Éclairage. Vieillir et se former à l’âge de la retraite
p. 289-292
Texte intégral
1L’engagement en formation à l’âge de la retraite est un objet d’étude récent pour la sociologie française contemporaine. Notons tout d’abord que ce phénomène social est émergent et peu institutionnalisé, si ce n’est au sein des universités tous âges (UTA). De plus, c’est par l’intermédiaire d’universitaires proches des sciences de l’éducation et de la gérontologie, davantage que de la sociologie, que ces pratiques ont pu se développer internationalement, à partir des années 1970-1980, structurant la recherche au croisement de ces deux champs. Enfin, ce sont plus précisément les travaux anglo-saxons qui ont développé la recherche sur l’éducation au 3e âge à travers différents domaines tels, la gérontologie éducative, l’éducation gérontologique ou la gérontagogie.
2Ces travaux, principalement quantitatifs, questionnent les motivations à apprendre, interrogent la pertinence d’un enseignement spécifique pour le 3e âge, décrivent les situations d’apprentissage, observent les « besoins » des personnes âgées en formation (Kern, 2008) ou encore, évaluent la « capacité à apprendre » des personnes vieillissantes. Mais, peu d’études (Withnall, 2006) ont cherché à comprendre sociologiquement les formes de l’engagement en formation à l’heure de la retraite et au fil de l’avancée en âge. C’est ce que nous avons cherché à faire (Chamahian, 2009a) en proposant une approche compréhensive de l’expérience de formation, en lien avec l’expérience du vieillir, se fondant sur l’analyse de 69 entretiens semi-directifs menés avec des retraités inscrits dans différentes UTA (Lille, Lyon, Nice) et universités (Lille 3 et Aix-Marseille 1).
3Afin de rendre compte des principaux apports et résultats de cette étude, nous présenterons dans un premier temps la trame théorique et analytique qui a traversé cette recherche, puis, dans un deuxième temps, nous soulignerons l’importance des cadres institutionnels pour comprendre les expériences individuelles du vieillir en formation. Enfin, nous dégagerons quelques-unes des pistes d’investigations ouvertes par cette recherche.
Conjuguer l’expérience du vieillissement et celle de la formation
4Le vieillissement et la formation sont ici pensés comme une expérience, mais aussi comme un processus relationnel au cœur desquels se jouent le travail de construction identitaire et le rapport au monde (Caradec, 2004). Cette posture envisage le vieillissement individuel comme étant rythmé par des périodes de transition, plus ou moins anticipées, au cours desquelles une réorientation de la trajectoire individuelle peut être envisagée, notamment par le biais de la formation. En tant que processus de socialisation continue, la formation entraîne une modification de l’avoir (j’en sais plus aujourd’hui qu’hier) et de l’être (je suis autrement aujourd’hui qu’hier), c’est-à-dire une modification identitaire (Haissat, 2006). En cela, la reprise d’études à l’heure de la retraite révèle un individu réflexif, relationnel, en quête de lui-même et profondément inachevé (Caradec et Martuccelli, 2004). L’individu vieillissant en formation est alors pris dans des temporalités réversibles complexes : si la reprise d’études permet de combler des expériences de formation passées, de compléter une formation initiale inachevée, de revenir sur des projets professionnels contrariés, il n’en reste pas moins que « la vie continue ». C’est à travers ce va-et-vient entre trajectoire biographique et projets de formation (liés parfois à des projets professionnels) que les retraités rencontrés cherchent à se construire et à s’accomplir. Le rapport au temps – passé et à venir – est donc ici essentiel en ce qu’il donne du sens à l’engagement. Les différentes étapes de l’avancée en âge (passage à la retraite, veuvage, rôle grand-parental, effets propres du vieillissement…) se conjuguent à celles du processus de formation (décision de s’engager, inscription dans une structure éducative, maintien de soi et/ou arrêt de la formation). De ce point de vue, l’activité éducative constitue un « support » (Martuccelli, 2002) pour vivre positivement le vieillir, même si, à un moment donné de la trajectoire, cette conjugaison des temps devient plus difficile, le vieillissement venant limiter, voire stopper, la démarche d’engagement.
L’importance des structures de formation
5Cette analyse de l’expérience du vieillir en formation a été conduite en accordant une place importante aux structures variées dans lesquelles s’opère le retour en formation, ces contextes éducatifs constituant des vecteurs du maintien de soi et de la construction identitaire au fil de l’avancée en âge. Par leurs calendriers, elles permettent aux retraités de donner de la consistance au quotidien grâce à un agenda organisé autour de l’activité de formation. Ces structures permettent ainsi de définir le degré d’implication dans l’activité de formation selon que les retraités s’engagent dans de véritables cursus universitaires, s’inscrivent comme auditeurs libres, cherchent à participer à des conférences ou encore à s’investir bénévolement dans une UTA. Le sens donné à cette activité et la place qu’elle occupe sont apparus d’autant plus importants qu’ils peuvent conforter ou, au contraire, distendre les relations des retraités avec leurs proches (Chamahian, 2011). Enfin, ces cadres institutionnels nous ont permis de déterminer trois types de rapports différenciés à la formation dans le temps de retraite : se former pour « se cultiver », pour « s’occuper » et, enfin, pour « se reconvertir » (Chamahian, 2009b). Si les deux premiers rapports permettent de vivre la retraite de façon traditionnelle, comme une période de repos orientée vers le développement personnel, les loisirs et l’engagement bénévole, le fait de chercher à se reconvertir par la formation tend à révéler une nouvelle réalité où ce temps de l’existence se transforme en nouveau temps professionnel1.
Ouvertures
6Par son caractère précurseur dans les travaux sociologiques français, cette recherche ouvre sur un nouveau domaine d’investigation qui suppose – selon les objets d’études – de mobiliser les apports de la sociologie des âges, de l’éducation, du travail et du temps. Plusieurs pistes pourraient ainsi être développées : interroger les inégalités sociales et sexuées d’accès à la formation aux âges les plus élevés ou encore observer plus finement les pratiques de formation de la population vieillissante. Si notre étude s’est avant tout intéressée à l’analyse des initiatives individuelles de formation (Berton et al., 2004), elle invite au niveau institutionnel, à une exploration plus poussée du positionnement des institutions universitaires et de leurs acteurs vis-à-vis de ces retraités porteurs d’autres attentes que la seule ouverture culturelle, mais aussi à observer l’impact du renouvellement générationnel sur la définition d’une nouvelle identité institutionnelle au sein des UTA, ce qui pose aussi la question d’une meilleure connaissance des structures éducatives permettant de se former à différents âges de la vie (universités populaires, université de tous les savoirs, etc.). Enfin, cette thématique de recherche suppose de problématiser plus fermement les réflexions autour des orientations politiques en matière de formation tout au long de la vie. Il s’agit de saisir les effets de la mise en œuvre de cette notion sur la structuration des parcours de vie et l’organisation des temporalités sociales et, surtout, d’observer le déplacement en cours du lien formation-emploi tout au long de la vie adulte.
Bibliographie
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Références
Berton F. et al., Initiatives individuelles et formation, Paris, L’Harmattan, 2004.
Caradec V., Vieillir après la retraite. Approche sociologique du vieillissement, Paris, PUF, 2004.
10.4000/books.septentrion.54234 :Caradec V. et Martuccelli D. (dir.), Matériaux pour une sociologie de l’individu, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004.
10.3917/rf.008.0091 :Chamahian A., « Reprendre des études à l’âge adulte : les effets sur les liens intergénérationnels à l’université et dans la famille », Recherches familiales, no 8, 2011, p. 91-100.
Chamahian A., Vieillir et se former à l’université et dans les universités tous âges. Sociologie de l’engagement en formation à l’heure de la retraite, thèse de sociologie, université Lille 3, 2009a.
10.7202/039314ar :Chamahian A., « Vieillissement actif et enjeux de la formation dans le temps de retraite », Lien social et politiques, no 62, 2009b, p. 59-69.
Haissat S., « La notion d’identité personnelle en sociologie. Analyse de la construction identitaire à partir du processus d’engagement », Interrogations, no 3, 2006, p. 126-134.
10.3917/savo.018.0079 :Kern D., « Les besoins d’apprentissage dans la vieillesse », Savoirs, vol. 3, no 18, 2008, p. 79-97.
Martuccelli D., Grammaires de l’individu, Paris, Gallimard, 2002.
10.1080/02601370500309477 :Withnall A., « Exploring influences on later life learning », International Journal of Lifelong Education, vol. 25, no 1, 2006, p. 29-49.
Notes de bas de page
1 En France, les règles de cumul entre emploi et retraite ont été assouplies ces dernières années, autorisant des retraitées issues de l’enseignement secondaire à devenir psychologue en libéral ou enseignant-chercheur à l’université, ou encore, permettant à des cadres en retraite de se projeter, par le biais de leurs études, dans des fonctions de guides conférenciers ou dans une activité de traducteur/interprète.
Auteur
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