenir directement dans le festin. On ne doit pas non plus opposer hospitalité monastique et laïque : dans les deux cas, on décline son identité, sa parenté, et donc son statut social, et l’on est traité différemment, aiguillé vers l’hospice des pauvres ou vers l’hôtellerie des puissants. D’un côté, on trouvera un toit et de la nourriture, mais certainement pas de festin ; de l’autre, la fête qui peut durer toute la nuit, comme le rappelle Hildemar de Civate124. En un mot, et au risque de proférer une évidence – évidence qu’il a pourtant fallu établir –, le festin aristocratique est réservé aux aristocrates.
49Guillaume de Malmesbury rapporte à ce sujet dans sa Vie de Wulfstan un épisode fort intéressant mais qui pose bien des problèmes car, comme dans tout récit hagiographique, il est difficile de faire la part des choses, difficile en particulier de distinguer ce qui relève du topos de ce qui relève de la personnalité même du saint et de ses motivations réelles (qui sont toujours, par convention du genre, évangéliques) :
Il [Wulfstan] avait prévenu ses serviteurs qu’il voulait donner, lors des prochaines fêtes de Pâques, un banquet bien préparé en compagnie de boni homines. Ceux-ci interprétèrent faussement ces propos et adressèrent des invitations à un grand nombre de riches. Mais quand fut venu le jour de Pâques, voilà que l’évêque introduisit dans la salle autant de pauvres qu’elle pouvait en contenir, puis ordonna de leur attribuer un siège parmi les autres et de leur apporter de la nourriture. Le sénéchal prit cela très mal et en ressentit une immense indignation. En grinçant des dents, il murmurait des critiques contre le caractère par trop tendre de l’homme : il était, disait-il, plus séant pour un évêque de banqueter avec un petit nombre de riches qu’avec un grand nombre de pauvres125.
50Manifestement, Wulfstan et son sénéchal n’ont pas la même conception de ce qui « sied à un évêque » : pour le premier, un évêque doit se comporter selon l’Évangile ; pour le second, il lui faut agir en grand aristocrate, et le récit, en cela typiquement hagiographique, repose sur cette tension. La « bonne » conception dépend du niveau où l’on se situe, du but recherché, et bien sûr du sens donné à l’expression boni homines qui, dans le haut Moyen Âge, désigne les nobles : or sur cette expression, c’est Wulfstan, et non le sénéchal, qui fait un jeu de mots. Mais elle dépend aussi réellement des motivations de chacun des deux personnages et de leurs vues sur ce qu’est la société. Le sénéchal est un officier typique, qui connaît les règles du festin, et, de fait, il est logique qu’il soit bien moins prêt à les transgresser : Jeeves en sait toujours plus long que Bertie Wooster sur le chapitre des cravates ! L’ahurissement, voire la fureur, du pauvre sénéchal est tout à fait explicable. Quant aux boni homines qui ont reçu une convocation personnelle à la table de l’évêque, ils doivent eux aussi avoir tordu le nez quand leur hôte a exigé que les pauvres prennent des sièges « parmi eux ». Car c’est là toute la différence entre l’épisode d’Oswald et celui de Wulfstan. Dans le festin pascal d’Oswald, quelques convives auront peut-être récriminé contre la destruction et contre le don à des pauvres d’un objet aussi précieux, et aussi manifestement destiné au don noble, qu’un plat d’argent, mais le minister s’exécute sans un mot : aucune règle fondamentale des relations sociales n’est transgressée. Dans le festin pascal de Wulfstan, au contraire, elles le sont toutes : les pauvres sont admis dans l’aula épiscopale, on leur donne des sièges, on leur permet de partager le « banquet bien préparé » de l’évêque, on les mêle surtout avec d’autres. Ce dernier trait est le plus important, faisant de cet épisode un cas unique dans nos sources.
51Certes, au viie siècle, le père de l’abbé Ceolfrith avait invité tous les pauvres du voisinage à partager un festin qu’il avait préparé pour le roi et sa suite. Mais c’était parce que le roi n’était pas venu126. L’acte était certes très généreux, et parfaitement inscrit dans le propos hagiographique cherchant à exalter le comportement charitable du personnage, mais une telle charité restait en partie compatible avec l’éthique laïque et guerrière. Or au xe-xie siècle, les cas de « saints rois » nourrissant, servant et soignant pauvres et malades se multiplient : Widukind de Corvey puis Helgaud de Fleury nous montrent Otton et Robert le Pieux se livrant à ce service et faisant ainsi accéder les pauperes au monde du banquet127. Wulfstan lui-même, dans le chapitre précédent, nourrissait les pauvres du pays en les réunissant tous dans son aula et en les faisant asseoir. C’est là une charité admise, certes splendide mais non transgressive128, au sujet de laquelle Philippe Buc écrit : « la redistribution liturgifiée de nourriture et de richesse [par les aumônes] rectifiait le déséquilibre intramondain entre les puissants, potentes, et les faibles, pauperes. Elle avait lieu dans l’espace par excellence du consensus — la table du banquet, image de la table sacrificielle du Christ129 ».
52Le cas de Wulfstan est différent. La table du banquet, on l’a vu, n’est pas seulement lieu du consensus, elle est aussi, comme tout lieu abritant des rituels, un lieu d’expression de l’idéologie – un lieu où introduire un nouvel ordo, une nouvelle manière de faire les choses : un lieu où l’on peut exprimer des valeurs, les mettre en lumière. En mêlant potentes et pauperes, Wulfstan transgresse sciemment une règle fondamentale (mais non écrite) du banquet anglo-saxon : il fait s’asseoir côte à côte des gens qui ont un nom et des gens qui n’en ont pas. Il met des hommes de rien sur le même plan que les « hommes qui boivent », les guman, les guerriers, et par là même il nie leur différence. La singularité de cet épisode apparaîtra encore mieux si l’on se penche sur un épisode a priori très semblable de la Vie d’Oswald par Byrhtferth de Ramsey. Dans cet épisode, Oswald, arrivant à York, se rend à l’aula épiscopale.
C’est l’antique coutume chez les Anglais que tout le peuple (populus) ait accès à l’évêque ou au prêtre, et de ses mains tendues en signe de croix reçoive le pain béni, puis aille s’asseoir à nouveau pour manger. Et alors qu’il donnait à chacun un morceau de pain, et que tous retournaient s’asseoir avec dignité et mangeaient avec reconnaissance, le père [Oswald] déposa le morceau de pain près de son siège, et mangea en quantité suffisante et avec plaisir. Il était heureux, car la salle était pleine. […] Après un temps, arriva un grand nombre de notables (famosi uiri) de la dite cité, qui apportaient des dons de grande valeur à cet homme très aimable : et lui, avec reconnaissance, les accepta comme c’était la coutume. Et eux aussi lui demandèrent de leur donner du pain béni130.
53Certes, dans cet épisode, Oswald reçoit « tout le peuple » dans l’aula épiscopale : comme Wulfstan, il donne à certains accès à un espace qu’ils n’ont pas l’habitude de fréquenter. Sans doute même ne leur donne-t-il pas que du pain béni : il est possible qu’un véritable repas soit offert au populus. Byrhtferth prétend qu’il s’agit d’une « antique coutume des Anglais », et il est possible que les évêques aient eu l’habitude, dans certaines circonstances, d’offrir au « peuple » des festins : ici, l’occasion est tout simplement fournie par l’arrivée d’Oswald dans la ville, et il est possible que de tels festins aient pu avoir lieu lors des « entrées » des évêques dans leur ville, à l’occasion de leur consécration ou, comme c’est le cas ici, de la prise de possession de leur siège épiscopal. Mais un tel festin de « joyeux avènement » n’a rien à voir avec celui offert aux pauperes par Wulfstan : les famosi uiri, les notables de la ville, ne sont pas présents. Le texte précise même qu’ils arrivent après un interuallum – on dirait presque un entracte – et il semble bien qu’ils ne participent pas au festin. Au contraire, ils donnent devant le peuple réuni dans l’aula le spectacle de leur entente avec l’évêque en lui offrant des dons et en recevant de lui le pain béni.
54Wulfstan ne se comporte donc pas comme les autres saints de nos sources : si son sénéchal est un sénéchal typique, Wulfstan n’est pas un saint typique, il va trop loin, et l’épisode doit donc avoir une explication en dehors des règles du jeu de l’écriture hagiographique. Nulle part ailleurs dans nos sources l’égalitarisme chrétien n’est porté à un tel degré. Le fait que cet épisode soit tout à fait isolé, et date de l’extrême fin de notre période, montre ainsi combien le christianisme anglo-saxon est resté, dans son fonctionnement comme dans ses valeurs, éloigné des idéaux égalitaires en germe dans le message chrétien. Il montre aussi la personnalité exceptionnelle de Wulfstan, une personnalité qui explique sans doute pourquoi, pratiquement seul parmi ses pairs, il resta évêque et ne fut pas chassé de son siège à la Conquête normande : il n’était pas aisé de traiter avec un homme capable de pousser aussi loin, et dans un tel contexte, les exigences évangéliques.
55Cette analyse pourrait apparaître comme un commentaire personnel et « hagiographique » sur Wulfstan : il n’en est rien. Il s’agit ici d’insister sur la possibilité d’observer, à l’occasion (même si ces occasions sont trop rares), la personnalité d’individus et leurs motivations. Wulfstan me semble un cas à part parce que, seul dans les sources, il transgresse vraiment les règles non-écrites de la sociabilité, règles fondées sur la hiérarchie et sur l’appartenance à des catégories sociales bien distinctes. Les motivations qui sont les siennes pour une telle transgression sont bien sûr inconnues, et il est impossible d’établir si ce sont bien les exigences évangéliques qui guident ici ces décisions. Toutefois, je ne vois pas, en l’occurrence, d’autres motivations possibles à son acte, et celles-ci répondent à l’image qui est la sienne dans les sources postérieures à la Conquête : sources d’origine anglaise ou normande se retrouvent pour affirmer qu’au milieu d’une Église corrompue, Wulfstan était resté remarquable par sa piété. Sa capacité à transgresser totalement les règles de la société dans laquelle il vit permettrait donc de saisir, et une fois n’est pas coutume, l’individu et sa personnalité, et d’en tirer quelques conclusions sur sa carrière. Bien sûr, reste la possibilité que l’épisode ait été entièrement inventé par Coleman, l’auteur de la vita vernaculaire originale : l’absence de noms, de témoins, pourrait en être un signe. Si toutefois le récit n’a aucune origine dans la réalité, il est intéressant de voir que Coleman, qui a connu Wulfstan, lui aurait attribué un geste aussi transgressif, comme s’il correspondait non seulement à la sainteté, mais aussi et surtout à la personnalité du saint. L’épisode en rappelle certains autres, et pourrait être un topos : qu’on songe à la parabole du roi qui invite les pauvres à son festin nuptial (Mt XXII, 1-14). Mais l’épisode de l’Évangile remplace les premiers invités par les mendiants et les vagabonds, et stigmatise précisément le convive qui est venu sans vêtement de fête, celui qui ne possède pas les signes extérieurs de la participation à un festin aristocratique. Quant au père de Ceolfrith, il reçoit certes des pauvres, mais il ne s’assied pas avec eux pour festoyer : il les sert. Il réalise donc un geste charitable, mais sans devenir leur convive. En aucun cas il ne déchoit. Répétons-le donc : aucun des modèles possibles ne fait se côtoyer riches et pauvres au festin. Dans les autres récits, les riches ayant déclaré forfait, les pauvres sont invités. Wulfstan, lui, pousse les choses encore plus loin.
56Combien de personnes pouvaient-elles être réunies dans des occasions comme celle-ci, et au-delà, dans de très grandes occasions : witenagemot, couronnements, mariages princiers, quand tous les proceres du royaume, mais aussi des gens de rang moins élevé, convergeaient vers la cour ? Janet Nelson, pour le royaume franc au ixe siècle, estime qu’il faut les compter en centaines, voire en milliers : à l’assemblée de Savonnières en novembre 862, donc pour le plaid d’hiver, moins important que le plaid d’été, il y a près de 200 évêques, abbés, et magnats laïques, « sous un seul toit », et il s’agit d’une assemblée nombreuse car trois rois sont réunis131. Si on ajoute les suites de ces grands personnages, on en arrive à plusieurs centaines de personnes pour les plaids carolingiens. Mais, comme le rappelle J. Nelson, les assemblées d’été peuvent se tenir en plein air, et tous les membres des suites des magnats laïques et ecclésiastiques n’étaient pas nécessairement présents aux festins. Ceux-ci auraient donc réuni, dans l’aula, les plus importants parmi ceux qui s’étaient rendus au plaid. Les chiffres sont en tout cas en rapport avec la taille des royaumes : les petits royaumes irlandais ou le royaume des Francs ne sont pas, sur ce point, comparables, et les royaumes anglo-saxons du viiie-ixe siècle devaient occuper une position intermédiaire. Là encore, l’inflation du royaume ouest-saxon au xe siècle doit s’accompagner d’une inflation des effectifs de ces festins des circonstances exceptionnelles. En même temps, les réunions plus restreintes, se comptant en dizaines plus qu’en centaines, sont reprises au niveau régional ou local par les élites, sans que le roi ne soit plus concerné : évêques comme dans le cas de Wulfstan, mais aussi thegns, ealdormen. Il est donc logique d’en déduire que, si les festins royaux de la fin de notre période étaient sans aucun doute plus grands, plus différenciés, que ceux du début, quand le roi festoyait essentiellement avec son comitatus, quelques ecclésiastiques, parfois un évêque, cela ne signifie pas pour autant que les festins plus « intimes » ne continuaient pas à exister au niveau local. Celui auquel Wulfstan convie les pauvres est l’un d’eux : les boni homines du sénéchal étaient sans doute des thegns du diocèse.
57Un dernier enseignement de l’épisode de Wulfstan est que l’un des rôles des officiers de bouche et de toute cette domesticité noble qui gravite autour des festins est de maintenir le contrôle social sur le festin. Le garde-côte, puis le garde à la porte, puis Hunferth le þyle, tous servent de filtres successifs entre l’extérieur et l’intérieur de Heorot. Beowulf doit montrer plusieurs fois ses « lettres de recommandation », c’est-à-dire son nom et sa parenté, pour pouvoir enfin s’asseoir avec ses compagnons dans le hall et partager le festin avec les autres hommes de sa caste. Les hiérarchies sociales qui président au festin sont clairement intériorisées par ceux qui l’organisent comme par ceux qui y participent : le sénéchal de Wulfstan ressent « une immense indignation ».
58Cette indignation est aussi celle, malheureuse et suicidaire, du roi Edmond l’Ancien lorsqu’il voit qu’un voleur a osé prendre place à sa table : un hors-la-loi, un banni, un homme qui n’a pas – ou sans doute plus – de statut ni de nom132. En prenant place à table, le voleur Leofa sait ce qu’il fait : Edmond, furieux, se lève, l’empoigne par les cheveux et le jette à terre, mais Leofa tire un poignard et le transperce. Cet épisode est rapporté presque deux cents ans après les faits. On sait cependant par deux sources distinctes et plus proches des événements qu’Edmond fut assassiné lors d’un festin par un voleur nommé Leofa133. Guillaume a sans doute réuni et enjolivé les deux sources, tout en puisant à la tradition orale134, mais il est significatif que, dans le « paquet » dont il enveloppe le récit, l’indignation du roi tienne une telle place. Elle n’est d’ailleurs pas condamnée. Au contraire, Edmond est présenté par Guillaume sous un jour favorable : s’il est le seul à repérer l’intrus, c’est parce qu’il est le seul à ne pas être saoul ! Guillaume explique en effet que l’abbé Dunstan, qui venait d’avoir une vision de la mort du roi, se hâtait vers le lieu du crime mais reçut les nouvelles de l’assassinat alors qu’il n’était qu’à mi-chemin. En cela, Guillaume diffère de la Vie de Dunstan par ‘B’, qui mentionne en passant le voleur et pour qui le roi était au courant de la vision de Dunstan mais n’en a pas tenu compte. ‘B’, de manière très classique, condamne donc Edmond pour être mort à table. Guillaume, au contraire, ne condamne pas Edmond : il lui prête un courage certes mal placé, irréfléchi et fatal, mais héroïque tout de même. Edmond n’est pas criminel, mais malchanceux, et cette colère malheureuse est aussi une juste colère. Elle est le résultat même de ces règles si bien comprises et si bien intériorisées par tout un chacun.
59Les guerriers assis au festin, les « hommes qui boivent » de la poésie, comprennent deux groupes, les jeunes et les vieux, duguð ond geoguð. Mais au-delà de ces deux groupes bien attestés, au-delà aussi des stratifications sociales qu’on peut à l’occasion observer, il faut s’interroger pour finir sur la présence – ou non – de trois autres groupes : les femmes, les jeunes garçons et les petites filles. Les ségrégations de genre et d’âge étaient-elles le pendant des ségrégations sociales ?
60Les femmes, pour commencer, sont trop souvent absentes des sources. De fait, la structure de la langue latine, qui utilise les mots collectifs masculins optimates ou conuiuae pour désigner les participants, rend difficile leur repérage : rien ne nous dit qu’elles étaient là, mais rien ne nous assure du contraire. Cependant, si l’on exclut le rôle de maîtresse de maison (de plein droit ou comme épouse ou fille du maître de maison) ou d’invitée d’honneur (par exemple pour la mariée lors de ses noces), les festins « réels » de nos sources ne citent que deux fois des femmes parmi les simples participants : le festin de mariage d’Alfred et Ealhswith réunit des convives utriusque sexus135, et l’évêque de Winchester Ælfheah quitte le festin de consécration d’une église « ayant donné la bénédiction aux convives, aux hommes comme aux femmes136 ». Jamais une femme qui « se trouverait là » n’intervient dans un récit de miracle, alors que de nombreux hommes jouent ce rôle. Dans Heorot, de même, seules Wealhtheow et Freawaru, l’épouse et la fille de Hrothgar, sont citées.
61Il y a bien sûr le cas du couronnement d’Edgar à Bath, où la reine Ælfthryth préside un festin réunissant les abbés et les abbesses, ainsi que les matrones137 On voit là des femmes de pouvoir, abbesses et femmes nobles (épouses ou veuves de nobles, et peut-être quelques hlæfdigan de plein droit) participer à un festin majeur sous la présidence de la reine. Mais elles ne sont pas entre femmes, puisque les abbés sont avec elles : il ne s’agit donc pas de ségrégation sexuelle. Ce que montre le cas – unique et pour cela précieux – du couronnement d’Edgar et d’Ælfthryth, c’est au contraire que les femmes de pouvoir, tout comme les hommes de pouvoir, avaient leur place aux festins de la cour. C’est parce que, exceptionnellement, deux festins parallèles ont été organisés qu’elles deviennent soudain visibles. Le critère social/politique est donc ici plus important que le critère générique/sexué pour l’accès au festin.
62En fait, la présence des femmes à table est confirmée par un type de documents qui s’avère plus pertinent que les sources narratives, limitées par les structures de la langue : les sources iconographiques. Trois manuscrits de la Psychomachie de Prudence, des environs de l’an mil, représentent l’allégorie de la Luxure, luxuria, « assise à sa cena ». Dans le premier (BL Cotton Cleopatra C viii, fol. 18r138), Luxuria est la seule femme à table, elle s’entretient avec deux hommes, pendant qu’un troisième assure le service : Luxuria est ici dans le rôle bien attesté d’hôtesse. Mais dans les deux autres manuscrits (Corpus Christi College Cambridge 23, fol. 17v et BL Add. 24199, fol. 16v139), la table réunit deux hommes et deux femmes, dont l’une est sans aucun doute Luxuria elle-même, dans le rôle de l’hôtesse, tandis que, là aussi, un troisième homme sert la boisson. La présence d’une seconde femme montre dans ce cas qu’un festin peut réunir des hommes et des femmes. Le fait que l’hôtesse soit Luxuria ne rend pas cette analyse caduque. En effet, les convives se conduisent de manière tout à fait digne, devisant normalement autour de la table : rien ne semble indiquer que leur festin soit particulièrement marqué par l’ivresse ou par l’inconduite, malgré la légende. Le dessinateur a choisi de le présenter comme un festin « normal ». La seconde femme, qu’il faut bien identifier comme une convive à part entière, est d’ailleurs, dans les deux cas – mais de façon plus nette dans le manuscrit de Cambridge – en train de recevoir une coupe du serviteur.
63Ainsi les femmes participaient aux festins de cour au xe-xie siècle. Qu’en est-il auparavant, dans la société plus masculine décrite par exemple dans Beowulf ? La réponse est malheureusement hors de notre portée, mais il semble plus difficile d’imaginer des femmes sur les bancs de Heorot, parmi la duguð et la geoguð. En revanche, certaines d’entre elles ont pu siéger, en plus petit nombre, sur ce que j’appelle plus loin le « banc des femmes ». Rappelons en effet que la plupart des compagnons du roi n’étaient pas mariés : ils prenaient femme lorsqu’ils recevaient de lui des terres. Les choses, à partir du ixe siècle, deviennent très différentes. Si, comme nous l’avons mentionné, le rôle de la dame, et le sens même du mot hlæfdige, ont évolué au cours du ixe siècle, alors il est fort possible que l’accession des femmes à un rôle propre au plus haut niveau de la société, et en particulier leur accession à une propriété et à un pouvoir de plein droit, aient entraîné leur intégration aux festins de la cour et à ceux que les évêques et autres ealdormen réunissaient autour d’eux. Si le rôle de l’abbesse a pu être un modèle dans cette évolution, peut-être des abbesses ont-elles participé plus tôt à ces festins.
64Les jeunes – et en particulier les enfants – représentent une autre catégorie difficile à repérer, mais qui n’était pas nécessairement absente des festins. Les enfants de l’école monastique participaient aux caritates, où ils buvaient de la bière comme les autres : on en a des indices dans les Colloques d’Ælfric Bata140. Bède fut donné à son monastère à l’âge de sept ans : à partir de quel âge les garçons de l’élite laïque participaient-ils pleinement aux festins ?
65Les tombes du ve-viie siècle sont à cet égard intéressantes. Comme l’a montré Sally Crawford, les enfants de moins de 10 ans étaient ensevelis de manière différente, avec bien moins de matériel, alors que les jeunes adolescents, entre 10 et 15 ans, faisaient l’objet d’un traitement beaucoup plus semblable à celui des adultes141. Il y aurait donc trois groupes d’âge successifs pour les garçons : les enfants au sens strict, entre le sevrage et l’âge de 10 ans, qui resteraient chez leurs parents ; les jeunes adolescents entre 10 et 15 ans, qui apprennent la guerre et le service chez leurs parents ou en fosterage ; les « jeunes », entre 15 et 25 ans, qui combattent activement dans des bandes armées au service de seigneurs. 14-16 ans est au viie siècle l’âge où on entre au service d’un seigneur : c’est le cas par exemple de Guthlac ou Wilfrid. 25 ans est l’âge où l’on reçoit éventuellement une dotation, terres et/ou office, de la part du seigneur : c’est à cet âge que Guthlac et Benoît Biscop quittent le siècle142. Ces catégories pourraient correspondre, avec beaucoup de prudence, aux termes cild, cniht et geoguð, mais il me semble qu’il faut éviter de tracer des équivalences trop strictes, et je m’en tiendrai donc à des mots français modernes : enfants, adolescents, jeunes.
66Qu’en est-il au festin ? Les adolescents apprennent les règles du festin, et en particulier celles du service. Avant l’âge de 14 ans, Wilfrid a « servi » (ministrare) dans la maison de son père : il y servait « tous ceux qui venaient, les compagnons du roi comme leurs esclaves » ; par la suite, il utilisa les contacts qu’il avait noués auprès de ceux qu’il avait servis pour entrer au service de Cudda, un compagnon du roi qui s’était retiré à Lindisfarne, à qui il fut recommandé par la reine143. On remarquera qu’il a commencé par apprendre les règles de l’hospitalité, apprenant ainsi à distinguer les compagnons du roi de leurs esclaves : tous reçoivent l’hospitalité, mais de manière différenciée. Une fois formé, il est entré dans une mesnie noble – ici en milieu monastique, mais les choses sont assez semblables en milieu laïc, comme le montre le cas de Guthlac. Il en est de même à une époque plus tardive : dans la seconde moitié du xie siècle, par exemple, l’évêque Wulfstan recevait dans sa maisonnée des « fils de riches » qui servaient à sa table. Il leur faisait servir des pauvres pour leur apprendre la disciplina ministrantium : « Il les obligeait, le genou fléchi, à apporter de la nourriture à la table des pauvres et, pour la formation de ceux qui assuraient le service, à leur verser de l’eau sur les mains144. » On remarquera à nouveau ce trait particulier de Wulfstan – ou de l’image qu’en donne son biographe – qui est de traiter les pauperes comme des potentes : il les fait servir par les jeunes de sa mesnie, leur accordant les services et les usages du festin aristocratique. Une telle attitude n’était pas habituelle : le fait qu’il ait dû « obliger » ces adolescents à les servir en est le signe. Mais l’usage reste le même : on entre au service d’un noble pour apprendre à se conduire comme un noble. Les années de service, qui excluaient sans doute une participation directe aux festins, sont donc des années de formation pour les adolescents : que cette formation ait lieu en fosterage ou dans la demeure paternelle, elle permet d’apprendre le « métier » de noble, tout en se constituant un « carnet d’adresses ».
67Qu’en est-il des enfants au sens strict ? Le nutrimentum et l’edoctio de Guthlac ont commencé dès après son baptême dans les aulae paternae, mais rien n’indique qu’il y ait exercé un véritable service. Mais Guthlac est bien entendu un enfant parfait qui ne se mêle pas aux activités des autres enfants : son cas n’est donc pas exemplaire, sauf entre 15 et 24 ans, dans sa « jeunesse », où il est chef de bande armée et vit selon le siècle145. Un détail archéologique peut fournir une hypothèse. On ne connaît que très peu de jouets d’enfants, mais S. Crawford a pu remarquer que les tombes d’enfants (moins de 10-12 ans) contenaient des couteaux de taille réduite, en général de moins de 10 cm de long, alors que les couteaux des tombes d’adolescents (11-15 ans) ne diffèrent pas de ceux des tombes d’adultes et mesurent en général plus de 11 cm146. Ces couteaux « miniature » – rappelons que la longueur du couteau n’est pas celle de la lame, puisqu’une partie du fer était emprisonnée dans le manche : la lame devait mesurer 5 à 7 cm – sont-ils le signe que le jeu pouvait, pour les jeunes enfants, être un moyen d’apprendre leur futur rôle d’adolescents puis d’adultes ? On ignore bien sûr si ces enfants « jouaient à la dînette », pour utiliser une expression moderne, mais on leur reconnaissait bien une spécificité enfantine puisqu’on allait jusqu’à fabriquer des objets pour eux. Si, comme c’est probable, les tombes d’enfants avec mobilier représentent des tombes d’élite, alors ce sont bien les enfants de l’élite qui s’entraînaient dès leur plus jeune âge à jouer du couteau, avant de devenir « écuyers tranchants » de leur seigneur – et le terme à nouveau est consciemment anachronique – lors de leur période de fosterage. De tels « jouets » étaient à n’en pas douter des objets rares, réservés à une élite. Dans le « Psautier Harléien », on voit des enfants manger sans couverts ni couteaux : sans doute était-ce la règle147. En l’absence de tombes à mobilier, la période plus tardive est plus difficile à évaluer. Étant donnée la continuité, dans toute la période, de l’institution du fosterage, il est envisageable d’étendre les observations précédentes aux enfants et adolescents après le viiie siècle, mais les preuves restent trop rares pour en faire une certitude. Il ne nous reste que l’exemple déjà évoqué des Colloques d’Ælfric Bata, où les enfants de l’école monastique participent aux caritates et servent leurs aînés148 : peut-être en était-il de même dans le siècle.
68Dans le cas des filles, la question est encore plus difficile à envisager. La transition entre l’enfance et l’âge adulte était sans doute beaucoup plus rapide et brutale pour les filles que pour les garçons, puisque le mariage, seuil d’entrée dans le monde adulte, avait lieu très tôt, souvent avant 15 ans. On a dit qu’à la fin de la période l’éducation des filles de l’aristocratie se faisait essentiellement dans les monastères féminins, le plus prestigieux étant Wilton, par opposition à l’éducation des garçons qui se faisait beaucoup plus souvent chez les parents ou chez des foster-parents laïques. Les filles non mariées sont rarement présentes dans les textes en dehors des monastères : c’est le cas de la fille du riche Godric, puella innupta, dans les Miracles de saint ivon149. Il est difficile de dire s’il s’agit d’une enfant ou d’une jeune fille, mais il est certain qu’elle est à table comme les autres à l’occasion du conuiuium donné par son père. De même, Freawaru, fille de Hrothgar, est présente dans Heorot où elle assure une partie du service, faisant circuler la coupe. C’est une fille en âge d’être mariée, puisqu’elle est déjà fiancée à Ingeld : elle apprend donc dans le hall de ses parents le rôle qui sera le sien dans celui de son mari.
69L’éducation féminine pouvait aussi comprendre l’apprentissage d’un des rôles les plus importants de la femme dans la salle de festin : la décoration de la salle. Il va de soi qu’elle ne s’en occupait pas seule mais avec une foule de serviteurs et de servantes, et avec les filles de la maison. Le tissage étant une partie essentielle de leur éducation, il est possible que les jeunes filles aient été chargées de fabriquer, au monastère ou chez leurs parents, une partie des étoffes décorant la salle, les sièges ou les tables. À Wilton, Édith avait appris à chanter, à peindre, à écrire, à jouer de la harpe. La plupart de ces activités sont utiles à une vie de femme de l’aristocratie, en particulier si l’un de ses rôles est d’être « l’ornement » du hall de son époux. Mais Édith réservait ses dons à Dieu :
Ces mains ne savent pas se soumettre aux raffinements ambitieux de ses parents, de ses frères et des autres rois et princes : elles ne sont dédiées qu’aux seuls ornements de l’Époux Suprême ; ce sont les aulae et les tables du Seigneur, les autels et les églises, qu’elles couvrent de dignité150.
70Ainsi, les talents qu’Édith avait acquis à Wilton étaient bien à l’origine destinés à l’ornement du hall de son futur époux, éventuellement de celui de son père ou de ses frères. Elle a certes « détourné » pour le service de Dieu l’éducation princière qu’elle avait reçue, mais dès son enfance elle avait été formée pour jouer un rôle dans le hall : celui d’une reine.
71L’enfance est donc une période où la participation au festin n’est qu’imparfaitement attestée. Les garçons s’y préparent au rôle qui sera le leur après l’âge de 15 ans, mais pas en tenant la place qu’ils tiendront alors : ils le font en observant, puis en servant. À 15 ans, devenus adultes, ils seront enfin convives à part entière et commenceront un second apprentissage : celui de leur futur rôle d’hôte. Les filles, de leur côté, apprennent dès leur enfance leur rôle d’hôtesse et d’épouse, qui lui aussi commencera vers l’âge de 15 ans, mais sans participer directement aux festins. En attendant cet âge qui leur permettra de s’asseoir à la table de leur seigneur (roi, père, mari), les enfants apprennent à servir, peut-être à découper, sans doute à décorer. Certes ils apprennent aussi, et c’est là l’essentiel, les règles non écrites de la sociabilité et de la convivialité – mais pas en prenant place à table.
Notes de bas de page
1 Tapisserie de Bayeux, p. 136-141.
2 Stenton 1971, p. 591-592 ; Higham 1997, p. 205 sq.
3 L’ambiguïté de la langue française me force à restreindre, pour l’ensemble de cette étude, et en particulier pour ce chapitre, le terme « hôte » au sens d’hôte-invitant (anglais host). L’hôte-invité (anglais guest) sera appelé convive, invité ou destinataire, selon les circonstances.
4 É. Benveniste, Vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969, t. ii, p. 27-28.
5 Lois : Æthelberht 25.
6 Crépin 1998, p. 392.
7 Bwf 1713-1714.
8 Bwf 67 sq.
9 Crépin 1991, p. 599-600.
10 Bwf 22428 sq.
11 Bwf 2490-2498.
12 Bwf 22633 sq.
13 Bazelmans 1999, p. 172-188 et p. 484-485.
14 Herschend 1998, p. 90.
15 Bwf 1068-1159.
16 Bwf 11215 sq.
17 Bwf 11931 sq.
18 Lois : Æthelberht 25.
19 Faith 1997, p. 250 sq.
20 T. Wainwright, « Æthelflæd, Lady of the Mercians », dans The Anglo-Saxons. Studies in some Aspects of their History and Culture presented to Bruce dickins, éd. P. Clemoes, Londres, 1959, p. 53-69.
21 Vie de Kenelm, chap. xx.
22 MxmI, 81-92.
23 Fell 1986, p. 36-37.
24 Stafford 1981.
25 Vita oswaldi, ive partie (p. 438).
26 Chronique d’Abingdon (éd. J. Stevenson, Chronicon Monasterii de Abingdon, RS 2, 1858), vol. i, p. 460-461.
27 Vie d’Edouard le Confesseur, ii, 2.
28 Ibid. ii, 6.
29 Barlow 1970, p. 85 ; cf. aussi Yorke 2003, p. 145 sq.
30 B. Dübner-Manthey, « Kleingeräte am Gürtelgehänge als Bestandteil eines charakteristischen Elementes der weiblichen Tracht », dans Frauen in der Geschichte vii, éd. W. Affeldt et A. Kuhn, Düsseldorf, 1986, p. 88-112 ; A. Meaney, Anglo-Saxon Amulets and Curing Stones, BAR B.S. 96, 1981, p. 178-181.
31 De ordine palatii (éd. A. Boretius et V. Krause, MGH Capitularia Regum Francorum ii, p. 517-530), § 22.
32 H. Platelle, « L’épouse « gardienne aimante de la vie et de l’âme de son mari » : quelques exemples du Haut Moyen Âge », dans La Femme au Moyen Âge, éd. M. Rouche et J. Heuclin, Maubeuge, 1990, p. 171-184.
33 Effros 2002, chap. iii.
34 Lois : Hlot. & Ead. 15.
35 Étienne de Ripon, Vie de Wilfrid, chap. xvii ; ‘B’, Vie de Dunstan, chap. xxxi-xxxiii.
36 R. Girvan, Beowulf and the Seventh Century : Language and Content, Londres 1935, rééd. 1971, p. 44.
37 Bwf 491-494.
38 Bwf 2012-2013.
39 Bwf 1188-1191.
40 Bwf 489-490, 1782.
41 Bwf 1978.
42 Bwf 1163-1164.
43 Oliver 1955, p. 365 sq.
44 Goscelin, Vie de Wulfhilde, chap. ii.
45 Egils Saga, ch. 55.
46 Justin, Histoires philippiques, xliii (cf. E. Baratier, Documents pour l’histoire de la Provenxe, Toulouse, 1971, p. 23-24).
47 Paul Diacre, Histoire des Lombards (éd. G. Waitz, Pauli Historia Langobardorum, MGH SRG s.e., vol. xlviii), iii, 30.
48 Bwf 11195 sq.
49 Egils Saga, ch. 55.
50 Grégoire de Tours, Dix Livres d’Histoire, viii, 2-5.
51 HE, iii, 6.
52 HE, iii, 5.
53 Bwf 1700-1784.
54 Bwf 871-875.
55 ASC, an. 937, 942, 973, 975, 1036, 1066.
56 Ermold le Noir, Poème sur Louis le Pieux, v. 2410-2434.
57 Bwf 1299-1301.
58 Bwf 2455 sq.
59 HE, iii, 10.
60 G.R. Owen, Rites and Religions of the Anglo-Saxons, Londres et Totowa, 1981, p. 202-204 ; Stafford 1989, p. 144.
61 Une mère « de haute naissance mais de peu de jugement » et sa fille, sous l’influence desquelles il est tombé.
62 Archevêque de Cantorbéry.
63 I.e. son witenagemot, assemblée des grands.
64 Alors abbé de Glastonbury.
65 Évêque de Lichfield.
66 ‘B’, Vie de Dunstan, chap. xxi.
67 Il s’agit du même Dunstan, devenu archevêque de Cantorbéry.
68 Archevêque d’York.
69 Ælfthryth, troisième épouse d’Edgar.
70 Æthelwold, premier mari d’Ælfthryth.
71 Vita Oswaldi, ive partie.
72 E. John, Reassessing Anglo-Saxon England, Manchester, 1996, p. 100.
73 HE iii, 22 ; Gautier 2005.
74 Vie en prose de Cuthbert, chap. xii.
75 HE, iii, 5.
76 HE, v, 4.
77 Gautier 2005.
78 S 914 (K 715), S 11422 (K 1 302) et S 11531 (Whitelock, Wills, n° 31).
79 M. Rouche, « Haut Moyen Âge occidental », dans Histoire de la vie privée, éd. P. Ariès et G. Duby, Paris, t. i, 1985, p. 398-529, ici p. 411.
80 Passion de Saint Édouard (éd. C. Fell, Edward, King and Martyr, Leeds Texts and Monographs n.s. 3, 1971), fol. 40v-41r.
81 GRA, ii, 139.
82 http ://www.trin.cam.ac.uk/chartwww/eSawyer.99/eSawyer2.html ; S. Keynes, an Atlas of Attestations in Anglo-Saxon Charters, c. 670-1066, Cambridge, 2002.
83 H.R. Loyn, The Governance of Anglo-Saxon England, Londres, 1984, p. 98-99.
84 Keynes, op. cit., table x.
85 Higham 1997, p. 25 et p. 59.
86 P. Clarke, The English Nobility under Edward the Confessor, Oxford, 1994, p. 32 ; A. Williams, The English and the Norman Conquest, Woodbridge, 1995, p. 101 et 120-122 ; Stafford 1997, p. 306-318.
87 J. Baldwin, Philippe Auguste et son gouvernement : les fondations du pouvoir royal en France au Moyen Âge, Paris, 1991, p. 58.
88 P. Clarke, op. cit., p. 281-283.
89 D.H. Green, Language and History in the Early Germanic World, Cambridge, 1998, p. 212.
90 Ælfric, Colloque, L. 192-203.
91 Ælfric, Colloque, L. 175-191.
92 S 1539 (Whitelock, Wills, n° 3).
93 Grégoire de Tours, Dix livres d’histoire, iii, 15.
94 DB, fol. 153r.
95 F.H. Dickinson, « The Sale of Combe », Somersetshire Archaeological and Natural History Society’s Proceedings, xxii (1876), p. 106-113 ; identification proposée par K.S.B. Keats-Rohan, Domesday People : a Prosopography of Persons Occurring in English Documents, 1066-1166. I-Domesday Book, Woodbridge, 1999, p. 138 ; contra Stafford 1997, p. 306-318.
96 O. von Feilitzen dans Winchester in the Early Middle Ages : An Edition of the Winton Domesday, éd. F. Barlow, M. Biddle, O. von Feilitzen et D.J. Keene, Winchester Studies 1, Oxford, 1976, p. 59 et p. 201 (n° i-185).
97 DB, fol. 259r.
98 DB, fol. 13v, 18r, 18v.
99 DB, fol. 264v.
100 LDB, fol. 156r.
101 DB, fol. 77r, 89r, 98v.
102 DB, fol. 26v, 36r.
103 Fell 1986, p. 48-49.
104 DB, fol. 162r.
105 DB, fol. 38v.
106 Vie d’Æthelberht d’Est-Anglie, éd. M.R. James, « Two Lives of St Ethelbert, King and Martyr », English Historical Review 32, 1917, p. 214-244, ici p. 238.
107 G. Althoff, « Fest und Bündnis », dans Feste und Feiern im Mittelalter, éd. D. Altenburg, J. Jarnut et H.-H. Steinhoff, Singmaringen, 1991, p. 29-38, ici p. 35-36.
108 Richter, The Oral Tradition in the Early Middle Ages, Typologie des Sources du Moyen Âge Occidental, vol. LXXI, Turnhout, 1994, p. 55.
109 Haddan & Stubbs, p. 131-136.
110 MS BL Cotton Vespasianus AI, fol. 30v.
111 G. Lawson, « The Lyre from Grave 22 », dans B. Green et A. Rogerson, The Anglo-Saxon Cemetery at Bergh Apton, Norfolk : Catalogue, EAArch. 7, Gressenhall, 1978, p. 87-97 ; Id., « Report on the Lyre Remains from Grave 97 », dans B. Green, A. Rogerson et S.G. White, the Anglo-Saxon Cemetery at Morning thorpe, norfolk : Catalogue, eaarch. 36, Gressenhall, 1987, p. 166-171 ; Id., « The Lyre Remains from Grave 32 », dans W. Filmer-Sankey et T. Pestell, Snape Anglo-Saxon Cemetery : Excavations and Surveys 1824-1992, EAArch. 95, Ipswich, 2001, p. 215-223.
112 Crépin 1991, p. 522.
113 Bwf 89-99.
114 Bwf 2105-2114.
115 Cf. la Saga de Harald l’impitoyable : Haralds Saga Sigurdarsonar tirée du Heimskringla de Snorri Sturluson, trad. R. Boyer, Paris, 1979).
116 HE, iv, 24.
117 Pseudo-Canons d’Edgar (éd. R. Fowler, Wulfstan’s Canons of Edgar, EETS o.s. 266, 1972), § 58-59.
118 Rdl 14 12.
119 HE, iii, 6.
120 Historia de Sancto Cuthberto (éd. T. Johnson South, Historia de Sancto Cuthberto : A History of Saint Cuthbert and a Record of His Patrimony, Anglo-Saxon Texts 3, Cambridge, 2002), chap. xv.
121 Bède, Vie en prose de Cuthbert, chap. vii.
122 Vie de Kenelm, chap. xx.
123 Faith 1997, p.72-74.
124 Expositio regulae, cité par M. De Jong, « Carolingian Monasticism : The Power of Prayer », dans Mckitterick 1995, p. 622-653.
125 G. de Malmesbury, Vie de Wulfstan, iii, 20.
126 Vie anonyme de Ceolfrith, chap. xxxiv.
127 Buc 2003, p. 35 ; Widukind, Histoire saxonne, III, 75 ; Helgaud, Vie de robert le Pieux, chap. xxi.
128 G. de Malmesbury, Vie de Wulfstan, III, 19.
129 Buc 2003, p. 36.
130 Byrhtferth, Vie d’Oswald, ve partie.
131 Nelson 1995, p. 407-419.
132 GRA, II, 144.
133 ‘B’, Vie de dunstan, chap. xxxi-xxxiii ; ASC an. 946.
134 Wright 1939, p. 82-83.
135 Asser, Vie d’Alfred, chap. lxxiv.
136 ‘B’, Vie de Dunstan, chap. vii.
137 Vita Oswaldi, ive partie.
138 Alex. ii, n° 49.
139 Alex. ii, n° 48 et 51.
140 Ælfric Bata, colloques 10 et 11.
141 S. Crawford, Childhood in Anglo-Saxon England, Stroud, 1999, p. 29-31 et p. 156-166.
142 Bède, Vie des abbés, chap. i.
143 Étienne de Ripon, Vie de Wilfrid, chap. ii.
144 G. de Malmesbury, Vie de Wulfstan, iii, 8.
145 Félix, Vie de Guthlac, chap. xi et xii.
146 Crawford, op. cit., p. 71-72.
147 Ibid., p. 48-49 ; MS BL Harley 603, fol. 8v (illustration du Ps xvii).
148 Ælfric Bata, colloque 11.
149 Goscelin, Miracles de saint Ivon, chap. ix.
150 Goscelin, Vie d’Édith, chap. xi.
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