Conclusion
p. 259-261
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Les limites temporelles et géographiques qui avaient été imposées au Colloque de Valenciennes « Habiter une autre patrie : des incolae de la République aux peuples fédérés du Bas-Empire » rendaient le sujet certes passionnant, mais plus encore complexe. Cependant, malgré les difficultés, les intervenants ont su relever le défi de cette entreprise périlleuse et les résultats paraissent plus qu’encourageants1. En effet, il pouvait paraître difficile a priori de trouver des points communs entre des périodes et des espaces aussi éloignés les uns des autres. Cependant, à la fin des deux journées de travaux, des points de convergence et des constantes ont réussi à se dégager qui, j’en suis persuadée, constitueront des pistes de recherche fructueuses à l’avenir.
2La première d’entre elles, celle qui a été une très agréable découverte pour la spécialiste des paysages que je suis sensée être, a été la dimension spatiale du phénomène de la « coexistence intercommunautaire ». Malgré les difficultés d’interprétation posées par la nature de la documentation antique, on peut essayer de reconnaître les lieux géographiques où les spécificités, les différences, s’expriment au sein de la cité : ici la confrontation et le contraste sont frappants entre le lieu d’affichage des textes des chefs Baquates, qui invoquent Jupiter Optimus Maximus dans le forum de Volubilis en Maurétanie Tingitane, et le sanctuaire du dieu Fro d’Arras, qui occupe un secteur de 2 500 m2 en plein centre de la ville romaine, où de nouvelles populations germaniques ont imposé leur culte, selon des modalités totalement étrangères aux pratiques romaines. On pourrait réduire à ce symbole, à ce renversement des rapports de force, toute l’histoire des relations romano-barbares entre le ier et le ive siècle de l’Empire.
3La dimension spatiale, particulièrement évidente pour des sites archéologiques d’une grande richesse, tels ceux d’Arras ou de Délos, nous l’avons retrouvée aussi là où, à vrai dire, je l’attendais le moins. Je remercie E. Hermon d’avoir attiré notre attention sur le lien, qui semble effectivement assez probable, entre le pagus et la condition des incolae des colonies latines de l’Italie républicaine, et pour avoir essayé également de relier les catégories juridiques des terres des textes gromatiques, les préfectures et les agri arcifinales, au statut juridique des hommes. Ce rapport à la terre et aux privilèges fiscaux (ou autres), qui sont liés à son exploitation, est revenu également dans la communication d’A. Avram sur les laoi et les cives Romani consistentes de Mésie inférieure. Et si, dans les campagnes, comme le suggère E. Hermon, on peut songer à localiser le lieu d’implantation de possibles incolae dans l’espace rural du pagus, en ayant ainsi une structure territoriale romaine bien connue à associer aux incolae « ruraux », on en a une également pour les résidents étrangers des villes. Je pense aux vici péri-urbains de la zone portuaire de Puteoli, à ce vicus Lartidianus où se trouvaient, par exemple, les Nabatéens adorateurs de Dusarès.
4Le deuxième aspect qu’il me paraît important de mettre en relief, c’est celui de la dimension normative, qui va au-delà des simples définitions juridiques, et qui règle, quotidiennement, la vie des communautés étrangères dans le monde romain. Là où la documentation épigraphique est assez riche, à Délos, à Puteoli, on voit quelles conditions sont nécessaires pour qu’elles s’installent, se maintiennent, de quelle façon elles interagissent avec le monde extérieur. Pour la vie de ces groupes urbains, un élément essentiel reste celui de la durée de l’installation. Je dois dire que pour moi la lecture de la définition du terme statio par Servius, rappelée par G. Soricelli, qui l’assimile à un portus temporalis où les navires passent l’hiver – statio est ubi ad tempus stant naues, portus ubi hiemant2 – a été particulièrement éclairante. On voit bien comment, au départ, certains de ces groupes ont pu naître, avant de se développer, s’installer à demeure, établir leurs lieux de culte. Et le problème de la durée de l’installation sur le long terme ouvre des questions d’histoire économique beaucoup plus vastes, on l’a vu au cours de la discussion avec les Nabatéens ou les Égyptiens, ainsi qu’à Délos.
5Je voudrais conclure, enfin, en mentionnant la contribution de l’archéologie à la problématique du Colloque. Dans l’appel à communication nous avions demandé aux intervenants de s’interroger sur les évidences qui permettent d’identifier et reconnaître les communautés « allogènes » sur le terrain et, là encore, les réponses fournies ont été satisfaisantes : il existe bel et bien des marqueurs « identitaires », des « pièces emblématiques » comme les a appelées G. Leman, qu’on peut assimiler à de véritables « pièces d’identité », que ce soit le casque gaulois de Canosa ou la statue de Dusarès à Puteoli.
6D’aucuns avanceront peut-être des réserves sur la possible surexploitation des données archéologiques, mais beaucoup d’archéologues se retrouveront dans la réponse faite par F. Coarelli à ceux qui lui reprochaient de vouloir associer les transformations notables dans l’urbanisme de Fregellae à un célèbre passage de Tite Live (XLI 8, 6-12) relatant l’installation de Samnites dans cette colonie latine au début du iie siècle av. J.-C. : « s’il fallait fouiller pour aboutir à la conclusion qu’un mur est un mur, il n’y aurait plus aucun intérêt à faire de l’archéologie3 ».
Notes de bas de page
1 Ces conclusions reproduisent telles quelles, avec des changements minimes, les quelques remarques formulées par l’auteur à l’issue des deux journées du colloque.
2 Serv., ad Aen., 2, 23 ; cf. aussi 10, 293 : statio est portus temporalis ; nam portus est ubi hiematur.
3 Cette réponse, citée de mémoire, avait été donnée au cours de la discussion qui suivit la communication de F. Coarelli, « I Sanniti a Fregelle » au Colloque de Naples des 4-5 novembre 1988, dont les Actes ont été publiés plus tard sous le titre La Romanisation du Samnium aux iie et ier siècles av. J.-C., Naples 1991. Contrairement au texte de la communication (p. 177-185), la discussion qui suivit n’a pas été publiée.
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