Chapitre II. Évolution des postes
p. 89-220
Texte intégral
1L’évolution des postes français reflète l’instabilité de cette période troublée. Outre la légation de Pékin, la France possède encore une vingtaine de consulats qui vont subir des changements au gré des événements et surtout en fonction des moyens budgétaires. Certains sont fermés puis rouverts selon les circonstances et les intérêts du moment. Les postes du nord de la Chine avec Tianjin et ceux de Mandchourie vivent au rythme des coups d’état successifs, des alliances et des retournements des principaux seigneurs de la guerre, Zhang Zuolin, Wu Peifu et leurs lieutenants qui viennent aussi chercher l’appui des chefs de guerre des provinces du centre, du sud et de la vallée du Yangzi. Durant cette longue période de troubles, les consuls français pris dans le tourbillon des luttes intestines, assistent le plus souvent à ces affrontements en spectateurs impuissants, se bornant seulement à les relater dans leurs rapports. La vie n’est guère facile pour certains d’entre eux, la plupart du temps isolés dans leur poste et dans l’incapacité durant des semaines, voire des mois, de communiquer avec l’extérieur. C’est le cas de Marcel Baudez à Chengdu et de Laurent Eynard à Chongqing, de Georges Lecomte à Hankou relayé par Jules Leurquin également en poste à Canton. Chacun vit sa propre aventure dans la résidence de sa circonscription, totalement coupé de ses autres collègues tout aussi isolés dans leur consulat. Certains agents arrivent cependant à tirer profit de ces luttes en vendant armes et munitions à des seigneurs de guerre locaux. Comme nous l’avons vu précédemment, c’est le cas des consuls de Mukden et de Harbin, Louis Reynaud et Pierre Crépin qui réussissent à conclure des contrats avec Zhang Zuolin, mais aussi d’Albert Bodard et Charles Lépissier à Yunnanfou et Fernand Roy à Amoy.
La double représentation de la France : l’ambassade de Pékin et le poste de Nankin : un statut hybride
Figure 3 : Légation puis ambassade de France à Pékin (Collection Madame de Boisséson).
2Après le choix du gouvernement nationaliste d’installer sa capitale à Nankin avec tous ses services, se pose le problème de la représentation diplomatique pour les Puissances. Étant donné l’instabilité de la période précédente et la situation encore très incertaine du gouvernement de Chiang Kai-shek, la France ne tient pas à déménager les services de sa légation de Pékin à Nankin. Comme cela a été dit plus haut, dans un premier temps, le ministre préfère se déplacer lui-même, seul, ou le plus souvent accompagné d’un ou plusieurs collaborateurs, qu’il laisse ensuite sur place. Cette situation entraîne de sérieux inconvénients pour toute l’organisation diplomatique, non seulement sur le plan politique, mais également sur un simple plan matériel et financier. À la demande de Damien de Martel, un consulat est créé à Nankin le 1er juin 1929, et ouvert officiellement le 10 août suivant, par Raoul Blondeau. Pour finir, il s’installe dans un immeuble appartenant à la Mission catholique. Les pères étant sans doute peu sensibles au confort moderne, 20 000 francs sont nécessaires pour équiper le bâtiment d’installations sanitaires totalement inexistantes, et le rendre ainsi habitable. Après sa nomination à Tokyo, Damien de Martel va plus loin, et le 16 octobre, demande l’établissement d’une représentation diplomatique à Nankin ou à Shanghai. Mais le ministre des Affaires étrangères, estimant que Chiang Kai-shek n’a pas encore neutralisé les nombreuses inimitiés dues à sa politique personnelle, répond qu’il est encore prématuré de songer à cette éventualité.
Auguste Wilden (15 juillet 1930-23 septembre 1935) et la création d’un bureau diplomatique
3Après avoir remis ses lettres de créance au généralissime le 15 novembre, Auguste Wilden regagne Pékin le 2 décembre. Dès le lendemain, il envoie un rapport au ministère dans lequel il réitère les mêmes demandes que son prédécesseur. Il signale que, parmi les grandes Puissances, seule la France n’est pas représentée diplomatiquement dans le sud de la Chine. Le chargé d’affaires du Japon a abandonné Pékin et réside à Shanghai, d’où il se rend régulièrement à Nankin. Le conseiller de la légation d’Angleterre dispose de bureaux importants, avec cinq ou six agents, dans la nouvelle capitale. Il en est de même pour le secrétaire de la légation de Belgique et les ministres de Turquie, Pologne et Tchécoslovaquie. Un conseiller de la légation d’Allemagne y réside également en permanence. Quant au ministre des États-Unis, il partage son temps entre Shanghai et Nankin, et ne fait à Pékin que de rares apparitions. Les Américains ont en effet un consulat dans la nouvelle capitale où résident les personnalités les plus influentes du gouvernement nationaliste et où sont installés les ministères.
4En conséquence, Wilden demande la création d’un bureau diplomatique permanent dépendant de la légation, soulignant, par la même occasion, ses difficultés pour se loger lui et ses collaborateurs dans le consulat :
« J’étais seul à pouvoir être logé, fort mal d’ailleurs, dans notre consulat où j’avais aussi installé mes bureaux : les trois autres agents vivaient à l’hôtel dit du "Wai-Kiao-Pou" sorte de caravansérail officiel où l’on semble avoir réussi à réaliser le maximum de l’inconfort, et qui est pourtant le rendez-vous de toutes les hautes personnalités officielles de passage à Nankin ; ce premier séjour m’a, avant toutes choses, convaincu de l’urgente nécessité d’établir, de façon permanente, dans la capitale, un bureau, une succursale en quelque sorte de notre légation1. »
5Quelques jours plus tard, le 9 décembre, il insiste à nouveau sur les difficultés matérielles, allant même jusqu’à préconiser la suppression du consulat, au profit d’une représentation diplomatique digne de ce nom, sans toutefois envisager la disparition de la légation de Pékin :
« Nous ne disposons que d’un mauvais consulat mal bâti, pauvrement meublé où j’ai eu beaucoup de peine pendant mon séjour, à installer des bureaux provisoires [...] Sans doute ne convient-il point de procéder immédiatement comme le voudraient les Chinois, au transfert complet de notre légation. En dehors des impossibilités matérielles de cette solution, il nous faut tenir compte des raisons d’ordre politique qui militent en faveur du maintien à Pékin de notre établissement principal. Mais le consulat doit faire place à un bureau diplomatique chargé de l’expédition, sous la direction du ministre, de la plupart des affaires courantes. Pour débuter, ce bureau devrait, dans mon esprit, être confié aux secrétaires de cette légation qui se relaieraient à tour de rôle - chacun passant à Nankin 2 ou 3 mois - et qui seraient assistés, pour commencer, d’un interprète ou élève-interprète, et de un ou deux auxiliaires chinois. D’autre part, le ministre lui-même ou son conseiller devrait se rendre à Nankin, au moins une fois tous les deux mois, sinon même toutes les six semaines. Le gouvernement chinois fait actuellement de très réels et sérieux efforts pour arriver à transformer Nankin en véritable capitale. Mais c’est un travail d’Hercule et de nombreuses années se passeront avant qu’il n’y arrive. »
6Le maire de Nankin, qui appartient au parti « francophile » du gouvernement, a proposé à Wilden une résidence comprenant une grande maison et un pavillon annexe, propriétés du ministère de la Guerre. Ces bâtiments viennent juste d’être terminés, et constituent la meilleure habitation qu’il soit possible à un étranger de trouver, assure le ministre français. Moyennant un versement de quatre cents dollars, il a pris une option jusqu’au 31 décembre pour la location de l’immeuble :
« C’est une occasion inespérée, insiste-t-il, et si nous n’en profitons point, une autre légation viendra certainement y installer ses bureaux. C’est pourquoi, je me permets, dès maintenant, de prier Votre Excellence de vouloir bien m’autoriser à signer, avec le propriétaire, un bail à court terme, mais qui pourrait être renouvelé. Le prix de location qui est de 8 à 900 dollars par mois, peut paraître élevé. En fait, étant donné les conditions actuelles de la vie à Nankin, il est modéré. Comme il sera nécessaire, ensuite, de pourvoir à l’ameublement de ces maisons, ce qui entraînera une dépense assez importante, la solution préférable serait, je crois, tout en nous assurant dès maintenant la jouissance de cette résidence, de conserver pendant 6 mois encore le consulat actuel. Car je présume (c’est du moins la solution qui me vient naturellement à l’esprit) que la création d’un bureau de la légation entraînera au cours de l’année prochaine, la suppression de celui-ci devenu inutile2. »
7Le directeur du Personnel et de la comptabilité Harismendy lui ayant donné son feu vert le 27 décembre, Wilden délègue aussitôt le jeune attaché d’ambassade Jacques Paris pour négocier le prix à huit cents dollars mensuels. Le jeune homme annonce à Wilden qu’il a fait mieux, et est tombé d’accord avec la municipalité pour la location au prix de sept cents dollars, à dater du 1er février. Le propriétaire n’a même pas exigé le versement des quatre cents dollars prévus pour maintenir l’option jusqu’au 31 décembre. Wilden donne aussitôt son accord. Le 7 janvier, Jacques Paris, au nom du ministre, signe le bail avec le directeur de la Banque municipale de Nankin. La maison, située à Kao-Lo-men, dispose de dépendances et d’un jardin, le tout ayant une superficie de quatre mous et demi. Le bail est conclu moyennant un prix de huit mille quatre cents dollars, payable en quatre versements égaux, dont le premier doit être fait le 1er février. Jacques Paris est de retour à Pékin le 12 janvier.
8Wilden estime cependant prudent de conserver le consulat jusqu’en juin 1931. Il se propose de commencer par déléguer à Nankin, Maurice Chayet, secrétaire-interprète de 2e classe, assisté de Léon Jankélévitch ou Jean-Pierre Dubosc, élèves-interprètes de la légation. Ces derniers disposeront en outre de l’aide de Paul Riffaut, un jeune homme un peu particulier, déjà sur place. Le titulaire Raoul Blondeau ayant demandé à rentrer en congé en France, Wilden propose de le nommer à Fuzhou, en prévision de la suppression du consulat. Mais le ministère refuse catégoriquement de supprimer ce poste, estimant au contraire son maintien indispensable, tant au point de vue administratif que politique. Pourtant les Français sont encore peu nombreux à Nankin, cinq seulement en juillet 19313.
9Un arrangement quelque peu bâtard est donc trouvé entre consulat et bureau diplomatique, le 21 février 1931 :
« Les nouveaux services de Nankin, afin de posséder l’autonomie administrative, sont, vis-à-vis du Département, constitués en consulat. Mais il est entendu que vis-à-vis des Chinois, ils jouent le rôle d’un "Bureau diplomatique". »
10L’agent qui y est envoyé touche des indemnités personnelles et des frais de représentation, en plus du fond d’abonnement et des sommes prévues habituellement pour les consulats classiques. Le ministère estime que Blondeau doit rester titulaire du consulat, et ne pourra partir en congé que lorsqu’on lui aura trouvé un remplaçant. Au même moment, le consulat des États-Unis est érigé en consulat général (28 février 1931). Wilden se décide à revenir à Nankin le 22 mars 1931, bien que le bureau ne soit pas encore installé. Il a envoyé Maurice Chayet à Shanghai pour acheter du mobilier car on ne trouve rien à Nankin, estime-t-il, et demande 120 000 francs de crédit pour l’acquisition de meubles convenables mais simples. Il exige aussi l’achat d’une automobile « qui s’impose d’une façon absolue car les distances ici sont énormes », précise-t-il.
11Après l’agression japonaise de septembre 1931 et de février 1932 à Shanghai, s’évanouit complètement l’espoir de voir le gouvernement nationaliste revenir à Pékin. Le 29 novembre 1932, un mandat du gouvernement national rend à Nankin son titre de capitale de la Chine. En conséquence, le président et sa maison reviennent définitivement le 1er décembre. Il n’y a plus de raison de penser que la capitale du pays puisse être transférée ailleurs tant que durera le régime, commente Wilden. La nécessité d’une représentation diplomatique permanente à Nankin s’impose absolument. Mais il est hors de question de supprimer la légation de Pékin. Pourtant tout cela coûte très cher. Wilden, qui est encore à Shanghai, a laissé dans l’ancienne capitale du Nord toute sa famille avec un très nombreux personnel domestique : présent ou absent, les obligations de représentation continuent et il faut notamment pouvoir donner l’hospitalité aux nombreux voyageurs de distinction de passage.
12De plus, se pose un dilemme qui paraît insoluble : ni le ministre à Pékin, ni le ministère à Paris ne se décident à trouver une solution aux inconvénients que pose la coexistence à Nankin d’un bureau de la légation et d’un consulat. Faut-il supprimer le consulat ou non ? Le titulaire de ce poste n’est en effet qu’un auxiliaire de la légation qui doit se mettre entièrement à la disposition du ministre ou de son représentant, les affaires consulaires proprement dites étant inexistantes. La dualité de ces deux organismes, l’un diplomatique, l’autre consulaire, est source de nombreux problèmes. Des conflits d’attributions opposant à plusieurs reprises le consul et le représentant diplomatique, Wilden se trouve en présence d’avis et d’actions totalement contradictoires. Le titulaire du consulat, Raoul Blondeau, étant d’un âge assez avancé, a du mal à accepter d’être placé sous l’autorité d’agents plus jeunes que lui, notamment Philippe Baudet, secrétaire de 1re classe, que Wilden a délégué comme conseiller au bureau diplomatique. Il en résulte des froissements d’amour-propre qui ne facilitent pas la bonne marche du service, le consul ne se privant pas de contredire les avis donnés au ministre par son conseiller.
13En conséquence, au mois d’avril 1933, pour éviter cette cacophonie, Auguste Wilden demande la suppression de l’emploi de consul détenu par Blondeau, et l’attribution des fonctions consulaires au secrétaire d’ambassade qui le représente à Nankin. Il propose de transférer Blondeau dans un autre poste, et de mettre à la tête du consulat un jeune interprète choisi, de préférence, dans le personnel de la légation. Sa principale tâche consistera à assurer avec un élève-interprète et les auxiliaires chinois, le service de l’interprétariat du bureau diplomatique. En plus de cette rivalité de compétences, le détachement à Nankin d’un conseiller pose au ministère un problème budgétaire : les charges supplémentaires qui lui sont imposées par ce séjour sont compensées, en partie, sur le crédit pour frais de voyage dont dispose la légation, en partie, par l’abandon d’une fraction de ses frais de représentation bénévolement consentis par le chef de poste au profit de son collaborateur. En juin 1933, Blondeau est nommé à Hankou. Le 23 juin, Philippe Baudet prend la direction du consulat de Nankin, tout en restant investi de ses fonctions diplomatiques, donnant ainsi à ce poste un statut inédit, à la fois diplomatique et consulaire. Tout le travail administratif est dévolu au secrétaire-interprète Roger Robert du Gardier et au commis Ghislain Clauzel arrivé un peu plus tard. Robert du Gardier remplace Baudet lors de son départ définitif au mois de mai 1934, après trois ans de séjour à Nankin.
14Henri Hoppenot, chargé d’affaires à Pékin durant le congé d’Auguste Wilden, le 16 août 1934 dénonce lui aussi le statut totalement indéterminé de Nankin et propose de nommer à ce poste un premier secrétaire permanent. Il adresse une note en ce sens au ministère4 :
« Le bureau diplomatique de Nankin n’a jamais été doté d’un statut administratif déterminé. La désignation de l’agent qui l’occupe a jusqu’ici été laissée au choix du chef de mission. La précarité de ce statut moral et matériel avait été acceptée par M Baudet pendant le séjour de près de 3 ans qu’il a fait à Nankin, et qui a si sérieusement influé sur son état de santé : cette période était pour le Bureau une période de définition et d’organisation et la personnalité même de Baudet, ses rapports personnels avec Wilden, réduisaient au minimum les inconvénients qui pouvaient naître d’une situation aussi peu établie. M. Baudet rentrant en France, et M. du Gardier, qui le remplace actuellement à Nankin, ne devant pas prolonger son séjour au-delà du printemps prochain, il paraît nécessaire qu’une décision soit prise pour donner à l’agent chargé du bureau une situation définitive, lui assurer les avantages moraux et matériels correspondant aux conditions exceptionnelles de cette résidence. La solution que je préconise s’inspire de mesures adoptées par un certain nombre d’autres missions, et de propositions faites, en juillet 1933, à Baudet qu’il avait cru devoir décliner à l’époque. La légation de Pékin compte un conseiller, un 2e et un 3e secrétaires et un attaché ; le consulat de Nankin, un consul, un secrétaire-interprète de 3e classe et un commis de chancellerie. Je suggère la suppression d’un des deux postes de secrétaire de la légation, la création d’un 1er secrétaire et la désignation permanente de ce 1er secrétaire au consulat de France à Nankin et à la direction du bureau diplomatique comme il est actuellement pratiqué [...] Le travail proprement consulaire à Nankin est peu important et le secrétaire-interprète du consulat suffira largement à l’assurer sous la direction de son chef. »
15Philippe Baudet à son retour en France, est chargé par Hoppenot d’aller défendre ce projet auprès d’Henri Cosme et Louis de Robien. Apparemment sans succès :
« J’ai vu Cosme et de Robien à mon arrivée, tous deux extrêmement civils, grâce, sans doute, à vos aimables recommandations. Mais il est clair que l'organisation souhaitée par vous à Nankin, ne les emballe pas. Par contre Léger, que vous m’aviez conseillé de voir, ne m’a pas reçu, fidèle en cela, paraît-il, à son habitude qui est de ne recevoir que ses amis ou des agents d’un grade élevé. Par ailleurs son secrétaire, que je connais, m’affirme que les affaires de Chine l’intéressent peut-être personnellement beaucoup, mais qu’il a fort peu de temps à leur donner en fait. »
16Après le départ de Roger Robert du Gardier au mois de juin 1935, le comte Ghislain Clauzel lui succède provisoirement à Nankin (à la place de Jean Royère retenu à Pékin depuis le mois de janvier), tandis que Serge Lebocq de Feularde, secrétaire-interprète, assure la gérance du consulat, en remplacement de Pierre Salade.
17Mais à Pékin, le ministre Auguste Wilden décède subitement le lundi 23 septembre 1935. Fatigué par ses longs séjours à Nankin, au mois de mai, pour finaliser les négociations relatives à l’accord commercial sino-indochinois enfin signé le 4 mai, et celles pour la convention aérienne (infra chap.III, 2 partie, paragraphe 8), Wilden a vu peu à peu sa santé dangereusement ébranlée par tous ces déplacements successifs. Atteint de troubles respiratoires, il a été victime de deux attaques cardiaques. Après un séjour de deux mois au bord de la mer, il revient, fin août, en apparente bonne forme. Il se remet même au golf et à l’équitation. Mais, le 22 septembre, il ne peut quitter ses appartements, sa gêne respiratoire et ses palpitations ayant repris avec plus d’intensité. Ces troubles semblent se calmer dans la journée du lundi. Toutefois, il préfère s’abstenir d’assister à un dîner qu’il n’a pas jugé utile de décommander, et charge son épouse de le représenter. Pendant que les convives sont dans la salle à manger, soudain, à 22 heures, Wilden rend le dernier soupir sous les yeux de son médecin qui est en train d’entourer ses jambes d’une robe de chambre. Ses funérailles ont lieu le 27 septembre, à la cathédrale du Peitang, en présence de tous les diplomates, des hauts fonctionnaires chinois et des notables français, chinois et étrangers. Son cercueil est amené depuis la légation sur un affût de canon, recouvert du drapeau français, au son de la musique du 16e Régiment d’infanterie coloniale. C’est avec une très grande émotion qu’Henri Hoppenot, conseiller de l’ambassade, prononce son allocation funèbre avant son inhumation. Auguste Wilden est l’un des rares Français à avoir exprimé sa volonté de reposer en terre chinoise à Pékin. Un nouveau titulaire est désigné le 17 décembre 1935, Emile Naggiar. Henri Hoppenot assure la gérance de la légation durant neuf mois, jusqu’à son arrivée, le 1er juillet 1936. Entre-temps, la légation de France à Pékin est érigée en ambassade, le 19 janvier 1936.
Figure 4 : Église du Peitang (Collection privée).
Emile Naggiar juillet 1936-août 1937
18Le nouvel ambassadeur, qui arrive de la légation de Belgrade, connaît parfaitement la Chine. Il a été en poste à Yunnansen, puis consul général de Shanghai, dans les années 1925-1927, périodes les plus troublées qu’ait connues la grande métropole commerciale et économique de la Chine (voir infra à Shanghaï). Avant de partir, il demande au ministère que son collaborateur Francis Lacoste le suive à Pékin. Ce dernier, fils du peintre Nabi Charles Lacoste, est nommé secrétaire de deuxième classe, en remplacement de Maurice Chayet. Bien que, le 1er octobre 1932, le gouvernement de Nankin ait alloué vingt et un lots de terrain pour la construction des légations étrangères, en juin 1936, seules l’URSS et l’Allemagne y ont établi leur représentation diplomatique. Le siège officiel des ambassades de Grande Bretagne, des États-Unis, et d’Italie est toujours à Pékin ; et l’ambassade du Japon n’a jamais signifié officiellement qu’elle était transférée à Nankin, où l’ambassadeur n’effectue que de rares et courts séjours, signale Hoppenot le 23 juin 1936. Mais six jours plus tard, le 29 juin, le gouvernement britannique décide d’établir le siège officiel de son ambassade à Nankin, et le 30 juin, l’annonce officiellement aux chefs des autres missions.
19Le nouvel ambassadeur français, arrivé à Shanghai le 29 mai, où il est accueilli par le consul général Henri Cosme, est à Pékin le 1er juillet et prend le service de l’ambassade des mains du conseiller Henri Hoppenot. Puis il se rend à Nankin pour présenter ses lettres de créance à Chiang Kai-shek. Il est reçu par ce dernier, le 9 juillet, en compagnie de ses collaborateurs, Henri Hoppenot, Ghislain Clauzel et Pierre Gilbert, troisièmes secrétaires, du lieutenant-colonel Sabattier, attaché militaire, et de Michel Blot, gérant du consulat de Nankin depuis le 1er mai5. Lors de son séjour dans la capitale du Sud, Naggiar, non seulement se rend compte des inconvénients de l’existence simultanée d’un consulat et d’une représentation diplomatique, mais encore il découvre la vétusté et l’inconfort de la résidence du représentant diplomatique qui sert occasionnellement à l’ambassadeur lors de ses visites.
20En prévision d’une future installation de l’ambassade, le 11 août, Naggiar demande un crédit de 600 000 francs pour l’achat d’un terrain, et de 7 millions pour les futures constructions6. Le 26 août suivant, il fait une nouvelle demande de 27 600 francs. Outre l’installation d’un standard téléphonique automatique pour deux lignes et cinq téléphones, il réclame trois bains douches dans la résidence de l’ambassadeur, deux cabinets de toilettes pour les secrétaires, le chauffage central, un Frigidaire, quantité de meubles, linge de table et vaisselle. Devant l’ampleur de ses exigences, et surtout de leur coût, le 2 octobre 1936, le ministre des Affaires étrangères refuse les crédits demandés par Naggiar, justifiant ainsi sa décision :
« Aussi longtemps que le siège principal de notre représentation en Chine restera fixé à Pékin, il n’est guère possible d’engager pour la résidence de l’ambassadeur à Nankin des dépenses supérieures aux dépenses actuelles ; je ne peux envisager de demander au Parlement les crédits nécessaires pour acheter ou construire un immeuble. Quant à la location d’un immeuble plus considérable, que celui dont dispose maintenant l’ambassade, et qui est déjà relativement important, elle grèverait trop lourdement les ressources annuelles dont je dispose pour les loyers des postes diplomatiques et consulaires. »
21N’oublions pas que 1936 est l’année du Front populaire qui a beaucoup mieux à faire que dépenser l’argent de l’État dans des dépenses somptuaires pour des bâtiments bien éloignés de la France.
22Comme ses prédécesseurs, Naggiar critique la situation paradoxale de l’ambassade et les inconvénients de la dualité de la représentation diplomatique à Nankin7 :
« L’organisation de notre représentation à Nankin se ressent des conditions empiriques imposées par les circonstances. Nous y possédons un Consulat dont le statut administratif est bien défini, mais qui n’a pas de raison d’être consulaire, et un "Bureau diplomatique" dont l’activité est réelle mais qui n’a pas d’existence administrative. Le consulat sert de paravent au Bureau dont le chef, qualifié pour parler au nom du chef de mission, ne possède cependant pas de statut à la mesure de l’autorité qu’il exerce sur place. Tant que nous ne serons pas en état de transférer l’ambassade à la capitale politique du pays, ou bien d’admettre que l’ambassade en Chine comporte deux sièges (Pékin et Nankin), nous devons nous résigner à des solutions provisoires ainsi que l’ont bien compris le Département et mes prédécesseurs. »
23De retour à Pékin, il demande au ministre l’autorisation de confier la gérance du consulat de Nankin à Ghislain Clauzel, troisième secrétaire, à la place de Michel Blot, et de confier à ce dernier, dont il a pu apprécier les services, sa représentation diplomatique à la place du titulaire Jean Royère, détaché à Pékin, où sa collaboration lui est indispensable. Le 5 octobre, il suggère que désormais l’ambassade française porte le nom d’« Ambassade de France en Chine », et non plus d’« Ambassade de la République française à Pékin », la capitale du Nord ayant cessé depuis longtemps d’être le siège du gouvernement chinois.
24Trois jours plus tard, le 8 octobre, il repart pour Nankin et renouvelle ses demandes de crédits pour la réfection de la résidence de l’ambassadeur. Il n’en fait même plus une question de confort, mais d’honneur ! La Grande-Bretagne vient d’arrêter son choix pour le terrain où elle va construire sa nouvelle ambassade. Les formalités d’achat sont terminées : quatre-vingts mous à l’extrémité nord de la ville et à dix minutes du Wai Kiao-pou, sur l’une des plus grandes avenues de la capitale, tout proche de la gare de Ho-Ping-Men. Ce site est l’un des plus beaux et des plus agréables de la capitale. La construction commencera l’année prochaine, prévient Naggiar le 17 octobre. Et pour enfoncer le clou, le 21 octobre 1936, il décrit les conditions médiocres du bureau de l’ambassade de France :
« Contrairement à ce que pense le Département, la petite villa dont dispose l’ambassade est des plus misérables et le voisinage est sordide. Ce n’est pas du reste une question de confort mais de dignité au regard des autorités chinoises et des missions diplomatiques étrangères installées dans des immeubles décents et dont quelques-uns sont remarquables [...] Plus nous tarderons, plus nous payerons cher ce qui a été rebuté par les autres missions. Les Anglais, les Allemands, et Russes se sont pourvus. Les Japonais, dont le bail est à expiration prochaine, sont en quête d’une installation... »
25Naggiar demande, en conséquence, de prendre une option gratuite renouvelable sur un terrain proposé par le gouvernement chinois. Il a songé à reprendre le consulat général anglais, mais les Britanniques n’ont même pas daigné répondre à sa demande. Une autre possibilité s’offre également : négocier, sur un autre terrain, la location des locaux nécessaires aux résidences et aux bureaux (diplomatique et consulat) ; cette location ne prendrait date qu’au début de 1938, et serait de 2000 dollars par mois, à peu près la même somme que le loyer actuel. N’ayant sans doute pas obtenu de réponse à ses demandes, le 18 janvier 1937 Naggiar brandit le risque d’une augmentation du contrat de location : le loyer a pu être fixé à huit cents dollars chinois par mois au lieu de mille, mais le propriétaire réclamera une nouvelle augmentation en janvier 1938, prévient Naggiar... Ces menaces restent sans effet. Le conflit sino-japonais coupe court à tous ces projets. Le 31 août, Naggiar quitte Nankin et vient établir l’ambassade de France à Shanghai, d’où il pourra plus facilement être en liaison avec tous les postes de Chine. Il laisse à Pékin un bureau diplomatique dirigé par Francis Lacoste, et un représentant à Nankin, le consul Lucien Colin.
Postes en Chine du Nord
Mandchourie : Harbin et Mukden
26Durant les années 1920, comme on l’a vu ci-dessus, la Mandchourie devient une sorte de marché privilégié pour les industries françaises, grâce aux bonnes relations avec le puissant maître de cette riche province, Zhang Zuolin. Les intérêts de la France se sont considérablement développés depuis la mise en place des premiers postes, l’agence consulaire de Harbin en 1907 et le vice-consulat de Mukden en 1908.
Harbin : Henri Lépice, Charles Lépissier et Louis Reynaud 1918-1938
27Harbin est situé à l’intersection du Sudmandchourien et du Transmandchourien, dont la construction a été financée par la Banque russo-chinoise, la majeure partie des capitaux ayant été fournie par des banques françaises, dans le cadre des emprunts franco-russes. Avant 1914, il y avait peu de Français et beaucoup plus de protégés, Grecs, Ottomans, Arméniens qui constituaient surtout des sources de problèmes pour la France. Mais après la première guerre, de grandes maisons françaises s’y établissent, Roederer, Martell, Cusenier, Pathé-frères qui se livrent à l’importation de champagnes, phonographes, cinématographes, liqueurs, parfumeries de luxe, et à l’exportation de graines oléagineuses et de fourrures. Elles viennent s’ajouter à des petits commerces présents déjà depuis plusieurs années, comme la maison Charles Blanche, salon de coiffure important des parfums et articles de Paris, et la maison Marius Laurent, qui vend tissus, draperies et étoffes diverses, mais aussi vins, liqueurs, parfums et articles de Paris. D’autres sociétés, dont les sièges sont à Pékin ou Tianjin, notamment la Société forestière de Hai-lin Galusier et Cie, déjà bénéficiaire de deux riches concessions à proximité du chemin de fer russe de l’Est chinois, viennent rechercher des concessions minières et forestières dans les provinces du Jilin et du Heilongjiang8. Mais ce n’est pas tout. Après la révolution et la fin de la reconnaissance des autorités consulaires et diplomatiques du régime impérial, des sociétés russes sont devenues françaises, la Sucrerie et Raffinerie d’Ashiho (polono-russe), les Moulins du Soungari et les Téléphones interurbains. Chacune conserve son personnel, son organisation et sa comptabilité. Mais arbore le drapeau tricolore et a un président du Conseil d’administration français qui occupe d’ailleurs un autre emploi, l’un étant sous-directeur de la Banque russo-asiatique, un autre capitaine d’infanterie coloniale9...
28Le dernier titulaire de l’agence consulaire ayant favorisé les entreprises illicites de protégés français, et notamment le commerce de l’opium, le Département décide d’ériger le poste en vice-consulat et de le confier à un agent des Affaires étrangères. Une autre raison motive cette décision : face aux événements survenus en Russie, Harbin devient un centre d’observation de première importance. Le vice-consulat est institué le 11 avril 1918, Henri Lépice en prend la direction à partir du 2 mai. Cet agent a déjà de longues années d’expérience en Chine, notamment à Mukden et Yunnansen, où il s’est brillamment distingué lors des affrontements entre troupes yunnanaises et sichuanaises. Sa nouvelle résidence est une « ville champignon » passée en peu de temps de 70 000 habitants à plus de 550 000, dont quelque 250 000 Russes et 300 000 Chinois. Lépice loue un vaste immeuble pour abriter le consulat, avec un appartement pour lui-même, une chancellerie et un logement pour un vice-consul, une annexe pour un auxiliaire, et même un logement possible pour un deuxième vice-consul. Mais il ne reste qu’un an à Harbin, jusqu’en mai 1919. La gérance de poste est alors confiée à un jeune élève-interprète, Victor Robert, puis à Armand Hauchecorne, jusqu’à l’arrivée du nouveau titulaire Charles Lépissier le 17 juin 1920.
29Ce dernier vient tout juste de se marier et arrive avec son épouse. La jeune femme a beaucoup de mal à s’acclimater à ce rude climat de Mandchourie. En revanche, les deux premiers enfants nés à Harbin, Henri le 6 avril 1921, et Geneviève le 29 janvier 1923, sont de vrais petits Sibériens, écrit Lépissier à Berteaux lors de sa demande de congé, « ils sont frais et bien portants avec 40° de froid, la moindre chaleur les indispose ». Ayant besoin d’un collaborateur, Lépissier obtient le concours de Raoul Blondeau, tout récemment nommé interprète, au mois de février 1921. Blondeau fait la connaissance d’une Russe blanche, Hélène Povaroff, qu’il épouse en novembre 1922. Ce mariage n’est guère du goût de Lépissier qui, lors de son départ en congé en 1924, refuse de laisser la gérance du poste à Blondeau. Furieux, ce dernier demande une mutation, et est remplacé, en octobre 1924, par un jeune commis de chancellerie du consulat de Tianjin, Pierre de Franqueville...
Figure 5 : Rue de Harbin (Carte postale - Collection privée).
30Conformément aux clauses du traité de Washington, les Japonais retirent leurs troupes de la Mandchourie septentrionale, à la fin du mois de septembre 1922, laissant la sauvegarde de tous les intérêts chinois et étrangers à la seule garde des autorités chinoise10. Zhang Zuolin à Mukden, n’entend pas se soumettre à l’autorité de Pékin. Lors d’un entretien au début du mois de septembre avec Lépissier, il lui déclare qu’il n’a qu’un seul objectif : reprendre les hostilités contre le parti du Zhili. Il ne lui cache pas que, dans ce but, il sollicite le concours des Européens. Après le désistement de deux aviateurs-instructeurs, un Français et un Anglais, qui ont refusé des conditions de travail jugées ridicules à leurs yeux, Zhang Zuolin fait appel à des Russes beaucoup moins exigeants. Outre son désir de constituer une Légion étrangère, il a décidé également la construction d’une route stratégique « automobilable », reliant Mukden au Jehol. Selon Lépissier, il aurait également passé commande de matériel roulant à des Français de Pékin, les frères Boixo, qui se seraient adressés à l’industrie italienne, déplore le consul. Des wagons entiers d’armes et de munitions provenant des derniers dépôts russes ou japonais des Provinces maritimes, sont entreposés dans un arsenal dont la construction se poursuit activement à Mukden par une société germano-danoise. Malgré l’interdiction d’importation qui frappe ces armes, la Douane est impuissante à la faire respecter. Des troupes se pressent à l’arrivée des trains et s’opposent brutalement à tout contrôle. Zhang Zuolin se heurte aux protestations des Anglais qui veulent l’empêcher d’utiliser le chemin de fer pour transporter ses troupes à Pékin et à Tianjin (les Anglais soutiennent en effet son adversaire Wu Peifu). Le 12 août, il convoque tous les résidents britanniques et américains dans sa demeure privée à Mukden. Après les avoir fait attendre plus d’une heure dans l’antichambre réservée à son personnel, il leur fait une scène épouvantable, leur déclarant avec courroux qu’il professe le plus profond mépris pour leurs représentants officiels, et les prévient, qu’en raison des campagnes de presse menées contre lui par les journaux anglais, il dégage totalement sa responsabilité des troubles qui pourront se produire contre eux : « On ne peut imaginer attitude plus insolente, commente Lépissier, en d’autre temps, elle eût comporté d’autres suites. » Le consul fait allusion à la politique de la canonnière qui eut ses effets autrefois...Cependant il admet que la position de la France est meilleure que celle des autres Européens et qu’elle est encore l’objet de quelques égards.
31Comme on l’a vu plus haut, Zhang Zuolin, battu au mois de mai 1922 par Wu Peifu, est contraint de regagner son territoire. Il semble être très frappé par sa défaite, signale Lépissier. Depuis son échec, il s’est de plus en plus confiné dans ses trois provinces de l’Est, et paraît s’écarter de la gestion des affaires. Il se tourne vers le mysticisme et a construit une pagode où, chaque jour, il fait des sacrifices à la mémoire des soldats qu’il a fait tuer inutilement pour la poursuite de ses ambitions personnelles. Son proche entourage, trop heureux de retrouver quelque liberté, le pousse dans cette voie, et ne l’empêche nullement de se droguer à l’opium, vice dont il a tenté vainement de se corriger. Parmi eux, son fils Zhang Xueliang qui rêve de lui succéder. En réalité, Zhang Zuolin, tirant les leçons de sa défaite, emploie les deux années suivantes à se refaire une santé militaire en vue de prendre sa revanche, grâce aux Allemands et aux Français. Se défiant de Charles Lépissier qui favorise les Russes, c’est essentiellement grâce à l’attaché militaire de la légation, le colonel Roques, que le maréchal parvient à se faire livrer des avions. Lors de la signature du traité Karakhan-Wellington Kou avec la Russie le 31 mai 1924, il refuse les décisions prises par le gouvernement de Pékin, et s’en prend à la Banque russo-chinoise, dont une partie des capitaux sont français. Lépissier est d’avis qu’il n’y a qu’une seule voie possible, s’entendre avec les Russes pour sauvegarder les droits de la Banque. Cette décision de Lépissier de favoriser les Soviétiques, le chemin de fer de l’Est et la banque russo-chinoise, envenime ses rapports avec Zhang Zuolin qui rompt toutes relations avec le consulat. Le départ en congé de Lépissier, le 16 octobre, est une bonne occasion pour le déplacer dans un autre poste (Yunnanfou), Zhang Zuolin ne voulant absolument plus de sa présence à Harbin. On fait venir en catastrophe de Tianjin le jeune commis de chancellerie Pierre de Franqueville pour le remplacer, en attendant la venue d’un autre titulaire, l’interprète Louis Reynaud.
32Ce dernier étant encore en France, le ministère rappelle Henri Lépice, consul-adjoint à Pékin, qui connaît bien le poste puisqu’il en a assuré la réouverture. Il rentre tout juste de congé, et à son arrivée à Hong Kong, trouve un télégramme lui ordonnant de se rendre immédiatement à Harbin. Faute de bateaux, Lépice ne peut quitter Shanghai que le 25 octobre, et le 31 octobre prend la direction du consulat des mains de Pierre de Franqueville. Prévenu au dernier moment, il n’a pas eu le temps de se munir des vêtements, literies et couvertures nécessaires pour un séjour en Mandchourie. Tout est resté à Pékin, et la guerre civile qui fait rage dans la région l’empêche de se rendre dans la capitale pour récupérer ses affaires. Il s’en plaint dans une lettre à Berteaux le 13 novembre11 : « J’ai dû, par surcroît, me procurer pour mon installation de fortune de la vaisselle, des verres, des couverts de table, des couvertures de lit, du linge, etc. D’où nouvelles et ennuyeuses dépenses, et je ne vais pendant cette gérance toucher que les 2/3 du traitement de mon prédécesseur. Franchement, celui-ci aurait bien pu retarder son départ d’un mois ! ou me laisser le matériel nécessaire. » Puis il critique violemment la gestion de son prédécesseur :
« J’ai trouvé ici de Franqueville, commis de chancellerie de Tianjin, arrivé quelques jours avant moi et qui pataugeait de son mieux et courageusement dans les affaires. Je dois vous dire, à titre strictement personnel et confidentiel, que ce poste de Mandchourie, qui avait été créé par vous et moi au prix de grands efforts et beaucoup de travail, est maintenant à vau l’eau. La chancellerie est sabotée : actes irréguliers, nuls, égarés, successions en retard depuis des années, et également mal tenus, dépôts d’argent à la traîne en banque ou dans les coffres sans actes de dépôts, sans renseignements précis sur leur origine, registres mal tenus, dossiers en désordre, perceptions irrégulières ou absence de perceptions, passeports délivrés quelquefois avec deux copies (sans photographies) ce qui augmente les fraudes, sont des choses qui sautent aux yeux. Nous avons pensé, Franqueville et moi, faire une déclaration officielle au Département en vue de dégager notre responsabilité, nous y renonçons pour l’instant pour ne pas créer d’ennuis à nos collègues. Ce pauvre Reynaud aura un travail très pénible pour remonter le courant [...] Les intérêts pécuniaires de l’État ont été négligés, la chancellerie ne rend pas ce qu’elle pourrait rendre. Et cependant le poste de Harbin coûte cher à l’État. La politique suivie par mon prédécesseur, blanche jusqu’à l’extrême en faveur du Chemin de fer de l’Est chinois et de la Banque Russo-asiatique, considérés ici comme deux annexes du consulat, rendra difficile, pendant longtemps peut-être, notre action. Car les Blancs du Chemin de fer ont été arrêtés et emprisonnés. Les Chinois nous en veulent de les avoir soutenus avec plus d’énergie que s’il s’agissait de nos nationaux et les Rouges sont devenus ici les maîtres. Zhang Zuolin traité par nous trop cavalièrement, avait rompu ses relations avec le consulat de France, et c’est Zhang Zuolin qui est maintenant un des maîtres de la Chine. Bref, comme vous le voyez, je ne ferai pas ici un séjour agréable, et j’ai hâte de retourner à Pékin. Je suis sûr d’ailleurs que Reynaud a toutes les qualités de pondération et de travail pour remettre les choses au point et remettre le poste à flot. Nos précédentes relations et le travail commun que nous avons accompli ici m’obligent à vous mettre au courant, mais je vous supplie de conserver à cette lettre son caractère personnel et confidentiel. »
33Le nouveau titulaire du consulat Louis Reynaud s’embarque le 9 octobre 1924, sur l'Angkor, sans son épouse qui ne le rejoindra qu’un an plus tard. Il fait toute la traversée en compagnie de Pierre Crépin et de sa famille qui regagnent Shanghai. Les deux hommes ignorent encore qu’ils vont se retrouver un an plus tard, lorsque Crépin sera appelé à Mukden. Reynaud prend son service le 24 novembre 1924, libérant Henri Lépice. Reynaud a déjà une grande expérience de la Chine où, dès 1905, il a travaillé au service du chemin de fer du Yunnan, avant d’être nommé élève-interprète en 1907. Avant son congé, il assurait la direction du consulat de Pakhoi et Tonghing. Il est promu premier interprète le 5 avril 1925, et devient titulaire du consulat le 1er novembre 1926. D’emblée, il sait se montrer beaucoup plus conciliant que Lépissier. En septembre 1927, il obtient que la Société du chemin de fer de l’Est chinois maintienne le contrat du Comptoir sidérurgique pour la fourniture des deux tiers des rails, alors que les Chinois n’en voulaient que la moitié. De plus, grâce aux efforts conjugués du ministre à Pékin Damien de Martel et de Pierre Crépin à Mukden, la même société accepte que la construction d’un réseau de lignes téléphoniques soit confiée à la Société française des téléphones interurbains, qui obtient, en outre, une commande de téléphones automatiques pour la ville de Mukden. De Martel en fait part au ministère :
« Un accord a été signé le 20 juin entre le gouvernement des trois provinces de Chine et le gouvernement de l’Union soviétique, pour l’établissement d’une ligne téléphonique de longue distance entre Harbin et Vladivostok d’une part, et Harbin et Chita de l’autre. Le Chemin de fer de l’Est chinois, qui est le principal intéressé, doit subventionner la nouvelle entreprise en versant à chacune des deux parties contractantes, 1 500 000 $ mexicains. Le premier versement de 750 000 $ a été reçu par la partie chinoise le 27 juin à Harbin et doit être déposé le 1er juillet à Tianjin, à la Banque de l’Indochine. La conclusion de cet accord que je me suis efforcé de faire aboutir en intervenant en faveur de la Société française des téléphones, présente pour notre industrie de sérieux avantages. Il a en effet pu être entendu avec l’administration chinoise que c’est à la Société française des téléphones interurbains que sera confiée la construction dont il s’agit et que tout le matériel commandé en 1925 par le Chemin de fer Tianjin-Pukow et encore impayé, sera utilisé pour cette nouvelle ligne. Il y a lieu d’observer que le premier versement permettra de placer en France des commandes d’environ 200 000 $ mexicains. La société a reçu l’assurance que c’est à elle que serait réservée une commande de téléphone automatique pour Mukden, portant sur 600 000 $ mexicains. L’accueil qui a été réservé à mon intervention comme à celles de nos consuls à Mukden et Harbin est en effet un nouveau témoignage de l’estime dans laquelle l’industrie française est tenue par les autorités de Mandchourie. »
34Après la disparition de Zhang Zuolin, son fils Zhang Xueliang lui succède, mais il se défie du consulat et des Français en particulier, après avoir découvert que les avions vendus à son père étaient d’un prix beaucoup trop élevé et surtaxés. Il se tourne alors vers d’autres fournisseurs, et plus particulièrement les Américains. Lors de son départ en congé, le 7 avril 1930, Reynaud remet le service à Albert Cadol jusqu’au 15 novembre suivant. À partir de novembre 1931, un jeune interprète de 22 ans, Albert Chambon, vient seconder le consul, et est chargé de la chancellerie jusqu’à la fin septembre 1933. Après la mainmise des Japonais sur la Mandchourie, en septembre 1931, toutes les maisons françaises disparaissent, à l’exception de l’International Savings Society. Se pose alors la question du maintien du consulat, ainsi que celui de Mukden, d’autant que la France, comme les autres Puissances, refuse de reconnaître le nouvel état du Mandchoukuo. Le ministère décide cependant de maintenir les deux postes, afin d’avoir des observateurs dans cette région où va se jouer l’une des plus grosses parties politiques du monde, signale le ministre à Pékin Auguste Wilden. À la fin du mois de novembre 1931, ce dernier demande pour Louis Reynaud (24 ans de service) et pour Pierre Crépin (25 ans) le grade de consul de 2e classe. Tous deux ne sont encore qu’interprètes, alors qu’ils occupent des postes de la plus haute importance. À partir de janvier 1932, Reynaud assure la protection des sujets helvétiques, la Suisse possédant seulement un consulat général à Shanghai et un consulat à Canton, et le 10 janvier 1933, à la mort du consul de Belgique, il prend également en charge la défense des intérêts belges. Il est enfin élevé au grade de consul de 2e classe, le 26 avril 1933.
35Avec les Japonais, la Mandchourie qui était déjà une province particulièrement riche, voit son activité économique croître considérablement, grâce à l’augmentation du commerce extérieur, et à la stabilisation de sa monnaie. C’est le constat que fait René Waché, secrétaire-interprète venu remplacer le vice-consul Pierre Francfort, au mois de juin 1935. Reprenant les données du Bulletin du musée commercial de la ville, il dresse un tableau de la situation économique, exportations et importations comprises. Les Japonais tiennent dans leurs mains pratiquement toutes les entreprises, les autres nations ayant une moindre part : onze banques japonaises pour deux russes, une américaine et une française ; cent un hôtels-restaurants et salons de thé contre trente russes ; dix-neuf hôpitaux et six théâtres. Au total, il n’existe que neuf maisons françaises, onze anglaises, trois italiennes mais trente-huit américaines et vingt-trois polonaises...
36Après quatorze années passées dans ce poste, entrecoupées de deux congés, le premier en 1930 et le deuxième en 1934 (pendant lequel le vice-consul Henri Bonnafous assure la gérance), Reynaud partira seulement le 10 juin 1938, suivi à la fin de la même année par René Waché. Reynaud est remplacé par Jules Leurquin qui apprend sa nomination à Royat, dans le Puy de Dôme, où il est en train de terminer sa cure. Il quitte Paris le 27 mai, prend le Transsibérien, et arrive le 6 (ou 10 juin) 1938. Bien que titulaire de Mukden, Leurquin préférera rester à Harbin.
Mukden : Pierre Crépin 1925-1937 et Robert Germain 1937-1941
37Vice-consulat créé le 23 mars 1908, transformé en consulat le 23 juillet 1911, ce poste a été confié à Fernand Berteaux jusqu’à son retour définitif en France en septembre 1917 (Berteaux sera ensuite nommé chef du Personnel). Géré ensuite par Armand Hauchecorne, le consulat est fermé au début de janvier 1920 et est rouvert par Pierre Crépin, le 9 novembre 1925. Le maréchal Zhang Zuolin après sa victoire sur Wu Peifu en novembre 1924, a annoncé au chargé d’affaires Jean Tripier, et au consul de Tianjin Emile Saussine, qu’il souhaitait l’ouverture d’un consulat français à Mukden, où sont déjà installés les représentants des États-Unis, du Japon et de la Grande-Bretagne12. Le maréchal, qui désire voir s’établir une collaboration économique et militaire franco-chinoise, est favorable à la création d’une banque française à Mukden, à laquelle il est prêt à assurer son concours financier. Ayant déjà fait de nombreuses commandes à l’industrie aéronautique française, par l’intermédiaire de l’attaché militaire à Pékin au cours des deux années précédentes, sa tâche sera facilitée par la présence d’un représentant français sur place, fait-il valoir. Pour finir, la création d’un consulat à Mukden arrange bien le ministère, qui en profite pour supprimer celui de Zhifu (ce dernier ne jouant plus aucun rôle) : « Il y a tout intérêt, assure Tripier, à placer un agent en observation à Mukden pendant la durée des hostilités entre Zhang Zuolin et le gouvernement central, la censure exercée par ce dernier sur les correspondances postales et télégraphiques ne laissent filtrer que de rares informations sur ce qui se passe hors de Pékin, et rend plus pressant le besoin d’une liaison directe entre la Légation et la capitale de la Mandchourie. » Un décret du 14 juillet 1925 rétablit donc ce poste et, le 31 juillet, l’attribue à Pierre Crépin, à ce moment à Shanghai.
38Crépin a effectué à peu près le même parcours que son collègue Reynaud. Son diplôme de l’École des langues orientales en poche en 1905, il a décidé de partir en Extrême-Orient, sans attendre d’y être nommé par les Affaires étrangères. Il se fait engager comme interprète à la Société des chemins de fer indochinois, et est remarqué par le consul de Mengzi qui le signale à Edmond Bapst à Pékin et au ministre des Affaires étrangères. Avant d’être nommé élève-interprète en août 1906, il est employé au consulat comme chancelier substitué. Il est envoyé ensuite dans différents postes, avant de prendre la gérance de Longzhou et Nanning en 1916, puis celle de Yunnansen en 1922. À la suite d’un malencontreux incident, il s’est blessé à l'œil gauche et en a pratiquement perdu l’usage, malgré les soins qui lui ont été prodigués en France. Comme on vient de le voir, lors de son retour à Shanghai, le 9 octobre 1924, il se trouve sur le même bateau que Louis Reynaud appelé à Harbin. Pierre Crépin arrive donc à Mukden un an plus tard, le 9 novembre 1925, accompagné de son épouse et de ses deux petits enfants de 3 et 6 ans. Il a la désagréable surprise de trouver le bâtiment consulaire en piteux état. Fermé depuis 1920, il menace ruine. Des fissures lézardent les murs, les tôles ondulées de la toiture sont rouillées, les plafonds se sont écroulés en plusieurs endroits, laissant passer la pluie qui a détérioré tout l’intérieur. Les lames des parquets sont sérieusement abîmées et doivent être impérativement changées. De coûteuses réparations s’imposent, mais elles reviennent aussi cher que la construction d’un nouveau bâtiment, signale Crépin. Il lui est impossible d’habiter avec sa famille un endroit aussi délabré, et surtout d’y recevoir les autorités chinoises. Il y va de l’honneur de la France ! Il trouve refuge dans l’immeuble de la Banque Industrielle de Chine pour un loyer de 250 $ mensuels, laissant la chancellerie dans deux pièces du consulat. Il occupe ces locaux jusqu’en 1927. Ayant obtenu un congé au début de l’année 1928, le 19 mars, Crépin remet le service du consulat à Raoul Blondeau, et regagne la France, le 21, via la Sibérie. Son congé expirant le 9 octobre, il est obligé de demander une prolongation pour soigner sa vue qui s’est affaiblie. Il a, en outre, perdu définitivement l’usage de son œil gauche. Le ministère ne peut qu’accepter sa requête.
39Le 14 juillet 1928 son remplaçant, Raoul Blondeau, célèbre la fête nationale dans le nouvel immeuble qu’il occupe depuis le 1er mai. Dans le grand jardin, décoré aux couleurs nationales, de 11 h 30 à midi 30, il donne une réception à laquelle sont conviées deux cents personnes : les membres de la colonie française (Mgr Blois évêque de Mukden, les missionnaires et le personnel du Collège franco-chinois), les principales notabilités de la ville, consuls étrangers, fonctionnaires chinois civils et militaires, et les représentants du chemin de fer de l’Est chinois. Seul le général Zhang Xueliang, en deuil de son père, a décliné l’invitation, et s’est fait représenter par un officier de son état-major. Grâce à l’influence de Blondeau et de ses bons rapports avec Zhang Xueliang, la Compagnie internationale des Wagons-lits, au mois de septembre 1928, obtient, à deux reprises, le renouvellement de son contrat avec celle du chemin de fer de l’Est chinois. De plus, le jeune maréchal étant adepte de golf et de tennis, le 21 décembre suivant, un contrat est signé avec la maison française Brossard et Mopin de Tianjin, pour la construction d’un stade olympique d’une capacité de 12 000 spectateurs et d’une valeur de 238 000 dollars13 !
40Après la prise de tout le nord de la Chine, au mois de juillet, par les armées du Guomindang, le 29 décembre 1928, Blondeau signale, qu’à 7 heures du matin, le drapeau nationaliste rouge au soleil étoilé est arboré dans les Trois provinces. Les délégués de Nankin arrivent le même jour à Mukden pour parler de la réunification de la Chine. Mais l’entente entre le Nord et le Sud est plus apparente que réelle, même si Zhang Xueliang a fait allégeance à Nankin, fait remarquer Blondeau. Zhang Xueliang reste avec ses collaborateurs bien décidé à défendre son indépendance. Cependant, le 4 février 1929, les autorités civiles et militaires des Trois provinces prêtent serment à la nouvelle constitution du Gouvernement nationaliste de la Chine. La cérémonie a lieu dans la grande salle de réception du yamen du gouverneur civil du Fengtien. Une grande inscription en quatre caractères, « Joie universelle dans le monde entier », surmonte la porte d’entrée. Dans le fond, se trouve le portrait de Sun Yat-sen avec, à ses côtés, celui de Zhang Zuolin. À midi, Zhang Xueliang, accompagné des gouverneurs militaires de Jilin et du Heilongjiang ainsi que des gouverneurs civils des Trois provinces, fait son entrée dans la salle. Un délégué de Nankin l’accompagne. Pierre Crépin qui, deux jours plus tôt, vient de reprendre la direction du consulat, assiste à cet événement avec les consuls d’Allemagne et d’Italie, ceux du Japon et d’Amérique étant représentés par leurs vice-consuls. Mais les paroles de concorde et de paix du jeune maréchal s’accordent mal avec les intentions affichées des vieux généraux de reprendre la campagne au printemps suivant. Le 28 février 1929, Zhang Xueliang refuse de coopérer avec Nankin à une campagne contre Zhang Zongchang dans le Shandong, prétextant le mauvais état des finances de sa province, et la réorganisation de ses troupes qu’il a dû licencier en partie. Il refuse également d’envoyer à Nankin la somme de cinq millions de dollars, et de mettre en circulation les billets émis par Nankin. En définitive, signale Pierre Crépin le 16 mars, l’influence nationaliste se fait encore peu sentir en Mandchourie. Nankin y a envoyé des délégués pour y développer la propagande, et a installé une administration conforme aux idées du Guomindang, mais ces délégués sont cantonnés à des emplois subalternes et ne jouent aucun rôle. Cependant, lorsque le parti d’extrême gauche de Wuhan et les généraux du Guangxi tentent un mouvement séparatiste, les chefs des Trois provinces du Nord les condamnent et entendent rester maîtres chez eux et obéir seulement aux injonctions de Nankin... à condition qu’elles ne soient pas incompatibles avec leur propre politique et leurs intérêts personnels.
41Le 10 juillet 1929, une crise intervient entre le gouvernement de Nankin et les Soviétiques. Chiang Kai-shek fait expulser de Harbin le directeur russe du chemin de fer de l’Est, et y installe un directeur chinois. Le gouvernement soviétique proteste et exige le rétablissement de son ressortissant. Le généralissime refuse. Le 19 juillet, Pierre Crépin envoie un télégramme à Henri Cosme, l’informant que toutes les communications sont rompues entre Harbin et la Russie, et qu’au vu de la situation, il se réfugie à Tianjin, attendant les instructions de l’ambassadeur de France au Japon, Damien de Martel. La situation étant redevenue plus calme, il revient à Mukden. Mais les Russes envahissent la Mandchourie au mois de décembre et battent les Chinois. Après la signature d’un armistice, fin décembre, qui décide l’évacuation des troupes russes et chinoises, une conférence doit régler le sort du chemin de fer. Cette question va être enterrée en septembre 1931, lors de l’invasion de la Mandchourie par les Japonais.
42Pour l’heure, au mois de mars 1930, Zhang Xueliang demande au gouvernement français de faire réparer le consulat, sous peine de voir le bail perpétuel du terrain annulé. Situé dans un des plus beaux quartiers de la ville, la bâtisse, complètement délabrée, ne fait guère honneur à la France, tout en portant atteinte à l’esthétique du quartier. Le gouvernement français promet d’y remédier et les crédits prévus à cet effet sont inscrits au budget de 1932. Le 3 décembre 1930, un arrêté du ministère décide d’inclure le territoire de Dairen à la circonscription consulaire de Mukden. Cette mesure nécessite une commission spéciale accréditant Crépin auprès des autorités japonaises. Le 18 septembre 1931, la Mandchourie étant tombée sous la coupe totale des Nippons, tout est remis en question. Pierre Crépin ayant eu à subir tous ces événements, est élevé au grade de consul de 2e classe, le 26 décembre 1931. Eprouvé par tous ces troubles, il tombe malade, et menacé par une congestion du foie, est obligé de partir précipitamment le 13 juillet 1932, laissant la direction de son poste au jeune élève-interprète Amédée Beaulieux, jusqu’à l’arrivée de Henri Bonnafous, le 1er septembre.
43Crépin est de retour à son poste début juin 1933. Au mois d’avril 1935, par suite du manque de personnel et de départs en congé, il est obligé d’aller à Tianjin pour gérer le consulat, et remet le service à l’interprète David Rhein jusqu’à son retour au début du mois de décembre. L’hiver 1935-1936 est extrêmement rigoureux. Crépin est seul séparé de sa famille qui est retournée en France au mois de juillet précédent pour les études des enfants. Très déprimé, il demande un congé. Au mois de juin 1936, il remet le service au jeune Amédée Beaulieux, qui revient gérer le consulat une deuxième fois jusqu’à son retour, le 5 mars 1937. Crépin reste peu de temps. Après les événements de juillet 1937, il est nommé à Yunnanfou et quitte Mukden le 21 août, après avoir remis la gérance du consulat à Robert Germain.
44La nomination de Germain à ce poste arrange tout le monde. En premier lieu, le titulaire Jules Leurquin qui, nommé à Mukden en juin 1937, n’y est jamais venu, et a préféré rester au consulat de Harbin dont il assure la gérance depuis son retour de congé. Mais aussi le chef du Personnel, particulièrement satisfait des services de Germain, et soulagé, surtout, d’avoir pu le caser dans ce poste isolé où personne ne veut aller en raison de l’occupation japonaise : « Il réussit très bien [...] Sa correspondance est une des meilleures des postes de Chine. Il n’a qu’un défaut, il boit, mais à Mukden, cela a moins d’importance qu’ailleurs... » Germain peut en effet se livrer tranquillement à ses coupables tendances, un amour immodéré pour la « dive bouteille » ! À Mukden il n’y a aucun Européen, excepté son épouse et une vieille parente qu’il a recueillie. Veuve d’un militaire, elle n’a plus ni toit ni proches, ni ressources personnelles. Sa seule famille est madame Germain qu’elle a élevée comme sa propre fille. Quant à Germain, il est tout à fait satisfait de son sort, et fait bon ménage avec les Japonais dont il parle la langue. Il fait parvenir de nombreux rapports politiques et économiques au ministère, qui lui valent une lettre officielle de félicitations d’Henri Hoppenot, maintenant sous-directeur d’Asie. Germain va rester à ce poste jusqu’à sa nomination à Hankou, en mars 1941.
Tianjin dans la province du Zhili : d’Henri Bourgeois à Charles Lépissier 1916-1937
Henri Bourgeois, Emile Saussine, Marcel Bandez et Lucien Colin 1916-1931
45Le poste de Tianjin est l’un des plus importants de Chine, en raison de la présence de la concession et du Corps d’Occupation de Chine. Au point de vue économique, Tianjin, depuis dix ans, est passé devant Canton et Hankou, et vient juste derrière Shanghai. La concession compte 30 000 habitants, et dispose d’un budget de 4,5 millions de francs. Elle est en plein essor depuis la fin de la guerre. Sa superficie a été agrandie d’une façon totalement arbitraire, le 20 octobre 1916, par décision unilatérale du consul Henri Bourgeois, les autorités chinoises n’ayant pas satisfait les demandes d’extension revendiquées depuis 1902. Après un ultimatum deux jours plus tôt, sommant la police et les fonctionnaires chinois de quitter le quartier dit du Temple de Haikouan, Laoxikai, Bourgeois a fait occuper les lieux par le commandant du Corps d’Occupation, aidé par les policiers franco-annamites, avec l’accord tacite des Anglais, des Russes et des Japonais. Malgré sa demande de rappel par la population (ainsi que du ministre à Pékin Alexandre Conty) et le boycott de tous les produits français, les autorités locales ont fini par renoncer à administrer ce quartier, et à admettre que la municipalité française y exerce un simple droit de police, mais sans y appliquer les règlements municipaux et y prélever de taxes. La face étant ainsi sauvée, l’agitation et la colère contre les Français sont retombées peu à peu14. Ces derniers se sont empressés d’ouvrir des routes sur ce nouveau territoire. Laoxikai qui ne comptait que quelques habitations en chaume et en terre et une faible population de paysans, coolies et mendiants, a vu le nombre de ses habitants croître d’une façon spectaculaire pour atteindre 15 000 à 20 000 résidents quatorze ans plus tard...
Figure 6 : Maison des interprètes et chanceliers du consulat de Tianjin (MAE, série F immeubles, AO 12308, photo anonyme, 1er janvier 1930).
46Dominée par des immeubles modernes (le Trust Building), et même quelques gratte-ciel rue de France (celui de la Qin Hua Bank), la concession française est quadrillée par un réseau de belles rues asphaltées de douze à vingt mètres de large, bordées de larges trottoirs plantés d’arbres, et pourvues de l’éclairage électrique. L’installation d’un réseau d’égouts a permis d’équiper tous les immeubles d’installations sanitaires modernes et d’un système d’eau potable. Un service d’incendie a été mis en place ; un jardin d’agrément a été aménagé, une école municipale pour les enfants chinois et une autre pour les français ont été construites. Plus de mille deux cents mètres de quais en ciment armé, avec de larges terre-pleins pour le déchargement des navires, bordent les berges du fleuve. Enfin, par un accord avec l’administration chinoise des téléphones en 1927, le réseau téléphonique a été amélioré et entièrement automatisé. Après quatre-vingts ans d’administration française, la concession est devenue une ville homogène, bien tenue et d’une sécurité absolue, particulièrement appréciable par ces temps de troubles. On compte environ trois cents maisons de commerce de gros et demi-gros (import-export), plusieurs grandes banques et établissements de crédits et, du côté chinois, une cinquantaine de banques et plus de mille maisons de commerce, la plupart étant des petits commerces de détail. À côté du quartier moderne, existe un lieu extrêmement original très apprécié des Chinois (et aussi des étrangers), « l’Hôtel des trois cents femmes ». Contrairement à son nom, ce n’est pas un lupanar (ou si peu), mais une maison de jeux où les Chinois aiment à se retrouver pour jouer au Mah jong, car ils ne reçoivent jamais chez eux. Dans cet endroit privilégié, des jeunes femmes mettent leur studio à la disposition des joueurs, et leur fournissent boissons et nourriture contre un pourcentage sur les gains ; et parfois même de l’opium bien que cela soit défendu sur la concession française. Inutile de dire que des rencontres plus intimes sont également organisées dans le plus grand secret...De l’autre côté du Pei Ho, se trouve la concession italienne, à laquelle on accède par le pont international. Les étrangers peuvent y trouver une vaste salle de sport où est pratiqué un jeu très particulier et étonnant en ce lieu...la pelote basque avec grande chistera.
47Tianjin occupe également une place politique à part. C’est en effet dans cette ville que se tiennent les réunions des hommes politiques chinois qui profitent de la sécurité que leur procurent les concessions. Fin avril 1922, les trois grands chefs militaires du Nord, Zhang Zuolin, Cao Kun (chef du Zhili) et Wu Peifu (accompagné de Wang Zhanyuan du Hubei-Henan) y tiennent réunion et convoquent le premier ministre de Pékin pour lui dicter leurs volontés. La même chose se reproduit après la victoire de Zhang Zuolin sur Wu Peifu, à la fin de 1924. Les mêmes, une fois évincés du pouvoir, ne se gênent pas pour y trouver refuge.
48Émile Saussine a succédé à Henri Bourgeois en mars 1919 et ne reste que jusqu’en septembre. Quelques mois auparavant, il a subi une très dure épreuve. Alors qu’il avait demandé à rentrer en France où son fils, très gravement malade, était en train de mourir, il a été obligé de rester à son poste. Seules son épouse et sa fille ont pu quitter la Chine à temps. On peut imaginer quelle a pu être la douleur d’un père qui n’a pu assister, ni aux derniers moments de son enfant, ni à ses obsèques, simplement pour des raisons de service. Au mois de septembre, le ministère a fini par lui accorder son congé. Pour le remplacer, on a fait appel au vice-consul de Chongqing, Marcel Baudez, un agent très apprécié de ses supérieurs, qui par la suite occupera des postes importants. À peine arrivé, le malheureux Baudez est atteint de tous les maux, furonculose, anthrax, phlegmon ligneux et doit subir pas moins de vingt opérations, tout en continuant son service ! Ce qui suscite la plus vive admiration du ministre Auguste Boppe à Pékin qui loue son courage et son dévouement. Mais à bout de force, et sur ordre du médecin du consulat, Baudez est rapatrié le 20 mars 1920. L’interprète Jules Médard prend en charge la gérance du consulat jusqu’au retour d’Émile Saussine le 31 mai. Il est finalement titularisé à ce poste au mois d’octobre, après le décès d’Henri Bourgeois.
49Comme son prédécesseur et bien avant lui Gaston Kahn, Saussine se plaint du manque de personnel, et demande à plusieurs reprises que son poste soit érigé en consulat général, en raison de l’importance politique et économique du port de Tianjin. L’Angleterre, les États-Unis, le Japon et la Belgique en sont déjà pourvus, seules la France et l’Italie font exception, insiste-t-il. Il renouvelle sa demande le 11 février 1922, signalant, en outre, que l’Allemagne vient elle aussi d’en ouvrir un, alors qu’elle n’avait qu’un simple consulat avant la guerre. Saussine, comme ses autres collègues, s’étonne que ce pays vaincu, privé de sa concession, et qui se dit incapable vis-à-vis de la France de faire face à ses obligations financières, ait les moyens de rétablir un consulat général :
« Quel que soit mon désir d’éviter toute démarche pouvant être interprétée comme une intention d’accroître ma situation personnelle, il m’est difficile de ne pas attirer la haute attention du Département sur l’humiliation que j’éprouve en tant que Français, à voir que les grandes Puissances, Grande-Bretagne, Japon, États-Unis et jusqu’à la Belgique et maintenant l’Allemagne elle-même, ont à Tianjin des consulats généraux. La transformation en consulat général que M. Kahn avait demandée il y a plus de 10 ans, est amplement justifiée par l’importance politique et économique de cette ville et par celle des intérêts dont il assume la charge et qui tient, 1) au nombre de ses ressortissants (la colonie française est la plus nombreuse après Shanghai), 2) à l’importance du commerce de Tianjin (environ 2 milliards et demi de francs), 3) à l’existence d’une concession territoriale administrée directement par le Consul, et enfin, 4) à la présence du Corps d’Occupation français'15. »
50Il se plaint en outre de l’insuffisance de son traitement et des fonds affectés à son poste. Les frais de service se montent à plus de 32 000 francs et il n’a pu tirer que 23 000 francs, 9 000 restent donc à sa charge. Les dépenses imposées par ses fonctions à Tianjin sont considérables, fait-il remarquer. En premier lieu, les frais de réceptions officielles ou privées, auxquelles il ne peut échapper, puis l’achat d’un nouvel uniforme et d’une voiture, indispensable pour pouvoir se déplacer. Le représentant de la France est le seul à ne pas en posséder, ce qui le discrédite par rapport à ses autres collègues, se plaint-il. De plus, la suppression des bureaux de poste français en Chine (en 1923), va augmenter les dépenses de son consulat, désormais chargé des frais d’envoi du courrier qui atterrit à celui de Shanghai, ce dernier devenant l’agent de transmission de tous les postes français de Chine. Sensible aux doléances de Saussine, au mois de juin 1924, le ministère consent à élever de 6 800 à 7 500 francs l’allocation annuelle accordée à titre d’abonnement pour frais de service. Mais la vie augmentant sans cesse, en 1925, les dépenses dépassent les 50 000 francs, alors que l’ensemble des traites bleues que Saussine est autorisé à tirer, s’élève seulement à 29 688 francs. Il doit donc payer de sa poche sur les trois dernières années 45 000 francs supplémentaires et rappelle que ce sont surtout les frais de représentation qui sont les plus lourds. En sa qualité de consul de France, il est obligé d’accepter de nombreuses invitations et, par suite, de rendre la politesse : « Il y a là non seulement une obligation d’usage, mais une nécessité pratique : les relations personnelles qui entretiennent ces échanges sont entièrement utiles, non seulement aux intérêts du service, mais aussi à ceux de mes compatriotes. Le smoking et l’habit sont en Chine pour un consul des vêtements de travail. » Comme on l’a vu plus haut, Saussine multiplie en effet les réceptions en l’honneur de Zhang Zuolin, de son fils et de son chef d’état-major, à la demande du chargé d’affaires Jean Tripier à Pékin. Il faut à tout prix maintenir de bonnes relations avec le chef de la Mandchourie en vue d’obtenir des avantages pour l’industrie française.
51Après plusieurs années passées à Tianjin, Saussine part en congé au mois d’avril 1925, et remet le service à l’interprète Jules Médard qui assure la gérance du consulat jusqu’à son retour, en mars 1926. Jules Médard est le fils d’un des premiers professeurs de l’arsenal de Fuzhou, mis en place par Prosper Giquel dans les années 1870. Sa mère étant chinoise, le jeune Jules maîtrise parfaitement le mandarin, aussi bien que le français grâce à son père. Malgré ses aptitudes exceptionnelles et le concours précieux qu’il apporte à ses responsables, en raison de ses origines mi-chinoises, il est souvent victime des préjugés des Français. Et plus particulièrement des officiers de Marine, qui l’accusent injustement de manquer d’autorité et de favoriser les intérêts chinois, au détriment de ceux des Français.
52Comme dans le reste de la Chine, les tragiques événements de Shanghai du 30 mai 1925, suivis par ceux de Canton, entraînent des manifestations contre les étrangers à Tianjin. Jules Médard qui relate ces événements le 16 juin 1925, signale que le maréchal Zhang Zuolin prend l’affaire en main et garantit l’ordre dans les concessions16. Pour calmer les esprits, au mois de juin 1926, suivant l’exemple du consul Émile Naggiar à Shanghai, Émile Saussine, revenu à son poste depuis le 15 mars précédent, décide, conformément à l'article 12 du règlement organique de la concession, d’appeler au Conseil municipal un notable chinois, le docteur Chen. Contrairement à son collègue de Shanghai, le consul général n’a pas besoin de l’accord des autorités chinoises. Mais le délégué chinois n’a qu’une voix consultative, et ne prend pas part aux décisions du conseil, alors que cette mesure vient d’être instaurée à Shanghai par Naggiar. Le 29 novembre 1926, Saussine demande du personnel supplémentaire car son gendre, l’interprète Marc Duval appelé à Pékin depuis mars, n’a pas été remplacé. La situation risque de s’aggraver avec le départ prochain de Jules Médard qui a demandé un congé. Il est impossible de le lui refuser, Médard ayant accompli dix-neuf années ininterrompues de service dont seize à Tianjin. Le remplacement de ce précieux collaborateur est délicat, les attributions de Médard étant multiples. Il est spécialisé non seulement dans les affaires chinoises, mais aussi dans la procédure des affaires judiciaires françaises et mixtes, car il n’y a pas à Tianjin de magistrat de carrière en permanence, ni de cour mixte comme à Shanghai. La triple besogne, politique, administrative et judiciaire engendrée par la concession peuplée de 30 000 Chinois, exige que le chef du consulat soit secondé par un adjoint expérimenté. De plus, Saussine est sollicité pour prendre la présidence de la Commission internationale du Hai-ho qu’il a déjà occupée en 1924, pendant deux ans, avant son congé, à l’époque où le personnel du consulat était au complet. Il demande d’urgence l’envoi d’un consul adjoint, avant le départ de Médard. Le choix du ministère se porte sur Lucien Colin, interprète à Hong Kong, malgré les récriminations du consul de ce poste, Georges Dufaure de la Prade, qui ne veut pas se séparer de son collaborateur. Colin s’embarque le 7 novembre, et arrive le 15 novembre 1927 à Tianjin.
53Émile Saussine n’a plus que quelques mois à rester à Tianjin. Nommé attaché commercial pour la Chine, il rentre d’abord en congé en France, et le 31 août, confie le consulat à Lucien Colin. C’est une très lourde tâche pour un jeune interprète, le poste de Tianjin étant l’un des plus importants de Chine après celui de Shanghai. De plus, à ce moment, la situation politique est loin d’être sereine. Le jeune agent doit en effet subir l’arrivée des troupes nationalistes au mois de juillet suivant. Fort heureusement, à la fin du mois de février 1929, Colin reçoit du renfort en la personne de Jacques Meyrier, consul adjoint à Shanghai, qui vient assurer la gérance du poste. Autre satisfaction plus personnelle, au mois d’octobre 1930, Colin obtient l’autorisation de se marier et de faire venir sa fiancée, Mathilde Lerond, à Tianjin, par le Transsibérien. Le mariage est célébré à Harbin, le 2 décembre, dans la paroisse de Saint Stanislas par le père Ladislas Ostrowsky, les témoins des mariés étant le consul Louis Reynaud et son épouse Claire. Lors du départ en congé de Jacques Meyrier le 22 mars 1931, Colin reprend la direction du poste jusqu’à l’arrivée du nouveau titulaire Charles Lépissier, le 5 mai suivant. Il était temps, car des événements extrêmement importants surviennent quelques mois plus tard.
Charles Lépissier 1931-1937
54En effet, l’invasion de la province voisine de Mandchourie par les Japonais en septembre 1931 a des répercussions importantes à Tianjin. Et particulièrement sur le territoire de Laoxikai que les Japonais veulent investir, puis proposent de partager avec les Français17. Rappelons que depuis 1916, la municipalité de la concession n’y exerce qu’un simple droit de police. Pour contrer les demandes nippones et consolider la position française, dès le 1er janvier 1932, Lépissier décide d’y établir une police sédentaire et d’y construire une caserne, en accord avec les propriétaires chinois représentés par un conseil de notables. En juillet 1933, les Japonais vont plus loin. Des troupes nippones viennent manœuvrer, puis carrément installer des cibles de tir que Lépissier s’empresse de faire enlever, après avoir vainement protesté auprès du consul japonais. Pour parer à toute nouvelle provocation, et avec le plein accord des notables chinois qui en ont fait eux-mêmes la demande, en mars 1934 le consul décide d’étendre les règlements municipaux à Laoxikai, englobant ainsi le territoire dans la concession française.
55Mais au fil des mois, les empiètements nippons sont de plus en plus marqués vis-à-vis de la Chine et des Puissances présentes à Tianjin. Cependant, la France et les autres pays préfèrent garder la plus stricte neutralité, attendant la suite des événements. Le 1er février 1936, Lépissier écrit18 :
« Dans l’ordre des petits faits accomplis vers une indépendance définitive, on me signale déjà dans le Chahar : les bureaux de poste des six sous-préfectures réclamées par les Japonais, les timbres du Mandchoukuo sont vendus à l’exclusion des timbres chinois et dans les échanges commerciaux, les affaires se traitent en monnaie du Mandchoukuo et non plus en papier chinois... »
56Lépissier a aussi des problèmes avec le nouveau directeur chinois des Finances, qui remet en cause « un accord intervenu avec son prédécesseur au profit d’un abattoir dirigé par un Français à qui était concédé le droit d’abattre un certain nombre de porcs, contre un droit de transit acquitté hors concession, en territoire chinois et par les vendeurs chinois, sur le transport des animaux ». Ayant refusé de s’incliner, le consul doit faire face à une série de brimades : saisie de bétail qu’on laisse mourir en fourrière, confiscation d’une automobile française qu’on refuse de restituer. « Ces procédés avaient cours autrefois, lors des guerres civiles, tandis que le pays passait de mains en mains au gré de la fortune militaire. Pour ce qui nous concerne, nous n’en avions pas noté le retour depuis 1931, déplore le consul. On parle encore d’une offensive possible contre les recettes des douanes, la gabelle ayant de son côté fait des abandons sérieux déjà aux exigences locales. Pour le moment il n’y a rien à signaler de ce côté. » Ces histoires de timbres postes, de porcins et de voiture, sont simples broutilles comparées aux événements qui vont survenir par la suite...
57À partir de mai 1936, Lépissier commence à remarquer une agitation inaccoutumée. Le 21 mai, il signale au chargé d’affaires Henri Hoppenot qui vient de rentrer de Nankin, que « de gros mouvements de troupes japonaises sont en cours. Ils sont hors de proportions avec une relève normale, même annoncée comme devant être double de celles des années passées. Ils sont par surcroît accompagnés de gros transports de matériel [...] Ces accroissements d’effectifs sont suivis d’un gros afflux civil. La concession japonaise regorge aujourd’hui de Japonais nouveaux qui sont attirés sans aucun doute par l’attrait d’avantages prochains à exploiter ». Le 14 mai, un détachement de troupes nippones, composé de trois mille huit cents hommes, deux cents chevaux, quarante-quatre camions, quatre pièces d’artillerie de campagne et de deux chars, est arrivé du Japon à Qinhuangdao ; deux mille six cents hommes, quarante chevaux et vingt-quatre camions ont été dirigés sur Tianjin et le reste sur Shanhaiquan. Le 4 juin, Lépissier reçoit la visite du général Hopwood, commandant le corps d’occupation anglais, qui lui fait part de ses craintes d’un prochain conflit sino-japonais. Il prétend tenir de très bonne source que la guerre doit inévitablement éclater. La construction de casernes se poursuit activement, confirmant les paroles du général anglais. Très nerveux et inquiet, ce dernier commence à évoquer l’hypothèse d’une intervention des troupes occidentales. Mais il se heurte au colonel Hentschel, commandant des troupes françaises, qui, ayant déjà l’expérience de 1931, lui conseille d’observer la plus stricte neutralité et, comme lui, de réduire son activité militaire à la seule protection de sa concession : « Quant à présent, écrit Lépissier, localement rien ne parait justifier la crainte du commandant anglais. L’opinion prévaut que les Japonais éviteront la violence aussi longtemps qu’ils ne seront pas contraints à se défendre. » La région est vide de troupes chinoises, conséquence des accords de Tongkou (Tanggu), et il n’y a pas de risque de ce côté-là. Mais Lépissier craint des attentats isolés, totalement imprévisibles, et qui peuvent être inspirés par les Japonais eux-mêmes comme celui du 30 mai. Une bombe a en effet explosé sur la voie ferrée Tianjin-Tongkou, très peu de temps après l’arrêt de cinquante minutes d’un train spécial commandé par les Nippons, et comprenant deux wagons dans lesquels se trouvaient trente-huit soldats. Les Japonais ont-ils été renseignés à temps ou cet attentat peut-il leur être imputé, s’interroge Lépissier. Cet acte semble être le prélude des graves événements qui se produiront un an plus tard, le 7 juillet 1937, près de Pékin.
Zhifu et les agences consulaires de Qindao et Dairen19
58Le poste de Zhifu (Yantai) au Shandong n’a qu’une existence éphémère. Il est rétabli le 20 octobre 1921, à la demande d’Henri Bourgeois, consul à Tianjin, afin de soulager le travail de son consulat, et surtout de surveiller les menées japonaises et assurer la protection des missions catholiques. Zhifu est confié à Henri Fliche, le plus jeune agent des Affaires étrangères à avoir reçu la croix de chevalier de la Légion d’honneur en 1900, après le siège de Pékin par les Boxers. Depuis cette date, il n’est jamais revenu en Chine et, sans doute traumatisé par cette première expérience, il a refusé tous les postes qui lui ont été proposés dans ce pays. Cette fois, il ne se dérobe pas, et arrive à Zhifu le 10 avril 1922, après être passé par Pékin pour prendre les instructions du ministre Aimé de Fleuriau. Une centaine de ressortissants français sont présents dans ce petit port de la baie de Bohai. Le personnel de la mission catholique avec le siège du vicariat du Shandong oriental, outre l’évêque et son coadjuteur, compte une trentaine de missionnaires européens et une quinzaine de religieuses (Franciscaines, Missionnaires de Marie). Les œuvres dépendant de la mission comprennent un hôpital européen et deux chinois, deux dispensaires, deux orphelinats, une crèche et deux ouvroirs.
59Au point de vue commercial, deux maisons d’export-import, une agence de la Banque Russo-asiatique (qui fermera en 1928) sont présentes à Zhifu, ainsi que les fonctionnaires de la Douane, de la Gabelle et de la Poste chinoise, tous français, et quatre maisons grecques et une polonaise, protégées de la France. En définitive, le poste de Zhifu se révèle d’un intérêt médiocre. Lorsque Zhang Zuolin demande d’ouvrir un consulat à Mukden, le chargé d’affaires à Pékin, Jean Tripier puis Damien de Martel, proposent de le supprimer et d’envoyer Henri Fliche « inutile à Zhifu », à Mukden. Mais ce dernier ayant demandé un congé, le poste est fermé temporairement lors de son départ, le 31 mars 1926, avant de l’être définitivement, le 22 janvier 1929. À cette même date, est institué le consulat de Nankin, ouvert le 1er juin 1929 par Raoul Blondeau, à la demande de Chiang Kai-shek.
60Deux agences consulaires complètent la représentation française dans le nord de la Chine. Le 31 janvier 1929, le colonel Tattarinoff, ex-attaché militaire à la légation de Russie, est nommé agent consulaire à Qingdao. L’ancien colonel transforme son poste en un petit coin de la vieille Russie, en reconstituant autour de lui l’atmosphère de son pays, avec ses samovars et, sur les murs, des porcelaines de la manufacture impériale, représentant toutes les scènes familières de la vie de la capitale russe. Entouré de son épouse, de sa mère, de sa sœur et de ses cinq neveux (l’aîné Vladimir lui sert de secrétaire), Tattarinoff va rester à ce poste jusqu’à son décès en 1946. Le 24 octobre 1929, un autre émigré russe, John. V. Larioff, se voit confier l’agence consulaire de Dairen (Lüda), mise en place à la demande de Louis Reynaud. Larioff est un ancien instituteur de Transbaïkalie, devenu chargé de mission à Pékin pour la Chinese American Bank of Commerce de 1928 à 1929, avant d’être courtier20.
Postes du centre de la Chine
Chengdu et Chongqing au Sichuan
61Dans les années 1920, le Sichuan est une province pratiquement indépendante, en proie à des guerres incessantes que se livrent des factions rivales. Les généraux s’allient entre eux, puis se retournent les uns contre les autres, les uns prenant parti pour le gouvernement du Nord, les autres pour celui de Canton ou de Nankin. Comprendre l’enchevêtrement de toutes ces intrigues est une tâche extrêmement complexe et qui peut paraître dénuée de tout intérêt. Mais l’exemple de ces généraux du Sichuan montre à quel point de désagrégation est arrivée la Chine, après avoir été un état relativement centralisé sous l’Empire, même si certaines provinces échappaient au contrôle direct du pouvoir impérial. Cette complète anarchie peut expliquer également l’impuissance des consuls en poste dans les deux principales villes, Chongqing et Chengdu, qui doivent subir plusieurs sièges, et sont la plupart du temps coupés du monde extérieur. Ils ont tenté dans leurs rapports de démêler au mieux les fils de cet écheveau d’intrigues inextricables. Ce n’était guère chose facile, comme on va le voir ci-dessous.
Figure 7 : Consulat de Chongqing (Collection privée).
Marcel Bandez et Laurent Eynard au centre des combats entre Yang Sen, partisan de Wu Peifu, et les généraux favorables au gouvernement de Canton, avril 1921-mai 1925
62Le poste de Chengdu, consulat général jusqu’en 1917, a été rétrogradé en simple consulat et confié après le départ d’Albert Bodard en avril 1921 à Marcel Baudez. Baudez a débuté à Shanghai en 1906, puis a été interprète à Tianjin, vice-consul au consulat de Chongqing en remplacement également de Bodard, et est revenu à Tianjin pour assurer la gérance du consulat. Dans ces divers postes, il a fait ses preuves, se distinguant par le sérieux de son travail et par son sang-froid en période de troubles. Il est considéré comme l’un des meilleurs consuls de Chine. Du sang froid, il va devoir encore en faire preuve à Chengdu. Avant de prendre ce poste, il vient juste de se marier avec Marie-Rose-Lucie Simier, déjà mère de deux enfants, et veuve d’un capitaine également en poste en Chine. Baudez débarque à Chengdu le 30 avril 1921, avec son épouse et la petite Odile âgée de six ans (le fils aîné René, est resté en France dans un collège). En raison des conflits incessants, le représentant français va se trouver à diverses reprises complètement isolé dans son lieu de résidence, comme son collègue Laurent Eynard à Chongqing. Les deux hommes ne peuvent ni communiquer entre eux, ni avec la légation à Pékin qui ne reçoit leurs dépêches qu’au bout de plusieurs semaines.
63Le pouvoir est disputé entre le général Yang Sen, partisan de Wu Peifu, qui s’impose dans un premier temps, et le général Liu Yujiu (Lieou Yu-kieou, de son vrai nom Liu Changxun) et ses alliés Dan Maoxin (Tan Mengxin), Lai Xinhui et Xiong Kewu (Hiong Ko-wu) pour les principaux, favorables au gouvernement sudiste de Canton. Yang Sen peut compter tout d’abord sur Yuan Zuming (Yuen Tsou-ming) du Guizhou, Liu Wenhui et son neveu Liu Xiang ; mais ces derniers n’hésiteront pas à se retourner contre lui, tandis que lui-même fera alliance avec ses adversaires précédents. C’est en fait une succession de revirements et de trahisons dont l’un des champions est Liu Yujiu, mais il n’est pas le seul. Pour finir, c’est Liu Xiang qui finira par l’emporter...
64Au mois de juin 1922, une conférence réunit tous ces généraux pour élire le commandant en chef des troupes de la province. Minés par leurs ambitions et leurs rivalités, ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. Les délégués du général Yang Sen partent avant la fin de la conférence et se replient sur Chongqing, pendant que leur chef dirige ses troupes sur Wanxian pour réduire les forces du général Dan Maoxin. Finalement, au mois de juillet 1922, c’est le général Liu Yujiu, qui, à Chengdu, est élu commandant suprême des forces du Sichuan, cumulant ces fonctions avec celles de gouverneur civil. Mais il n’est reconnu, ni par Yang Sen dont les troupes sont à Chongqing depuis le 8 août, ni par d’autres généraux du Sichuan. Les troupes de la Troisième armée menaçant Chongqing, Yang Sen accepte de mettre fin aux hostilités, contre une somme de 50 000 dollars qu’il se fait remettre par la Chambre de commerce, avant de quitter la ville. Il tente alors de déloger le général Dan Maoxin de Wanxian, mais, battu par ce dernier le 18 août, il est contraint de se replier sur la frontière du Hubei, puis à Yichang.
65C’est dans ce contexte de troubles, que, le 3 octobre 1922, naît à Chengdu la petite Jacqueline Baudez, suivie le 22 novembre 1923 par un petit garçon nommé Pierre. Quelques mois avant la naissance de Pierre, le ministre à Pékin Aimé de Fleuriau, signale, le 25 mars 1923, qu’il est sans nouvelles de son collègue :
« Le Setchouan est en proie à des dissensions intérieures perpétuelles et chaque année les factions rivales se font la guerre. Au moment où j’écris, Chengdu est menacé et peut être assiégé. Il faut à notre agent dans un pareil pays beaucoup de sang-froid et de résignation. M. Baudez n’a cessé de faire preuve de ces qualités, alors même que l’état de sa femme lui donnait les plus grandes inquiétudes. Je recommande au Département cet agent qui est capable de prendre la direction d’un grand consulat. »
66Au mois de février, un autre complot ourdi par trois généraux, dont l’un, Deng Xihou, est pourtant l’allié de Liu Yujiu, tente de renverser ce dernier et de prendre sa place. Le 20 février Chengdu est assiégée par les troupes des trois rebelles, signale Marcel Baudez21. Quelques boulets tombent dans l’enceinte de la ville sans causer de dégâts ; dans la nuit, une fusillade nourrie fait rage jusqu’au matin, sans faire trop de blessés. Les soldats qui gardent la cité, sous prétexte de protéger la population, en profitent pour la taxer, exigeant dix mille dollars par nuit ! Le 22, des troupes de secours arrivent à dégager la ville. Cependant l’inquiétude n’a pas disparu, et de nombreux réfugiés se ruent dans les hôpitaux, les missions et le consulat français. Le gouverneur Liu Yujiu et le général Xiong Kewu, dont on avait annoncé la fuite, sont en fait restés à Chengdu. Le 2 mars, Liu Yujiu annonce que les trois généraux dissidents, regrettant leur acte d’insubordination, ont fait leur soumission et ont reculé vers le nord. En réalité, les généraux rebelles ont cédé uniquement par manque de munitions. La trêve est toute provisoire. Un quatrième comparse entre dans la lutte avec des troupes fraîches. La loi martiale qui avait été levée en début de semaine est de nouveau proclamée le 12 mars. De violents combats ont lieu dans une bourgade proche, à Teyang. La mission catholique est touchée par deux obus. Les blessés affluent de tous côtés à la porte de l’hôpital catholique. Mgr Rouchouse prié de ne pas admettre les blessés du parti adverse, refuse d’obéir à ces ordres. Finalement, le 16 mars, les quatre généraux sont repoussés au-delà de Chongqing. Ceux qui sont restés neutres s’efforcent de rétablir la paix. Vaines espérances.
67De nouveau, fin mars, une nouvelle coalition se forme. Il n’y a guère à espérer de secours du gouverneur du Guizhou Yuan Zuming inféodé à Wu Peifu, ni de Tang Jiyao au Yunnan dont la province est en proie à des troubles. Chengdu est à nouveau menacée par les bombardements et vit dans la crainte d’un assaut. « Dans la nuit du 27 au 28, écrit Baudez, on entendit crépiter la fusillade, le 28 au matin, quelques obus ont été lancés sur la ville. Toute la journée la fusillade a été nourrie, de temps en temps on entendait le canon. » Il n’y a qu’un seul bataillon pour défendre la capitale. N’ayant aucune nouvelle du général Lai Xinhui, le gouverneur Liu Yujiu fait appeler Marcel Baudez pour solliciter le concours du corps consulaire. Baudez lui fait savoir qu’il est prêt avec ses collègues à transmettre des propositions de paix mais qu’il n’est pas de leur ressort de les provoquer. Ils refusent en effet de se mêler aux querelles locales et veulent conserver une stricte neutralité. Le lendemain, les notables de la Chambre de commerce s’adressent à leur tour aux consuls. Par lettre, ils leur demandent d’intervenir auprès des combattants et de leur fixer une zone de combats en dehors de la ville. Baudez décide de convoquer ses collègues au consulat de France. Ensemble, ils rédigent leur réponse à la Chambre de commerce, renouvelant leur déclaration de stricte neutralité, mais font une lettre également au général qui assiège la ville. Le 29, il y a peu de changement. Une bataille sanglante se déroule aux abords de Chengdu entre les assaillants et le général Lai Xinhui qui finalement réussit à se frayer un passage et à rentrer dans la ville. Les bombardements se poursuivent durant deux jours. Un obus tombe sur le consulat du Japon, détruisant toutes les maisons voisines. Deux obus atterrissent également dans le jardin du consulat d’Angleterre. Seules quelques balles perdues traversent le toit du consulat de France. La Mission catholique est également touchée par une grêle de balles, ainsi que la maison du docteur Jouvelet. Mais aucune victime n’est à déplorer parmi les étrangers. Le 30 mars, le gouverneur Liu Yujiu résilie ses fonctions civiles et militaires et ordonne la cessation des hostilités. Il se réfugie à la Mission catholique avec son état-major, tandis que la Chambre de commerce envoie un émissaire aux deux généraux qui ont attaqué la ville. La panique s’empare des habitants. Tous les magasins ferment leurs portes dans la crainte d’un pillage et d’actes de vengeance. De nombreux blessés et des malheureux en quête d’un abri sûr, se précipitent dans les hôpitaux de la mission. Les vivres se font rares...
68Le 4 avril 1923, le général Lai Xinhui et ses troupes quittent Chengdu pour Chongqing. À mi-chemin, ils rencontrent les soldats du général Dan Maoxin qui ont abandonné Chongqing au général Yang Sen. Ce dernier y entre pacifiquement, à sept heures du matin, avec les troupes du Nord mises à sa disposition par Wu Peifu. À Chengdu, Liu Yujiu qui, le 30 mars, a été contraint de remettre le commandement au général Liu Wenhui, vire de bord et s’allie à ses adversaires précédents, partisans de Wu Peifu. Au mois de mai 1923, pour la troisième fois depuis le début de l’année, Chengdu est isolée du monde extérieur, toutes ses communications étant coupées. La ville n’est pas assiégée, mais ses portes sont fermées par mesure de précaution. Le nouveau consul d’Angleterre qui vient d’arriver dans la capitale du Sichuan, a toutes les peines du monde pour y entrer, et est contraint d’attendre plusieurs heures avant que l’on consente enfin à lui ouvrir les portes. La cité est divisée en quatre quartiers confiés à quatre généraux différents. Partout, les soldats des armées alliées barrent les routes. Deux médecins français qui ont été arrêtés, doivent attendre le lendemain matin avant de pouvoir regagner leur domicile.
69Le 25 mai, Yang Sen, qui occupe Chongqing, décide de s’emparer de Chengdu, mais il est repoussé, début juin, par Lai Xinhui allié à Xiong Kewu. Le danger écarté, le 24 juin 1923, Liu Yujiu change une fois de plus de camp et reprend ses doubles fonctions de gouverneur civil et de commandant en chef, qu’il avait dû résilier le 30 mars. Il est confirmé dans ces deux postes par Sun Yat-sen, tandis que Xiong Kewu est nommé commandant en chef des armées du Sichuan contre les rebelles. C’est au milieu de ces troubles, que, le 18 juin 1923, arrivent à Chengdu l’orientaliste Alexandra David-Néel et son fils adoptif Yongden. N’ayant pu passer au Tibet, les deux voyageurs ont erré dans les déserts inhospitaliers des provinces limitrophes, sans pouvoir atteindre leur but. L’exploratrice est épuisée. Malgré les conseils du docteur Gervais qui lui conseille de se reposer à Chengdu, au bout de quelques jours à peine, elle reprend sa route, poursuivant obstinément son rêve, ignorant totalement les dangers suscités par l’état incertain des provinces traversées. Elle parviendra enfin à Lhassa, le 24 janvier 1924...
70Lors de la fête du 14 juillet 1923 et de la grande réception qu’il organise au consulat, Marcel Baudez accueille les généraux Xiong Kewu, Dan Maoxin, le gouverneur Liu Yujiu, etc. À cette occasion, ces militaires ont laissé tomber l’uniforme et revêtu la redingote. La colonie française laïque et religieuse et les consuls anglais et japonais assistent également aux festivités.
71Au même moment, à Chongqing, le consul Laurent Eynard subit les attaques d’un chef de bande qui a prêté allégeance à Yang Sen, deux mois plus tôt, et se révolte contre lui22. Eynard, comme Baudez, est un homme d’expérience : il a commencé sa carrière en même temps que ce dernier en 1906, comme élève-interprète à la légation de Pékin. Il a été ensuite à Hankou, puis a géré Amoy avant de revenir de nouveau à Hankou dont il a assuré la gérance, de mars 1921 à fin avril 1922. Nommé premier interprète, il a été envoyé à Chongqing et, le 20 mai 1922, a pris le service de ce poste des mains de Jules Leurquin qui en assurait provisoirement la direction depuis novembre 1920...
72Le chef de bande rebelle tente de s’emparer de Chongqing dans la nuit du 13 au 14 juillet. Ne pouvant entrer dans la ville, il s’installe en face, sur la rive gauche du Yangzi, à l’Hôtel de la monnaie. Il en profite pour faire main basse sur tout le numéraire. Repoussé par les troupes en garnison dans la ville, il se replie le 21 juillet, mais revient dans la nuit du 20 au 21 août. Il est repoussé à nouveau. Il revient pour la troisième fois dans la nuit du 4 au 5 septembre, et surprend les forces de Yuan Zuming établies sur la rive droite. Il repart le 10 septembre. Le 23 du même mois, Yang Sen, après avoir été pourchassé par Xiong Kewu, est de retour à Chongqing, il y est précédé à quelques heures d’intervalle par Liu Xiang. Dans le même temps, le général Yuan Zuming, commandant des forces du Guizhou « associées » aux troupes nordistes, quitte lui aussi la place, prétextant un manque de munitions. Le 24 septembre, Yang Sen s’apprête à affronter les troupes sudistes qui, avec Lai Xinhui, se dirigent sur Chongqing. En outre, le 27, il doit faire face au chef de bande qui revient pour la quatrième fois, et s’empare de la rive droite du Yangzi, en face de la ville. Aux premiers jours d’octobre, les troupes de Lai Xinhui sont devant Chongqing, prêtes à en déloger Yang Sen, Liu Xiang et Yuan Zuming qui est finalement revenu se joindre à eux.
73À quelque deux cents kilomètres de là, à Chengdu, le 10 octobre 1923, l’adversaire de Yang Sen, le gouverneur Liu Yujiu, donne une grande réception en l’honneur de la commémoration de la révolution du double 10. Liu Yujiu et le général Xiong Kewu, devant un buffet froid, invitent les consuls étrangers à porter un toast à la prospérité de la Chine. Marcel Baudez y participe avec ses collègues. Le soir venu, une grande représentation théâtrale, suivie d’un dîner, rassemble tous les invités, sauf le gouverneur qui, le midi, s’est blessé en tombant malencontreusement de cheval, après avoir quitté la salle à manger où était dressé le buffet. En revanche, signale Baudez, le peuple a totalement ignoré l’anniversaire de la République, et aucun drapeau n’a été arboré dans les rues ou dans les vitrines des magasins. Furieux, les soldats, en représailles, ont brisé toutes les vitrines.
74À Chongqing, le 14 octobre, Laurent Eynard est de nouveau confronté à une situation périlleuse. Les troupes sudistes de Lai Xinhui, renforcées des troupes yunnanaises arrivées le 9 octobre, lancent un assaut général et, le 16, traversent le Yangzi. Yang Sen et ses deux compères Yuan Zuming et Liu Xiang se réfugient en hâte sur un navire japonais qui lève l’ancre immédiatement en direction de Wanxian, tandis que Lai Xinhui entre triomphalement dans la ville, en compagnie des généraux Xiong Kewu et Dan Maoxin. De grandes réjouissances ont lieu à Chengdu pour fêter cette victoire. Mais une nouvelle vient ternir les festivités : on apprend avec consternation que le maréchal Cao Kun a été élu à la présidence de la République à Pékin, et a pris ses fonctions le 5 octobre. Dès leur arrivée, les troupes sudistes dépouillent complètement les familles les plus riches de Chongqing. Lai Xinhui, à son tour, prélève quelques taxes « pour assurer sa sécurité », et exige cent mille dollars. Wu Peifu, furieux de la retraite à Wanxian de Yang Sen, Liu Xiang, Yuan Zuming et des troupes nordistes, fin octobre, leur intime l’ordre de reprendre l’offensive. Après avoir extorqué quatre cent mille dollars à la ville de Wanxian, le 4 novembre, ils repartent à l’assaut des sudistes. Le 12 décembre, les régiments yunnanais abandonnent Lai Xinhui qui, privé de ses alliés, dans la nuit du 13 au 14 décembre, quitte Chongqing et fait retraite sur Chengdu. Le 14, à six heures du matin, Yang Sen et ses troupes entrent sans coup férir dans la ville. Dans la soirée, Yuan Zuming s’installe dans Chongqing avec son état-major et sa garde.
75Le 9 février, les nordistes s’emparent également de la capitale Chengdu abandonnée, la veille, par les généraux sudistes, notamment Liu Yujiu et Dan Maoxin. Liu Xiang est nommé gouverneur général et Yuan Zuming commandant en chef. Début mars, ils quittent Chengdu à la tête de leurs troupes pour se lancer à la poursuite des troupes alliées de Liu Yujiu, Xiong Kewu et Dan Maoxin, confiant les pouvoirs civils et militaires à Yang Sen. Une fois de plus Liu Yujiu tourne sa veste et se rallie à Liu Xiang qui est son compatriote. Il permet ainsi à ce dernier d’écraser Xiong Kewu. Les armées de Xiong Kewu complètement défaites, peut-on enfin espérer la paix au Sichuan ? s’interroge le consul Marcel Baudez23. Seul maintenant à Chengdu, Yang Sen envisage de faire de nombreuses réformes. Il ménage les étudiants qu’il n’hésite pas à appeler en grand nombre auprès de lui et s’intéresse de près à l’instruction. Les étrangers sont également entourés de sollicitude, et Yang Sen cherche à se les rendre favorables. Le 27 février 1924, lors de la célébration de son 39e anniversaire, il invite à déjeuner Marcel Baudez et tous les consuls étrangers qui sont ensuite conviés à une représentation théâtrale dans la soirée. Il n’hésite pas à aller voir Mgr Rouchouse, et demande à visiter l’hôpital et l’orphelinat de la mission. Enfin, trois étrangers sont nommés conseillers, dont un Américain et un Français. Mais la situation de ce dernier n’est pas très claire, regrette Baudez : missionnaire défroqué, il exerce plusieurs métiers à la fois, agent d’assurance, marchand, reporter, etc.
76Grâce à Yang Sen, qui décide de tout réaménager, Chengdu devient une ville moderne. Au début de l’année 1925, de larges artères droites, où circulent de nombreux rickshaws, changent complètement l’aspect de la cité. L’éclairage y est installé, mais l’électricité est coupée à 22 heures 30. Passée cette heure, raconte Marcel Baudez, il faut se munir des anciennes lampes pour pouvoir poursuivre son chemin. Soucieux d’être un homme de progrès, Yang Sen n’hésite pas à bousculer les traditions et les coutumes. Aux portes et dans les rues, il fait enlever les petits autels des dieux tutélaires qui dépassent de l’alignement, et ordonne la destruction des murs de la cité impériale. Il inaugure une séance de dissection à l’École de médecine militaire dirigée par un médecin français depuis sa fondadon en 1904. Il y convie ses femmes, les notabilités de la ville et les consuls étrangers. Le docteur Gervais, directeur de l’école, a toutefois beaucoup de mal à dissuader Yang Sen de ne pas faire dépecer tout vif, le brigand condamné à mort qui doit servir à cette terrible démonstration...
77Au mois d’avril, 1925 Marcel Baudez quitte définitivement Chengdu pour rentrer en congé en France après quatre années de présence en Chine (il est ensuite nommé consul suppléant à Shanghai). Lors de son départ, le 6 avril, il remet le service au docteur Jouvelet attaché à la mission médicale24. Il échappe ainsi à de nouveaux troubles.
78La période de paix relative qui s’était installée au Sichuan, est, une fois encore, de courte durée. Jaloux de la puissance acquise par Yang Sen, les généraux ont fomenté une nouvelle coalition contre lui. Le 14 avril 1925, Yang Sen attaque le premier, et se tourne contre Liu Yujiu. La loi martiale est de nouveau proclamée à Chengdu. Malheur à quiconque ne respecte pas la discipline. Un voleur, pris sur le fait, est exécuté sur le lieu de son larcin, et son corps exposé durant deux jours. Sous les yeux du docteur Jouvelet épouvanté, des soldats, armés de couteaux, arrachent puis dévorent le cœur et le foie du cadavre, cette coutume étant destinée à les rendre plus braves dans la bataille à venir. Sans doute l’effet est-il favorable. Le 23 mai Yang Sen et son armée anéantissent complètement Liu Yujiu. Tandis que trois autres généraux préfèrent se déclarer neutres, et que le général Lai Xinhui choisit de reculer sans combattre et est abandonné par un de ses généraux et un colonel.
Juin 1925 : les étrangers directement menacés : Fernand Roy puis Laurent Eynard à Chongqing, le docteur Jouvelet à Chengdu
79Mais à partir de mai-juin 1925, des troubles plus graves que les luttes des généraux entre eux qui ont peu d’incidence sur les étrangers, menacent au contraire directement ces derniers. Au mois de juin 1925, les tragiques événements de Shanghai et de Canton ont aussi des répercussions à Hankou, comme à Hong Kong et dans de nombreuses villes de Chine. Dans un premier temps, elles sont peu importantes à Chengdu. Le docteur Jouvelet signale que seuls les étudiants manifestent contre les Anglais et les Japonais les 18 et 19 juin, et appellent à un grand rassemblement pour le 21. Mais Yang Sen fait protéger les consulats par des gendarmes chinois et, le 24, interdit toute manifestation.
80À Chongqing, la xénophobie est plus virulente. Fernand Roy, successeur de Laurent Eynard, en fait l’expérience dès son arrivée25. Le 1er avril 1925 il prend la direction du consulat des mains du docteur Paris qui en assurait la gérance depuis le départ d’Eynard le 15 juillet 1924. Fernand Roy arrive de France avec sa deuxième femme, les trois jeunes enfants de son premier mariage et sa sœur. Il était en effet en poste à Yunnanfou où sa première épouse (la fille d’un ancien consul de Chine) est décédée à la suite de son troisième accouchement. Ne pouvant rester seul avec trois jeunes enfants, il a profité de son retour en France pour se remarier aussitôt avec la sœur d’un interprète en Chine, René Waché. Dès son arrivée à Chongqing, il constate très rapidement avec effroi que son nouveau poste n’est pas l’endroit idéal pour sa nombreuse famille. Les étudiants incitent les auditeurs de leurs meetings à boycotter « les chiens étrangers qui étranglent la patrie et l’écrasent de leurs talons ». Des affiches, placardées sur les murs de la ville, réclament la restitution des concessions et le retrait de l’exterritorialité. De longues processions, bannières au vent avec fifres et tambours, parcourent les rues et les faubourgs. Les Européens qui circulent sont pris à partie et injuriés grossièrement. Un allemand de la firme Young Brothers est assailli par un jeune boy-scout qui lui crache à la figure. Le commerçant riposte en giflant le jeune homme qui ameute aussitôt la foule. Menacé, l’Allemand se réfugie dans une boutique anglaise, puis réussit à s’éclipser en trouvant une issue par derrière. Dépités, les émeutiers s’en prennent alors aux gérants du magasin qu’ils entraînent à la Chambre de commerce. Face à de telles violences, les consuls français, anglais, américain, allemand et japonais décident de refuser l’invitation du Commissaire des Affaires étrangères, le 10 avril, à la cérémonie en l’honneur de Sun Yat-sen. Fernand Roy n’est pas au bout de ses peines.
81Quinze jours à peine après son arrivée, à la mi-avril, éclate, une fois de plus, une nouvelle guerre, mais cette fois entre généraux du même camp (nordiste) qui n’hésitent pas à s’allier aux sudistes. Liu Wenhui qui ne s’entend plus avec Yang Sen à Chengdu, vient à Chongqing solliciter le concours de Yuan Zuming, et celui de ses anciens adversaires, Lai Xinhui et Deng Xihou. Malgré l’avis contraire de Liu Xiang, neveu de Liu Wenhui, la guerre est décidée (Liu Xiang n’osant prendre parti contre son oncle, décide de rester neutre). Les troupes se mettent en marche fin avril, et en profitent pour dévaliser les magasins des commerçants situés aux abords des portes de Chongqing. Les soldats de Yuan Zuming, de véritables brigands, se distinguent particulièrement par leur brutalité, en mettant la ville en coupe réglée. La semaine précédant leur départ, ils multiplient, en plein jour, les attaques à main armée et les assassinats de paisibles boutiquiers, semant la terreur dans Chongqing. Liu Xiang demande au gouverneur Wang Lingji de redresser la situation. Prenant quatre mille hommes, il fait la chasse aux pillards et les fait exécuter. Il n’hésite pas à s’en prendre également aux étudiants qui continuent à semer le trouble et à manifester contre les Anglais et les Japonais. Un grand défilé est prévu pour le 10 juin. À partir du 12, les Japonais n’osent plus sortir en ville et renoncent à se rendre à leurs maisons de commerce. Fernand Roy donne l’ordre aux canonnières, ancrées à leur mouillage ordinaire, d’observer la plus stricte neutralité et de ne pas intervenir tant que les Français ne sont pas en danger.
82En revanche, la situation devient de plus en plus menaçante pour les Anglais : le 16 juin, les domestiques du consulat annoncent au consul britannique qu’ils quittent son service sous la menace des grévistes. Malgré les promesses du gouverneur Wang Lingji et ses mises en garde contre les émeutiers, le consul anglais décide de réunir tous ses missionnaires et de les mettre à l’abri sur les canonnières anglaises. Le consul japonais agit de même. Le 3 juillet, une grande manifestation se déroule non loin du consulat de France. Les émeutiers pillent tous les établissements anglais et japonais, mais s’en prennent également à la cathédrale française. Le gouverneur arrête les meneurs étudiants, mais est désavoué par Liu Xiang et sommé de démissionner le 4 juillet. À cette annonce, privé de l'appui de cet homme modéré, le consul anglais donne l’ordre d’évacuer les femmes et les enfants de la colonie (environ quatre-vingts personnes), qui partent sur Yichang. Le 5 juillet, est la journée la plus critique pour les Britanniques. Leurs bungalows sont pillés, saccagés et les arbres des jardins coupés à la racine. Devant ces débordements, la Chambre de commerce demande à Liu Xiang et Yuan Zuming de rappeler le gouverneur Wang Lingji. En effet la situation économique est extrêmement mauvaise, le boycottage des produits anglais et japonais a arrêté toutes les transactions commerciales. Le gouverneur reprend ses fonctions au soir du 6 juillet et publie une proclamation condamnant les fauteurs de troubles communistes et les menaçant d’être fusillés. Le calme semble renaître.
83Le consul du Japon qui avait évacué Chongqing, tente de revenir dans sa résidence, mais bousculé, le 7 juin, il avertit ses collègues qu’il se réfugie de l’autre côté du fleuve dans sa concession. Les émeutiers pénètrent dans les filatures japonaises où continuent de travailler des ouvriers chinois et les obligent à quitter leur travail. Le consul nippon demande à Fernand Roy de prier Wang Lingji d’envoyer des troupes pour rétablir l’ordre et chasser les émeutiers. Le malheureux Fernand Roy est fort peu rassuré par tous ces troubles. Craignant pour sa sécurité et surtout pour celle de ses proches, il demande au responsable de la légation Damien de Martel l’autorisation d’éloigner immédiatement sa famille de ces lieux malsains. De Martel propose de le muter à Hankou, mais à Paris, Berthelot n’est pas d’accord pour lui confier un poste aussi délicat : « Roy est seul juge de l’opportunité du déplacement de sa famille, répond-il à de Martel, mais s’il est trop impressionnable pour tenir à Chongqing, il ne saurait être question de lui faire gérer, fût-ce provisoirement le poste plus difficile de Hankéou. Veuillez l’inviter à attendre sur place le retour du titulaire. » Le titulaire, Laurent Eynard, n’est pas du tout pressé de regagner son poste. Après une longue cure à Vichy pour soigner sa dysenterie, il profite de son congé pour convoler. Il se marie le 25 juillet 1925 à Sorgues avec Cécile Meilhon, puis repart à Vichy pour terminer sa cure jusqu’en septembre. Il s’embarque le 11 septembre à Marseille sur le Compïègne avec sa jeune épouse. Un décret du 14 juillet ayant rétabli des consulats sans chancellerie à Amoy et à Mukden, équivalents aux anciens vice-consulats, celui d’Amoy est confié à Fernand Roy qui doit attendre le retour d’Eynard avant de rejoindre sa nouvelle affectation. Pendant ce temps, le 31 juillet les combats continuent de plus belle. Yang Sen est défait le 4 août à la suite de la défection d’une partie de ses troupes ralliées à ses adversaires. Fa déclaration de guerre de Wu Peifu à Zhang Zuolin lui donne l’occasion de quitter le Sichuan avec ses soldats.
Octobre 1926 les troubles s’amplifient contre les étrangers : Eynard à Chongqing et le docteur Jouvelet à Chengdu
84Le 1er novembre 1925 Laurent Eynard et son épouse arrivent à Chongqing libérant enfin Fernand Roy et sa nombreuse progéniture qui rejoignent avec soulagement un endroit beaucoup plus tranquille, le vice-consulat d’Amoy26. Après le retour d’Eynard et durant toute l’année 1926, le désordre le plus complet règne au Sichuan. Toutes les communications sont coupées, isolant une fois de plus les deux consulats de cette province. Les journaux répandent la nouvelle que tous les consuls étrangers de Chongqing ont dû évacuer la ville. En fait, seul Eynard est resté à son poste. Le 23 octobre il peut enfin faire parvenir un message à sa mère pour la rassurer, par l’entremise de Damien de Martel à Pékin. Le 28 décembre il signale que le boycottage des navires anglais et japonais ne cesse pas. Si l’agitation contre les nationaux de ces deux pays ne se manifeste plus par des émeutes comme en juillet 1924, ses effets se font nettement sentir dans l’arrêt presque complet des affaires commerciales et du transport des marchandises. Les abords des pontons sont surveillés par des groupes de jeunes étudiants qui empêchent tout débarquement et menacent de détruire les embarcations. Les Américains subissent le même sort. Aucun de leurs vapeurs ne circule entre Chongqing et Yichang. En revanche, les navires battant pavillon français, italien ou suédois peuvent naviguer et profitent de la situation. Le 30 décembre Eynard envoie un message retransmis par l’intermédiaire de Pasquier, gouverneur général de l’Indochine, signalant que la situation politique s’aggrave par suite de l’affrontement entre partis de gauche et de droite du Guomindang. Cependant les Français ne subissent aucune vexation.
85Mais devant les succès foudroyants de la Beifa lancée par Chiang Kai-chek, les généraux sichuanais, oubliant leurs querelles, décident d’y apporter leur contribution. Le 15 décembre Liu Xiang et Lai Xinhui se rallient officiellement ainsi que Liu Wenhui et Liu Yujiu. Même Yang Sen, pourtant partisan de Wu Peifu, fait allégeance dès le mois de novembre et, en récompense, reçoit le commandement de la Vingtième armée, tandis que Liu Xiang et Lai Xinhui reçoivent respectivement les Vingt et unième et Vingt-deuxième armées. Le 17 décembre 1926 a lieu la cérémonie de ralliement du Sichuan au gouvernement nationaliste de Canton. En même temps, la pression se fait de plus en plus grande contre les Occidentaux. À Chengdu comme à Chongqing, les troubles ont déjà commencé depuis octobre, suscités par des agitateurs communistes venus de Canton, qui poussent la population à se révolter contre les étrangers.
86À Chengdu, le 5 octobre 1926, une grande manifestation fait descendre dans la rue de nombreux ouvriers et étudiants qui appellent à la grève à partir du 11 octobre. Les boys et les employés des Anglais se mettent en grève et demandent le boycott des marchandises. Deng Xihou fait protéger les consulats et les habitations des Européens par des détachements en armes. Mais la situation devient confuse, une hostilité sourde entre Deng Xihou et Liu Wenhui provoque des rixes fréquentes entre leurs hommes, tandis que des agitateurs professionnels continuent leur propagande active contre les étrangers. En novembre, une missionnaire occidentale est décapitée en pleine rue. Le gouverneur Liu Xiang décide de fermer l’école de médecine militaire le 20 décembre, malgré les démarches et protestations du docteur Jouvelet. Lors des fêtes de Noël, à la sortie de la messe, plusieurs femmes européennes sont prises à partie par la foule, injuriées, menacées et couvertes de crachats. Le 7 janvier 1927, le consul britannique reçoit un télégramme lui prescrivant, vu la gravité de la situation à Hankou, de se retirer sans délai sur Chongqing, après avoir organisé le repli de tous ses ressortissants. Entre le 12 et le 25 janvier, la plupart des missionnaires anglais quittent Chengdu. Le 22, le consul britannique et son vice-consul partent à leur tour, suivis, le 24, par le commissaire des Postes. Face à ces troubles, les trois principaux généraux Deng Xihou, Liu Wenhui et Tian Songyao se rapprochent et forment un triumvirat. Liu Wenhui prenant en main les affaires militaires, Tian Songyao les affaires civiles et Deng Xihou les affaires financières. Seul Liu Wenhui promet de se conformer aux principes de Sun Yat-sen et se rallie au gouvernement de Canton.
87Mais le 17 mars 1927, le docteur Jouvelet signale la progression extrêmement rapide des idées nationalistes radicales. Des changements surprenants surviennent en quelques semaines, les autorités étant complètement battues en brèche par les multiples « Unions » qui se forment et deviennent très puissantes. Les généraux Deng Xihou et Tian Songyao qui avaient refusé de se rallier à Canton, ont été obligés de hisser le drapeau révolutionnaire. Tout le Sichuan fait allégeance au gouvernement de Canton. Liu Wenhui, dans un discours aux élèves-officiers de l’École militaire, déclare que « le jour n’est pas éloigné où les étrangers devront quitter la Chine et les propriétés des missions seront confisquées ». Après le départ des protestants, à leur tour un grand nombre de missions catholiques sont attaquées, surtout dans l’intérieur de la province. Le 15 février 1927, la mission de Hochow est entièrement pillée et saccagée. Le père Meillier, qui se trouvait en tournée, a miraculeusement échappé au danger. Depuis sa résidence de Chongqing, Laurent Eynard demande à Liu Xiang que justice soit rendue.
88Le 31 mars, ses collègues britannique et américain de Chengdu sont évacués sur Chongqing, à bord d’une canonnière, avec le reste de leurs nationaux. Les Anglais ont décidé également la fermeture des consulats d’Yichang et de Changsha. Le même jour, les communistes célèbrent cet événement comme une grande victoire sur le champ de manœuvre voisin du consulat, signale Eynard. Dès 8 heures du matin il voit arriver un officier envoyé par le général Lai Xinhui, lui demandant de laisser garder l’immeuble consulaire durant la manifestation. Vers 11 heures 15, les manifestants se préparent à se mettre en mouvement, quand, tout à coup, des pétards sont tirés des jardins du consulat anglais, situé en contrebas. C’est alors le signal de la répression. Des coups de feu et de revolvers partent dans la foule, et au sein même de cette foule « des exécuteurs armés de pointes d’acier acéré accomplissent leur besogne », écrit Eynard. La panique s’empare des manifestants dont une partie vient se précipiter contre la porte du consulat qui cède sous la pression, obligeant les soldats de garde à faire leur devoir et à tirer dans le tas. La mêlée dure deux heures, couchant des centaines de cadavres sur le sol. Dans l’après-midi, Eynard apprend que le but des émeutiers était d’incendier le consulat de France et de mettre à mal ses habitants. À la faveur de ce tumulte, il était prévu d’organiser le pillage de la ville, de renverser les autorités, et de les remplacer par un comité qui n’attendait que le moment propice pour prendre la place. Mais tous ces plans échouent en raison de la prévoyance des autorités militaires. Les fauteurs de troubles sont arrêtés et immédiatement fusillés.
89Le même jour, des manifestations identiques se déroulent à Suifu (Yibin) et Luzhou où les communistes restent maîtres de cette ville. Une expédition est envoyée par Lai Xinhui pour les réduire. À la suite de cette affaire, Eynard adresse une dépêche à Damien de Martel à Pékin lui demandant, si dans un tel climat de haine, il est encore utile de continuer à résider au Sichuan. En raison des problèmes de communication, et n’ayant pas reçu de réponse, Eynard prend sur lui de faire évacuer la province (il reçoit l’approbation de Damien de Martel par un télégramme du 4 avril). Dès le 2 avril, Eynard prévient le capitaine de corvette Robbe de la décision prise, ainsi que le docteur Jouvelet à Chengdu et les évêques de Chongqing, Suifu, Ningyuan et Tatsienlou (Kangting). Le même jour, il ordonne à tous les Français de se rendre avec lui et le personnel du consulat dans un village en aval de Chongqing, Wangkiato, à une heure et demie de marche en chaises à porteurs. C’est là que se trouvent l’établissement de la Marine et la canonnière Doudart de Lagrée et ses marins. Ils se tiennent prêts à partir, attendant que tous les Français du Sichuan soient rassemblés.
90À Chengdu, ayant reçu l’ordre d’évacuation, le 6 avril le docteur Jouvelet ferme le consulat et dirige son personnel et les missionnaires de la région sur celui de Chongqing. L’immeuble consulaire loué à un propriétaire chinois est laissé entre les mains d’un secrétaire chinois. À Chongqing, les évêques tergiversent tandis que Charrier, le directeur de la Société française du Hanyang, refuse catégoriquement de quitter les lieux. Eynard fixe pour date limite d’évacuation, le 20 avril pour Chongqing, le 25 pour Suifu et le 30 pour Ningyuan et Tatsienlou. Il est difficile de regrouper rapidement tous les missionnaires éparpillés à des distances considérables de Chongqing : quatre vicariats sur cinq répondent à l’appel lancé par Eynard. Dans le vicariat de Chongqing, deux missionnaires, quatre religieuses franciscaines, sept carmélites et cinq missionnaires de Suifu se mettent en route ; à Tatsienlou un seul consent à partir. Dès le 15 avril, dix-huit femmes, quatre enfants et neuf hommes sont évacués sur Yichang où ils arrivent le 17 sans difficultés. Le 15 avril le docteur Jouvelet, accompagné des membres de la mission médicale de Chengdu, des frères maristes, du Commissaire des postes et d’un commerçant, arrivent à Chongqing. Ils sont évacués le 18 avril en même temps que l’épouse d’Eynard et la petite fille qu’elle vient de mettre au monde (elles arrivent en France le 12 juin).
91Deux télégrammes de Damien de Martel des 23 avril et 26 avril, donnent l’ordre à Eynard de différer la fermeture du consulat. Alors que, le 26 avril, les consuls japonais de Chengdu et de Chongqing quittent à leur tour leur résidence, avec cent cinquante de leurs nationaux, deux Norvégiens et cinq Allemands. Eynard est le seul consul à demeurer à son poste, en compagnie du docteur Viéron, quatre Allemands, un Italien, deux Français, dont l’irréductible Charrier, et quelques missionnaires. Les autorités locales lui ont fait savoir que, non seulement elles sont impuissantes à rétablir l’ordre, mais encore à contrôler le trafic commercial. Le jour va bientôt venir où le Sichuan sera coupé de toutes communications avec l’extérieur. De plus, le général Liu Xiang a décidé de joindre ses forces à celle de Chiang Kaishek pour renverser le gouvernement de Hankou, tandis que les troupes de Yang Sen ont déjà quitté Wanzhou pour s’emparer d’Yichang aux mains des communistes. Cette nouvelle guerre ne va pas contribuer à faciliter le séjour des quelques Français restant encore au Sichuan, écrit Eynard le 30 avril. Le général Lai Xinhui, déjà parti depuis plus de quinze jours, n’a pas encore réussi à s’emparer de Luzhou que les communistes ont investi depuis le 31 mars. Les missionnaires français qui ont quitté Suifu et Tatsienlou pour rejoindre Chongqing, sont bloqués en amont de Luzhou, et sont dans l’impossibilité de descendre, par suite des opérations militaires. Pour finir, le 8 mai, Damien de Martel ordonne à Eynard de surseoir à l’évacuation du personnel du consulat. Eynard et le docteur Viéron quittent Wangkiato et, le 10 mai, regagnent l’hôtel consulaire.
92Pourtant le calme est loin d’être revenu dans la province. Malgré leur intention de prêter leur appui à Chiang Kai-shek, les chefs militaires n’en oublient pas pour autant leurs intérêts personnels, et entrent à nouveau en guerre les uns contre les autres. Une paix toute relative règne durant le mois de juillet 1927. Eynard signale qu’à Chongqing des vapeurs japonais et américains ont fait leur réapparition, dix commerçants nippons et deux américains ont repris leurs comptoirs. Les affaires semblent reprendre. Mais, écrit-il, ces vapeurs n’ont apporté ni lettres, ni colis postaux, et nous continuons à vivre ici complètement coupés du monde. Le 22 juillet, il a la désagréable surprise d’apprendre, par Damien de Martel, la fermeture pour le mois de novembre de l’établissement de la Marine à Chongqing, et le retrait des canonnières. L’amiral commandant la division navale a prévenu qu’il ne peut laisser ses marins et l’établissement naval à Chongqing pendant la saison de basses eaux (d’octobre à avril), à cause des difficultés de ravitaillement, et de l’impossibilité de se replier en cas de troubles graves. Cela entraîne aussi la disparition de la station de TSF et donc de toutes communications avec l’extérieur. Eynard va se trouver ainsi complètement isolé, privé de toute protection, et incapable de s’enfuir en cas de danger. L’amiral, qui a l’intention de se retirer à Hankou, demande si le consul doit également se replier. Alexis Léger répond qu’il faut le laisser seul juge de la fermeture du consulat. Le 31 août, Eynard demande la permission d’évacuer son poste en même temps que la Marine, l’absence de Français rendant son séjour personnel inutile et dangereux. Finalement Eynard ne quittera Chongqing que le 1er juin 1928.
1929 : le docteur Béchamp à Chengdu et Jules Médard à Chongqing, Chiang Kai-shek rétablit son autorité dans la province
93L’année 1928 est relativement calme au Sichuan, comparée aux années précédentes, une partie des armées étant occupée à reconquérir Pékin et les provinces du Nord. Le 1er juin 1928, le docteur Paris prend à nouveau la gérance du consulat lors du départ en congé d’Eynard, et signale, à la fin du mois d’août, qu’aucun événement notable n’est venu troubler la province27. Mais la paix est de courte durée. De nouveau, à la fin de l’année, les troubles reprennent. Le 24 décembre 1928, Yang Sen prend la tête d’une coalition avec Lai Xinhui contre Liu Xiang, mais il subit une sanglante défaite. Liu Xiang et le général Wang Fangzhou reviennent à Chongqing en triomphateurs. C’est dans ce contexte troublé que, le 5 février 1929, arrive à Chongqing le docteur Georges Béchamp, nommé chef de la mission médicale de Chengdu, sur les recommandations de Philippe Berthelot « qui le connaissait depuis longtemps et l’estimait beaucoup28 ». Le docteur se trouve déjà en Chine au service des Messageries maritimes et, avant cela, a participé à la révolution russe puis a été chirurgien dans l’armée arménienne. Appelé en avril 1928 par le ministère à prendre la tête de la mission médicale de Chengdu, le 24 octobre il parvient jusqu’à Chongqing, mais doit attendre un mois dans cette ville, avant de pouvoir gagner son poste. Les routes sont en effet encombrées par une multitude de soldats, qui empêchent tout déplacement. Le docteur Béchamp rouvre la mission médicale le 4 mars 1929, et au mois de mai, est autorisé à prendre également la direction du consulat.
94Doté d’une très forte personnalité, et grâce à ses grandes qualités humaines et professionnelles, il sait très rapidement se faire apprécier de la population et des autorités de la province. Pour ce faire, il pratique une médecine gratuite et répond à ceux de ses clients qui s’étonnent de l’entendre refuser les honoraires qu’ils lui offrent : « Ce que je fais pour vous je le fais par ordre de mon gouvernement qui est assez riche pour subvenir à l’entretien de la mission médicale. » Cette façon de faire lui permet d’avoir ses entrées auprès de tous les gens en place à Chengdu, et de résoudre bien des problèmes :
« Nul parmi les Chinois ne peut suspecter mon désintéressement. Mon action purement médicale m’a permis de régler des questions délicates, d’éluder des questions trop précises, et j’ai pu, souvent, par voie oblique, éviter à nos missionnaires bien de graves ennuis [...] J’ai tenté de me concilier mes confrères chinois, en agissant avec eux, non comme un concurrent, mais comme un aîné mieux informé, accessible aux jeunes et donneur de bons conseils [...] La formation plus scientifique que médicale par quoi j’ai débuté dans ma carrière, m’a permis également d’orienter mon action dans le domaine plus spécial des applications d’électricité à la médecine ; je suis en matière d’électroradiologie la seule compétence qui existe à Tchengtou. Les connaissances que j’ai en physique et chimie m’ont permis de donner mon avis sur certaines questions qui n’ont rien de médical : analyse des minerais, de terrains, de charbon, de pétrole brut, etc. »
95Le docteur restera à ce poste jusqu’en mars 1941.
96Au début de l’année 1929,1e gouvernement nationaliste de Chiang Kai-shek, dans son objectif d’accomplir la réunification de la Chine, met en place dans les provinces des gouvernements dépendant de Nankin. Le 22 mars 1929, un gouvernement provincial du Sichuan est installé à Chengdu, conformément aux lois constitutionnelles promulguées par Nankin. Le 14 avril 1929, arrive à Chongqing Jules Médard, en remplacement de Laurent Eynard envoyé à Canton. Médard reprend le service des mains du docteur Paris, et est titularisé à son poste le 1er décembre 1929. Le Sichuan est toujours en proie aux divisions. Après l’agression japonaise en Mandchourie en septembre 1931, incapable de résister au Japon, Chang Kai-shek tente essentiellement d’éliminer les communistes qui ont profité des événements pour reprendre la lutte. Leur anéantissement et leur éviction dans les provinces du Sud-Ouest donnent l’occasion au généralissime de reprendre ces régions en main contre les velléités d’indépendance des généraux. En juillet 1933, Médard demande un congé pour le mois de septembre. Mais en raison de l’impossibilité de trouver un agent disponible pour le remplacer à Chongqing, le ministre Auguste Wilden, de Nankin, lui demande de prolonger son séjour, si son état de santé le lui permet. Médard accepte de reporter son départ au printemps 1934.
97Mais le chargé d’affaires Henri Hoppenot, fin octobre 1934, fait part au ministère de plaintes contre Médard, émanant d’officiers français des forces navales d’Extrême-Orient, ragots confirmés par le chef de la mission médicale de Chongqing, le docteur Viéron. Ces derniers se plaignent de ne trouver auprès de Médard aucun appui pour l’accomplissement de leur mission auprès des autorités, qu’à force d’insistance et sous la menace d’en référer à la légation. On lui reproche aussi son manque de prestige auprès des Chinois qui le considèrent comme un des leurs, et également son concubinage avec une jeune Coréenne. Hoppenot dépêche à Chongqing le consul de Shanghai, Jacques Meyrier, afin de mener pendant quarante-huit heures une enquête discrète. Les conclusions de ces investigations sont loin d’être honorables pour les Français, surtout pour la Marine, et rappellent une autre cabale menée jadis à Shanghai contre Dejean de la Batie, un autre métis :
« La source principale - et je serais même porté à dire la seule - du mécontentement provoqué par la gestion de M. Médard, réside dans le fait que, tant par son origine que par son aspect extérieur et son genre de vie, M. Médard, est demi-sang de Chinois. Il dérive de ce fait, qu’il ne jouit d’aucun prestige auprès des Français. On a même l’impression pénible que ceux-ci le considèrent comme un être inférieur à eux-mêmes, et qu’ils ont honte de lui. Il en résulte également que les Français estiment à tort ou à raison que M. Médard n’a aucune "face" auprès des autorités chinoises, et qu’il ne peut avoir auprès d’elles aucune action efficace au profit des intérêts français. Enfin les Français, et en particulier la Marine, craignent que M. Médard n’ait, en raison de son origine en cas de crise, la force de caractère, ni l’esprit de décision nécessaires pour dominer la situation. Ils témoignent, de ce fait, une grande inquiétude, car la possibilité de troubles anti-étrangers au Sseutchouan est toujours au premier plan des préoccupations des résidents étrangers29. »
98Dans le courant du mois d’avril 1935, c’est au tour des communistes de menacer Chengdu et sa région. Depuis le 22 septembre 1934, Marcel Chaloin assure la direction du consulat, à la place du docteur Béchamp, parti pour quelques mois à Shanghai. Affolé par cette situation troublée, à la fin du mois d’avril, il quitte précipitamment la ville avec sa famille, pour se réfugier à Chongqing auprès de Jules Médard. Chiang Kai-shek reprend la situation en main et, à la faveur des événements, réorganise le gouvernement provincial. Cette réforme marque la volonté du gouvernement central d’étendre son autorité sur cette région, qui depuis plus de vingt ans lui a échappé. Il n’y a plus que deux militaires au gouvernement, en y comprenant son président, le maréchal Liu Xiang. Les organes de l’administration, Finances, Instruction publique, Gabelle ont été rendus aux civils qui occupent les postes de directeurs, commissaires, etc. De plus, Nankin a affecté des fonctionnaires originaires d’autres provinces. Quant aux chefs militaires, ils sont déplacés et remplacés par des officiers et des troupes du gouvernement central.
99Le 2 mai 1935, Auguste Wilden décide d’attribuer à Marcel Chaloin la gérance du poste de Chongqing, en remplacement de Jules Médard prêt à s’embarquer pour la France30 :
« Bien que la menace communiste sur Chengdu soit momentanément écartée, je ne puis encore prescrire à Chaloin de regagner son poste. En raison de sa situation de famille, il me semblerait préférable de lui confier la gérance de Chongqing, à la place de Beaulieux, et de charger le Dr Béchamp, qui termine un traitement médical à Shanghai, de reprendre celle de Chengdu, aussitôt que la situation permettra aux étrangers de retourner dans cette ville. »
100Le 12 mai, Chaloin prend le service des mains de Médard. Mais, le 19 août, un grand malheur le frappe : il perd son plus jeune enfant âgé de 5 mois, et demande au Département de lui accorder le congé qu’il a sollicité depuis le 25 juillet précédent pour la mi-novembre. Le chef du Personnel lui répond « qu’en raison des circonstances pénibles qui ont motivé sa requête », un congé de quatre mois seulement lui est accordé, et non de six mois, car il est arrivé en Chine le 13 novembre 1933. De plus, s’il s’embarque en novembre, ses frais de voyage et ceux de sa famille seront à sa charge. S’il accepte de partir après le 1er janvier 1936, sa femme et ses deux enfants pourront rentrer en France par bateau, à une date antérieure, et leurs frais de voyage seront remboursés en même temps que les siens. Chaloin accepte, et assure la gérance du consulat de Chongqing jusqu’au 20 avril 1936, date du retour de Jules Médard.
101À Chengdu, le docteur Béchamp reprend son poste, dès le 16 juin 1935. Le 2 septembre 1935, il signale que, depuis son arrivée, des événements importants se sont succédé. Lorsque Chiang Kai-shek, qu’il qualifie de « dictateur », a quitté la ville le 14 août, les mauvais esprits prédisaient que son absence serait longue, et qu’il serait retenu par les intrigues de ses adversaires à Nankin. Les militaires sichuanais espéraient que Chiang Kai-shek serait obligé de lâcher la province. Mais son retour inopiné met fin à ces rumeurs et aux espoirs des généraux. Le généralissime déclare qu’il est au Sichuan pour réorganiser complètement la province, en vue de lutter contre le Japon. Il met en place des lignes d’aviation reliant Chengdu à Guiyang, et Kunming à Xian. De nouvelles lignes sont en projet, en direction de Shanghai, Pékin et Tatsienlou. Georges Béchamp met en relations deux représentants de groupes français, Coursin et Koretzky, disposés à se charger, le cas échéant, de la construction de voies ferrées, mais ils se heurtent à une rude concurrence allemande et américaine. Jules Médard et le docteur Béchamp vont rester à leur poste jusqu’à l’agression japonaise et ne seront déplacés qu’en 1939 pour le premier, et 1941 pour le second.
Hankou au Hubei
Figure 8 : Consulat de Hankou (collection privée).
Georges Lecomte, décembre 1916-mars 1928
102Le consul Georges Lecomte dirige le consulat depuis décembre 1916, excepté deux périodes de congé en France pendant lesquelles il est remplacé par son chancelier Laurent Eynard31. Au début des années Vingt, la concession française est dans une situation particulièrement florissante, la municipalité peut même se targuer d’avoir un excédent des recettes sur les dépenses de 28 514, 44 taëls. Cependant quelques ombres viennent tempérer ces bons résultats, qui laissent présager des années moins favorables. Le contrat de location du terrain où se trouve l'école municipale arrive à son terme en 1922, et le propriétaire, Mgr de Guébriant, fait part de son désir de ne pas le renouveler. Il va donc falloir prévoir l’achat de ce terrain ou d’un autre mieux approprié, en même temps que l’agrandissement des bâtiments scolaires. De plus, l’hôpital international est dans une situation précaire, depuis que les Allemands ne participent plus à son fonctionnement, et il va falloir combler cette carence. L’hôpital est régi désormais par les trois municipalités anglaise, russe et française, chacune assurant un tiers des charges. Enfin le projet de percement de deux rues pour faire communiquer la concession française avec le territoire chinois, risque encore plus de grever le budget, qui a toutes les chances d’être déficitaire dans les années à venir. Mais surtout, il faut à tout prix arrêter les ventes de complaisance qui se pratiquent depuis plusieurs années sur la concession, le plus souvent en faveur des Chinois qui, par ce biais, récupèrent peu à peu les terrains. Le 7 avril 1921, Eynard édicte une nouvelle ordonnance consulaire réglementant le transfert de propriété à un citoyen non français, rappelant celles de 1896 et de 1902 établies entre les autorités françaises et chinoises. L’acquéreur ou le locataire étranger devra prendre l'engagement de se conformer strictement à toutes les conditions stipulées dans les conventions du 2 juin 1896 et du 12 novembre 1902 : respecter tous les règlements déjà établis ou à venir, payer les impositions foncières ou autres qui pourraient grever la propriété, ne pas vendre ou louer à un citoyen ou sujet non français, sans l'autorisation expresse du ministre de France en Chine. Un fois établi, cet acte sera dûment signé et scellé par le représentant consulaire32. À la fin de l’année 1923, les Français habitant la concession sont majoritaires par rapport à l’ensemble des autres résidents occidentaux : cinquante-deux dont dix-sept femmes et dix enfants, contre quarante-six Anglais (treize femmes et neuf enfants), trente-six Américains (dix femmes et six enfants), dix Italiens (deux femmes), vingt-deux Russes (dix femmes et deux enfants), cinq Espagnols, cinq Belges, six Suisses, quatre Hollandais, deux Hongrois, trois Danois et trois Tchèques...mais cent quarante et un Japonais (trente-six femmes et quarante enfants).
103Les troubles vont très rapidement bouleverser la vie des concessions, et Hankou va devenir un champ de bataille que se disputent les troupes nordistes, celles de Wu Peifu, et les armées sudistes de Canton. Revenu à son poste fin mars 1922, Georges Lecomte décrit l’anarchie qui règne à Hankou et dans la province voisine du Jiangxi33. Le général Cai n’a plus d’argent pour payer ses soldats qui n’ont pas reçu leurs soldes depuis trois ou quatre mois, et a dû faire appel à Wu Peifu. Des bandes de soldats nordistes multiplient les pillages dans de nombreuses cités. Deux missionnaires ont été attaqués et dépouillés de tout ce qu’ils possédaient, l’un d’eux a reçu un coup de baïonnette à l’épaule et a eu la barbe arrachée. Le 2 août, la ville de Jiujiang est pillée et incendiée. À Hankou, l’agitation sociale grandit, orchestrée par des éléments extérieurs (sans nul doute venus de Canton). Les grèves se multiplient à la fin du mois de septembre. Les ouvriers de la ligne Canton-Hankou, ceux de la Compagnie des eaux et d’électricité et des établissements métallurgiques, poussés par le parti communiste, réclament le droit d’association et des augmentations de salaire. Le 10 décembre 1922, c’est la deuxième grève en trois mois à la manufacture British Cigarettes Company. La police anglaise de la concession a arrêté quelques meneurs qui tentaient de s’introduire entre les concessions anglaise et russe.
104Pour protéger la zone française, Lecomte a été obligé lui aussi de mobiliser la police, et de renforcer les postes du côté de la ville chinoise :
« Pour le moment, tout est tranquille par ici et l’agitation semble se retrancher à l’arrière de la concession anglaise. Je me demande si nous n’allons pas chaque jour au devant de difficultés plus grandes avec la population salariée chinoise. Ces jours-ci, c’était à nouveau les coolies pousse-pousse. Les meneurs de la fameuse Association des Travailleurs du Houpei essayent depuis quelques jours de former une Association des domestiques et des cuisiniers au service des Européens. Il s’agissait en principe d’une association de secours mutuel, mais elle aura probablement tôt fait de diriger son activité vers d’autres buts plus gênants pour les étrangers. On parle d’une grève de toute notre domesticité, si les salaires ne sont pas augmentés. »
105De plus, par suite d’une sécheresse qui dure depuis de longs mois, une grande misère touche les plus démunis. Les paysans, qui n’ont plus d’argent, affluent à Hankou, faisant baisser les salaires et augmenter les prix, particulièrement ceux des denrées de première nécessité qui croissent tous les jours. Les aciéries de Hanyang ne trouvent plus à écouler leurs produits, et se préparent à fermer leurs portes. Fin janvier 1923, les grèves se terminent.
106Mais le 6 février 1923, les employés de la ligne Pékin-Hankou (Kinhan) cessent à leur tour le travail. Le 23 février, Wu Peifu fait fusiller le chef du mouvement ouvrier, un avocat réputé pour être l’un des meilleurs agents de Sun Yat-sen. Face à cette situation explosive, dans sa séance du 9 février 1923 et à l’initiative des combattants de Hankou, le conseil municipal de la concession française vote la constitution d’une compagnie française de vingt-cinq volontaires. Mais la municipalité ne dispose que de quarante et un fusils Mauser, lourds et difficiles à manier, de quatre-vingts fusils Lebel, usagés et décalibrés, de deux mitrailleuses et deux fusils mitrailleurs, aussi vétustes que les armes précédentes. En cas de troubles, ce n’est guère efficace. Le conseil vote un crédit de 2000 taëls pour l’achat de trente fusils indochinois, plus pratiques et plus robustes.
107Au mois de juin 1923, les produits japonais sont les premiers à être boycottés. Les étrangers sont inquiets, conscients que ce qui est dirigé contre les Nippons, peut se retourner contre eux. Les incidents se cessent de croître contre les Japonais, encouragés par le Toukiun (Dujun) du Hubei Xiao Yaonan qui trouve là un moyen de « détourner la colère des chiens ». La population est en effet écrasée sous le poids des impôts qu’il lui extorque, non seulement pour satisfaire son avidité personnelle, mais aussi pour répondre aux exigences toujours plus grandes de son patron Wu Peifu, dans sa lutte contre Zhang Zuolin. Après l’éviction de Li Yuanhong et son remplacement par Cao Kun, comme on l’a vu plus haut, en riposte, le 14 janvier 1924, Wu Peifu fait la mainmise totale sur l’administration du Hubei, et place ses propres hommes auprès de Xiao Yaonan, fort mécontent de cette intrusion. Revirement de situation au mois de novembre 1924. Zhang Zuolin l’emporte sur Wu Peifu. Cao Kun est arrêté et Duan Qirui est invité à prendre le pouvoir par Zhang Zuolin. La défaite de Wu Peifu est naturellement bien accueillie par les habitants du Hubei, mais la joie est de courte durée lorsque la rumeur se répand que le vaincu a l’intention de venir à Hankou. Cette nouvelle suscite une vive émotion parmi la population et les consuls des concessions qui, après s’être concertés, décident de garder la plus stricte neutralité et d’empêcher les troupes chinoises de pénétrer dans leur zone. Apparemment, Xiao Yaonan tire un certain bénéfice de la situation. Après avoir fait allégeance au nouveau président de la République, il prend le titre de Toupan (duban), gouverneur civil, tout en gardant ses fonctions précédentes. En revanche, les hommes de Duan Qirui viennent remplacer ceux de Wu Peifu auprès de lui. Mais le pouvoir de Duan Qirui est peu solide et les intrigues recommencent, notamment de la part de Wu Peifu qui veut reprendre le combat. Xiao Yaonan est dans une mauvaise posture. Dans la crainte de perdre son poste, et surtout de possibles représailles si Wu Peifu revient, il déménage sa famille dans la concession française où il a acheté une maison et y transporte également ses biens les plus précieux :
« Au milieu de toutes ces machinations politiques, qui se nouent et s’entrecroisent en ce moment, il n’est pas très aisé de s’y retrouver, chacun espérant tromper le voisin tout en s’en servant momentanément contre un ennemi commun ; les anciens alliés se tournent les uns contre les autres, les factions rivales font alliance entre elles, mais en gardant toujours le contact vers l’autre côté. L’esprit d’intrigue des chinois se donne libre carrière dans toutes ces combinaisons que leur histoire et leurs romans leur ont rendues si familières, écrit Lecomte à Damien de Martel le 25 janvier 1925. »
108Tous ces revirements n’affectent pas trop encore la vie de la concession française. Dans sa dernière lettre du 17 mars 1925, avant son départ en congé, Lecomte signale que la situation financière est bonne, avec même un excédent de 13 508, 21 taëls (124 132, 42 de recettes et 110 624, 21 de dépenses), malgré un emprunt de 153 500 taëls pour la construction de la nouvelle école municipale et l’acquisition d’un terrain à l’arrière des concessions, destiné à y construire une butte de tir. Cette butte servira à entraîner les policiers et les volontaires, et pourra être louée aux autres compagnies.
109Lors du départ en congé de Lecomte, le ministère fait appel à Paul Kremer, consul de 3e classe en poste à Hong Kong. Cet agent a déjà assuré à plusieurs reprises la gérance de cet important consulat en zone britannique, et est donc tout désigné pour prendre la direction provisoire du poste de Hankou, réputé très difficile. Comme Lecomte, il est à son tour confronté à l’instabilité politique. Wu Peifu, près avoir fait mine de se consacrer à la poésie et à la philosophie, reconstitue une coalition contre Zhang Zuolin et revient effectivement à Hankou, regroupant autour de lui les chefs de douze provinces (voir supra, chapitre I, paragraphe II). Pendant que se déroulent toutes ces tractations, fin novembre, Paul Kremer tombe gravement malade, atteint par une fièvre typhoïde, et doit être hospitalisé d’urgence. Raoul Blondeau, le chancelier arrivé un mois plus tôt, prend les rênes du consulat. Le malheureux Kremer décède le 9 décembre, laissant une jeune femme enceinte, et quatre petits enfants en bas âge (de cinq ans à dix-huit mois) qu’il faut rapatrier en France. Raoul Blondeau organise les obsèques de son collègue qui ont lieu le 12 décembre, puis le transport de son corps jusqu’à Shanghai par le Doudart de Lagrée. C’est dans cette ville que Kremer est enterré, tandis que sa veuve et ses enfants quittent la Chine, le 10 avril 1926, à bord du Paul Lecat.
110À Hankou, la situation semble changer à nouveau au détriment de Wu Peifu. Raoul Blondeau signale, le 3 décembre, que le mouvement de sympathie qui avait accueilli ce dernier s’est bien atténué en raison de ses mesures impopulaires34. Pour diminuer la crise financière, Wu Peifu a en effet entrepris de contrôler et de saisir la gabelle des douze provinces, d’en administrer les revenus à sa guise, et de prélever 10 % des recettes de chacune d’entre elles, proportionnellement à leur importance. Xiao Yaonan, qui ne serait pas fâché de le voir quitter le Hubei, se garde bien de lui apporter son aide, réduisant à la portion congrue le produit des impôts qu’il lui fait parvenir. Quant aux Puissances, leurs protestations sont unanimes. Wu Peifu fait marche arrière, et décide de faire une émission de billets, obligeant le directeur de la Banque de Chine à lui avancer 1 200 000 dollars en coupures. Le directeur ne manque pas de dénoncer cet abus de pouvoir, et craignant pour sa vie après cet aveu, se réfugie sur la concession anglaise. Pendant ce temps, Zhang Zuolin a transporté ses troupes le long du Kinhan, désorganisant complètement la ligne et le trafic qui est totalement suspendu. La route du Nord est barrée aux troupes de Wu Peifu par les soldats du Guominjun (l’armée du peuple) de Feng Yuxiang. Le toupan du Henan intrigue avec Feng Yuxiang, et s’allie avec Wu Peifu, auquel pourtant il interdit de laisser passer ses troupes. Les autres alliés du maréchal sont prêts à se retourner contre lui. Ils attendent leur heure...
111C’est dans ce contexte incertain que le titulaire du consulat Georges Lecomte reprend la direction de son poste, au mois de mars 1926. À différentes reprises, le ministère lui a proposé de travailler à la sous-direction d’Asie. Malgré la réitération de cette proposition lors de son séjour à Paris, il a décliné cette offre avantageuse et a préféré rejoindre Hankou, malgré les troubles qui l’attendent à nouveau. C’est sans nul doute pour récompenser son courage que le 20 novembre 1925, il a été promu consul général. De son côté, Raoul Blondeau est titularisé au poste de chancelier, en remplacement de René Pontet qui, rentré en France, a décidé de quitter la carrière.
Prise de Hankou par les troupes de Canton, septembre 1926, départ des Britanniques, début janvier 1927
112Au mois de juin, en solidarité avec les grévistes de la British Cigarettes Company, des agitateurs communistes tentent d’entraîner les élèves de l’École française située dans un faubourg de Hankou et tenue par les frères maristes. Ayant échoué, ils en séquestrent quelques-uns dans l’établissement, et empêchent les externes d’y d’entrer en barrant les routes. Lecomte est obligé de faire intervenir la police. De plus en plus, constate le consul, on assiste à la lutte du bloc bolcheviste contre le bloc antibolcheviste35. Le gouvernement de Canton cherche à accroître son influence sur le Hubei et les provinces environnantes, Henan et Jiangxi. Au Hunan, le Toukiun (dujun) Tang Shengzhi s’est déjà rallié. Il a adressé une lettre aux consuls leur annonçant qu’il a été nommé commandant de la Huitième armée, et mis à la tête de l’avant-garde de l’expédition contre le Nord. Il a évincé le gouverneur civil, Ye Kaixin, et a fait exécuter ses généraux. La voie étant libre, Chiang Kai-shek arrive à Hangzhou le 7 août 1926, et lance sa grande offensive contre les armées nordistes de Wu Peifu. Après la prise de Yochow, le 31 août, les armées de Wu Peifu, mises en déroute, refluent sur Wuchang et Hankou. La population chinoise se réfugie dans les concessions, dans la crainte de voir arriver aussi les troupes sudistes.
113Lecomte et les autres consuls prennent toutes les mesures nécessaires pour protéger les concessions. L’arrivée du croiseur anglais Dispatch rassure étrangers et Chinois. Lecomte demande de faire venir l'Altaïr au plus vite. Dans la nuit du 2 au 3 septembre 1926, les armées sudistes arrivent à Wuchang et sont repoussées par les nordistes. Mais un général nordiste trahit et se rallie aux troupes adverses. Ce revirement permet aux sudistes de s’emparer de la Colline de la Tortue qui domine Hanyang, puis de l’arsenal, le 7 septembre. Les ouvriers à qui ils ont promis des hausses de salaire, n’hésitent pas une seconde à choisir leur camp. Les Chambres de commerce chinoise et internationale de Hankou intercèdent auprès des deux armées, pour que la ville soit tenue hors de la zone des combats. Wu Peifu, qui s’était replié sur Hankou, se retire, le 6 septembre, vers le nord sur la ligne du Kinhan. L’arrivée des troupes sudistes à Hankou est accueillie avec le plus grand enthousiasme par la population. Toutes les autorités chinoises de la ville ayant pris la fuite, l’ordre est assuré par le général Liu Zuolong, qui a reçu des sudistes le titre de Commandant des troupes pacificatrices. Les concessions restent en état de défense. L’Ecole française est envahie par les habitants des maisons voisines, qui repartent une fois le calme revenu. Seul incident, la canonnière Balny, qui descendait le Yangzi vers Hankou, a été canonnée par la garnison de Chenglingji (Chenglingki) et a riposté. Lecomte proteste le 15 septembre auprès de Liu Zuolong, qu’il avait cependant averti. En fait, la garnison n’a pas été prévenue, le télégramme n’étant pas arrivé à temps.
114Le 10 octobre, jour anniversaire de la République, les troupes sudistes prennent Wuchang où était demeuré un général nordiste. Afin de donner un éclat tout particulier à cette victoire symbolique, dès le matin, le Commissaire des Affaires étrangères, en grand uniforme, botté et éperonné, reçoit Lecomte et les autres consuls étrangers. Des arcs de triomphe sont dressés à l’entrée des principales rues, des drapeaux du Guomindang et des lanternes rouges sont accrochés aux poteaux électriques. Seul le consul anglais n’assiste pas à la fête en raison de tracts appelant au boycott contre les Britanniques. Un toast est porté à « la Révolution qui régénère la Chine », accueilli avec une certaine réserve par l’assistance, précise Lecomte. Pour la première fois, les consuls ont l'occasion de voir leur collègue soviétique qui assiste également au dîner. « On ne nous l’a pas présenté et il n’a pas cru devoir se présenter lui-même », ironise le consul français.
115Fin novembre, la situation dégénère vis-à-vis des étrangers et des concessions. Les éléments les plus extrémistes du Guomindang appellent à la grève tous les domestiques chinois des concessions pour le 4 décembre. L’Angleterre fait débarquer ses marins pour défendre la sienne. Lecomte avise le ministre Damien de Martel à Pékin qu’il a demandé à l’amiral un contingent de marins supplémentaire, et à Naggiar à Shanghai, un détachement de police (ce dernier lui envoie un Français, onze Russes et dix Annamites, prélevés sur la police municipale). Il réclame aussi, d’urgence, le retour de son chancelier, Raoul Blondeau, parti en congé en France au mois de mars ; ce dernier s’embarque, le 3 décembre, en compagnie de son épouse enceinte. Pour pouvoir faire face à la situation, Lecomte demande également la permission de conserver le jeune Marcel Chaloin, qui était venu remplacer Blondeau.
116Les commerçants chinois de Hankou sont excédés par l’agitation qui les ruine : cinquante-six grèves en quelques semaines les ont contraints à fermer boutique. Le 3 décembre, veille de la grève des domestiques, les marchands tiennent un grand meeting, et déposent au Bureau politique un ultimatum, menaçant de fermer tous les magasins de Hankou si le calme ne revient pas. Le bureau promet qu’il va prendre des mesures pour faire cesser les grèves. Pour calmer les esprits et contrer les troubles, le commandant des troupes fait exécuter un certain nombre d’agitateurs. Le lendemain, 4 décembre, la grève se passe dans la tranquillité. Les éléments modérés du Guomindang commencent à comprendre que l’aide bolchevique les rend suspects aux Puissances étrangères, d’autant que l’agitation anti-anglaise continue, appelant au boycott de leurs produits.
117Mais la situation dégénère rapidement. Dans les tout premiers jours de janvier, les émeutiers envahissent la concession anglaise, contraignant les Britanniques à évacuer leurs ressortissants, suivis par les Américains. Le secteur anglais passe sous le contrôle des autorités chinoises, et est transformé en district spécial comme l’ont été avant lui les concessions russe et allemande. Seuls la France et le Japon conservent les leurs. Raoul Blondeau est de retour peu après ces événements, le 17 janvier, avec son épouse prête à accoucher et ses deux fils. Le chancelier constate que ce sont « les Bolcheviques Russes qui mènent le train », et que « c’est l’or russe envoyé de Moscou à Pékin, Hankéou, Shanghai qui sert à alimenter la cause de l’Union des travailleurs ». Et continue-t-il : « On s’attend à des événements plus graves, dans le nord, Zhang Zuolin et Wu Pei-fou ne donnent pas signe de vie. C’est pourtant de ce côté seulement que pourrait venir le salut. Ces deux chefs se sont juré l’anéantissement des Bolcheviques, et d’exterminer les Cantonais Rouges... » Comme on l’a vu plus haut, les deux chefs, oubliant leurs querelles passées, ont décidé d’unir leurs forces. De son côté, Chiang Kai-shek se rendant compte des excès du bureau politique de Hankou, à son retour à Nanchang où se trouve le Grand conseil du Guomindang, s’empresse de prendre une orientation complètement différente (voir supra, chapitre I).
118Fin janvier 1927, Lecomte et Blondeau sont décorés de la Légion d’honneur, officier pour le premier et chevalier pour le second. Le 16 février, Lecomte adresse ses remerciements à Berteaux, le chef du Personnel :
« Je sais tout ce que je vous dois pour ma rosette et je tiens à vous en exprimer tous mes remerciements. Excusez-moi de le faire si tard, mais je commence seulement à souffler un peu, pris comme je l’ai été par les événements d’ici, avec tout mon temps mangé par mille petits incidents irritants à régler rapidement souvent par moi-même pour éviter de les voir s’envenimer, car un rien peut suffire à détruire un équilibre assez instable. L’arrivée de M. Blondeau m’a pas mal déchargé, et m’a permis de donner moins de ma personne. C’est un brave garçon très dévoué, et qui ne marchande ni son temps, ni sa présence. J’ai été bien heureux de sa croix qui lui a fait très grand plaisir. Il est maintenant plus tranquille en ce qui concerne sa femme que je ne voyais pas sans inquiétude l’accompagner ici : elle vient d’avoir, il y a deux heures, une belle petite fille... »
119Le 16 février 1927, naît en effet la petite Hélène, troisième enfant de Raoul Blondeau. En raison des troubles, il décide de mettre sa famille à l’abri sous des deux plus propices, et au mois de mars envoie sa femme, son bébé et ses deux petits garçons au Japon, en attendant la fin de la crise.
120Ce même 16 février, les employés des banques étrangères menacent à leur tour de se mettre en grève, pas seulement pour leurs salaires, mais dans un but de plus en plus marqué de gêner les étrangers, et de leur rendre l’existence plus difficile, signale Lecomte. Des demandes exagérées sont formulées, non pas par les travailleurs, mais par les délégués de l’Union générale du Travail. Les responsables des banques sont obligés d’accepter pour pouvoir continuer à travailler. Le ministre des Affaires étrangères, Eugène Chen, tente une médiation, mais sans succès, se rendant compte que le Bureau politique ne cherche qu’à envenimer les relations entre Chinois et étrangers. Après les tragiques événements de Shanghai du 12 avril, la lutte entre les fractions de droite et de gauche du Guomindang aboutit, le 16 avril 1927, à un mandat du Comité Central mettant au ban Chiang Kai-shek. Il riposte, deux jours plus tard, en établissant un nouveau gouvernement à Nankin (supra, chapitre I, troisième paragraphe). Dans la crainte de nouveaux troubles, à Hankou comme dans les autres ports stratégiques, les Puissances augmentent les unités de leurs escadres. Le 21 avril, la Vindictive, un croiseur de 10 000 tonnes, rejoint les trente-cinq autres navires de guerre mouillés le long du Bund de Hankou. En une semaine, leur nombre passe à quarante-deux bâtiments, détachés des flottes britannique, américaine, japonaise, italienne et française36. Mais à Hankou, excepté les coolies, la population, lasse des troubles, prend position contre les communistes, ainsi que la majorité des généraux qui mettent à l’écart Tang Shengzhi du Hunan qui s’est rallié à eux. Après le départ de Wang Jingwei pour Canton, Tang Shengzhi qui s’est finalement rapproché de Zhang Zuolin à Mukden, est battu par les généraux envoyés par Nankin, Li Zongren et Cheng Qian du Hunan. Tang Shengzhi quitte Hankou juste avant leur arrivée, le 16 novembre 1927. Les deux généraux prennent le pouvoir à Hankou.
121Pris au milieu de ces événements, Georges Lecomte exprime à plusieurs reprises sa lassitude et son désir de rentrer en métropole après plus de trente années passées en Chine. Il a perdu toute illusion quant à l’avenir de la France dans ce pays. « Comme vous avez bien fait de dire adieu à cette Chine qui s’en va en morceaux, écrit-il à Berteaux37. » Et un peu plus tard : « J’avoue que le spectacle que j’ai sous les yeux, depuis un an, ne me fait pas désirer d’y prolonger mon séjour, et que j’en suis fatigué moralement et nerveusement, étant quasi vissé à mon bureau dans une tension presque continue tout le temps. Il me semble que je puis bien passer la main, ayant donné ici tout ce que je pouvais. » Début juillet 1927, en prévision du retour des concessions à la Chine (qui ne viendra que 20 ans plus tard !), Lecomte incite le conseil municipal à faire donation au Département, donc à l’État français, d’une propriété limitrophe du consulat dans laquelle est logé Blondeau. Cette propriété achetée 95 000 francs en 1917, en vaut 500 000 en 1927. Le 2 décembre, il adresse une nouvelle demande de congé au ministère, vivement appuyée par son supérieur Damien de Martel. Georges Lecomte quitte Hankou le 31 mars 1928, passant le service à son collègue Jules Leurquin. Son départ a été précédé par celui de Raoul Blondeau qui, le 19 mars, a pris la gérance du consulat de Mukden, durant le congé de Pierre Crépin.
Jules Leurquin, mars 1928-février 1930
122Jules Leurquin arrive de Hoihow. Son épouse Mercedes ayant de plus en plus de mal à supporter le climat de l’île, Leurquin a sollicité un poste dans l’intérieur des terres. Il ne se doute pas des difficultés qui, une nouvelle fois, l’attendent à Hankou. Cela commence dès son arrivée. Les militaires menacent de s’emparer de la concession et de couper l’eau et l’électricité car il refuse de leur livrer des communistes qui s’y sont réfugiés, notamment deux femmes. De plus, son vice-consul Pochard est accusé de concussion, pour avoir laissé rouvrir les théâtres qui avaient été fermés, contre une somme de 3000 dollars38. La crise passée, le 5 juillet 1928, il signale au ministère que « le maréchal Li Tsong-jen s’applique avec zèle à montrer aux étrangers, qu’il a relégué le sabre au râtelier, et entend ne manier que la charrue39 ». À son instigation, le conseil provincial a décidé, qu’à partir du 1“juillet, l’arsenal de Hanyang cesserait toute fabrication d’armes, pour se consacrer entièrement à la production d’articles industriels... Mais, constate Leurquin, les généraux ne sont pas d’accord, encore moins les ouvriers qui redoutent le chômage. Pour prouver la modération de ses idées, Li Zongren invite le corps consulaire de Hankou à un dîner, où chaque convive reçoit une petite plaquette avec le texte en anglais du discours-programme qu’il est censé avoir prononcé. Le thème est toujours le même : « La Chine, tout en désirant ardemment entretenir des étroites et cordiales relations avec les Puissances étrangères, réclame la libre jouissance de ses droits souverains, et demande donc une refonte des traités inégaux. À retarder cette refonte, les étrangers feront inconsciemment le jeu des communistes, dont le parti nationaliste a secoué le joug. Mais on compte sur leur coopération contre le bolchevisme, ennemi commun de tous les états de l’univers. » Commentaire de Leurquin : « La façade est assez belle... Mais les étrangers sont hostiles à l’abolition des traités inégaux, prématurée à leurs yeux, car ils constatent dans le fonctionnement de certaines administrations, dans l’édition incessante de nouvelles taxes, une fantaisie qui leur donnera fort à penser pour le jour où l’appui de leurs autorités consulaires leur fera défaut. » Au mois de mars 1929, Li Zongren et d’autres généraux, Bai Chongxi du Guangxi, et deux autres du Hubei tentent de reprendre leur autonomie, mais ne sont pas suivis par la population lasse de la guerre civile, ni par d’autres généraux, dont ils escomptaient l’appui au Hunan et au Jiangxi. Trahis par certains de leurs subordonnés, ils reculent devant les troupes de Chiang Kai-shek, et se replient sur le Shenxi. Le « général chrétien » Feng Yuxiang, après avoir longtemps hésité à prendre parti, s’était décidé à se mettre en marche vers le Hubei ; mais voyant la débâcle de ses collègues à Wuhan, il fait volte-face et se rallie à Nankin dès qu’il sent le vent tourner et que les forces nationalistes vont l’emporter. Le 1er mai 1929, le calme rétabli, Chiang Kai-shek quitte Hankou et regagne Nankin. Le 3 mai 1929, Leurquin écrit :
« Le départ de Tsiang Kai-chi qui a repris avant-hier la route de Nankin, peut être considéré comme la fin d’un chapitre intéressant de l’histoire du Houpei. Il serait superflu de revenir sur les détails de la campagne rapide qui a permis au gouvernement de Nankin d’asseoir son autorité sur une région qui, depuis de longs mois, vivait dans une semi indépendance. C’est aux Kouangsinais purs, comme Li Tsong-jen et Pei-Tchong-hsi, ou à leurs alliés du Houpei, comme Hou Tsong-to et Tao-Kiun, qu’on doit l’idée première d’une rébellion contre Nankin, il faut convenir que les cerveaux ont manqué de perspicacité, et n’ont pas évalué avec précision leurs forces et celles de leurs adversaires. Tsiang Kai-chi avait de très forts atouts : argent, conseillers allemands, opinion publique rebelle à l’idée de voir se poursuivre une guerre civile autour ou à l’intérieur de Wuhan. Les vaincus Hou Tsong-to et Tao Kiun se sont laissé convaincre de partir à l’étranger "compléter" (euphémisme pour commencer) leurs études avec un viatique très substantiel. »
123Juste avant le départ de Chiang Kai-shek, le 19 avril 1929 Jules Leurquin perd son plus jeune fils. Le petit Pierre, âgé de quatre ans et demi, meurt emporté par la tuberculose. Son épouse Mercedes et ses deux autres enfants rentrent en France, laissant Leurquin seul et désemparé. La perte de son fils et la séparation avec les autres membres de la famille ont une influence extrêmement néfaste sur le caractère de Jules Leurquin, qui se fait taxer injustement de « caractère difficile ». De plus, il est confronté sans cesse aux combats entre communistes et nationalistes, et ses rapports se gâtent avec les autorités chinoises. Il se comporte parfois maladroitement, notamment à l’occasion d’un dîner auquel les autorités de la province ne l’ont pas convié. Cette maladresse suscite des articles malveillants dans la presse locale, qui ne se prive pas d’attaquer un consul étranger, tous les représentants des pays impérialistes faisant l’objet de vives critiques. Quelques mois plus tard, il est enfin autorisé à rentrer. Le 12 février 1930, il remet le service du consulat de Hankou au nouveau titulaire, Marcel Baudez, qui rentre de congé après avoir été en poste à Chengdu.
Marcel Baudez et les troubles communistes, février 1930-mai 1933
124Comme dans la capitale du Sichuan, Baudez doit affronter une situation extrêmement délicate. À cinquante-trois ans et après vingt-cinq ans de service, il en a vu d’autres, et sait faire preuve de sang-froid et de courage pour affronter tous les périls. C’est en raison de son expérience, qu’il est nommé à ce poste qualifié par Auguste Wilden de « volcan toujours prêt à entrer en éruption ». La France est la seule puissance, avec le Japon, à avoir conservé sa concession, qui se trouve placée à cent trente-cinq mètres de la gare du Kinhan. Les troupes chinoises en armes qui doivent prendre le train ne se gênent pas pour la traverser, malgré les tentatives de la police française de les canaliser vers les rues voisines. Il en est ainsi depuis 1927, constate amèrement le consul : « Vouloir s’opposer aujourd’hui à la traversée de la concession par les troupes en armes, débouchant de la gare, serait rechercher un conflit40. » Malgré quelques incidents dus à cette situation, un calme relatif règne à Hankou. Quelques grèves éclatent encore pour des revendications de salaires, puis cessent, dès que satisfaction est donnée aux ouvriers.
125Pourtant les troubles continuent dans le pays. Les troupes de la province ont dû partir vers Nankin et vers les frontières du Henan-Shenxi, pour répondre à une rébellion. Les brigands en profitent pour s’adonner au pillage dans toute la région, s’attaquant aux missions catholiques isolées dans l’intérieur. À trois kilomètres au nord de Hankou, un gouvernement dissident prosoviétique s’est installé, sous l’égide de deux anciens membres du parti communiste de Hankou. D’autres bandes rouges sévissent au Jiangxi, où les évêques de cette province lancent des cris d’alarme. L’école américaine de Kuling a dû déménager à Jiujiang, de grandes opérations militaires étant en cours dans ce secteur. Plusieurs localités sont investies par les communistes. Les habitants, pris de panique, fuient par crainte des pillages, et viennent en grand nombre chercher refuge à Hankou. La loi martiale est proclamée courant mai. On craint le retour des troubles de 1927. Le 22 mai, sept communistes, dont deux officiers, sont pris et exécutés sur le champ. La ligne du Kinhan est coupée en divers endroits, et plusieurs ponts ont été détruits. À Yichang, quatorze communistes, dont quatre femmes, ont été également exécutés. À Jiujiang, quatre cents hommes menacent les établissements de l’Asiatic Petroleum Compagnie. Les autorités britanniques déconseillent à leurs ressortissants de se rendre dans leurs résidences d’été de Kuling, aux alentours du lac Poyang, où sévissent des bandes rouges. Face à ces troubles, les missionnaires évacuent l’intérieur de la province, pour se réfugier dans les villes, Hankou, Yichang, Jiujiang ou Shashi. Deux d’entre eux ont été enlevés. Au mois de juin, la situation est tellement confuse que les autorités civiles et militaires de Hankou envisagent l’abandon de la ville. Des hauts fonctionnaires mettent leurs familles en sécurité dans les concessions. D’autres, sans avoir encore quitté leur domicile, louent des maisons dans la concession française où ils viennent dormir la nuit. Les commerçants les plus riches ont expédié leurs familles à Shanghai. Malgré les avertissements des autorités consulaires britanniques et américaines, certains de leurs ressortissants sont allés s’installer à Kuling, la résidence d’été des Occidentaux et des notables chinois, située dans les montagnes. En raison du danger et de l’impossibilité de les secourir, Marcel Baudez conseille aux Français de ne pas quitter Hankou.
126Le mois de juillet est particulièrement troublé. Les communistes attaquent et pillent les villes de Chenglingji et de Yochow (Yueyang). À Chenglingji, ils tirent sur la canonnière anglaise Teal, blessant deux marins et tuent un matelot américain du Guam à Yochow. Le bateau du contre-amiral anglais, le Bec, essuie une fusillade nourrie alors qu’il tente de reprendre un remorqueur dont se sont emparés les Rouges. Le 5 juillet, un bateau américain recueille des missionnaires espagnols et les dépose à Hankou, le 9 juillet au matin. Les religieux racontent avoir été cachés par des chrétiens avant de pouvoir s’enfuir. Les communistes ont pillé leur mission et, après avoir pris tous les objets de valeur qu’ils ont distribués en partie à la population, ils ont arrosé de pétrole les bâtiments et y ont mis le feu. La panique s’empare des étrangers qui fuient Hankou. Le 31 juillet, Changsha est prise par la Cinquième armée communiste de Peng Dehuai. Puis la ville est reprise par les nationalistes, et tombe à nouveau aux mains des Rouges en septembre. Les combats sont incessants. À Hankou, les représentants des trois provinces se réunissent pour réprimer les communistes qui cherchent à se concilier les masses paysannes, en leur distribuant les biens des gros propriétaires. Face au danger, le commandant des forces françaises d’Extrême-Orient, le colonel Marcaire, assisté de l’amiral Mouget, vient en avion à Hankou pour s’assurer des mesures de défense de la concession. Sur sa recommandation, deux blockhaus sont construits pour abriter les résidents, en cas de grave danger. Ceci mécontente les autorités locales qui y voient une marque de défiance à leur égard. Une campagne anti-française éclate au mois de septembre. Le maire de Hankou s’en prend aux pièces jouées dans les théâtres de la concession française, sous prétexte qu’elles mettent en scène des prostituées et des acteurs dissolus. Quelques-uns des soixante-deux acteurs sont arrêtés en territoire chinois, malgré les protestations de Marcel Baudez.
127Du 21 au 25 décembre, Chiang Kai-shek vient en personne à Hankou, pour inspecter les troupes, visiter l’école des cadets de Wuchang, et redonner une impulsion à la lutte contre les Rouges. Le calme revient sur la ligne Hankou-Changsha où les communications reprennent régulièrement. Mais ce calme n’est que provisoire. Le maire de Hankou avertit Baudez et ses collègues qu’un soulèvement communiste doit se produire le 20 avril. L’amiral Herr est alors dirigé sur Hankou avec la Marne, et arrive le 1941. Dans le même temps, se produit une tentative de gouvernement dissident à Canton qui échoue (voir infra quatrième paragraphe à Canton).
128Au mois d’août 1931, Baudez doit faire face à un danger d’une tout autre nature. Hankou est noyé sous les crues du Yangzi. Plus d’un mètre soixante d’eau recouvrent les rues de la ville. Le consulat n’est pas épargné. Baudez écrit à Wilden à Pékin, le 18 août42 :
« Ce matin, à 10 heures, l'eau atteignait 53 pieds, 50. Cela devient inquiétant car, dans beaucoup de rez-de-chaussée, on ne peut plus pénétrer. À la caserne, grâce aux pompiers, on a pu tenir jusqu’ici, mais la pression de l'eau est tellement forte qu’il vaudrait peut-être mieux laisser envahir le bas pour sauver le tout... Dans les bureaux, partie la moins élevée de l'immeuble, il y a 50 centimètres. J’en ai assez de la vallée du Yangtzé et si votre suggestion de m’envoyer remplacer de la Prade à Hong Kong est acceptée, je n’en serais pas fâché jusqu’au premier typhon. Mais les typhons ont un avantage. Cela dure moins longtemps. Voilà plus de trois semaines que cela dure. Nul ne sait quand l'eau baissera. Je voudrais, mon cher Ministre, dès que cela sera possible, remettre le consulat en état. Il sera inhabitable. Tous les planchers se soulèvent et devront être refaits. S’il me faut attendre, pour avoir l'autorisation que des devis puissent être établis, envoyés et étudiés par les commissions compétentes, il ne sera pas habitable l'hiver, sauf au premier étage. Mais vous pouvez vous représenter comme ce seul étage est encombré. Je ne pourrais actuellement y mettre mes enfants. Et le bungalow de Kuling est inhabitable. Il n’y a pas de cheminées dans les chambres. Pourriez-vous signaler cela à Paris ? »
129Le 14 octobre, le ministère accorde un crédit de 80 000 francs ouvert sur le budget des Beaux-Arts, afin de réparer les dégâts causés par les inondations.
130Au mois d’octobre 1931, l’invasion de la Mandchourie vient faire diversion. Une campagne anti-japonaise se produit, entraînant le boycott des produits nippons. La concession japonaise s’entoure de sacs de sable et de chevaux de frise, pour parer à toute attaque. Femmes et enfants sont évacués vers leur pays d’origine. Quant à la concession française, les demandes de résidence y sont plus nombreuses que jamais, signale Marcel Baudez, les communistes étant encore aux environs de Hankou. Le 7 mai 1932, les armées de Peng Dehuai sont complètement défaites au Jiangxi ; on dénombre dix mille tués, deux mille prisonniers dont un général. Une rumeur se répand que Peng Dehuai serait mort de ses blessures. Il n’en est rien. Les prisonniers communistes sont internés à Hankou dans deux camps, mille huit cents dans l’un, et huit cents dans l’autre. Au mois de décembre 1932, Chiang Kai-shek vient à nouveau à Hankou pour y tenir une conférence avec Zhang Xueliang et T.V. Song. Peu à peu, la lutte contre les Rouges porte ses fruits et le calme revient...
131Le 24 janvier 1933, Marcel Baudez est nommé à Yunnanfou et Mengzi, à la place de Daniel Levi rappelé à l’Administration centrale. Mais retenu par une fièvre typhoïde, il ne peut partir pour son nouveau poste et doit attendre le 15 mai 1933. Il remet le service du consulat de Hankou à Raoul Blondeau qui revient comme chef de poste titulaire. Le 8 juin 1933, Blondeau signale que la situation est calme au Hubei, Henan et Hunan. Mais des bandes communistes continuent à sévir encore dans la région, jusque dans les années 1936, malgré la campagne d’extermination menée par Chiang Kai-shek et la fuite d’une bonne partie d’entre eux à Yan’an, dans le Shaanxi. Blondeau partant en congé, la gérance du consulat est de nouveau confiée à Jules Leurquin, du 31 mars 1935 jusqu’à son retour, le 8 janvier 1936. C’est à ce poste que le surprend la guerre sino-japonaise.
Les postes au sud du Yangzi
Shanghai
132Situé à soixante-dix kilomètres de la mer, baigné par les eaux jaunâtres du Huangpu qui rejoint vingt kilomètres plus loin l’estuaire du Yangzi, Shanghai est le premier port de Chine, assurant à lui seul près de la moitié de l’activité commerciale extérieure de tout le pays. C’est aussi le plus grand foyer d’industrialisation, qui va en s’accélérant dans les années 1920, et le principal centre financier et bancaire, dont l’essor entraîne la création de la première Bourse chinoise. La Grande Guerre a entraîné un affaiblissement de l’emprise économique des pays européens en faveur des États-Unis, et surtout du Japon qui a multiplié les investissements dans toute la Chine, et particulièrement à Shanghai. Mais ce sont surtout des entrepreneurs locaux qui sont à l’origine de la prospérité de la ville : une bourgeoisie d’affaires chinoise s’est développée, influencée par les méthodes occidentales que plusieurs futurs chefs d’entreprise chinois ont étudiées aux États-Unis ou en Europe. La ville connaît un essor sans précédent, qualifié d’âge d’or, et qui contraste singulièrement avec la situation désastreuse des autres provinces, ruinées par l’état de guerre permanent. Elle devient une ville moderne, « la Perle de l’Orient » ou « le Paris de l’Orient » pour certains, le « New-York du Pacifique jaune » pour d’autres43, avec un style propre et un genre de vie à l’occidentale, bien éloigné de celui de Pékin et des autres cités chinoises. Magasins, dancings, cinémas et théâtres, restaurants, lieux de loisirs et de plaisirs se sont multipliés dans les concessions. Et sur la concession française en particulier, depuis qu’entre 1920 et 1925, les maisons de prostitution ont été interdites sur le Settlement international. Les cabarets sont, de loin, la plus grande attraction, écrit Roger Pélissier44. On peut y trouver des filles à tous les prix depuis dix cents jusqu’à un dollar selon l’établissement, et de toutes les nationalités, Chinoises avec leurs robes fendues très haut, mais aussi Russes plantureuses en robe du soir, Coréennes et Japonaises. Toutes ces dames, assises en rang d’oignon, cigarette aux lèvres, attendent le client qui voudra bien les faire danser puis prendre une bière avec elles qu’on lui facturera au prix du champagne. Pour des plaisirs plus charnels, il faut que la demoiselle demande la permission à son patron et surtout discute avec lui le bénéfice que ce dernier en tirera...Des années 1920 à 1937, Shanghai est aussi le centre intellectuel de la Chine regroupant tous les auteurs, écrivains et artistes qui ont fui Pékin et le nord de la Chine, suite aux troubles engendrés par les seigneurs de la guerre.
Figure 9 : poste générale de Shanghai (Carte postale collection privée).
Auguste Wilden et Jacques Meyrier confrontés à la Bande Verte
133Auguste Wilden est à la tête du consulat général depuis le 1er avril 1917, après avoir été en poste à Yunnanfou. Comme ses autres collègues, le consul déplore le manque de personnel, et surtout de crédits. Fin décembre 1923, il demande une augmentation du fonds d’abonnement de 12 à 18 000 francs par an. Les charges du consulat général ont en effet sérieusement augmenté depuis deux ans. La création de la division d’Extrême-Orient, avec pour corollaire le séjour constant à Shanghai d’unités navales importantes, la suppression des bureaux de postes qui fait du consulat l’agent de transmission de tous les autres postes de Chine, engendrent des dépenses supplémentaires qui s’ajoutent aux frais habituels. Notamment l’entretien des immeubles consulaires, « dont un crédit spécial de 2 000 francs (égal à 200 dollars au cours du jour) ne saurait couvrir qu’une faible partie », précise le consul général. La colonie française de Shanghai est aussi l’une des plus difficiles à gérer (un peu plus d’un millier de personnes sur les quelque 111 650 habitants de la concession).
134Wilden, comme d’autres avant lui, se heurte à des jalousies et des ragots malveillants, dans le but de l’évincer de son poste et de ruiner sa carrière (on l’accuse en effet de tous les vices, d’être alcoolique, opiomane et couvert de dettes). Son épouse n’est pas non plus épargnée...Il se défend dans un long plaidoyer adressé au responsable du Personnel, le 2 avril 1924, accusant nommément l’auteur de ces calomnies, le député de Cochinchine, Ernest Outrey45. Ce dernier aurait été poussé par Armand du Pac de Marsoulies, ancien haut fonctionnaire de l’Indochine, devenu avocat conseil de la municipalité que Wilden a écarté cette même année 1924. Confronté également aux troubles de novembre entre seigneurs de la guerre (voir supra), Wilden, qui devait prendre son congé au début du mois, est obligé de retarder la date de son départ. Pour protéger les concessions, il a mobilisé toutes les forces de police et les volontaires, et a fait débarquer les marins du Jules Ferry, du Colmar et du Craonne. La crise terminée, le 20 novembre, il remet la direction du consulat général au consul adjoint Jacques Meyrier et s’embarque pour la France. Le départ de cet homme au caractère bien trempé va avoir de sérieuses conséquences pour l’avenir de ce poste et de la concession, malgré sa décision d’en confier la direction à un collaborateur en qui, pourtant, il a toute confiance N’écrivait-il pas en effet, le 22 octobre 1924, au sujet de Meyrier : « J’ai eu depuis son arrivée à Shanghai, maintes occasions d’apprécier la valeur de sa collaboration ; il s’est mis, en une année, très rapidement au courant de tous les services, et je lui laisse, en toute confiance et tranquillité d’esprit, la gérance d’un consulat général que je crois très sincèrement être un des plus chargés et des plus difficiles à diriger. »
135Mais Meyrier est bien jeune encore et ne va pas pouvoir s’opposer aux ennemis de Wilden qui, après son départ, ont les coudées franches pour mettre la main sur la municipalité. Et en premier lieu, l’avocat Armand du Pac de Marsoulies. Son principal objectif : arracher le commandement de la Garde municipale au consul général, pour la placer sous la direction du Conseil municipal qu’il pourra mieux contrôler. Très actif et jouissant de solides protections, il profite de l’absence de Wilden et des élections de février 1925 pour entrer au conseil, au grand dam de Meyrier qui ne peut évidemment s’y opposer (sur 759 votants, il obtient 573 voix). En prévoyance des difficultés à venir, le consul propose de reprendre lui-même la présidence effective du conseil, depuis longtemps déléguée à un conseiller choisi par les précédents chefs de poste. Le ministre Damien de Martel à Pékin, à qui Meyrier a fait part de ses inquiétudes, approuve cette initiative46 :
« M. du Pac de Marsoulies [...] est une des personnalités françaises les plus marquantes de cette ville ; sa participation active aux travaux du conseil municipal peut être d’un heureux effet grâce à ses compétences et à ses qualités d’administrateur. Toutefois, et c’est là une crainte dont M. Meyrier me fait part, il pourrait être tenté, en raison même de son activité, de vouloir amener le conseil à empiéter sur les attributions proprement réservées au consul, en ce qui concerne l’administration de la police municipale. Le fait que M. Meyrier lui-même signale ce danger permet d’espérer qu’il saura, avec tous les ménagements nécessaires, maintenir le conseil dans les limites de ses pouvoirs. »
136En même temps, pour couper court à toute polémique et écarter Wilden de Shanghai, il suggère au ministère de le nommer ministre plénipotentiaire et de désigner un autre titulaire, « absolument étranger aux luttes de ces années passées et qui remplirait tout naturellement le rôle d’arbitre qui est si nécessaire à Shanghai ». C’est en effet la décision qui va être prise...
137En prenant la présidence du conseil, que peut faire réellement Jacques Meyrier face à du Pac de Marsoulies, et surtout à ceux qui sont derrière lui ? Ce dernier est en effet l’avocat de Du Yuesheng, l’un des chefs de la Bande Verte, le gang mafieux qui règne sur Shanghai. Cet ancien petit voyou, devenu l’un des hommes les plus influents de la grande métropole, habite une luxueuse villa dans la rue Wagner, à l’intérieur de la concession française, en possède une autre, rue Baron-Gros, et dirige un casino, avenue Foch, où se pressent tous les notables de la ville. Depuis le début des années 1920, La Bande Verte, menée par Huang Jinrong, Du Yuesheng et Zhang Xiaolin, contrôle tout le commerce de la drogue à Shanghai et la moitié des fumeries d’opium de la concession française, qualifiées du joli nom de « nids d’hirondelles ». Du Yuesheng dissimule tous ces trafics illicites dans une entreprise d’aspect tout à fait respectable, la Compagnie des Trois prospérités. Avec ses deux compères, il tient totalement entre ses mains, en le soudoyant, Etienne Fiori, le responsable corse de la police. Une bonne partie des agents sont affiliés à la Bande Verte, sous l’égide de Huang Jinrong (dit le Grêlé), devenu chef des inspecteurs. Tout ce beau monde se livre à de drôles de trafics. En tout premier lieu, Fiori lui-même. Cet ex-officier de renseignement au Maroc, sert de lien entre la mafia corse et la mafia chinoise, fournissant à cette dernière de la chair fraîche française contre des ballots d’opium qu’on expédie à Marseille47 Le 28 avril 1925, un accord officieux est conclu entre la municipalité et l’organisation mafieuse. Elle obtient la confirmation de son monopole sur l’opium et la protection renforcée de la police française, en échange d’un versement annuel de dix millions de dollars, et la promesse du maintien de l’ordre, en cas de grève, dans la concession. Cet accord secret est signé par Du Yuesheng en personne, avec deux hommes de confiance délégués par la municipalité, le pharmacien Galvin assisté du docteur Hibert, dans la villa du premier, au 40 de la rue Vallon (sont également présents un importateur d’opium et un intermédiaire Waliton Lee, directeur adjoint de la Compagnie des omnibus. Le document est rédigé en anglais). Un autre accord est signé avec Fiori le chef de la police48. Ce pacte conclu avec le diable ouvre la boîte de Pandore qu’il sera bien difficile aux responsables de la concession française de refermer.
138Jacques Meyrier, réputé comme un homme intègre, est-il vraiment l’initiateur de ces tractations comme le prétendent certains ? Du Pac de Marsoulies, qui vient de reprendre en main la municipalité, et ses amis, n’ont-t-ils pas agi à son insu, ou lui ont-t-ils imposé un fait accompli ? Damien de Martel à Pékin, qui suggère au ministère de ne pas faire revenir Wilden à Shanghai, sait-il réellement ce qui se passe et est-il complice de cette situation ? Coïncidence : pratiquement au même moment à Pékin, il obtient satisfaction au sujet de la question du franc or. Mais ce résultat serait plutôt dû à Zhang Zuolin, dit-on... Les agents du ministère qui prennent ensuite la direction du consulat général vont être pris dans ce piège, et continuer dans cette compromission, aux seules fins de préserver la sécurité de la concession. A commencer par Émile Naggiar, nommé au mois de novembre 1925, qui prend le service de son poste, le 15 avril 1926, des mains de Jacques Meyrier. Tandis que, selon les suggestions de Damien de Martel, Wilden est promu ministre plénipotentiaire de 2e classe et expédié à Bangkok.
Émile Naggiar et le massacre des communistes, mars-avril 1927
139Après les grandes manifestations du 30 mai 1925, la présence des étrangers en Chine et le régime de l’exterritorialité, dont la suppression a été demandée lors de la conférence de Washington, sont remis en cause. Les Chinois exigent l’abolition de la cour mixte de la concession internationale, et demandent à être représentés dans les conseils municipaux des concessions. Jacques Meyrier suggère de réformer la charte municipale et d’admettre des conseillers chinois. Les Chinois sont en effet majoritaires sur la concession, environ 300 000 (146 000 en 1915), contre à peine un millier de Français, et 7 000 étrangers. Mais, à Paris, le ministère n’est pas d’accord, et répond qu’il faut s’en tenir aux stipulations de l’article 4 du texte du 8 avril 1914, déterminant que « deux notables chinois sont désignés d’un commun accord par le Commissaire des Affaires étrangères et le consul général de France pour traiter avec le Conseil d’administration municipale française les questions intéressant les Chinois résidant sur la concession française ». Le nouveau consul général Émile Naggiar, dans un premier temps, approuve cette décision, arguant qu’en cas de troubles, il sera toujours temps de dissoudre le conseil, et de procéder à une refonte de la charte municipale allant dans ce sens49.
140Mais après la résolution adoptée, le 14 avril 1926, par l’assemblée annuelle des contribuables de la concession internationale, qui admet trois représentants chinois au Conseil municipal, il n’a plus le choix. Le 23 avril, Naggiar réunit celui de la concession française, et y convie deux conseillers chinois (Lu Baihong et Lu Songhou), deux notables catholiques50. Cette participation n’est pas une nouveauté, puisque le principe a été admis par l’accord du 8 avril 1914. Mais, dorénavant, les deux conseillers ne sont plus simplement consultés pour les affaires se rapportant aux intérêts de leur pays. Ils peuvent prendre part à toutes les délibérations et décisions du conseil, tout comme les huit autres membres (quatre Français et quatre étrangers) qui, eux, sont élus. L’un des conseillers, Lu Baihong, se réjouit de cette décision dans un discours prononcé lors de la réception donnée en l’honneur du seigneur de la guerre local, le général Sun Chuanfang, et rend un vibrant hommage à Naggiar : « Cette attitude bienveillante aura certainement pour effet une plus grande prospérité de la Concession, et consolidera l’excellente entente entre les résidents chinois et français. »
141Depuis 1924, c’est en effet le seigneur de la guerre Sun Chuanfang qui commande militairement la ville et sa région. Il est soutenu par les Puissances étrangères, inquiètes des débordements communistes du gouvernement de Canton. C’est ce qui ressort des informations données par Meyrier, le 18 mars 1926, à Damien de Martel :
« Sun Chuan-fang s’est créé au Foukien des intelligences, et peut s’appuyer sur cette province dans l’état actuel des choses : Il faut nous en réjouir car la poussée cantonaise va se trouver limitée le long de la côte vers le nord. Au Hunan, autre débouché des Cantonais, il semble que Wou Pei-fou ait des moyens d’action et puisse les tenir en échec. Pour lui et Sun Chuan-Fang, il s’agit surtout de se garantir, au sud, pour avoir les mains libres, au nord, où la lutte s’accentue. Sun Chuan-Fang est en ce moment assuré des provinces du Chekiang et du Kiangsou qu’il gouverne bien. Il cherche aussi à s’assurer du Kiangsi et de l’Anhui, afin d’être seul maître du Bas Yangtzé. »
142Lors du déclenchement de la Beifa, les ouvriers et les étudiants s’insurgent contre Sun Chuanfang, dès octobre 1926, et cherchent à s’allier avec les classes bourgeoises et les sociétés secrètes. Durant toute l’année 1926, les grèves se multiplient pour exiger des meilleures conditions de travail, notamment des indemnisations lors des accidents, et la suppression des châtiments corporels. Ces mouvements de protestation se radicalisent après la prise de Wuhan et de Jiujiang par les armées nationalistes, suscitant d’immenses espoirs au sein de la classe ouvrière. Celle-ci voit en Chiang Kai-shek le héros de la révolution qui va les délivrer de Sun Chuanfang. Le réveil sera dur, très dur...
143Par crainte des troubles, le gouverneur de Shanghai demande à Naggiar de fermer le bureau du Guomindang établi sur la concession française. Le 11 octobre, Naggiar s’exécute et, aidé par la police française, fait arrêter les étudiants qui s’y trouvent ; puis, après avoir procédé à des interrogatoires, en fait relâcher certains et expulse les principaux meneurs. Les succès des communistes à Hankou, au début du mois de janvier 1927, qui ont contraint les Anglais à abandonner leur concession et leurs consulats de la vallée du moyen Yangzi, encouragent les ouvriers de Shanghai. En revanche, ils accentuent l’inquiétude des Occidentaux pour leurs concessions, de même que celle de la bourgeoisie et des classes d’affaires chinoises. Les uns et les autres sont étroitement liés par le souci commun de défendre leurs intérêts contre les Rouges. Comme on l’a vu ci-dessus, cela s’est concrétisé, depuis avril 1926, par l’entrée de personnalités chinoises dans les conseils municipaux des concessions. Le 14 janvier 1927, prenant prétexte de la crise, Naggiar suspend le conseil municipal et le remplace par une commission provisoire nommée, composée de huit Français, quatre étrangers et cinq Chinois. Aux deux conseillers précédents, viennent s’ajouter Wu Dinyin, commerçant et commandant des volontaires chinois de la concession, Zhu Yan, co-directeur de l’Institut franco-chinois, et Wu Zongliang, ancien ministre en Italie. Naggiar en profite pour évincer Du Pac de Marsoulies. Mais cette tentative de reprise en main se révèle sans lendemain. La crainte qu’inspire l’avancée des troupes de la Beifa sur la sécurité des concessions va de nouveau rendre indispensable la protection de Du Yuesheng et de ses sbires...
144Le 17 février, les troupes de Chiang Kai-shek s’emparent de Hangzhou et, le lendemain, s’avancent à environ soixante-dix kilomètres de Shanghai51. À l’annonce de leur approche, le 21 février, une grande grève lancée à l’appel du Syndicat général, jette dans les rues de Shanghai quelque trois cent mille ouvriers, aux cris de « Soutenons l’armée de l’expédition du Nord », « Vive Chiang Kai-shek » et « Renversons Sun Chuan-fang ». Le 22 février, les insurgés sont entièrement maîtres de la ville. Mais sur ordre du généralissime, les armées nationalistes stoppent leur marche et s’arrêtent à Songjiang (Sungkiang). On laisse tout son temps au général Li Baozhang pour massacrer les meneurs (il sera récompensé quelques semaines plus tard par le commandement de la Huitième armée nationaliste). L’insurrection se termine au soir de cette journée fatidique dans un véritable bain de sang. Les têtes des responsables sont promenées dans la ville, piquées sur des bâtons, ou posées sur des assiettes. Malgré quelques troubles qui se prolongent encore pendant deux jours, les ouvriers terrorisés reprennent le travail, sans véritablement comprendre les tenants et aboutissants de cette violente répression. Plusieurs d’entre eux, qui portaient des banderoles souhaitant la bienvenue à Chiang Kai-shek « le valeureux commandant de l’armée cantonaise », ont été arrêtés sans ménagement et décapités sur le champ.
145Parallèlement à ces événements, les troupes du Fengtien-Shandong de Zhang Zongchang suivant la ligne Nankin-Shanghai, le 24 février, s’emparent de la région autour de Shanghai, écrasant Sun Chuanfang qui se retire vers le nord. Bai Chongxi, qui s’était arrêté à Songjiang au sud-ouest de Shanghai, sur ordre du généralissime, recommence sa progression pour se diriger sur Shanghai. Dans la nuit du 20 mars, il atteint Longhua, un des faubourgs de la ville. Chiang Kai-shek lui ordonne d’attendre, afin de ne pas entrer en conflit avec les Occidentaux. Plusieurs négociations sont en effet en cours. L’Union générale du travail lance un nouvel appel à la grève pour le lendemain, 21 mars, et envoie des délégués pour supplier Bai Chongxi de venir en aide aux ouvriers. Mais obéissant aux ordres, ce dernier ne bouge pas. Le 21, à midi, les ouvriers déclenchent eux-mêmes la fusillade. L’Histoire se répète comme un mois auparavant, jour pour jour. Cette fois, les participants sont plus nombreux. Entre cinq cent mille et huit cent mille ouvriers, rejoints par les employés de commerce et tous les laissés-pour-compte de Shanghai, désarment la police, et s’emparent des principaux édifices gouvernementaux. On se bat à coups de bâtons, de haches, de couteaux, et avec les armes récupérées dans les postes de police occupés. De plus, des soldats rejoignent les ouvriers, apportant l’appoint de leurs propres armes. Le lendemain, tout Shanghai est aux mains des insurgés.
146Une fois de plus, les habitants des concessions, consuls en tête, craignent une attaque comme à Hankou. L’état d’urgence et la loi martiale sont décrétés dès le début de l’insurrection, le 21 mars. L’inquiétude est également avivée par ce qui vient de se passer à Nankin, où la Sixième armée nationaliste s’est emparée de la ville et a massacré six étrangers, les autres n’ayant eu la vie sauve que grâce à leur fuite vers les canonnières sur le Yangzi. La panique gagne tous les résidents de Shanghai qui s’attendent au pire. Des rumeurs de massacre se répandent et enflent au fil des heures. Vingt-huit navires de guerre, représentant sept nationalités, sont en attente sur le Huangpu, prêts à intervenir au moindre incident. Grâce aux efforts de la Grande-Bretagne, les corps de volontaires et les forces de police de la concession internationale ont été sérieusement renforcés. Les voies d’accès sont fermées et l’armement augmenté. Depuis les événements de février, la concession internationale est solidement barricadée derrière des barbelés et des chevaux de frise.
147Seul, le consul de la concession française, Émile Naggiar, semble échapper au mouvement de panique générale, suscitant la colère de ses compatriotes, qui protestent vivement contre son inertie. Le contraste est en effet saisissant avec le déploiement de force des Britanniques. Alors que ces derniers peuvent compter sur près de quatorze mille hommes, pour toute défense, la concession française ne dispose que d’une seule compagnie de soldats annamites appelée en renfort, des marins du Jules Michelet et de la Marne, auxquels viennent s’ajouter environ quatre cents volontaires et les mille hommes de la garde municipale. La concession est équipée en outre de quarante-quatre mitrailleuses, quarante-six fusils-mitrailleurs, dix fusils Thompson, deux canons de 65, un autre de 37, environ mille quatre cents fusils et plusieurs centaines de revolvers, six automitrailleuses blindées, neuf autos munies d’un fusil, etc. Naggiar peut-il avouer à ses concitoyens que, plus que sur la force, il compte sur les tractations secrètes qu’il mène en sous-main avec les hommes de la Bande Verte, conformément au pacte d’avril 1925 ? Le directeur-adjoint de la police, Roland Sarly, métis d’origine franco-africaine, sert d’intermédiaire. Dès le début des troubles, Naggiar promet à Du Yuesheng des carabines et des cartouches, contre le maintien de l’ordre et de la tranquillité dans la concession. Il ira plus loin encore en janvier 1928, en faisant entrer au sein même du conseil municipal le deuxième larron de la Bande Verte, Zhang Xiaolin.
148Le 23 mars, les trois mille soldats nationalistes de Bai Chongxi pénètrent dans Shanghai, où s’est constitué un gouvernement provisoire contrôlé par les communistes. Ils sont accueillis chaleureusement par la population, qui voit en eux leurs libérateurs : mille huit cents ouvriers d’usine, dont trois cents femmes, défilent devant eux, déposant à leurs pieds une multitude de cadeaux de toutes sortes, pots à thé, bouilloires, vêtements, etc. Trois jours plus tard, Chiang Kai-shek fait son entrée, accueilli lui aussi par une foule de cinquante mille ouvriers. Dans les concessions et les milieux d’affaires, l’inquiétude est grande. On s’interroge sur les intentions du généralissime. Va-t-il débarrasser Shanghai des extrémistes rouges ou bien va-t-il lui aussi se « jeter dans ce flot et entraîner toute la Chine derrière lui52 ? » Pour commencer, Chiang Kai-shek accorde une série d’interviews aux journalistes étrangers. Il tente de les apaiser en promettant de châtier durement les responsables des massacres de Nankin, d’établir « entre les Puissances et la Chine des rapports plus clairs, meilleurs, fondés sur une amitié et une compréhension mutuelles », en dépit de « tout ce qui fait actuellement obstacle » et qu’il espère éliminer au plus vite. Les mêmes promesses sont valables également pour les banquiers, industriels et négociants chinois, qui s’empressent de lui apporter toute leur aide pour faire cesser les troubles.
149Le 28 mars, la loi martiale est décrétée. Chiang Kai-shek laisse à Du Yuesheng et ses amis le soin de liquider les grévistes. Ils commencent par constituer une « alliance ouvrière », qui se présente comme un syndicat modéré. Dans la soirée du 11 avril, le chef mafieux invite le responsable communiste du Syndicat général à dîner chez lui. Le malheureux est loin de se douter de l’accueil qui lui est réservé. À peine arrivé, son « hôte » le fait étrangler et s’en débarrasse en jetant sa dépouille dans un terrain vague des faubourgs de la ville. Le 12 avril 1927 au matin, la Bande Verte, qui a infiltré les syndicats et les organisations communistes, écrase ces derniers et les ouvriers, aidée des soldats nationalistes de Bai Chongxi, qui désarment les grévistes sous prétexte de rétablir le calme. Ceux qui résistent sont abattus sur le champ. Ceux qui sont faits prisonniers, sont attachés les uns aux autres, et exécutés dans les rues avoisinantes. Les opérations se terminent le 13 avril par un bain de sang, où périssent également des femmes et des enfants, massacrés à coups de baïonnettes. Les blessés sont ensuite ramassés avec les cadavres et enterrés vivants avec eux. Selon un journal britannique, « après minuit, toutes les autorités concernées, chinoises ou étrangères ont été prévenues des événements qui allaient avoir lieu dans la matinée ». Les Puissances étrangères n’ont pas hésité à coopérer à ces opérations et, au premier rang, le corps de la police française, dirigé par Huang Jinrong et Etienne Fiori,
150Après cette purge sanglante, le calme est rétabli à Shanghai. Les quelques communistes qui ont échappé au massacre, terrorisés, entrent dans la clandestinité et se replient dans les campagnes. Certains auraient trouvé refuge dans la concession française, notamment Zhou Enlai et d’autres responsables (Zhou Enlai et son épouse s’embarquent ensuite pour Dalian où ils prennent le train en direction de Moscou, avant de revenir à Shanghai en novembre 1928 et d’y installer un Service secret, le Teke, avec Kang Sheng)53. Un maire est nommé par le Guomindang à la tête du « Grand Shanghai », regroupant la ville même et de nombreux villages des environs. Il dépend étroitement de Nankin où Chiang Kai-shek installe son gouvernement le 18 avril54.
Edgard Koechlin (décembre1928-mars 1932), et la vengeance de Du Yuesheng
151Après ces événements, Naggiar quitte Shanghai le 15 janvier 1928, confiant à nouveau la gérance du consulat au consul adjoint Jacques Meyrier. Lorsque le nouveau titulaire Edgard Koechlin prend la direction du consulat général, le 4 décembre 1928, des mains de Meyrier, il se trouve confronté à la puissance de Du Yuesheng. Il constate lui aussi que le consul de France n’a plus aucune autorité. Afin de continuer à assurer la sécurité de la concession, il est obligé de se plier aux exigences de plus en plus grandes du chef mafieux. Ce dernier est tout puissant grâce à son titre de conseiller accordé par Chiang Kai-shek. Dans la concession française, tous sont à sa botte, non seulement Étienne Fiori le responsable de la police, mais aussi le directeur des services municipaux Verdier, sans oublier son avocat Du Pac de Marsoulies. Grâce à ses « amis », et contre des pots de vin à la municipalité, Du Yuesheng obtient le renouvellement du monopole du commerce de l’opium dans la concession et de la protection pour la demi-douzaine de casinos et la multitude de tripots qui sont en sa possession. Son emprise ne cesse de s’accroître. En mai 1929, Koechlin le fait entrer dans la commission provisoire d’administration municipale, il rejoint son compère Zhang Xiaolin, qu’Émile Naggiar a introduit en janvier 1928 (les deux gangsters remplacent les deux catholiques Lu Songhou et Wu Zongliang). Le 31 octobre suivant, Du Yuesheng exige que les conseillers chinois soient élus par l’assemblée des contribuables chinois, dont il est président, alors que les autres membres sont nommés par le consul. Désormais, la municipalité française est totalement entre les mains du plus grand trafiquant d’opium de Shanghai. Maître incontesté de toute la ville, il est le seul garant de la sécurité dans la concession, grâce à son influence sur les syndicats ouvriers, et a ainsi tout pouvoir pour empêcher les grèves de dégénérer, notamment celle de la Compagnie des Tramways en 1930.
152Au mois de juillet 1931, par l’intermédiaire d’Auguste Wilden qui, depuis juin 1930, a pris la direction de la légation de Pékin, Edgard Koechlin tente d’alerter le ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand. Dans ce rapport, il accuse ouvertement le gouvernement central d’être le principal actionnaire et bénéficiaire du trafic d’opium, avouant en même temps sa totale impuissance face à une telle situation :
« Il est certainement moins difficile d’acheter de l’opium à Shanghai, où que ce soit, que de trouver à Paris, un café ou un bar où l’on prenne des paris pour les courses. Néanmoins, s’il ne peut être supprimé, ce trafic clandestin peut être diminué par une surveillance sérieuse et des raids périodiques, c’est ce qui se fait maintenant et je ne crois pas qu’on puisse faire plus... »
153Ces abus entraînent les protestations de la colonie française, mais aussi celles des autorités de la concession internationale et des notables chinois. Mais en même temps, Koechlin recueille les fruits de cette dangereuse collaboration en obtenant des marchés pour les entreprises françaises55. Ainsi, en mai 1931, les Usines françaises de Pont-à-Mousson décrochent la fourniture des canalisations d’eau de Nankin. À Shanghai même, de nombreuses améliorations sont apportées dans la concession française : élargissement des principales artères et amélioration de leur revêtement ; incinération des ordures ; construction d’un dispensaire, d’un laboratoire municipal d’hygiène pour les analyses des eaux, puits artésiens et denrées alimentaires ; achat d’un terrain pour la construction d’un hôpital général ; création d’un service de vaccination préventive par l’intermédiaire du Service d’Hygiène publique. Dans le domaine de l’instruction, une école pour jeunes enfants chinois est construite. Une grande infirmerie municipale est mise en place par le personnel indigène des services de police, qui sont eux-mêmes réorganisés ainsi que ceux chargés de la lutte contre l’incendie. Les services téléphoniques sont améliorés par l’adoption du téléphone automatique. Koechlin réussit à obtenir un terrain de sport pour l’Association sportive et la construction d’un nouveau Cercle français. Pour finir, il fait voter la construction d’un nouvel hôtel municipal au centre de la concession, et de casernements pour les troupes d’occupation.
154Dans le même temps, comme on l’a vu plus haut, à partir de 1930 l’influence étrangère marque un net recul à Shanghai. Le Tribunal mixte de la concession internationale fait place à des cours locales et provinciales qui sont intégrées au système judiciaire chinois. Seule, la concession française conserve son tribunal, mais est contrainte d’accepter deux juges chinois. Puis les autorités en viennent à acquérir un véritable droit de regard sur les concessions, en levant des impôts sur les grandes compagnies étrangères, et en exigeant l’enregistrement des écoles et collèges de missionnaires fréquentées par la jeunesse chinoise, ainsi que celui des journaux chinois et étrangers (voir infra, chapitre III, seconde partie, paragraphe 4).
155À partir des années 1930, les manifestations d’ouvriers et d’étudiants continuent mais elles sont essentiellement dirigées contre l’emprise de plus en plus envahissante des Japonais. Après le coup de force sur la Mandchourie du 18 septembre 1931, les étudiants de Shanghai se mettent en grève. Les commerçants et les ouvriers leur emboîtent le pas, en boycottant les marchandises japonaises et en déclenchant des grèves dans les entreprises nippones. Sous prétexte de protéger leurs quelque 30 000 ressortissants, le 28 janvier 1932 les Japonais attaquent les quartiers populaires chinois de Zhabei, semant la mort et la terreur. À la faveur de cette crise, dans la concession française, un commandement militaire est substitué à l’administration civile. Le contre-amiral Herr, commandant de la flotte d’Extrême-Orient, prend les rênes du pouvoir.
156Puis le ministère des Affaires étrangères se décide à agir. Pour sauver la face, Koechlin est « rappelé en congé » en France, ainsi que Fiori, le chef de la police. Avant son départ, on exige de Koechlin qu’il demande à Du Yuesheng de démissionner de la Commission municipale provisoire. Le 4 mars, il avise le Département que « Du Yue-sheng, le 13 février, (lui) a fait part de son désir de ne plus faire partie de la Commission municipale56 ». Peu rancunier ( ?), ce dernier invite le consul et le chef de la police partants à un banquet d’adieu, où des champignons font partie des mets servis. Assistent également à ce repas, l’avocat Du Pac de Marsoulies, le colonel A.Marcaire, commandant du contingent français, et Georges-Marie Haardt, l’un des principaux organisateurs de la Croisière Jaune, récemment parvenue à Pékin le 12 février.
157Vient le moment du départ pour Edgar Koechlin qui, le 9 mars, remet la direction du consulat à Jacques Meyrier. Sur le bateau qui le mène à Hong Kong, le 14 mars, il est soudain atteint d’un mal mystérieux. Pris d’une très forte fièvre et d’une éruption suspecte (officiellement diagnostiquée comme la variole), à peine débarqué à Hong Kong, il est aussitôt hospitalisé. Il fait avertir le consul Georges Dufaure de Laprade et, après lui avoir conseillé de ne pas venir lui rendre visite en raison des risques de contagion, change d’avis et réclame sa présence57. Ce dernier ne pouvant se libérer par suite d’un dîner officiel, vient le voir le lendemain, à 11 heures, à l’Hôpital des Isolés, revêtu d’une blouse blanche, coiffé d’un bonnet de toile et les mains recouvertes de gants de caoutchouc. Durant les quelques minutes que dure l’entretien, Koechlin le prie de télégraphier à son frère, médecin à Ribecourt, et à Auguste Wilden, en leur disant de ne pas s’alarmer. Il plaisante même sur son état, déclarant préférer être « dans sa peau qui n’était pourtant pas belle à voir, que dans celle de M. Haardt qu’il savait malade à Hong Kong ». Deux médecins procédant à l’examen de son collègue en sa présence, le consul constate avec effroi la présence de pustules rouges sur tout le corps, surtout sur la poitrine et le dos. Les deux praticiens ayant ensuite demandé au malade d’ouvrir la bouche, des marques plus que suspectes sont nettement visibles sur la voûte palatiale. Dufaure de la Prade demande alors à Koechlin s’il a été vacciné contre la variole. Ce dernier répond qu’il l’a été quatre ou cinq semaines avant son départ de Shanghai, mais que jamais, à aucun moment de sa vie, même enfant, le vaccin n’a eu de prise sur lui. La visite terminée, Koechlin le remercie vivement de « s’être déguisé en médecin afin de venir le voir ». Bien qu’il se soit exprimé tout à fait nettement durant toute la durée de l’entretien, le consul remarque cependant que ses gestes sont un peu saccadés. Dans la matinée du 16, le docteur lui téléphone : la maladie suit son cours normalement et il n’y a aucune raison de s’inquiéter, lui affirme-t-il. Il le rappelle même dans la soirée, vers 21 heures. Le malade repose calmement, sa fièvre est tombée, et il y a tout lieu d’espérer que la maladie évolue dans un sens favorable. Mais dans la nuit du 16 au 17 mars, son état s’aggrave très sérieusement. Le docteur téléphone à nouveau à Dufaure de la Prade pour le prévenir que le mieux constaté la veille au soir n’a pas duré, et qu’aux premières heures de la journée, un collapsus soudain, avec défaillance du cœur, a détruit la lueur d’espérance un instant entrevue. Il ne lui cache pas qu’il faut s’attendre au pire...
158Koechlin rend le dernier soupir dans la journée du 17, peu après 13 heures, sans avoir repris connaissance. Pour éviter tout danger de contagion, il est inhumé le jour même, à 18 heures, en présence du Corps consulaire, des représentants du gouverneur de Hong Kong et du gouvernement de l’Indochine, de la colonie française et de quelques étrangers. Après une courte allocution, Dufaure de la Prade dépose trois couronnes sur sa tombe, une au nom du ministre à Pékin, Auguste Wilden et de son épouse, une autre pour Jacques Meyrier et la Municipalité française de Shanghai, et la troisième au nom de la mère de Koechlin. Presque simultanément, l’avocat Du Pac de Marsoulies meurt également dans des conditions tout aussi mystérieuses, d’une grippe infectieuse, dit-on. Une soudaine épidémie semble avoir frappé la concession française, puisque le colonel Marcaire et Georges-Marie Haardt décèdent également de la même maladie. Curieusement, Fiori, le chef de la police, est le seul rescapé : sans doute n’aimait-il pas les champignons...
Reprise en main du consulat par Jacques Meyrier, mars 1932-janvier 1935
159Après la disparition de Koechlin, Jacques Meyrier reprend la direction du consulat et de la concession, tandis que le colonel Fabre prend la tête de la police. Le consul français oblige Du Yuesheng à fermer sa Compagnie des Trois prospérités qui couvrait tous ses trafics. Le 29 mars, le chef de la Bande Verte est contraint de déménager dans la ville chinoise avec tous ses stocks d’opium... mais sous la protection de la police française, sans doute pour ménager et éviter de faire perdre totalement la face à cet encombrant personnage...
160Le 23 avril, le journaliste Albert Londres, venu faire un reportage sur Shanghai depuis le 23 janvier, s’apprête à embarquer sur le Georges Philippar pour retourner en France. Juste avant que le navire lève l’ancre, il télégraphie à sa famille : « Tout va bien. Venez me chercher à Marseille le 28 mai. Je ramène avec moi de la dynamite. Ce travail sera le couronnement de ma carrière. » Mais, le 16 mai, un incendie se déclare à bord du paquebot des Messageries maritimes, entraînant son naufrage dans la Mer Rouge. Sur les sept cent soixante sept passagers, on déplore une cinquantaine de victimes, parmi lesquelles le journaliste français. Le navire transportait également un rapport de Jacques Meyrier, daté du 16 avril 1932, dénonçant la collusion entre la police française et « la clique chinoise spécialisée dans le trafic de l’opium à Shanghai » et la mainmise totale de celle-ci sur la municipalité58. Fort heureusement, prévoyant des impondérables de ce type, Meyrier avait pris soin d’envoyer un double de son rapport par le Transsibérien. Voici la suite de ses accusations contre la clique de l’opium :
« Elle détient en son pouvoir une formidable puissance occulte, elle n’est plus même notre alliée. Souvent déjà, elle a travaillé contre nous, et il est certain qu’à diverses époques (notamment lors de la grève des employés municipaux, elle a formé l’ambitieux projet d’avoir entre ses mains tous les services administratifs, prête, à la faveur d’une occasion, à se substituer de gré ou de force à l’autorité française. »
161Malgré la gravité extrême de la situation, le consul français souligne qu’il n’y a aucun remède immédiat :
« Vouloir par la force détruire la puissance de la clique de l’opium et mettre un terme à ses activités serait aller au-devant des pires difficultés. Dou You Seng n’hésiterait pas, pour défendre sa position, à provoquer sous le couvert d’un prétexte politique quelconque, des troubles graves dans la population chinoise, peut-être à recourir à la violence à l’aide des bandits à sa solde. Sa puissance, son influence sur la population chinoise, son crédit auprès des hommes politiques sont trop grands encore pour que nous ne devions agir avec prudence. L’action que je propose d’entreprendre sera de longue haleine. Elle tentera d’éviter des heurts et devra s’efforcer de suivre les circonstances et les possibilités... »
162Meurtres, sabotages, vengeances ? À qui pouvaient profiter tous ces crimes ? Du Yuesheng a sans doute voulu éliminer des hommes qui en savaient trop, sur ordre des plus hautes autorités. Et notamment du premier d’entre tous, Chiang Kai-shek, dont il finance la campagne contre les communistes et les Japonais, grâce à l’argent de la drogue, qui lui permet également d’acheter armes et avions aux étrangers. L’ancien petit voyou devenu l’un des hommes forts du régime nationaliste, reste à Shanghai jusqu’à l’arrivée des Japonais en 1937. Il suit alors le généralissime à Nankin, puis à Chongqing, avant de revenir à Shanghai après la capitulation japonaise. Mais les temps auront alors changé. Il finira ses jours à Hong Kong, où il mourra, en 1931, rongé par l’opium.
163Pour l’heure, Jacques Meyrier reprend totalement en main le consulat général en poursuivant son œuvre d’épuration, associant étroitement son consul-adjoint, Jacques Coiffard, auquel il confie la présidence du conseil municipal et la direction des services municipaux. Tous ceux qui ont été trop compromis avec les mafieux sont peu à peu éliminés. On reprend à nouveau des conseillers chinois catholiques. Détail surprenant, Zhang Xiaolin reste également au conseil, jusqu’à l’arrivée des Japonais. Mais à son tour, Meyrier demande à rentrer en congé en France, invoquant son état de santé et celui de son épouse qui doit subir une opération. Il faut donc songer à un successeur un peu plus conciliant, les mesures de rigueur ne pouvant être prolongées plus longtemps. Comme le fait remarquer le ministre Auguste Wilden :
« Les méthodes qu’on emploie en Chine, les moyens qu’on utilise, doivent, en quelque mesure, se plier aux nécessités locales. La leçon ayant porté ses fruits, il faut maintenant prévoir la nécessité d’apporter quelque tempérament à la rigueur qui fut la règle depuis deux ans, et reprendre certains contacts qui permettent à notre administration d’entretenir des relations plus sûres avec les autorités et les milieux chinois. Pour inaugurer ces méthodes de conciliation, sans contredire même apparemment aux mesures sévères dont il fut nécessaire de faire usage, ni risquer de compromettre l’œuvre d’assainissement qui vient d’être réalisée, un nouveau chef de poste se trouverait en meilleure posture59. »
164Mais par qui remplacer Jacques Meyrier ? À la demande d’Henri Cosme, sousdirecteur d’Asie, le choix se porte sur Marcel Baudez, l’un des meilleurs agents de Chine qui, une nouvelle fois, vient de faire ses preuves à Hankou. Ce dernier rentre d’un congé en France. Ses talents de négociateur et sa longue habitude des tractations extrême-orientales font de lui le candidat idoine pour compenser la rude intransigeance de Jacques Meyrier à l’égard des autorités shanghaiennes :
« M. Cosme estime que personne n’est mieux qualifié pour aller prendre la direction du consulat que M. Baudez. Alliant à une connaissance approfondie de la Chine et des Chinois, une exemplaire dignité de vie et une haute valeur morale, ferme dans ses entreprises, bien que d’une inaltérable courtoisie, ayant le sens des négociations et une longue habitude des tractations orientales, il réunit à un degré rare les qualités si diverses qui sont nécessaires pour assurer la défense de nos intérêts en Chine, tout en maintenant des rapports amicaux avec les autorités. »
165Le 30 janvier 1935, Marcel Baudez prend la direction du consulat général des mains de Jacques Coiffard qui en assurait la gérance depuis le départ de Meyrier, le 11 janvier précédent. Mais quatre mois à peine après son arrivée, le 26 mai 1935, Baudez a l’immense douleur de perdre son épouse, victime d’une pneumonie. Il reste seul, désemparé, avec ses quatre enfants. Très affecté par cette disparition, il a beaucoup de mal à surmonter cette épreuve, et son travail s’en ressent, ce qui suscite quelques critiques à son égard. Les événements de juillet 1937 vont lui donner l’occasion de prouver qu’il n’a rien perdu de ses qualités, et qu’il reste l’un des meilleurs agents de Chine.
Yunnanfou et la chancellerie de Mengzi
166Situé aux confins de la Chine, à deux mille mètres d’altitude et au contact de l’Indochine, le Yunnan est sous la domination de Tang Jiyao, l’un des chefs du triumvirat de Canton en 1918-1919, évincé par Sun Yat-sen au début des années 1920. Depuis cette date, le chef yunnanais rêve de réunir à nouveau sous son égide les provinces du Sud-Ouest de la Chine. Le Yunnan, beaucoup plus que les autres provinces, se considère comme indépendant du gouvernement de Pékin, depuis qu’en 1915, le gouverneur de la province, le général Cai E (Tsai Ao), a refusé de se rallier à Yuan Shikai. Après avoir repoussé toutes ses faveurs, il s’est réfugié au Japon et a été remplacé provisoirement par le général Tang Jiyao. Ce dernier a accepté de prêter le serment de fidélité à Yuan Shikai, contre un titre héréditaire de marquis et une solide rente. Fin décembre 1915, Cai E revient au Yunnan et prend le commandement des troupes yunnanaises pour partir à la conquête du Sichuan. Le 25 décembre, Tang Jiyao, reniant son serment précédent, adresse un ultimatum à Yuan Shikai, lui enjoignant de se démettre et le dénonçant comme traître. Le jour du 25 décembre est ainsi devenu fête nationale au Yunnan. L’année 1916 marque le point de départ des luttes intestines qui vont déchirer la Chine durant plus d’une décennie. Le Yunnan ayant donné le signal en attaquant le Sichuan, toutes les provinces entrent successivement en lutte les unes contre les autres.
Albert Bodard (mai 1922-octobre 1925) : bonne entente avec Tang Tiyao
167Le consulat est situé à la limite nord de la ville, dans une belle maison chinoise avec deux grandes cours carrées et des jardins remplis de fleurs. À cinquante mètres de là, une porte percée dans le mur de la ville ouvre sur d’autres jardins où se dressent des constructions modernes : casernes et université voisinent avec le palais du gouvernement et de l’état-major. Depuis la fin de la guerre, le poste a été dirigé successivement par Charles Lépissier, Émile Naggiar, Alphonse Guérin puis depuis septembre 1921 par Pierre Crépin. Les mois de février et mars 1922 sont particulièrement agités. Comme les autres provinces, le Yunnan est en effet en proie à des luttes intestines entre différents partis. Des bandes armées menacent Yunnanfou et, jusqu’à l’arrivée des troupes de Tang Jiyao, tous les résidents, chinois et étrangers, vivent dans la crainte du pillage et de l’incendie de la ville. Le jeune interprète Fernand Roy est seul, avec son épouse et leur petite fille de quatre mois. Le gérant du poste, Pierre Crépin, a été obligé de se rendre d’urgence à l’hôpital de Hanoi à la suite d’un malencontreux accident : en voulant attraper des moineaux à la carabine pour son chat, il s’est blessé à l’œil gauche. Face au danger, Fernand Roy n’hésite pas à aller parlementer avec les belligérants. Grâce à son tact, sa fermeté et son sang-froid, il réussit à éviter la guerre civile et à obtenir des mesures pour assurer la protection des étrangers. Pour le récompenser, le ministre à Pékin Aimé de Fleuriau et Albert Bodard qui succède à Crépin, demandent un avancement de grade et même la Légion d’honneur. Mais le ministère n’y consent pas. Fernand Roy a simplement droit à une lettre de félicitations et à la croix de chevalier de l’Ordre du Cambodge, décoration coloniale, concédée le 14 juillet 1923, par le gouverneur général de l'Indochine.
Figure 10 : Yunnanfou (Collection Soulié de Morand).
Figure 11 : Consulat de France (Collection Georges Soulié de Morand, gérant du consulat années 1906-1910).
168Après être passé à l’hôpital de Hanoi où Pierre Crépin lui remet le service, Albert Bodard prend la direction de son poste le 1er mai, et est reçu par le maréchal Tang Jiyao. Le 15 mai, ce dernier donne une grande réception en son honneur60 : « Les dames françaises avaient été invitées ; les jardins étaient brillamment illuminés ; pendant tout le cours du dîner, la fanfare a joué. Le menu était très soigné et de très bons vins de France furent servis », écrit Bodard. Au dessert, le maréchal porte un toast à sa santé, en louant les mérites de ce « diplomate éminent, qui a passé de longues années en Chine et connaît à fond l’histoire, la science, les arts et la langue de ce pays ». Puis rappelant les bons rapports qu’il entretient avec les Français depuis les huit années qu’il gouverne le Yunnan, le maréchal reconnaît avoir reçu leur aide en toutes circonstances, y compris celle du gouverneur de l’Indochine. « Cela, je ne puis l’oublier et je les en remercie une fois encore » déclare-t-il, en conclusion de son discours. Joignant le geste à la parole, il lève son verre à la santé de Bodard et à la prospérité de la République.
169Le 5 juillet 1922, Bodard signale que le général Tang Jiyu, frère adoptif, en fait cousin germain, de Tang Jiyao, est revenu à Yunnanfou, le 30 juin, après quinze mois de séjour à Canton et Hong Kong. Animé de sentiments très amicaux envers la France, le général a entretenu des relations excellentes avec Émile Naggiar. Beaucoup plus jeune et plus énergique que son cousin, il semble plus intelligent, mais aussi moins pondéré. Son seul désir : supplanter Tang Jiyao. Le maintien du maréchal semble pour le moment le meilleur garant de l’ordre et de la tranquillité au Yunnan, fait remarquer Bodard, bien que, selon ce qu’écrira plus tard son fils Lucien, il trouve Tang Jiyao quelque peu fantaisiste, voire un peu fou61. La politique française doit donc consister à l’aider avec toute la prudence, le tact et la discrétion nécessaires. Dans ce but, Bodard collabore avec les marchands, les notables, les corps élus (assemblées provinciales, chambres de commerce, etc.) et organise même un service de presse indigène qui, depuis son arrivée, ne publie plus un seul article défavorable à la France.
170Pendant ce temps, dans le nord de la Chine, le 14 juin 1922, Wu Peifu et Zhang Zuolin ont conclu un armistice. La restauration de l’ancien président Li Yuanhong à Pékin et la chute de Sun Yat-sen à Canton, font disparaître les motifs qui avaient justifié la déclaration d’indépendance du Yunnan vis-à-vis de Pékin, en 1916. Il en est de même à Canton : le 19 juillet, le général Chen Jiongming estime que les événements de Pékin, ont enlevé au gouvernement du Sud-Ouest toute raison d’être, et se rallie à Li Yuanhong. Devant ce mouvement général, Tang Jiyao hésite à rester isolé. Le 23 février 1923, lors d’un entretien avec Bodard, il lui fait part de son désir de contrôler la province du Guizhou où il voudrait rétablir le vieux maréchal Liu Xianshi qui lui est fidèle, alors que le général Yuan Zuming est inféodé à Wu Peifu. Même situation au Guangxi où le général de cette province, Shen Hongying, est également un fidèle de Wu Peifu. Tang Jiyao souhaite voir remplacer ce dernier par Lu Rongting, dont l’influence au Guangxi devient prépondérante. Ses vœux sont exaucés. Le 21 mars 1923, Liu Xianshi revient à la tête du Guizhou, et Lu Rongting au Guangxi. La bonne entente entre ces deux provinces et le Yunnan, est un gage de tranquillité pour les frontières du Tonkin, conclut Bodard.
171Malgré les troubles des premiers mois de 1922, l’activité commerciale française au Yunnan est relativement prospère. La Compagnie chinoise du chemin de fer Gejiu-Bizezhai (Kokieou-Pitchetchai) a acheté quinze wagons et quatre locomotives, et a passé trois commandes de matériel Decauville (dix-huit kilomètres de rails et vingt wagonnets), en vue de l’exploitation des mines de houille. Un projet de route reliant Yunnanfou à Dali est également à l’étude. La Société des Ateliers maritimes de Haiphong vient de livrer un canot de plaisance à Tang Jiyao, et envisage la construction d’une chaloupe à vapeur de trente tonnes pour le transport des passagers et des marchandises sur le grand lac de Yunnanfou. Le 4 novembre 1922, par l’entremise de Bodard, six avions Breguet sont commandés au gouvernement général à Hanoi, ainsi que deux décortiqueuses à moteur électrique, trois à manège, et du matériel d’huilerie et de papeterie. Les deux premiers avions Breguet arrivent le 10 mars 1923, suivis de près par une mission française dirigée par le capitaine Arbitre. Cette mission est chargée d’organiser le terrain d’atterrissage, de monter les avions et de faire les démonstrations, les 25 et 26 mars, lors de la fête commémorative du retour de Tang Jiyao victorieux sur le Sichuan. Le 28 juin 1923, le gouvernement du Yunnan engage un pilote et un mécanicien français, décide la création d’un atelier de réparation pour les avions, et commande six avions-écoles Caudron. Le fils du maréchal, après être retourné au Japon pour suivre les cours de l’École militaire, se rend ensuite en France pour y perfectionner ses connaissances.
172Non content de favoriser les commandes à l’industrie française, Bodard s’applique également à développer l’agriculture au Yunnan, notamment la culture du blé et de l’orge, pour les vendre ensuite à l’Indochine. Il a obtenu de Tang Tiyao la publication d’un édit, ordonnant aux paysans d’intensifier la culture de ces deux céréales. Vingt tonnes de blé sont livrées à l’intendance de Hanoi pendant l’année 1922, trente autres sont prévues pour l’année suivante. Sur ses indications, le commissaire du Commerce et de l’Industrie a délégué au Tonkin deux fonctionnaires pour l’achat d’animaux reproducteurs et pour étudier les centres d’élevage. De plus, à son instigation, un train de nuit a été instauré entre Yunnanfou et Hanoi, pour transporter, en 32 heures, au Tonkin, légumes et fruits très abondants au Yunnan. Bodard favorise et perfectionne l’industrie de la soie par la plantation de mûriers et l’étude des maladies des vers à soie. Il introduit également des plants de mimosa et d’eucalyptus, dont le bois est utilisé pour les traverses de chemin de fer de Laokay à Yunnanfou. Le consul est récompensé pour ces efforts, le 17 septembre 1924, par la croix d’officier du Mérite agricole.
173En raison de sa colonie indochinoise limitrophe du Yunnan, l’influence française est dominante dans la province. En septembre 1923, trois cent deux Français y résident (dont vingt-cinq protégés), contre quatre-vingt-huit Anglais, soixante Américains et cinquante-neuf Japonais. À Yunnanfou, l’école franco-chinoise, placée depuis quinze ans sous la direction d’Henri Cordier, compte deux cent vingt-cinq élèves qui deviennent ensuite employés dans les chemins de fer, les administrations et les commerces, officiers ou fonctionnaires. En outre, les sœurs de Saint-Paul de Chartres apprennent le français à une cinquantaine d’orphelines, et dirigent un dispensaire qui soigne trois à quatre cents malades par jour. Un évêque et trente-deux missionnaires diffusent la langue et la civilisation françaises dans tout le Yunnan. Fait rare en Chine, le français est à égalité avec l’anglais dans les écoles. L’hôpital consulaire de Yunnanfou, sous la direction du docteur Mouillac (nommé médecin officiel de la province), est le plus florissant de la région. Il a sauvé de nombreuses vies au cours de l’épidémie de scarlatine de 1921-22. Un Comité de l’Alliance française, créé en 1918, réunit trente-cinq Français et soixante Chinois francophones, sous la présidence du Commissaire provincial des Affaires étrangères. La Chambre de commerce, fondée également en 1918, dépend de celle de Shanghai, et comprend dix-sept membres. Plusieurs banques sont présentes à Yunnanfou : la Banque Industrielle de Chine a une agence et un fondé de pouvoir, la Banque de l’Indochine a un bureau, ainsi qu’une agence à Mengzi. Grâce à l’aide de l’Indochine, un réseau radiotélégraphique et un service aéronautique ont été mis en place. La compagnie du chemin de fer est la plus grosse entreprise du Yunnan : cinquante-quatre Français et cinq cent quarante-trois Annamites y travaillent. Une grande station de télégraphie sans fil est sur le point d’entrer en fonction, qui reliera Yunnanfou à Pékin, Saigon et Honolulu, le réseau étant sous le contrôle d’ingénieurs français. Les premiers essais doivent avoir lieu en septembre.
174L’influence française au Yunnan est toutefois menacée par celle des États-Unis. Ce pays envoie des missions chargées de prospecter les gisements de pétrole, et a installé une usine électrique à Mengzi, filiale de la Général Electric Light Company of China Limited. De plus, les Américains ont des visées sur les mines d’étain de Gejiu, non loin de Mengzi. Les Britanniques sont plus intéressés à mettre la main sur le Tibet : en janvier 1924 les Indes ont conclu avec le Dalaï-lama un traité interdisant l’entrée du Tibet aux étrangers (Alexandra David-Néel ne se privera pas de braver cette interdiction ce même mois !) Le Japon est également très intéressé par la province, et jouit d’un grand crédit auprès de Tang Jiyao, qui a vécu dans ce pays, et a pris comme conseiller le général Yamagata. Les Japonais envisagent la création d’un hôpital à Yunnanfou (mars 1923).
175L’anniversaire de la révolution chinoise, le 10 octobre 1923, donne l’occasion à la France d’intensifier sa propagande. La mission cinématographique du gouvernement de l’Indochine, arrivée opportunément, donne une représentation en l’honneur du maréchal dans son palais62. Les films proposés montrent les « prodiges opérés au cours de la guerre par la science et le patriotisme français, en mettant en scène notre armement, nos usines de guerre, nos canons de tous calibres et leurs effets de destruction, notre flotte aérienne et ses combats. Par-dessus tout, la cérémonie émouvante de la décoration des étendards par le Maréchal Pétain, le défilé de nos poilus auréolés par les sacrifices et la victoire ont fait revivre l’épopée ». Une autre séance est prévue, le lendemain, au palais du gouvernement, où sont conviées les dames officielles chinoises, puis, le surlendemain, tous les fonctionnaires civils et militaires. Pour finir, au mois de décembre, Bodard offre deux vases de Sèvres à Tang Tiyao, un au Commissaire des Affaires étrangères, et attend le jour de l’an chinois pour en remettre deux autres aux deux membres les plus influents du gouvernement yunnanais.
176La situation politique se modifie en janvier 1924, avec les changements intervenus dans la province voisine du Sichuan : le retour des nordistes à Chongqing, le 15 décembre 1923, force l’armée yunnanaise du général Hu Ruoyu à évacuer la ville et à se replier vers le sud. Des négociations interviennent entre le Yunnan et Pékin : Tang Jiyao demande à être nommé inspecteur général du Yunnan, du Guizhou et du Sichuan. Le gouvernement de Pékin est d’accord pour les deux premières provinces, mais pas pour la troisième. Tang obtient le retrait de Yuan Zuming du Guizhou (on retrouve ce dernier au Sichuan, guerroyant aux côtés de Liu Xiang et de Yang Sen, voir supra Chengdu et Chongqing). Le 15 août 1924, à l’occasion de son 42e anniversaire, Tang Tiyao invite Albert Bodard. C’est le seul Européen. Son collaborateur Fernand Roy a en effet regagné la France au début du mois d’avril précédent après le décès de son épouse, victime d’une crise d’urémie, trois jours après son accouchement (Roy est reparti avec trois petits enfants en bas âge, dont un bébé d’à peine trois mois)...
177Malgré les clauses du Traité de Saint Germain de 1919, interdisant la livraison d’armes aux Chinois tant que durerait la guerre civile, tous les généraux quels qu’ils soient, indépendants ou inféodés à Pékin, se font livrer armes et munitions. En 1923, le corps diplomatique à Pékin autorise le gouvernement français à vendre à Tang Jiyao trois mille fusils pour la protection du chemin de fer. Mais sur ces trois mille, mille cinq cents seulement lui ont été livrés. Il a aussi récupéré mille cinq cents Mauser anciens. Tang Jiyao rêve de régenter le Yunnan, le Guizhou, le Guangxi et le Guangdong, mais surtout de devenir vice-président de la République chinoise. Mais cela exige des armes, beaucoup d’armes. Devant l’impossibilité d’en obtenir davantage de la France, il s’adresse au Japon, et se fait livrer vingt mille fusils supplémentaires. Comme on l’a vu plus haut, après la mort de Sun Yat-sen, Tang Jiyao décide de monter une expédition pour éliminer le parti extrémiste de Canton, dominé par Borodine, et restaurer la paix dans toutes les provinces méridionales. De l’avis des consuls français Bodard à Yunnanfou, et Leurquin à Canton, le succès de son entreprise ne peut qu’être favorable à la politique française en Extrême-Orient, en garantissant la sécurité à la frontière sino-indochinoise. Mais au début du mois d’octobre 1925, l’aile gauche du Guomindang conseillée par Borodine et menée par Chiang Kai-shek bat Tang Jiyao et ses alliés, mettant fin aux ambitions du chef yunnanais. Quant à Albert Bodard, accusé d’avoir livré des armes à Tang Tiyao, à la demande des Cantonais, il est privé de la direction des postes chinoises, qui devait lui être confiée après le départ de son compatriote, Picard-Destelan.
Charles Lépissier et les révoltes des généraux de Tang Tiyao, Long Yun, Ru Ruoyu et Zhang Ruji, février-mars 1927
178Ce même mois d’octobre 1925, il est remplacé par Charles Lépissier63. Lépissier est devenu persona non grata à Harbin, où Zhang Zuolin ne veut plus de lui (voir supra à Harbin). Comme Laurent Eynard à Chongqing et Marcel Baudez à Chengdu, il a commencé sa carrière en 1906 en qualité d’élève-interprète à Pékin. Il a également assuré la gérance de Longzhou en 1914, de Yunnanfou en 1917 puis de Harbin de 1920 à 1924. C’est donc un homme confirmé qui prend le poste de Yunnanfou qu’il connaît déjà. Il arrive le 25 octobre 1925, en compagnie de son épouse et de leur petite fille, née le 9 août précédent. Lépissier est à la fois consul de Yunnanfou et de Mengzi, ce qui n’est pas une sinécure. Il est en effet seul pour assumer la direction des deux postes, alors qu’auparavant Mengzi était entre les mains du consul Victor Robert jusqu’en avril 1925 (voir ci-dessous Mengzi). Lépissier réclame d’urgence l’envoi d’un chancelier pour le seconder. Obligé de se rendre fréquemment au Tonkin pour régler les problèmes en cours avec le gouverneur, il n’y a personne pour le remplacer au consulat en son absence et en cas de troubles.
179La situation est loin d’être sûre. Alors qu’il se trouve au Tonkin, du 10 au 20 décembre, des écoles françaises sont incendiées. « Dans les circonstances actuelles, je peux même risquer pire et ne pas pouvoir rentrer dans mon poste, fait-il remarquer. C’est moi qui paierai le jour où il y aura un accident. » Dans la région de Mengzi, sévissent en effet des bandes de brigands. Dans la nuit du 26 au 27 janvier 1926, le poste de police de cette ville est attaqué, deux policiers sont tués et des fusils volés. Ce coup de main suit la prise de service, le 19 janvier, du général Hu Ruoyu, envoyé par Tang Jiyao à Mengzi avec six mille hommes pour assurer les fonctions de Commissaire de la défense de cette ville et de responsable des troupes de la frontière du Guizhou. Sur les conseils de Lépissier, Tang Jiyao renonce pour l’instant à ses projets de conquête de cette province et du Sichuan, et se consacre à la protection de ses frontières où il envoie ses principaux lieutenants. Long Yun est chargé de la défense de celle du Guangxi.
180Le 1er novembre 1926, Lépissier est nommé titulaire du consulat de Yunnanfou. Mais il est toujours sans chancelier. Victor Robert qui devait le seconder, est assassiné la veille, alors qu’il quittait Longzhou pour le rejoindre. Le jeune élève-interprète Philippe Simon est alors désigné. En route pour le consulat de Canton, il trouve à son passage à Colombo un décret le nommant à Yunnanfou pour assurer la gérance de la chancellerie. Malgré tous ces troubles, Lépissier et son épouse semblent extrêmement satisfaits d’être dans ce poste, comme en témoignent ces lignes écrites à Berteaux (chef du Personnel), le 30 octobre 1926 :
« Nous continuons à être heureux en famille au Yunnan, où nous tenons beaucoup à rester maintenant que l’expérience fut heureuse. L’année fut bonne pour le poste. L’ordre et la tranquillité y régnaient, chose rare en Chine aujourd’hui. Les intérêts français y trouvèrent leur compte ainsi que les échos en durent parvenir jusqu’à vous. »
181En accord avec l’Indochine, dès le mois d’octobre 1926, Lépissier a fait vendre dix avions et cinq mitraillettes à Tang Jiyao, et a même réussi à faire évincer le fournisseur anglais, au profit d’une maison française d’Haiphong, représentante du constructeur Lucien Lévy. Mais il se fait rappeler à l’ordre par le ministère pour ces ventes d’armes, contraires à l’accord international de 1919, sauf approbation du corps diplomatique de Pékin. De plus, lui fait remarquer le ministre « toute fourniture d’avions, même commerciaux, est inopportune en temps de troubles car ils seront utilisés à des fins militaires ». C’est naturellement ce qui va arriver...
182Tang Jiyao, qui estime sa position peu sûre, demande un supplément de cinq mille fusils qui doivent s’ajouter aux cinq mille qu’il possède déjà. Le maréchal redoutant une trahison, souhaite être aussi fort que ses trois lieutenants réunis, Long Yun et Hu Ruoyu, qui possèdent chacun cinq mille fusils, et Zhang Ruji trois mille. Le 11 janvier, il en réclame encore trois mille supplémentaires. Parallèlement, il envoie le maire de Yunnanfou négocier des alliances avec Wu Peifu, Zhang Zuolin d’une part, et Canton de l’autre.
183Les craintes de Tang Jiyao s’avèrent tout à fait justifiées. L’année 1927 est marquée par cinq coups d’état en six mois. Dans les premiers jours de février, ses trois lieutenants entrent en dissidence, et décident de lancer une attaque sur Yunnanfou. Dès le 1er février, Charles Lépissier est avisé par ses informateurs que des mouvements de troupes suspects se manifestent de Zhaotong vers Yunnanfou. Par ailleurs, Long Yun, qui habituellement n’use jamais de ce procédé, demande au consul français l’autorisation d’utiliser le télégraphe de la Compagnie de chemin de fer, sous prétexte de réprimer des pirates sur la ligne. En réalité, pour communiquer secrètement avec son complice, Hu Ruoyu. Le dimanche 6 février au soir, Lépissier apprend réellement ce qui se trame. Il se précipite immédiatement chez le commissaire des Affaires étrangères pour le prévenir. Ce dernier est occupé à préparer une soirée dansante pour le lendemain, à laquelle les étrangers sont invités. Il accueille ces nouvelles avec stupeur et incrédulité, affirmant à Lépissier que cela est impossible. Lépissier le presse d’aller prévenir Tang Jiyao. Le maréchal, bien loin de soupçonner ces trahisons, est tranquillement en train de fêter la nouvelle année en famille. Au même moment, tout à fait étranger à cette ambiance festive, le général Long Yun tient un conseil de guerre, après avoir distribué des cartouches à ses hommes pour le lendemain. Les troupes de Zhang Ruji ne sont plus seulement qu’à deux jours de marche de Yunnanfou. Celles de Hu Ruoyu montent de Mengzi par le train. La concentration doit être terminée le lundi 7, et le coup de force aussitôt mis en œuvre : « Il est incroyable, écrit Lépissier, de réaliser l’insouciance du danger dans laquelle vivait le Maréchal et son entourage. Toutes les troupes ont été mobilisées à son insu. Je l’ai su largement deux jours avant qu’il ne l’apprenne par ses propres moyens. »
184Charles Lépissier va tout faire pour empêcher les conjurés de parvenir à leurs fins, en parlementant avec les deux partis adverses. Il a appris en effet, de ses informateurs, que la raison majeure du mécontentement des généraux est le maintien à leur poste de plusieurs membres de l’entourage de Tang Jiyao, avec des prérogatives de plus en plus grandes. Son cousin Tang Jiyu est le premier visé. C’est lui, en effet, qui, par son impéritie et son incurie, a fait totalement capoter l’expédition contre Canton en août 1925. Les conjurés exigent sa démission et son renvoi, ainsi que celui d’une vingtaine de personnes. Lépissier en informe le maréchal, et le conseille amicalement de devancer de son plein gré les désirs de ses lieutenants, au lieu d’y être contraint par la force. Il lui suggère d’éloigner Tang Jiyu du Yunnan, en le chargeant d’une mission auprès des gouvernements voisins. Le moment est tout à fait propice : le maire de Yunnanfou, qu’il avait envoyé en ambassade à Canton, à Shanghai et au Japon, vient justement de rentrer l’avant-veille.
185Dès le lundi 7 au matin, Tang s’exécute et édicte un décret démettant son cousin de ses fonctions. Dans le même temps, après avoir été prévenu par Lépissier, le maréchal a employé toute la nuit de dimanche à lundi à préparer la défense de Yunnanfou. À 3 heures du matin, les portes de la ville sont fermées, et six mille hommes sont en position de combat. Plusieurs batteries sont montées sur les murailles face à Beijuechang (Pei-Kio-Tchang), camp du Nord, où Long Yun a mis en place son dispositif de combat, tandis que des renforts arrivent du nord et du sud. Le maréchal envoie aussitôt un parlementaire pour faire savoir à ses adversaires qu’il est prêt à accepter toutes leurs conditions. Les pourparlers se prolongent durant 24 heures, compromis un moment par l’arrivée trop rapide des renforts de Mengzi. Fort heureusement, Lépissier obtient de Long Yun qu’ils s’arrêtent à Yiliang (Yi-Léang). Le 9 février, à 21 heures 30, l’entente se fait entre les deux partis. Les troupes quittent la ville pour rejoindre leur caserne. Mais Tang Jiyao a dû accepter les exigences de ses adversaires. Non seulement il a destitué son cousin le général Tang Jiyu qui est reconduit hors des frontières du Yunnan, mais il abdique aussi tous ses pouvoirs entre les mains de ses lieutenants. Dans le même temps, les propagandistes de Canton profitent des circonstances pour développer leur action, et exciter la population au désordre. Le prestige du maréchal est fortement atteint et son avenir paraît incertain.
186Afin d’assurer la sécurité de la voie ferrée et la protection de son personnel durant les troubles, Lépissier se préoccupe de maintenir le contact avec Long Yun et Hu Ruoyu qui occupent la ligne. À cet effet, Lépissier envoie Philippe Simon à Mengzi. Le 8 février dès son arrivée, Simon est reçu, à 11 heures, dans la maison particulière de Hu Ruoyu, qui lui réserve le meilleur accueil. Le 5 mars, un directoire de neuf membres est mis en place dont la présidence doit être assurée tour à tour, tous les trois mois, par chaque membre. C’est Hu Ruoyu qui en prend la tête, tandis que Tang Jiyao reçoit le titre de Tsong-tsai (Zongcai), équivalent à Président d’honneur, ce qui signifie qu’il n’a plus aucun pouvoir (il décède le 25 mai suivant). Deux tendances s’affrontent. L’une avec Hu Ruoyu désire le rattachement au gouvernement de Canton qui n’a pas été étranger au coup d’état, l’autre avec Long Yun veut le maintien de la province dans l’indépendance. Lépissier se méfie de Hu Ruoyu, « homme suspect du groupe sur lequel il ne faut pas trop compter ». Fort heureusement, il est tempéré par son commissaire aux Affaires étrangères, Zhang Banhan qui, après l’école Pavie de Hanoi, est venu compléter ses études en Belgique et en France. Il est l’ami intime de Long Yun. Des bandes importantes de pirates, qui ont coupé la voie de chemin de fer à Amitchéou au sud de Mengzi dans la nuit du 15 au 16 avril, ont enlevé l’ingénieur français Patoux et le chef de district Poli, ainsi qu’un employé annamite et un chef de gare chinois. Hu Ruoyu est obligé de partir pour rétablir l’ordre. Long Yun, qui l’a remplacé à la présidence du directoire, vient lui prêter main forte le 17 avril. Charles Lépissier se déplace lui-même à Amitchéou pour tenter de faire libérer les prisonniers. Mais il lui faudra attendre plusieurs mois. Poli sera libéré le 30 juillet et Patoux le 5 septembre, après avoir été détenu plus de quatre mois par le chef de bande Li Shaozong.
Ru Ruoyu et Zhang Ruji contre Long Yun, juin et novembre 1927
187Le 14 juin, un nouveau coup d’état est tenté par Hu Ruoyu contre Long Yun64. Dès le 13, Lépissier remarque une activité inaccoutumée autour de la maison du général. Les généraux Zhang Ruji et Li Xuanting y arrivent successivement, venant se joindre au toupan (duban) de Hekou et au directeur de la police d’Amitchéou, arrivés la veille en train de Mengzi, avec mille cinq cents hommes. Ils passent toute la journée dans la demeure de Hu Ruoyu. Le consulat français se trouve non loin de là, environ à deux cents mètres, à mi-distance entre les habitations de Hu Ruoyu et de Long Yun. Subitement, vers 2 heures 30 du matin, Lépissier est réveillé en sursaut ! Une grêle de balles s’abat sur le toit de la résidence consulaire, pénètre dans sa chambre, ainsi que dans la chancellerie et le logement de son vice-consul, Philippe Simon. Les combats se concentrent autour de la maison de Long Yun. Au bruit des balles, vient s’ajouter le crépitement des mitrailleuses. Lépissier et son entourage sont pris entre deux feux. Vers 7 heures, le calme revient, tandis que le bruit de la fusillade s’éloigne en direction du camp du nord où sont concentrées les troupes de Long Yun. À 9 heures, deux coups de canon marquent l’arrêt des combats.
188À cet instant, Lépissier est mandé par Hu Ruoyu et ses deux acolytes. Ils lui apprennent la défaite de Long Yun et son refus de se rendre, sauf à lui, consul de France. Lépissier se dirige donc vers la maison dévastée de Long Yun. La porte est en feu. Lépissier réussit à s’introduire en passant par un trou dans le mur. Il découvre alors Long Yun blessé, un œil crevé. Il a du mal à le convaincre d’accepter les conditions des vainqueurs et, cinq fois, fait l’aller-retour entre les deux partis adverses. Finalement, à 6 heures du soir, l’infortuné Long Yun consent à se rendre. Il sort de sa maison, encadré par Lépissier et Simon, et suivi d’une escorte de deux cents hommes. Les généraux le mettent sous bonne garde, mais Simon accepte de coucher dans la chambre voisine de celle de Long Yun durant plusieurs nuits pour veiller à sa sécurité. Les combats ont fait plus de quatre cents morts et six cents blessés. En réalité, les soldats tués ne sont pas ceux de Long Yun qui n’ont pas eu le temps d’entrer en ville, mais ceux des généraux qui, dans le noir, se sont tirés mutuellement dessus et entre-tués, croyant avoir affaire aux troupes de Long Yun.
189Au lendemain de ce tragique événement, Lépissier manifeste ses inquiétudes et déplore la mise à l’écart de Long Yun :
« Le seul homme qui représentait l’ordre et la paix, le seul qui ait jamais affirmé catégoriquement son désir arrêté de s’opposer aux campagnes anti-étrangères et à l’action néfaste des étudiants, à l’agitation des extrémistes [...] Pour éphémère que fut son pouvoir, il fut loyal, toujours amical et confiant à notre égard. Dans tous mes rapports sur la situation politique de la province, je n’ai jamais manqué — quelles que soient les apparences contraires — d’assurer que nous pouvions être tranquilles et les intérêts français ne risquaient rien. Je dois aujourd’hui faire des réserves. Je ne puis plus être affirmatif comme je le fus. Le général Hou m’a pourtant prodigué les assurances les plus formelles. Je n’ai pas une confiance suffisante en lui. »
190Les inquiétudes de Lépissier ne vont pas tarder à se dissiper. Une partie des partisans de Long Yun ne se sont pas soumis, et se sont réfugiés dans les montagnes, à deux jours de Yunnanfou.
191Dès le 15 juillet, aidés par des chefs de bandes pirates, ils passent à l’offensive et remportent des succès contre les troupes régulières, menaçant la sécurité de Yunnanfou. Les chefs de bandes contrôlent la voie ferrée depuis Yiliang jusqu’à Amitchéou, mais ont promis de ne pas mettre en péril les employés du chemin de fer. Dans la nuit du 23 juillet, le général Hu Ruoyu prend la fuite en direction du Guizhou, emportant au passage les fonds de réserve de la Banque provinciale et des armements. La moitié de ses troupes se rendent au général Wang Jiexiu, ancien commandant de la garde nationale qui contrôle et assure l’ordre dans Yunnanfou. Le général Long Yun rentre dans la capitale dans la nuit du 28 au 29 juillet. Mais à nouveau fin août, le général Zhang Ruji partisan de Hu Ruoyu revient dans la région de Mengzi et menace Yunnanfou65. Le 24 août, après avoir forcé les lignes des troupes de Long Yun, il n’est plus qu’à trois kilomètres de la ville. Les sept mille hommes de Long Yun sont bloqués au kilomètre 326, où le train a déraillé à la suite d’un sabotage. La panique gagne les habitants de Yunnanfou. Fort heureusement à quatre heures de l’après-midi, le train entre en gare, ramenant les troupes de Long Yun. Zhang Ruji rebrousse chemin vers la province du Guizhou, comme Hu Ruoyu un mois auparavant. Finalement cerné de tous côtés, il fait sa soumission complète le 17 octobre.
192Les troupes de Long Yun mettent également en fuite Tang Jiyu, le cousin de Tang Jiyao qui prétendait lui succéder, ainsi que Hu Ruoyu revenu du Guizhou avec des troupes de cette province. Ses adversaires défaits, Long Yun doit encore faire face au chef de bande Li Shaozong, le ravisseur du Français Patoux, qui refuse toute autorité et sévit du côté de Mengzi. Les différents chefs se battent entre eux. Gejiu le centre ouvrier minier est en train de brûler. Mengzi est le lieu de combats violents. Le 20 octobre, la panique gagne tous les habitants et les résidents européens de cette ville, qui demandent à Long Yun d’envoyer des troupes. Finalement le calme revient provisoirement après la déroute de Li Shaozong.
193Début novembre, Hu Ruoyu et Zhang Ruji font à nouveau parler d’eux. Ils menacent de marcher sur Yunnanfou, avec l’aide des troupes du gouverneur du Guizhou. Mais devant la menace des armées de Long Yun, ce dernier s’empresse de repasser la frontière abandonnant ses deux alliés. Le 16 octobre, les deux généraux se réfugient avec leurs troupes dans la ville fortifiée de Qujing, solidement adossée à la montagne et bien protégée par la rivière. Les autres chefs de bande et Tang Jiyu avec eux, attendent le résultat des opérations pour se rallier à celui qui aura gagné la partie. Finalement grâce aux avions commandés à l’Indochine par Lépissier qui lâchent vingt-sept bombes, Qujing ravagée par la famine, finit par se rendre le 14 janvier 1928 (les habitants et les troupes ont mangé tous les chiens de la ville)66. Cependant Hu Ruoyu et son compère Zhang Ruji ont réussi à s’enfuir dès le 11, sous prétexte de faire une sortie pour aller réquisitionner des vivres.
194Un calme tout relatif s’instaure dans les mois suivants. Un nouveau directoire de neuf membres est mis en place, début mars, avec Long Yun comme président. Début avril, ce dernier réussit à réoccuper les villes de Zhaotong, Dali, Mengzi, et à refouler ses ennemis hors des frontières. La paix revenue pour quelque temps, Long Yun projette de développer une aviation commerciale. Elle doit lui servir pour écouler la plus importante des productions du Yunnan, celle de l’opium qui, malgré les interdictions dont elle fait l’objet, contribue fortement à la richesse de la province. Le gouvernement de Hanoi lui interdit en effet de faire passer cette drogue par l’Indochine. Lépissier ne cesse de dénoncer cette politique, contraire aux intérêts français :
« Il paraît paradoxal que notre chemin de fer qui a été construit pour drainer au profit de notre colonie le trafic d’une province qui devait demeurer sous notre dépendance absolue, s’en voit interdire le transport le plus riche. L’aviation l’absorbera à son profit avec ce qu’il comporte de conséquences morales et politiques, et le jour où la voie aérienne sera exploitée, l’Angleterre, qui oppose l’obstacle le plus sérieux à un transit par l’Indochine, fera passer par le Yunnan, pour la consommation chinoise, toute sa production d’opium de Birmanie où elle a augmenté la culture du pavot en ce moment. »
195En accord avec l’Indochine, Lépissier présente au gouvernement yunnanais le lieutenant-colonel Glaize, ancien directeur de l’Aéronautique en Indochine, représentant de la Société d’Études d’aviadon commerciale et postale en Indochine et en Extrême-Orient, chargé de présenter un projet d’aviation commerciale. Lépissier fait savoir que le projet d’une ligne Yunnanfou-Nanning-Canton a été agréé le 4 mai, et concèderait à la société précitée un monopole de trois ans.
196Mais au mois de novembre 1928, le gouvernement de Nankin oblige Long Yun à se porter avec ses troupes dans la province du Guizhou pour remplacer le gouverneur par un candidat de son choix. Chiang Kai-shek espère ainsi unifier tout le Sud-Ouest de la Chine sous son autorité, avec l’aide du Yunnan. Long Yun s’engage avec regret dans cette opération. Au mois de juillet 1929, les deux généraux Hu Ruoyu et Zhang Ruji, profitant de son absence, tentent d’attaquer Yunnanfou. Long Yun, alerté, revient à marches forcées pour leur couper la route. Le 12 juillet, une immense explosion retentit67. Un dépôt de munitions vient de sauter. En prévision de l’attaque des deux généraux, les munitions ont été précipitamment stockées sans aucune précaution dans les dépôts et casernes à cinq cents mètres des consulats. Ceux de France et de Grande-Bretagne sont pulvérisés, ainsi que les maisons du quartier. On dénombre un millier de tués, deux mille blessés et cinq mille sans abri. Le consul anglais est légèrement blessé. Lépissier, son épouse et ses quatre enfants, son chancelier Simon et les trois auxiliaires annamites s’en tirent indemnes. Mais la femme et l’un des fils de son mafou sont tués, le second meurt de ses blessures quelques jours après. Lépissier entreprend de faire réparer le consulat, et en charge un entrepreneur de la Compagnie du chemin de fer, qui met à sa disposition quarante ouvriers annamites et un contremaître français68.
Daniel Lévi, juillet 1929-mars 1932 et la disgrâce de Lépissier et Simon
197Au bout de cinq années passées dans ce poste, Lépissier part en congé le ler juillet après avoir remis, la veille, le service à Daniel Lévi, consul-adjoint à Tianjin puis à Shanghai. Comme Lévi n’a aucune expérience des affaires du Yunnan, le ministre des Affaires étrangères décide de faire revenir Philippe Simon, en congé en France. Mais le 26 juillet, Lévi avertit le ministre à Pékin, Auguste Wilden, que le retour de Simon a toutes les chances d’être très mal perçu, tout comme celui de Lépissier. Au mois de janvier, Simon a en effet quitté Yunnanfou sans aucune autorisation, à la suite, semble-t-il, d’un grave différend avec Lépissier. Alors que ce dernier avait toujours fait les plus grands éloges à son égard. Jugé comme « le collaborateur le plus dévoué et animé du désir de donner le plus largement possible satisfaction », qualifié d’« irréprochable » pour son éducation, sa conduite privée et son exactitude, début février, subitement tout change. Lépissier lui fait parvenir une lettre extrêmement virulente, lui faisant part de son désir de ne plus le voir revenir à Yunnanfou. Le consul est en complète contradiction avec les louanges précédentes. Il reproche maintenant à Simon son insuffisance dans le service, sa mauvaise volonté à étudier les dossiers, son insolence (« l’insolence est une chose que je ne pardonne jamais »), et ses abus alcooliques qui le ruinent physiquement en même temps que dans l’opinion de ses compatriotes et celle des étrangers :
« J’ai eu la faiblesse de vous couvrir. Vous avez pendant quelques mois de 1928-29, eu un nombre appréciable de défaillances, sur lesquelles je n’insisterai pas, sinon pour remarquer qu’elles ont trouvé chez moi un juge indulgent. Vous avez été l’objet d’un certain nombre de plaintes de la part de la direction de la Compagnie, comme de certains particuliers. Je ne vous ai jamais laissé attaquer... Or de tout cela qu’est-il résulté en dehors des reproches que vous avez entendus de vous seul à moi ? Des notes régulièrement bonnes et surfaites. Des propositions en votre faveur, dont la dernière devait vous mettre définitivement en selle, la gérance. Et c’est avec moi que vous vous comportez comme vous l’avez fait. Vous êtes un malheureux sans plus, car vous avez perdu cette fois toutes vos chances. Vous avez menti comme un enfant... »
198Simon aurait accusé Lépissier de ne pas payer certaines factures et de les avoir laissées à sa charge, notamment lorsque il recevait des hôtes de marque comme les neveux de Berthelot ou l’inspecteur des postes diplomatiques et consulaires. Le chancelier aurait fait ensuite parvenir ces factures au ministère, provoquant les foudres de Lépissier.
199À Paris, on est très sceptique sur ces changements subits de jugement. Le sous-directeur d’Asie-Océanie, Joseph Beauvais, écrit à Harismendy, le chef du Personnel :
« Il serait difficilement admissible qu’après avoir pendant plusieurs mois formulé sur son collaborateur des appréciations élogieuses, tant pour son travail courant, qu’à l’occasion de missions spéciales dont cet agent s’est tiré à la satisfaction de son chef, après avoir été jusqu’à marquer que l’expérience de M. Simon pourrait éventuellement le qualifier pour une gérance du poste de Yunnanfou, Lépissier revînt sur son opinion favorable, sous l’empire de considérations qui n’ont rien de commun avec le service. M. Lépisser a, depuis un an, donné des preuves d’une irritabilité qui (sa correspondance en témoigne), s’est exercée contre les personnes les plus diverses ; elle suffit à expliquer les démêlés survenus avec son subordonné, et il ne serait pas juste que ce dernier souffrît dans sa carrière69... »
200En réalité, selon l’explication de Simon lui-même fournie cinq ans plus tard à Louis de Robien, « une histoire de dames » aurait été à l’origine de ce conflit. Auguste Wilden suggère de nommer, à la place de Simon, Armand Gandon, interprète à la légation de Pékin, qui doit rentrer de France à la mi-septembre. Simon reprend son service à Yunnanfou le 1er septembre, en attendant une nouvelle affectation. Au bout de quelques jours, il est muté à Bangkok tandis que Lépissier, après son congé, est nommé à Tianjin en mars 1931.
De Marcel Baudez à Édouard Chauvet, juin 1933-1937 ; mort de Paul Riffaut mai 1936
201Gandon quitte Pékin le 7 novembre 1930 et prend ses fonctions à la chancellerie de Yunnanfou le 28 novembre. Au début de l’année 1932, Daniel Lévi demande, à son tour, à partir à la fin du mois de mars. Gandon doit prendre la gérance du consulat, en attendant l’arrivée du nouveau titulaire, Marcel Baudez, en poste à Hankou. Mais ce dernier, terrassé par une fièvre typhoïde, est d’une extrême faiblesse et incapable de se déplacer. Yunnanfou n’étant pas de tout repos pour un simple interprète, Auguste Wilden insiste pour qu’un agent soit mis à la disposition de Gandon. Il recommande vivement le jeune Joseph Siguret qu’il connaît bien et qui, de retour de congé début janvier, remplit les fonctions de secrétaire-interprète à Shanghai. Siguret part le 22 mars et arrive le surlendemain du départ de Lévi, le 2 avril. Quatorze mois plus tard, le 12 juin 1933, Marcel Baudez prend enfin la direction du consulat. À son arrivée, il trouve l’immeuble consulaire dans un état déplorable. Mais faute de crédits, il n’est guère possible de le faire réparer, encore moins de construire un nouveau bâtiment. De plus, il n’en a guère le temps. Il a du mal à se remettre de sa maladie, et sujet à de fréquentes rechutes, regagne la France le 16 avril 1934.
202Le poste reste alors pendant un mois entre les mains de Joseph Siguret qui a remplacé Armand Gandon, lui aussi reparti en métropole en août 1933. Siguret profite de ses deux ans de séjour dans la capitale du Yunnan et de ses bons rapports avec Long Yun, pour se livrer à des études approfondies de cette région dont il tirera par la suite un ouvrage. Le 14 mai 1934, il remet le service à Armand Gandon de retour de congé. Début juin, ce dernier reçoit du renfort en la personne du jeune Paul Riffaut initialement à Nankin, mais dont la présence est jugée indésirable dans un poste de cette importance. De bonnes raisons ont en effet poussé le responsable du bureau diplomatique, Roger Robert du Gardier, à se séparer de ce collaborateur quelque peu singulier. Converti au bouddhisme, le jeune homme mène une vie très austère, vouée à un ascétisme poussé à l’extrême. Végétarien, il se nourrit uniquement d’une poignée de riz et de quelques vermicelles. En outre, il a renoncé à toute espèce de confort, vivant aux limites du dénuement le plus total. Ce comportement est totalement incompatible avec ses fonctions. Alerté par Armand Gandon, le chargé d’affaires Henri Hoppenot avertit le ministère que « l’état moral et physique de cet agent interdit de lui confier la gérance d’aucun poste ».
203Le nouveau titulaire Édouard Chauvet qui a pris le service du consulat le 2 février 1936, signale le 11 mai que Riffaut a disparu mystérieusement depuis trois jours :
« Il s’est embarqué seul vendredi matin, sur le lac de Tang Tche, à 40 km au sud de Yunnanfou, malgré une violente bourrasque, dans un canot portatif en toile qui a été retrouvé chaviré samedi matin à l’autre bout du lac. Averti dimanche soir, j’ai fait procéder immédiatement à des recherches, que j’ai été activer ce matin sur les lieux, elles n’ont donné jusqu’à présent aucun résultat. J’ai prié les autorités locales de faire une enquête dans toute la région voisine, au cas où M.Riffaut aurait pu aborder, et serait en difficulté dans un village de l’intérieur. Cette éventualité est malheureusement de moins en moins probable, et je n’ai plus qu’un faible espoir de retrouver M.Riffaut vivant70. »
204Le corps de l’infortuné est découvert, un mois plus tard, par des villageois, flottant près de la rive du lac, à cinq cents mètres environ à l’ouest de l’endroit où son canot était venu s’échouer. Le docteur Mouillac, après avoir procédé aux constatations médico-légales, conclut à une mort accidentelle par noyade. Une chapelle ardente est dressée dans la gare de Yunnanfou, où le cercueil est déposé, recouvert du drapeau français et de l'uniforme du défunt. Des obsèques civiles sont célébrées le 8 juin. Malgré les instances de Chauvet, l’évêque refuse obstinément de faire une cérémonie religieuse, Riffaut étant adepte du bouddhisme bien qu’ayant reçu une éducation catholique.
205Peu après ce tragique événement, Chauvet, très malade, demande à rentrer en congé en France et meurt à peine arrivé en métropole. Armand Gandon, qui a repris la direction du consulat à son départ et dont la santé s’est aussi sensiblement dégradée, sollicite à son tour un congé pour le mois de mai suivant. N’ayant pas reçu de réponse il renouvelle sa demande en juin :
« La maladie dont je souffre depuis plusieurs années s’est très aggravée au cours de la dernière quinzaine, en sorte qu’il ne m’est plus possible de consacrer chaque jour au travail de ce consulat que quelques heures coupées de repos fréquents. À la suite d’une nouvelle crise néphrétique plus violente que les précédentes, le Dr Mouillac m’a soumis, aujourd’hui même, à un examen général approfondi, [...] il m’a conseillé de la façon la plus formelle et la plus impérative de me rendre sans délai dans une station thermale de France, pour y suivre un traitement, qui seul, me permettra peut-être de ne pas avoir recours à une grave intervention chirurgicale. »
206Il propose de confier la gérance à Pierre Salade, un jeune secrétaire-interprète arrivé le 25 décembre précédent, « maintenant bien au courant des affaires de ce poste », jusqu’à l’arrivée du prochain titulaire, Pierre Crépin. Sa demande est fermement appuyée par l’ambassadeur Naggiar dans un télégramme du 28 juin 937 : « Je manquerais à mon devoir si je ne vous signalais pas à nouveau de façon extrêmement pressante cette situation. À se prolonger, elle risque en outre de démoraliser l’excellent personnel de Chine soumis, avec ses effectifs réduits, aux dures exigences du climat et du service ». Le 4 juillet 1937, Armand Gandon remet le service à Pierre Salade, jeune agent appelé à de grandes responsabilités à Nankin dans les mois et les années à venir...
La chancellerie détachée de Mengzi et les agences consulaires de Hekou (Hokeou) et Simao
207Du consulat de Yunnanfou, dépend la chancellerie détachée de Mengzi. Ce consulat a été mis en place à la fin du XIXe siècle, en même temps que les petits postes de Simao et Hekou, pour assurer le transit des marchandises entre la Chine méridionale et l’Indochine, grâce au chemin de fer venant de Haïphong, et aussi pour exercer un contrôle efficace de police dans cette zone frontalière. Restés souvent sans titulaires, Simao et Hekou ont été rétrogradés en agences consulaires. De janvier 1909 à janvier 1920 Mengzi a été entre les mains du consul Léonce Flayelle, belle longévité ! Après le bref séjour d’Alfred Valentin, au mois d’août 1920 le poste a été confié à l’élève-interprète Victor Robert, remplacé en février 1921 par Louis Troy jusqu’à son retour le 10 avril 1922. Outre les bureaux de la Compagnie du Chemin de fer du Yunnan, les intérêts français y sont représentés par une agence de la Banque de l’Indochine et la firme Descours et Cabaud. Une école franco-chinoise, réunissant cent dix élèves, y est également présente, ainsi qu’un hôpital et un dispensaire dirigés par le docteur Jarland qui contrôle également le dispensaire de Gejiu.
Figure 12 : Ancienne gare construite par les Français près de Mengzi (Collection privée).
208Le 6 décembre 1921, Albert Bodard demande de rétablir l’agence consulaire de Simao, restée sans titulaire depuis 1908, et celle de Hekou, depuis 1918. C’est chose faite au cours de l’année 1922. Un administrateur-adjoint d’Indochine est nommé à Hekou puis est remplacé en mars 1925 par un gendarme. L’agence de Simao, rouverte le 22 octobre 1923, est confiée au docteur Pautet, médecin major de 1re classe des troupes coloniales. Il est spécialement chargé des questions de frontières et doit ouvrir un dispensaire dans cette ville.
209Après le départ de Victor Robert de Mengzi, le 10 avril 1925 le poste est confié au médecin de l’hôpital, le docteur Théron, puis sa suppression est envisagée dès la fin de l’année 1928. Au début de l’année 1932, la Banque de l’Indochine ferme les portes de son agence comme l’a fait, quelques mois plus tôt, la Compagnie du Chemin de fer du Yunnan. Au lieu de fermer le poste, le consul de Yunnanfou, Daniel Lévi, suggère de nommer un commis de chancellerie, Pham Nhut Tan, qui restera au consulat. Tandis qu’à Mengzi, un gendarme de l’Indochine assisté de deux auxiliaires, assurera, en qualité de chancelier substitué, la garde des bâtiments appartenant à l’Indochine ou au Département, consulat, gendarmerie et hôpital. L’Indochine ayant retiré ses agents, en septembre 1935 il n’y a plus un seul Français à Mengzi71. Seule demeure l’agence de Hekou. Le gouvernement de la colonie ayant liquidé ses propriétés à Mengzi, la vente des bâtiments du consulat et de l’hôpital est envisagée à plusieurs reprises, mais finalement le Département décide de les conserver et de les louer. Au mois d’avril 1938, un candidat se présente, « l’Union de l’Université nationale chinoise72... »
Le consulat de Canton
Georges Goubault et Georges Dufaure de la Prade, mai 1923-avril 1925
210L’importance de Canton s’est considérablement accrue depuis que le Guangdong et le Guangxi forment un état indépendant avec son propre gouvernement. Le consulat français est devenu l’un des plus importants de Chine, après celui de Shanghai et de Tianjin, et est établi dans l’îlot de Shameen que la France partage avec l’Angleterre. Le commerce de la soie y est encore important, représenté par des exportations de soie grège à destination de Lyon, effectuées par plusieurs maisons de commerce. Pendant quinze ans le poste est dirigé par le consul Joseph Beauvais73. Mais malade, au mois d’avril 1923, il doit regagner la métropole. La gérance du consulat est confiée à Georges Goubault, que l’on fait venir de Swatow. Arrivé le 12 mai avec son épouse, Goubault, très fragile nerveusement, a du mal à supporter le climat révolutionnaire de Canton. La ville est alors dominée par l’aile gauche du Guomindang, après les accords conclus par Sun Yat-sen avec les Soviétiques, qui y ont envoyé les conseillers Borodine et Galen. Invoquant ses deux années passées à Swatow et la santé délicate de son épouse, au mois de décembre, Goubault demande un congé. Il rentre en France le 18 mai 1924, après avoir confié le poste au docteur Casablanca, médecin-chef de l’hôpital français.
211Le 19 juin 1924, le docteur organise un grand banquet en l’honneur de Merlin, gouverneur général de l’Indochine, en visite à Canton. Alors que les plats se succèdent et que le vin coule à flots, soudain une bombe de forte puissance explose au milieu des convives, tuant cinq personnes et blessant grièvement le docteur Casablanca. Tout le monde est persuadé qu’il a été commandité par Nguyen Aïc Quoc, futur Hô Chi Minh. En fait, on s’apercevra bien plus tard qu’il est le fait d’un jeune activiste vietnamien, Pham Hong Thai, qui aura même un monument élevé en son honneur74 ! Maurice Beauvais, frère de Joseph, accepte d’assumer bénévolement la direction du poste, en attendant l’arrivée d’un nouveau titulaire, Georges Dufaure de la Prade.
212Ce dernier est en effet choisi pour son expérience. Arrivé en Chine en 1910, après deux ans passés à Canton, en 1912, il a été affecté à Shanghai où il accomplit la plus grande partie de sa carrière. Lorsqu’il est désigné pour Canton, il se trouve à Fuzhou depuis le début de l’année 1924. Il prend son service le 8 juillet. Un mois après son arrivée, éclate une série de grèves déclenchées contre les mesures de sécurité imposées par les Anglais et les Français, à la suite de l’attentat précédent. Dufaure de la Prade demande l’envoi urgent d’un chancelier pour faire face à la situation. Lucien Colin, malgré ses trois ans de séjour en Chine et une maladie de foie, est dépêché de Pékin à Canton fin octobre. Autorisé à prendre un congé à la fin du mois d’avril 1925 en même temps que son supérieur (Dufaure de Laprade part le 25), Colin est obligé d’y renoncer, faute de personnel, et reste à son poste pour seconder le nouveau responsable, Jules Leurquin, dont l’arrivée prochaine est annoncée. De plus, Colin doit assurer la direction de la chancellerie, à la place du titulaire Valentin, rappelé en France pour avoir pris quelques libertés avec la caisse du consulat.
Jules Leurquin et le siège de Shameen, juin-octobre 1925
213Jules Leurquin arrive le 3 mai, avec son épouse Mercedes, sa mère, et ses trois petits enfants, Marie 4 ans, Xavier 2 ans et le petit dernier, Pierre 7 mois. Ils sont loin d’imaginer les dramatiques événements qui les attendent. Comme on l’a vu plus haut, au mois de juin 1925, des troubles éclatent à Canton, suite aux graves incidents du 30 mai à Shanghai. Une grande grève est déclenchée qui va durer seize mois. Le 20 juin, les concessions subissent une première attaque. Un ressortissant japonais est tué. Le 23, les manifestants chinois cernent les concessions. La manifestation dégénère rapidement. Composée d’ouvriers, de paysans et d’étudiants, elle se déroule d’abord dans le calme. Puis, soudain, des coups de feu partent, probablement tirés par des soldats et des cadets de Huangpu, qui se sont joints aux manifestants. Une seconde victime est à déplorer, un Français du nom de Pasquier. Les policiers français et britanniques répliquent à la mitrailleuse, abattant trente-sept personnes. La foule, comme à Shanghai, se déchaîne contre les étrangers. La tête du consul est mise à prix ! Du 23 juin au 15 octobre 1925, l’îlot de Shameen est en état de siège, les grilles des deux ponts sont fermées, isolant totalement les concessions de la ville chinoise. Leurquin cache ses enfants dans la salle des coffres d’une banque, puis durant cinq mois les envoie avec son épouse et sa mère dans une autre ville pour les mettre en sécurité. Privés de domestiques et de tout ravitaillement, avec l’aide de la Marine française, Leurquin et Colin transforment la concession en un véritable camp retranché.
Figure 13 : L’îlot de Shameen en état de défense (Collection privée).
214Puis la situation se calme. Le 15 octobre, les relations sont rétablies avec la ville chinoise. On autorise les résidents de Shameen à s’y rendre pour acheter des produits manufacturés, mais on leur interdit d’introduire dans l’îlot des produits alimentaires, aussitôt confisqués par les piquets de grève en faction près des ponts. Le 30 janvier 1926, Leurquin est excédé :
« La grève ! C'est-à-dire, ne pas pouvoir faire remplacer les vitres brisées de sa maison ; être dans bien des cas son propre secrétaire, son propre domestique ou son propre cuisinier. Le boycottage ! C'est-à-dire, même pour ceux qu’il prétend ne pas viser directement, l’interdiction par le gréviste de piquet à la porte de la concession, d’y faire pénétrer toute marchandise "suspecte", ou qu’il convoite. Un bouquet de fleurs ? À l’eau ! Un peu de pain, un produit pharmaceutique ? À l’eau ! Une couverture ? Au dépôt du Comité de Grève ! Le boycottage ? C'est-à-dire que le vapeur français Lim-chow, ayant touché Hong Kong avant d’atteindre Swatow puis Canton, a dû payer 7 000 dollars d’amende au Comité pour en obtenir l’autorisation de continuer ses opérations dans ce port ; c'est-à-dire que tous les bâtiments qui touchent Canton continuent à subir la présence à leur bord de deux délégués du Comité de Grève, qu’ils emmènent avec eux dans tous leurs déplacements ; c'est-à-dire que Shamin, privée de tout trafic commercial, demeure en pleine léthargie ; c'est-à-dire que le déclin du prestige dont jouissait jadis l’étranger est encore accusé s’il se peut par la présence des forces navales et militaires qui défendent les concessions, mais sont incapables de défendre qui que ce soit qui ait franchi la grille frontière... »
215Les deux gouvernements de Hong Kong et de Canton publient, chacun de leur côté, un communiqué destiné à expliquer l’arrêt des négociations, et à se rejeter mutuellement la responsabilité de cet échec. Le 22 février, sur décision unilatérale du commissaire des douanes britannique, tout chargement et déchargement de marchandises est suspendu, ainsi que tout embarquement ou débarquement de passagers. Jules Leurquin et ses autres collègues refusent de s’associer à cette démarche. Finalement, le 26 février, les grévistes acceptent de restituer les marchandises dont ils s’étaient emparés.
216Épuisés par tous ces événements, Colin et Leurquin demandent à quitter leur poste et à rentrer en congé. L’état de santé de Lucien Colin ne lui permet plus de prolonger son séjour au Guangdong ; il est à bout de forces. Le 16 janvier, Berthelot l’autorise à regagner la France sans délai. Après huit ans de présence en Chine, dont dix-huit mois à Canton, Colin part le 28 février 1926, quelques jours avant Jules Leurquin. Le 8 mars 1926, ce dernier remet le service du consulat à son nouveau titulaire, André Danjou. Le 13, il arrive à Hong Kong, où le consul Georges Dufaure de la Prade lui donne l’hospitalité avant son embarquement pour la métropole avec sa famille.
André Danjou : le calme avant la tempête
217Le nouveau consul, André Danjou, a demandé lui-même sa mutation à Canton75. Venant de Singapour, il a déjà une grande expérience de la Chine, où il est arrivé en 1906, après avoir débuté à la Havane puis Madrid. Selon une confidence d’Aimé de Fleuriau au chef du Personnel Fernand Berteaux, « Danjou avait une bonne position à Singapour, mais il avait assez de voir le soleil se lever et se coucher à 6 heures du soir tous les jours de l’année. Comme il est garçon, il est mieux placé à Canton que La Prade qui ne pouvait avoir sa famille avec lui ». En réalité, Danjou aurait eu quelques ennuis d’ordre privé à Singapour et avait tout intérêt à changer d’air et de pays. Toujours des histoires de dames... Sa nomination fait aussi l’affaire du ministère qui recherche un célibataire pour ce poste, l’expérience vécue par Leurquin ayant prouvé l’impossibilité d’y nommer un titulaire chargé de famille.
218Le 25 mars, Danjou signale que finalement la grève et le boycott des produits anglais et du port de Hong Kong semblent profiter aux Français et à d’autres pays76 :
« Nos compatriotes commencent à revenir à Canton. Le boycottage de Hong Kong a favorisé les compagnies de navigation française, japonaise et norvégienne. Six bateaux français (dont quelques-uns affrétés par des Chinois d’Indochine), naviguent entre Canton et Saigon, et entre Canton et Haiphong. Ils apportent surtout du riz et du charbon. C’est une bonne aubaine pour les armateurs qui regrettent de n’avoir pas un plus grand nombre de navires. Jamais le pavillon français n’avait tenu un rang aussi honorable dans la rivière de Canton. Deux grévistes accompagnent chaque bateau jusqu’à Saigon ou Haiphong, pour être sûrs qu’ils ne touchent pas à Hong Kong. »
219Les Français paraissent même bénéficier de petites faveurs, malgré les contraintes auxquelles ils sont soumis.
220Les missionnaires vont et viennent comme auparavant. La police a fait évacuer l’Évêché qui avait été envahi par les grévistes : un agent est en faction dans la cour, derrière la grille, dont il détient la clé pour les empêcher de revenir. Quand l’évêque veut sortir, il doit demander à ce fonctionnaire de lui ouvrir la porte. En revanche, les familles des grévistes continuent à occuper des maisons appartenant à la Mission dont ils ont expulsé les locataires. Mais selon Mgr Fourquet, qui fait preuve d’un bel optimisme, tout cela finira bien par s’arranger... avec le temps.
221Les Américains ont dû abandonner le Canton Hospital, propriété des Missions protestantes, occupé depuis le 9 mars par les grévistes. Les factieux ont coupé les fils téléphoniques, fermé les conduites d’eau, fait évacuer les malades et interdit l’accès du bâtiment. Seul l’hôpital Paul Doumer n’a pas été fermé, se réjouit un peu vite Danjou (cela ne va pas durer...) Le consul en donne les raisons suivantes, tout en déplorant le manque de moyens mis à sa disposition77 :
« Nous avons à Canton un hôpital français et une école de médecine française qui jouissent d’une grande considération parmi les chinois. Il y a dans cette ville plus de 150 chinois qui ont fait leurs études médicales en France, ou qui sortent de nos grandes écoles. Tous ont de la sympathie pour notre pays. Ils se sentent isolés et cherchent à se grouper. La France peut exercer une grande influence intellectuelle. Ce consulat pourrait favoriser ce rapprochement franco-chinois. Il ne peut faire grand-chose, faute de personnel. Dans la concession, je suis obligé de m’occuper moi-même de tous les services municipaux (voirie, questions sanitaires, jeux, fumeries d’opium, prostitution, etc.) Je suis en même temps chef de la police. N’ayant pas de chancelier, je ne peux faire aucun acte notarié ; nos compatriotes se plaignent. Il me faudrait un chancelier sérieux à l’abri des tentations, ayant de l’expérience et capable de faire à ma place certaines visites et de me représenter... »
222Danjou n’est en effet secondé que par deux jeunes commis inexpérimentés, un Chinois de Shanghai et un Annamite : « Ils sont de bonne volonté et je pourrais en faire quelque chose, assure-t-il, mais il faut que je leur apprenne à travailler. » De plus, comme ils ne peuvent se rendre dans la ville chinoise sous peine d’être pris et exécutés, il est obligé de faire lui-même les courses, ce qui lui prend encore beaucoup de temps. Or le travail de chancellerie redevient important, les commerçants français qui avaient fui à Shanghai lors des événements du 23 juin, reviennent peu à peu à Canton. Le port redevient un centre commercial très actif, où la France occupe un bon rang dans le commerce d’exportation, les compagnies de navigation françaises de Haiphong et de Saigon ayant rétabli un service régulier. Mais comme bon nombre de ses collègues, Danjou déplore le manque d’initiative des commerçants et industriels français : « Le boycottage des marchandises britanniques qui dure depuis 17 mois leur offrait une occasion de se faire mieux connaître sur ce marché. Je suis arrivé ici au mois de mars 1926 : je n’ai vu jusqu’à présent passer qu’un représentant de maisons françaises. » Le consul signale qu’il a repris les contacts avec les autorités chinoises totalement rompus en raison des événements, son prédécesseur Leurquin et son collègue britannique étant restés bloqués dans file de Shameen. Quand il se rend dans la cité chinoise, Danjou n’a personne pour le remplacer au consulat, ni pour recevoir les visiteurs qui sont nombreux :
« Ce poste est un poste d’observation particulièrement intéressant. Le voisinage de nos possessions d’Indochine lui donne une grande importance. Chaque jour voit paraître une affaire nouvelle. Je voudrais bien lire les dossiers, étudier les affaires, je n’ai pas le temps de le faire. Mon collègue d’Angleterre a trois vice-consuls ; de plus, il va transformer ce poste en consulat général. Il y aura un consul général uniquement chargé des affaires politiques et un consul chargé des affaires consulaires et plusieurs vice-consuls. Je n’en demande pas tant, je me contenterai d’un chancelier. »
223La fin du boycott contre Hong Kong est proclamée le 10 octobre. Mais en fait, il continue sous une forme plus atténuée : les commerçants ont le droit d’expédier leurs marchandises sur Hong Kong, à condition que ce ne soit pas sur des bateaux anglais, ou même chinois battant pavillon britannique. L’agitation anti-étrangère se calme au début de l’année 1927, sans doute en raison de la présence à Hong Kong de forces britanniques importantes, commente Danjou. Le 17 janvier, le gouvernement provincial offre aux consuls étrangers un dîner présidé par le général Li Jishen qui, à la fin du repas, boit aux bonnes relations de la Chine avec les Puissances ; les épouses des consuls d’Angleterre, d’Amérique et de Hollande sont présentes, ainsi que celles des autorités chinoises. Le consul du Japon est absent pour cause de deuil national, celui de l’Union soviétique aussi (lettre de Danjou du 22 janvier). Le 19 mars, Danjou obtient une petite satisfaction. Après moult demandes au ministère restées sans réponse, un chancelier Pierre de Franqueville arrive enfin à Canton pour le seconder. La présence d’un collaborateur qualifié ne va pas être superflue lors des nouveaux troubles qui vont suivre. Dès le mois de mars, suite aux menaces proférées par les jeunes étudiants communistes, Danjou, d’accord avec le docteur Ringenbach, est obligé de fermer l’école de médecine et l’hôpital ; c’est ensuite le tour du Collège du Sacré Coeur (voir infra, chapitre III, seconde partie, paragraphe 4).
Les troubles communistes de 1927 et la commune de Canton
224Après les tragiques événements de Shanghai, le 12 avril 1927 le général Li Jishen revient précipitamment à Canton. Il a appris qu’une manifestation anti-étrangère doit avoir lieu le 16. Les ennemis de Chiang Kai-shek et les communistes doivent en profiter pour s’emparer du pouvoir ; les étrangers qui habitent en ville risquent d’être massacrés et les concessions envahies. Le général Li prend les devants et, le 14 à minuit, proclame la loi martiale. Dans la nuit du 14 au 15 avril, il fait désarmer les Unions ouvrières, et tout individu suspect d’être affilié au parti communiste. Les ouvriers se heurtent violemment aux soldats à la gare du Nord. Les émeutes font une cinquantaine de morts et plus de deux cents blessés, et entraînent mille deux cents arrestations. À midi, l’opération est terminée. Aucun étranger n’a été molesté, une attaque contre Shameen ayant pu entraîner les représailles des autorités étrangères. La plupart des Russes ont quitté Canton dans la journée du 14 avril. Les Anglais, à l’exception de quelques employés des douanes, ont évacué complètement le Guangdong, ainsi que les Américains. Après les journées d’émeutes, le général continue de faire la chasse aux communistes dans les unions d’ouvriers, de paysans, d’étudiants et dans l’armée. Il élimine aussi dans l’administration tous ceux qui ont des idées avancées, ou qui sont affiliés au parti de Hankou. Presque tout le personnel est changé. Les uns se sont enfuis ou ont été arrêtés, les autres ont été révoqués ou ont donné leur démission. T.V. Song, ministre des Finances, s’est réfugié dans la concession française de Shanghai. Le maire par intérim a pris également la fuite. Le 2 mai, Danjou signale que la chasse aux communistes continue ainsi que contre tous les opposants à Chiang Kai-shek. Le 27 mai 1927, les consuls reçoivent une lettre annonçant la nomination de Wu Chao-chu (CC Wu) comme ministre des Affaires étrangères, à la place d’Eugène Chen.
225Mais de nouveau, à la fin du mois de juin, Danjou signale une recrudescence des troubles : les ouvriers, menés par les communistes, manifestent contre les Britanniques et les Japonais. Le boycottage des bateaux anglais de la ligne de Hong Kong est complet, suivi par celui des Japonais. Le dimanche 26 juin, un prêtre français est assailli à coups de pierres à la sortie de la cathédrale. La loi martiale est une fois de plus proclamée. Le général Li Jishen ne cesse de faire arrêter des communistes, après la découverte de plusieurs bombes. Les opérations se poursuivent dans la nuit du 28 au 29 juin. Le 15 juillet, la situation est de plus en plus confuse et le pouvoir du général Li de plus en plus précaire. Le 5 août, une bombe explose dans un restaurant, tuant neuf personnes. En septembre, le boycottage des produits japonais s’atténue, tandis que reprend avec plus d’intensité celui des produits anglais.
226Le 25 septembre, le général Li Jishen accueille les troupes du général Zhang Fakui, surnommées « l’armée toujours victorieuse » ou « l’armée de fer » (le général est resté à Hong Kong où il attend le résultat des pourparlers avec Li). Li Jishen cherche à se rapprocher de la colonie anglaise et à établir des relations de bon voisinage. Pour ce faire, il s’oppose à un nouveau boycott des produits britanniques annoncé pour le 15 septembre (le consul d’Angleterre a en effet menacé de riposter par des actes de guerre). Li Jishen espère que Hong Kong le soutiendra contre le général Zhang Fakui, prêt à rejoindre Canton. « Je crains que l’arrivée de Chang à Canton ne marque le début d’une nouvelle période de troubles », s’inquiète André Danjou deux jours avant. Il n’a pas tort. Zhang Fakui débarque le 27 septembre avec huit mille hommes (il en a encore dix mille en réserve !). Le 2 octobre, il lance un manifeste proclamant sa fidélité à Wang Jingwei à Hankou, déclare qu’il faut également soutenir les unions d’ouvriers et de paysans, et que tous les révolutionnaires doivent s’unir et établir une nouvelle base à Canton. Les personnes incarcérées le 15 avril précédent par Li Jishen sont relâchées, tandis que des partisans de Chiang Kai-shek sont arrêtés ou forcés de prendre la fuite. Peu à peu, Zhang Fakui remplace tous les collaborateurs du général Li par les siens.
227Le gouvernement de Canton se proclame indépendant et refuse d’envoyer les fonds réclamés par Nankin. En outre, il maintient le conseil politique dont Nankin demande la dissolution (ce conseil vote les décisions et nomme les nouveaux commissaires du gouvernement). Le général Zhang Fakui cherchant des appuis auprès des unions ouvrières et des unions paysannes, l’agitation ouvrière reprend de plus belle. Au mois d’octobre, le parti de gauche tente de s’imposer avec les membres de l’Union des gens de mer, qui appellent à la grève. Mais le 19 octobre, le général Li Jishen fait cerner les grévistes et reprend le pouvoir. Dix jours plus tard, arrive de Hankou Wang Jingwei suivi, le 2 novembre, par T.V. Song. Rappelé par la gauche, Wang Jingwei a l’intention de ramener dans l’ancienne capitale révolutionnaire les organismes du gouvernement et ceux du Guomindang. Il exige que le quatrième congrès du parti se tienne à Canton. Mais il ne peut imposer ses vues, ni à Nankin où le parti du Guangxi est tout puissant avec les généraux Li Zongren et Bai Chongxi, ni aux généraux de Canton, Li Jishen et Huang Shaoxiong, et est bien obligé d’accepter que le congrès ait lieu à Nankin. Le 5 novembre, il rencontre André Danjou qui lui rend sa visite le lendemain. Le consul constate que Wang Jingwei est complètement désabusé. À son retour de France, bravant les ordres de Chiang Kai-shek, il s’est rendu directement à Hankou. Arrivé sur place, il a réalisé que Borodine et les Soviétiques étaient les vrais chefs du gouvernement, et avaient l’intention de mettre toute la Chine sous leur coupe. Il a même pris connaissance du plan conçu à cet effet, grâce aux confidences de l’un d’eux qui le croyait adepte de Moscou : vingt mille ouvriers et vingt mille paysans devaient former une armée du peuple, et permettre l’établissement d’un gouvernement commu niste.
228Après le départ de Canton du général Zhang Fakui, le général Li Jishen et Wang Jingwei partent à leur tour dans la nuit du 16 novembre, à destination de Hong Kong, d’où ils doivent se rendre ensuite à Shanghai pour assister à la conférence préparatoire du futur congrès. Vingt-quatre heures après leur départ, le chef d’état-major de Zhang Fakui fait désarmer les soldats de Li Jishen, faisant une vingtaine de morts. Zhang Fakui s’empresse de revenir à Canton, le lendemain, et prend la présidence du conseil militaire. Il donne l’assurance à Danjou qu’il est favorable à la présence des étrangers. Pour prouver sa bonne foi, il fait dissoudre les comités de boycottage anti-britannique et anti-japonais, et pour rassurer les marchands, continue le licenciement des grévistes commencé par Li Jishen, et les expulse des immeubles qu’ils occupaient. Ces bâtiments sont aussitôt récupérés par leurs propriétaires, la Mission catholique et la Banque de l’Indochine. Pour se venger, les grévistes allument des incendies : ceux qui sont pris sont exécutés sur le champ.
229Du 11 au 13 décembre 1927, a lieu une ultime tentative de coup d’état communiste, orchestrée par les Russes du consulat, « la Commune de Canton ». Mais les autorités chinoises ont eu vent du complot. Le 10 décembre, de Shanghai où il se trouve avec Chiang Kai-shek, Wang Jingwei télégraphie à Zhang Fakui de surveiller le consulat soviétique. Dans deux maisons voisines sont en effet découvertes des bombes et des revolvers. Immédiatement Zhang Fakui prévient son adjoint Huang Qixiang de venir renforcer la garnison de Canton avec quelques troupes. Huang Qixiang arrive le 10 décembre au matin. André Danjou est également prévenu. À 16 heures, craignant pour la vie du docteur Condé, de sa femme et de sa fille et d’une malade européenne, il demande au lieutenant de vaisseau Duc, commandant de la Vigilante, d’aller vite les récupérer à l’hôpital Paul Doumer et de les ramener au consulat. Zhang Fakui et deux autres généraux se préparent à désarmer les trois bataillons qu’ils savent achetés par les communistes, et s’apprêtent également à perquisitionner le consulat soviétique. À 10 heures du soir, la gendarmerie est renforcée. Mais les communistes se rendant compte que le complot est découvert, décident d’agir le 11 et non le 16, comme cela était prévu initialement.
230Le 11 décembre, à 2 heures du matin, trois bataillons de mille cinq cents hommes s’ébranlent, en chantant des hymnes révolutionnaires. Ouvriers et paysans se joignent à eux. À 4 heures, cinq mille gardes rouges d’ouvriers occupent le bureau de la police, désarment les gendarmes, et s’emparent de toutes les administrations et des points stratégiques. Le Trésor, la Banque centrale, le Télégraphe et les téléphones, la poste, l’usine électrique, les chemins de fer passent entre leurs mains. Des incendies éclatent qui continuent encore à brûler le 13 au petit matin, détruisant une partie de la ville. Affolés, de nombreux habitants fuient en direction de Hong Kong. Dès le 12, le consul Dufaure de Laprade voit affluer mille cinq cents personnes, suivies, le 13, par deux mille cinq cents autres sur un seul bateau. Cependant à Canton, aucun étranger n’est molesté. André Danjou et les Anglais acceptent de laisser entrer dans leurs concessions des Cantonais transportant avec eux tout ce qu’ils ont de précieux, bijoux, argent, vêtements, etc.
231Dans la journée du 13, les troupes reprennent la ville et exécutent deux mille communistes. Les Russes ayant pris part au soulèvement, onze d’entre eux sont fusillés. Leur consul général est emprisonné. Quant au vice-consul, il a été tué lors des combats. Danjou estime à trois mille le nombre de victimes, le plus souvent des innocents. « Mort aux communistes, mort aux Russes ! » ont été les mots d’ordre qui ont motivé les massacres. Les soldats ont arraché les vêtements des femmes et des jeunes filles, avant de les violer et de les exécuter. Un correspondant du Ta Kung Pao a vu des femmes « roulées dans des couvertures, arrosées d’essence et brûlées vives78 ». Des hommes ont été mutilés. Le 17 décembre, sept cents personnes sont encore fusillées, le lendemain trois cents ou quatre cents autres, par rangées de quarante sur deux rangs. Les exécutions sont faites à coups de rafales de mitrailleuses. Trois cent soixante-cinq automobiles, sur les quatre cents qu’en compte Canton, ont été brûlées. Le consul général russe est finalement expulsé avec sa famille ainsi que les épouses et les filles de ses compatriotes tués ou exécutés. Durant les troubles, plusieurs incendies se sont déclarés dans le centre de la ville ; le feu dévore la Banque centrale et les bâtiments avoisinants, un dépôt de poudre en sautant ayant enflammé tous les autres immeubles. En réalité, ils ne sont pas le fait des communistes, mais sont dus aux bombardements des canonnières japonaises, britanniques et chinoises qui couvrent les troupes de Zhang Fakui en train d’accoster. Les généraux Huang Qixiang (Hwang Che-hsiang) et Li Fulin dirigent les opérations depuis une canonnière. Cinq mille sept cents personnes ont trouvé la mort lors de ces insurrections.
Retour au calme jusqu’en 1937 ; avril 1929, Laurent Eynard succède à André Danjou
232Malgré les troubles qui l’entourent, peu avant ces tragiques événements, Danjou n’en oublie pas moins son petit confort personnel. Le 10 octobre 1927, dans une lettre au ministère, il dénonce la situation déplorable des installations sanitaires du consulat79. Alors que toutes les maisons habitées par des Européens ou des Américains sur la concession de Shameen possèdent des installations modernes, il est regrettable, fait-il remarquer, que seul le consulat français n’ait ni salle de bain, ni cabinet de toilette, ni même water-closet avec fosse septique, au risque d’être accusé d’être la cause de propagation d’épidémies en raison de ce manque d’hygiène. Damien de Martel, qui transmet ces doléances au ministère, soutient son subordonné, estimant qu’il est impossible de laisser plus longtemps le titulaire du consulat vivre dans des conditions de confort aussi déplorables. Et qui, de surcroît, peuvent être pour lui et sa famille la source de graves ennuis de santé.
233Mais suite aux grèves de 1926-27 et de l’établissement d’un gouvernement radical à tendance communiste, la situation financière de la concession de Canton s’est de plus en plus aggravée. Les ressources sont de plus en plus limitées, et ne suffisent plus à son fonctionnement. Beaucoup de commerces ont fermé, et de nombreux immeubles sont inoccupés et ne rapportent plus. Pour survivre, le consul est obligé de faire appel à la générosité des municipalités des autres concessions. Celle de Shanghai lui fait un prêt de quinze mille dollars de Hong Kong, et celle de Tianjin un don de cinq mille dollars. Laurent Eynard, à qui Danjou a remis le service le 16 avril 1929, lors de son départ en congé, signale qu’il est incapable de rembourser ces sommes. Le ministre Damien de Martel intervient auprès du consul général Koechlin à Shanghai pour qu’il annule purement et simplement la dette. Eynard, qui a encore besoin d’un prêt de 50 000 dollars pour la réfection du pont dit de la Victoire construit en 1921, lance un véritable cri d’alarme, car cet ouvrage est sur le point de s’effondrer. Situé sur le canal de Shaki qui sépare la concession de la ville chinoise, il est primordial pour sa défense en cas d’émeutes. S’il s’écroule et faute de pouvoir le réparer, il faudra le remplacer par une simple passerelle de bambou, ce qui est totalement insuffisant pour préserver la sécurité. Eynard propose de vendre à Shanghai les terrains et immeubles de Shameen où est logée la police, pour pouvoir payer les travaux du pont. Les exercices des années suivantes se clôturent par un solde créditeur, bien que les recettes de 1929 soient en légère augmentation, 28 302, 23 dollars contre 21 563,51 pour l’année 1928. Mais les dépenses passent de 25 347, 85 en 1928 à 27 882, 40 dollars l’année suivante, en raison de la construction d’une poudrière, de diverses réparations, notamment celle du pont de la Victoire dont le premier acompte est versé à l’entrepreneur chargé des travaux80.
234Un autre problème encore plus grave menace la concession française, qui ne peut survivre dans l’îlot de Shameen sans l’appui des Britanniques. Les Chinois en réclament la restitution depuis les émeutes du 23 juin 1925. À la fin de l’année 1926, l’Angleterre s’est engagée à remettre tous ses droits relatifs à l’exterritorialité et, dès le 4 janvier 1927, a consenti à rétrocéder sa concession de Hankou, de Jiujiang et de Weihai. Mais en définitive, elle conserve celle de Canton, comme faisant partie des zones réservées, décision confirmée le 13 mai 1931 par le Foreign Office à l’ambassadeur français à Londres. Lors des événements de Mandchourie en 1931, les Chinois deviennent de plus en plus insistants, accusant la Société des Nations, l’Angleterre et la France en particulier, de faire le jeu du Japon. En novembre 1931, un pamphlet circule, annonçant qu’au cas où les impérialistes refuseraient de rendre Shameen dans un délai d’un mois (c'est-à-dire le 31 décembre 1931), les marchands chinois devront cesser de faire des affaires avec les Anglais, et les domestiques des maisons britanniques devront quitter leur emploi dans un délai d’un mois :
« Le peuple chinois n’a que trop subi d’humiliations de la part des Impérialistes britanniques, qui ont pris également à notre pays Hong Kong et Kowloon. Ces deux localités doivent aussi nous être restituées. Mais la question primordiale, c’est que Shameen nous soit remis immédiatement, en raison de la proximité de notre propre cité que les Impérialistes peuvent détruire en une heure de temps au moyen de leurs canons et de leurs canonnières ancrées dans notre rivière hors de la ville de Canton81. »
235Durant l’année 1932, bien que les Chinois continuent à commémorer l’anniversaire des échauffourées du 23 juin 1925, l’agitation xénophobe est moins virulente, elle est même « franchement en voie d’atténuation » selon une dépêche du conseiller de la légation, Ernest Lagarde, du 9 juillet 1932. Les Anglo-saxons ont repris le dessus, notamment les Américains grâce aux œuvres éducatives de leurs missions, et particulièrement leur université Lingnan qui a accepté de se plier aux nouvelles règles. Les Allemands, établis dans la ville chinoise, ont regagné leur place d’avant guerre, en offrant les services de leurs techniciens, surtout dans les milieux médicaux. Quant à l’Angleterre, elle continue à occuper la première place économique et a la haute main sur les communications maritimes, fluviales et ferroviaires, et profite de la disgrâce du Japon82.
236Le calme se maintient dans les années suivantes. Des augmentations d’impôts, foncier et locatif, et des mesures d’économie (diminution de la solde des policiers russes, suppression des subventions à l’école des Soeurs canadiennes, etc.), permettent à la municipalité de la concession française d’équilibrer son budget et de survivre. Grâce à des avances de la Banque de l’Indochine, elle peut même assurer la réparation des quais qui s’étaient effondrés. Suite à sa prudente gestion en 1937, Laurent Eynard est heureux de faire part au Département que « le Conseil d’administration a pu faire exécuter des travaux d’utilité publique qui en donnent un aspect propre et même élégant. C’est ainsi que le pont dit de la Victoire, a été remplacé par un pont en ciment armé, d’une allure dégagée et d’une solidité durable ; des égouts et des trottoirs ont été refaits, ainsi que le réseau d’éclairage électrique ». Malgré un déficit persistant, Eynard se plaît à espérer que l’année suivante sera plus clémente. Mais dès juillet 1937, tout est remis en question par le conflit sino-japonais.
Hong Kong
237Hong Kong, fief anglais, siège des banques, des arsenaux et des palaces de la Grande-Bretagne, offre un saisissant contraste avec la ville chinoise établie sur ses pentes et sur les hauteurs. Tout en réclamant, déjà ! le retour de Hong Kong à la Chine, les riches Chinois et les politiciens n’hésitent pas, en période de troubles, à quitter leur ville de résidence pour venir se réfugier sous la bannière des croiseurs de Sa Gracieuse Majesté. Le consulat de France reste l’un des plus importants de Chine, en raison de sa situation en territoire britannique, et de sa proximité avec l’Indochine avec laquelle la liaison est constante. En dehors de son importance économique, c’est surtout un poste d’observation primordial pour la surveillance des révolutionnaires annamites, et de la lutte entre communistes et nationalistes de Canton.
Paul Kremer gérant du consulat 1922-1924
238Depuis 1916, la responsabilité de ce consulat est confiée à Raphaël Réau. Mais ce dernier étant appelé à gérer d’autres postes à plusieurs reprises, la gérance est assurée par des intérimaires notamment Louis Reynaud qui reviendra comme titulaire, Gaston Hauchecorne, et le chancelier Paul Kremer d’avril 1918 à avril 191983. Arrivé très jeune dans ce pays, Kremer connaît la Chine et les Chinois mieux que quiconque. Il a à peine 16 ans, lorsque son père est nommé chef de la garde municipale de la concession française de Shanghai en 1892. Dès son arrivée, le jeune Paul travaille au consulat général, en qualité de commis de chancellerie. En mai 1900, on lui confie la gérance de la chancellerie de Hong Kong pendant la durée de congé de son titulaire jusqu’en février 1901, puis il revient à Shanghai. Il commence véritablement sa carrière en septembre 1907, en prenant à nouveau la gérance de la chancellerie du consulat de Hong Kong. Sur ses vingt-cinq années de Chine qui vont se terminer tragiquement en 1925, dix-sept le sont au service de ce poste important, qu’il gère à cinq reprises. Dès janvier 1922, la situation n’est guère facile. Un mouvement de grève, déclenché par les gens de mer, s’étend à plus de 100 000 ouvriers et employés, et paralyse totalement le port jusqu’aux premiers jours de mars, touchant directement le prestige de la Grande-Bretagne. Ce n’est là qu’un début...
239Le 23 mars 1922, lors du départ de Réau, Paul Kremer prend une nouvelle fois la direction du consulat. Cette gérance va durer dix-huit mois. Excepté l’aide apportée par un commis auxiliaire Félix Young, il est seul et doit prendre, en outre, la charge des consulats de Norvège et de Cuba, en plus de ceux de Belgique et d’Espagne, dont les intérêts sont confiés au représentant français depuis plusieurs années déjà. Le travail du poste est extrêmement prenant comme en témoigne une lettre du 20 juillet 192284 :
« Tout mon temps est pris par les affaires de chancellerie, les affaires locales, les affaires maritimes, les affaires avec l’Indochine et diverses autres affaires commerciales, administratives ou contentieuses. De plus, le public ne pouvant être reçu que par moi, je me trouve dans l’obligation de lui consacrer en moyenne 3 heures par jour. De plus, je suis chargé des consulats de Norvège et de Cuba en plus de ceux de Belgique et d’Espagne dont les intérêts sont confiés à ce consulat depuis déjà plusieurs années. Celui d’Espagne ne me donne aucun travail. Quant aux trois autres, ils m’occupent énormément, notamment celui de Cuba, auquel je suis souvent obligé de consacrer des journées entières. Après une journée continue qui se termine régulièrement à une heure avancée de la soirée, dans un climat débilitant comme celui de Hong Kong, il m’est nécessaire de prendre du repos. Votre Excellence comprendra que, dans ces conditions, occupé comme je le suis, il ne m’est pas possible, tout au moins pour le moment, d’adresser au Département des rapports sur les questions concernant la colonie de Hong Kong. »
240Au début du mois de novembre, souffrant de paludisme et d’anémie, Kremer sollicite un congé pour le mois de mars 1923, par l’intermédiaire du ministre de France, Aimé de Fleuriau. Dans l’immédiat, faute de crédits, le ministère ne peut satisfaire sa demande. Son congé lui est enfin accordé un an plus tard, à la fin du mois de novembre 1923. Le 12 décembre, il remet le service du poste à l’élève-interprète Raoul Tulasne, et rentre en France avec son épouse et ses trois petits enfants, une fille et un garçon âgés de 3 et 2 ans, et une petite dernière d’à peine 4 mois.
241Il profite de son retour à Paris pour demander une promotion et, à cet effet, sollicite l’appui de son supérieur hiérarchique. Le 3 mars 1924, Raphaël Réau fait part de sa démarche au ministre :
« Kremer m’a adressé dernièrement des vifs reproches s’il n’a pas obtenu sa promotion de consul de 3e classe, ce serait par suite de mon abstention à signaler ses services. Je lui ai promis de t’écrire, bien que je sache ta religion bien éclairée. Je m’exécute. Il est exact que Kremer par ses gérances successives du poste de Hong Kong, dont la dernière a duré 18 mois, s’est acquis des droits à votre faveur. Le poste est bien chargé, et il l’a géré seul sans chancelier. Pendant la guerre, il a eu beaucoup de besogne et de responsabilité du fait de la gestion de la flotte de la Marine marchande, dont la comptabilité pour l’Extrême-Orient était faite au consulat. Il a eu à surveiller beaucoup de commandes faites par la Marine de guerre à l’Indochine à l’industrie privée de Hong Kong. Il a eu également à diriger un service de surveillance de révolutionnaires annamites dans le Sud de la Chine (création de Liébert que j’ai supprimée comme romanesque). Après avoir géré si longtemps, il trouve que ce serait une "perte de face" imméritée, que d’y retourner sans une promotion. À défaut de celle-ci, il va jusqu’à ambitionner la Légion d’honneur, mais se satisferait, je crois, de la rosette de l’Instruction publique. Pouvez-vous, pour me résumer, accorder à cet agent consciencieux sans être brillant, mais qui a été vraiment à la peine, soit sa promotion, soit la rosette de l’Instruction publique ? Voilà mon plaidoyer terminé, ma promesse est tenue. Ouf ! »
242L’intervention de Réau fait son effet puisque le 30 mai 1924, Kremer obtient enfin sa promotion au grade de consul de 3e classe. Pour la croix de chevalier de la Légion d’honneur, il devra encore patienter une année.
Yves du Courthial et les troubles de 1925
243À Hong Kong, en son absence, c’est donc Raoul Tulasne qui assure la direction du consulat en attendant l’arrivée d’un nouveau titulaire Yves du Courthial, le 8 juillet 192485. Ce dernier a déjà assumé la responsabilité de plusieurs postes, mais il est essentiellement familiarisé avec la langue et la culture espagnoles. Il n’a aucune connaissance des problèmes chinois, et est dans l’incapacité de fournir des rapports politiques à la légation sur les luttes entre nationalistes et communistes, malgré les graves événements qui se déroulent à Shanghai et à Canton à partir de mai 1925.
244Hong Kong subit de plein fouet les conséquences de ces troubles. Comme à Canton, à partir du mois de juin 1925, pendant seize mois une grande grève, avec pour corollaire le boycott des produits britanniques, paralyse complètement toute l’activité du port. Cent mille grévistes quittent Hong Kong pour se réfugier à Canton. Beaucoup de ménages étrangers se retrouvent sans domestiques. Des négociations sont entreprises entre le nouveau gouverneur Sir Cecil Clementi et le gouvernement de Canton. Au début de l’année 1926, le secrétaire colonial de Hong Kong se déplace lui-même pour négocier avec le comité de grève. Pour faire cesser le boycott et le mouvement de grève qui ruinent le port, le gouverneur britannique est prêt à offrir jusqu’à deux milliards de dollars aux factieux. Une moitié de cette somme serait donnée par le gouvernement anglais et l’autre moitié par les habitants de l'île. Une folie pour beaucoup d’observateurs. Pourtant, les grévistes de Canton ne veulent rien entendre et rejettent cette proposition. Le boycottage des marchandises anglaises reste aussi vigoureux qu’au début.
245À Pékin, le ministre Damien de Martel qui rapporte ces faits le 20 janvier 1926, déplore cet échec, tout en regrettant que l’Angleterre se soit abaissée à de telles propositions. Cette attitude est extrêmement préoccupante pour le sort de la concession française de Canton dont les Chinois réclament la restitution à cor et à cri86. « La situation qui s’est faite depuis le mois de juin à Canton me paraît grosse de menaces, nous ne pouvions agir sans l’Angleterre et celle-ci a tout accepté dans l’espoir de faire cesser le boycottage », proteste de Martel. Le père Léon Robert des Missions étrangères n’est pas en reste. Il fustige, lui aussi, la complaisance du gouverneur britannique, qui a refusé de suivre ses avis. Le religieux était en effet partisan d’une solution radicale pour faire cesser la grève et le boycott dès le début des troubles : faire occuper Canton par les troupes étrangères et remettre la ville et sa région au gouvernement de Pékin ! Il écrit le 18 mars 1926 :
« La grève et le boycott contre la colonie de Canton continuent mais vont en s’atténuant. Il est probable que cet état violent ira en s’affaiblissant et finira sans autre solution que celle-ci, la reprise normale des relations, parce que la situation actuelle désastreuse pour Hong Kong l’est tout autant pour Canton, et les marchands chinois de Canton réclament vigoureusement contre les mesures présentement en vigueur. Cette question de grève aurait pu être réglée depuis longtemps, mais d’une façon humiliante pour les Anglais ; les grévistes veulent de l’argent et avec 2 ou 3 millions de dollars, messieurs les communistes cantonais auraient été satisfaits. Il répugne au gouvernement de Hong Kong d’acheter ainsi la paix, parce que ce serait inviter les Chinois à recommencer ce chantage dans un avenir très prochain. En juin dernier, j’avais proposé l’occupation pure et simple de Canton, et la remise immédiate de cette ville et de la province au gouvernement de Pékin. L’amiral Frochot était aussi de cet avis. Les Anglais ne furent pas de cet avis. Ils craignaient pour eux un boycottage de la Chine entière contre eux. La faiblesse du gouvernement anglais a été exploitée par les cantonais et l’est encore en ce moment. »
246Peu après, le père Robert est rappelé en France. Non pas pour ces déclarations intempestives, mais pour ses activités, bien éloignées de tout objectif apostolique et religieux. Sous prétexte d’augmenter le rayon d’action des Missions étrangères, le père estime qu’elles doivent participer à l’activité économique de tout l’Extrême-Orient, de Colombo à Vladivostok ! Dans ce but, il s’est lancé dans un grand nombre d’affaires, immobilières d’abord, industrielles et commerciales ensuite : mines de Sakhaline, fabriques de papier en Indochine, multiples entreprises de presse à Shanghai et ailleurs (Écho de Chine, L’Avenir du Tonkin, le Straits Times de Singapour). À Hong Kong même, il dirige l’agence du Crédit Fonder d’Extrême-Orient et gère la fortune d’un millionnaire parsi qui vient de décéder, Sir Paul Chater. Un sanatorium et une imprimerie, la première d’Extrême-Orient et la seule à imprimer des livres en toutes langues, appartiennent également aux Missions.
247À côté d’elles, d’autres institutions religieuses sont présentes à Hong Kong. Les Sœurs de Saint Paul de Chartres dirigent un pensionnat de jeunes filles, un orphelinat et une œuvre de la Sainte Enfance, tandis que les frères des Écoles de la Doctrine chrétienne ont deux collèges. Au point de vue commercial, la Banque de l’Indochine et la Banque franco-chinoise pour l’industrie y sont présentes, ainsi que la Compagnie des Messageries maritimes et les Chargeurs Réunis qui assurent des lignes régulières avec l’Indochine. Enfin le French Hospital permet aux quelque deux cents trente résidents français de recevoir des soins médicaux de qualité87. Avec la crise économique et les grèves qui touchent Hong Kong, toutes ces entreprises subissent de lourdes pertes. Les Missions étrangères, craignant le scandale, rappellent le père Robert, estimant un peu tard, ses activités en désaccord avec leur morale.
Georges Dufaure de la Prade 1926-1934, et le retour de Nguyen Aï Quoc 1930
248Aux Affaires étrangères, c’est Yves du Courthial qui est rappelé. Estimant qu’il n’est pas à la hauteur de la situation, le ministère décide de le remplacer par un homme expérimenté, déjà en Chine depuis plusieurs années, le consul Georges Dufaure de la Prade88. Ce dernier profite d’un congé bien mérité à Tréboul, dans le Finistère, après avoir fait face, à Canton, à plusieurs semaines de grève qui ont affecté la concession française de Shameen. Dufaure de la Prade ayant femme et enfants, le ministère a renoncé à le faire revenir à Canton, surtout après les dures épreuves subies par son successeur, Jules Leurquin. Un célibataire est donc nommé au Guangdong, tandis que Dufaure se voit confier le consulat de Hong Kong. Ayant déjà été confronté aux grévistes, son expérience cantonaise pourra lui être particulièrement utile. Avant son départ, à la fin du mois de novembre 1925, il est promu à la première classe de son grade.
249S’étant embarqué pour la Chine le 26 janvier, accompagné de son épouse, de ses trois enfants et de leur institutrice, il prend le service de son poste le 3 mars 1926. Le 1er avril 1926, Dufaure de la Prade rapporte au ministère les résultats d’une entrevue qu’il vient d’avoir avec le gouverneur Sir Cecil Clementi89. Ce dernier a reçu la visite de Sun Fo, venu à Hong Kong pour quarante-huit heures. Le fils de Sun Yat-sen lui a fait part des tout récents événements survenus à Canton. Sous prétexte d’un complot, Chiang Kai-shek a chassé une partie des conseillers soviétiques et a arrêté les meneurs du mouvement communiste. Sun Fo a assuré qu’un arrangement prochain pourrait être conclu entre Hong Kong et Canton :
« Même s’il l’on ne peut vérifier la véracité des dires de Sun Fo, il ressort de l’ensemble des faits contrôlables et de ces rumeurs que le Comité de grève par sa tyrannie, par les ruines qu’il accumule, commence à soulever la colère et le dégoût des hommes qui veulent assurer l’ordre et la paix publique, aussi bien que ceux qui souhaitent travailler dans la confidence et la sécurité », commente Dufaure de Laprade.
250Fin avril 1926, le gouvernement britannique donne des signes de bonne volonté pour arriver à un accord. Comme on l’a vu plus haut, après force négociations, la grève et le boycott semblent se terminer au mois d’octobre 1927, à l’initiative des Soviétiques de Canton, qui craignent une intervention britannique.
251Pour l’heure, Dufaure de la Prade dénonce la pénurie de personnel qui frappe le consulat comme tous les autres postes de Chine. La chancellerie, surchargée de travail, voit surtout défiler des Chinois venant demander des passeports pour l’Indochine. Or le 21 octobre, son principal collaborateur, le chancelier Lucien Colin est invité à se rendre à Tianjin, pour y remplacer provisoirement Jules Médard durant son congé. Dufaure de la Prade est fort mécontent de perdre un homme qu’il connait bien, pour l’avoir déjà eu sous ses ordres à Canton, et en qui il a toute confiance. Quant à Colin, nul doute qu’il éprouve des sentiments identiques. Lorsque son supérieur hiérarchique a été nommé à Hong Kong, il a demandé à le suivre dans ce poste. Et à cet effet, il lui a écrit une lettre que le consul a transmise au ministère, le 14 mars 1926, après son arrivée dans la colonie britannique. De son côté, revenu en congé en France, Colin est allé lui-même plaider sa cause auprès de Fernand Berteaux qui l’a chargé effectivement de la chancellerie du consulat de Hong Kong. Colin a pris son service le 10 janvier 1927, tandis que Philippe Simon venait le remplacer à Canton. Malgré les vives protestations de Dufaure de Laprade qui veut le garder auprès de lui, Colin s’embarque le 7 novembre pour Tianjin. Service oblige. La chancellerie est alors confiée à un Annamite, faute de personnel français. Le consul n’est guère satisfait, et même très inquiet, redoutant qu’en cette période troublée, « des éléments indésirables viennent se procurer à la chancellerie avec la complicité d’agents indigènes des papiers qui leur permettraient de pénétrer en Indochine et de voir grossir dans notre colonie le nombre des agitateurs politiques90 ».
252En effet, le consulat travaille en étroite collaboration avec le gouvernement de l’Indochine pour la surveillance des révolutionnaires indochinois installés à Hong Kong et dans les provinces limitrophes du Guangxi et du Guangdong. La présence d’employés annamites et indigènes, impossibles à contrôler dans les services de la chancellerie, met en danger le secret de la correspondance officielle et des tables de chiffres. Dufaure de la Prade reçoit du renfort en la personne d’un tout nouvel attaché de chancellerie, Charles Renner qui, le 1er janvier 1929, prend la gérance de ce service, en qualité de chancelier substitué. Dufaure de la Prade ayant décidé de partir en congé, le 22 avril 1929 confie le consulat à l’interprète Marc Duval, gendre du consul de Tianjin Émile Saussine, que l’on fait venir spécialement de Pékin pour prendre la gérance du poste. Duval assume ces fonctions pendant pratiquement un an, puis s’embarque à son tour pour la France après avoir remis le service au jeune Charles Renner, en attendant le retour de Dufaure de la Prade le 26 mars 1930.
253Le début de l’année 1930 est marqué par des événements importants. Au mois de février, éclate en Indochine la révolte de Yen Bay, durement réprimée par les Français, et qui devient le symbole de la lutte anticoloniale91. En Indochine tout comme en Chine, les représentants français sont en alerte. Et pour cause. Le révolutionnaire Nguyen Aï Quoc, que les Français considèrent, à tort semble-t-il, comme le principal responsable de l’attentat de Canton en 1924, est à Hong Kong. À l’instar de Borodine qui l’avait emmené avec lui à Canton, il a dû fuir la Chine en 1927 et a rejoint Moscou. Après un court séjour à Berlin, il est revenu en Extrême-Orient, s’est installé clandestinement au Siam, et y a organisé le parti communiste selon les méthodes soviétiques. En janvier 1930, il est appelé à Hong Kong, où sont réunis tous les chefs des différents partis révolutionnaires vietnamiens qui n’arrivent pas à s’entendre. Celui qui ne s’appelle pas encore Hô Chi Minh s’impose à tous, aidé par un communiste français Jean Cremet, délégué par Moscou, et qui profite également de son séjour pour faire du trafic d’armes avec les Chinois92. Bien qu’il ait encore pris un nouveau nom, Song Man-cho, et l’apparence d’un honnête commerçant chinois, le leader vietnamien se fait un peu trop remarquer par son intense activisme : le 6 juin 1931, il est arrêté par les Anglais dans les bureaux du Komintern. Personne n’ayant de ses nouvelles les services secrets français sont persuadés qu’il est mort de tuberculose dans sa cellule. C’est d’ailleurs la rumeur qui est colportée volontairement par son avocat britannique. Il n’en est rien et il est bien vivant. L’épouse du vice-gouverneur de Hong-Kong et celle de son avocat viennent lui rendre visite en prison, puis à l’hôpital, et tombent sous son charme. Est-ce grâce à l’influence de ces dames qu’il parvient à échapper à la justice française ? Pas vraiment. En réalité, il devient un peu trop encombrant pour les bonnes relations franco-britanniques, les Français ne cessant de demander son extradition. Les autorités de la colonie le relâchent et l’expédient à Singapour. Mais privé de papiers en règle, il est obligé de revenir à Hong Kong. Son avocat, aidé du sous-gouverneur qui aurait prêté sa vedette personnelle, le remettent sur un vapeur à destination de Shanghai. Mais il descend à Amoy. Bien lui en a pris car les policiers britanniques ont averti leurs homologues français qui l’attendent à Shanghai. Il est alors recueilli par la veuve de Sun Yat-sen, Song Qingling, qui le confie à son ami Paul Vaillant-Couturier, à ce moment, en congrès à Shanghai. Ce dernier l’embarque avec lui sur un paquebot à destination de Vladivostok, en janvier 193493. Les consuls français et les autorités de l’Indochine sont débarrassés de sa présence pour quatre ans (on le retrouvera à nouveau en 1938 dans les petites bases rouges du sud de la Chine et du Haut Tonkin).
254En mars 1932, Dufaure de la Prade réclame la transformation du consulat en consulat général, non seulement en raison de l’importance du port de Hong Kong (5e rang mondial en tonnage, et 2e en valeur), mais aussi de celle des intérêts français94. Ses concitoyens sont au nombre de 227 (avec 78 Annamites), loin derrière les Japonais (2200), les Portugais originaires de Macao (environ 2000) et les Américains (1200), mais devant les Hollandais (157). En revanche, « nous sommes les seuls avec les Japonais, les Hollandais et les Américains à posséder des établissements de crédit (la Banque de l’Indochine et la Banque franco-chinoise pour l’industrie) », fait-il remarquer, en énumérant également tous les autres établissements cités un peu plus haut. De plus, la France est aussi la seule à posséder un magnifique hôtel consulaire qui permet au chef de poste de faire face dignement à ses obligations mondaines, et lui donne surtout une grande considération aux yeux des autorités anglaises, en dépit d’une infériorité de rang par rapport à d’autres pays. Malgré ces arguments, Dufaure de la Prade n’a pas la satisfaction de voir sa requête satisfaite. Après un nouveau congé à la mi-mai 1932 où René Teissier-Soulange le remplace presque pendant un an, le 14 août 1934 il est nommé à Milan et remet la direction du consulat au vice-consul Charles Renner, en attendant l’arrivée de René Teissier-Soulange, désigné le 29 juillet pour prendre la direction du poste.
René Teissier-Soulange, Jules Leurquin, Albert Cadol et Franck Dupuis 1934-1938
255René Teissier-Soulange qui arrive de Fuzhou, est un homme d’une certaine trempe, doté d’un caractère qui ne s’accorde pas toujours avec ses fonctions diplomatiques (voir ci-dessous à Fuzhou). Quant à Charles Renner, comme Paul Kremer, il fait partie de ces agents de second plan, auxquels le ministère n’hésite pas à confier d’importantes responsabilités. Fort heureusement, il ne connaîtra pas la fin tragique de son prédécesseur. Par un décret du 21 mai 1935, Renner est nommé vice-consul percepteur, en remplacement d’Henri Bonnafous envoyé à Melbourne. Titulaire de la chancellerie de Hong Kong depuis 1932, Bonnafous n’a jamais, pour ainsi dire, occupé son poste. Dès sa nomination, il a été appelé à gérer le consulat de Canton, puis de nombreux autres postes, et a exercé à peine un mois ses fonctions à Hong Kong. C’est donc Charles Renner qui, depuis son arrivée en janvier 1929, les a assumées la majeure partie du temps. Excepté une période de congé d’un an du 26 avril 1932 au 9 janvier 1933, durant laquelle il est remplacé par un tout jeune élève-interprète, Jean Royère, frais émoulu de l'Ecole des Langues orientales, que l’on retrouvera dans les années 1940 à des postes importants. La titularisation tardive de Renner suscite les commentaires sarcastiques du nouveau chef de poste, Teissier-Soulange95 :
« Enfin le Département a fait une bonne action ! Il nous a notifié que M. Renner est nommé titulaire de la chancellerie de Hong Kong, Renner le méritait à tous points de vue et ce n’est pas faute que de La Prade et moi l’ayons demandé depuis des années ! Le maintien ici de Bonnafous, alors qu’il n’y a jamais passé qu’un mois, et que Renner faisait toute la besogne depuis 7 ans, était un scandale. Enfin c’est fini ! Cela est d’autant plus appréciable pour l’intéressé, qu’il a deux enfants, et que le Département ne cesse de nous couper les vivres. »
256Obligé de subir une intervention chirurgicale, Teissier-Soulange est contraint de repartir définitivement le 8 octobre 1935, un an à peine après son arrivée. Charles Renner reprend une nouvelle fois la direction du consulat, jusqu’à l’arrivée du nouveau gérant, Jules Leurquin, le 17 janvier 1936.
257Accompagné de son épouse et de ses deux enfants, Jules Leurquin arrive du poste de Hankou qu’il a dirigé durant près de six mois. Après plusieurs gérances successives dans des circonstances particulièrement difficiles (notamment à Canton), Leurquin, déjà quinquagénaire, espère enfin sa titularisation à Hong Kong. Hélas, une fois de plus, ses espoirs sont déçus, le ministère refuse d’accéder à sa demande...
258Le 26 avril 1937 Renner, à son tour, s’embarque pour la France avec les siens. Il est remplacé par Serge Lebocq de Feularde que l’on fait venir du consulat général de Shanghai. Ayant demandé un congé au début du mois de janvier 1937, Leurquin quitte Hong Kong le 12 juillet 1937, au moment du déclenchement de la guerre sino-japonaise, sa famille l’ayant précédé un mois plus tôt. Il confie le poste à Albert Cadol venu spécialement de Swatow où Serge Lebocq est allé le remplacer deux jours auparavant. Cadol se retrouve pratiquement seul à Hong Kong, sans chancelier, ni aucun collaborateur de carrière. Du fait des hostilités sino-japonaises, il doit faire face à un travail considérable :
« Les hostilités, à Shanghai notamment, ont en effet apporté au service du consulat de Hong Kong, un surcroît considérable d’affaires à traiter et de démarches (questions soulevées par l’état de lutte armée dans le nord et de tension dans la zone Hong Kong-Swatow-Canton-Hoihow, questions des réfugiés, cas spéciaux les concernant, acheminement et hébergement de marins et de militaires obligés par les circonstances à transiter par ce port, expédition des valises de Shanghai et du nord, etc. »
259Le 6 octobre, Cadol reçoit enfin de l’aide en la personne du jeune attaché de consulat Jean Fournier de Montoussé que l’ambassadeur Naggiar a consenti à mettre à sa disposition durant un ou deux mois, en attendant de le faire venir à Shanghai. Le jeune homme, qui vient à peine d’arriver de France avec ses collègues André Nègre, Robert Luc et le baron Guy Fain, n’est pas une recrue ordinaire. Il compte parmi ses ancêtres des personnalités particulièrement illustres, Guillaume de Nogaret et Charles de Baatz, plus connu sous le nom de d’Artagnan.
260Albert Cadol est libéré un mois plus tard, lors de l’arrivée du nouveau titulaire Franck Dupuy, le 1er novembre 1937, et rejoint aussitôt son poste de Swatow. Dupuy a débuté comme élève-interprète à Pékin en 1905, et a donc une très longue carrière derrière lui. Après la Chine, il a été en poste dans de nombreux pays, Amérique du Centre et du Sud, Norvège, Ceylan, Chili, et vient de passer trois ans à Gibraltar. Il est proche de la retraite et peu au courant des problèmes de l’Extrême-Orient. Des circonstances particulièrement difficiles l’attendent dans ce nouveau poste, auxquelles il est mal préparé. Fort heureusement, Charles Renner rentre de congé peu de temps après, le 26 novembre, et reprend ses fonctions de vice-consul, ainsi que celles de secrétaire de la Bibliothèque française installée dans le consulat. Fondée en 1927 par Dufaure de la Prade, elle contenait, en février 1929, 1531 volumes ; presque dix ans plus tard, plus de 4000. Cet établissement doit une grande part de son succès à la précieuse collaboration de Renner qui « s’est attaché avec soin, patience et méthode à son développement ». Administrée par le consulat, elle vit entièrement des donations et des souscriptions de ses membres, au nombre d’une centaine, parmi lesquels beaucoup d’étrangers. Renner va rester à Hong Kong jusqu’en 1941, date de sa nomination au consulat de Mukden où l’attendent des conditions particulièrement difficiles.
Les petits postes du sud de la Chine, Fujian, Guangxi et Hainan
261Ces petits postes réservés à des agents issus de l’interprétariat, subissent également les aléas de cette période troublée, et sont aussi victimes de la pénurie de personnel et du manque de moyens financiers. Un certain nombre vont fusionner entre eux, ou seront tout simplement supprimés par souci d’économie et manque de personnel. Le 9 novembre 1932, le conseiller de la légation Ernest Lagarde, accompagné de l’élève-interprète Léon Jankélévitch, a pour mission de visiter tous les consulats échelonnés le long de la côte, de Tianjin à la frontière indochinoise. Il est chargé de faire un rapport sur l’emploi des subventions accordées par le ministère et le gouvernement de l’Indochine aux diverses missions pour l’entretien et le fonctionnement des écoles, hôpitaux et dispensaires. Ce périple accompli, il doit se rendre ensuite en Indochine pour s’entretenir avec le gouverneur général de la suppression ou non des hôpitaux de Hoihao et de Pakhoi, et du maintien de ces postes. En effet, à partir de 1931, le gouvernement général d’Indochine renonce à sa politique d’expansion politique et économique dans les provinces chinoises du Sud ; et décide de supprimer tous les crédits accordés initialement aux postes consulaires des régions méridionales, ainsi qu’aux œuvres scolaires et hospitalières.
Amoy (Xiamen) et Fuzhou : Fernand Roy et René Teissier-Soulange
Amoy : Fernand Roy
262Après le traité de Shimonoseki en 1895, le Japon victorieux s’est fait accorder l’île de Formose, mais a étendu son emprise sur le territoire opposé, le port d’Amoy et l’îlot de Kulangsu au Fujian, sur la côte sud-est de la Chine (en 1907 la France a laissé le champ libre au Japon en échange d’une pareille liberté pour sa propre influence au Yunnan96). Dès 1901, la France a institué une agence consulaire à Amoy, transformée en vice-consulat en 1906. Installée dans une maison de location en bordure de mer, au sud-ouest de l’îlot de Kulangsu, cette agréable résidence, d’une dizaine de pièces, comprend également un bungalow de quatre pièces où se trouvent les bureaux de la chancellerie. Les larges baies s’ouvrent sur une vaste terrasse qui donne directement sur une belle plage de sable fin, rafraîchie toute l’année par une petite brise dont la douceur rappelle le climat de la côte d’Azur ; à l’instar du paysage des alentours. Un bureau de poste est également ouvert dans un immeuble voisin. Le vice-consulat est successivement confié à Georges Lecomte, puis à Alphonse Doire et enfin à Laurent Eynard jusqu’à sa suppression le 1er mai 1916.
263Deux mois plus tard, il est remplacé par une simple chancellerie, rattachée au consulat de Fuzhou. En l’absence d’un agent du Département, c’est le receveur des postes français qui accepte d’en prendre la responsabilité. Les intérêts français sont en effet très peu nombreux. Il n’y a à Amoy et dans la concession internationale de Kulangsu que trois familles françaises de souche (douze personnes dont six enfants), les trente-deux autres étant des Chinois protégés français (quatre-vingt douze personnes). Mis à part l’immeuble détenu par le ministère des Postes et Télégraphes, un propriétaire français y possède, à lui seul, quinze immeubles et huit propriétés. Les protégés sont essentiellement des commerçants. Les uns importent des vins de Bourgogne et du cognac, les autres vendent des produits médicinaux, d’autres encore des tissus de soie ; un horloger-bijoutier dépositaire de la maison française Ullmann y est également installé. Mais la fermeture des bureaux de postes français ayant été décidée pour 1923, le receveur quitte la Chine à la fin de 1922. Le 6 février 1923, le ministère donne l’ordre à Pierre Augé, consul de Fuzhou, de se rendre à Amoy pour fermer l’immeuble postal ; lequel, le mois suivant, est affermé au directeur de l’agence de la Hong Kong and Shanghai Bank97. Augé s’engage à assurer, depuis Fuzhou, le service de la chancellerie d’Amoy qui est particulièrement chargée. « Il est évident que ces mesures n’assureront pas au regard des autorités chinoises la protection consulaire immédiate qui s’impose lors d’incidents qui surgissent inopinément », fait-il remarquer.
264Et c’est effectivement le cas, lors des graves troubles qui affectent toute la Chine en 1925. À la requête des protégés et des missionnaires, le ministère décide de rouvrir le poste. En effet, quatre familles chinoises, naturalisées françaises depuis trois générations, revendiquent leur qualité de Français. Ces familles résident dans la concession internationale de Kulangsu et y possèdent des propriétés importantes. D’autre part, vingt-deux missionnaires dominicains espagnols et douze religieuses relèvent également de la protection de la France. Mais depuis le départ du receveur des postes, il n’y a plus à Amoy aucun Français en résidence permanente. Seuls des fonctionnaires des douanes y font des séjours de un à trois ans. Pour satisfaire la demande de ces résidents inquiets devant la multiplication des troubles, le vice-consulat est rétabli par décret du 14 juillet 1925, et confié à Fernand Roy qui était en difficulté à Chongqing. Les émeutes de Shanghai du 30 mai ont eu des répercussions jusqu’à Amoy. Le consul anglais, essentiellement visé par les menaces, est obligé de demander à la police chinoise d’assurer la protection de la concession britannique.
265C’est dans ces conditions que, le 1er décembre 1925, Fernand Roy arrive à son poste. Ce consulat est cependant bien plus calme que celui de Chongqing qu’il vient de quitter. Fernand Roy est accompagné de sa seconde épouse et du petit Jacques, à peine âgé de deux mois, ainsi que des trois autres enfants issus de son premier mariage. Veuf une première fois en 1924, il s’est remarié, en novembre, avec la sœur d’un de ses collègues, René Waché, en poste non loin de là, à Pakhoi. Deux autres enfants vont naître à Amoy, l’une en juin 1927 et l’autre en 1931. Avec sa nombreuse famille, il réintègre l’ancien local des services postaux. La maison principale lui sert d’habitation, tandis que le bâtiment secondaire reste dévolu à la chancellerie. Roy apporte une petite amélioration en faisant surélever le mur de clôture, et en installant un beau portail d’entrée en fer forgé. Mais sa résidence est loin d’être confortable. Lors de son inspection des postes consulaires de la côte, en novembre 1932, le conseiller de la légation Ernest Lagarde constate que les bâtiments sont en mauvais état et n’ont ni eau courante, ni sanitaires. La façade est très endommagée par les intempéries et l’air de la mer. Mais ces édifices appartenant au département des Postes et Télégraphes, le ministère ne peut y affecter aucun crédit pour y faire des réparations98. Ce manque de confort ne semble pas avoir affecté Fernand Roy qui a connu les pires dangers à Chongqing. De plus, il est absorbé par d’importantes responsabilités. Il se retrouve en effet doyen du corps consulaire. En cette qualité, il a la charge et la responsabilité de l’administration de la concession internationale de Kulangsu, avec la police sous ses ordres. En 1926, deux Français viennent compléter la petite colonie française, un dénommé Pichon, commissaire des Douanes chinoises, et Forzinetti, celui des Postes chinoises.
266Fernand Roy entretient d’excellentes relations avec le commissaire des Affaires étrangères Liu, qu’il a connu sur les bancs de la faculté de droit de Paris. Ces liens amicaux d’anciens potaches facilitent les affaires. L’amiral Liu veut acheter deux hydravions à la France pour la base que la Marine désire aménager à l’entrée du port. En mars 1930, le gouvernement général de l’Indochine réussit à lui vendre ses six avions Breguet d’occasion qu’il remplace par des Potez 25, appareils plus modernes et plus rapides. La livraison des Breguet se fait en deux fois, en octobre 1930 sur le vapeur français Chiang Kiang qui vient de Haiphong, et début janvier 1931. Un troisième contrat est signé, en juillet 1933, avec la Dix-neuvième armée qui, lors d’une tentative de sécession avec Nankin, investit Amoy et éclipse la Marine. Son chef passe commande de six avions de chasse Morane (infra chap.III, troisième partie, deuxième paragraphe). Les deux premiers arrivent fin octobre et les autres à la mi-novembre, Wilden ayant ordonné de les bloquer le plus longtemps en France, tant que durerait la révolte. En fait, les avions sont livrés sans mitrailleuses, ce qui les rend inutilisables pour protéger Fuzhou, lors du bombardement du quartier général de la Dix-neuvième armée par le gouvernement de Nankin en décembre. Faute de pouvoir se défendre, au mois de janvier 1934 la Dix-neuvième armée est refoulée et la Marine d’Amoy reprend ses droits...
267Si les affaires sont bonnes pour Fernand Roy, ces succès sont assombris par les malheurs qui affectent sa vie familiale. Le 3 janvier 1932, sa seconde épouse décède, le laissant veuf, une fois de plus, avec sept enfants. Puis la petite fille née deux ans plus tôt décède à son tour le 22 novembre 1933.
Fuzhou jusqu’à sa fermeture en 1935 : Pierre Augé, René Teissier-Soulange et Fernand Roy
268Depuis le départ de la dernière mission française de l’arsenal en 1907, l’activité de ce consulat s’est trouvée réduite à l’établissement de factures consulaires et de documents relatifs à la navigation marchande. Autant dire à peu de choses. C’est pourquoi, comme on vient de le voir, en mai 1916, le ministère décide de coupler Fuzhou avec Amoy, transformé en simple chancellerie. Le 29 décembre 1922, Pierre Augé vient remplacer Alphonse Guérin admis à la retraite. Il ne reste qu’une année. Lors de son départ en congé, le 28 novembre 1923 le consulat est provisoirement fermé, puis rouvert par Georges Dufaure de la Prade, en janvier 1924, et confié à René Teissier-Soulange qui arrive au mois de juillet.
269Le consulat est établi dans une grande bâtisse longue de vingt-cinq mètres et large de vingt et un, située au bord de la rivière Min. La maison solidement édifiée sur une base en granit, est prolongée par une véranda de style colonial et surplombe un beau jardin en terrasse qui descend vers la rivière. Ce bâtiment a été acheté en 1908 par le consul Henri Bourgeois, à la société Eastern Extension Australasia and China Telegraphy Company. Un pavillon pour la chancellerie la complète. Mais le consulat n’est pas en très bon état. Dès son arrivée, Teissier-Soulange a la désagréable surprise de constater qu’il pleut dans sa chambre à coucher, dans celle de sa fille et celle des hôtes de passage. Il écrit au mois de juillet 1925 :
« Ainsi que je le signalais par ma dépêche du 8 décembre 1924, pour pouvoir continuer à habiter la résidence [...], j’ai pu engager sur mes deniers personnels une dépense qui s’élève à 6 300 francs soit 600 $. Je ne pouvais que l’effectuer ou transférer ma résidence ailleurs. J’ai choisi l’alternative la moins dispendieuse. Elle est cependant aggravée par le fait que je suis logé par l’État qui me retire, de ce fait, une retenue annuelle de 3960 francs. À l'instant précis où j’écris, une partie du mur de clôture vient de s’écrouler sous l’effet de pluies continuelles qui ont duré 29 jours sans interruption99. »
270Un premier crédit de sept mille francs lui est accordé, qu’il emploie aussitôt pour repeindre les murs, refaire les boiseries extérieures des fenêtres et les planchers de la véranda, et remplacer trois cent cinquante tuiles. À ces réparations, s’ajoutent l’achat de chaux et de ciment pour réparer les gouttières et la réfection du mât portant le drapeau français : foudroyé en 1916 et réparé hâtivement, il pourrit, menace de s’effondrer et doit donc être remplacé complètement. Il y va de l’honneur de la France !
271Une semaine par trimestre, Teissier-Soulange se rend en bateau à Amoy, où vivent les quelques ressortissants français qu’on ne peut abandonner en période de troubles. Mais ayant laissé ses trois fils en France, il part en congé le 31 mai 1926, et confie la gérance à Fernand Roy à Amoy, jusqu’à son retour, le 6 mars 1927. Il est vivement impressionné par la maîtrise avec laquelle Fernand Roy s’est acquitté de ces fonctions100 :
« Séparé du poste dont il avait à assurer la gérance par une distance de dix-huit heures de navigation par beau temps, distance qui n’est en outre franchissable qu’une fois par semaine, M. Roy a donc dû avoir recours à un échange de correspondance incessant avec nos deux agents indigènes restés à Fuzhou, les frères Ma. Pendant cette période, aucune démarche n’a été faite à Fuzhou, aucune réponse donnée verbalement ou par écrit, par nos agents indigènes, avant consultation préalable et réception des directives de Roy. Ces communications, qui, forcément, devaient entrer dans les plus grands détails, ont été caractérisées par la clarté, la précision des directives données, une parfaite connaissance des affaires, de l’autre côté par une exécution loyale et intelligente. La loyauté et la confiance de ces rapports ont assuré le succès d’une gérance particulièrement délicate, et je suis heureux de le signaler. »
272Dans la journée et la nuit du 14 janvier, Roy a également dû faire face à des troubles dirigés contre les étrangers. Aidé de Joseph Ma à Fuzhou, il a pu organiser le repli sur Hong Kong de la Mission dominicaine espagnole qui était directement menacée. Teissier-Soulange a pris connaissance de ces faits de la bouche même des missionnaires, lors de son passage dans ce port, puis de Mgr Aguirre à Amoy. Il propose d’accorder une promotion à Fernand Roy qui, en outre, est doyen du corps consulaire à Amoy depuis plus d’un an :
« Ce n’est pas une sinécure par le temps qui court. Il s’en est très bien tiré de l’avis de tout le monde. Il est interprète depuis 1919 ! Ne pourrait-il passer au moins 1er interprète ? Ou bien obtenir la 5e zone pour son poste qui ne sera certes pas volée. Enfin un signe d’encouragement ? Dans les conditions où nous vivons tous en Chine, je vous assure qu’il est précieux de sentir que le Département n’est pas à l'autre bout du monde. »
273En réponse, le 13 août 1927, c’est la croix de chevalier de la Légion d’honneur qui est décernée à Roy. Belle récompense ! Teissier-Soulange s’en félicite :
« Vous avez bien voulu me faire confiance contre bien des avis divergents. Soyez rassuré, vous n’avez pas placé votre argent sur un mauvais cheval ! Le moral de mon poulain qui était au plus bas quand je vous ai parlé, est maintenant tout à fait remonté. Il est dans de bonnes conditions morales pour fournir du bon travail, et il en fournit. La légation le reconnaît maintenant ; elle a fait plus, elle lui a par deux fois témoigné sa satisfaction. Ces encouragements [...] ont eu le meilleur effet, et je considère maintenant la situation comme bonne. Rappelez-vous seulement que je ne vous ai jamais présenté M. Roy comme un as de la carrière, mais comme un bon agent moyen. Son défaut capital est ce que j’appellerai une frousse hiérarchique telle, qu’au moindre signe de défaveur, ladite frousse lui fait perdre complètement le pouvoir de raisonner et peut le conduire à des bêtises. »
274Teissier-Soulange aurait mieux fait de s’abstenir de ce dernier commentaire pour le moins désobligeant. Lui-même perdra complètement son sang froid quelque temps plus tard, mais pour d’autres raisons...
275Pour l’heure, les troubles continuent dans toute la région. Après son retour, le consul signale que la correspondance entre la légation et son poste est de plus en plus précaire. Les troupes cantonaises occupent Fuzhou, et les deux compagnies de navigation ont suspendu leur service entre ce port et Shanghai, de peur de voir leurs navires réquisitionnés sans compensation. Fort heureusement, Teissier-Soulange est revenu seul à son poste, laissant femme et enfants en France. Son épouse accouche en effet d’un quatrième garçon, le 6 avril 1927. Mais leur absence devient de plus en plus pesante. À la fin de l’année 1927, il obtient de Berteaux que son épouse et ses quatre fils viennent le rejoindre. Le 12 décembre 1927, tout en lui adressant ses remerciements, il brosse un tableau de la situation politique dans sa circonscription101 :
« Il ne me reste qu’à espérer de pouvoir vivre en paix ici pour le temps où vous jugerez bon de m’y laisser, si les Chinois veulent bien s’y prêter. Malheureusement les signes de troubles augmentent en ce moment. Le parti Kuomingtang est en proie aux divisions et querelles intérieures, le gouvernement nationaliste est également divisé dans sa politique. Les modérés comprennent qu’il n’y a rien à gagner en s’aliénant à fond les étrangers, tandis que les extrémistes chevauchent à fond le dada abolition des traités, expulsion des étrangers, etc. Malheureusement ce sont les extrémistes qui ont le dessus pour le moment, soutenus qu’ils sont par une recrudescence de propagande bolchevique depuis quelques semaines. Il semble que les Russes font un nouvel effort très sérieux à Canton, qu’en sortira-t-il ? Les difficultés de la vie matérielle ont augmenté considérablement avec les Unions de Serviteurs dont nous sommes gratifiés et les prix aussi. À ce point de vue, Fuzhou est le port le plus déshérité de la côte de Chine. Je viens de voir le record établi par Naggiar : trois promotions en 4 ans c’est coquet. Je ne suis pas jaloux de mon naturel, du moins c’est ma femme qui le dit... »
276Durant l’année 1929, comme Canton, Hong Kong et d’autres villes, Fuzhou est gagnée par le mouvement de grève. La patience de Teissier-Soulange est mise à rude épreuve, lorsqu’un de ses boys est retenu par la police parce qu’il refuse de s’associer au syndicat de l’Union des travailleurs. Le consul se rend au commissariat pour tenter de le faire sortir. Mais il oublie totalement les manières diplomatiques indispensables en pareil cas et, au comble de la fureur, il insulte, bouscule les policiers et, en voulant les frapper de sa canne, casse malencontreusement un service à thé en porcelaine qui traînait par là. Le congé que Teissier-Soulange prend pour retourner en France tombe providentiellement pour calmer les esprits échauffés contre lui. C’est Fernand Roy qui, depuis Amoy, assure à nouveau la gérance du poste.
277En ces périodes de troubles, le consulat de Fuzhou ne peut rester privé de la présence d’un agent du ministère. Un simple chancelier, Marcel Bernard, est désigné pour en prendre la gérance. Fernand Roy lui ayant remis le service le 23 septembre 1930, Bernard va assumer ces fonctions jusqu’au 6 avril 1931. Dès son arrivée, comme son prédécesseur, il entreprend de moderniser le consulat. La résidence étant dépourvue d’eau courante, il faut aller puiser l’eau dans la rivière et remplir ensuite une citerne. Comme il n’y a pas de sanitaires, Bernard fait installer les commodités dans le bâtiment principal, ainsi que l’électricité dans la chancellerie. Il fait en outre construire un garage. Mais il est remboursé partiellement pour ces dépenses, n’en ayant pas demandé l’autorisation au ministère. Peu après son arrivée, le 4 octobre 1930 il écrit au ministre Wilden102 :
« Dès mon arrivée dans la capitale du Foukien, j’ai fait des visites officielles à mes collègues étrangers, aux fonctionnaires des Douanes, des Postes et de la Gabelle. J’ai en outre été reçu par les autorités du gouvernement provincial l’amiral Tcheng Ki Liang, le commandant des forces navales du Foukien, Tcheng Pei Kwoen, le président du gouvernement provincial, le Préfet de police, etc. Tous ces personnages m’ont assuré de leur désir d’entretenir les meilleures relations avec ce consulat. Ils m’ont rendu ma visite dans le courant de la semaine. De ces conversations tenues pendant ces entrevues et des allusions qui m’ont été faites, j’ai remporté l’impression, et j’ai le regret d’avoir à en faire part au Département, que le retour de Soulange-Teissier à Fuzhou n’est pas désirable pour le bien des relations franco-chinoises. Son caractère impulsif et sa brutalité d’allure et de langage n’étant pas adaptable à la mentalité actuelle des Chinois. Monsieur Roy, au contraire leur est très sympathique. Il s’est créé à Fuzhou d’excellentes relations... »
278Auguste Wilden apprécie peu ces critiques, pourtant justifieés, venant d’un simple chancelier, et dans une lettre classée « très confidentielle », écrit au ministre :
« Avec une liberté peu commune que l’on ne peut assigner évidemment qu’à une expérience insuffisante, il fait le procès du titulaire du poste qu’il gère. Quelqu’ait pu être la nature des relations de M. Soulange-Teissier avec les autorités chinoises, et je crois à la vérité qu’elles n’étaient pas bonnes, je trouve peu convenable que M. Bernard fasse tenir directement au Département son appréciation sur la façon dont M. Soulange a rempli ses fonctions, et lui ai fait savoir. M. Bernard se trouve gérer pour la première fois un consulat de quelque importance, il n’est point mutile qu’il soit fixé, dès maintenant, sur l’exacte étendue de ses droits et de ses devoirs. À cette occasion, je me permets de signaler, ici, l’intérêt qu’il y aurait à réserver les postes de Chine aux agents issus de la carrière de l’interprétariat. Dans l’espèce, il me semble qu’il eût été préférable de ne point confier la poste de Fuzhou à M. Bernard, chancelier qui a rendu ici les plus grands services car c’est un fonctionnaire laborieux et dévoué, mais me paraît peu qualifié pour diriger un poste consulaire aussi essentiellement "chinois" que celui dont il est chargé. Par ailleurs, il est possible que les observations qu’il apporte au sujet de Soulange-Teissier soient exactes. Celui-ci, que je connais bien et qui est un homme d’une grande intégrité morale, a aussi certains défauts qui le rendent peu apte à la gestion de poste où il aura constamment affaire aux Chinois. Il semble qu’il y ait entre eux et lui une complète incompatibilité d’humeur. À cet égard, il serait préférable de le désigner pour un autre poste, soit en Europe, soit au Département. »
279Malgré ces critiques, Teissier-Soulange rejoint Fuzhou le 6 avril 1931. Il y reste un an, jusqu’à son départ, le 9 mai 1932, pour le consulat de Hong Kong dont il doit assurer la gérance. Il est de retour le 16 mars 1934, après un congé en France. Le 15 juin, un décret décide la fermeture du vice-consulat d’Amoy et son rattachement à Fuzhou, qui englobe ainsi toute la province du Fujian. Mais dans le même temps, par suite de compression des dépenses, d’autres décrets décident la suppression du poste de secrétaire-interprète de3e classe et le licenciement d’une des deux auxiliaires du consulat. « Le consul de France qui assume, outre la protection de nos quelques ressortissants, celle des missions catholiques espagnoles de la région et celle des Macaïstes portugais, se trouvera donc avoir à faire face à un labeur très sensiblement accru, avec un personnel réduit de moitié », fait remarquer le chargé d’affaires, Henri Hoppenot, le 31 juillet 1934. Or, c’est Fernand Roy qui a déjà géré le poste et a su se faire apprécier des autorités locales qui est nommé titulaire de Fuzhou, le 29 juillet, tandis que Teissier-Soulange est appelé de nouveau à Hong Kong.
Fermeture puis rétablissement d’Amoy au dépens de Fuzhou
280Le 1er août 1934, Fernand Roy ferme le poste d’Amoy, et dans la première semaine de septembre prend le service de Fuzhou. La fermeture d’Amoy fait passer le décanat détenu par Roy depuis plus de sept ans, aux mains du consul du Japon, ce qui, dans les circonstances présentes, est une réelle menace pour l’avenir de la région. Fernand Roy insiste également sur les autres inconvénients de la disparition du vice-consulat, qui oblige des pays comme la Belgique, l’Espagne et le Portugal à confier leurs intérêts à une autre nation...le Japon encore. Il fait en outre remarquer que cette suppression va engendrer pour le consul de Fuzhou un surcroît de travail considérable. Il sera en effet obligé de se déplacer souvent à Amoy pour régler les affaires du port, qui ne pourront en aucun cas être traitées depuis Fuzhou. À nouveau, les ressortissants et protégés français d’Amoy protestent eux aussi contre la fermeture du vice-consulat. Comme il l'avait pressenti, faute de collaborateurs, Fernand Roy ne peut à la fois assurer la protection des résidents et ressortissants français de la province du Fujian, et participer à l’administration de la concession internationale de Kulangsu. Suite aux suppressions de postes précédentes (le secrétaire-interprète et une auxiliaire), il se retrouve avec un seul employé. La direction d’Asie-Océanie qui fait part de cette situation à la direction du Personnel le 29 novembre, suggère de supprimer le consulat de Fuzhou, de rétablir le poste d’Amoy et de donner à Roy le concours d’un secrétaire-interprète.
281En conséquence, le consulat d’Amoy est rétabli par décret du 29 mai 1935, et confié de nouveau à Fernand Roy, tandis qu’un autre décret supprime celui de Fuzhou. Le 30 août, Roy approuve totalement ces mesures, faisant valoir que le commerce de ce port est en diminution constante d’année en année. Le 10 octobre 1935, il ferme le poste de Fuzhou et, le lendemain, procède à la réouverture d’Amoy. Il propose de transformer Fuzhou en agence consulaire et de confier les bâtiments et le mobilier du consulat au seul Français résidant depuis dix-huit ans dans cette ville, l’ingénieur Chapron, qui a toujours secondé les consuls en qualité de chancelier substitué. Il pourra assurer le paiement du salaire du gardien du cimetière, où reposent les quelques marins morts lors de la bataille gagnée par Courbet en 1885, et délivrer des certificats d’origine aux exportateurs à destination de l’Indochine. Il sera aussi le correspondant officiel du consulat d’Amoy. Le 21 novembre 1935, la direction du Personnel approuve les suggestions de Roy et l’autorise à créer une agence consulaire confiée à Chapron.
282Au bout de deux ans passés à Amoy, Roy, qui n’est pas retourné en France depuis douze ans, le 15 novembre 1937, remet le service à Serge Lebocq. Ce dernier est un peu l’agent à tout faire du ministère. De janvier 1937 à novembre 1937 il a été envoyé successivement dans trois postes, Amoy étant le quatrième, après Shanghai en janvier, Hong Kong en avril et Swatow en juillet. Il assure la gérance d’Amoy jusqu’au retour de Roy le 30 juin 1938.
Swatow (Shantou)
283Ce poste, comme Amoy et Fuzhou, est fermé à différentes reprises, en raison de sa minime importance. Excepté la présence d’un évêché et de quelques missionnaires, il n’y a guère d’intérêts français dans cette ville. Les agents du ministère ne font qu’y passer, et se succèdent à des cadences assez rapprochées. Le consulat est géré successivement par Teissier-Soulange du 30 janvier 1916 au 9 février 1918, puis par Laurent Eynard. Mais ce dernier part en congé au mois de décembre 1919, et remet le service à un chancelier. Sa mère étant gravement malade, il refuse de revenir en Chine pour rester auprès d’elle. Faute de titulaire, le poste est confié au père Vogel, jusqu’à l’arrivée, le 11 juin 1921, de l’interprète Georges Goubault promu à cette occasion premier interprète. Nommé à Canton en 1923, il est remplacé en mai par Raoul Tulasne qui ne reste que quelques mois, jusqu’en novembre 1923. Arrivé avec son épouse enceinte, celle-ci met au monde un fils le 2 septembre 1923. Tulasne qui se plaint vivement du manque total d’intérêt de ce poste, quitte la ville avec sa famille le 26 novembre pour le consulat de Hong Kong.
Figure 14 : Rue de Swatow (Carte postale collection privée).
284Swatow est alors provisoirement fermé, jusqu’à la nomination, fin décembre 1924, du consul Pierre Augé. Ce blessé de guerre est en Chine depuis 1920, et a commencé sa carrière comme consul suppléant à Shanghai, puis comme gérant de Fuzhou et d’Amoy en 1922. Lors de la mainmise de Borodine et de ses conseillers sur Canton, Swatow, comme Nanning, se rallie au gouvernement cantonais après la visite d’un envoyé soviétique. Le 10 octobre 1925, jour anniversaire de la révolution chinoise, Augé croit bien faire en hissant le drapeau de la Chine sur le consulat de France, en signe d’amitié avec le gouvernement chinois. Tollé chez les étrangers (surtout britanniques), qui manifestent leur mépris et leur colère par des gestes et des lettres d’ironie, mais aussi de menaces. Le ministre à Pékin, Damien de Martel, doit alors expliquer à Augé, complètement abasourdi, qu’un tel acte est contraire aux règles du protocole international : le salut d’une nation à une autre se donne en hissant le pavillon national, qu’il s’agisse d’une fête française, chinoise ou étrangère. Signalant cette bévue au ministère, il recommande cependant de ménager Augé, digne de respect pour ses blessures de guerre, mais suggère de le placer dans un poste où il n’aura pas l’occasion de prendre des initiatives inopportunes103.
285À son départ en congé le 28 avril 1928, le consulat est fermé durant neuf mois, et les intérêts français confiés au consul d’Angleterre. Fernand Roy qui se trouve à Amoy, après le départ d’Augé, est chargé de payer les loyers et les salaires des auxiliaires. Il vient à Swatow le 16 juillet et y reste six jours. Il profite de ce court séjour pour rendre visite aux missionnaires, aux consuls étrangers et aux autorités locales. Mais Mgr Rayssac, évêque apostolique de Swatow, insiste pour que l’on envoie un agent permanent au vice-consulat, afin de protéger les missionnaires de l’intérieur et les catholiques qui se sont réfugiés à Swatow par crainte des troubles communistes. Le poste est rouvert le 1er octobre 1928, l’interprète Jules Médard en assure la gérance jusqu’au retour de Pierre Augé, le 1er avril 1929. Il y reste à peine un an. Le 8 novembre 1930, il remet le service du poste à Robert Germain, chargé de diriger provisoirement le poste, en attendant l’arrivée de Jules Leurquin, encore en congé en France pour trois mois. Ce dernier nommé titulaire le 1er août 1930, arrive seulement le 10 mars 1931. Leurquin est seul sans sa famille et, après deux ans passés dans ce poste, le 8 avril 1933 remet le service à Amédée Beaulieux. Ce dernier assure la gérance jusqu’au début janvier 1934, date de l’arrivée du nouveau titulaire, Albert Cadol. En dehors d’une brève période de congé, Cadol reste jusqu’au 10 juillet 1937, au moment où les Japonais franchissent le pont Marco Polo et commencent à envahir une partie de la Chine.
Pakhoi (Beihai) et Hoihow
Pakhoi : maintien ou fermeture du poste ? Raoul Tulasne, René Waché, Léon Jankélévitch
286Les vice-consulats de Pakhoi (Beihai) au Guangxi, et Hoihow (Haikou) dans l’île de Hainan, sont essentiellement des postes politiques d’observation à la frontière sino-tonkinoise, directement en rapport avec le gouvernement général. C’est une des raisons pour laquelle Pakhoi est administré la plupart du temps par des fonctionnaires de l’Indochine. Cependant du 1er février 1921 au 19 novembre 1923, c’est Louis Reynaud qui est chargé de ce poste104. Le 8 mai 1922, il réclame le remboursement de trois mille cent soixante-sept francs qu’il a déboursés pour l’achat de vingt revolvers, vingt mousquetons, un canon de 37 et autres munitions. Réponse du ministère : la décision appartient au gouvernement des colonies. Ces armes et munitions sont-elles uniquement destinées à la défense du vice-consulat ?
287Au mois de janvier 1923, les changements politiques qui ont lieu à Canton ont des répercussions dans la circonscription de Pakhoi. Après une série de combats et la fuite des dernières troupes fidèles à Chen Jiongming, les partisans de Sun Yat-sen occupent le pays et sont maîtres de la situation. Mais certains soldats se livrent à des pillages et à des vengeances privées dans la région de Lianzhou, dont la citadelle est assiégée durant douze jours. L’hôpital de Pakhoi reçoit une trentaine de blessés militaires et civils. Seule la ville échappe aux pillages, la présence de la canonnière française la Malicieuse n’étant sans doute pas étrangère à cette immunité relative. Lors du départ en congé de Reynaud en novembre 1923, le docteur Gouillon, médecin-chef de l’hôpital consulaire, prend la gérance du consulat. Il la conservera jusqu’en 1928.
288En juin 1925, après les dramatiques événements de Shanghai et de Canton, les étudiants, sur ordre des meneurs de ces deux villes, mènent des actions xénophobes. Le 20 juin, à l’occasion d’un grand meeting de solidarité, les Anglais et les Japonais sont violemment pris à parti. Les jours suivants l’agitation s’accroît, avec multiplication de cortèges accompagnés de bannières, cris et chants hostiles aux Anglo-Nippons. Des comités se forment, chargés de récolter des fonds pour les victimes et grévistes de Shanghai et Canton, et pour préparer le boycottage des produits anglais et japonais. Se conformant à l’arrangement passé entre Reynaud et le consul anglais en juillet 1923, le docteur Gouillon expédie le 19 juin par le poste de TSF, un câblogramme appelant à la rescousse la canonnière l’Inconstant qui arrive le 24 juin à Pakhoi. Des rumeurs de massacre pour la nuit du 29 juin, précipitent sur le bateau tous les résidents étrangers. Le 2 juillet, les familles sont évacuées par un vapeur japonais sur Haiphong.
Figure 15 : Le consulat de Pakhoi (collection privée).
289Le 25 août 1928, le gouverneur général de l’Indochine prévient, qu’au 1er avril 1929, il cessera de contribuer au fonctionnement du poste de Pakhoi, l’inspecteur général du service de santé estimant que l’hôpital ne présente qu’un intérêt médiocre au point de vue médical. Le rappel du médecin des troupes coloniales sera suivi automatiquement de la fermeture du consulat. Henri Cosme, chargé d’affaires à Pékin, met en garde le gouvernement contre cette suppression qui entraînera, selon lui, « l’amoindrissement de la représentation de la France en Extrême-Orient et un affaiblissement de son rayonnement et de son influence ». Il en profite pour rappeler la pénurie des postes de Chine, par rapport aux autres nations. L’Angleterre possède neuf consulats généraux et seize consulats ; l’Amérique, quatre consulats généraux et douze consulats ; le Japon, douze consulats généraux et trente consulats. La France est la plus mal lotie avec un seul consulat général, quatorze consulats, dont cinq seulement sont administrés par des titulaires, deux sont fermés et un troisième sur le point de l’être, trois sont confiés à des médecins. Il résulte de cet état de choses que « la Légation n’est pas informée comme elle devrait l’être et que l’influence de la France dans des provinces comme le Sichuan, où notre pays était connu et aimé et où nous ne sommes plus représentés, va sans cesse en diminuant », proteste-t-il105.
290En septembre 1928, le médecin-inspecteur Garde, qui fait la tournée des postes médicaux consulaires de Canton, Yunnanfou, Mengzi, Pakhoi, Hoihow et Simao, conseille de porter tout l’effort de la Colonie sur les hôpitaux de Yunnanfou et de Canton (tout en fermant l’école de médecine de cette ville), et de conserver provisoirement ceux de Hoihow et Mengzi qui peuvent se suffire à eux-mêmes106. Mais il demande de supprimer, dès le 1er avril 1929, les hôpitaux de Simao et de Pakhoi qui n’ont pour lui aucun intérêt. En réalité, il n’a pas visité Pakhoi, et a pris cette décision suite au silence du docteur Gouillon qui n’a fourni ni documents, ni statistiques. Gouillon est donc remplacé par le docteur Pautet, en décembre 1928. La fermeture des postes de Hoihow et Mengzi, recommandée par l’inspecteur Garde mais aussi préconisée par le Gouvernement de l’Indochine par mesure d’économie, est également envisagée.
291Le 12 octobre 1928, le ministre des Affaires étrangères fait savoir qu’il n’approuve guère ces suppressions de postes d’observation sur la frontière du Tonkin, lesquelles, dans les circonstances de troubles actuels, risquent d’avoir de graves conséquences pour l’Indochine. Le ministre suggère de conserver le poste de Pakhoi, et le 30 octobre suivant, obtient l’accord de Pierre Pasquier, gouverneur de l’Indochine. Ce dernier reconnaît en effet qu’il a eu maintes fois l’occasion d’apprécier l’intérêt politique de ce consulat, en raison de sa proximité avec la frontière indochinoise et de Gouanzhouwan. C’est d’ailleurs la seule raison qui peut être invoquée pour le maintien de ce poste. Excepté l’importation de charbon par l’Indochine, il n’y a plus rien d’intéressant pour la France à Pakhoi. L’école ferme en juin 1931, le bureau de poste l’étant déjà depuis février 1923. Seul subsiste l’hôpital, pauvrement équipé, qui a été repris par la Mission. Celle-ci dirige également un séminaire et deux orphelinats, dont le deuxième est situé dans la petite île de Weitao. Les prêtres de la mission sont extrêmement âgés ou trop malades, et on ne peut compter sur leur action pour continuer à développer l’influence française, signale Lagarde lors de sa tournée d’inspection en 1932.
292Nommé le 25 janvier 1932, Raoul Tulasne arrive fin mars à Pakhoi. Après seulement deux mois et demi de séjour, le 15 juin 1932, il demande sa mise à la disposition immédiate, invoquant des raisons impérieuses de santé, mais aussi sa profonde insatisfaction face au manque total d’intérêt de ce poste107 :
« Après plusieurs mois de gestion de ce consulat où j’ai pu, à loisir, examiner les possibilités d’action de l’agent appelé à le diriger, je me suis très nettement rendu compte de la parfaite inutilité de ma présence ici. Ce ne sont pas en effet les quelques visas de passeports qui me sont demandés, ou la signature de papiers de bord des quelques vapeurs qui, tous les mois, font une courte escale à Pakhoi, qui pourraient suffire à justifier mon maintien à la tête de ce poste. En tant qu’agent de renseignements, je n’ai pas plus de raison d’être, car si le consulat de Pakhoi a été autrefois un poste intéressant d’observation politique, alors que notre consul en ce port disposait pour le renseigner de 12 agents secrets convenablement rétribués par l’Indochine, il ne l’est plus aujourd’hui que livré à lui-même, sans aucun moyen d’investigation ; son titulaire actuel, malgré toute sa bonne volonté, toute sa conscience professionnelle, se trouve sans doute moins bien renseigné de ce qui se passe dans sa propre circonscription que des collègues de Canton ou de Hong Kong. Le gardiennage de l'immeuble consulaire et la conservation des archives... telles sont en fait les attributions qui lui restent pour satisfaire ses légitimes désirs d’activité. Pour un agent de son ancienneté c’est peu, Votre Excellence en conviendra. »
293Tulasne quitte Pakhoi le 2 août. Le poste reste alors sans titulaire pendant plusieurs mois, entre les mains d’un interprète annamite, jusqu’à l’arrivée de René Waché, le 16 mai 1933. Son beau-frère Fernand Roy est consul, non loin de là, à Amoy. Mais à la suite du décès de sa sœur et de sa petite nièce de 23 mois, Waché, très affecté par ce double deuil, aggravé par son isolement dans ce poste, doit être évacué précipitamment, le 28 décembre 1933, et transporté à l’Hôpital Lanessan de Hanoi. Avant son départ, il remet les clefs du bâtiment consulaire et des coffres-forts à Mgr Pénicaud, vicaire apostolique. Le 18 janvier 1934, son collègue Marcel Chaloin, en poste à Hoihow, vient fermer le consulat et licencie le personnel indigène. Il récupère les tables de chiffres et les documents secrets, laissant dans le coffre-fort les archives à caractère confidentiel. Cependant, à la demande de Mgr Penicaud, il confie la garde des bâtiments au vieux lettré M. Poun, et l’autorise à loger dans les locaux de la chancellerie. Il prévient en même temps Fernand Roy de venir chercher les affaires que son beau-frère a laissées à Pakhoi, n’ayant pu emporter qu’une petite valise lors de son départ précipité108.
294Après la fermeture du poste par Marcel Chaloin, le 16 mars 1934, le chargé d’affaire à Pékin, Henri Hoppenot, demande au ministère de profiter de ces circonstances pour fermer définitivement Pakhoi, comme l’a déjà suggéré le ministre Auguste Wilden au mois de juillet 1933, justifiant ainsi sa demande :
« M. Waché est le troisième titulaire de ce consulat évacué pour raisons de santé dans des conditions qui ne laissent aucun doute qu’un sort pareil ne doive atteindre la plupart des agents condamnés à l’oisiveté et à la solitude d’une résidence par ailleurs malsaine. Les recettes de chancellerie du poste, si exagérées que soient les droits fiscaux exigés des jonques chinoises se rendant dans les eaux d’Annam et du Tonkin, n’en ont jamais couvert les frais. »
295Le sous-directeur d’Asie exprime son désaccord sur cette fermeture, rétorquant que si trois agents ont été évacués de Pakhoi, c’est qu’ils étaient déjà en mauvaise santé à leur arrivée. Il estime en effet que de sérieuses considérations politiques militent en faveur du maintien du consulat de Pakhoi, seul poste d’observation dans cette région limitrophe du Tonkin et du territoire à bail de Guanzhouwan. En conséquence, il demande le rattachement de Pakhoi à Hoihow, et le retour du docteur Esserteau, en congé en France, qui a déjà géré ce poste durant quatre ou109 cinq ans.
296Pour finir, un décret du 15 juin 1934 décide la fermeture de Hoihow à partir du 1er août 1934 (en même temps qu’Amoy qui sera rétabli par la suite comme on l’a vu ci-dessus), et son rattachement à Pakhoi, maintenu par un arrêté du 26 juillet 1934. Sa circonscription comprend désormais les anciennes préfectures de Genzhou, Lianzhou et Liuzhou, la partie de l’ancienne préfecture du Chaozhou attribuée au vicariat apostolique du Guangdong occidental, et enfin file de Hainan. Marcel Chaloin est désigné à Pakhoi à la place de René Waché et doit emporter les archives de Hoihow dans ce poste. Mais il n’a aucune envie de prendre la direction de ce consulat, et annonce qu’il ne peut accepter cette nomination pour raisons familiales. Il est appuyé par Henri Hoppenot qui écrit le 25 juillet 1934 :
« Il a une femme assez fragile de santé et deux enfants tout jeunes. Il a de sérieuses raisons de craindre un poste dont plusieurs titulaires ont dû être évacués et où le dernier a perdu la raison [...]. De plus, ajoute Hoppenot, l’importance politique actuelle de Pakhoi est nulle. Le consul n’y possède aucun moyen d’information lui permettant de renseigner utilement l’Indochine. »
297En conséquence, la fermeture de Pakhoi est également décidée. Après avoir fermé le consulat de Hoihow le 1er août 1934, Chaloin quitte cette ville le 12, et le 16, remet les archives et les chiffres des deux postes de Hoihow et de Pakhoi à René Teissier-Soulange à Fuzhou. Chaloin ferme Pakhoi le 18 août 1934. Teissier-Soulange ayant été nommé à Hong Kong, y emporte les archives des deux postes qui relèvent désormais de ce consulat.
298Mais face aux empiètements japonais, le 27 novembre 1935, Louis de Robien décide de rouvrir Pakhoi et d’en confier la gérance à Léon Jankélévitch, à la place d’Henri Bonnafous qui a refusé ce poste. Jankélévitch arrive le 6 janvier 1936 et trouve les locaux dans un état de délabrement extrême et absolument inhabitables110. Le consulat consiste en un rez-de-chaussée surélevé au-dessus d’une sorte de cellier dans lequel pourrit, parmi les toiles d’araignées et les moisissures, un invraisemblable bric-à-brac. La façade est lézardée et noircie, le crépi étant tombé en divers endroits. Les mauvaises herbes et les termites se disputent les fondations. Ces sympathiques insectes ont aussi trouvé à se loger dans les poutres du toit, dont plus de la moitié des tuiles ont été brisées ou emportées par les typhons. L’intérieur lui fait au premier abord une meilleure impression. Le revêtement de plâtre est défraîchi, le dallage quelque peu disjoint, les portes et fenêtres ferment mal et leurs ferrures sont rouillées. L’ensemble pourrait être habitable, si le toit ne menaçait de s’écrouler, et si les murs n’étaient envahis par les termites. Le consulat est naturellement vide de mobilier, excepté trois bancs de bois blanc et une douzaine de chaises de paille ayant appartenu à René Waché. Un trou percé dans le sol, à une vingtaine de mètres de la maison dans un édicule en torchis, sert de lieu d’aisance pour le consul et le personnel chinois. Les jours de pluie, son contenu se répand sur le sol, fertilisant ainsi le jardin potager attenant :
« Cette ingénieuse installation permet sans doute d’appréciables économies sur l’entretien du jardin potager, et l’on m’a assuré que la santé de mes prédécesseurs ne s’en est jamais ressentie. Comme je crains d’être façonné d’une manière plus humble et moins résistante, j’échangerais toutefois volontiers les avantages de ce système éprouvé contre ceux d’une fosse étanche, si le Département voulait consentir à m’en donner les moyens, écrit Jankélévitch. Bien que la ligne électrique passe devant sa porte, le consulat n’a pas le courant. Un puits situé à deux ou trois mètres du lieu d’aisances fournit de l’eau contre laquelle je n’avais nul besoin que l’on me mît en garde. »
299Il existe un autre puits au fond du parc, mais il est envahi par la végétation et a besoin d’être nettoyé, de même que le parc, véritable jungle remplie de moustiques. Deux réduits pourvus chacun d’une sorte d’auge de terre noire ressemblant à une mangeoire à cochons, servent de salles de bains. L’habitation est totalement dépourvue de linge de table et de lit, de vaisselle, de verres et de batterie de cuisine. Jankélévitch demande au Département de prendre à sa charge les frais de transport de tout son matériel et de ses effets personnels restés à Pékin... Il y a bien le bâtiment abritant la chancellerie. Elle est certes meublée, écrit Jankélévitch, mais là encore, la moisissure et l’humidité ont tout détérioré. La pièce qui servait de salle d’attente est envahie par les fourmis blanches qui ont saccagé le mobilier.
300Pour remettre tout en état, il faudrait des sommes considérables et une escouade de coolies. Jankélévitch ne peut compter que sur le vieux lettré, M. Poun, qui loge dans une caserne désaffectée attenante au consulat. Jankélévitch n’a d’autre ressource que de demander l’hospitalité à la Mission qui consent à mettre à sa disposition un local inoccupé et un lit...mais sans draps. Le 17 janvier, il avise le ministère qu’il vient de recevoir, par la valise de Hong Kong, une cinquantaine de kilogrammes de papiers, représentant la correspondance de Pakhoi et de Hoihow, emportés par Chaloin, et empaquetés en dix volumineux ballots :
« À demeurer dans mes bureaux, où je n’ai même pas une armoire pour les enfermer, et où ils m’embarrassent considérablement, ces papiers, qui paraissent relativement bien tenus, risquent, comme tout ce qui a le malheur de séjourner entre ces murs inhospitaliers, de devenir la proie des fourmis, des vers et de la moisissure. Le mieux serait sans doute pour eux d’être rapatriés à Hoihao. Je le ne ferai pas cependant à mes frais. »
301Le 21 janvier, Jankélévitch est autorisé à transférer sa résidence à Hoihow et à y installer provisoirement le consulat, l’immeuble consulaire de cette ville étant en bon état. Il n’est pas question de supprimer le poste, lui est-il précisé, il s’agit seulement d’un simple déplacement du siège du consulat dans la même circonscription. Le 6 février, Jankélévitch déménage à Hoihow.
Hoihow (Hoihao), Jules Leurquin, le docteur Esserteau et Léon Jankélévitch
302Ce port doit son importance à sa situation sur le détroit de Hainan, voie de communication entre Haiphong et Hong Kong111. Il exporte porcs, bœufs, peaux, volailles et œufs, sel et sucre, et coolies pour Singapour et Bangkok. Il importe cotonnades et lainages, fer, farine, pétrole, allumettes, riz et ustensiles de ménage. Mais tout est destiné à Hong Kong ou est en provenance de la colonie britannique ; rien ne vient ni n’est expédié en Indochine. Le consulat de Hoihow est l’une des résidences les plus agréables de Chine, mais il est assez isolé, construit en bordure du bras du fleuve qui débouche sur la mer, en face du quartier commercial chinois. Il n’y a pas de pont reliant les deux rives. Commencée en 1897, sa construction s’est achevée en 1903. Le pavillon solidement construit, comprend un rez-de-chaussée surélevé ainsi qu’un étage où se trouvent les chambres. Il est entouré d’un beau jardin ceint d’un mur. Mais il n’a pas l’électricité, son isolement rendant malaisée son installation. Initialement, à côté de la parcelle accordée à Gaston Kahn en 1897, se trouvait un terrain appartenant à une entreprise chinoise qui y avait aménagé un dépôt de pétrole. À la suite d’un incendie qui ravagea ce dépôt en 1908, en novembre 1921 le ministère décide de louer ce terrain pour 40 ans et obtient même des paysans du coin deux parcelles supplémentaires.
303La population française est peu nombreuse. En 1924, outre le consul et sa famille, il n’y a pour tous résidents que le médecin-major des troupes coloniales, un commerçant agent de la Compagnie de navigation, deux missionnaires et trois religieuses de l’ordre de Saint-Paul de Chartres. À l’intérieur de l'île, vivent également trois missionnaires. Ils appartiennent aux Missions étrangères ou à la Société du Sacré-cœur dite de Picpus. Les missions catholiques dirigent une école de filles et un orphelinat à Hoihow et une école de garçon à Tingan. De 1916 à 1922, le consulat a été géré par les médecins successifs attachés à l’hôpital, et notamment le docteur Esserteau, À partir du 6 juin 1922, Jules Leurquin est chargé de la gérance. Après la petite Marie, née le 2 février 1921 à Chongqing, c’est à Hoihow que voient le jour ses deux autres enfants, Xavier, le 3 mars 1923, et Pierre, le 18 septembre. L’île semble à l’abri des combats qui opposent dans ce secteur les troupes communistes de Canton aux généraux des provinces du Sud. Fin octobre1925, les troupes communistes envoyées par Borodine battent le général du Guangdong Cheng Jiongming qui, rejeté dans le Fujian, est contraint de se réfugier à Shanghai ; puis Deng Benyin, le gouverneur de Hainan, dans la région de Guanzhouwan (deux de ses lieutenants se seraient ralliés à Canton). Les débris de son armée rejoignent Hoihow et les autres ports de l’île.
Figure 16 : Vue de Hoihow (Collection privée).
304Lors du départ de Leurquin, le 20 avril 1925, pour Canton, le docteur Esserteau reprend la gérance du poste. Le 16 février 1926, il demande des crédits pour l’hôpital afin de construire deux salles d’isolement, refaire le crépi des murs et repeindre les boiseries qui, depuis la construction de l’établissement en 1910, ont été endommagés par les typhons et les rigueurs du climat. Le 14 janvier 1927, après avoir pris un congé bien mérité après sa dure gérance de Canton, Leurquin reprend le chemin de la Chine sur le Porthos et revient au consulat de Hoihow, dont il est nommé titulaire par un décret du 15 janvier 1927. Il est de nouveau confronté à une situation délicate. Après l’écrasement des communistes, au mois d’avril 1927, par Chiang Kai-shek, la tension monte dans File. Anglais et Américains, sur ordre de leurs consuls de Canton, font évacuer leurs ressortissants. Leurquin demeure à son poste ainsi que les rares Français et les religieuses qui vivent dans l'île. Mais son épouse Mercedes, de santé fragile, a du mal à supporter le climat insulaire et il demande un poste situé dans l’intérieur. Le Département, prenant en compte sa demande, l’envoie à Hankou durant le congé de Georges Lecomte (voir supra, Hankou), tandis que le docteur Esserteau reprend la direction de Hoihow. Cela fait neuf ans qu’il est médecin-major dans cette ville et, à partir du 5 mars 1929, demande à prolonger son séjour, jusqu’à son remplacement le 13 novembre 1933 par Marcel Chaloin. Mais un décret du 15 juin 1934 décide la fermeture de Hoihow à partir du 1er août et son rattachement à Pakhoi, fermé à son tour comme on vient de le voir. Jankélévitch qui s’installe à Hoihow le 6 janvier 1936 va demeurer à ce poste jusqu’à l’agression japonaise et l’annexion de l’île de Hainan.
Longzhou : Victor Robert
305Le principal intérêt de ce vice-consulat du Guangxi est sa situation à la frontière de l’Indochine, à l’égard de laquelle il constitue un poste d’observation idéal. Il rivalise avec le poste de Mengzi qui dépend de Yunnanfou, mais ce dernier, beaucoup moins important, sera supprimé aux alentours de 1936. Ces deux postes sont confiés le plus souvent à de jeunes interprètes qui vont de l’un à l’autre. Longzhou, après le décès d’Emmanuel Point, est géré par Pierre Crépin, qui le confie à son beau-père lors de son départ en congé, en attendant l’arrivée d’un titulaire Louis Troy. Ce dernier, malade, doit également rentrer en congé ; Victor Robert le remplace jusqu’en juillet 1921. Le poste est alors géré par Charles-Joseph Cadet, un fonctionnaire de l’Indochine. En septembre 1921, la ville est occupée par des soldats cantonais, puis, le 20 mars 1922, attaquée par des soldats du Guangxi qui en font le blocus pendant deux mois. Au lieu d’évacuer le consulat, Cadet préfère s’y maintenir pour protéger la résidence, envahie à plusieurs reprises par des réfugiés chinois. Au mois d’octobre 1924, il demande à partir en congé au début de l’année 1925. Le ministre à Pékin, Damien de Martel, jugeant impossible de fermer ce poste en son absence, conseille d’y renvoyer comme gérant, Victor Robert, interprète à Mengzi. Ce dernier n’ayant pas pu s’y rendre immédiatement, un autre administrateur des Services civils de l’Indochine (Rougni) prend le relais de Cadet.
306Le 1er décembre 1925, le vice-consulat de Longzhou, couplé avec celui de Nanning, est confié officiellement à Victor Robert qui prend son service le 20 février 1926. Mais le 8 mai suivant, il demande une autre affectation pour des raisons familiales, sa femme attendant pour le mois de septembre son deuxième enfant.
Figure 17 : Vice-consulat de Longzhou (M.A.E. Série F immeubles, AO 11983, photo anonyme, 1er janvier 1928).
307Dans cet endroit où ils vivent seuls, complètement isolés au milieu d’une population hostile et dans un climat particulièrement malsain, il n’y a pas d’assistance médicale, excepté celle d’un médecin chinois en qui il n’a nulle confiance. Robert signale qu’il ne lui sera pas possible, avec deux enfants dont un nouveau-né, de conserver sa famille auprès de lui s’il est maintenu dans ce poste. Il compte envoyer son épouse passer trois mois au Yunnan, d’où elle se rendra à Hanoi jusqu’à son accouchement. Ensuite, toute la famille rentrera en France, si aucune modification n’est apportée à sa situation. Venant à l’appui de ces arguments, fin mai et début juin, des troubles éclatent, dirigés contre les étrangers. La mission protestante est pillée et saccagée. Le 28 juin, Robert renouvelle sa demande. Le 15 septembre, il télégraphie de nouveau au ministère et lui signale que Cadet, qui est déjà venu en juillet 1921, est d’accord pour le remplacer. Le Département accepte de valider cette mutation. Le 26 octobre 1926, Victor Robert est chargé de la chancellerie détachée de Mengzi, dépendant du consulat de Yunnanfou. Cette fois, c’est Charles Lépissier, titulaire de ce poste qui, le 30 octobre, conteste l’envoi de Robert à Mengzi. Se plaignant de n’avoir pas assez de personnel, il demande qu’il soit mis à sa disposition le plus tôt possible : « Je suis avisé que Robert est affecté à Mong-Tseu. Aucun intérêt justifie maintien agent carrière en ce poste où il serait absolument désœuvré et inutile. Je vous prie de faire désigner Robert pour Yunnanfou, où je suis seul et surchargé depuis un an ; je suis d’accord avec lui à cet égard. »
308Le ministère ayant accepté, le 31 octobre 1926, de bon matin, Robert et Cadet quittent Longzhou à six heures trente, en voiture avec leur chauffeur, à destination de Hanoi. Soudain, ils sont attaqués à vingt-cinq kilomètres de leur point de départ par une bande de pirates. Les autorités chinoises, prévenues de ce guet-apens, envoient immédiatement une patrouille qui découvre Victor Robert dans un ravin, raide mort, tué de deux balles dans le ventre et dans la tête. Mais il n’y a aucune trace de Charles-Joseph Cadet et du chauffeur annamite. Dans la nuit du 1er novembre, les deux hommes parviennent à regagner, à pied, le consulat, après avoir été relâchés à quarante-cinq kilomètres du lieu du rapt par leurs assaillants, qui les ont dépouillés de tous leurs effets personnels et de leur argent. Les obsèques de Victor Robert ont lieu à Hanoi le 3 novembre, organisées par le gouverneur général de l'Indochine Pierre Pasquier et par le consul de Yunnanfou, Charles Lépissier. Après la cérémonie, Cadet rend visite à la veuve de Robert, à l’hôpital de Hanoi, où elle a accouché d’un fils quinze jours auparavant. De retour à Longzhou, il est une nouvelle fois attaqué à deux kilomètres de l’endroit du premier attentat. Victor Robert est nommé chevalier de la Légion d’honneur, à titre posthume, par un décret du président de la République, le 3 février 1927, tandis qu’une indemnité de cinquante mille francs sera payée, par la Chine, à son épouse et à ses enfants112.
309Au mois de février 1930, des bandes que l’on dit être des communistes s’en prennent directement au consulat, y mettent le feu, le détruisant en grande partie ainsi que ses annexes, l’infirmerie et les bâtiments de la mission. Le capitaine Baronna est tué, le capitaine Auclair est kidnappé et une forte rançon est réclamée contre sa libération. Il est relâché après le paiement de vingt mille piastres par le gouvernement de l’Indochine. Deux ans plus tard, en mai 1932, le ministre Auguste Wilden délègue à Longzhou le conseiller de la légation, Ernest Lagarde, afin de régler définitivement avec les autorités du Guangxi les indemnités à payer pour les agressions contre les deux capitaines et la remise en état du consulat. Lagarde doit aussi aller en Indochine s’entretenir avec Pasquier, le gouverneur général. Des quatre cent mille piastres exigées au départ, Pierre Pasquier conseille d’accepter les cinquante mille proposées par le général Wei Yungang. Les Chinois sont en effet prêts à soumettre le montant de toutes les réparations et du rachat du mobilier à l’avis de la légation et du consulat. Un fonctionnaire de l’Indochine, Sylvestre de Saci, est envoyé provisoirement pour relayer le docteur Aurillac qui a pris en charge ce qui reste du consulat. Auguste Wilden réclame l’envoi d’un agent du ministère. Par sa situation géographique, Longzhou est en effet extrêmement bien placé pour la surveillance de la frontière et la fourniture d’utiles renseignements aux postes de Yunnanfou et de Canton.
310Le 29 août 1932, le consulat est confié de nouveau à un agent des Affaires étrangères, Philippe Simon. À son retour de congé en 1935, le Sud-Ouest de la Chine est le théâtre d’âpres affrontements entre les troupes du Yunnan et du Hunan soutenues par l’aviation du Guangxi, et les bandes communistes. Puis c’est au tour du Guangdong et du Guangxi, avec les généraux Li Zongren et Bai Chongxi qui ont des velléités d’indépendance. Sous couvert de lutte patriotique contre le Japon, les deux généraux lancent un appel aux armes. Ces buts patriotiques cachent mal leurs convoitises personnelles et leur désir de mettre en difficulté Chiang Kai-shek, constate Simon. Mais les populations du Guangxi, lasses des troubles, refusent de les suivre. Les deux généraux occupent Pakhoi début septembre 1936. Chiang Kaishek leur offre des promotions pour obtenir la paix.
Notes de bas de page
1 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 505, Bureau diplomatique Pékin (13 juillet 1930-9 juin 1939), Wilden 3 et 9 décembre 1930.
2 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid. volume 505, Wilden 9 décembre 1930 et lettres suivantes.
3 Les autres résidents étrangers : 168 Japonais, 157 Américains, 92 Anglais, 53 Allemands, 12 Russes, 7 Coréens, 4 Indiens, 4 Suédois, 3 Yougoslaves, 2 Autrichiens, 2 Belges, 2 Canadiens et 2 Hollandais.
4 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid. volume 505, Hoppenot 16 août 1934.
5 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 503, Légation (27 février 1930-31 mars 1938).
6 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 505, Naggiar 11 et 26 août et lettres suivantes.
7 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid., Naggiar 27 août 1936.
8 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 63 (janvierl918-octobrel920), Organisation consulaire, Note du 9 janvier 1918.
9 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 240 Mandchourie dossier général, Rapport de Franqueville 7 octobre 1923 envoyé par Reynaud le 16 octobre.
10 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid., vol 240, Mandchourie, rapport de Lépissier du 20 septembre 1922 ; ainsi que dépêches suivantes.
11 MAE Dossier personnel d’Henri Lepice.
12 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 143, Correspondance relative aux consulats, Mukden, 3 octobre 1924, lettre de Tripier.
13 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 240, Mandchourie dossier général.
14 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 54-55, concession Tientsin, note sur événements de juin, août et octobre 1916, lettre de Margerie 29 octobre, télégramme de Paris 22 novembre 1916 ; volume 833, Extension Lao-Si-Kai, Lépissier à Wilden 24 novembre 1931.
15 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 144 Correspondance relative aux consulats, Tientsin, lettres de Saussine des 11 février 1922, 18 février et 27 août 1923, et 5 mai 1924.
16 Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 238, Tientsin, lettre du 16 juin 1925.
17 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 833, Lao Si Kai, op. cit., Lépissier du 24 novembre 1931 au 10 mars 1934.
18 MAE dossier personnel de Lépissier.
19 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 234 Tchefou.
20 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 145, Agences consulaires.
21 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 235, Tchentou, dépêches de Baudez du 22 février 1923 à janvier 1924.
22 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 237, Tchongking, Eynard 24 juillet 1922 à mars 1924.
23 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 236, Tchentou, Baudez 5 mars 1924 à avril 1925.
24 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid. volume 236, Dr Jouvelet 18 avril 1925 à avril 1929.
25 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 237, Tchongking, Roy 18 avril à juin 1925.
26 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid. volume 237, Tchongking, Eynard 19 novembre1925 à mai 1928.
27 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid. volume 237, Dr Paris 28 août 1928 à 1929.
28 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 511, Personnel, Béchamp 7 août 1934.
29 MAE Dossier personnel de Médard.
30 MAE Dossier personnel de Chaloin.
31 Lecomte Georges, et Eynard Laurent, Dictionnaire biographique 1918-1953, op. cit.
32 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine volume 56, Concession Hankeou (janvier1918-avril 1922).
33 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 221, Hankou, Lecomte juillet 1922 à mai 1925.
34 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, ibid., volume 221, Hankou, Blondeau 3 décembre 1925.
35 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, Hankou volume 222 (janvier1926-31 décembre 1929), rapports de Lecomte à partir du 11 juin 1926.
36 ISAACS Harold, La tragédie de la révolution chinoise, op. cit., chapitre 13, p. 246 et suivantes.
37 MAE Lecomte dossier personnel, lettres des 16 février et 7 juillet 1927 à Berteaux.
38 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 335 lettre du 2 avril 1928.
39 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 222 Hankou, Leurquin 5 juillet 1928 à février 1929.
40 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine volume 793-794, Concessions, Hankou, Baudez 13 mars, 27 mai, 13 juin, 9 et 31 juillet 1930, 12 janvier 1931.
41 MAE Ibid, volume 793-794, Hankou, télégramme de Wilden du 15 avril 1931 à Paris.
42 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 506, Consulats de France (juin 1930-août 1936), lettre du 18 août 1931.
43 Marquès-Rivière Jean, La Chine dans le monde, la révolution chinoise de 1912 à 1935, Paris, Payot, 1935.
44 Pélissier Roger, Le Troisième géant : la Chine, tome III « La Chine déchirée entre le Kuomintang, les Japonais et les communistes, 1928-1949. »
45 MAE, Wilden, dossier personnel, lettres des 2 avril et 22 octobre 1924.
46 MAE, Wllden, ibid. dossier personnel, lettre de Damien de Martel au ministre, 10 février 1925.
47 Faligot Roger, Les services secrets chinois de Mao aux JO, Éd. du Nouveau Monde, 2008, chapitre I, p. 23.
48 Alain Roux signale que cet acte se trouve aux National Archives à Washington dans le rapport du consul américain Jenkins en date du 16 mars 1931, in Grèves et politique à Shanghai : les désillusions 1927-1932, Paris, p. 24-26, 189-212, 219-230. Voir aussi Brian Martin, The Shanghai Green Gang, politic and organized crimes, 1919-1932.
49 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, vol 337, Shanghai, dépêches de Damien de Martel 26 octobre 1925, Naggiar 7 mai 1926, de Martel 18 mars 1926.
50 Le Paris de L’Orient, Présence française à Shanghai 1849-1946, ouvrage collectif 2001 des Archives du ministère des Affaires étrangères, article d’Alain Roux, p. 47-61.
51 Isaacs Harold, La tragédie de la révolution chinoise, 1925-1927, op. eit., chapitre 8, p. 170 et suivantes.
52 Isaacs Harold, La tragédie de la révolution chinoise 1925-1927, ibid. ; voir aussi Bergère Marie-Claire, Histoire de Shanghai, Fayard, 2002, p. 209-211.
53 Faligot Roger, Les services secrets chinois de Mao aux JO, op. cit., p. 37.
54 Bergère Marie-Claire, Histoire de Shanghai, op. cit., p. 212.
55 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 510, Consulats et personnel, Article du Journal de Shanghai 13 mai 1932. Œuvre de M. Koechlin à Shanghai.
56 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 802, Shanghai, lettre de Koechlin du 4 mars.
57 MAE Correspondance politique et commerciale, volume 510, Rapport de Dufaure de la Prade 19 mars 1932.
58 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, ibid. volume 510.
59 MAE Dossier personnel de Baudez.
60 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 244, Yunnan (juillet 1922-décembre 1923) Revue de presse du 26 mai 1922 « Réception de Bodard à OuHoua-Chan », lettres de Bodard à partir de juillet.
61 Bodard Lucien, Le fils du consul, Grasset, 1999, p. 447.
62 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 245 Yunnan (juillet 1922-décembre 1925) rapports de Bodard jusqu’en mai 1925.
63 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 246, Yunnan (janvier1926-avril 1927).
64 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 247, Yunnan (mai-juillet 1927).
65 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 248, Yunnan (août-décembre 1927).
66 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 249, Yunnan (janvier-décembre 1928).
67 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 250, Yunnan (année 1929) lettre de Lépissier du 15 juillet.
68 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 144, Correspondance relative aux consulats, Yunnanfou, lettre de Pasquier du 12 juillet 1929 et de Lépissier du 24 juillet.
69 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940 Asie-Chine, volume 509, Personnel diplomatique et consulaire, Beauvais à Harismendy 8 avril 1930.
70 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 512, Personnel diplomatique et consulaire (16 mai1935 - 23 décembre1936) lettres de Chauvet des 11 et 21 mai 1936.
71 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 506, Consulats (31 janvier1930-27août 1936) notes des 15 janvier 1932 et 17 septembre 1935.
72 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 507, Consulats (21 avril 1936-13 avril 1940) note du 6 avril 1938.
73 Beauvais Joseph (1867-1924) et Maurice (1880-retraite 1940), Dufaure de la Prade Georges (1879-1937), Dictionnaire biographique 1840-1911, op. cit.
74 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 666, p. 221, lettre du ministre des Colonies à celui des Affaires étrangères, 23 mars 1931 ; ainsi que Brocheux Pierre, « Hô Chi Minh, du révolutionnaire à l’icône », op. cit.
75 Danjou André (1874-retraite 1934), Dictionnaire biographique 1918-1953, op. cit PUR, 2013.
76 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 215, Canton (janvier-septembre1926), Danjou 25 mars et lettres suivantes.
77 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 216 (octobrel926-décembre 1927), lettres d’octobre 1926 et suivantes.
78 ISAACS Harold, La tragédie de la révolution chinoise 1925-1927 op. cit., chapitre 17, « La moisson d’automne et la commune de Canton », p. 327 et suivantes.
79 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 143, Correspondance relative aux consulats 1922 à 1929, de Martel à Briand 29 octobre 1927, rapportant lettre de Danjou du 10 octobre
80 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 793-794, Canton (janvier1930-janvier1938), lettres d’Eynard des 28 janvier et 28 novembre 1930, Direction d’Asie à ministre français à Nankin du 20 mai 1931.
81 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, ibid.volume 793-794, Dufaure de la Prade (Hong Kong) à Wilden 1er décembre 1931 ; Lagarde à Wilden 9 juillet 1932, Eynard à Naggiar 18 janvier 1938.
82 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, volume 506, Consulats de France, rapport de Lagarde 10 juillet 1932.
83 Reau Raphaël (1872-1928), Dictionnaire biographique 1840-1911, op. cit.
84 MAE Dossier personnel de Paul Kremer, ainsi que lettre suivante de Reau.
85 Du Courthial Yves, Dictionnaire biographique 1918-1953, op. cit., PUR, 2013.
86 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 215 Canton (janvier-septembre1926), de Martel 20 janvier et père L.Robert 18 mars.
87 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 506, Consulats, rapport de Dufaure du 16 mars 1932.
88 Dufaure de la Prade Georges (1879-1937), Dictionnaire biographique 1840-1911, op. cit.
89 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 215, Canton (janvier-septembre 1926) Dufaure D'avril 1926.
90 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 147, Personnel diplomatique et consulaire (janvier1926-avril 1928) lettre de Martel à Briand du 28 décembre 1927.
91 Dans la nuit du 9 au 10 février 1930, deux cents tirailleurs tonkinois en garnison à Yen Bay se révoltent contre leurs officiers européens. Cette mutinerie est fomentée par le VNQDD, Viet-Nam Quoc Dan Dang, fondé en 1927 et inspiré du Guomindang.
92 Faligot Roger, Les services secrets chinois de Mao aux JO, op. cit., p. 52.
93 Brocheux Pierre, Hô Chi Minh, du révolutionnaire à l’icône, op. cit., chapitre 2 et 3, p. 81-95.
94 MAE, Correspondance politique et commerciale (1918-1940) Chine, volume 506, op. cit., rapport du 16 mars 1932.
95 MAE Dossier personnel de Renner.
96 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 143 Correspondance relative aux consulats (1922-1929) Note du 15 novembrel924.
97 MAE ibid. volume 143, note du 20 novembre 1923 sur les intérêts français à Amoy.
98 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 506 Consulats, rapport de Lagarde 26 novembre1932.
99 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine, volume 143, Correspondance relative aux consulats, Foutcheou 9 avril 1925.
100 MAE Dossier personnel de Roy, ibid. pour lettres suivantes.
101 MAE Dossier personnel de Teissier-Soulange. Voir aussi Dictionnaire biographique 1840-1912.
102 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 506, Consulats, rapport de Lagarde du 22 novembre 1932 ; volume 509, lettres de Bernard et de Wilden du 17 octobre 1930.
103 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine volume 143, Correspondance relative aux consulats, Swatow, lettres de Martel à Briand du 9 février 1926 et de Jean de Guebriant du 28 février 1928.
104 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 231, Pakhoi (janvier 1923-novembre 1925).
105 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1929, Asie-Chine, volume 147, Personnel diplomatique et consulaire, dépêche de Cosme à Briand 29 août 1928.
106 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine volume 143, Correspondance relative aux consulats, dépêche de Cosme du 5 septembre 1928.
107 MAE Dossier personnel de Tulasne.
108 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine volume 506, Consulats, lettre de Chaloin de janvier 1934.
109 MAE ibid. vol 506, lettre de Hoppenot du 16 mars 1934.
110 MAE ibid. volume 506, lettre de Jankélévitch du 6 janvier 1936.
111 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Chine volume 143, Hoi-hao notice du 26 mai 1924 (Leurquin).
112 MAE Correspondance politique et commerciale 1918-1940, Asie-Chine, volume 149, Assassinat de Robert (octobre1926-janvier1928).
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