Les fêtes nationales de gymnastique en Allemagne et en France (1860-1914)
p. 31-54
Texte intégral
1Une histoire des mises en scène politiques dont les manifestations sportives nationales ou internationales font l'objet ne peut faire l'impasse sur les fêtes de gymnastique. En effet, les « fêtes allemandes de gymnastique » (Deutsche Turnfeste) réunissant à partir de 1860 des gymnastes venus des différents États de la confédération germanique puis — après 1871 — de l'Empire, jouèrent en ce domaine un rôle précurseur. Les travaux portant sur l'histoire de la gymnastique en Allemagne1 montrent que sa pratique fut, dès l'origine, envisagée comme un instrument de nationalisation des masses. Ils soulignent l'orientation nettement politique de l'activité des sociétés de gymnastique, leur contribution au mouvement nationaliste d'inspiration libérale avant 1848 qui se mua, au cours des années qui précèdent l'établissement de l'Empire, en soutien du régime impérial. Ils montrent que les organisations de gymnastique furent le foyer d'une culture physique nationale spécifique, à travers laquelle s'exprimait le caractère particulier du peuple allemand. Et les fêtes de gymnastique constituaient un élément central du dispositif.
2Elles furent imitées un peu partout en Europe. Ainsi, tous les ans à partir de 1875, l'Union des sociétés de gymnastique de France (USGF) organisa une fête fédérale à laquelle les sociétés de gymnastique de toute la France étaient invitées à participer2. Les études consacrées à l'histoire de la gymnastique en France3 en dévoilent les usages politiques : la pratique était inscrite dans une vaste entreprise d'éducation des masses visant tout à la fois à faire disparaître les particularismes régionaux, à inculquer une conscience nationale et enraciner la république. La fête, objectif principal du travail des sociétés de gymnastique, en était l'instrument privilégié.
3Il apparaît à la lumière des travaux allemands et français que la fête de gymnastique était conçue dans un double but. Elle visait, d'une part, à renforcer les liens entre gymnastes, à accroître leur ardeur patriotique et à leur inculquer un idéal politique et, d'autre part, à faire des adeptes dans le public et à se signaler à l'attention des autorités civiles et militaires.
4Si les fonctions politiques des fêtes de gymnastique relèvent désormais de l'évidence, il reste à en analyser précisément les conséquences sur la manifestation elle-même. Il convient de repérer les péripéties du programme qui sont objet de mises en scène politiques, d'étudier comment elles sont mises en scène, ainsi que leur évolution au fil des ans. Une analyse comparative des fêtes allemandes et françaises peut y contribuer en faisant ressortir les points communs (tout ce qui relève d'une espèce de fond commun aux deux mouvements nationaux) et les différences (tout ce qui relève des cultures nationales en construction). Car bien qu'elles poursuivent des buts identiques et mettent en œuvre des moyens comparables, les fêtes de gymnastique en Allemagne et en France n'en sont pas moins différentes.
5En effet, le mouvement des nationalités qui toucha tous les peuples européens entre le début du xixe et les premières années du xxe siècle, prit des formes variables selon les contextes nationaux : si, quel que soit le pays, les nationalistes revendiquaient tous unité et souveraineté, ils le firent, en Allemagne, au nom d'une identité affirmée, d'une langue, d'une culture et d'un passé partagés, et en France, au nom de principes à la portée universelle auxquels chaque membre de la communauté nationale avait librement choisi d'adhérer. Et donc, il importe de saisir l'incidence de ces différences sur ce qui est mis en scène, sur les modalités de ces mises en scène et leur évolution : défilés, mouvements d'ensemble, démonstrations, concours collectifs et individuels, musique et chants, discours, réceptions, banquets et cérémonies diverses.
6En outre, les fédérations de gymnastique entretenaient avec le pouvoir politique et l'armée des relations dont il convient d'apprécier la spécificité et les variations. En Allemagne, la formation de l'Empire en 1871 ne pouvait que laisser les nationalistes doublement insatisfaits : les aspirations de ceux qui, au nom des principes énoncés par Herder, rêvaient d'une Grande
7Allemagne réunissant tous les peuples de langue germanique furent déçues, comme furent déçus les espoirs de ceux qui appelaient de leurs vœux une constitution fondée sur la souveraineté populaire. Et si les gymnastes se rallièrent en 1871 à l'Empire, ils n'obtinrent pas en retour la reconnaissance qu'ils pouvaient espérer. En France, les organisateurs des premières fêtes de gymnastique étaient en butte à l'hostilité de la « coalition de l'ordre moral » au pouvoir4. Après 1879, ces gymnastes de la première heure espéraient que leur action fût reconnue et soutenue par les gouvernements républicains, mais reconnaissance et soutien tardèrent à venir ou ne furent pas à la hauteur de leurs espérances : les républicains étaient méfiants et les militaires méprisants vis-à-vis des sociétés de gymnastique qui leur offraient leurs services. Les relations s'améliorèrent lentement, au prix d'efforts constants de la part des dirigeants de l'USGF.
8Si l'évocation des fêtes de gymnastique en Allemagne relève essentiellement de la synthèse, étant donné le nombre et la qualité des travaux consacrés à l'histoire de cette activité, il apparaît en revanche indispensable de rouvrir le chantier de l'histoire de la gymnastique en France. En effet, comme le fait remarquer A. Gounot5, aucune monographie n'a encore été consacrée à l'histoire de l'USGF, et les travaux évoquant les fêtes fédérales se fondent essentiellement sur le contenu de revues comme Le Drapeau (Ligue des patriotes), Le Gymnaste (USGF) ou des historiques comme celui de Denis Mamoz6 qui ne reflètent que très imparfaitement la réalité. À travers le récit qu'ils font de la fête, ils délivrent une version officielle, ils en gomment les aspérités, en masquent les imperfections, en améliorent la cohérence pour parfaire le message et le modifier au besoin. En cela, ils contribuent à l'invention d'une tradition7. Et lorsqu'on prend en considération d'autres sources (archives préfectorales et municipales, presse nationale et locale, etc.), ce qui pouvait passer pour la reproduction d'un immuable rituel8 apparaît plus complexe et plus variable qu'on a pu le penser et l'écrire. Chaque fête fédérale est le résultat inégal d'un long et minutieux travail d'organisation dont les archives conservent des traces nombreuses et disparates : correspondance des comités d'organisation, rapports établis par les autorités ; presse locale et nationale ; photographies éditées sous forme de cartes postales ; toutes traces qui invitent à proposer une interprétation plus nuancée des quarante fêtes fédérales organisées entre 1875 et 1914.
9Il s'agit dans un premier temps de retracer dans ses grandes lignes l'histoire des fêtes allemandes et des fêtes fédérales. Les différences qui apparaissent à ce niveau renvoient aux caractéristiques singulières des deux contextes nationaux. Retracer l'évolution du programme permet également de faire apparaître quelques spécificités des fêtes allemandes et des fêtes françaises.
10Il s'agit dans un deuxième temps d'étudier les rapports entre les gymnastes et les autorités civiles et militaires, mis en scène par les uns comme par les autres. Nombreux sont en effet, en Allemagne comme en France, les gestes par lesquels les gymnastes expriment leur loyauté envers le pouvoir et leur respect pour l'Armée. Mais si en Allemagne, les autorités civiles et militaires manifestent ostensiblement leur indifférence, leur méfiance ou leur mépris envers les gymnastes et leur organisation, en France la situation évolue au fil des ans et le gouvernement et l'armée finissent par accepter leur offre de bons et loyaux services et leur expriment une reconnaissance mesurée.
Une histoire des fêtes
Périodicité et participation
11Les fêtes de gymnastique nationales organisées en Allemagne à partir de 1860 s'enchaînèrent dans un premier temps selon une temporalité très irrégulière. La fête de Cobourg (1860) fut rapidement suivie par deux autres manifestations similaires (Berlin, 1862 et Leipzig, 1863). Mais les gymnastes des différents Länder durent ensuite attendre 1872 (Bonn) puis 1880 (Francfort) pour avoir à nouveau une occasion de se réunir : la fête prévue à Nuremberg en 1866 ne put se tenir en raison de la guerre entre la Prusse et l'Autriche (dans laquelle la plupart des États allemands étaient engagés aux côtés de l'Autriche) ; et celle qui devait avoir lieu à Breslau en 1878 fut annulée en raison des deux attentats ayant visé l'Empereur Guillaume Ier en mai et juin 18789. Entre 1880 et 1913, les fêtes nationales eurent lieu tous les quatre ou cinq ans10. Cette périodicité participe à l'identité des fêtes et contribue à leur succès. Les neuf fêtes « allemandes » organisées entre 1871 et 1914 étaient des événements de grande importance. Certes, entre deux fêtes nationales, des manifestations dont la forme et le programme étaient très semblables, se tenaient à l'échelle des Länder ou à l'échelle régionale et locale, et les membres des sociétés de gymnastique allemandes avaient de multiples possibilités de participer ou d'assister à une fête de gymnastique. Mais l'apothéose d'une carrière de gymnaste était de prendre part à une fête nationale. Ces fêtes réunissaient des milliers, voire des dizaines de milliers de gymnastes venus de tous les Länder. Leur nombre augmentait constamment (si l'on excepte l'énorme succès de la fête de Leipzig en 1863 et le recul enregistré lors de la fête de Breslau en 1894) alors que globalement, dans le même temps, le nombre des gymnastes stagnait. Cette augmentation est à mettre en relation avec les progrès du sentiment national.
12Les fêtes fédérales organisées en France à partir de 1875 étaient annuelles. Mais si ce rythme soutenu fut respecté, les quarante éditions connurent un inégal succès. Certaines furent de belles réussites (Paris, 1889 et 1900, Tunis, 1912 ou Vichy, 1913), sans jamais atteindre l'importance des fêtes allemandes11 et d'autres furent à l'inverse de cuisants échecs (Saintes, 1888, ou Périgueux, 1895)12. Le nombre de sociétés et de gymnastes fluctuait d'une fête à l'autre dans d'importantes proportions, alors que dans le même temps, les effectifs de l'USGF croissaient régulièrement. Rien n'était moins simple que de mobiliser, année après années, les sociétés de gymnastique : les déplacements coûtaient cher, malgré les réductions accordées par les compagnies de chemin de fer, et les sociétés fidèles au rendez-vous annuel de l'Union étaient peu nombreuses ; il n'était pas rare, en outre, qu'une manifestation régionale soit organisée aux mêmes dates que la fête fédérale et lui fît concurrence13.
13On peut comprendre cette première différence entre les fêtes allemandes et françaises en relation avec l'idée que l'on se fait de la « nation » dans l'un et l'autre pays. Si l'Allemagne est le plus souvent pensée comme une fédération d'États, en France, une culture politique de la généralité dont les racines sont à rechercher dans la Révolution française, conduit à rejeter par principe tous les corps intermédiaires susceptibles de s'interposer entre l'individu et l'État et notamment les identités régionales et locales14. Et donc, si en Allemagne, l'intervalle entre deux manifestations nationales offre de nombreuses possibilités d'organiser des fêtes à l'échelle des Länder ou des régions, en France, la fête nationale s'impose comme le seul rassemblement légitime des gymnastes au détriment des rencontres régionales ou locales.
14Les fêtes allemandes et françaises se différencièrent également sur la base de la place faite aux femmes et aux plus jeunes. À l'origine, la gymnastique était une activité réservée aux hommes et ne concernait que de jeunes adultes. Les femmes eurent pour la première fois la possibilité de participer à une fête allemande en 1894 à Breslau. Et d'une fête à l'autre, le programme gymnique et sportif féminin s'étoffa rapidement. En revanche, les enfants et les jeunes gens n'étaient pas admis à y prendre part.
15Les fêtes fédérales organisées en France restèrent essentiellement masculines. Tout au plus les femmes étaient-elles invitées à participer au défilé, ou — exceptionnellement — à présenter une démonstration15. En revanche, nombreux furent les exemples de participation des enfants et des jeunes à ces fêtes : démonstrations de sections enfantines, défilés de bataillons scolaires, etc.
16En dehors des citoyens venus des différents États allemands, aucune délégation étrangère n'était invitée aux fêtes allemandes. Seuls les membres des sociétés de gymnastique allemandes constituées à l'étranger16, affiliées à la Deutsche Turnerschaft, étaient admis à y participer. En France en revanche, dès les premières éditions de la fête fédérale, l'USGF invita des délégations étrangères à sa fête annuelle. En 1875, des sociétés belges, italiennes et suisses y prirent part aux côtés des gymnastes français. Année après année, l'Union convia également des délégations venues d'Angleterre, du Danemark, d'Espagne, de Hollande, du Luxembourg, de Suède, et de Bohême. Ces délégations étrangères étaient invitées à participer au défilé, à faire des démonstrations et à assister au banquet au cours duquel on réaffirmait les liens fraternels qui unissaient les différentes nations représentées.
17Si la DT développait une conception pangermaniste de la gymnastique, en France était mise en scène une idée plus universelle de l'activité. Cette différence renvoie aux conceptions du nationalisme qui prévalent dans les deux pays : au caractère strictement « allemand » des ambitions des nationalistes allemands répondent les prétentions à l'universalisme des nationalistes français, héritiers des Lumières et de la Révolution.
Programme, rituels et symboles
18En Allemagne comme en France, le programme des fêtes connut un développement ininterrompu : il se composait à l'origine de présentations gymniques, de festivités, de discours, de conférences, et d'excursions. Les soirées étaient consacrées à des réceptions, banquets et démonstrations.
19En Allemagne, le programme composé de démonstrations en sections, des manœuvres et de mouvements d'ensemble, s'enrichit rapidement de concours gymniques aux agrès, collectifs dans un premier temps puis individuels, et de compétitions athlétiques. Un concours individuel aux agrès fut organisé pour la première fois lors de la fête de Francfort (1880). Il associait plusieurs épreuves, conformément à l'éthique pédagogique des gymnastes profondément marquée par l'idée d'une éducation physique et intellectuelle complète et variée. Ces concours étaient régis par un règlement voté en 1887. Des jeux populaires (Turnspiele : et notamment le Schlagball et le Faustball à partir de 1885) et des épreuves sportives (un tournoi de football notamment) vinrent s'y ajouter. Et si de plus en plus d'hommes mais aussi de femmes participaient aux fêtes de gymnastique, leur présence s'expliquait moins par leur nationalisme que par l'intérêt que le programme présentait à leurs yeux.
20L'évolution du programme des fêtes françaises est comparable. À l'origine, il n'incluait que des mouvements d'ensemble, diverses démonstrations et un banquet, le tout ponctué de discours patriotiques. Dès les années 1880, des concours collectifs, de tir17, de gymnastique aux appareils, de pyramides et de natation, se greffèrent sur les démonstrations. Apparurent ensuite, dans les années 1890, des concours individuels de gymnastique, de tir puis de sports. Cependant, ces différents concours ne participaient pas directement à la mise en scène dont les fêtes de gymnastique étaient le support : ils se déroulaient tôt le matin, parfois en des lieux annexes. L'objectif en était visiblement de créer une émulation entre membres de l'Union et d'attirer les sociétés les plus actives et les gymnastes les plus expérimentés qui, sans cela, auraient pu ne plus voir d'intérêt à participer à la fête.
21En Allemagne, les principales composantes du rituel spécifique aux fêtes de gymnastique sont apparues dans les décennies qui précèdent l'établissement de l'Empire, comme le salut des gymnastes (« Gut Heil ! »), le symbole des quatre « F » disposés en croix, le répertoire de chants patriotiques des gymnastes, etc.
22Le défilé des gymnastes était un rituel de masse de première importance : l'entrée des gymnastes en formation ordonnée sur le terrain de la fête en était un moment essentiel. Ce cortège solennel avec drapeaux multicolores, avait des allures de procession religieuse. Il exprimait la diversité et, en même temps, l'unité des gymnastes allemands qui défilaient derrière les drapeaux de leur association et des districts de gymnastique. À partir de 1880, le cortège suivait la bannière de la fédération, aux couleurs allemandes (noir, rouge et or) orné d'un aigle impérial entouré par une couronne de feuilles de chêne. Jamais les gymnastes n'utilisèrent le drapeau impérial ou les drapeaux des Länder, à l'exception des fêtes organisées au cours de la décennie qui précéda l'avènement de l'Empire : lors de la fête de Berlin en 1861, les gymnastes ne pouvant déployer des drapeaux allemands défilèrent derrière des drapeaux prussiens (noir et blanc frappé de l'aigle)18. Le défilé terminé, les drapeaux étaient rangés dans un endroit central de la salle des fêtes et restaient là pendant toute la durée de la manifestation. En certaines occasions, les drapeaux et les bannières étaient consacrés (lors de la fête de Leipzig en 1913 notamment).
23Les gymnastes allemands, fidèles à l'usage instauré par Jahn, étaient revêtus d'un costume blanc et d'une ceinture noire. L'uniformité des tenues symbolisait l'égalité des gymnastes et, après la création de la fédération de gymnastique ouvrière, la neutralité politique de la DT.
24En France, le défilé des sociétés était le plus ancien et sans aucun doute le plus incontournable des rituels : pas de fête de gymnastique qui ne fut ouverte ou close par un défilé réunissant tous les participants. Il était d'abord une démonstration de force et de discipline : l'USGF faisait étalage de sa puissance et, comme l'écrit Pierre Chambat, démontrait sa capacité à concilier masse et ordre. Mais ce spectacle de l'unité se redoublait d'une mise en scène de la diversité : chaque société défilait derrière son drapeau et ses gymnastes étaient revêtus d'un costume qui les distinguait des membres des autres sociétés. Et donc, si par leur présence et leur attitude, les gymnastes affirmaient leur attachement à la France, ils témoignaient également, par la singularité de leur tenue, leur attachement premier à leur « petite patrie ». Certaines sociétés se signalaient ainsi, plus que d'autres, à l'attention du public et remportaient un franc succès qui s'exprimait par une ovation ou des applaudissements nourris : la Société de gymnastique d'Alsace-Lorraine de Paris dont le drapeau était systématiquement voilé de crêpe noir, l'Alsace-Lorraine de Rouen, dont le porte-drapeau était, lors de la fête de 1900, vêtu du costume traditionnel alsacien et encadré par deux Alsaciennes qui tenaient des bouquets tricolores, et toute société que son costume signalait à l'attention du public, telles les sociétés de Tunis et d'Alger à Clermont-Ferrand en 1907, « dont les pittoresques uniformes jettent une note joyeuse dans ce défilé19 ».
25Pavoiser la ville est une tradition qui remonte aux premières années d'existence de la fête fédérale. Les villes qui accueillaient la fête annuelle de l'USGF étaient décorées et pavoisées. Pour l'occasion, Les trois couleurs nationales étaient déclinées de toutes les manières possibles : drapeaux en faisceaux, oriflammes, cocardes, écussons, guirlandes, bouquets de fleurs, mats vénitiens, etc. La république y était également partout représentée : Marianne en portrait ou en buste, initiales (« RF ») et devise (« liberté, égalité, fraternité ») peintes ou gravées. Cet usage renforçait le caractère républicain de la fête de l'USGF, à laquelle s'associaient les populations locales et les autorités municipales.
26À partir de 1881, un rituel de grande importance autour du drapeau de l'Union fut institué. Chaque année au moment de la fête annuelle, le drapeau fédéral changeait de mains au cours d'une cérémonie qui se déroulait devant les gymnastes assemblés, les personnalités présentes et le public : il était confié pour un an aux organisateurs de la fête fédérale. Un tel rituel est à comprendre en relation avec un des principes fondateurs de la démocratie grecque antique : afin que tous prennent part au pouvoir et aux honneurs sans qu'aucun puisse les confisquer à son profit, les charges sont occupées à tour de rôle pour une durée d'un an. En appliquant ce principe à la présidence de l'Union, tournante jusqu'en 189620, et à la garde du drapeau fédéral, la république des gymnastes mettait en pratique — et mettait en scène — son respect scrupuleux de la démocratie.
27Lors des fêtes allemandes, les chants patriotiques, choisis dans le répertoire des chants de gymnastes, étaient entonnés en chœur avec la même ferveur religieuse que des cantiques, alors qu'en dehors de La Marseillaise, il n'est guère fait mention de chants dans l'histoire des fêtes fédérales françaises, mais plutôt de musique militaire. Les différentes péripéties de la fête se déroulaient en effet au son de musiques militaires, exécutées dans un premier temps par les cliques des sociétés de gymnastique, puis par des fanfares régimentaires qui prêtaient obligeamment leur concours à l'USGF : on défilait en musique, les mouvements d'ensemble étaient rythmés par une musique militaire, l'accueil des personnalités et des invités se faisait en musique, on jouait La Marseillaise (reprise en chœur par les gymnastes et le public) et les hymnes nationaux des pays invités ; les fêtes de nuits mêlaient concert et exhibitions diverses. Sonneries et pièces du répertoire militaire accentuaient le caractère martial de la fête fédérale.
28Nombreux étaient les points communs entre les fêtes allemandes et françaises. Elles se différenciaient cependant sur la base notamment de la place faite à la religion. Si les sociétés et les fédérations de gymnastique allemandes étaient en principe des organisations laïques, si des gymnastes de toutes confessions pouvaient y adhérer et participer aux fêtes qu'elles organisaient, elles défendaient des valeurs chrétiennes et entretenaient avec les organisations religieuses — l'église protestante évangélique notamment — des relations impensables au sein de l'USGF, dominée par les républicains anticléricaux. Un office religieux fut, par exemple, célébré lors de la fête de Leipzig de 1913, alors que dans les fêtes fédérales françaises, les célébrations étaient laïques, et le rituel strictement républicain21.
Expressions du patriotisme
29En Allemagne, dès la première « fête allemande de jeunesse et de gymnastique » de Cobourg, les fêtes de gymnastique constituèrent des temps forts de la culture nationale. Les fêtes dans leur ensemble, mais plus particulièrement les exhibitions de masse (exercices d'ordre et exercices à mains libres) étaient assimilées à des démonstrations patriotiques. Elles symbolisaient l'unité et l'harmonie de la nation et du peuple allemand aux deux sens que l'on peut donner au terme : « peuple » en tant que nation ; « peuple » en tant que catégorie sociale englobant les classes moyennes et populaires, d'où étaient issus la plupart des gymnastes. Elles étaient également des démonstrations de la force de la nation et du peuple. Ces prestations corporelles étaient complétées par des cérémonies placées avant, pendant et après, durant lesquelles on faisait passer un message patriotique par des discours et des chants. De même, le choix de Leipzig comme siège de la fête de 1863 et de 1913 (cinquantième et centième anniversaire de la « bataille des peuples » qui eut lieu près de Leipzig, et permit de chasser les armées napoléoniennes d'Allemagne...) était-il hautement symbolique.
30En France, la fête de gymnastique était ponctuée de discours nombreux et de gestes symboliques qui en renforçaient le caractère patriotique. Le contenu des discours prononcés par les dirigeants de l'Union évolua entre 1875 et 1914 : il s'agissait dans un premier temps de contribuer, par la pratique volontaire de la gymnastique, au redressement physique et moral du pays puis, après 1879, de se mettre au service de l'armée nationale que les républicains appelaient de leurs vœux. En arrière-plan de cette forme de patriotisme, il y avait le refus de la perte de l'Alsace-Lorraine et, pour fonder ce refus, l'attachement au principe libéral de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Jamais les dirigeants de l'Union ne cédèrent à la tentation d'un nationalisme conservateur et antiparlementaire, hanté par l'obsession de la décadence. Ils insistèrent dans les années 1886-1889 (au moment de la crise boulangiste) sur le devoir patriotique de respect de la loi, de l'ordre, de la république et de l'armée.
31Au-delà du discours, le patriotisme s'exprimait dans des actes et des gestes symboliques qui donnaient aux affirmations de principe et aux déclarations d'intention un début d'application et de concrétisation. Les sociétés de gymnastique d'Alsace-Lorraine furent invitées à participer aux premières éditions de la fête fédérale. Et, bravant les menaces de l'administration allemande, certains gymnastes alsaciens se rendirent à Paris, Reims, Épinal, et Paris à nouveau, exprimant ainsi leur refus de l'annexion et leur attachement à la France. Malgré les mesures de rétorsion qui les frappaient (la participation de sociétés alsaciennes à la fête de 1878 entraîna leur dissolution), les comités d'organisation continuaient à les inviter : « Venez, vous qui avez été des Français comme nous ; venez, vous, fils d'Alsace et de Lorraine qui pleurez votre pays perdu ! Au milieu de nos populations qui vous acclameront, vous reconnaîtrez aisément la voix de la patrie vous glorifiant dans vos misères !... Venez22. » Il n'est cependant plus fait mention dans la presse de la présence de gymnastes venus d'Alsace ou de Lorraine après 1878. Parallèlement, la Société de gymnastique d'Alsace Lorraine, constituée à Paris en 1876 par des Alsaciens ayant opté pour la nationalité française, se chargeait à sa façon de perpétuer le souvenir des provinces perdues : lors du traditionnel défilé des sociétés, son drapeau était voilé de crêpe noir en signe de deuil. Elle continua tout au long de la période à exprimer ainsi le refus de la perte de l'Alsace et de la Lorraine. Elle fut à chaque fois, si l'on se fie aux comptes rendus publiés dans la presse, très applaudie par le public23.
32L'invitation des Sokols, à partir de la fête de Paris en 1889, s'inscrivit dans le prolongement de ce culte des provinces perdues. La situation de la Bohème sous domination autrichienne n'était pas sans rappeler celle de l'Alsace-Lorraine. C'est une des raisons qui conduisirent Joseph Sansbœuf, artisan de ces relations, à se lier avec les Tchèques de Paris puis de Prague24. Et les Sokols reçurent toujours un accueil chaleureux, tant de la part des gymnastes que des élus et du public. À partir de 1898, les gymnastes venus pour la fête fédérale étaient amenés à participer à des cérémonies commé-moratives devant les monuments élevés à la mémoire des grands hommes des années 1870-1880 : héros de la République anonymes ou célèbres. Les gymnastes participèrent à ces hommages qui contribuaient à enraciner le régime en bâtissant sa légende : Thiers « le libérateur du territoire », Gambetta « l'organisateur de la défense nationale » ; le général Chanzy qui sut tenir en échec les Allemands ; Jules Ferry, Sadi Carnot25, etc. S'incliner devant eux, c'était rendre hommage à la République ; tout bon patriote devait s'inspirer de leur exemple.
33La fête était également un moment de mise en scène des relations qui s'établissaient entre les gymnastes. En Allemagne, au cours de la période dite du Vormärz26, une vie associative très dense permit à la petite bourgeoisie et au peuple de se familiariser avec les principes de formation de l'opinion publique et les règles démocratiques de prise de décision. Sur cette base se développa une conception spécifiquement allemande de la démocratie, un modèle « populaire » qui participa étroitement à la formation du nationalisme allemand27.
34On peut ainsi comprendre l'importance des « délibérations » qui constituaient un moment essentiel de la fête nationale de gymnastique. Au cours de ces discussions, tous les sujets qui intéressaient les gymnastes étaient abordés. Lors des premières fêtes, des sujets politiques furent débattus dans ce cadre, mais avec le temps, ils passèrent au second plan. Les débats tournaient autour de l'implication des gymnastes dans la vie sociale, comme par exemple leur engagement dans les compagnies de pompiers, dans les groupements armés, ou dans l'enseignement de la gymnastique aux enfants et aux adolescents. De telles délibérations se déroulaient à plusieurs niveaux : il y avait d'un côté la réunion des délégués des sociétés de gymnastique, parmi lesquels de nombreux enseignants et pasteurs protestants, et de l'autre, une réunion des cadres techniques ; parallèlement se tenaient des assemblées informelles auxquelles prenaient part les gymnastes.
35En France, le congrès organisé parallèlement à la fête de gymnastique, ne réunissait que les dirigeants des sociétés de gymnastique et les moniteurs fédéraux, et si les règles de la démocratie étaient scrupuleusement appliquées, il n'avait pas le caractère démocratique des délibérations allemandes. Cette différence est à mettre en relation avec le glissement repéré par Jacques Defrance : les sociétés de gymnastiques françaises étaient à leur origine des sociétés de jeunes gens auto-organisés, au sein desquelles les exercices corporels servaient une mobilisation politique, elles devinrent progressivement au fil des ans des groupes de patronage qui ne « [visaient] plus que l'encadrement physique et moral des classes dominées28 ». Comme le constate Pierre Arnaud, dès les années 1880, les gymnastes sont jeunes et d'origine populaire et les dirigeants, plus âgés, appartiennent à la catégorie des notables29. L'évolution du traditionnel banquet, sans lequel il n'y aurait pas de fête fédérale, reflète également cette mutation profonde. À l'origine, c'était un banquet par souscription, conformément à une tradition républicaine née sous « l'ordre moral », auquel tous les gymnastes présents pouvaient prendre part. Et le nombre des convives dépassait le nombre des participants à la fête. Quelques années plus tard, le nombre des gymnastes réunis pour la fête devint supérieur au nombre des convives ; seuls les dirigeants et les délégations étrangères étaient invités, parfois les « délégués des gymnastes », voire, comme à Périgueux en 1895, les vainqueurs des concours. Le plus grand nombre se contentait d'un vin d'honneur, d'un buffet ou d'un second banquet plus fraternel. Il apparaît ainsi que, de plus en plus, la fête fédérale se vivait à deux niveaux distincts : celui des dirigeants et celui des gymnastes ordinaires.
Mettre en scène l'allégeance et la reconnaissance
36En Allemagne comme en France, les fêtes nationales de gymnastique étaient organisées dans un double but. Il s'agissait d'une part d'un rituel d'autocélébration du mouvement de gymnastique, se fondant sur une liturgie spécifique, inchangée et facile à reconnaître, malgré les modifications et les innovations incessantes. La pratique collective des exercices physiques était un moyen pour incorporer (au sens premier du terme) un sentiment d'appartenance, viscéral et non rationnel. Les défilés avec drapeaux et bannières de couleurs vives, les chants patriotiques, les discours, les remises solennelles des prix y contribuaient également. Mais là ne s'arrête pas le travail de mise en scène. En effet, les fêtes nationales de gymnastique étaient des fêtes publiques, attirant des spectateurs rapidement plus nombreux que les participants eux-mêmes et auxquelles des personnalités étaient invitées à assister. Elles visaient à faire connaître la gymnastique au-delà du cercle des membres des sociétés de gymnastique et à convaincre les pouvoirs publics de son importance et de son utilité.
37Un des buts poursuivis par l'USGF à travers les fêtes fédérales était de convaincre le pouvoir politique et l'armée de ses bonnes intentions et de son efficacité. Il y eut, jusqu'aux premières années du xxe siècle, recherche d'une reconnaissance qui, à l'origine, était loin d'être acquise.
Les gymnastes et le pouvoir
38Si entre 1860 et 1870, les organisations de gymnastes campaient sur des positions critiques vis-à-vis du gouvernement prussien et des gouvernements des autres Länder, la situation évolua avec la proclamation de l'Empire. Les dirigeants du mouvement se rangèrent alors aux côtés du chancelier Bismarck et du roi de Prusse, devenu Empereur d'Allemagne, pour deux raisons. D'une part, les gymnastes allemands pouvaient estimer avoir atteint le but politique qu'ils avaient, depuis Friedrich Ludwig Jahn, toujours placé au-dessus de tout (à savoir l'unité politique des peuples allemands dans un empire fondé sur des institutions représentatives) et ce, bien que l'Empire façonné par Bismarck ne correspondît pas, dans ses limites territoriales comme dans son fondement constitutionnel, à leur projet. D'autre part, la guerre contre la France les avait rapprochés : la haine contre l'ennemi commun — la France et les Français — avait resserré les liens qui les unissaient. Il existait, certes, des différences selon les Länder : en Prusse, le sentiment antifrançais était très fort, alors que dans le Sud et le Sud-Ouest de l'Allemagne, les gymnastes restaient attachés aux grands principes de la révolution manquée de 1848-184930 et le sentiment antifrançais y était nettement moins affirmé.
39Et donc, si la Deutsche Turnerschaft était en principe une organisation civile, indépendante de l'État et de la politique, entre 1871 et 1914, elle se concevait comme une organisation patriotique, nationale et loyale à l'Empereur. Il s'agissait, au cours des fêtes de gymnastique organisées sous l'Empire, de faire la démonstration de son attachement au peuple, à la patrie et à l'Empereur. Des messages de sympathie lui étaient adressés, plus tard aussi des télégrammes dans lesquels les gymnastes l'assuraient de leur fidélité. Ces témoignages de révérence et d'hommage à Guillaume Ier et, après 1888, à Frédéric III puis Guillaume II, étaient un aspect important des fêtes. Les organisateurs lui demandaient également de bien vouloir parrainer leur fête et l'invitaient à y assister. Cependant, jamais un empereur n'honora une fête allemande de gymnastique de sa présence, alors que par ailleurs Guillaume II se rendait à des rencontres sportives pour y assister.
40En France à partir de 1881, il ne fut plus une fête sans au moins un représentant de l'État : ministres, président du conseil ou président de la République. Depuis Sadi Carnot en 1889, les présidents successifs assistèrent plus ou moins régulièrement à la fête annuelle de l'USGF. Ces fréquents voyages hors de la capitale avaient pour but de lutter contre le boulangisme et d'enraciner la république en province.
41Une telle stratégie n'avait aucun sens en Allemagne où l'Empereur tenait sa légitimité du pouvoir que lui reconnaissaient les princes souverains, ce qui n'empêchait pas les gymnastes de réaffirmer en toute occasion leur fidélité et leur loyauté à sa personne.
42La fédération allemande de gymnastique était également sur des positions très proches de celles de Bismarck pour tout ce qui touchait à l'opposition au socialisme naissant. Pour eux les socialistes étaient des ennemis de la patrie et n'avaient pas leur place dans la fédération. Cette prise de position entraîna une scission au sein du monde de la gymnastique en Allemagne et aboutit à la naissance de l'Arbeiter-Turnerbund (1893) opposée à la politique nationaliste impériale, et dont les membres étaient pour la plupart issus des sociétés de gymnastique de la DT.
43En France, les positions des dirigeants de la fédération de gymnastique étaient plus nuancées. S'ils condamnèrent les mouvements internationalistes naissants31, ils ménagèrent d'autant plus les socialistes que ceux-ci constituaient une force politique non négligeable, tantôt opposée et tantôt ralliée à la majorité radicale, et que plusieurs socialistes occupèrent dans les premières années du xxe siècle des responsabilités ministérielles32. En raison de cette situation politique particulière, l'idée d'un nationalisme pacifiste et fraternel s'imposa dans les discours tenus à l'occasion des fêtes fédérales (les fêtes de gymnastique étaient présentées comme des fêtes de la paix ; c'était la signification donnée à la participation de délégations étrangères) ainsi que l'idée d'un nationalisme défensif (il faut être fort pour garantir la paix intérieure et extérieure).
Les gymnastes et l'armée
44Les rapports des gymnastes avec l'armée évoluèrent différemment en Allemagne et en France. Si à l'origine, les chefs militaires des deux pays tenaient à garder leurs distances avec les gymnastes qui leur offraient avec insistance leurs services, la situation resta bloquée en Allemagne, alors qu'elle évolua favorablement en France.
45Les fêtes nationales étaient un moment privilégié de mise en scène de la conception dominante de la gymnastique, selon laquelle la pratique était une préparation au service des armes. Les temps forts du programme des fêtes allemandes ou françaises y contribuaient : il s'agissait de démontrer la capacité des sociétés et fédérations de gymnastique à mobiliser, instruire et former les futurs soldats.
46En Allemagne, la gymnastique fut toujours comprise comme une préparation au service militaire. Et les démonstrations des gymnastes au cours des fêtes rappelaient fortement les mouvements de troupes exécutés lors des revues militaires (défilés et manœuvres montrant la discipline et l'ordre qui régnait dans les unités). Les discours soulignaient la proximité entre gymnastique et exercices militaires. Les Allemands étaient fiers de leur armée, tout particulièrement après 1870-1871. Et tout au long du xixe siècle, les gymnastes s'employèrent à obtenir une réforme du recrutement de l'armée, en Prusse et en Allemagne. Ils appelaient de leurs vœux une extension de la conscription.
47En France, les incontournables mouvements d'ensemble remportaient la plupart du temps un très vif succès public. Si le nombre des gymnastes prenant part à cet exercice variait d'une fête à l'autre (avec une tendance à l'augmentation), le principe en était invariablement le même : 300 à 5 000 gymnastes soigneusement alignés effectuaient une série de mouvements élémentaires synchronisés. Le résultat en était la plupart du temps impressionnant. Un mouvement d'ensemble réussi ne pouvait que laisser le spectateur perplexe et admiratif, et la presse s'attardait toujours sur l'étonnant spectacle qu'il constituait : comment des gymnastes aussi nombreux, venus de toutes les régions d'Allemagne ou de France, qui n'avaient guère eu le temps de répéter plus d'une fois, pouvaient-ils synchroniser leurs mouvements de façon aussi parfaite ? Ce mystère faisait la force de la DT et de l'USGF. La réussite ne dépendait pourtant, en Allemagne comme en France, que du travail réalisé dans les sociétés de gymnastique, où les mouvements d'ensemble étaient répétés longtemps à l'avance.
48Dans l'Allemagne impériale, le rapprochement avec l'armée était un rêve qui ne s'est jamais concrétisé. Gymnastique et activités militaires restèrent clairement séparées33. Et malgré leurs démarches répétées, les dirigeants des organisations de gymnastique n'obtinrent aucun des avantages qu'ils demandaient pour leurs membres, comme, par exemple une réduction de la durée du service militaire.
49Les raisons de cet échec sont à rechercher dans la réalité politique et sociale de l'Allemagne impériale. La puissance de l'Empereur et des couches supérieures de la noblesse qui le soutenaient reposait sur l'armée et le corps des officiers. L'accès aux grades supérieurs était fermé aux bourgeois. Et les aristocrates qui composaient le corps des officiers méprisaient les gymnastes, petits bourgeois et travailleurs manuels. Aucun officier n'assistait aux fêtes de gymnastique et, en règle générale, ils n'avaient pas l'autorisation d'être membre d'une société de gymnastique.
50En outre, il était interdit de porter les armes dans les sociétés de gymnastique et durant les fêtes allemandes de gymnastique. Aucun exercice en armes n'était programmé, si ce n'est avec un bâton. Aussi, progressivement, les gymnastes renoncèrent aux exercices militaires.
51Si la distance volontairement entretenue par l'armée est une constante de l'histoire des rapports entre gymnastes et militaires en Allemagne jusqu'à la Première Guerre mondiale et même au-delà, en France, les réticences initiales s'estompèrent au fil des ans.
52Dans les années 1870-1880, les officiers français manifestaient vis-à-vis des gymnastes un dédain comparable à celui des militaires allemands. Bien qu'ils y fussent invités, les cadres d'active ne daignaient pas assister aux premières fêtes. Et les efforts en faveur d'une préparation militaire déployés par les gymnastes étaient ignorés par les officiers, qui n'avaient que mépris pour ces futurs conscrits. Comme le rappelle Madeleine Rebérioux :
« Le contingent, cette piétaille toujours renouvelée, ne fait pas l'armée : celle-ci n'existe que par ses cadres, officiers et sous-officiers, très nombreux. Ils vivent comme en marge de la société civile : les écoles militaires sont coupées de l'Université, les changements fréquents de garnison empêchent les contacts extérieurs ; on ne progresse dans les cadres qu'au gré de promotions où les pouvoirs civils, le ministère n'interviennent jamais34. »
53Progressivement cependant, les relations avec l'armée évoluèrent. Les fanfares militaires prêtèrent leur concours aux fêtes fédérales (ce qui était impensable à l'origine). En 1883, les officiers de la garnison d'Angoulême offrirent un punch aux présidents des sociétés de gymnastique. L'école militaire de gymnastique et d'escrime de Joinville répondait très régulièrement aux invitations que lui lançaient les organisateurs et les démonstrations de ses élèves-moniteurs étaient très appréciées par le public et les officiels. En son absence, d'autres moniteurs militaires étaient conviés pour démontrer l'excellence de leur méthode, ou des unités de l'armée faisaient la démonstration de leur savoir faire. À partir de 1911, on organisa à leur intention des concours, collectifs dans un premier temps, puis individuels.
54Au cours de leurs quelques années d'existence, les bataillons scolaires participèrent aux fêtes fédérales, faisant la démonstration de « l'école du soldat » et de « l'école de compagnie » ou présentant les armes aux représentants du gouvernement. La militarisation des fêtes de gymnastique atteignit son paroxysme dans les années 1885 et 1886 : certaines sociétés de gymnastique défilèrent en armes35. Si le public sembla apprécier ce renforcement du caractère martial du défilé, il ne fut pas au goût de tout le monde : les républicains modérés redoutaient les conséquences de cette poussée de fièvre nationaliste et belliqueuse. En 1888 cependant, le défilé avait retrouvé sa physionomie initiale : les signes d'une militarisation excessive de la gymnastique avaient disparu.
55En 1886, pour la première fois, le ministre de la Guerre assista en personne à la fête fédérale : il s'agissait du général Boulanger qui, comme le note Jean-Marie Mayeur avait le sens de la mise en scène : « Rien chez lui de la discrétion des généraux qui l'ont précédé au ministère de la guerre36. » Et si le très populaire ministre de la Guerre préparait un projet de réorganisation du service militaire conforme aux aspirations démocratiques que partageait l'Union37, son ministère ne s'accompagna pas des mesures de soutien que les sociétés de gymnastique attendaient. Les relations entre l'USGF et l'armée ne changèrent véritablement qu'avec l'accession d'Émile Loubet à la présidence de la République et le long passage du général André au ministère de la Guerre (mai 1900-octobre 1904). Non seulement Loubet afficha un soutien sans faille aux sociétés de gymnastique, mais le général André ne semblait pas faire preuve des mêmes réserves que ses prédécesseurs. Ainsi assista-t-il debout au défilé de la fête fédérale de 1900, « avec un vif intérêt ». « À plusieurs reprises, nous le voyons donner le signal des applaudissements38. » Puis il descendit sur la pelouse et passa les 8 000 gymnastes en revue.
56La fédération de gymnastique obtint au cours de cette période quelques-uns des avantages qu'elle réclamait pour ses membres39 et, en 1903, une tardive reconnaissance d'utilité publique40. Les fêtes fédérales étaient un moment privilégié pour annoncer ou rappeler ces mesures.
57Ce revirement progressif s'explique en relation avec le renouvellement des cadres de l'armée, de plus en plus ouverts aux idées républicaines, favorisé par la politique d'avancement menée discrètement par les républicains, veillant à ne promouvoir que des officiers acquis au régime (ce que révéla en 1904 « l'affaire des fiches » qui contraignit le général André à la démission41).
58À partir de 1905, l'USGF fut étroitement associée à l'armée et d'autant plus que la « loi de deux ans » raccourcissait la formation du soldat.
59L'idée d'une préparation militaire assurée par les sociétés de gymnastique s'imposa définitivement42 ; il fallait à la fois soutenir les sociétés qui s'engageaient à l'organiser et accorder quelques avantages aux futurs conscrits qui s'y investissaient. Et lorsqu'en 1913 se posa la question de l'allongement de la durée du service militaire afin de disposer d'une armée aussi forte que l'Allemagne, l'Union se rangea aux côtés du ministère de la Guerre. À l'occasion de la fête de Vichy, Charles Cazalet assura M. Etienne, ministre de la Guerre, de « l'adhésion enthousiaste de tous les sociétaires de l'Union » à la loi de trois ans.
Mythes et traditions inventées
60Les comptes rendus détaillés rédigés à l'occasion de chaque fête nationale de gymnastique, en Allemagne comme en France, appartiennent au rituel des fêtes. Conçus dans l'intention de fonder un mythe, ils s'inscrivent dans la logique des « traditions inventées43 ». Il faut donc moins en étudier le contenu comme témoignage que comme stratégie de présentation de la fête et de la fédération de gymnastique.
61En France, les relations entre l'USGF et l'Etat républicain d'une part et d'autre part entre l'Union et l'armée furent longues à établir. Mais à peine le furent-elles que l'on entreprit d'en réécrire l'histoire, de sorte à nier le changement et de faire remonter la relation nouvelle à une tradition aussi ancienne que possible, comme le montrent ces deux exemples.
62« En venant à Périgueux présider la 21e fête fédérale des sociétés de gymnastique, M. Félix Faure se conforme à une tradition créée par le président Carnot qui, chaque année, tenait à venir assister à la grande réunion des gymnastes français44. » Cette « tradition » est régulièrement évoquée dans la presse avec quelques variantes ; elle ne résiste pourtant pas à l'examen des faits. En effet, si Sadi Carnot assista à quatre fêtes successives dans un contexte politique tendu où les voyages en province étaient un bon moyen de lutter contre l'influence des milieux boulangistes, il ne se rendit pas aux deux dernières fêtes de son mandat (1893 et 1894). Il semble dès lors exagéré de parler de « tradition ».
63Quelques années plus tard, on pouvait lire dans Le Temps : « En venant assister à Nice à la 27e fête fédérale, de gymnastique, M. Loubet se conforme à une tradition instituée par le président Carnot et à laquelle ne manqua jamais le président Félix Faure45. » Or, comme Sadi Carnot, Félix Faure n'assista pas à toutes les fêtes organisées durant son mandat présidentiel : il « manqua » les fêtes de 1896 et 1897. Seul Émile Loubet n'en rata aucune, faisant même repousser la fête de 1902 afin de pouvoir tenir sa promesse d'y assister. Mais Armand Fallières ne présida la fête fédérale qu'en 1906 et 1911, faisant peu de cas d'une prétendue tradition qui pourtant avait la vie dure, puisqu'on pouvait lire dans la Revue olympique de juin 1908 : « Contrairement à la tradition, il [le président de la République] n'a point paru à la trente-quatrième fête fédérale de l'Union des sociétés de gymnastique de France qui eut lieu à Troyes. » Et dès lors, la tradition inventée est d'autant plus solidement établie qu'elle déborde le cadre étroit du discours officiel qui l'a forgée de toutes pièces pour être reprise par la presse d'information.
64« Faites en des hommes, nous en ferons des soldats » aurait dit le général Chanzy à l'occasion de la fête de Reims en 1882 : c'est ce que rapporte Charles Cazalet qui cita à plusieurs reprises cette phrase, en 1908 (lors du congrès de l'USGF qui se tint en marge de la fête de Troyes) puis en 1913 (lors de la fête de Vichy). Or, nul ne fit référence aux propos du héros de 1871 avant 1908, pas même ceux qui évoquèrent sa mémoire, en 1902 lors des fêtes du Mans (une commémoration est organisée devant le monument élevé à la mémoire de l'armée de la Loire qui résista vaillamment aux troupes prussiennes sous ses ordres) ou lors de la remise du drapeau fédéral à la ville d'Arras en 1904.
65Et c'est un discours d'une toute autre teneur que l'on trouve reproduit dans la presse de l'époque46 : loin de confier aux sociétés de gymnastique la mission de préparer physiquement et moralement les futurs conscrits, il leur demanda de ne pas se mêler de formation du soldat et du citoyen, cette tâche incombant à l'armée. En outre, cette répartition des tâches de formation du conscrit entre les sociétés de gymnastique et l'armée, n'avait aucun sens tant qu'était en usage la loi militaire de 187247. En revanche, la loi de 1905 justifiait que l'on comptât sur les sociétés de gymnastique et de préparation militaire pour commencer la formation du soldat et raccourcir ainsi le temps des classes.
66Faire passer la présence du président de la république à la fête fédérale pour une tradition, c'était rendre cette présence à la fois plus impérative (une tradition s'impose même au premier personnage de l'État) et plus indiscutable (nul ne pouvait critiquer cette présence puisqu'il s'agissait d'une tradition et non d'un choix dont on aurait pu discuter les éventuelles arrière-pensées politiques). Attribuer la paternité de la division du travail de préparation militaire entre les sociétés de gymnastique et l'armée à un militaire auréolé de gloire, c'était couper court à toute discussion tant chez les militaires qu'au sein de l'USGF. Et ces petits arrangements avec l'histoire furent d'une efficacité telle, que c'est cette version qui fut retenue par les premiers historiens à étudier la gymnastique et les fêtes fédérales.
Conclusions
67Au terme de ce survol de l'histoire des fêtes allemandes de gymnastique et des fêtes fédérales de l'USGF, points communs et différences ressortent nettement. Identiques sont les objectifs poursuivis à travers la fête fédérale et semblables sont les moyens mis en œuvre. Dans un pays comme dans l'autre, les fêtes ont pour fonction de mobiliser les gymnastes, de consolider les liens qui les unissent, d'ancrer en eux l'amour de la patrie et le respect des valeurs qui la fondent. Elles ont également pour but de séduire et convaincre le pouvoir impérial en Allemagne et républicain en France, l'un comme l'autre étant à l'origine visiblement méfiants vis-à-vis des sociétés de gymnastique. Il faut alors que les fédérations donnent aux représentants de l'Etat des preuves de leur efficacité, de leur capacité à mobiliser les gymnastes en masse, et de leur loyauté au régime.
68En Allemagne comme en France, cette mise en scène s'appuie sur les différents points du programme et des rituels (défilé, mouvements d'ensemble, démonstrations, concours collectifs et individuels, ballets, cérémonies autour des drapeaux, discours, réceptions, banquets, pavoisement, musique et chants). L'émotion y joue un rôle essentiel : il faut ressentir intimement, dans sa chair, cette union des individualités dans la communauté nationale représentée par la masse des gymnastes ; l'adhésion est d'autant plus forte qu'elle se fonde sur des liens affectifs.
69Ces points communs ne doivent cependant pas occulter les différences qui renvoient notamment à la façon dont la société allemande et la société française se pensent et se représentent. « Le symbole de masse des Allemands était l'armée. Mais l'armée était plus que l'armée : c'était la forêt en marche48 », écrit Elias Canetti. « Le symbole de masse des Français [...] c'est leur Révolution49. » On peut ainsi rendre partiellement compte des différences entre les fêtes allemandes de gymnastique et les fêtes fédérales de l'USGF.
70La militarisation des gymnastes allemands, des sociétés et des fêtes de gymnastique était à l'époque essentiellement formelle : l'attachement aux formes et positions militaires ainsi qu'à l'obéissance et la discipline dans la pratique de la gymnastique ne signifiait pas que l'activité était uniquement envisagée dans une logique conscriptive50 ; les armes — les fusils et les sabres — en étaient d'ailleurs absents. Cet attachement est l'expression d'un trait romantique du nationalisme allemand. Et Elias Canetti de poursuivre : « Ce que l'armée pouvait avoir pour d'autres d'aride et de désolé, l'Allemand y voyait la vie et la diaprure de la forêt. Il n'y avait pas peur ; il s'y sentait protégé au milieu de tous les autres, l'un d'entre eux. La rudesse et la droiture des arbres, c'était la règle qu'il se proposait lui-même51. » La militarisation de la gymnastique survint plus tard, à travers le Wehrsport notamment, à l'époque de la République de Weimar, en réponse à l'interdiction du service militaire obligatoire qui privait les Allemands d'une part de leur identité.
71En France, les références à la Révolution française sont nombreuses : la Marseillaise, le drapeau tricolore, Marianne, le culte des grands hommes de la révolution et des valeurs dont les républicains se réclament, les banquets qui rappellent les soupers fraternels de l'An II en sont les manifestations les plus visibles. Mais la Révolution a également laissé en héritage une tradition de « sereine gravité52 », aux antipodes de la fête traditionnelle, placée sous le signe de la transgression, de l'excès, de la licence et du désordre. Comme le souligne Olivier Ihl : « Les premières célébrations républicaines invitent ainsi paradoxalement à l'apprentissage de la maîtrise de soi53 », composante à part entière de la citoyenneté. C'est pourquoi, dans la fête républicaine dont les fêtes annuelles de gymnastique ne sont en définitive qu'une transposition, la solennité est de mise, les excès sont proscrits, l'enthousiasme reste modéré.
72Les différences entre les fêtes allemandes et les fêtes fédérales françaises renvoient également aux fondements de l'unité politique des deux pays (souveraineté populaire et centralisme en France ; fédération d'États conservant des prérogatives étendues en Allemagne, dont l'empereur-roi tire sa légitimité du consentement des princes souverains) et à leurs divisions internes (les rapports entre les âges, les sexes et les classes sociales ne sont pas les mêmes), aux fondements du nationalisme et à ses formes d'expression (invitation d'Allemands expatriés d'un côté et de délégations étrangères de l'autre).
73Elles renvoient enfin aux rapports que les gymnastes entretiennent avec le pouvoir et avec l'armée : en Allemagne, la fédération gagne en puissance et en cohésion, mais le pouvoir et l'armée gardent leurs distances avec le monde de la gymnastique ; en France, l'Union doit de plus en plus user de subterfuges pour mobiliser les gymnastes, mais les réticences initiales de l'Etat et de l'armée s'estompent, l'Etat républicain accorde son patronage à l'Union de gymnastique et l'armée accepte ses offres de bons et loyaux services, ce qui lui confère en retour prestige et légitimité.
74Malgré des ressemblances nombreuses, ce sont donc deux traditions nationales qui se mettent en place. Mais l'internationalisation de la pratique engagée avec la fondation en 1881 du Bureau des fédérations européennes de gymnastique, et l'organisation des premiers championnats du monde de gymnastique à Anvers en 1903, ne pouvait à terme que contribuer à leur remise en cause. Le succès de Jeux olympiques aidant, l'internationalisation de la gymnastique devint inéluctable, avec pour conséquence la « sportivisation » de la pratique sur la base de la gymnastique aux agrès dont les Allemands avaient — involontairement — assuré le succès en Europe. Mais si, dès l'origine, l'USGF s'associa étroitement au processus, la DT était opposée à une internationalisation de la pratique, comme l'étaient par ailleurs les Anglais pour le football, ce qui explique que la langue officielle au sein de la Fédération internationale de gymnastique soit aujourd'hui le français, alors que c'est en Allemagne que fut inventée la pratique et élaborée une terminologie spécifique.
Annexes
Notes de bas de page
1 Et notamment : Düding D, Organisierter gesellschaftlicher Nationalismus in Deutschland (1808-1847), München, Oldenbourg, 1984 ; John H.-G., Politik und Turnen : die deutsche Turnerschaft als nationale Bewegung im deutschen Keiserreich von 1871-1914, Hamburg, Ahrensberg, 1976 ; Krüger M., Körperkultur und Nationsbildung. Zur Geschichte des Turnens in der Reichsgründungsära. Eine Detailstudie über die Deutschen, Schorndorf, 1996 ; Mosse G. L., The nationalization of the masses : political symbolism and mass movements in Germany from the Napoleonic wars through the Third Reich, New York, H. Fertig, 1975.
2 Les fondateurs de la fédération étaient informés de tout ce qui concerne la gymnastique en Allemagne. Ainsi, par exemple, Eugène Paz, premier président de l'Union, avait été chargé en 1868 par Victor Duruy d'une mission d'observation dans les principaux pays d'Europe, afin d'y étudier le développement de la gymnastique. Il fut très impressionné par ce qu'il découvrit en Allemagne et devint dès lors défenseur d'une gymnastique conscriptive dont il avait vu en Prusse notamment une forme très aboutie. Il s'employa, avec d'autres, à développer un mouvement comparable en France.
3 Et notamment : Arnaud P., Le militaire, l'écolier, le gymnaste : naissance de l'éducation physique en France (1869-1889), Lyon, PUL, 1991 ; Chambat P., « Les muscles de Marianne », Ehrenberg A. (dir.), Aimez-vous les stades ? Recherches, 43, avril 1980 ; Ehrenberg A., Le corps militaire, politique et pédagogie en démocratie, Paris, Aubier, 1983 ; Spivak M., Éducation physique, sport et nationalisme en France du second Empire au Front populaire : un aspect original de la défense nationale, Thèse, Paris I, 1983.
4 La première fête fédérale devait avoir lieu en 1874, mais elle fut interdite par le pouvoir.
5 Gounot A., « Les mouvements gymniques en France et en Allemagne, 1871-1914. Repères pour une histoire comparée », La Comune Eredità dello Sport in Europa. Atti del 1° Seminario Europeo di Storia dello Sport, Rome, CONI, 1997, p. 390-396.
6 De la gymnastique en France, Angoulême, 1891.
7 Selon des mécanismes en tous points comparables à ceux qui sont analysés dans l'étude dirigée par Hobsbawm E., Ranger T. (dir.), L'invention de la tradition, Paris, Éditions Amsterdam, 2005.
8 On est loin de cette routine qu'exprime Pierre Chambat lorsqu'il écrit : « Les comptes rendus réguliers de ces fêtes dans Le Gymnaste [...] lassent à la longue par leur caractère répétitif et leur ton emphatique. » Chambat P., « Les vitrines de la République : uniformes, défilés, drapeaux dans les fêtes gymniques en France (1879-1914) », Arnaud P. (dir.), Les athlètes de la république : gymnastique, sport et idéologie républicaine (1870-1914), Toulouse, Bibliothèque historique Privat, 1987, p. 260.
9 Les gymnastes sociaux-démocrates craignant des troubles, prirent la décision d'annuler la fête.
10 Voir tableau « Les fêtes allemandes de gymnastique », en annexe.
11 À titre d'exemple : la fête fédérale de Paris en 1889 (qui constitua le plus éclatant succès de participation de la période) réunit environ 10 000 gymnastes ; la fête allemande de Munich qui se tint la même année en réunit près du double.
12 Voir tableau « Les fêtes fédérales de gymnastique en France », en annexe.
13 En 1888, les sociétés de gymnastique, de tir et d'instruction militaire du Rhône organisent à Clermont-Ferrand leur 4e concours fédéral en même temps que la 14e fête de l'USGF qui se tient à Saintes. En 1895, la fête nationale de Périgueux ne mobilise que 71 sociétés alors que le même jour, une manifestation régionale organisée au Havre en réunit 95. En 1897, un concours international de gymnastique oppose à Belfort des sociétés françaises, suisses et luxembourgeoises tandis que se déroule à Roubaix la 23e fête fédérale.
14 Ainsi, pour les hommes de 1789, il fallait « fondre l'esprit local et particulier en un esprit national et public » (Sieyès).
15 L'USGF restant une fédération exclusivement consacrée à la gymnastique masculine, l'Union française des sociétés de gymnastique féminine est fondée à Lyon en 1912 afin de fédérer les sections féminines.
16 Venues notamment d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud, où des communautés d'Allemands émigrés, importantes et bien structurées, perpétuaient la pratique de la gymnastique. Voir notamment Barney R. K., « For such Olympic Games : German-American Turnfests as Preludes to The Modern Olympic Games », Landry F., Landry M., Yerlès M., Sport... Le troisième Millénaire, Québec, Presses de l'université Laval, 1990, p. 697-712.
17 Aucun concours de tir ne fut jamais organisé dans le cadre des fêtes allemandes de gymnastique, seulement dans les fêtes organisées par les sociétés de tir. Et si à l'origine, les sociétés de gymnastique et les sociétés de tir œuvraient dans le même sens, elles suivirent des voies différentes à partir de l'établissement de l'Empire.
18 Voir Krüger M., « Fahnen und Farben. Ein Beitrag zur politischen Farbensymbolik der Turnbewegung im 19. Jahrhundert in Deutschland », Van der Merve F. (dir.), Sport as a Symbol, Symbols in Sport, Sankt Augustin, Academia, 1996, p. 183-189.
19 « Au jour le jour », Le Temps, mardi 21 mai 1907, p. 3.
20 Jusqu'en 1896, le président de l'USGF élu par le congrès qui se déroulait en même temps que la fête fédérale, était chargé de superviser l'organisation de la fête suivante. Pour cette raison, il était choisi dans la ville (ou la région) où devait avoir lieu la prochaine fête fédérale. Ce principe ne connut qu'une exception : président en 1888-1889 (la fête de 1889 se tint à Paris), J. Sansbœuf fut reconduit dans ses fonctions pour 1889-1890 (alors que la fête de 1890 devait se tenir à Besançon). À partir de 1896, Charles Cazalet resta président de l'Union, jusqu'à sa démission en 1931.
21 Cette stricte séparation entre les cérémonies républicaines et la religion sont à comprendre dans la continuité de l'évolution des fêtes révolutionnaires qui s'affranchissent du religieux dès 1792. Voir Ozouf M., La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976.
22 Lettre du comité d'organisation de la VIe fête fédérale de La Rochelle, 27 janvier 1880, citée par Charpier W., « La société des gymnastes en Alsace du milieu du xixe siècle à nos jours », Terret T. (dir.), Histoire des sports, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 21.
23 « La société d'Alsace-Lorraine, dont le drapeau est voilé d'un crêpe est vivement acclamée sur tout le parcours » (« Les fêtes d'Angoulême », Le Petit Journal, mardi 15 mai 1883, p. 1-2).
24 Voir Namont J.-P., « Le Sokol de Paris, lieu de sociabilité des Tchécoslovaques en France entre 1892 et 1948 », Bulletin de l'institut Pierre Renouvin, automne 2003, et « Les relations entre les municipalités de Paris et de Prague entre 1889 et 1914 », actes du colloque « Deux pays dans l'histoire de l'Europe, la France et les pays tchèques », INALCO, 8 et 9 novembre 2002, à paraître.
25 En 1898 à Saint-Étienne, les gymnastes assistèrent à l'inauguration d'un monument à la mémoire des enfants de la Loire morts pour la patrie en 1870-1871 ; en 1899 à Dijon, ils participèrent à l'inauguration du monument Carnot ; en 1901 à Nice, ils firent un pèlerinage sur la tombe de Gambetta et en 1902 au Mans, un pèlerinage au monument élevé à la mémoire de l'Armée de la Loire et du général Chanzy ; en 1905 à Bordeaux, ils participèrent à l'inauguration d'un monument à la mémoire de Gambetta et déposèrent une couronne devant le monument Carnot ; en 1912 à Tunis, ils assistèrent à l'inauguration d'un monument élevé à la mémoire de Jules Ferry ; etc.
26 On nomme ainsi la décennie qui précède la révolution manquée de 1848-1849, qui débute en mars 1848.
27 Voir Langewiesche D., « "...für Volk und Vaterland kräftig zu würken..." Zur politischen und gesellschaftlichen Rolle der Turner zwischen 1811 und 1871 », Grupe O. (dir.), Kulturgut oder Körperkult. Sport und Sportwissenschaft im Wandel, Tübingen, Attempto, 1989, p. 22-61.
28 Defrance J., « Mobilisation et mouvement », Travaux et recherches en EPS, 5, 1979, p. 22.
29 Arnaud P, « La trame et la chaîne, le réseau des sociétés conscriptives (1880-1930) », Sport-Histoire, 1, 1988, p. 41-83.
30 En mars 1848, l'agitation née en Autriche gagna l'ensemble de l'Allemagne. Les pouvoirs autoritaires furent renversés ou durent céder aux exigences des manifestants. Un parlement fut réuni à Francfort dans le but de réaliser l'unité politique des peuples allemands dans un empire fondé sur la souveraineté populaire. À l'automne 1848, les autorités traditionnelles se redressèrent et reprirent les pouvoirs dont elles avaient été dépossédées. Le roi de Prusse refusa la couronne impériale que lui proposaient les députés de Francfort. Le parlement fut dispersé et nombreux furent les démocrates contraints de s'exiler.
31 Comme l'exprima Charles Cazalet dans un discours prononcé à l'occasion de la fête de Tunis en 1912 : « Le patriotisme est une religion qui ne supporte pas d'athées. » (« Nouvelles coloniales : Tunisie — les fêtes de Tunis », Le Temps, mercredi 10 avril 1912, p. 3.)
32 Et notamment A. Millerand, ministre de la Guerre dans le gouvernement Poincaré (1912-1913).
33 La querelle dite « des barres » (Barrenstreit) qui eut lieu en Prusse de I860 à 1863 aboutit à une clarification des rapports entre la gymnastique associative et la gymnastique militaire : le gouvernement prussien voulait retirer la gymnastique aux agrès (barre fixe et barres parallèles) inventée par Jahn, de la formation des soldats et des programmes scolaires, au profit de la gymnastique suédoise. Si les barres furent finalement réintégrées dans les programmes de formation des moniteurs de gymnastique, la querelle, souvent interprétée comme un conflit opposant la bourgeoisie libérale et l'administration prussienne conservatrice, aboutit à la séparation de la gymnastique civile et de l'enseignement militaire.
34 Rebérioux M., La république radicale ? 1898-1914, Paris, Seuil, 1975, p. 17.
35 Avec le fusil Gras qui servait à l'instruction au tir.
36 Mayeur J.-M., La vie politique sous la Troisième République, Paris, Seuil, 1984, p. 121.
37 Son projet déboucha sur la loi de 1889, qui étendait la conscription et réduisait à trois ans la durée du service militaire.
38 « L'exposition universelle », Le Petit Journal, lundi 4 juin, p. 1-2.
39 Et notamment le « brevet d'aptitude militaire », instauré dès 1903, auquel sont associés quelques avantages : devancement d'appel, avancement accéléré, choix de son affectation (par ordre de classement au brevet), et plus tard sursis à l'incorporation. Voir Caritey B., « Les sociétés agréées (1908-1940) : prémices d'une politique sportive », Stadion, 27, « Le sport en France de 1870 à 1940, intentions et interventions », 2001, p. 33-42.
40 Pour mémoire, le Club alpin français, fondé en 1874, est reconnu d'utilité publique dès 1881.
41 Le général André voulut républicaniser l'armée. Il entreprit de faire évoluer l'enseignement dispensé à St Cyr et Polytechnique. Il voulut également favoriser l'avancement des officiers qui éprouvaient des sentiments républicains et, dans ce but, mit en place un système de fiches individuelles dont les informations étaient puisées aux meilleures sources.
42 Avec la promulgation de l'instruction ministérielle du 7 novembre 1908, « relative à l'organisation et au fonctionnement des sociétés de préparation et de perfectionnement militaire et à la délivrance du brevet d'aptitude militaire ». Voir Caritey B., art. cit.
43 Voir sur ce point Hobsbawm E., Ranger T. (dir.), L'invention de la tradition, Paris, Éditions Amsterdam, 2005.
44 « Le voyage du président de la république », Le Temps, mardi 4 juin 1895, p. 1-2.
45 « Le voyage du président de la république », Le Temps, mardi 9 avril 1901, p. 1-2.
46 Voici la réponse faite par le général Chanzy à Félix Faure qui lui exposait les doléances des sociétés de gymnastique : « En associant l'armée à cette fête, vous voulez nous faire bien comprendre le but que vous vous proposez, de préparer les jeunes gens aux fatigues du métier des armes. C'est à nous d'en faire des soldats, en leur enseignant l'amour ardent de la Patrie, l'esprit du devoir, le respect des croyances, des traditions et des gloires nationales. Nous ferons de vos enfants de bons soldats et nous vous les rendrons bons citoyens » (« Mardi 30 mai 1882 — L'esprit de discipline », Le Petit Journal, mercredi 31 mai 1882, p. 1).
47 Un tirage au sort distingue deux portions du contingent : l'un passe cinq ans sous les drapeaux, l'autre un an. On est encore très proche d'une armée de métier.
48 Masse et puissance, Paris, Gallimard, 1966, p. 183.
49 Ibid., p. 184.
50 Ce qui remet profondément en question les interprétations françaises de l'histoire de la gymnastique en Allemagne véhiculées à l'époque et reproduites sans distance dans la littérature historique...
51 Canetti E., op. cit., p. 184.
52 Voir Ozouf M., La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976.
53 Ihl O., La fête républicaine, Paris, Gallimard, 1996, p. 123.
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