Conclusion
p. 143-146
Texte intégral
1Différentes socialisations sont à l’œuvre et se combinent entre elles pour construire les parcours d’insertion professionnelle des enseignants débutants du secondaire. Les analyses présentées, basées sur des observations nationales et des comparaisons internationales, montrent qu’il existe des spécificités mais aussi des récurrences tant dans les parcours d’accès et d’insertion professionnelle que dans les expériences et épreuves qui leur sont associées.
Parcours de socialisation professionnelle
2La perception des épreuves de début de carrière se construit bien en amont de l’entrée dans le métier. Elle est le produit d’un processus de socialisations multiples commencé parfois de manière précoce : socialisation anticipatrice produite par le milieu social d’origine, par le statut et la qualité d’élève, ou par une expérience professionnelle antérieure. Socialisation professionnalisante fortement encadrée lors de la période de formation, plus théorique et visant souvent à développer une réflexion sur des pratiques professionnelles en cours d’acquisition. Une socialisation plus informelle, issue du groupe des pairs, est aussi à l’œuvre dès la période de formation initiale. Par la suite, en début de carrière, qu’elle soit encadrée ou non par des dispositifs d’accompagnement et d’aide à l’insertion, la socialisation est plus pragmatique.
3Ainsi, la socialisation professionnelle est un processus multifactoriel, continu et souvent de plus en plus difficile pour les jeunes enseignants dans un contexte de modification de la formation et de complexification du métier (Maroy, 2006).
4En France, comme dans la majorité des pays européens, les transformations récentes des politiques de formation, et tout particulièrement celles concernant la mastérisation de la formation aux métiers de l’enseignement, ont sensiblement affecté les conditions de préparation et d’accès au métier. Elles accordent, notamment dans le secondaire, plus de place aux savoirs théoriques disciplinaires et universitaires et minimisent les savoirs issus de l’expérience. Dès lors, comme le montrent les récentes enquêtes et rapports sur la mastérisation, les conditions de formation, malgré les bonnes volontés affichées, débouchent sur une préparation souvent jugée insuffisante pour affronter les épreuves que ne manquent pas de rencontrer en début de carrière, les enseignants débutants.
5Par la suite, lors des toutes premières années d’exercice, le processus de construction professionnelle est d’autant plus complexe qu’il concerne des individus singuliers confrontés à des situations d’enseignement très inégales. Les affectations produisent souvent des tensions et décalages entre ce que les novices sont (socialement et statutairement) et ce qu’on leur demande d’être et de faire. Le parcours des enseignants se construit en définitive sur l’ajustement (ou le non-ajustement) entre un processus de socialisation institutionnelle et l’exercice individuel de l’enseignement tel qu’il se présente dans les établissements d’affectation (Guibert, Lazuech et Rimbert, 2008 ; 2010). Dans ce contexte, la négociation des situations d’enseignement sollicite davantage les individus, qui sont plus fortement impliqués et exposés (Périer, 2010) car il leur faut mobiliser et maîtriser, outre les savoirs académiques, des connaissances, savoir-faire ou savoir-être (notamment émotionnels) pour assurer des interactions qui rendent possible l’apprentissage (Rayou et van Zanten, 2004).
Quelle gestion collective des débuts de carrière ?
6La socialisation professionnelle, même si elle comporte, comme dans toute profession, un travail sur soi, s’inscrit aussi dans un processus collectif d’accompagnement des débutants. En début de carrière, l’enjeu de l’analyse des relations entre socialisation, expériences et épreuves est aussi celui du passage de témoin d’une génération à l’autre. Dans un contexte en transformation, tant au niveau des politiques nationales et supranationales qu’à celui des conditions locales d’enseignement, la transmission de cultures professionnelles est tout à la fois indispensable et insuffisante. Indispensable car elle enracine l’individu dans un collectif : une équipe pédagogique, une communauté de pratiques, un groupe professionnel, insuffisante car la reproduction d’anciennes façons de faire, même si elles ont pu faire la preuve de leur efficacité, n’est plus envisageable pour enseigner, tant l’exercice est aujourd’hui médié par un rapport singulier que l’individu entretient avec son métier. Dès lors, la justification des choix pédagogiques est autant issue de l’histoire personnelle et scolaire des débutants, de leurs parcours professionnels que des cultures de métier ou des résultats de la recherche.
7Pour que les épreuves et la socialisation en formation lors de la phase d’insertion deviennent formatrices, un accompagnement à la fois singulier et contextualisé semble nécessaire. Par conséquent, il convient de s’interroger sur la façon dont les jeunes enseignants sont conseillés et intégrés dans les établissements chargés de les accueillir. En effet, ceux qui déclarent avoir bien vécu les premières années d’enseignement, indiquent aussi avoir établi des relations professionnelles satisfaisantes avec leurs collègues ou bénéficié d’un soutien, alors que ceux exprimant un sentiment inverse ont été dans l’incapacité ou l’impossibilité de constituer de tels échanges. Les professeurs qui ont le sentiment de n’avoir pas ou peu progressé ne sont pas conduits à porter ce jugement sur eux-mêmes, non pas seulement pour avoir reçu une formation qu’ils jugent déficiente, ou parce qu’ils enseignent dans des classes et des établissements « difficiles », mais plus souvent parce qu’ils se sont retrouvés isolés en début de carrière. Or, si cet accompagnement par les collègues de l’établissement est fondamental, il n’est pas pour autant suffisant car il ne permet pas réellement de formaliser les apprentissages. De ce point de vue, l’étude des conditions d’insertion, des stratégies et ajustements de début de carrière, aide à concevoir des dispositifs susceptibles de favoriser l’apprentissage du métier d’enseignant (Ria, 2010) et d’assurer une fonction de réassurance particulièrement attendue en début de carrière. Ils sont aussi un enjeu de la profession car de nombreuses recherches ont montré, et ce livre apporte une contribution supplémentaire, que l’entrée dans le métier est une étape importante sinon décisive du développement professionnel (Paquay et al., 1998 ; Beckers, 2007).
8Les travaux de recherche ainsi que l’expérience tirée de la comparaison des dispositifs de formation et d’insertion (notamment en Europe du nord) montrent que l’accompagnement en début de carrière ne peut se résumer à un compagnonnage. Il doit au contraire permettre d’interroger les modèles pédagogiques et les pratiques en les confrontant notamment à d’autres expériences et aux résultats issus de la recherche afin de donner du sens au travail enseignant. À un moment où les logiques d’individualisation sont fortes et modèlent l’expérience, l’enjeu est aussi d’éviter l’isolement afin de construire des repères collectifs permettant de ne pas se situer uniquement dans la réponse « à court terme » et au « coup par coup ».
9Aussi, quels que soient les contextes culturels et professionnels, les liens entre instituts de formation (et de recherche), enseignants en exercice et établissements d’affectation sont fondamentaux pour assurer la transition entre la formation et le métier, et ainsi offrir les conditions permettant de surmonter les épreuves et de s’inscrire dans une logique de développement professionnel. Cette période d’insertion est en effet propice à la formation car les nouveaux entrants sont à la recherche de modèles leur permettant de s’intégrer dans « leur » établissement, d’être plus à l’aise dans leurs classes, et de mieux faire leur métier. Pourtant, pendant longtemps, l’importance de cette phase de la carrière a été minimisée tant il apparaissait évident que la formation disciplinaire académique dispensée à l’université suffisait pour enseigner dans le secondaire. La diversité croissante des conditions d’exercice, les transformations des publics et des politiques éducatives ainsi que la montée des attentes sociales vis-à-vis de l’école montrent que les routines enseignantes sont de plus en plus incertaines (Barrère, 2002) et débouchent sur des formes de souffrance professionnelles qui commencent à s’exprimer individuellement (Lantheaume et Hélou, 2008). Dans ces conditions, la dimension subjective des épreuves et de la socialisation professionnelles doit aussi être prise en compte. Cette conception plus personnelle, souvent plus localisée, moins idéologique du métier où le pragmatisme fait souvent office de règle ou de justification des conduites, ne se fait pas sans renoncements professionnels et transformations identitaires individuelles et collectives.
Des enjeux pour la profession
10À un moment où la professionnalisation du métier et de la formation des enseignants s’impose comme un enjeu international, l’analyse des processus de socialisation, des expériences et épreuves rencontrées en début de carrière, participe à la réflexion sur la construction des compétences et des savoirs professionnels. La décentralisation des responsabilités vers les acteurs de terrain (souvent basée sur l’évaluation des pratiques et sur une volonté politique cherchant à rendre les enseignants davantage responsables de leur performance – « accountability »), renforce la nécessité pour les enseignants de trouver de façon autonome des réponses adaptées au contexte, au lieu qu’elles leurs soient données ou prescrites (Perrenoud, 1996). Il ne faudrait pas pour autant penser que la formation et l’accompagnement des débutants seraient à eux seuls la garantie d’un enseignement de qualité. Si l’étude des épreuves de début de carrière peut permettre grâce à des dispositifs adaptés de réduire les difficultés rencontrées, seule une action politique forte, affichant des objectifs précis et se donnant les moyens de les réaliser, peut transformer en profondeur les cultures professionnelles, les finalités et les performances des systèmes éducatifs.
11En définitive, à la lecture des textes qui constituent cet ouvrage, mais aussi des critiques et attentes des débutants et des demandes sociales (notamment celles qui émanent des syndicats), il semble que l’on soit en train de passer d’une conception des premières années ayant pour fonction d’« endurcir » le néophyte, pour transformer définitivement l’étudiant en enseignant aguerri, à une acceptation de la nécessité d’accompagner les débuts dans le métier, pour tenter d’en atténuer la difficulté et les rendre plus formateurs. Reste que les dernières réformes mises en œuvre en France semblent aller à l’encontre de ces logiques, au risque que les premières années, si l’on en croit les rapports visant à les évaluer (rapport Jolion, 2011 ; Marois et Filâtre, 2009), ne fragilisent et ne désorientent davantage encore les enseignants débutants.
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