1 Marc Breviglieri et Danny Trom ont proposé de décrire un ensemble de tensions constitutives de l’expérience citadine en partant de la manière dont des « troubles » surgissent, susceptibles de faire épreuve aux engagements pratiques dans lesquels sont pris les habitants d’un quartier urbain, pour envisager ensuite leur publicisation. C’est ce cheminement que nous avons cherché à décrire. Toutefois, celui-ci ne tend pas vers la confection d’un problème public. Nous nous sommes intéressée aux transformations requises pour que des « préoccupations » soient traitées en « demandes », susceptibles d’être prises en charge par une organisation. Cela suppose leur appariement à des « problèmes » stabilisés, équipés par des dispositifs intégrant des règles organisationnelles ou juridiques, qui ne visent pas le même genre de publicité – celle d’un espace public démocratique – que des « problèmes publics » (Breviglieri M. et Trom D., « Troubles et tensions en milieu urbain. Les épreuves citadines et habitantes de la ville », inCefaï D. et Pasquier D. [dir.], Les sens du public, Paris, PUF, 2003, p. 399-416).
2 Weller J.-M., « Le travail bureaucratique. Déplacements/résistances », Travail, no 36-37, 1996, p. 57-67.
3 Eymard-Duvernay F. et Marchal E., op. cit., 1994.
4 Jeannot G. et Joseph I., Les métiers du public, les compétences de l’agent et l’espace de l’usager, Paris, Éditions du CNRS, 1995.
5 Grosjean M., « La question dans les prestations de services, l’exemple du métro parisien », inKerbrat-Orecchioni C., La question, Lyon, PUL, 1991 ; Weller J.-M., « Le guichet interactif. Ce que font les bureaucrates lorsqu’ils répondent au téléphone », Réseaux, no 82-83, 1997, p. 129-148.
6 Camus A., Lafaye C. et Corcuff P., « Entre le local et le national : des cas d’innovation dans les services publics », Revue française des affaires sociales, vol. 47, no 3, 1993, p. 17-48 ; Astier I., Revenu minimum et souci d’insertion, Paris, Desclée de Brouwer, 1997.
7 Thévenot L., « Le régime de familiarité : des choses en personnes », Genèses, no 17, 1994, p. 72-101 ; Thévenot L., L’action au pluriel : sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
8 Molinier P., Laugier S. et Paperman P., op. cit., 2009 ; Gilligan C., Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008.
9 Payet J.-P. et Battegay A. (dir.), La reconnaissance à l’épreuve. Explorations socio-anthropologiques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2008.
10 Pour une lecture critique de ces travaux, voir Ogien A., « L’ordre de la désignation. Les habitués dans les services hospitaliers », Revue française de sociologie, vol. 27, no 1, 1986, p. 29-46).
11 Joseph I., « Le temps partagé : le travail du machiniste-receveur », Sociologie du travail, no 1, 1992, p. 3-22. Plus généralement, en faisant référence aux travaux sur la relation de services, nous entendons les travaux analysant les basculements et les tensions entre différents cadres structurant les échanges. Ils invitent à étudier la manière dont des agents basculent entre différentes compétences soutenant les interactions : des « compétences techniques », des « compétences rituelles » associées aux attentes de civilité sur des espaces publics et des « compétences contractuelles » par lesquelles des agents ouvrent ou clôturent les transactions avec l’usager (Dartevelle M., « Le travail du contrôleur. Les activités langagières des agents », Les Annales de la recherche urbaine, no 57-58, 1993, p. 110-114).
12 Joseph I., art. cité, 1992, p. 12.
13 Goffman E., « Les ressources sûres », inWinkin Y. (dir.), Erving Goffman : des moments et leurs hommes, Paris, éditions du Seuil/Les éditions de Minuit, 1988, p. 104-113.
14 Marchal H., art. cité, 2007.
15 Les activités de ménage des gardiens sont ainsi décrites dans la mesure où elles font l’objet de « tactiques de désidentification », permettant aux gardiens de mettre à distance la figure stigmatisée du concierge, ceux-ci se livrant continuellement à un ensemble d’opérations consistant à cacher au « public » tout indice de « sale besogne » (Marchal H., « Gardiens HLM d’aujourd’hui, concierges d’hier », Ethnologie française, vol. 35, no 3, 2005, p. 513-519).
16 Marchal H., « Les “jeunes des cités” vus par les gardiens-concierges », Déviance et société, vol. 30, no 1, 2006, p. 121-130.
17 Goffman E., Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1977 [1963].
18 Nous faisons ici référence à un article analysant plus spécifiquement l’adolescence, comme une multiplication inédite et progressive d’épreuves publiques. Marc Breviglieri y caractérise différentes façons de tendre vers des épreuves publiques, en opérant des passages entre un monde proximal familier et ces épreuves publiques (Breviglieri M., « L’arc expérientiel de l’adolescence : esquive, combine, embrouille, carapace et étincelle », Éducation et sociétés. Revue internationale de sociologie de l’éducation, no 19, 2007, p. 99-113).
19 Eymard-Duvernay F. et Marchal E., art. cité, 1994.
20 À partir d’une enquête effectuée auprès d’assistantes sociales intervenant dans des logements qualifiés d’insalubres, Marc Breviglieri décrit notamment comment ces assistantes sociales pointent un ensemble de « fautes mineures », appelant à réviser certains usages par des formes de sanctions diffuses ou par des conseils attestant d’une sollicitude, tout en orientant vers les attendus d’un logement normal (Breviglieri M., « La décence du logement et le monde habité. Une enquête sur la positiondu travailleur social dans les remous affectifs de la visite à domicile », inRoux J. et Peroni M. [dir.], Sensibiliser. La sociologie dans le vif du monde, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2006, p. 90-104).
21 Breviglieri M., « L’insupportable. L’excès de proximité, l’atteinte à l’autonomie et le sentiment de violation du privé », inBreviglieri M., Lafaye C. et Trom D., Compétences critiques et sens de justice, Paris, Economica, 2009.
22 Pattaroni L., art. cité, 2001.
23 Pattaroni L., « Le care est-il institutionnalisable ? Quand la politique du care émousse son éthique », inPaperman P. et Laugier S. (dir.), Le souci des autres : éthique et politique du care, Paris, Éditions de l’EHESS, coll. « Raisons pratiques », 2006, p. 177-203.
24 Siblot Y., Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences-Po, 2006.
25 Yasmine Siblot emploie le terme de « familiarité » – sans référence aux développements de cette notion dans le cadre d’une sociologie des régimes d’engagement – pour qualifier les institutions qu’elle a étudiées au sein d’un quartier populaire, à savoir des services de la municipalité, la Poste, ainsi qu’un centre social de quartier. Elle préfère le terme de « familiarité » à celui de « proximité » pour marquer une différence avec une proximité qui ne serait que spatiale et avec des rhétoriques politiques mobilisant la notion de « proximité ». Dans l’approche qui est la sienne, la familiarité des institutions qu’elle a analysées réside d’une part dans des pratiques relationnelles entre des agents et les usagers de ces services qui sont inscrites dans un espace local, et d’autre part au caractère généraliste et polyvalent des institutions étudiées, non destinées à des publics spécifiques et segmentés, contrairement aux politiques dites de « proximité ». Elles sont alors « familières » car tout le monde a priori peut avoir à faire avec elles, ce qui permet, selon Y. Siblot, des formes d’appropriation spécifiques de ces institutions (ibid.).
26 Damamme A. et Paperman P., « Care domestique : délimitations et transformations », inMolinier P., Laugier S. et Paperman P., op. cit., 2009, p. 133-155.
27 Un gardien a ainsi négocié avec un locataire le fait d’appuyer une demande d’intervention technique en échange d’un accord sur un plan d’apurement de dette de loyer. Il a fait valoir cet arrangement comme une opportunité de trouver une issue à une situation jusque-là bloquée auprès de sa hiérarchie. Il estime par ailleurs que ce « petit geste » attestera de sa sollicitude envers ce locataire et les difficultés particulières qu’il traverse dans sa vie professionnelle et familiale, tout en souhaitant être discret vis-à-vis de voisins, susceptibles de lui demander des comptes sur cet arrangement, passé avec un locataire connu dans le quartier pour être un locataire « à problèmes ».
28 Cette activité de collecte des loyers s’est toutefois au cours des dernières décennies considérablement réduite, avec la généralisation des prélèvements automatiques.
29 N’ayant pas effectué notre enquête au moment de ce conflit, ces accusations nous ont été communiquées, d’une part, par un responsable d’agence pour exemplifier un certain nombre de mauvaises attitudes qu’il convenait d’éradiquer et, d’autre part, au cours des observations, par la rencontre de cet ancien gardien, habitant toujours sur place, venant nous exposer alors que nous étions avec un de ses anciens collègues, qu’il avait été injustement accusé d’être raciste, alors qu’ayant fait, avant d’être gardien, sa carrière dans l’armée, il avait côtoyé « des Noirs, des Arabes, etc. », « sans faire de différence ». Un autre gardien nous évoqua ensuite des « dérives » d’une autre nature, et plus précisément le fait que des gardiens aient monnayé l’occupation de locaux vacants auprès de personnes à la recherche d’un logement.