La participation sociale, une action située entre biographie, histoire et structures
p. 207-226
Texte intégral
Introduction
1La participation sociale est un objet qui n’est pas clairement délimité et qui est défini de manière très diverse selon les chercheur(euse)s et/ou les perspectives disciplinaires et traditions théoriques, sans même parler des manières distinctes de l’objectiver et de la mesurer1. Dans le présent chapitre, la participation sociale réfère à l’ensemble des activités extérieures au domicile par lesquelles les personnes s’engagent volontairement dans la vie de la collectivité et de ses organisations, espaces communautaires, formes d’expression et événements. La participation sociale peut être aussi bien formelle qu’informelle. Elle est formelle quand les pratiques s’inscrivent dans un cadre organisationnel et prennent appui sur lui : par exemple, l’affiliation à une association volontaire, la responsabilité exercée au sein d’un groupement politique, l’activité bénévole au service de personnes fragiles dans le cadre d’une organisation religieuse active auprès de celles-ci. Elle est informelle quand les activités sont entreprises sur la base de choix, d’investissements et de finalités propres aux personnes, en dehors et sans référence à un cadre organisationnel : par exemple, les pratiques culturelles comme la visite de musées ou l’assistance à des spectacles, les activités récréatives telles qu’aller au restaurant ou participer à une fête villageoise ou de quartier.
2Cette définition se situe au croisement de deux préoccupations. La première prend appui sur l’opposition entre sphère privée et espace public – ce dernier étant conçu comme constituant à la fois un ensemble d’opportunités pour interagir et se lier avec autrui au-delà du cercle des proches et du réseau personnel, et un cadre d’intervention et d’influence sur la vie et organisation de la collectivité – et cherche à déterminer dans quelle mesure les personnes âgées y sont présentes et actives. La seconde réside dans une interrogation sur la manière dont, et le degré auquel, les personnes âgées sont intégrées dans les grands courants de la vie collective : ses productions culturelles et symboliques, ses événements, manifestations et rituels.
3Après avoir rappelé brièvement l’essor massif de la participation sociale des retraités au cours des récentes décennies, et le changement en parallèle du regard sociologique porté sur la question, ce chapitre s’attache en premier lieu à circonscrire les facteurs qui permettent d’expliquer cette transformation. Dans la partie suivante, il vise à sérier les modalités de participation sociale dans le grand âge et dans quelle mesure et comment celle-ci est affectée par le processus de vieillissement. Puis, il se concentre sur les inégalités de pratiques, tant du point de vue du genre que du statut social. Chemin faisant, on s’efforce à la fois de présenter un bilan des connaissances, et d’indiquer des territoires qui restent encore largement à défricher. Enfin, la conclusion propose quelques développements théoriques et méthodologiques susceptibles de contribuer à une meilleure compréhension des processus en jeu, et de constituer des repères pour orienter de futures investigations.
De la « retraite mort sociale » à la « retraite participation » ?
4Pendant longtemps, la sociologie de la vieillesse et du vieillissement a vu dans la retraite une sorte d’envers de la participation sociale. Elle en a même proposé des théorisations : évoquons-en deux, particulièrement significatives.
5Dans la théorie du désengagement (Cumming et Henry, 1961), le vieillissement implique une réduction des interactions avec autrui et un retrait de la vie sociale. Ce désengagement est à la fois « voulu » par l’individu et fonctionnel pour lui : il intervient avant même que ne s’impose le « désengagement » ultime que provoque la maladie incurable et invalidante, la mort ; il est également la condition d’un « bien vieillir ». Réciproquement, en organisant le processus de désengagement par des institutions comme la retraite qui libère les individus de leurs obligations sociales, la société, tout en préservant son bon fonctionnement, permet à l’individu de s’adapter aux exigences de son âge2.
6Dans une perspective plus européenne et critique, A.-M. Guillemard (1972) met en évidence que, dans les années 1960, le mode de vie le plus fréquent parmi les retraités français est la « retraite-retrait » : celle-ci ne se caractérise pas seulement par la pauvreté économique, mais aussi par la rareté des liens familiaux et sociaux et l’absence d’insertion dans d’autres champs de l’activité sociale : une « mort sociale », pour reprendre le titre du livre. Contrairement aux arguments de la théorie du désengagement cependant, cette situation en retrait de la vie sociale n’est pas ici une adaptation appropriée au vieillissement, mais le résultat pour l’essentiel d’un déficit de ressources (entendues au sens large : économiques, sociales, culturelles, de santé), faute notamment d’avoir pu être accumulées tout au long de la vie de travail, ce qui in fine renvoie aux inégalités et discriminations dont cette dernière est jalonnée.
7Depuis l’époque de ces premiers travaux, les sociétés d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord ont vécu de profondes mutations ; la retraite n’y a pas échappé et a connu une « révolution tranquille » (Lalive d’Épinay et al., 2000) ou « silencieuse » (Legrand, 2001). Le développement des différentes formes de participation sociale en est un trait majeur. Différentes études qui s’appliquent à suivre l’évolution des pratiques dans le temps attestent ainsi de l’accroissement des activités culturelles hors les murs, de la participation aux associations volontaires, de l’engagement bénévole et politique. Dans ce mouvement général, seules les pratiques religieuses stagnent ou régressent. De leur côté, les études de nature longitudinale n’observent pas, ou plus, de déclin des pratiques de participation avec le passage à la retraite, une situation qui tend à perdurer jusque dans le grand âge3.
8L’image de la retraite dès lors s’inverse : de « mort sociale », elle devient « participative » et même – si on se concentre sur les activités de bénévolat et d’engagement civique – « solidaire » (Guillemard, 2002). C’est là un raccourci évocateur, mais qui ne doit pas faire oublier l’hétérogénéité qui, hier comme aujourd’hui, caractérise le monde des retraités : bien qu’étant le plus fréquent, la « retraite-retrait » n’était qu’un des cinq modes de vie observés par Guillemard ; et de nos jours, des formes similaires d’exclusion sociale existent au sein de la population retraitée, même si elles ne concernent que des franges minoritaires (Bickel et Cavalli, 2003 ; Billette et Lavoie, 2010).
Pourquoi les retraités participent-ils plus qu’avant à la vie sociale et politique ?
9Comme l’ont mis en évidence plusieurs travaux (Bickel, 2003 ; Broese van Groenou et Deeg, 2010 ; Scherger et al., 2011), une part substantielle de l’accroissement de la participation sociale au sein des cohortes plus récentes de retraités par rapport aux plus anciennes peut être attribuée à des changements de nature structurelle, au sens compositionnel du terme : les cohortes plus récentes ont un niveau d’éducation plus élevé, une structure socio-professionnelle caractérisée par une proportion élevée de nouvelles classes moyennes, une situation financière plus favorable, un meilleur état de santé, une présence plus fréquente du conjoint et des amis proches ; des facteurs dont il a été plus généralement démontré qu’ils sont positivement associés à la participation sociale (pour une revue, voir par exemple Raymond et al., 2008).
10Si une partie de ces changements structurels concerne plus particulièrement la retraite, d’autres sont susceptibles d’agir sur la participation déjà en amont du parcours de vie : par exemple l’élévation du niveau d’éducation ou la modification de la structure socio-professionnelle. C’est bien ce qu’ont établi les rares études (notamment Bickel et Lalive d’Épinay, 2001 ; Bickel et al., 2005 ; Scherger et al., 2001) qui s’appuient sur des données transversales répétées permettant de reconstruire les trajectoires de pseudo-cohortes ou sur la comparaison de données longitudinales (rétrospectives ou par panel) : les cohortes plus récentes de retraités participent davantage que les cohortes plus anciennes non seulement à l’étape de la retraite, mais aussi à des phases antérieures du parcours de vie. Autrement dit, si les cohortes de retraités d’aujourd’hui sont plus impliquées dans la vie sociale et politique que celles d’hier, c’est bien plus fréquemment en continuité d’une participation plus importante en amont du parcours de vie qu’en raison de la « découverte » sur le tard d’une vertu participative. Ces observations basées sur des données quantitatives sont corroborées par des travaux qualitatifs qui soulignent combien les engagements à la retraite s’inscrivent dans une forte continuité biographique (Charpentier et Quéniart, 2007).
11Ces résultats mettent en cause une interprétation qui attribue l’essentiel de la place plus grande prise par la participation sociale au sein des modes de vie des retraités aux transformations de la retraite elle-même et de ses caractéristiques. Une partie au moins de l’explication est dès lors à chercher du côté des changements intervenus en amont du parcours de vie ; on évoque alors les mutations sociales et culturelles qu’ont connues les sociétés occidentales au cours des récentes décennies et la formation de nouvelles générations socio-historiques – dans la perspective initiée par Karl Mannheim – porteuses d’identités, de manières d’être, de croire et de faire qui les différencient de leurs prédécesseurs, y compris en ce qui concerne la façon d’aborder et de vivre la retraite et de faire face à ses défis (Scherger et al., 2011).
12Par ailleurs, la forte continuité dans les trajectoires participatives corrobore ce qu’un certain nombre d’auteurs tiennent pour être un des principaux axiomes ou principes de la perspective du parcours de vie : à savoir que les circonstances de vie, les contraintes et opportunités, les options prises (ou non), les modèles de comportements adoptés dans les étapes plus ou moins précoces du parcours de vie ont des conséquences ou « effets » à (très) long terme, potentiellement très éloignés dans le temps de ce qui leur a donné naissance.
13Sans mésestimer la portée théorique et la validité largement attestée empiriquement de ce principe, on court cependant un risque à le considérer de manière isolée et pour lui-même : celui de faire porter l’essentiel du poids explicatif des comportements « actuels » (par exemple en situation de retraite) sur des facteurs liés aux personnes4 ; et de négliger du coup ce que ces comportements doivent aux facteurs structurels – configurations relationnelles, contextes organisationnels, institutionnels ou culturels – qui cadrent la situation « actuelle », les moyens d’y faire face et les recompositions adaptatives qu’elle requiert ou rend possible. Évoquons rapidement deux composantes structurelles (ou contextuelles), plus particulièrement favorables à la participation sociale des retraités.
14Tout d’abord, les changements institutionnels et culturels ont à la fois rendus possibles et incités les retraités à être et à rester actifs, à profiter des opportunités qui s’offrent à eux, à se former, à se cultiver, à voyager, à donner de leur temps pour autrui, et ont ainsi exercé un « effet de cadrage » (Déchaux, 2010) en véhiculant des ressources interprétatives sur lesquelles les retraités se sont appuyés pour développer une image positive d’eux-mêmes, de leur situation et de leur capacité, et même de leur droit à participer. Bickel (2003) par exemple, sur la base d’une comparaison à 15 ans, met en évidence que les retraités appartenant à la cohorte plus récente ont une meilleure estime de soi, ont moins fréquemment le sentiment d’être dévalorisés ou disqualifiés que ceux appartenant à la cohorte plus ancienne, et que c’est là un des facteurs qui a contribué à rendre l’engagement associatif plus présent et plus intense au sein de la « nouvelle » cohorte de retraités.
15Seconde composante structurelle, l’extension des opportunités de participation (de « l’offre »), en particulier la multiplication des organisations ouvertes aux personnes retraitées et recherchant leur engagement : comme l’écrit Lambelet (2007, p. 206) : « Sans organisation, et quelle que soit sa socialisation préexistante, un retraité ne pourra pas s’engager. » Cet essor de l’offre de participation a été lui-même engendré en partie par des facteurs institutionnels : ainsi nombre d’associations et de services communautaires, spécifiquement destinés aux retraités ou auxquels ceux-ci sont invités et encouragés à participer et visant à offrir des services de tous ordres à leurs membres ou à la collectivité plus large, s’appuient largement sur, s’ils n’ont pas été suscités par des programmes et initiatives publics ou privés (Baglioni, 2004).
16Si on met en regard ces dernières observations avec les constats faits plus haut sur le fort élément de continuité des parcours de participation, on peut en définitive conclure que ce qu’ont rendu possible les facteurs contextuels – organisationnels, institutionnels et culturels – ayant transformé la retraite est moins l’adoption à la retraite de modes de vie participatifs en rupture avec les parcours biographiques antérieurs que la plus grande continuité des trajectoires de participation, avec (c’est l’autre face de la médaille) la réduction de la part de celles et ceux pour qui la retraite implique un abandon ou une réduction de la participation sociale. C’est donc bien dans l’interaction de facteurs liés aux personnes – dont une bonne part renvoie aux parcours de vie antérieurs et à des dispositions acquises – et structurels, les uns et les autres favorables à la participation sociale des retraités, que se niche l’explication de l’impressionnant développement de celle-ci au cours des dernières décennies. Quant à savoir si cette conjonction de facteurs favorables à la participation persistera ou sera remplacée par une nouvelle configuration, et dans ce dernier cas quelles en seront les conséquences, seules de nouvelles investigations pourront y répondre.
La participation sous l’emprise du vieillissement ?
17Au-delà de la retraite et pour une période relativement longue, la continuité des pratiques prédomine largement ; les variations pour un même individu sont relativement peu marquées, d’une ampleur beaucoup plus faible que les différences existant entre les individus. Il n’en va pas de même aux âges plus avancés, où l’on assiste à des réaménagements plus ou moins profonds des pratiques, qui se traduisent sur le plan de la population dans son ensemble – c’est-à-dire au niveau agrégé – par un déclin global du répertoire d’activités, un déclin qui s’observe non seulement dans le nombre de domaines d’activité dans lesquels on est actif, mais aussi dans l’éventail des pratiques à l’intérieur des domaines auxquels on participe. Cette réduction des pratiques dans le grand âge touche particulièrement les participations socioculturelle (spectacles, voyages, etc.), associative et politique. À ce niveau global donc, il semble bien qu’hier comme aujourd’hui le « poids de l’âge » impose à un moment donné un recul de la participation sociale et un « repli » sur l’espace privé et les activités domiciliaires, ce moment intervenant « en moyenne » à un âge chronologique plus tardif de nos jours que par le passé. La fréquentation de l’office religieux échappe partiellement à ce recul généralisé et se maintient plus longtemps ; lorsque les problèmes de santé imposent son abandon, les autres formes de pratiques religieuses (prière, suivre l’office à la radio ou télévision) perdurent, voire s’intensifient5.
18Fréquemment, ce déclin global des pratiques dans le grand âge est tenu pour être la conséquence directe du vieillissement individuel, entendu comme le processus, interne à l’individu, d’altération des capacités et fonctionnements bio-psychologiques et se manifestant par différentes formes d’atteintes et déficiences sur le plan de la santé physique, psychique et/ou mentale ; un âge chronologique élevé (au-delà de 80 ou 85 ans) étant souvent traité comme un marqueur indirect de ce processus de vieillissement. Même si on reconnaît la variabilité entre individus de ses manifestations, de ses rythmes d’évolution ou intensités, des déficits de santé qui en résultent, même s’il n’implique pas – du moins pas nécessairement – une causalité mécaniste au sens où il agirait de manière directe sur les pratiques (en les rendant tout simplement impossibles ou inaccessibles), sans médiations et interventions intentionnelles des personnes elles-mêmes, le vieillissement bio-psychologique est conçu dans cette approche comme s’imposant à tous les individus et comme exigeant de leur part des réaménagements plus ou moins profonds du fait même de son action. C’est aussi dans le cadre d’une telle approche qu’ont été proposées des théories sur le « bien vieillir », visant à spécifier de quelle manière opérer ce réaménagement pour permettre d’atteindre un degré élevé, ou du moins satisfaisant, de bien-être ; la plus aboutie de ces théories étant sans doute celle dite d’« optimisation sélective avec compensation » (Baltes, 1997).
19Il ne s’agit évidemment pas de nier les contraintes et limites à la participation sociale impliquées par le processus de fragilisation et par les atteintes parfois sévères à l’état de santé qui en résultent. Lalive d’Épinay et Guilley (2006), par exemple, montrent combien le monde de la vie quotidienne – c’est-à-dire le rapport à l’espace, au temps, à autrui, au monde et à soi formant le cadre dans lequel se déploie l’existence individuelle au jour le jour – des personnes en situation d’incapacité fonctionnelle (c’est-à-dire ayant besoin de l’aide d’autrui pour accomplir un ou plusieurs des gestes de base de la vie quotidienne) se distingue fortement de celui des personnes fragilisées dans leur santé, et plus encore des personnes en bonne santé, au moins relative ; et qu’en particulier la participation aux activités sociales est substantiellement plus faible en situation de fragilité (et plus encore quand il y a incapacité fonctionnelle) qu’en situation de bonne santé (relative).
20Ceci dit, si ce résultat ou d’autres similaires délimitent bien des espaces de possibilités liés à des états ou phases spécifiques de processus bio-psychologiques, ils ne disent encore rien de la manière dont les individus négocient et agissent dans ces espaces, en fonction des ressources auxquels ils ont accès, de leurs appartenances sociales et culturelles, des supports sur lesquels ils peuvent ou non compter. De même, les théories du « vieillissement réussi » ont pour limite, à l’instar de leurs prédécesseurs comme la théorie du désengagement (ou son opposé, la théorie de l’activité) d’ériger une manière de faire en modèle de comportement indépendamment de la situation des personnes (qui peut rendre le comportement prescrit trop difficile, coûteux, hors d’atteinte, etc.) et sans tenir compte qu’il existe différentes routes pour atteindre et maintenir un sentiment de bien-être (ou une autre fin qui serait jugée digne d’être poursuivie). De plus, en se centrant sur les processus de sélection des activités opérés par les individus eux-mêmes, ces approches tendent à négliger que la sélection peut aussi être sociale (un point sur lequel on revient plus bas).
21Ces remarques invitent donc à scruter l’hétérogénéité des pratiques, les divers processus et événements à l’origine des réaménagements d’activités, les formes que prennent ces derniers et la manière dont ils évoluent, les facteurs individuels et contextuels qui permettent de les expliquer. De fait, sur la base des travaux qui se sont précisément attachés à étudier l’expérience du grand âge et la manière dont les personnes vieillissantes réaménagent leurs pratiques, on peut semble-t-il tirer trois constats majeurs.
22En premier lieu, des processus de « désengagement » (Johnson et Barer, 1992) ou de « déprise » (Clément et Mantovani, 1999 ; Caradec, 2004), caractérisés à la fois par un réaménagement des pratiques et une réduction ou un abandon des activités de participation sociale et un repli vers le « chez soi » peuvent intervenir dans le grand âge sans lien direct avec le vieillissement bio-psychologique et les déficits de santé physique, psychique ou mentale qui en résultent. Ces changements sont alors associés à des facteurs comme la lassitude, le désintérêt, la perte de motivation à l’encontre de certaines pratiques ou un besoin de détachement, de distanciation lorsqu’on atteint un stade déjà bien avancé du parcours de vie, avec la conscience d’un terme qui se rapproche. Ces observations peuvent être rapprochées de la théorie de la sélectivité socio-émotionnelle (Carstensen, 1992) selon laquelle s’opère dans le grand âge une centration de la vie relationnelle sur un nombre réduit de personnes émotionnellement proches, les liens plus distants et la socialité de convention étant abandonnés. Reste que si cette théorie permet bien de bien rendre compte du repli de nombreuses personnes vieillissantes sur un espace proche, familier et sécurisant face à un monde perçu comme devenant de plus en plus étranger, elle n’a qu’une portée partielle en ce qu’elle est insuffisamment attentive à l’hétérogénéité des pratiques et en particulier aux efforts entrepris par d’aucuns pour maintenir un lien actif et ouvert avec le monde extérieur dans le grand âge (voir à ce propos Caradec, 2007).
23En deuxième lieu, il existe une diversité des stratégies et des formes de réaménagement dans la réorganisation des pratiques. Caradec (2007), par exemple, en distingue trois grands types :
- l’adaptation, qui consiste à poursuivre une activité antérieure, mais en s’adaptant aux contraintes nouvelles (en recourant par exemple à une aide technique) ;
- l’abandon, qui peut soit impliquer un transfert vers une autre activité dans le même registre, qui en est alors le substitut (par exemple, les personnes qui ne peuvent plus se rendre à la messe regardent celle-ci à la télévision), soit être sélectif par la cessation d’une activité jugée secondaire ou par la poursuite de l’activité antérieure mais à un rythme moins soutenu ou à plus petite échelle, soit être un renoncement complet, d’autant plus difficile à vivre que l’activité est importante pour la personne ;
- le rebond, qui consiste à reprendre une pratique délaissée, investir une activité nouvelle ou augmenter son implication dans une activité déjà présente.
24Une telle variété de stratégies peut également être observée si on se concentre sur les activités de participation sociale6. Ces manières de répondre au défi du vieillissement peuvent elles-mêmes évoluer avec l’avance en âge et les réaménagements devenir plus fréquents, l’abandon sous contrainte prenant la place de l’adaptation et du rebond. Certes, l’aggravation des problèmes de santé n’est souvent pas étrangère à ces changements, mais ceux-ci peuvent aussi être la conséquence de la disparition ou transformation de ce qui, dans l’environnement de l’individu vieillissant, sert de soutien à ses pratiques : par exemple, la perte d’un compagnon d’activité, ou de son destinataire ; ou encore les interventions de proches qui, « inquiets » de la situation ou de ce qui « pourrait arriver », cherchent à modifier ou dissuader tel ou tel comportement (Clément et Mantovani, 1999 ; Caradec, 2004 ; 2007).
25Cette dernière remarque conduit à un troisième ensemble d’observations, qui en souligne et en étend la portée. Les pratiques ne sont pas seulement choisies ou sélectionnées par les individus concernés en fonction de facteurs ou d’attributs personnels : elles font aussi l’objet de processus de sélection sociale, par lesquels les individus sont différemment recrutés, acceptés, motivés, légitimés par autrui à entreprendre une activité ; ou à l’inverse sont confrontés à un refus d’accès, à un déni de leur légitimité à pratiquer, ou encore se voient décourager de s’y engager. Ainsi, la présence ou absence d’offres d’activités qui leur sont destinées ou de dispositifs techniques permettant un accès facilité favorise, respectivement défavorise la participation sociale des personnes dans le grand âge. Une illustration de ce phénomène, sur la base de données suisses, porte sur les institutions médico-sociales pour les personnes vieillissantes : alors même que de nos jours, l’entrée en institution est souvent la conséquence d’une détérioration de la santé et concerne habituellement des vieillards atteints de déficiences si lourdes qu’ils ne peuvent plus vivre sans la présence presque permanente d’autrui, la pratique d’activités sociales ne connaît guère d’affaissement suite à cette transition et tend même à s’intensifier ; l’explication en est que la plupart de ces établissements organisent systématiquement un certain nombre d’activités, la participation des pensionnaires étant de plus encouragée par le personnel (Bickel et Cavalli, 2003).
26Les représentations et discours peuvent également contribuer à catégoriser les personnes vieillissantes – ou tel ou tel sous-ensemble (les personnes ayant un problème de mémoire ou ayant une difficulté ou incapacité sensorielle, celles atteintes dans leur mobilité, ou encore celles souffrant de démence sénile, etc.) – comme étant plus ou moins susceptibles de participer à des activités collectives, plus ou moins capables de s’engager, plus ou moins légitimes à le faire. À l’opposé d’une conception inclusive de la citoyenneté, le fait même qu’elles bénéficient d’une protection et d’une prise en charge peut ainsi conduire, selon la nature du dispositif, à ce que soit négligé et même dénié aux personnes âgées leur droit de participer socialement et politiquement : c’est par exemple ce que montre Lucas (2011) dans son étude qui porte sur une comparaison de dispositifs de prises en charge des personnes atteintes de démence sénile.
27Une conséquence de ces diverses observations mérite également d’être relevée : il y a un certain degré de malléabilité dans le lien entre vieillissement et participation sociale ; et il existe donc aussi des possibilités d’interventions pour favoriser ou encourager la participation sociale des personnes vieillissantes, y compris quand celles-ci sont atteintes plus ou moins sévèrement dans leur santé (pour des exemples, voir Raymond et al., 2008).
Inégale participation ?
28La participation à la vie sociale et politique est de manière générale fortement différenciée socialement au sein de la population, à des degrés toutefois variables selon le type de pratiques considéré. En va-t-il différemment à la retraite et dans le grand âge ? Dans quelle mesure la plus grande participation à la vie sociale et politique des « nouveaux » retraités par rapport à leurs prédécesseurs s’est-elle accompagnée d’un affaiblissement (voire d’une disparition) des inégalités sociales en la matière ? Comment les inégalités sociales interagissent-elles avec le processus de vieillissement ? L’examen des réponses qui peuvent être apportées à ces questions et de ce qui reste encore largement à l’état d’interrogation se limite ici à deux des principales dimensions du système de stratification sociale, soit le genre et le statut social7, traitées successivement.
Genre
29Les écarts de pratiques entre hommes et femmes en situation de retraite varient selon le type d’activités considéré8. Il n’y en a pas ou que peu dans les loisirs de sociabilité ou pratiques culturelles. Par contre, la participation aux associations volontaires et l’engagement bénévole sont dans l’ensemble plus fortement présents chez les hommes, l’écart étant plus faible quand l’activité s’effectue dans l’environnement proche (association de quartiers par exemple), plus fort lorsqu’on considère l’exercice de responsabilité associative, et particulièrement accusé en matière d’engagements politiques et syndicaux. Les pratiques religieuses sont au contraire à dominante féminine, un phénomène qui semble prédominer surtout en milieu urbain, davantage sécularisé. Cette situation ne change globalement pas jusque dans le grand âge, l’effet du vieillissement sur les pratiques n’étant pas sensiblement différent selon que l’on soit homme ou femme, ce qui a pour résultat de maintenir les écarts (quand ils existent) entre les deux genres9.
30Les travaux scrutant les évolutions intervenues au cours des dernières décennies en comparant différentes cohortes de retraités montrent d’une part que les hommes et femmes ont rapproché leur niveau de pratique dans certains cas – comme dans l’accès aux lieux publics (restaurants, bars…) – ; d’autre part que la prédominance masculine dans l’associationnisme et l’engagement bénévole s’est certes affaiblie mais reste substantielle ; enfin, que l’écart s’est au contraire creusé en faveur des femmes en matière de pratiques religieuses.
31Dans une autre perspective, on vise à déterminer si les inégalités de participation entre hommes et femmes sont plus fortes, semblables ou plus faibles à la retraite qu’en amont du parcours de vie. Les quelques études qui traitent de cette question n’observent pas de différences associées au genre dans le fait d’interrompre ou non la participation au moment de la retraite et concluent soit à un maintien longitudinal des écarts entre hommes et femmes, soit à leur relatif affaiblissement tout en restant à un niveau substantiel. En lien avec ce dernier cas de figure et sur la base d’une analyse désagrégées des différentes trajectoires de participation associative, Bickel (2003) met en évidence que la plus faible ampleur de l’inégalité de participation à la retraite est liée au fait que les femmes sont davantage présentes dans un type de trajectoires caractérisé par un engagement débuté sur le tard, des phénomènes de « rattrapage » partiel compensant ainsi en partie des inégalités plus précoces.
32Pour aller plus loin dans la compréhension des processus en jeu, il convient cependant de ne pas considérer seulement les trajectoires de participation sociale et d’élargir le regard aux autres composantes du parcours de vie, et en particulier de scruter les liens qui existent entre engagements sociaux ou bénévoles et engagements « privés » (Pennec, 2004) ou « familiaux » (Petit, 2010). Ces auteurs mettent ainsi en évidence les tensions entre ces deux formes d’engagements et aussi l’asymétrie entre hommes et femmes sur ce plan, ces dernières étant beaucoup plus fréquemment conduites à prioriser les engagements et responsabilités « privés » et « familiaux ». Ces résultats ou d’autres similaires peuvent par exemple être rapprochés et interprétés dans les termes de la théorisation plus générale que proposent Krüger et Levy (2001), qui reprennent le concept classique de statut maître et l’appliquent à la question du genre. La problématique peut aussi s’enrichir par la prise en compte de la configuration relationnelle, en particulier familiale, dans laquelle s’inscrivent et prennent sens engagements et responsabilités privés (voir par exemple Déchaux, 2009). En tout état de cause, c’est là assurément une ligne d’investigation très prometteuse ; il serait par exemple intéressant de connaître dans quelle mesure on assiste(ra) à un changement des modes d’articulations entre engagements privés et engagements publics au sein des nouvelles cohortes de retraités et d’en étudier la portée du point de vue des rapports entre genres, tant sur le plan des relations personnelles (entre conjoints, au sein du réseau de parenté, etc.) que collectif (ou « sociétal »). Bien entendu, cette perspective de travail, ici envisagée sous l’angle exclusif du genre pour des raisons d’exposé, doit être articulée dans le concret des recherches à celle des inégalités de statut ; on sait en effet combien les manières de faire face et de « répondre » aux contraintes et « responsabilités » familiales se différencient également en fonction du milieu social (voir par exemple Kaufmann, 1996 ; Pennec, 2004).
Statut social
33Sans surprise tant cette relation a été attestée dans la littérature, la participation sociale des retraités s’élève avec le statut social, que l’on considère les pratiques culturelles, l’engagement bénévole, l’affiliation et plus encore la responsabilité associative ou l’engagement politique10. La comparaison entre cohortes ne fait pas apparaître de réduction significative de ces écarts, permettant de conclure sur ce plan à une démocratisation au mieux modeste.
34Par ailleurs, les quelques études scrutant l’articulation entre trajectoires de participation et inégalités sociales montrent qu’un statut social plus élevé favorise la continuité de la participation sociale par rapport à son arrêt avec le passage à la retraite. Ceci contribue selon certains auteurs (Scherger et al., 2011) à ce que les inégalités associées au statut social sont plus fortes en situation de retraite que précédemment dans le parcours de vie. Sur la base d’une analyse focalisant la participation aux associations volontaires, Bickel (2003) pour sa part met en évidence un mécanisme inverse qui voit les personnes de statut social inférieur être proportionnellement plus nombreuses à avoir une trajectoire de participation sociale débutée (ou relancée) sur le tard, ce qui au final conduit à un relatif affaiblissement des inégalités de participation entre la mi-temps de la vie et la retraite. Il est possible que ces constats divergents quant à l’évolution longitudinale des inégalités sociales de participation soient dus aux différences dans les activités focalisées et indicateurs utilisés par les différentes études. D’autres travaux seront nécessaires pour éclairer ces incertitudes et élargir la compréhension des processus en présence.
35Dans ce but, il faut observer que jusqu’à présent la très grande majorité des travaux qui se sont intéressés aux inégalités sociales dans les pratiques de participation se sont centrés sur les individus (leurs ressources, parcours, expériences, etc.). Ce n’est bien sûr pas un défaut en soi, mais il conviendrait que davantage d’études prennent pour objet les processus plus structurels (ou contextuels) générateurs d’inégalités de participation. Les organisations associatives, par exemple, développent tout un ensemble d’activités pour attirer de nouveaux membres ou retenir ceux qui le sont déjà ; à l’inverse, elles peuvent décourager ou se désintéresser de certains publics « potentiels ». Une ligne de recherche encore peu explorée consiste alors à scruter ce en quoi et comment les organisations associatives (mais pas seulement elles, d’ailleurs) développent leurs activités en s’appuyant sur des représentations ou cadres d’interprétation qui privilégient certains profils sociaux et se distancient d’autres (Lambelet, 2007).
36Qu’en est-il des inégalités de participation en fonction du statut social dans le grand âge et comment évoluent-elles avec la fragilisation ? Les travaux qui se sont intéressés à cette question concluent au maintien des inégalités, voire pour quelques études à leur amplification11. On est donc loin d’un processus de vieillissement bio-psychologique qui, parce qu’il imposerait à tous sa prégnance, conduirait à une homogénéisation des conditions et à un nivellement des écarts sociaux de pratiques, faisant en quelque sorte triompher la nature sur la culture. Les données empiriques récentes soutiennent au contraire le constat déjà ancien que Maddox (1987) posait sur la base de quelques premières grandes recherches : le vieillissement a beau renvoyer à des processus propres à la nature humaine, l’épreuve qu’il constitue n’en est pas moins profondément socialisée et différenciée. D’une part, les inégalités sociales en matière de santé persistent dans le grand âge et de nombreux troubles et « problèmes » associés au vieillissement sont plus fortement présents au bas qu’au haut de l’échelle sociale (Lavoie et Guay, 2010 ; Spini et al., 2008). D’autre part, en se limitant aux seules personnes en situation de fragilité ou d’incapacité fonctionnelles, l’analyse montre l’existence de configurations d’activités très différentes selon le statut social, les personnes ayant un statut moyen ou supérieur, grâce à leurs ressources spécifiques et à aux opportunités qui s’offrent à eux, étant mieux à même de faire face aux atteintes de santé et de préserver un style de vie plus actif et ouvert vers le monde (Lalive d’Épinay et al., 2000, p. 284-290 ; voir aussi Caradec, 2007).
37De tels travaux restent malheureusement trop rares et beaucoup reste à faire pour analyser les inégalités sociales en matière de participation sociale dans le grand âge et les processus qui les génèrent. On peut à ce titre suggérer l’intérêt qu’il y aurait de moins faire porter l’effort d’investigation sur tel ou tel type de pratiques spécifiques que sur l’ensemble de leur éventail et de s’attacher à repérer les différentes configurations en présence, leurs profils d’évolution et, sur cette base, d’examiner dans quelle mesure configurations et profils forment des modes ou styles de vie – et de vieillir – spécifiques à certaines catégories sociales ou types de trajectoires de vie. Ce dernier point mérite d’être souligné car, contrairement à ce que pourrait faire accroire la lecture de certains travaux, les personnes dans le grand âge ne font pas l’impasse sur leur passé – les expériences qui ont été les leurs, les contextes de socialisation dans lesquels elles ont vécu ou auxquels elles ont été confrontées, les ressources interprétatives qu’elles ont faites leurs – et s’appuient sur lui pour donner un sens à l’expérience du grand âge et du vieillir et pour orienter leur action (Clément et Montovani, 1999 ; Caradec, 2004). Une autre piste de recherche devrait également susciter davantage de travaux. Elle consiste à investiguer les phénomènes de sélection sociale présents dans les organisations et leurs effets différentiateurs en matière de participation sociale ; on pense ici, par exemple, aux politiques des institutions, plus ou moins favorables à la participation sociale de leurs résidents et qui peuvent être porteuses d’effets différenciateurs quand des processus de catégorisation des résidents impliquent que certains d’entre eux sont incités à participer, d’autres pas ou beaucoup moins, ces catégories épousant, sans forcément le chercher, des hiérarchies sociales (Raymond et al., 2008).
La prochaine étape : quelques propositions théoriques et méthodologiques
38Ce chapitre s’est attaché à établir où nous en sommes dans l’effort de décrire et d’expliquer la participation sociale à la retraite et dans le grand âge, ou du moins d’un certain nombre de ses traits essentiels : ont ainsi été signalés les acquis, mais aussi spécifiées des questions restant pour l’heure sans réponse ou insuffisamment documentées, et ont été suggérées sur cette base des pistes de recherche prometteuses. Arrivé au terme de l’exercice, on voudrait proposer de manière plus large quatre perspectives ou axes théoriques et méthodologiques pouvant apporter une contribution significative et faire de la prochaine étape une réelle avancée à la fois dans la connaissance du phénomène et la mise en place d’interventions promouvant la participation sociale, c’est-à-dire in fine l’intégration et la citoyenneté des personnes (très) âgées.
39Ce chapitre est traversé, sans doute l’aura-t-on observé, par une posture théorique qui doit, à mes yeux, guider l’analyse sociologique de la participation sociale. Elle conçoit celle-ci dans le cadre d’une sociologie de l’action, mais une action située, et ce à cinq niveaux, le sociologue s’intéressant surtout aux trois derniers :
- par rapport à des capacités et fonctionnements internes aux individus (capacités physiques ou mnésiques, troubles somatiques, etc.) qui circonscrivent, à un moment donné, un « espace » (au sens métaphorique) plus ou moins étendu de possibilités ;
- par rapport aux ressources (par exemple financières) dont les individus disposent et dont ils peuvent faire usage pour entreprendre telle ou telle action ;
- dans des parcours de vie spécifiques où « l’actuel » prend appui sur le « passé », où les compétences cognitives et émotionnelles acquises au long des expériences socialisatrices (potentiellement multiples et différenciées) servent de ressources aux individus pour interpréter leur situation et leur biographie, et pour orienter leurs actions ;
- dans des structures d’interaction (micro), organisationnelles (meso), institutionnelles et culturelles (macro), qui « cadrent » l’expérience, son interprétation, et le champ d’action possible ;
- dans l’histoire, celle des structures générées et transformées par l’agir humain (sous la forme d’actions collectives ou par effet d’agrégation), celle des événements et ruptures (crises, guerres, etc.) qui bouleversent les existences et leur font prendre un cours nouveau et inattendu12.
40De cette posture découle un refus des visions homogénéisantes des « retraités », du « grand âge » ou du « vieillissement » et le souci de saisir l’hétérogénéité des trajectoires, expériences et pratiques, y compris quand elles sont minoritaires, et d’en comprendre les ressorts et les conséquences ; une forme particulièrement cruciale d’hétérogénéité étant bien sûr celle qui repose sur une hiérarchie institutionnalisée, c’est-à-dire une inégalité sociale.
41En deuxième lieu, sont à développer des travaux sociologiques qui s’ouvrent aux, et s’appuient sur les apports de connaissances de champs disciplinaires voisins. Ainsi, l’analyse des territoires de la participation – une problématique encore relativement peu présente – ne peut que tirer profit de la collaboration avec les géographes et autres urbanistes, de leurs savoirs théoriques et outils méthodologiques (voir par exemple Lord, 2012, et dans une optique davantage d’intervention (Garon et al., 2012). L’établissement de ponts avec la psychologie, en particulier la psychologie du lifespan13, apparaît également comme crucial afin d’ouvrir la « boîte noire de l’acteur » et d’élargir la compréhension de l’engagement social et politique et de ses dynamiques. On pense ici en particulier à deux lignes de travaux. La première porte sur les processus de régulation psychologique que les individus mettent en œuvre pour faire face et s’adapter aux évolutions bio-psychologiques, aux circonstances et contraintes qui structurent les situations de vie ainsi qu’aux événements critiques, en vue de développer ou de maintenir un contrôle, une prise sur leur monde vécu et/ou sur les facteurs pesant sur eux14. La seconde s’intéresse aux ressources et mécanismes sociocognitifs sur lesquels les individus s’appuient pour se définir, définir la situation et conduire leur action (Bandura, 2001) : par exemple, les croyances que les individus ont vis-à-vis de l’effectivité des actions qu’ils entreprennent peuvent influer la manière de « répondre » à une situation défavorable ou indésirable en les incitant soit à agir pour changer la situation (par exemple en s’impliquant dans un mouvement de protestation), soit à s’en accommoder plus ou moins15.
42Une autre importante piste de travail pour l’avenir réside dans une plus grande intégration des méthodologies quantitative et qualitative. Le présent chapitre lui-même, qui mobilise très majoritairement des travaux de nature quantitative, témoigne, outre des limites de son auteur, du peu d’effort systématique pour non pas seulement juxtaposer les deux approches et leurs apports respectifs, ou illustrer les résultats de l’une par ceux de l’autre, mais parvenir à une réelle synergie entre elles. L’élaboration et réalisation de recherches axées sur leur combinaison et mise en œuvre commune a de riches potentialités (l’article déjà cité de Lalive d’Épinay et Guilley [2006] en offre une illustration), mais il faut convenir qu’elles sont encore rares. Sur le pôle quantitatif, cette plus grande intégration implique cependant une rupture avec une perspective, encore largement dominante, qui se concentre de manière quasi exclusive sur ce qui constitue les caractéristiques, tendances ou évolutions majoritaires ou « centrales » (cas typique : la moyenne) et qu’une plus grande attention soit portée sur les variations, l’hétérogénéité ou les caractéristiques minoritaires (un point déjà évoqué et également repris ci-dessous). De ce point de vue, les travaux de nature qualitative ont plus fréquemment et mieux su mettre en évidence la diversité des expériences et des trajectoires. Sans aucune prétention de parvenir à la finesse de description et compréhension dans l’analyse, jusque dans les plis les plus singuliers des expériences, que permettent les études de nature plus qualitative (la statistique et les instruments de mesure ont leurs limites), du moins les travaux sociologiques de nature quantitative peuvent-ils davantage s’attacher à établir, caractériser et rendre compte de l’hétérogénéité dont est tissé le social. Gageons que cela facilitera et enrichira le dialogue entre les contributions et apports des deux méthodologies.
43Toujours dans le cadre de la méthodologie quantitative, un développement prometteur réside dans l’adoption d’une vision longue du parcours de vie en s’appuyant sur des données longitudinales (rétrospectives ou prospectives) permettant de saisir les trajectoires biographiques dans la durée et d’aller au-delà des instantanés transversaux ou limités aux évolutions sur le court-terme (entre l’avant et l’après d’une transition par exemple). Mais pour tirer pleinement profit du recours à des données longitudinales, il convient de ne pas en rester à des approches centrées sur les variables – dans ces dernières, l’analyse porte sur les différences ou similitudes entre individus du point de vue d’un certain nombre de caractéristiques ou attributs de ceux-ci (les variables précisément), par exemple leur âge – et de privilégier des approches centrées sur les personnes. Ces dernières se focalisent sur les continuités et changements au plan individuel, par exemple en matière de participation sociale ; une ou des trajectoires de participation sont ainsi identifiées et caractérisées puis, dans un second temps, sont analysées selon d’autres caractéristiques personnelles ou contextuelles, certaines susceptibles de varier dans le temps (exemple : l’état de santé), d’autres non (exemple : le genre). Parmi les travaux adoptant une approche centrée sur les personnes, une large majorité analyse les parcours d’engagement social et politique sur un mode agrégé : la procédure vise dans ce cas à identifier et caractériser un profil global d’évolution – par exemple en termes de stabilité, progression ou déclin de la participation – pour l’ensemble des individus (groupes, cohortes) considérés, puis à examiner ce profil global du point de vue de certains autres attributs de ces mêmes individus (groupes, cohortes) et, selon les cas, contextuels. Cette manière de faire permet ainsi de déterminer, par exemple, si le déclin de l’engagement civique dans le grand âge – comme profil d’évolution global ou « moyen » – est plus rapide ou non parmi les personnes ayant un statut social inférieur. Si ce mode agrégé d’analyse a une indéniable vertu heuristique, il n’est cependant pas sans limite. De bonnes raisons plaident pour aller un pas plus loin dans l’utilisation des données longitudinales et de recourir plus fréquemment à des analyses désagrégées des parcours de participation sociale. Dans un tel cas de figure, on s’attache à identifier et caractériser non un profil d’évolution global (comme dans le mode agrégé) mais les différentes trajectoires existantes au sein de la population étudiée : cette façon de faire rend mieux compte de l’hétérogénéité des parcours et elle est aussi la seule qui permette la mise en évidence des parcours minoritaires ou à contre-courant de la tendance dominante qui souvent disparaissent de l’horizon lorsqu’on en reste à des analyses agrégées.
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Notes de bas de page
1 Au fil de ses versions, ce chapitre a bénéficié de la lecture attentive, des critiques et des suggestions de l’équipe éditoriale : qu’elle en soit vivement remerciée. Il a été élaboré dans le cadre du projet de recherche « Old Age Democratization ? Progresses and Inequalities in Switzerland » (FNS sinergia CRSIII1_129922/1) ainsi que dans celui du Projet individuel 13 du Pôle de recherche national LIVES également financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique ; merci à ce dernier de son soutien.
2 Dès les années 1960, cette théorie a été abondamment critiquée. Pour des synthèses, voir Caradec (2008), Lalive d’Épinay et Bickel (1996).
3 Ces différents constats sont étayés par un grand nombre de travaux ; on peut se référer notamment à Bickel et Lalive d’Épinay (2001) et Bickel et al. (2005) et aux bilans de la littérature qu’ils établissent ; parmi les travaux plus récents, citons par exemple Broese van Groenou et Deeg (2010) ; Prouteau et Wolff (2007) ; Scherger et al. (2011).
4 L’expression de facteurs liés aux personnes est empruntée à Dannefer et Uhlenberg (1999) et traduit ce qu’ils nomment « personological factors ». Cela englobe à la fois les traits ou attributs internes aux personnes (leurs capacités cognitives ou leur état de santé par exemple), les ressources (au sens large) dont elles disposent ou auxquelles qu’elles ont accès, et les manières de penser et d’agir acquises au travers des cadres ou contextes de socialisation auxquels les personnes ont été confrontées dans leur parcours de vie antérieur et sur lesquels elles s’appuient pour définir, évaluer et agir dans les situations qui sont les leurs et faire face aux circonstances et événements qui jalonnent leurs parcours de vie ultérieurs. Si l’argument général du paragraphe reprend, assez librement, la thèse de Dannefer et Uhlenberg, il fait aussi écho à des vues fort classiques en sociologie, par exemple chez Mead, Goffman ou la tradition phénoménologique pour ne citer que ceux-ci. Un article récent de Déchaux (2010) constitue une excellente mise au point sur plusieurs des éléments qui sous-tendent la perspective défendue ici.
5 Sur ces différents points, voir Bickel et Cavalli, 2008, qui outre leurs propres analyses présentent un bilan des travaux existants.
6 Cf. Bickel et Cavalli (2008) et le bilan de la littérature qu’ils proposent.
7 Ce dernier est appréhendé de manière différente selon les études : revenu ; catégories socioprofessionnelles ou classes économiques (au sens weberien, c’est-à-dire définies selon la position d’autorité dans l’organisation productive et la nature de l’activité accomplie) ; prestige ; niveau d’éducation. Le terme de statut social est utilisé ici comme un raccourci, suffisant pour le propos.
8 Ce paragraphe et les deux suivants synthétisent les résultats d’un vaste ensemble de travaux ; parmi eux, mentionnons Bickel et Lalive d’Épinay (2001) ; Bickel et al. (2005) ; Broese van Groenou et Deeg (2010) ; Scherger et al. (2011) ; Viriot-Durandal et Reguer (2011).
9 Sur ce dernier point, voir Bickel et Cavalli (2008) qui, outre leurs propres analyses, proposent un bilan de la littérature.
10 Voir par exemple Bickel et Lalive d’Épinay (2001) ; Bickel et al. (2005) ; Raymond et al. (2008) ; Viriot-Durandal et Reguer (2011).
11 Voir Bickel et Cavalli (2008) et le bilan qu’ils proposent sur ce point.
12 Pour éviter tout malentendu : ceci n’implique aucun déterminisme des structures, ou du passé de l’acteur sur son présent, mais bien qu’acteurs et actions sont toujours en situation, et que prendre en compte les composantes des situations est ce qui permet de comprendre sociologiquement les raisons de l’(in)action. On pourrait qualifier cette posture théorique, à l’instar d’autres auteurs, « d’individualisme structural » ou, comme le font un certain nombre de sociologues anglo-saxons s’inscrivant dans la perspective du parcours de vie « d’agency within structure » ; étant entendu que « les individus » ou « l’agency » dont il est question s’inscrivent dans des biographies. À l’inverse, le cadre théorique proposé ici, s’il ne fait pas l’impasse sur les phénomènes biologiques et psychologiques et leurs « effets » pour l’(in)action, ne réduit pas cette dernière à être une conséquence directe de ces mêmes phénomènes et « effets » ; c’est bien plutôt leurs interactions avec les autres niveaux mentionnés qui est déterminant. D’où, dans la même ligne, la précision « à un moment donné » pour souligner le caractère évolutif et au moins à un certain degré malléable du « donné » biologique et psychologique.
13 La psychologie du lifespan peut être définie comme : « L’étude du développement individuel (ontogenèse) […] conçus comme les processus adaptifs, présents tout au long de l’existence d’acquisition, de maintien, de transformation et de déclin des structures et fonctions psychologiques. » (Baltes et al., 1998, p. 472 ; ma traduction.)
14 Ces processus psychologiques de régulation sont conceptualisés par exemple comme opposant des stratégies « d’assimilation » à des stratégies « d’accommodation » (Brandtstädter et Rothermund, 2002), ou encore en distinguant des procédures de « contrôle primaire », respectivement de « contrôle secondaire » (Heckhausen et Schulz, 1995).
15 Ces processus psychologiques ne sont pas des caractéristiques personnelles intangibles, mais sont dotés d’une relative plasticité ; elles peuvent ainsi varier du point de vue développemental, mais aussi sous l’effet des contextes de socialisation et des conditions socio-historiques, et sont ouvertes à l’influence d’interventions socio-politiques.
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