1 Voir chapitre v. Formulé à partir de Goffman E., Asiles…, op. cit. Et Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., L’interactionnisme symbolique, op. cit., p. 69.
2 Le rapport à certaines « activités » diminue au fur et à mesure de « l’itinéraire moral de l’endeuillé ». Le rapport au cimetière et à la sépulture du défunt par exemple s’estompe généralement avec le temps. Le rapport aux objets ayant appartenu au défunt est aussi significatif, un certain « fétichisme » au début du deuil peut devenir un attachement, mais où les objets ne sont plus aussi visibles (subjectivement) qu’ils l’étaient, voire peuvent finir concrètement par être relégués au fond d’un placard (ce qui reste un lieu déterminé, localisé, et ne leur enlève pas leur « fonction »), dans un grenier.
3 Comme le dit Emma quand « les gens te disent » : « Tu verras après ça ira mieux. » « Mais c’est ici et maintenant ! »
4 Plusieurs personnes soulignent cette envie que quelque chose s’arrête, ou qu’il se passe quelque chose, quelque chose qui marque, et sont agacées, parfois « révoltées », par la « continuité » apparente des choses extérieures au début du deuil. On retrouve ici une des motivations de « l’ancrage rituel », qui marque le passage.
5 À propos des successeurs de l’École de Chicago qui transformèrent la biographie comme procédé de recherche en problème. Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., « Le concept de biographie », in L’interactionnisme symbolique, op. cit., p. 48.
6 Ibid., p. 41.
7 Ibid., p. 42.
8 Voir chapitre v.
9 On a rencontré peu de femmes qui participent à « l’association des veuves civiles ». L’idée de se retrouver « entre veuves » dans le cadre associatif est souvent rejetée par les personnes rencontrées, car elle implique de se présenter comme telle et fait craindre un certain enfermement dans « ce personnage » (ou stigmatisation) ou d’être rangée dans « la catégorie des veuves », ce qui est perçu négativement par elles-mêmes. Rose (63 ans) dit : « Au début, les premières lettres où était écrit “Madame veuve” mais je me disais mais comment on peut écrire ça ! C’était presque comme une tache ! C’était quelque chose de révoltant, de négatif vraiment, quelque chose qui… C’est comme un tampon là, on veut vous marquer d’un sceau, voilà vous êtes frappée par la mort ! Et je pense que pour beaucoup de gens, rien que le mot, même pour ceux qui ne sont pas concernés, “c’est une veuve, elle a été frappée par la mort”, donc au fond, elle porte peut-être malheur, il y a peut-être ce côté-là, je ne saurais pas le définir mais, être veuve c’est négatif. »
10 Goffman E., La présentation de soi, op. cit., p. 229.
11 Lorsque le deuil advient plutôt tardivement, alors qu’elles sont déjà âgées.
12 Lorsque le deuil advient à un âge où elles sont encore jeunes, qu’elles appartiennent à la « population active » ou ayant des enfants encore à charge.
13 Ces deux processus – « autonomie (par “affirmation de soi”) et continuité » – pourraient expliquer en partie la faible proportion de remariage des femmes veuves.
14 L’expression de « transformation de l’identité » est formulée par Strauss A. L., Miroirs et masques, Paris, Métailié, 1992.
15 Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., L’interactionnisme symbolique, op. cit., p. 48.
16 Strauss A., « Les moments critiques », in Miroirs et masques, op. cit., p. 99-100.
17 Un des entretiens témoigne d’une rupture en termes d’exclusion sociale – marginalisation par un processus d’identification au défunt. Matthieu (28 ans) raconte que ce sera des années après que son père se fut suicidé alors qu’il était enfant, qu’il éprouvera après-coup (avec une force destructrice orientée contre lui-même) la perte et le manque, allant jusqu’à s’identifier à son père dépressif (interné régulièrement en hôpital pour désintoxication) alors qu’à ce moment-là dans sa vie les choses allaient plutôt bien.
18 Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., « Le concept de biographie », in L’interactionnisme symbolique, op. cit., p. 47.
19 Bourdieu P., « L’illusion biographique », in Raisons pratiques, sur la théorie de l’action, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1996, p. 81-89.
20 Goffman E., Asiles…, op. cit., p. 207-209. Voir aussi Laé J.-F. et Murard N., Les récits du malheur, Paris, Descartes et Cie, 1995.
21 On pense ici à toute une littérature autobiographique sur l’expérience du deuil, qui lorsqu’elle rejoint l’histoire (collective) se meut en témoignage. Voir Pollak M., L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, coll. « Sciences humaines », 2000.
22 W. I. Thomas, souligné par Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., L’interactionnisme symbolique, op. cit., p. 47-48.
23 Cet aspect est valable, à titre d’exemple, également pour des femmes devenues veuves avec des enfants encore jeunes, qui ne travaillaient pas, et se mettent, suite au décès, à exercer une activité professionnelle et/ou à changer de cadre de vie.
24 Strauss A. L., Miroirs et masques. Une introduction à l’interactionnisme, op. cit., p. 154. Strauss écrit : « On ne peut réconcilier les identités passées, leur donner une cohérence vraisemblable en dépit de leur apparente diversité qu’en les regroupant sous une interprétation homogène. Un fort sentiment d’unité repose sur une négociation avec soi-même. »
25 Formule de Goffman E., Asiles…, op. cit., p. 179.
26 Le concept d’alternation est formulé par Berger P. et Luckmann T., La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck, 1994, p. 214-217.
27 Ou « travail de gestion de la biographie ». Baszanger I., « Introduction : les chantiers d’un interactionniste américain », in Strauss A. L., La trame de la négociation, sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 35-43.
28 Strauss A. L., « L’initiation », Miroirs et masques, op. cit., p. 121.
29 Il était le meilleur ami de son frère.
30 Son conjoint, qui était aussi le meilleur ami de son frère.
31 Le meilleur ami de son frère, son compagnon, exerce le même métier qu’exerçait son frère.
32 L’idée d’une « concentration intense de toute l’interaction significative », etc., est empruntée à Berger P. et Luckmann T., La construction sociale de la réalité, op. cit., p. 215.
33 Ibid.
34 Cet aspect fait penser à la tentative échouée de Camille « pour essayer de garder le contact avec quelque chose ». En particulier avec le meilleur ami de son petit ami décédé, « parce qu[’elle] avai[t] l’impression qu’il [lui] donnerait la clé de tout ce qu[’elle] n’avai[t] pas eu le temps de connaître ».
35 « L’histoire d’une famille juive » ; voir les motifs associés au combat, formulés par Diane, chapitre iii, « Le combat ».
36 Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., L’interactionnisme symbolique, op. cit., p. 50.
37 Comme le dit Camille (29 ans) : « Je ne voulais pas qu’on me… Qu’on me définisse par ça. J’ai fait beaucoup d’efforts pour essayer d’avoir une vie normale. »
38 Voir dans le chapitre v le paragraphe « Itinéraire moral de l’endeuillé ».
39 Formulation d’E. Goffman à propos des « expériences morales intimes ». Goffman E., Asiles…, op. cit., p. 224.
40 Ibid.
41 Candau J., Mémoire et identité, Paris, PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 1998, p. 87.
42 Ces nourrissons ont peu vécu, ils sont décédés à trois semaines, un mois.
43 C’est aussi sans doute une des limites d’un raisonnement en termes de « trajectoire » qui apparaît ici pour notre sujet.
44 A trois exceptions près, Édith, qui est adolescente au moment où elle perd son père, mais il peut aussi s’agir d’un moyen de s’approprier et de signifier le « rôle de l’endeuillé », comme on l’a noté précédemment. La figure de Matthieu (28 ans), enfant lorsque son père se suicida, fait sens ici, lorsqu’il dit qu’il se sentait « plus fort que les autres ». Et Ferdinand, qui associe le « sentiment d’être différent » à « cette fameuse individualité qu’[il a] voulue, […], revendiquée, elle arrivait et elle [l’]opposait aux autres. Elle [le] différenciait, [le] séparait des autres ». (Voir chapitre v.) Mais aussi parce que cette « revendication » constitue un soutien dans le deuil, un des piliers sur lesquels il refonde son identité à partir de ce moment-là.
45 Ce qui a fait l’objet du chapitre v.
46 Mead G. H., « Le jeu libre, le jeu réglementé et l’“autrui” généralisé », op. cit., p. 134 : « Or, j’ai montré qu’il y a deux phases générales dans le plein développement du soi : dans la première, le soi se constitue simplement par l’organisation des attitudes particulières que prennent les autres envers lui et envers eux-mêmes dans les actes sociaux spécifiques où il participe avec eux. Mais à la deuxième phase du développement complet du soi, celui-ci ne se constitue pas seulement par une organisation de ces attitudes individuelles particulières, mais aussi par celle des attitudes sociales de l’autrui généralisé, ou du groupe social comme un tout auquel il appartient. Ces attitudes sociales s’introduisent dans le champ de l’expérience directe de l’individu, et sont comprises, comme éléments, dans la structure ou constitution du soi de la même façon que les attitudes d’autrui. »
47 Ce que l’on a relevé à travers les mécanismes du « moi en miroir » (le « looking-glass self ») dégagés par Cooley C. H., Human nature and the Social Order, New York, 1922. Voir chapitre v.
48 Simmel G., « Le secret et la société secrète », op. cit., p. 352-353.
49 Les éléments sur la fidélité comme motif d’action dans le deuil sont ici significatifs : « lui faire plaisir après sa mort », « lui rester fidèle », « faire comme lui », « ce que je pouvais faire pour lui être fidèle », etc.
50 On a précédemment précisé que cet aspect du « regard du mort sur soi » est surtout, d’après les récits recueillis, le fait de la relation amoureuse ou maritale, et de la relation filiale, et fraternelle.
51 Sans doute y aurait-il ici des nuances à apporter car, comme le souligne A. L. Strauss, « au cours des années, des personnes peuvent surgir et disparaître, acquérir ou perdre de l’importance ». Strauss A. L., Miroirs et masques, op. cit., p. 145.
52 Formulation traduite par Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., op. cit., p. 52.
53 Kuhn M. H., « The Reference Group Reconsidered », Sociological Quarterly, vol. 5, janvier 1964, p. 5-19.
54 Souligné par Strauss A. L., op. cit.
55 Voir chapitre v.
56 L’expression de « figure-repère » est de Déchaux J.-H., Le souvenir des morts…, op. cit.
57 Queiroz J.-M. de et Ziolkovski M., loc. cit.
58 R. Hertz relevait le caractère progressif de l’expérience de la mort pour les survivants, qui ne parviennent pas à « penser le mort comme mort du premier coup », parce que « nous avons trop mis de nous-mêmes en lui ; la participation à une même vie sociale crée des liens qui ne se rompent pas en un jour ». Et « il faut du temps pour en neutraliser les effets », ceux de la mort, comme le souligne E. Durkheim, à partir de R. Hertz. On peut y voir une des raisons du « sentiment de rupture du soi » (« la perte de soi » que caractérise la perte d’un proche). Les rites funéraires servent justement à séparer les morts des vivants. Il est alors vraisemblable de concevoir qu’un des mécanismes de « neutralisation » de la mort dans le deuil consiste à inverser le premier mouvement de « rupture » (de soi en le mort) informé par les rites funéraires, en un second qui « réaffirme » une certaine continuité : « le mort en soi ». Aurore (28 ans) dit : « Le premier individu lui aussi il est mort, il meurt avec son disparu. » Et elle souligne plus loin dans son récit « moi je vis beaucoup avec eux », « on est très proches ensemble ». Hertz R., « Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort », L’année sociologique, vol. X, 1907, p. 48-107. Durkheim É., Les formes élémentaires de la vie religieuse…, op. cit., p. 575.
59 Voir chapitre iii.
60 Déchaux J.-H., « S’affilier », in Le souvenir des morts…, op. cit., p. 229-304.
61 Ibid., p. 232.
62 Ibid., p. 235. L’auteur souligne à ce propos que « cette évidence de la transmission pourrait bien recouvrir ce que, d’un point de vue ontologique, Vladimir Jankélévitch appelle le “cela-va-de-soi” de la continuation ». Jankélévitch V., La mort, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1977.
63 Déchaux J.-H., op. cit., p. 274.
64 Ibid., p. 236.
65 L’image de Clément (30 ans) est particulièrement représentative de cette situation.
66 Mis également en avant par Déchaux J.-H., op. cit., p. 249.
67 Voir dans le chapitre ii, « L’enracinement » et dans le chapitre iii, « Les lieux », les éléments relatifs à la « maison de famille » et la maison familiale.
68 Déchaux J.-H., op. cit., p. 249.
69 En regard, et sous toute réserve, de l’échantillon constitué essentiellement de personnes plutôt jeunes, et de femmes veuves âgées.
70 Les paroles de Solange relevées au début de ce chapitre prennent ici tout leur poids.
71 D’après la définition d’E. Goffman du « cadre » (frame). Goffman E., Les cadres de l’expérience, op. cit., p. 30.
72 Pour exemple : elle est enceinte de son premier enfant à peu près au même âge où sa mère était enceinte d’elle.
73 Emma : « Et je trouve en ma fille des choses, quelque part on transpose toujours, des choses de ma mère, des manières de manger, des attitudes, des expressions ! Même si elle ne ressemble pas du tout. »
74 Le premier étant la mort de son père.
75 Déchaux J.-H., Le souvenir des morts…, op. cit.
76 L’identité sociale attachée à la profession peut être considérée comme un « héritage identitaire » du défunt.
77 Elle est aussi admise pour les relations fraternelles.
78 Déchaux J.-H., « Une assignation “naturalisée” », Le souvenir des morts…, op. cit., p. 259.
79 L’expression est formulée par Benoît (43 ans).
80 Édith dit : « Enfin voilà, et puis très souvent depuis, comment ça se passerait s’il était là ? Est-ce que ma mère aurait évolué de cette façon-là ? Est-ce que moi j’aurais évolué de cette façon-là ? Comment est-ce que j’assumerais devant lui le fait de ne pas avoir le boulot qu’il aurait sans doute espéré pour moi comme tous les parents ? Comment ? Je ne sais pas. »
81 « Le caractère fatal de la transmission » est aussi mis en avant par J.-H. Déchaux. L’auteur souligne : « Il arrive qu’ego constate avec effroi qu’il ressemble de plus en plus à un parent dont il ne souhaite pourtant pas reproduire les attitudes. La fatalité de la transmission est alors vécue comme un stigmate, une substance certes mais dont on ne parvient pas à se défaire. » Déchaux J.-H., Le souvenir des morts…, op. cit., p. 263.
82 Strauss A. L., Miroirs et masques…, op. cit., p. 122.
83 Déchaux J.-H., Le souvenir des morts…, op. cit., p. 263.
84 L’élargissement du présent par l’imaginaire est souligné par L.-V. Thomas à propos de la science-fiction (évasion, catharsis …, qui ouvrent l’accès à l’imaginaire dont on a besoin pour vivre). Thomas L.-V., Fantasmes au quotidien, Librairie des Méridiens, 1984, p. 8.
85 Voir dans le chapitre iii, « L’au-delà ou l’activité imaginée après la mort ».
86 Ou encore, dans le cas de Hyacinthe (69 ans), quand il n’y a pas de descendance (veuve sans enfant, et sans neveux et nièces).
87 Dans le deuil, il pourrait vraisemblablement se décliner selon différents modes généraux d’anticipation tels que les a distingués J.-P. Boutinet : un mode adaptatif, un mode cognitif, un mode imaginaire, un mode opératoire. Boutinet J.-P., Anthropologie du projet, Paris, PUF, coll. « Psychologie d’aujourd’hui », 1999, p. 68.
88 Dans le chapitre iii : La fabrication ; Le travail ; La parole.
89 Boutinet J.-P., op. cit., p. 77.
90 Et des « situations existentielles à projet » (le projet aux différents âges de la vie), comme le souligne Boutinet J.-P., op. cit., p. 123.
91 À partir de J.-P. Boutinet qui souligne : « Le futur est donc fait simultanément de continuité et de rupture avec ce qui a existé. » Boutinet J.-P., op. cit., p. 64.
92 Goffman E., Asiles…, op. cit., p. 207-209.
93 Formule de Strauss A. L., Miroirs et masques, op. cit., p. 102. L’auteur souligne : « Les individus s’imposent eux-mêmes des épreuves cruciales ; s’ils en sortent vainqueurs, ils ont pour ainsi dire reçu un baptême psychologique, mais s’ils faillissent, il leur faut prendre une autre voie, élaborer d’autres projets. »
94 Fellous M., « Naissance et vie des rites, à propos des cycles de vie », Informations sociales, n° 70 « Rites et mises en scène de la vie sociale », 1998, p. 32.
95 Déchaux J.-H., Le souvenir des morts…, op. cit., p. 310.
96 M. Pollak souligne que c’est pour cette raison que « le récit » prend la forme d’un « instrument » de « reconstruction de l’identité », « par définition reconstruction a posteriori ». Pollak M., « Mémoire, oubli, silence », in Une identité blessée, Paris, Métailié, 1993, p. 37.
97 Ces deux types de logiques (logique de l’institution/logique du sujet) sont distinguées par J.-H. Déchaux à propos des formes de filiation. Déchaux J.-H., Le souvenir des morts…, op. cit., p. 306.
98 Elle avait cinq ans. Il s’en sortit après un coma profond d’une quarantaine de jours avec d’importantes lésions cérébrales.