1 Malgré leur extrême rareté dans le système carcéral français (moins de dix par an), c’est la crainte de cet événement qui permet de rendre compte de l’ordre matériel de la prison tel que conçu, mis en œuvre et maintenu aux différents échelons de l’administration pénitentiaire.
2 Durkheim 1893.
3 Monjardet 1996 ; Jobard 2008 ; Proteau et Pruvost 2008 ; Fassin 2011.
4 Le terme désigne des projectiles introduits dans l’enceinte de la prison depuis l’extérieur. Les projections courantes sont des téléphones portables ou des produits stupéfiants, insérés dans des balles de tennis et lancés dans la cour de promenade.
5 Chauvenet 1998.
6 Benguigui 2011. Voir aussi le rapport de l’OIP sur les conditions de détention en France, 2011.
7 Source : Cour des Comptes, 2006. Garde et réinsertion : la gestion des prisons, La Documentation française, Paris. Dans le cadre de la réforme pénale de 2014 la part du budget allouée à la réinsertion a été fortement augmentée.
8 Cour des Comptes, ibid., p. 43.
9 Voir par exemple les critiques formulées par le CGLPL dans son rapport d’activité pour l’année 2010 (p. 32-33).
10 Le juriste Éric Péchillon, qui analyse le droit pénitentiaire comme un droit tout entier orienté par la sécurité, qualifie la prison de service public au service de la puissance publique (Péchillon 1998).
11 Au moment de l’enquête, malgré plusieurs préconisations issues des règles pénitentiaires européennes, de la loi pénitentiaire et des avis du CGLPL, le règlement intérieur n’était pas disponible à Dugnes comme à Broussis. Le flou qui régnait alors sur ces documents toujours « en cours de révision » est analysé par Antoinette Chauvenet comme « étroitement lié à la fonction sécuritaire et de maintien de l’ordre » (Chauvenet 1998). La règle est en effet souvent énoncée en fonction de situations particulières, et adaptée selon les problèmes d’applicabilité rencontrés.
12 Les termes employés par les personnels de direction, de surveillance ou d’insertion sont sensiblement les mêmes et varient moins selon les fonctions du locuteur, que selon la situation d’interaction (plus ou moins formelle) avec la chercheuse. Ainsi un surveillant de Dugnes décrit cette prison comme « cadrée », « bien organisée », très différente de celle de Broussis où c’est « la jungle » (entretien, juin 2009). Une gradée de Broussis déplore que dans la prison où elle travaille « c’est le bordel, c’est fatigant » (conversation, février 2011). Un chef de service d’insertion et de probation de Dugnes reprend la même idée en la formulant en termes d’établissement « bien tenu » pour Dugnes ou « chaotique » pour Broussis (entretien, septembre 2009).
13 Barak-Glantz 1981 ; De Coninck et Lemire 2011 ; Combessie 1998.
14 Bellanger 2011.
15 Froment et Kaluszynski 2011.
16 Dworkin 1978, p. 31.
17 Notons que le même terme de « mouvement » désigne, dans le langage courant de la détention, aussi bien les déplacements collectifs de détenus (vers les cours de promenade ou les ateliers par exemple) que les actions collectives d’insubordination (comme un refus de remonter de cour de promenade).
18 Chauvenet, Orlic, et Benguigui 1994 ; Liebling 2000 ; Malochet 2004.
19 Entretien avec un premier surveillant, Dugnes, juillet 2009.
20 Froment 1998.
21 Par exemple, dans un spot publicitaire destiné à promouvoir le recrutement d’agents de surveillance, l’administration pénitentiaire insiste sur les valeurs d’écoute, de respect et d’humanité.
22 Sur l’étude de l’enfermement par une sociologie des objets, voir Majerus 2011 ; Bandyopadhyay 2010 ; Bruslé et Morelle 2014.
23 Salle 2009.
24 Ces négociations et compromis sont inévitables dans le contexte de partage d’un lieu commun, de vie pour les uns, de travail pour les autres. Voir Vacheret 2002 ; Rostaing 2014.
25 Un reportage estime en 2012 que circuleraient en prison presque autant de téléphones qu’il y a de détenus (« Le portable en prison, mobile d’évasion », Stéphanie Marteau, Le Monde 2, 7 septembre 2012). Un avis du CGLPL de mai 2014 recommande l’autorisation des téléphones portables en prison.
26 Rostaing, Galembert, et Béraud 2014.
27 Bien que l’administration pénitentiaire ne recense pas la religion des détenus, une étude de 2004 montre (en s’appuyant sur le nombre de demandes de repas sans porc ou végétarien, les listes d’attentes pour rencontrer un aumônier musulman, ou les sollicitations d’aménagement pour le mois de jeûne du ramadan) que la moitié des détenus en France sont musulmans, plus ou moins pratiquants, et jusqu’aux deux tiers dans certaines maisons d’arrêt de grandes agglomérations (Khosrokhavar 2004).
28 La contradiction entre l’éthique libérale (qui réduit les prescriptions disciplinaires sur les détenus) et ces restrictions en matière religieuse n’est qu’apparente : dans la cohérence de la vision pénitentiaire, ces restrictions se justifient par le souci d’éviter l’endoctrinement de personnes vulnérables parce que détenues ; le même raisonnement est mobilisé au sujet du voile islamique dans les écoles, s’agissant de mineurs.
29 Pour un historique des « cantines », voir Seyler 1988.
30 Commission d’enquête du sénat 2000.
31 Voir notamment : Cour des Comptes 2010.
32 Marchetti 1997.
33 Source : Cour des Comptes, 2010, données de 2003. Le seuil était alors fixé à 45 euros de pécule, il a été réévalué à 50 euros en 2010. La proportion d’indigents en établissement pour peine est moitié moindre.
34 Source : Rapport d’activité de la Direction de l’administration pénitentiaire 2011, p. 45.
35 Sur le travail en prison, voir Guilbaud 2008b.
36 Auvergnon 2011.
37 Le nombre élevé d’indigents est dû au fait que sont orientés vers cette maison d’arrêt des personnes interpellées sur le territoire parisien, dont une proportion plus élevée qu’ailleurs de sans domicile fixe (13 %, contre 6 % en moyenne pour les établissements de région parisienne) et d’étrangers (38 % ; les étrangers sont surreprésentés parmi les indigents).
38 Historiquement, l’Église catholique intervenait auprès des indigents par le biais des aumôneries et associations caritatives. La place persistante des associations permet de maintenir la fiction que l’aide est attribuée par le secteur associatif, alors même que l’enveloppe provient des subventions de l’administration pénitentiaire, et que la décision d’attribution revient en dernier lieu au directeur qui préside la commission.
39 Elster 1992.
40 « Un choix pathétique. L’aide d’urgence aux chômeurs et précaires », Fassin 2010. Voir également Fernandez 2010.
41 Lors de l’enquête de terrain, la disposition de la loi pénitentiaire de 2009 prévoyant la présence d’un citoyen assesseur en commission de discipline n’était pas encore entrée en application. C’est toutefois au nom de cette disposition que j’obtiens l’autorisation d’assister au délibéré de la commission de discipline, que je n’ai pu observer à Dugnes.
42 Source : rapport d’activité de l’administration pénitentiaire, 2011.
43 Suite à la jurisprudence du Conseil d’État de 1995, un décret de 1996 (no 96-287) réforme la procédure disciplinaire en prison. Les fautes sont énumérées et classées en trois degrés de gravité, auxquels correspond une échelle de sanction, la peine de quartier disciplinaire étant la sanction la plus lourde. La loi du 12 avril 2000 garantit un droit à la défense et un droit au recours pour les usagers des services publics affectés par des décisions de l’administration : les détenus peuvent alors être assistés d’un avocat en commission de discipline. La loi pénitentiaire de 2009 réduit de quarante-cinq à trente jours la durée maximale de placement en quartier disciplinaire et prévoit l’introduction d’un assesseur extérieur à l’administration pénitentiaire dans la formation de jugement.
44 Ce travail de mise en forme s’apparente à celui opéré par les policiers dans la rédaction de leurs procès-verbaux (Lévy 1985).
45 Le Code de procédure pénale prévoit une diversité de sanctions (privation d’activités, d’achats aux cantines, de télévision etc.) presque inusitées dans les maisons d’arrêt étudiées. Selon un rapport d’activité de 2000, 80 % des sanctions disciplinaires prononcées consistent en confinement en cellule, disciplinaire ou (en cas d’encombrement du QD) ordinaire.
46 Voir Rostaing 2014. C’est seulement dans le cadre particulier et ponctuel de la répression du trafic d’objet prohibés (comme les téléphones portables à Broussis, au moment de l’enquête) qu’on observe des « politiques du chiffre » en matière disciplinaire.
47 Geay, Oria, et Fromard 2009.
48 Voir Fernandez 2013.
49 Conseil d’État, arrêt Marie du 17 février 1995 (no 97754, publié au recueil Lebon).
50 Disposition issue de la loi pénitentiaire de 2009. Au moment de l’enquête, elle n’était pas encore effective dans les établissements étudiés. Les témoignages récents indiquent que ces assesseurs sont souvent des membres d’associations intervenant en prison, et déplorent leur faible poids face à la pénitentiaire dans les commissions de discipline.
51 Entre 2006 et 2011, les données indiquées par les rapports d’activité de l’administration pénitentiaire oscillent entre 36 % (en 2006) et 45 % (en 2008), sur l’ensemble des procédures tous types d’établissements confondus.
52 Il faut souligner que dans aucun des cas observés pendant l’enquête le détenu ne comparaissait en commission de discipline accompagné de son propre avocat. On peut faire l’hypothèse que dans ce cas de figure la connaissance du dossier et la relation de clientèle favoriseraient un engagement plus combatif de l’avocat dans la défense de son client.
53 Selon une étude médicale, la sur-suicidité dans le quartier disciplinaire est de sept par rapport au régime de détention normal (Baron-Laforet 2000).
54 Les tensions et contradictions qui découlent de ces doubles contraintes ont donné lieu à divers aménagements : unités psychiatriques ambulatoires implantées en détention (les « SMPR ») ou les unités d’hospitalisation psychiatrique placées sous surveillance pénitentiaire (« UHSA »). Sur le cas américain, voir Rhodes 2004.
55 Les citations sont extraites de Surveiller et punir (Foucault 1975, 259-260). Sur l’analyse de la conception du droit chez Foucault, voir Mazabraud 2010.