Éclairage. Les politiques publiques canadiennes relatives à la vieillesse : un prototype du régime libéral ?
Jean-Pierre Lavoie et Patrik Marier
p. 45-47
Texte intégral
1Les politiques de retraite et de soins de longue durée destinés aux personnes ayant des incapacités constituent les pierres d’assise des politiques vieillesses au Canada. Dans sa typologie des États-providence, Esping-Andersen (1999) situe le Canada dans le régime libéral, ce qui implique que l’individu est le premier responsable face au risque de dépendance – économique ou fonctionnelle – alors que la famille intervient en second lieu. Les deux doivent compter largement sur le marché pour les services et les soins requis. La responsabilité publique n’intervient qu’en dernier recours avec des protections modestes, accordées sous condition de ressources et qui s’accompagnent d’une stigmatisation sociale. Les protections accordées aux aînés par les gouvernements canadiens et québécois – la nature fédérale du Canada faisant en sorte que les deux ordres de gouvernement interviennent – s’inscrivent-elles dans ce régime libéral ?
2Le système de retraite canadien se compose de la pension de la sécurité de la vieillesse (SV), qui est versée à tous les résidents, et du supplément de revenu garanti (SRG) pour les retraités à faibles revenus. À compter de 2023, l’âge d’admissibilité sera graduellement porté de 65 à 67 ans. Le système de retraite comporte aussi deux régimes contributifs obligatoires, le régime des rentes du Québec (RRQ), pour le Québec, et le régime de pensions du Canada (RPC), pour les autres provinces canadiennes. Ces deux régimes partiellement capitalisés, fort similaires, sont financés par cotisations (9,95 % au fédéral et 10,05 % au Québec) et offrent un taux de remplacement de 25 % du salaire moyen avec une période de cotisation de 40 ans. La présence d’un plafond de cotisation ($ CA 50 100 en 2012) fait en sorte que le taux de remplacement diminue rapidement pour les hauts salariés.
3Le privé joue un rôle primordial pour procurer un haut taux de remplacement du revenu à la retraite. Des incitatifs fiscaux importants encouragent la mise en œuvre de régimes complémentaires facultatifs et l’épargne privée via le régime enregistré d’épargne-retraite (REER). En ce qui concerne les régimes complémentaires, la couverture pour les salariés du secteur public est quasi universelle tandis que seulement un travailleur sur quatre dans le secteur privé en bénéficie. Le REER ne réussit pas bien à combler ce vide car on compte présentement 25 % de travailleurs sans régime complémentaire ou REER.
4La place centrale du secteur privé dans l’obtention d’une rente offrant un haut taux de remplacement semble indiquer que le Canada est solidement libéral dans son approche. L’appartenance du Canada à ce régime demeure néanmoins controversée car, en raison de l’importance de la SV et du SRG, le Canada (et le Québec) présente chez les retraités un taux de pauvreté de 5 %, ce qui est très similaire à celui des pays scandinaves (RRQ, 2012). Scruggs et Allen (2006) démontrent aussi que le Canada a un système plus généreux que ce qui a été décrit par Esping-Andersen.
5En matière de compensation des dépendances fonctionnelles, une responsabilité provinciale au Canada, les États ont à leur disposition trois types de mesure (Barusch, 1995) : les lois qui définissent les obligations des différents acteurs, la mise en place de dispositifs fiscaux et financiers et, enfin, l’offre de services ou d’allocations monétaires pour les acheter.
6En matière légale, le Québec se distingue par un faible encadrement : l’obligation alimentaire du code civil est fort limitée et pratiquement inopérante, de même la loi sur les services sociaux et de santé est peu contraignante car fortement balisée par la capacité financière de l’État. Au plan des dispositifs fiscaux, les deux ordres de gouvernement ont instauré depuis les années 1990 un ensemble de crédits pour encourager les familles à s’engager dans les soins à leurs parents âgés. Ces crédits sont peu généreux et sont soumis à des critères d’éligibilité restrictifs telle la cohabitation entre un parent âgé et son enfant. Les seuls crédits significatifs sont offerts à l’achat de services de soutien à domicile. Ces politiques fiscales constitueraient une stratégie de marchandisation des services à domicile selon Keefe et Fancey (1998).
7La principale voie d’action de l’État québécois passe donc par son offre de services de longue durée. Après avoir poursuivi une politique implicite d’institutionnalisation de la vieillesse par l’aménagement de près de 60 000 places en hébergement, le gouvernement change de politique en 1979 et accorde la priorité aux services à domicile. Les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), dont le nombre de place diminue à moins de 40 000 places en 2011, se voient réservés à des clientèles de plus en plus handicapées. Si le financement des services publics à domicile et des organismes communautaires s’accroît régulièrement depuis 1980, ce financement et l’offre de services demeurent modestes (Lavoie, 2012). Entre des CHSLD difficilement accessibles et des services à domicile exsangues, le marché multiplie son offre de ressources résidentielles et de services à domicile. Le gouvernement fait d’ailleurs de plus en plus appel à lui pour développer de nouvelles ressources dites intermédiaires.
8Les politiques canadiennes, par l’importance du marché dans la protection sociale de la vieillesse, semblent s’inscrire dans un régime libéral, notamment pour ce qui est des services de longue durée. Toutefois, les prestations publiques de retraite plutôt généreuses font qu’il s’éloigne quelque peu de ce régime d’État-providence. Jenson et Saint-Martin (2003) avancent que nous assistons à l’émergence d’un nouvel État-providence, soit l’État d’investissement social qui, dans un contexte de mondialisation et de compétitivité entre États, donne priorité au développement des jeunes et au maintien en emploi des travailleurs vieillissants, négligeant les plus vieux en situation de dépendance fonctionnelle. Le récent relèvement de l’âge de la retraite et le faible investissement dans les services de longue durée pourraient confirmer l’émergence d’un tel État. Cette seule mesure timide est-elle suffisante pour confirmer cette tendance ? Par ailleurs, l’écart actuel entre les politiques de retraite et de soins de longue durée tend à indiquer que les politiques publiques n’ont pas toujours la cohérence que les différents modèles ou typologies veulent bien leur prêter.
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Références
Barusch A. S., « Programming for family care of elderly dependents: Mandates, incentives, and service rationing », Social Work, vol. 40, no 3, 1995, p. 315-322.
Esping-andersen G., Les trois mondes de l’État-providence. Essai sur le capitalisme moderne, Paris, PUF, 1999.
10.2307/3341876 :Jenson J. et Saint-Martin D., « New Routes to Social Cohesion? Citizenship and the Social Investment State », Canadian Journal of Sociology/Cahiers canadiens de sociologie, vol. 28, no 1, 2003, p. 77-99.
Keefe J. et Fancey P., Financial compensation versus community supports: An analysis of the effects on caregivers and care receivers, Halifax, Report submitted to Health Canada, 1998.
Lavoie J.-P., « Entre État, famille, tiers secteur et marché. Les politiques québécoises à l’égard des personnes âgées avec des incapacités », in Marier P. (dir.), Le vieillissement de la population et les politiques publiques : enjeux d’ici et d’ailleurs, Québec, Presses de l’université Laval, 2012, p. 129-151.
Régie des rentes du Québec, Évaluation du système québécois de sécurité financière à la retraite par rapport à celui d’autres pays industrialisés, Québec, RRQ, 2012.
10.1177/0958928706059833 :Scruggs L. et Allen J., « Welfare-state decommodification in 18 OECD countries: a replication and revision », Journal of European Social Policy, vol. 16, no 1, 2006, p. 55-72.
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Vieillesses et vieillissements
Ce livre est cité par
- Anchisi, Annick. Palazzo-Crettol, Clothilde. Dallera, Corinne. (2014) Vieillir ensemble en maison de retraite : quand le couple réenchante l'institution. Pensée plurielle, n° 35. DOI: 10.3917/pp.035.0125
- Oris, Michel. Dubert, Isidro. Viret, Jérôme-Luther. (2016) Vieillir : Les apports de la démographie historique et de l’histoire de la famille. Annales de démographie historique, n° 129. DOI: 10.3917/adh.129.0201
- Riom, Loïc. Hummel, Cornelia. Burton-Jeangros, Claudine. (2018) « Mon quartier a changé un peu, mais c’est moi qui ai aussi beaucoup changé ». Habiter la ville et y vieillir. Métropoles. DOI: 10.4000/metropoles.6449
- Dion, Charlotte E.. Gojard, Séverine. Plessz, Marie. Zins, Marie. (2020) Bien vieillir, bien manger ?. Gérontologie et société, vol. 42 / n° 162. DOI: 10.3917/gs1.162.0099
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