Chapitre VI. La force de la raison économique
p. 261-281
Texte intégral
1Les chapitres précédents ont mis en lumière les étapes de construction des politiques actuelles de lutte contre les violences conjugales, ainsi que leur mise en œuvre concrète. Or, une vision plus réaliste nous incite à observer maintenant les processus de changement qui émergent à l’intérieur des politiques publiques. Car celles-ci ne sont pas figées, mais au contraire dans une tension entre une force d’inertie liée aux cultures institutionnelles et des impulsions de changements au travers du droit, des controverses professionnelles, et des évolutions du capitalisme. À présent, ce sont les normes d’administration et d’organisation des politiques publiques en France et plus généralement en Europe qui vont être examinées, en tant que facteur externe contribuant à modifier les pratiques de la mise en œuvre de la politique publique de lutte contre les violences conjugales.
2La révision générale des politiques publiques1 (RGPP) vise à organiser le changement dans les modes d’administration des politiques publiques. Elle met au centre de l’administration une rationalité économique et budgétaire construite depuis les années 1980, et comprenant des principes rassemblés sous le terme de « nouvelle gestion publique2 » (new public management). « Les efforts pour réformer l’administration publique sont aussi anciens que l’administration elle-même, mais l’étendue et la portée des réformes menées au cours des dernières décennies ont été exceptionnelles3 », indique B. Guy Peters. Ces réformes contiennent donc un projet explicite de changement qui concerne le management plutôt que les objectifs et le contenu de la politique publique. Néanmoins, peut-on considérer que ces réformes ont également des effets indirects sur le contenu et la mise en œuvre des politiques publiques ? Pour répondre à cette question, on mobilise des éléments d’enquête afin de décrire en quoi la mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre les violences conjugales est modifiée par l’accent mis sur l’insertion et l’autonomie dans le cadre des politiques d’activation, préconisées au niveau social par la RGPP. Ce chapitre revient tout d’abord sur les effets de la rationalité budgétaire s’imposant dans les politiques publiques à l’égard des politiques sociales. Dans un deuxième temps, nous analysons les différents sens que recouvre cette notion d’autonomie dans le travail des associations soutenant les victimes, et plus généralement dans l’action sociale, en les replaçant toujours dans ce contexte des contraintes et des opportunités particulières liées à la RGPP. Parmi les trois manières complémentaires d’appréhender l’autonomie (administrative, psychique et économique), il ressort que l’autonomie économique tient une place dominante dans les attentes des financeurs publics, qui doivent appliquer les principes de la RGPP jusque et y compris dans les pratiques des travailleuses sociales intervenant auprès des femmes. Passant d’une politique d’aide aux victimes à une politique d’insertion, la politique publique de lutte contre les violences conjugales se transforme donc sous l’effet de l’accent mis sur la raison économique. Les effets sur les femmes hébergées dans les associations sont alors manifestes, si l’on reprend les objectifs fixés par les plans interministériels successifs concernant « l’autonomie » des femmes victimes pour les comparer aux modalités de leur mise en œuvre. Ils entrent en contradiction avec les objectifs fixés initialement dans le cadre de cette politique publique, dans la mesure où le fonctionnement de l’hébergement des femmes victimes de violences ne permet pas globalement d’améliorer leur statut, mais reconduit une division sexuée du travail en défaveur des femmes. Si les inégalités sociales entre les sexes sont identifiées politiquement comme élément à l’origine des violences envers les femmes, les politiques de lutte contre les violences ne parviennent cependant pas à les enrayer.
Les effets de la révision générale des politiques publiques
3L’autonomie des personnes est un objectif central du travail social actuel, et cette norme s’inscrit dans l’histoire des sociétés modernes4. Ce terme d’autonomie est repris et retravaillé par la nouvelle gestion publique instituée par la RGPP que nous allons présenter ci-dessous, après quoi nous examinerons les modalités particulières que prend cette norme d’autonomie au sein de l’action sociale auprès des femmes victimes de violences conjugales.
Les impacts sur les conditions de l’autonomie
4Amorcée dans les années 1960, puis redevenant d’actualité en 2001 avec la loi organique des finances (LOLF), et accélérée en 2007, la révision des politiques publiques transforme à certains égards les services centraux et déconcentrés de l’État. François Cornut-Gentille (député UMP) et Christian Eckert (député socialité, divers gauche) dressent un bilan critique de la RGPP dans leur rapport d’information de l’Assemblée nationale, en notant :
« Justifiée par le gouvernement par la nécessité de réformer l’État et la relative inefficacité des méthodes précédemment mises en œuvre dans cet objectif, la RGPP s’est caractérisée, dès son lancement puis dans sa mise en œuvre, par un portage politique inédit au plus haut niveau, ainsi qu’un périmètre élargi, mais sans une véritable implication et consultation des agents et des usagers du service public. En outre, le Parlement lui-même n’a pas été associé à la démarche et, de son côté, n’a pas véritablement cherché à s’en saisir. »
5Ils rappellent les mesures et les objectifs de cette réforme :
« La RGPP a constitué une réelle mise en œuvre dans l’administration de l’État du “faire mieux avec moins” […]. [Elle] a constitué une révision générale substantielle de l’organisation des services centraux et déconcentrés de l’État, au demeurant partiellement masquée par l’incarnation de la RGPP comme processus de réalisation d’économies […]. L’adossement de la RGPP à une baisse de moyens a, à la fois, contraint à des choix rapides et, pour une part, pertinents en termes d’efficience, mais conduit à l’assimilation, peut-être durable, de la réforme de l’État à une simple recherche d’économies. »
6Chaque ministère a dû ainsi réaliser des économies sur ses budgets d’interventions. Cela s’est traduit, pour le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale (chargé notamment des politiques publiques de lutte contre les violences envers les femmes), par des économies d’intervention au titre de la mesure libellée « optimisation des dépenses d’intervention au ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale ». Celles-ci sont évaluées pour 2011 à 56 millions d’euros, pour 2012 à 129 millions d’euros, et pour 2013 à 220 millions d’euros. Dans ce contexte, les inquiétudes du service des droits des femmes et de l’égalité au sujet du nombre de ses délégations et de ses budgets et missions se sont renforcées.
7Rendre autonomes les bénéficiaires de l’action sociale dans ce contexte de restriction des moyens financiers devient dès lors un objectif central, la thématique de « l’assistanat » étant présentée comme une des causes de problèmes économiques et sociaux. Cet objectif d’autonomie est celui des politiques dites d’insertion5. Depuis les années 1975, l’État-providence a connu de nombreuses transformations dans le contexte d’une « crise salariale6 » s’accentuant avec l’instauration d’une plus grande flexibilité du travail, produisant une augmentation du chômage et de la précarité de l’emploi. Ces transformations ont affecté les politiques sociales, et ce faisant les pratiques du travail social7. La conception de l’assistance délivrée aux plus démunis s’est alors transformée, pour être contestée au même titre que le modèle social mis en place après la Seconde Guerre mondiale :
« Les “assistés” d’aujourd’hui apparaissent dans les représentations dominantes comme ayant été rendus passifs par l’intervention trop généreuse de l’État dans les questions sociales. En réponse à ce diagnostic, l’activation des politiques sociales s’est imposée comme la solution pour réformer des systèmes de protection sociale qui fonctionneraient comme des “trappes à inactivité” […]. Les personnes qui reçoivent une assistance de la collectivité sont soumises à une véritable “injonction à l’autonomie”. Celle-ci est le produit d’une transformation récente de la relation de la société à la pauvreté8. »
8L’histoire de la norme d’autonomie renvoie à la division sociale du travail, décrite par Émile Durkheim9, qui crée une interdépendance entre les groupes sociaux, transforme les mécanismes de solidarité et permet à l’individu d’être relativement autonome. Cette organisation sociale comporte le risque d’affaiblir la cohésion sociale et d’amener les individus à ne plus se sentir liés socialement. Cette autonomie individuelle est alors un devoir réalisé grâce à des liens sociaux solides (construits pour les femmes principalement par le biais du mariage et de la famille), et grâce aux ressources sociales inégalement distribuées. Les politiques d’insertion mises en œuvre à la fin du XXe siècle tentent de rapprocher les individus isolés par la pauvreté de l’ensemble de la société, par le biais de la symbolique du contrat (signé pour le RMI [revenu minimum d’insertion]). Nicolas Duvoux rappelle l’interprétation de Robert Castel, qui y voit une « [réactualisation d’une] matrice conceptuelle semblable à celle connue pour les ouvriers de l’industrie totalement privés des supports de l’autonomie individuelle10 ». L’enquête sociologique de N. Duvoux lui permet ensuite de proposer une typologie des vécus individuels de cette injonction à l’autonomie faite aux signataires d’un contrat d’insertion dans le cadre du RMI : l’autonomie intériorisée, l’autonomie contrariée et le refus de la dépendance. La « relation d’insertion » est asymétrique : la dépendance du contractant au RMI vis-à-vis du travailleur social et plus globalement des politiques d’insertion entre en contradiction avec l’autonomie qu’il doit manifester, comme le montre Christophe Trombert11.
9Dans le travail social réalisé par les associations féministes, la notion « d’émancipation » des femmes est centrale et provient de l’héritage de la seconde vague. Elle désigne une absence de dépendance à l’égard des tutelles traditionnelles (le mari, le père). La « sortie des violences conjugales » est alors appréhendée par les professionnelles des associations comme une émancipation de l’emprise du conjoint violent. La résonance entre les notions d’autonomie et d’émancipation des femmes, ainsi que la socialisation par les formations initiales du travail social contribuent à ce que cette notion d’autonomie semble familière aux salariées, et soit de fait un objectif central des associations.
Devenir autonome, un impératif du travail social
10Les travailleuses sociales des associations féministes proposent aux femmes accueillies et hébergées de (re)devenir autonomes, sur trois plans complémentaires : au niveau de leur statut administratif en tant qu’individu, au niveau psychique, et au niveau économique. Pourquoi l’objectif d’autonomie est-il au centre de l’action du travail social s’adressant aux femmes victimes de violence ? D’abord parce que ce public est construit dépendant, puisque la dépendance est la catégorie de base du travail social, caractérisé par l’articulation du couple autonomie/dépendance. La dépendance de ce public particulier est ensuite perçue de façon singulière par les travailleuses sociales. Ces dernières parlent de « dépendance affective » (et « d’emprise ») à l’égard du conjoint, de « dépendance » matérielle ou économique, de « dépendance » liée à leur statut de femme étrangère ayant une faible connaissance des démarches administratives, voire de « dépendance » en tant qu’individus insuffisamment armés pour se « construire » de façon différenciée dans le couple. Ces dimensions constituent aussi les axes vers lesquels l’action sociale des professionnelles sera dirigée, qui renvoient aux définitions de l’autonomie circulant dans ces associations.
11On peut ajouter que ces deux catégories opposées, dépendance/autonomie sont endogènes au travail social. Elles permettent de qualifier l’état de la personne à deux moments clé : lorsqu’elle entre en relation avec les institutions et leur personnel ; lorsqu’elle est reconnue « prête » à sortir (bien qu’il n’y ait pas ici de réclusion contrainte). Il ne faut donc pas substantialiser ces catégories, mais les rapporter au contexte particulier du travail social, comme un exercice rationalisé du travail de care et comme le produit d’une politique publique plus vaste. C’est dans l’exercice de cette relation de care que les salariées doivent définir un début et une fin de relation avec la personne aidée, contrairement aux relations de care non professionnelles qui prennent place dans les autres sphères de la vie sociale. La notion d’autonomie qualifie donc la personne lorsqu’elle peut quitter l’association, lorsqu’il est possible de lui attribuer le qualificatif de « femme sortie des violences conjugales », plutôt que comme une capacité politique (au sens fort que comprend le terme autonomie : se fixer ses propres règles au sein d’un collectif).
Un premier indice d’autonomie : la débrouille administrative
12Cette dimension de l’autonomie renvoie d’une part au discours social sur la construction de soi comme individu, et d’autre part à l’ensemble des statuts administratifs qui consacrent l’existence sociale de l’individu (titre de séjour, papiers d’identité, statut de victime au niveau pénal, de divorcé, etc.). Le travail de construction de soi est considéré par certains sociologues12 comme une caractéristique centrale de notre société. Ces discours sont relayés dans le travail d’accompagnement accompli par les salariées des associations féministes. On a vu que la construction des savoirs féministes sur les violences conjugales s’appuie entre autres sur des emprunts aux savoirs psychologiques, avec les notions de cycle des violences et d’emprise. La notion d’estime de soi, qui trouve un fondement en psychologie et renvoie à la notion d’emprise propre au contexte des violences conjugales, est également centrale. Elle donne les moyens aux travailleuses sociales d’aider les femmes à construire cette autonomie en tant qu’individus particuliers, autonomie dont elles seraient privées, et qui leur serait indispensable pour une vie future « normale ». Pour les professionnelles des associations spécialisées, l’emprise du conjoint a comme effet principal de réduire la capacité d’autonomie sur l’ensemble de la vie de la victime.
13Différentes activités collectives (groupes de paroles et ateliers) sont donc organisées pour retrouver cette « estime de soi ». Reprenant des techniques de « développement personnel », du yoga, du tai-chi et un travail sur les stéréotypes sexués et sexistes, ces séances sont animées par une sociologue rémunérée.
« Je pense que comme elles ont vécu des violences et qu’on leur a certainement beaucoup dit qu’elles étaient nulles et incapables de quoi que ce soit, il y a une perte de confiance en soi et du coup elles ont vraiment beaucoup besoin [des ateliers autour de l’estime de soi]… Elles nous sollicitent pour un peu je dirais tout et n’importe quoi et la difficulté c’est d’arriver à prendre un petit peu de recul et plutôt que de tout de suite agir, essayer de différer un peu la demande et de dire “réfléchissez-y”, ou “vous pouvez le faire”13. »
14La notion d’autonomie renvoie également à l’ensemble des procédures administratives ouvrant des droits à des prestations sociales et à la citoyenneté. Qu’il s’agisse des demandes de divorce, de titre de séjour, de prestations familiales ou d’autres, ces démarches ont en commun d’être pensées comme ouvrant une possibilité d’autonomie pour la receveuse, en même temps que prouvant la réalité de l’autonomie de la personne qui réussit à les conduire sans encombre. La bonne conduite des démarches administratives est donc censée prouver l’autonomie de la femme dans le sens de la capacité à être un individu. Et dans le même temps, l’accomplissement de ces démarches administratives (donnant un titre de séjour, des prestations sociales, des demandes de logement, etc.) offre un support officiel et visible à cette construction individuelle. Le raisonnement professionnel peut devenir tautologique : si une femme n’est pas « capable » de se construire comme individu, alors elle n’aura sans doute pas de réussite dans ses cheminements administratifs ; réciproquement si les démarches administratives n’aboutissent pas, la personne restera bloquée dans la construction d’elle-même comme individu, selon ce qu’observent et ce que préconisent les travailleuses sociales rencontrées.
Se défaire de l’emprise d’un conjoint, ou l’autonomie psychique
15L’autonomie psychique répond au concept psychologique d’emprise, mis en avant pour expliquer les difficultés des femmes à quitter rapidement leur conjoint auteur des violences. L’explication psychologique s’accompagne chez les professionnelles rencontrées d’un état des lieux des difficultés sociales : crise du logement, isolement, précarité financière. Pour les travailleuses sociales, cette autonomie psychique renvoie à deux dimensions : que les femmes concernées soient capables de s’exprimer au sujet des violences subies (dans un cadre thérapeutique ou non), et d’autre part qu’elles puissent expliquer leurs actes par leur volonté propre en se défaisant du pouvoir de persuasion, d’intimidation et d’orientation qu’a sur elle l’auteur des violences. Mathieu, éducateur à l’Espace Pause depuis 5 ans, précise : « D’où l’importance à mon avis de travailler sur soi, pas tellement pour savoir ce qui a coincé mais pourquoi soi-même on a entretenu cette relation à un moment donné14. » La dimension psychologique a un impact dans l’organisation même du travail social et de la relation d’aide. Elle s’exprime essentiellement autour de la nécessité « d’être dans l’écoute », et la possibilité d’un suivi psychologique plus formel. Toutes les professionnelles, quelle que soit leur formation initiale, sont censées « faire de l’écoute » lors des entretiens avec les femmes suivies (hébergées ou non), même si ces entretiens portent plus directement sur les démarches administratives en cours. Le « travail sur les violences », désignant la spécificité de l’action de ces associations, s’effectue au travers d’une mise en récit de soi et des événements familiaux autour des violences. Ce récit répond aux questions des travailleuses sociales : « Comment avez-vous rencontré monsieur ? » ; « Quand et comment les violences ont-elles débuté ? » ; « Pouvez vous décrire les violences que vous subissez ? Comment se déclenche une scène ? » ; « Que dit votre famille si elle est au courant ? »… Parfois, ce récit est commenté par les professionnelles avec des explications sociologiques contextualisant les violences comme des faits sociaux. Mais le plus souvent, les violences sont simplement dénoncées par les professionnelles lors de l’entretien individuel, en ce qu’elles sont illégales (pour les coups et les violences sexuelles) et délétères (pour les violences psychologiques), et surtout dénoncées eu égard à ce qu’elles « font » au psychisme de la victime à travers des actions concrètes (séquestration, interdiction de travailler, de s’habiller d’une certaine manière, de sortir, etc.). La psychologisation du travail social se légitime en insistant sur les violences psychologiques subies, qui n’ont pas d’autre lieu institutionnel où s’exprimer. En effet, les assistantes sociales des permanences de secteur redirigent directement les femmes vers les associations spécialisées, quand elles perçoivent des violences, et ne « travaillent » pas ces questions avec elles, bien qu’elles aient parfois une relation de longue date avec la personne concernée. Cette écoute psychologique doit s’accompagner d’un suivi social, et les professionnelles insistent sur la nécessité d’une « prise en charge globale », qui ne dissocie pas ces différentes dimensions, malgré les difficultés pratiques posées par cette organisation. Cécile, psychologue et chargée d’accueil depuis 2 ans, le souligne :
« Donc je me vois mal avoir une position seule dans le face-à-face uniquement psychologique. C’est là où moi je pense que notre position en tant que psychologue à l’accueil doit être beaucoup plus active et interventionniste. “Ne pas être dans le jugement” : si tu veux là j’avoue qu’il y a une prise de position à prendre. De toute façon, cette prise de position on la prend à partir du moment où on rentre dans une association féministe, et que frapper une femme c’est inacceptable… Donc on ne peut pas avoir cette position [sans jugement] du psychologue. En tout cas pas la même position que celle que la psychologue pour les femmes hébergées pourrait avoir, parce que là c’est vraiment une autre phase en fait. Que nous [à l’accueil, avec des femmes qui vivent encore au domicile conjugal] non, ce serait vraiment de pouvoir avoir cette globalité, que la femme qui arrive, elle se sente pas morcelée : “Nous on va s’occuper que du psychologique. Pour le social, ça ne me regarde pas, vous irez voir le bureau d’en face.”… Alors que c’est des femmes qui sont déjà un peu éparpillées, voire morcelées. Donc c’est important de pouvoir les assembler aussi dans un lieu, dans un seul espace. Et ça c’est notre travail. Mais après, je pense que nous on ne devrait pas être dans l’action. C’est là où la différence peut-être se situerait. C’est qu’on prend en compte tout ça, on pointe les difficultés, on pointe qu’il y a une solution, on peut expliquer cette solution-là et on fait marcher le partenariat. Parce que je ne vois pas comment on peut être et dans l’écoute et dans l’action, en même temps. Alors peut-être qu’on peut, mais j’ai pas encore trouvé15. »
16On voit la difficulté de faire le partage entre la dépendance psychologique et les effets tout aussi psychologiques des conditions sociales, en sorte que les appels à l’autonomie sont fonction de la position des intervenants du travail social.
L’autonomie « économique », une évidence
17Ce dernier sens de l’autonomie est à la fois le plus partagé et le plus invisible, souterrain et évident. Il désigne l’indépendance financière de l’individu, employable, solvable, bénéficiant d’un logement. Si ce secteur du travail social promeut à ce point le travail des femmes, et ce quelles qu’en soient les conséquences, c’est en raison de deux paramètres. Cela permet, d’une part, de se distinguer des structures comme les centres maternels qui promeuvent un « féminin maternel16 » sans laisser le choix aux femmes entre leur inscription sociale dans la maternité ou le travail ou autre chose encore, mais en reproduisant l’assignation classique des femmes à une maternité dévouée et altruiste, assignation contre laquelle le mouvement féministe s’insurge généralement. D’autre part, les associations féministes d’accompagnement des femmes victimes de violences font partie à part entière du travail social institutionnalisé, et en cela, elles répercutent, comme d’autres instances, la conception de « l’activation » au centre des politiques sociales actuelles. Comme pour d’autres types de problèmes sociaux (toxicomanie, sortie du milieu carcéral, etc.), la vie professionnelle devient le seul horizon social envisagé pour permettre à une personne de participer à la vie collective.
18Si le projet féministe initial insiste sur la nécessité d’accompagner les femmes victimes de violences vers des activités sociales permettant de sortir de l’isolement dans lequel les a placées leur conjoint, on remarque que les associations étudiées mettent en place des rencontres entre femmes victimes (tel que « l’accueil collectif » : deux après-midi hebdomadaires où viennent des femmes pour parler librement ensemble, et avec les deux professionnelles animant la séance, des différentes étapes de la sortie des violences) et des activités culturelles (représentations théâtrales, conférences) pour les femmes accueillies. Cependant, dans le cadre de la vie professionnelle que les femmes accueillies se doivent d’avoir et de conjuguer avec leur vie familiale, elles ont souvent peu de temps à consacrer à ces activités, et cette émancipation, qui serait possible avec une sociabilité importante, ne s’exprime pas véritablement dans les activités rémunérées. Les professionnelles rencontrées dans les associations ne mettent pas en avant la possibilité d’une socialisation dans le travail, et si cette dimension a pu être dans le passé séduisante pour les féministes, elle semble aujourd’hui un leurre, au vu notamment des types d’emplois (précaires, pénibles et mal rémunérés) auxquels une grande part des femmes accueillies peut prétendre.
19La mise au travail se justifie tant par la nécessité d’une survie sociale, que par l’idéologie de l’épanouissement individuel dans le cadre professionnel. Quand bien même le terme d’autonomie est omniprésent, la question du choix personnel quant à l’organisation matérielle de sa propre vie apparaît utopique face aux contraintes matérielles. L’émancipation des femmes, au travers de la sortie des violences conjugales, est envisagée principalement à partir de la nécessité de travailler pour payer le loyer d’un logement indépendant. L’impératif de devoir travailler repose sur le fait que l’emprise de l’auteur des violences est accentuée si la victime est dépendante de lui financièrement, et l’idée que la sortie des violences passe nécessairement par une mise au travail rapide.
20Cette vision participe de l’idée que ce qui peut aider à rompre le lien (l’indépendance matérielle par l’obtention d’un revenu) n’est pas une possibilité parmi d’autres, mais la seule possibilité. Or, certaines femmes rencontrées expliquent bien que ce n’est pas la question de leur précarité matérielle (seulement) qui les retenait dans la relation conjugale avec l’auteur des violences. C’est le cas d’Annie, 45 ans, hébergée durant deux mois à l’Espace Pause, dont le métier de médecin lui garantissait une indépendance économique indéniable, et qui a tout de même maintenu durant près de 20 ans ce lien marqué par des violences. Les professionnelles insistent sur la dimension professionnelle comme rempart contre les violences conjugales. L’exemple de Leila est à ce titre intéressant, car inhabituel : Leila est l’une des seules femmes hébergées à opposer une résistance ouverte à ces pratiques. Je l’ai rencontrée de nombreuses fois entre 2006 et 2009, et son histoire atypique fait apparaître en creux les caractéristiques habituelles de la prise en charge. 30 ans, mère d’un garçon né fin 2003 et hébergée un an entre 2005 et 2006, elle est étudiante en maîtrise d’histoire, lorsqu’elle décide avec son compagnon de faire un enfant et d’interrompre provisoirement ses études. Elle pense alors pouvoir passer le concours de professeur des écoles en s’occupant de son fils. Les violences apparaissent, elle quitte le domicile avec son fils âgé d’1 an. Elle tient toujours à son projet professionnel, et lors du premier renouvellement de son contrat d’hébergement en CHRS (contrat de 6 mois renouvelable), la directrice lui dit clairement : « Trouvez n’importe quoi comme boulot, mais trouvez quelque chose ! » Leila y oppose un refus catégorique malgré les difficiles conditions de cohabitation (les appartements étant partagés entre deux femmes) et son impression d’être « comme une recluse, dans une prison pour femmes », sentiment en contraste avec son impression de pouvoir également « s’occuper de soi : se laisser aller ou s’occuper de son corps, lire, etc. ». C’est ce second sentiment qui l’emporte finalement, puisqu’elle réussit à imposer son souhait de faire une formation, et accepte avant d’intégrer l’IUFM d’être « assistante d’éducation » dans un collège, poste précaire mais en relation avec son projet professionnel personnel. Elle conclut un entretien récent ainsi : ce qu’elle retient de cette période de sa vie, c’est « un temps où [elle a] vraiment pu reprendre main sur [sa] vie, reprendre pied pour partir dans une direction [qu’elle] avai[t] choisie ». Ces propos sont en concordance avec le projet féministe initial de l’association, et dans le même temps, ils sont relativement uniques, car la grande majorité des femmes accueillies accepte des emplois appartenant aux secteurs les plus pénibles et les moins qualifiés du marché du travail, répondant à l’injonction d’être le plus rapidement possible « autonomes économiquement ».
21Plusieurs pistes peuvent expliquer l’absence de résistance des femmes devant la nécessité de devoir accepter n’importe quel emploi. Tout d’abord, une raison institutionnelle s’exprimant dans l’autorité et la légitimité du travail social de manière générale, et dans la personne de la travailleuse sociale de façon particulière. Cécile, psychologue à l’Envol, met en garde ses collègues contre une possible « toute-puissance » du professionnel, suscitée par « l’accompagnement global ». Ensuite, c’est une raison matérielle, financière, qui pousse les femmes à accepter de se fixer l’objectif d’une autonomie économique : l’association est souvent leur dernier rempart.
22Ce que l’on nomme ici l’autonomie économique, c’est donc la capacité de l’individu à se conformer aux demandes sociales, en participant à une division sexuée du travail qui redouble celle de l’espace domestique. Une telle conception de l’autonomie relève alors d’une hétéronomie vis-à-vis des institutions et du marché du travail. Le terme d’« autonomie économique » désigne donc la contrainte par laquelle les individus doivent assumer leur subsistance de manière individuelle.
23Ces trois dimensions de l’autonomie étant présentées, nous allons maintenant préciser en quoi l’autonomie économique devenue centrale apporte paradoxalement un risque de précarisation des statuts des femmes.
De l’aide aux victimes à leur insertion
24Les politiques publiques de lutte contre les violences conjugales juxtaposent plusieurs objectifs : la prévention des violences par des sensibilisations et formations professionnelles ; la répression pénale des faits commis et judiciarisés ; l’aide aux victimes prise en charge par l’action sociale institutionnelle et associative. Ce volet de l’aide aux victimes s’est transformé sous l’effet de l’évolution des politiques sociales, plaçant l’insertion comme principale finalité du travail social.
L’autonomie économique au risque de la précarisation
25La nécessité d’une autonomie économique s’impose à tous dans notre société, et participe de notre modèle social. Les formes de solidarités institutionnelles qui subsistent sont de plus en plus soumises à condition, notamment à la condition de la recherche d’une activité rémunérée. Le revenu de solidarité active (RSA) mis en place en 2009 va dans ce sens. Remplaçant le RMI (revenu minimum d’insertion) et l’API (allocation parent isolé), cette prestation permet de combiner la protection sociale à un revenu issu du travail. Tout en étant dans ce même mouvement d’une « mise au travail » qu’on observe dans ce segment du travail social, cette prestation est analysée par Pascale Delhaye17 comme un moyen d’accroître l’individualisation des problèmes sociaux et d’en faire porter la responsabilité aux individus qui les subissent. Ces éléments (responsabilisation des individus et mise au travail) sont à rapprocher du mouvement de réforme et de « fin » de l’aide sociale aux États-Unis, initié par l’administration Clinton au milieu des années 199018, mouvement de passage du welfare à l’emploi facilité par les conditions économiques favorables de l’époque (conditions très éloignées de celles que nous connaissons actuellement). Dans ce contexte, l’injonction à l’autonomie économique faite aux femmes victimes de violences provoque des effets particuliers, en raison de la situation de précarité initiale de ces femmes, non résolue en profondeur durant le temps d’hébergement.
26En effet, les femmes accueillies par les associations ne sont pas représentatives de l’ensemble des femmes victimes de violences conjugales, on l’a déjà vu. Elles sont dans une situation de précarité accentuée par leur origine sociale, l’absence de diplôme et l’origine étrangère19, dans un contexte économique les contraignant à accepter n’importe quel type d’emploi pour survivre, et cela d’autant plus quand elles ont seules la charge des enfants. L’injonction à l’autonomie qui leur est faite contribue à les orienter massivement vers les secteurs les plus dévalués et précarisés du marché du travail, secteurs qui sont déjà largement féminisés. Ce constat est partagé par les associations. Comme le souligne la travailleuse sociale chargée de la lutte contre la précarité à l’Envol, « la majorité recherchait des emplois dits “féminins” ou avait un niveau de formation peu important (commerce, vente, services à la personne, restauration) ». Dans l’ouvrage à plusieurs voix, édité par la FNSF, on lit :
« Si l’on veut que la rotation des personnes puisse fonctionner et donc permettre à plus de femmes de pouvoir bénéficier d’un accueil, il faut que les femmes soient relogées au plus vite. Le dossier pour obtenir un logement, que l’on relève de la catégorie “public précaire” ou non, n’est présentable à un bailleur que si la femme offre des garanties en matière d’emploi et de revenus. »
27Cependant la pression et les exigences des bailleurs peuvent faire que les femmes n’aient pas le choix entre une formation professionnelle et un emploi moins qualifié. Elles sont poussées à prendre le premier travail venu plutôt qu’à s’inscrire dans une dynamique de requalification professionnelle :
« L’association déplore cet état de fait qui conduit la plupart des femmes vers des postes peu qualifiés et peu rémunérés, alors que la lutte pour l’égalité homme-femme passe par un nécessaire travail de formation professionnelle et surtout d’orientation vers des professions autres que celles typiquement féminines et dévalorisées : femmes de ménage, caissière, garde d’enfants ou de personnes âgées20. »
28L’encouragement des pouvoirs publics à rendre les femmes autonomes économiquement se remarque aussi par le choix d’affectation de certains financements. C’est le cas du FSE (Fond social européen) qui soutient une action de « lutte contre la précarité » consistant en un suivi en rendez-vous individuels d’une femme victime hébergée ou non par une travailleuse sociale. Cette mission est définie ainsi :
« Le service de lutte contre la précarité consiste en un accompagnement global de la situation sociale de la femme qui a subi ou qui subi encore de la violence de la part de son concubin ou de son mari. L’objectif est de les accompagner vers une autonomie sociale donc financière et professionnelle. Les rendre actrices de leurs décisions et de leurs choix professionnels est primordial pour ces femmes qui sont ou ont été dans une situation de soumission et de dépendance. Cet accompagnement ne peut pas se faire sans un soutien psychologique. En effet, l’emprise psychologique importante exercée par les hommes violents amène des freins à ce processus d’autonomisation de la victime21. »
29Les résultats de l’action dite de « réinsertion par l’emploi » sont présentés sous la forme d’un tableau remis au financeur, qui évalue la performance par le nombre de femmes ayant trouvé un emploi, ayant augmenté leur temps de travail ou étant entrées en formation22. Ces données portent sur 40 femmes suivies au cours d’une année. Elles sont âgées de 24 à 53 ans. Une sur deux est sans emploi. Les prestations sociales complètent les revenus de celles qui travaillent. Pour celles sans emploi, une moitié vit des prestations sociales, et l’autre moitié n’a accès en propre à aucune ressource (soit en raison de l’absence de titre de séjour, soit parce que leur conjoint conserve ces ressources). Elles ont le plus souvent au moins un enfant à charge (70 %). Les niveaux scolaires sont hétérogènes : 20 ont un niveau secondaire, 7 ont le bac, 10 ont un diplôme de niveau allant de bac + 2 à bac + 523. Elles sont locataires ou hébergées (proches ou structure). Elles recherchent des emplois dans les secteurs féminins et dévalorisés : garde d’enfant, employée en restauration, secrétariat, aide-soignante, agent d’entretien, caissière. Deux ont un projet en cohérence avec leur parcours antérieur (création d’entreprise pour une comptable, et restauration de meubles). Les emplois obtenus correspondent en grande majorité aux emplois recherchés, et sont pour moitié seulement en contrat à durée indéterminée, et les deux tiers sont à plein temps. Six sont entrées en formation, se destinant aux mêmes emplois féminins (secrétariat, auxiliaire de vie, aide-soignante) et pour l’une d’entre elles dans la police nationale.
30Ce risque de précarisation est donc induit par la nécessité d’une insertion professionnelle rapide. Il renvoie à la contrainte de la mise au travail dans le cadre d’un marché de l’emploi où les femmes occupent des positions subalternes, et contraste avec le terme « d’autonomie ». Semblant effacer le genre et les rapports de domination en alignant égalitairement femmes et hommes face à la vie professionnelle, cette injonction à l’autonomie économique entraîne en réalité, de façon souterraine, une reconduction voire une amplification des inégalités de genre. Dans la sphère professionnelle, les femmes occupent en effet les emplois les plus mal rémunérés, précarisés, aux horaires et durées de travail non choisis et au sein des secteurs les plus dévalorisés, pénibles et les moins protégés par une représentation syndicale (services aux particuliers de garde d’enfant, de soins aux personnes âgées, de ménage et autres, etc.)24. Les femmes hébergées dans les associations n’y font pas exception : 70 % d’entre elles travaillent à temps plein pour un salaire minimal (SMIC horaire) à la fin de leur période d’hébergement25. La description statistique des métiers n’est pas présente dans les rapports d’activité, qui mentionnent simplement que la quasi-totalité des femmes hébergées travaille dans des métiers dits féminins : de services administratifs (hôtesse d’accueil ou secrétaire) ou de service aux personnes (ménage, garde d’enfants, employées de service dans des écoles). Pour certaines, l’hébergement et plus généralement les violences conjugales ont un effet de déqualification car la nécessité d’une réinsertion rapide empêche de poursuivre les formations commencées.
31Les tableaux ci-dessous présentent l’évolution de la situation professionnelle des femmes hébergées entre les moments de leur entrée et de leur sortie de l’hébergement. Ces chiffres décrivent deux lieux d’hébergements : un CHRS accueillant parmi les femmes victimes celles dont la situation est la plus précaire, et une « maison » financée par le conseil général accueillant les femmes victimes issues du département et ayant initialement une activité professionnelle. On constate que le nombre de femmes en formation durant l’hébergement est très faible.
Évolution professionnelle de 15 femmes hébergées en CHRS26
À l’ entrée :
– 3 étaient sans ressources et sans papiers mais régularisables ;
– 1 était en formation professionnelle ;
– 4 étaient sans emploi et sans ressources mais avec des papiers ;
– 7 étaient sans emploi et avec des ressources de la CAF (allocation parent isolé, allocation adulte handicapé) ;
À leur sortie :
– 4 étaient sans emploi mais avec des ressources de la CAF (amélioration de la situation) ;
– 3 avaient un emploi (évolution par rapport à l’entrée) ;
– 1 avait obtenu un titre de séjour ainsi qu’un emploi stable (très grande progression par rapport à son entrée).
32Force est alors de constater que l’objectif de l’autonomie économique des femmes se fait au prix d’un emploi dévalorisant, accepté faute de mieux. La courte durée des temps d’hébergement ne permet pas une formation suffisante pour combler l’écart creusé entre les hommes et les femmes durant toute la trajectoire scolaire, dans la mesure où les femmes hébergées sont celles qui sont à la fois les plus défavorisées socialement et les plus précarisées par les violences subies. Alors même que les associations et les politiques publiques identifient ces inégalités sociales comme terreau favorisant les violences envers les femmes, l’objectif de la réinsertion par le travail demeure prioritaire. Il contribue de fait à pérenniser la précarisation de ces femmes dont les emplois ne sont ni stables, ni suffisamment rémunérateurs.
33Ces données indiquent la très faible proportion de formations réalisées. Elles montrent aussi, pour les femmes hébergées en maison, que seule la moitié détient un contrat à durée indéterminée à temps complet. On constate alors que les associations, confrontées à la structure du marché de l’emploi et aux places dévolues aux femmes en son sein, sont en grande difficulté pour parvenir à réaliser l’autonomie économique tant prônée. Le passage par les structures d’accueil semble alors avoir globalement peu d’effets sur l’exercice d’un métier, sur la construction d’un horizon professionnel stable permettant une progression, et plus généralement sur l’amélioration du statut socioprofessionnel des femmes. Cependant, si cet objectif de l’indépendance économique domine au sein de la norme d’autonomie, il convient de rappeler que la vocation d’insertion des associations naît sous la contrainte du fonctionnement des politiques sociales actuelles qui privilégient ce paradigme. Or, leur vocation initiale est d’offrir un lieu qui permette aux femmes de se soustraire aux violences de leurs conjoints d’une part, et qui soit en outre un espace de conscientisation féministe donnant aux femmes accueillies d’autres perspectives et attentes quant aux rapports sociaux de sexe et aux droits des femmes. Toutefois, elles vont à contre-courant de la logique dominante qui vise la réinsertion par le travail.
L’insertion par le travail
34L’objectif de « l’autonomie des femmes » est au centre de l’action publique dès le premier plan interministériel (2005-2007), intitulé « 10 mesures pour l’autonomie des femmes ». Il demeure un objectif rappelé par les deux plans suivants (2008-2010 et 2011-2013). Emma, conseillère en économie sociale et familiale à l’Envol depuis un an, explique sa conception de l’autonomie que les femmes doivent acquérir :
« EH. — C’est quoi pour toi justement cette autonomie ?
Emma. — Déjà c’est notre but que les femmes arrivent à être autonomes. L’autonomie c’est déjà pouvoir réussir à être dans son logement, les bases de la vie quotidienne : payer son loyer, aller chercher ses enfants à l’école, respecter un peu une structure mise en place dans sa vie, réussir à faire les taches de la vie quotidienne, aussi bien travailler, payer son loyer, payer les charges. Vraiment la vie de tous les jours. Ça a l’air simple quand on le dit comme ça, mais au CHRS il y a des femmes qui déjà n’arrivent pas à payer les loyers d’ici qui sont 10 % de leurs revenus, qui ont de gros problèmes budgétaires, qui n’arrivent pas à comprendre, savoir ce qu’elles doivent […]. Donc réussir à être autonome c’est aussi réussir à payer ce qu’elles doivent payer, gérer leur budget…
EH. — Là c’est davantage une autonomie financière en fait.
Emma : Oui c’est de l’autonomie financière et c’est aussi de l’autonomie par rapport à ce qu’elles ont vécu… »
35Son travail consiste donc à inculquer aux femmes accueillies ces notions de budget domestique, et de mise en conformité avec ce qu’elle perçoit comme la norme (« travailler, payer son loyer »). De ce point de vue, sa formation initiale de CESF pèse dans son appréhension de l’autonomie : la mission d’aide à la gestion du budget des familles y est centrale. Toutefois, ajoutant « c’est aussi de l’autonomie par rapport à ce qu’elles ont vécu », elle souligne qu’elle prend en compte le contexte des violences conjugales et cherche à spécifier son travail en fonction du public.
36Conscientes des paradoxes suscités par le sens actuel du terme d’autonomie dans les politiques sociales, certaines professionnelles expriment leur incompréhension :
« Et en plus, ce qu’on fait c’est le contraire de… pour moi ça va complètement à l’encontre de l’autonomisation, complètement. À la fin on dit : “Oui il faut que la femme elle soit autonome et c’est tout”, elle arrive on lui demande de trouver un boulot, de faire ceci, de faire cela, elle n’a même pas le temps de se demander ce qu’elle, elle veut faire, elle est complètement dans le… même pas dans le désir mais dans les injonctions de l’association. Je dis pas ça que pour nous, je pense que c’est partout pareil, ce n’est pas parce qu’on est des mauvais travailleurs sociaux. Et du coup, ce qu’elle veut elle à mon avis se perd complètement de vue et du coup l’émancipation ça ne veut plus rien dire. Quand tu n’as pas le temps de te poser pour te demander toi quel choix tu as envie de faire et tu pourrais faire parce que t’as pas le temps, après c’est la débrouille27… »
37Isabelle, psychologue, cheffe de service à mi-temps et ayant une expérience plus longue qu’Emma dans l’association, souligne la position d’interface, de gestionnaire d’injonctions extérieures, dans laquelle sont placées les professionnelles (« ce n’est pas parce qu’on est des mauvais travailleurs sociaux »). Déculpabilisant les salariées par rapport à une approche qu’elle juge néfaste, sa position d’encadrement se manifeste aussi dans la tentative de prendre du recul face au quotidien du travail. Dans le même temps, utilisant le « tu » dans sa dernière phrase, elle cherche à se mettre à la place des femmes accueillies. Elle souligne alors l’infantilisation (faire ce qu’on nous demande de faire), la précipitation et la difficulté à se projeter dans l’avenir, en raison de la charge de travail du quotidien chaque jour reconduite (notamment les enfants).
38Cette mise aux normes n’est pas sans susciter des interrogations :
« Isabelle. — [Ce qu’on demande aux femmes c’est de devenir conformes.] Complètement. De toute façon ici [à l’hébergement en maison] on n’a pas le temps, on a 6 mois. Donc effectivement dès qu’elles arrivent on leur saute dessus : “Vous avez 6 mois donc il faut que…” En général elles en ont déjà du travail, enfin tu vois ce que je veux dire, on doit régler un tas de problèmes et elles sont censées devoir partir. Il n’y a pas de lieu… Si, à la limite les CHRS. Mais ça veut dire que sous prétexte que tu as du travail, et probablement tu as dû prendre n’importe quel travail parce que tu n’es pas toujours qualifiée, et ben tu n’as pas le droit d’avoir du temps à t’accorder pour réfléchir à ce qu’il t’est arrivé et pour réfléchir à où tu aimerais aller et comment.
EH. — Donc pour toi l’autonomie ce serait ça, c’est pouvoir prendre du recul et se poser des questions.
Isabelle. — Oui. Oui parce que si c’est pour se [retrouver]… Moi parfois j’ai l’impression qu’on leur fait subir ce qu’elles ont subi chez elles sous une autre forme… Parce qu’on les oblige à faire des choses qu’à mon avis elles n’ont pas du tout envie de faire parfois.
EH. — Comme le travail ?
Isabelle. — Oui, comme accepter n’importe quel boulot. Je sais pas, j’ai pas d’exemple en tête. Accepter n’importe quel appart’ même s’il est dégueulasse dans un quartier pourri où elles vont être toutes seules avec leurs mômes, tu vois. Sous prétexte que de toute façon il n’y a pas le choix, il n’y a pas d’appart’. Non franchement c’est violent. Donc ça je trouve ça vachement violent. Et si elles disent : “Non je pourrais jamais habiter là.” “Ah ben c’est comme ça ? Ben vous partez28.” »
39Mettant en parallèle les violences subies au sein du couple et les pressions exercées dans ce contexte de la recherche d’une autonomie économique, Isabelle poursuit une analyse critique. On sent bien alors qu’elle dénonce le piège dans lequel elle et ses collègues sont prises. Cette recherche d’autonomie semble être prioritaire quel qu’en soit le prix, au prix même de l’estime de soi et de la réparation psychique (« tu n’as pas le droit d’avoir du temps à t’accorder pour réfléchir à ce qu’il t’est arrivé »). Isabelle tient une position féministe, elle possède les caractéristiques de celles qui ont fait de leur engagement une profession, et dans un sens ses interrogations renvoient aux débats féministes sur le travail des femmes : s’agit-il d’une voie de libération ou d’un risque de subir comme les hommes une forme d’aliénation ? Les ambivalences et les paradoxes suscités par l’entrée progressive des femmes sur le marché du travail ont occupé les féministes de la seconde vague29, et ont aussi été évoqués auparavant : Virginia Woolf exprime des hésitations similaires dans les années 1930 dans le contexte spécifique de la guerre décidée et faite par les hommes :
« Les voilà qui marchent, ces frères qui ont reçu l’éducation des grandes écoles et des universités, qui ont monté ces marches, qui ont pu entrer et sortir par ces portes, s’installer à ces chaires, enseigner, administrer la justice, pratiquer la médecine, faire des transactions, du négoce, gagner de l’argent. C’est toujours une vision solennelle – une procession. On dirait un caravansérail traversant le désert. Des arrières grands-pères, des grands-pères, des pères, des oncles. Tous ils ont ainsi défilé, revêtus de leur robe, coiffés de leur perruque, quelques-uns la poitrine barrée d’un grand ruban, d’autre pas… […] Une vision des plus solennelles et qui nous a souvent conduite, peut-être vous en souvenez-vous, à la regarder de loin, du haut d’une fenêtre, en nous posant quelques questions. Mais à présent, depuis une vingtaine d’années, ce n’est plus une simple vision, une fresque barbouillée sur les murs du temps et que nous pouvons regarder, avec pour tout souci, une appréciation esthétique. Car en piétinant à la queue de la procession, nous voici qui défilons nous-mêmes. Et cela crée une différence. Nous qui avons si longtemps regardé ces spectacles pompeux dans les livres ; ou qui avons observé, cachées derrière les rideaux d’une fenêtre, les hommes cultivés quitter leur maison vers neuf heures et demie pour aller au bureau et retourner à la maison vers six heures et demie revenant d’un bureau, nous pouvons nous aussi quitter la maison, monter ces marches, entrer et sortir par ces portes, porter des perruques et des robes, gagner de l’argent, rendre la justice… […] Les questions que nous devons nous poser, auxquelles nous devons répondre, à propos de la procession, sont d’une telle importance en cette époque transitoire qu’elles pourraient bien modifier l’existence de tous les hommes et de toutes les femmes, et à jamais. Car nous allons nous demander, ici et maintenant : désirons nous la rejoindre cette procession ? Et surtout, quelles conditions accepterons-nous ? Où nous conduira-t-elle, cette procession d’hommes cultivés ? […] à pratiquer les mêmes professions, ne deviendrons-nous pas, d’ici un siècle environ, tout aussi possessives, jalouses, vindicatives, tout aussi péremptoires quant au verdict de Dieu, de la Nature, de la Loi ou de la propriété, que ne le sont aujourd’hui ces
messieurs30 ? »
40Ayant conscience de cette orientation massive vers des types d’emploi fréquemment occupés par des femmes, caractérisés par une faible rémunération et de mauvaises conditions de travail, les professionnelles des associations sont prises entre deux feux : la contrainte à l’autonomisation économique d’une part, et la critique féministe de la division sexuelle du travail d’autre part. En amenant les femmes vers cette autonomie économique, les institutions d’aide reconduisent cette division hiérarchisée et précaire du travail. Alors que le mouvement féministe demande toujours aujourd’hui une plus grande participation des hommes au travail domestique et aux soins aux autres (enfants, malades, personnes âgées…), ce travail est de plus en plus marchandisé et de nouveau confié aux femmes, dans un cadre marchand cette fois-ci (les mêmes femmes continuant d’assumer ces tâches dans leur sphère privée personnelle). On assiste donc dans ces associations à une critique des types d’emplois occupés par les femmes (garde enfant, ménage…)… La critique de la mise au travail et de la division sexuelle du travail, tout en étant présente et en complexifiant la tâche des professionnelles chargées de rendre autonomes économiquement des femmes victimes de violences, n’est pas compatible avec l’injonction budgétaire des politiques publiques actuelles.
41La dynamique d’insertion par le travail semble alors prendre le pas sur l’intention initiale d’une politique d’aide aux victimes. Les politiques cherchant à modifier l’ordre des rapports sociaux de sexe31 sont considérées comme ignorant ou refusant le « référentiel du marché32 », ainsi que Pierre Muller le propose :
« Les difficultés rencontrées par les mouvements féministes pour renforcer les politiques de genre en général et les politiques de la sphère privée en particulier sont liées à leur refus de reconnaître les transformations globales du contexte de l’action publique – ce que nous appelons l’émergence du référentiel du marché […]. Avec la montée en puissance du référentiel de marché, ce rapport global sectoriel (reposant sur “la traduction des règles de l’État-providence en un référentiel des politiques à l’égard des femmes”) a été remis en cause. D’une part, l’action publique féministe s’est trouvée relativement disqualifiée, considérée comme “obsolète”, cette disqualification prenant (précisément…) la forme d’un refus de la spécificité des revendications féministes en matière d’égalité notamment. D’autre part, cette crise de sectorisation renvoie aussi au refus des féministes de la troisième vague de construire un référentiel de revendications calé sur ces transformations globales de la société mettant en avant le marché et l’individu33. »
42Dans le cas présent, le référentiel du marché semble gouverner au contraire une partie des pratiques mises en œuvre par la politique publique : les injonctions des financeurs publics pour rentabiliser les lieux d’hébergement sont relativement efficaces. En revanche, le référentiel du marché tel qu’il s’impose à cette politique publique ne lui permet pas de poursuivre son objectif initial : il induit une logique d’insertion par le travail qui transforme les visées originelles d’une politique d’aide aux victimes.
43Ce dernier chapitre sur le changement dans les politiques publiques esquisse les modalités par lesquelles l’économie contribue à orienter et à modeler la mise en œuvre des politiques publiques, par le prisme des normes et injonctions budgétaires s’imposant aux politiques publiques actuelles. Si les violences commises au sein des couples envers les femmes sont analysées comme une conséquence indirecte des inégalités économiques entre les hommes et les femmes, de nombreux travaux et projets politiques désignent une égalisation des statuts par des politiques scolaires et d’emploi comme la seule voie d’avenir pour prévenir des effets dans la vie privée de la domination masculine. Or, dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales, politique qui s’est construite en tant que « politique du genre », les inégalités sociales s’exerçant dans le travail et la vie publique ne sont pas visées explicitement, et sont même reconduites, malgré des résistances, par une soumission aux impératifs de la nouvelle gestion publique.
Notes de bas de page
1 Voir [http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/index.php?id=calendar#c128].
2 Cette question a déjà été abordée au cours du chapitre précédent. Nous la reprenons ici avec d’autres données de terrain, et dans une perspective différente.
3 Peters B. Guy, « Nouveau management public (New public management) », in Boussaguet Laurie, Dictionnaire des politiques publiques, op. cit., p. 398-404.
4 Voir Duvoux Nicolas, L’autonomie des assistés, op. cit., p. 13-30.
5 Ces politiques d’insertion apparaissent dans les années 1980, visant au début les jeunes dans des politiques transversales, puis au travers du RMI. Voir Guérin-Plantin Chantal, Genèse de l’insertion, Paris, Dunod, 1999 ; Mauger Gérard, « Les politiques d’insertion : une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail », Actes des la recherche en sciences sociales, no 136-137, 2001, p. 5-14. Dans cet article, l’auteur montre les effets de précarisation des parcours professionnels suscités par les différentes formes de contrats dits aidés (emploi jeune, emploi tremplin, etc.) qui sont pourtant censés répondre à la précarité déjà installée. Christophe Trombert souligne quant à lui que l’emploi est un bien rare, recherché dans le cadre de l’insertion pensée quasi exclusivement sur le plan professionnel, qui engendre des « problèmes d’appariement » avec les caractéristiques des bénéficiaires. Il met en évidence les aspects cachés de la démarche d’individualisation propre à la relation d’insertion entre RMIste et travailleur social : « L’individualisation des pratiques d’insertion et la responsabilisation qui l’accompagne n’expriment pas tant alors une reconnaissance de l’individu que la contrainte de sélection individuelle qui s’impose aux intermédiaires de l’insertion et aux bénéficiaires. » Trombert Christophe, « Offre de biens rares et profils de bénéficiaires du revenu minimum d’insertion : lorsque les problèmes d’appariement font le quotidien des services d’insertion », [http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/51/22/05/PDF/offre_de_biens_rares.pdf].
6 Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Gallimard, 1999 [1995]. également cité par Duvoux Nicolas, op. cit., p. 1.
7 Ces changements sont décrits par Chauvière Michel, Trop de gestion tue le social, op. cit., ainsi que L’intelligence sociale en danger. Chemins de résistances et propositions, Paris, La Découverte, 2012. En particulier la section : « Sous l’effet de la LOLF et de la RGPP », p. 47.
8 Duvoux Nicolas, op. cit., p. 2 et 3. Ainsi que Duvoux Nicolas, L’injonction à l’autonomie. L’expérience vécue des politiques d’insertion, thèse pour le doctorat de sociologie de l’EHESS, Paris, 2008.
9 Durkheim Émile, De la division du travail social, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2007 [1893].
10 Duvoux Nicolas, op. cit., p. 15.
11 Trombert Christophe, Le RMI à l’épreuve de l’activation…, op. cit.
12 Berger Peter et Luckmann Thomas, La construction sociale de la réalité, op. cit. ; Singly François de, Le Soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, 1996 ; Kaufmann Jean-Claude, Ego. Pour une sociologie de l’individu, Paris, Armand Colin, 2001.
13 Entretien avec Isabelle, psychologue à l’Envol, juillet 2007.
14 Entretien avec Mathieu, Paris, l’Espace Pause, 2007.
15 Cécile, entretien dans les locaux de l’association, novembre 2007.
16 Cf. Cardi Coline, La déviance des femmes…, op. cit.
17 Interview sur le site de l’Observatoire des Inégalités : [http://www.inegalites.fr/spip.php?rticle735].
18 Deparle Jason, American Dream. Trois femmes, dix enfants et la fin de l’aide sociale aux États-Unis, Paris, éditions du Panama, 2007.
19 Sur le détail des caractéristiques sociales des femmes accueillies par les associations étudiées, voir le chapitre précédent.
20 FNSF, Violences conjugales et exclusion sociale. Domicile, hébergement, logement, Paris, FNSF, 2006, p. 101.
21 Rapport d’activité de l’Envol, 2006.
22 Voir ce tableau en annexe.
23 Les données ne sont pas renseignées pour les trois restantes.
24 Voir à ce sujet : Maruani Margaret et Meulders Danièle, « Chômage, sous-emploi et précarité », in Maruani Margaret (dir.), Femmes, genre et sociétés, Paris, La Découverte, coll. « L’état des savoirs », 2005, p. 227-236 ; Laufer Jacqueline, « L’égalité professionnelle », ibid., p. 237-246. Voir également, Laufer Jacqueline, Marry Catherine et Maruani Margaret, Le travail du genre. Les sciences sociales du travail à l’épreuve de la différence de sexe, Paris, La Découverte, 2003. Plus généralement, sur l’accès des femmes aux professions prestigieuses voir Marry Catherine, Les femmes ingénieurs. Une révolution respectueuse, Paris, Belin, 2004.
25 Rapport d’activité de l’Envol, 2007.
26 Ces chiffres sont issus des rapports d’activités de l’Envol pour l’année 2007. Sept femmes ont une situation pour laquelle aucune information n’apparaît dans les rapports d’activités.
27 Entretien avec Isabelle, psychologue à l’Envol, juillet 2007.
28 Idem.
29 Par exemple les discussions de la tendance « lutte des classes », et les travaux de Danièle Kergoat sur le travail des femmes : Les ouvrières, Paris, Le Sycomore, 1982 ; Kergoat Danièle (dir.), Les infirmières et leur coordination, Paris, Éditions Lamarre, 1992.
30 Woolf Virginia, Trois guinées, Paris, 10/18, 2002 [1938], p. 112, 113 et 120. La première partie de l’extrait est également citée par Jonas Irène et Sehili Djaouida, « Les nouvelles images d’épinal : émancipation ou aliénation féminines ? », Nouvelles questions féministes, vol. 27, no 2, 2008, p. 39-52.
31 Les « politiques du genre » désignent pour Pierre Muller des politiques dans lesquelles « il ne s’agit plus seulement de garantir un ordre patriarcal à travers le droit et la violence mais de (re)construire un ordre social à travers la mise en place de politiques publiques. Lorsque l’on prend un peu de recul, on peut voir là ce qui ressemble à une extraordinaire prétention des sociétés modernes à se transformer elles-mêmes, y compris sur leur sphère la plus intime, par la mise en place, sous la forme d’une sorte d’altérité par rapport à elles-mêmes, d’instrument d’action à la fois produits par elles et destinés à agir sur elles ». Muller Pierre, « Introduction », in Muller Pierre, Senac-Slawinski Réjane et al., Genre et action publique : la frontière public-privé en questions, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 2009, p. 21.
32 Muller Pierre, « Référentiel », in Boussaguet Laurie, Dictionnaire des politiques publiques, op. cit., p. 555-562, définit ainsi ce référentiel qui s’impose à partir des années 1980 en organisant de nouvelles relations entre l’état et le marché : « Ce référentiel de marché repose sur une redéfinition de la frontière public-privé avec le recentrage du rôle de l’État sur des fonctions de régulation économique et l’affichage de normes d’efficience calquées sur des modes de gestion privée. Ses algorithmes et ses normes d’action mettent en avant la “nécessité” de réduire les dépenses publiques (notamment dans le domaine social) pour faire face à la concurrence internationale dans un contexte de globalisation. Au-delà de sa dimension économique, cette nouvelle vision du monde se développe plus largement dans un contexte d’individualisation des sociétés occidentales qui contraint les individus à être “acteurs de leur propre vie, pas seulement dans le domaine économique”. » (P. 558.)
33 Muller Pierre, « Introduction », art. cité, p. 24-25.
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