L’institution du Chemin de Saint-Jacques dans la Sardaigne contemporaine : entre politique et associationisme
p. 63-73
Texte intégral
1Ainsi était libellé l’incipit du texte qui rendait public l’accord de programme « Bias de Fidi : il Cammino di San Giacomo in Sardegna », signé en 2007 par neuf communes qui ont pour patron Saint Jacques le Majeur1. Cette convention instituait officiellement le chemin de Saint Jacques en Sardaigne, un parcours qui constitue essentiellement, nous le verrons, un instrument de développement économique et touristique du territoire régional sarde.
2Avant d’illustrer et de faire une première analyse de cette démarche, il convient de se demander sur quelles bases historiques et culturelles, cultuelles et dévotionnelles, repose ce chemin.
Histoire du culte de saint Jacques en Sardaigne
3Nous commencerons par préciser que le culte de Saint Jacques comme patron concerne sept des neuf communes signataires de l’accord « Bias de Fidi », tandis qu’une seule, Ittiredu, réserve à l’Apôtre le rôle de co-patron. À Cagliari, Saint Jacques est titulaire de la paroisse de Villanova. Dans d’autres cités, qui ne font cependant pas partie de l’accord, des lieux de culte non paroissiaux sont dédiés au Saint, comme Saint Jacques de Sassari, qui fut résidence des chanoines du chapitre métropolitain. Ailleurs encore, l’Apôtre est titulaire d’églises rurales, présence que traduit l’existence d’antiques sanctuaires domestiques, devenus souvent paroissiaux. Parfois, seuls des toponymes ou la présence de ruines suggèrent l’existence d’un culte qui n’a pas laissé d’autres traces2.
4Quant à l’historicité du culte, il s’agit surtout de comprendre quand la vénération du saint fut introduite en Sardaigne. À ce propos, signalons, bien que nous ne les partagions pas, les interprétations du chercheur Cherchi Paba, qui sont dépassées mais qui ont été à l’origine d’un courant historiographique encore actif lequel, se fondant exclusivement sur les toponymes, proposait de faire remonter le culte à l’Antiquité tardive ou au Haut Moyen Âge3.
5L’on ne peut non plus accorder créance à la fascinante tradition du XVIIe siècle, transmise par une notice du livre Defensa de la venida, y predicacion evangelica de Santiago en España4, dont nous dirons quelques mots vu que cette tradition a constitué l’un des présupposés qui furent à l’origine de l’institution du chemin de Saint Jacques en Sardaigne.
6L’ouvrage fut publié en 1608 en Espagne par le chanoine de Valence Diego del Castillo pour défendre la tradition jabobite et la véracité des reliques de l’Apôtre, alors source de dispute au sein de l’Église espagnole. Il y soutenait, sur la base d’un bréviaire qui remontait au moins à 1054, dont l’original n’a jamais été retrouvé, que Saint Jacques, lorsqu’il se rendit en Espagne, serait passé par la Sardaigne. Le livre du religieux espagnol connut une diffusion rapide dans les milieux cultivés du royaume de Sardaigne, renforça l’influence culturelle et religieuse ibérique sur le territoire de la Couronne d’Espagne et contribua à enrichir les œuvres hagiographiques et historiographiques de Dionigi Bonfant, Francesco de Vico et Salvatore Vidal, œuvres cependant peu dignes de foi pour nous dans la mesure où elles soutenaient les revendications des Archidiocèses de Sassari et de Cagliari, qui étaient en rivalité pour la reconnaissance pontificale de la Primatie sur l’île5. Parmi celles-ci, celle de Bonfant, sans citer ses sources, soutenait que l’apôtre, après avoir débarqué à Cagliari, se serait consacré à une action de prosélytisme. Les affirmations de Del Castillo et des hagiographes sardes, en raison du sectarisme qui les caractérise, rendent peu crédibles le passage de Saint Jacques sur l’île et son œuvre supposée d’évangélisation6.
7Bien que l’historiographie sur la dévotion soit plutôt lacunaire et qu’il manque une étude complète sur les origines et la diffusion du culte de Saint Jacques le Majeur en Sardaigne, la littérature sur le sujet et les sources à notre disposition conduisent à ne pas faire remonter l’introduction du culte antérieurement au Xe siècle. Il fut probablement le résultat d’intenses contacts politiques, culturels et économiques entre les royaumes de Calari, Torres, Gallura et Arborea et la ville de Pise et la Toscane, où le culte de Saint Jacques était assez diffusé7.
8Dans les curadorias de Sigerro et de Sulci, qui sont des districts politico-administratifs du Royaume de Calari, où la présence des Pisans était liée à l’exploitation et la transformation du minerai de plomb argentifère, quatre églises au moins furent consacrées à Saint Jacques. Dans la première curadoria, deux étaient les paroisses des villages de Gulbisa et de Staorro8 ; dans la seconde, étaient édifiées l’ecclesia S. Iacobi de Mad dans un village non identifié du diocèse de Sulci9 et celle de San Giacomo di Patrargio (aujourd’hui Perdaxius10). N’oublions pas, mais il ne s’agit que d’une hypothèse, que les églises jacobites auraient été édifiées par les « Gherardesca gherardiani e ugoliniani », seigneurs de ces contrées, à partir de 1258. Elles ont alors représenté un signe du pouvoir seigneurial pisan dans la région de Sigerro et de Sulcis11.
9Dans la curadoria de Gippi, territoire de grande importance économique en raison de la grande fertilité de la terre, la paroisse de Ghippi suso, selon les documents d’archive et le toponyme Santu Iaccu, était dédiée à l’Apôtre. En 1338, elle fut citée dans l’inventaire des biens du monastère victorien de Saint Saturnin de Cagliari12. Non loin de là était établie l’église de Saint Jacques de Searu avec ses obedientiae depuis la première moitié du XIIe siècle, qui devait également jouer un rôle important dans le développement du culte de Saint Jacques dans l’île13.
10Toujours en lien avec le contexte toscan, il serait possible de faire référence à l’introduction du culte de Saint Jacques à Solemnis, village qui appartenait au Moyen Âge à la curadoria de Dolia. Là, comme dans toute l’île, pendant la période catalano-aragonaise puis espagnole, il est possible de constater une intense promotion du culte, liée à une stratégie de sacralisation et de légitimation du pouvoir comme celle qui, à partir de 1673 selon les sources, fut mise en œuvre par la famille féodale des Vico Massonis, propriétaires du village14.
11Dans le royaume de Gallura, dans la curadoria de Posada, où étaient situés des ports fréquentés par des marchands et des marins pisans, nous trouvons la mention d’une curte S. Jacobus de Lugula, un centre de proportion modeste détruit en 1339, dont le nom fut changé en celui de l’Apôtre15. D’autres églises jacobite de la période pisane furent celles de Luculi, de Torpè, de Gurgurai près de Torpè, de Stelaya près de Siniscola et, pour finir, la paroisse de Orosei16.
12Dans cet inventaire, le culte de saint Jacques en Sardaigne est principalement lié à la dimension paroissiale. L’absence de culte rendu dans un sanctuaire voué à l’Apôtre17 est significatif, comme on peut le déduire des récentes données du recensement des sanctuaires chrétiens. Il n’y eut pas de pèlerinage voué à Saint Jacques dans l’île alors que, au Moyen Âge, les Sardes avaient manifesté une tendance à effectuer des pèlerinages. Les documents, surtout ceux du XVe siècle, plus abondants, qui mériteraient une étude plus minutieuse et systématique, attestent la pratique de pèlerinages intérieurs dans l’île18 ainsi que la propension des Sardes à se rendre à Rome, à Jérusalem et à Saint Jacques de Compostelle, hauts lieux de la chrétienté. Seuls deux récits, de datations espacées, émanant de pèlerins qui s’étaient rendus sur la tombe de Saint Jacques, nous sont parvenus. Le premier fait partie du livre I du Codex calistinus, où est attestée la présence de pèlerins de nationalité italique, dont précisément « les Sardes19 ». La seconde se trouve dans le registre du Almoina reial de la Couronne d’Aragon où sont cités, entre 1378 et 1385, sept pèlerins qui, en route vers Saint Jacques de Compostelle, firent étape à Barcelone20. Les documents ne précisent pas si les buts de leurs voyages étaient exclusivement de nature spirituelle.
13Par ailleurs, les papiers des Archives du Vatican conservent, depuis 1346, les traces de la commutation du pèlerinage en financement d’œuvres pieuses alternatives, comme le paiement d’une contribution en faveur de la Terre Sainte. Cette pratique, dans l’état actuel des connaissances, semble avoir été plus fréquente que la réalisation du pèlerinage lui-même. Un autre document de 1388 atteste également cette commutation du pèlerinage de 30 Sardes, mais ne cite pas la destination du voyage, si bien que l’on ne sait s’il s’agissait de pèlerins de Saint Jacques de Compostelle21.
14Il est donc probable qu’il en était de la Sardaigne médiévale comme de la France, comme l’a relevé Denise Péricard-Méa : il n’est pas possible de parler de pèlerinage de masse vers Compostelle et, bien au contraire, les pèlerins auraient pu être comptés sur les doigts d’une main22.
15À l’époque moderne, l’intérêt pour le pèlerinage pourrait avoir été battu en brèche, en raison non seulement de la politique « anti-compostelle » mise en œuvre par la Couronne d’Espagne et par la Papauté, qui ne reconnaissaient plus l’authenticité des reliques de Saint Jacques23, mais également de l’application en Sardaigne des normes tridentines, qui valorisaient, promouvaient et ravivaient d’autres formes cultuelles et dévotionnelles, dont les pèlerinages vers les sanctuaires dédiés aux martyrs sardes (Saint Antiochus, Saint Lussorio, Saint Saturne), à Marie ou aux Saints locaux (Saint Georges de Suelli) ou encore vers les sanctuaires novenaires24. Paradoxalement, ce fut en cette période anticompostellane que furent édifiées les églises paroissiales de Nughedu Santa Vittoria25, de Saint Jacques de Luras, de Calcinaggiu pesso Bassacutena, de Bantine, de Serrenti26. Les églises dédiées à Saint Jacques semblent avoir pour une part seulement été liées à un pèlerinage strictement local, qui avait lieu au moment de la fête liturgique et dont la pratique fut transmise jusqu’à nos jours particulièrement dans les neuf cités signataires de la convention de 200727.
L’institution du Chemin de Saint-Jacques, entre politique et associationisme
16L’accord en question, signé également par la Conférence épiscopale sarde et les services culturels28 des provinces de Cagliari et Oristano, avait pour objectif de tracer un chemin jacquaire enraciné dans la tradition des pèlerinages de l’île. Dans l’esprit des signataires, ce chemin devait constituer l’appendice sarde du célèbre chemin espagnol, au nom de la légende du XVIe siècle qui prétendait que le saint, en route vers l’Espagne, serait passé en Sardaigne29.
17Il est intéressant de relever que l’accord entendait promouvoir le culte de Saint Jacques matamore, alors que les communes signataires étaient au contraire dédiées à Saint Jacques pèlerin30. Quelles furent les raisons de ce choix ? L’incipit du texte de promotion du « Bias de fidi » rapporte que les communes unies « par la force et la vénération d’un saint libérateur », peuvent rechercher dans leurs racines « les raisons d’être ensemble et de raconter leur Identité31 ». Saint Jacques matamore, le « libérateur », est perçu comme un aiguillon pour une action commune des cités jacquaires et comme un saint identitaire, capable de sortir chacune de ses particularismes municipaux, au nom aussi bien d’une dévotion que d’un projet commun. Le chemin de Saint Jacques, loin d’être dans l’intention des signataires – au moins au début – un parcours concret de pèlerinage, avait la forme d’un chemin de spiritualité jacquaire. Plus pragmatiquement, les administrations publiques, diocésaines et paroissiales intéressées à la valorisation du « Chemin de Saint Jacques en Sardaigne32 » y voyaient un instrument fondamental pour récupérer, valoriser et promouvoir le patrimoine historico-artistique lié au culte de Saint Jacques33. Dans cet objectif, les communes signataires de la convention ont mis en place, depuis 2007, un ensemble d’activités promotionnelles dont, surtout, un système unique de communication qui a commencé par la création d’un logo, du nom du Chemin de « Santu Jacu » et la mise en place d’une exposition itinérante informant sur le culte de Saint Jacques en Sardaigne et sur le patrimoine historique et culturel des communes jacquaires liées au projet « Bias de Fidi ».
18Après la valorisation nationale du projet vint la recherche de reconnaissance internationale, traduite par l’intégration du Chemin de Santu Jacu au projet d’alphabétisation « English Saint Jame’s way34 » et, plus récemment, par la participation de ses promoteurs au IXe Congrès international des Associations Jacquaires, qui s’est réuni à Valence, du 21 au 23 octobre 2011 pour permettre aux pèlerins et aux chercheurs de différents pays de partager compétences et connaissances liées à la tradition jacquaire35.
19Ainsi la plate forme de valorisation établie par les neuf communes jacquaires en 2010 se préparait à une substantielle transformation. Le 25 juillet 2010, des pèlerins sardes constituèrent une association, les Amis du Chemin de Santu Jacu, destinée à réaliser un rêve, « tracer un chemin unissant les sept villages de Sardaigne ayant Saint Jacques comme patron36 ». Il s’agissait en fait de réaliser en terre sarde l’expérience que bon nombre d’associations avaient faite sur le Chemin espagnol qui consistait à « rendre vivant un chemin qui [unisse] une partie au moins des communes possédant une église de Santu Jacu37 ». L’association s’est employée à tracer les parcours possibles, à réaliser et établir la signalétique provisoire, à créer un forum qui lui est dédié, à faire connaître l’initiative dans les sites jacquaires les plus importants38, à créer un visuel graphique du pèlerinage jacquaire en Sardaigne. Elle a réalisé le matériel promotionnel comme les objets secondaires et élaboré un crédential sur le modèle espagnol. Les 24 et 15 juillet 2010 les membres de l’association inaugurèrent officiellement le chemin de Santu Jacu par une rencontre à Mandas39. Au cours de l’automne fut constituée une nouvelle association des Amis du Chemin de Santu Jacu, chargée de poursuivre cette œuvre.
20Le dernier acte de la création du Chemin jacquaire en Sardaigne consista en l’intervention de la Région autonome qui, en 2011, intégra le Chemin de Santu Jacu dans les « chemins de foi, de culture, de tradition et d’histoire », qui avaient été créés par la Région pour la promotion du tourisme religieux. En effet, la Sardaigne détient un potentiel touristique important, par son patrimoine paysager, monumental et culturel. Le nombre élevé d’églises sur tout le territoire ainsi que l’existence d’un patrimoine ethnographique lié aux fêtes votives, de même que les pratiques de dévotion lors de la Semaine sainte, ont incité les autorités sardes à mettre l’accent sur le tourisme religieux comme moyen de résoudre la crise économique qui frappe durement l’île.
21Le chemin devint ainsi, dans l’intention politique de l’Assesseur au tourisme, un produit commercial essentiel pour dynamiser et diversifier les flux touristiques et mettre fin à l’exclusivité du tourisme balnéaire40. En outre, la Région autonome souhaitait établir un réseau intégré ouvert à toutes les cités qui se trouvaient sur le parcours41 de San Jacu, en interaction avec les autres chemins sardes comme celui de l’évêque Saint Georges42 ou d’autres à créer, comme le chemin sarde de Saint Martin. Il s’agit donc d’un projet ambitieux, qui prévoit de créer un réseau « officiel » de chemins religieux, expression qui rend compte de l’intention qui sous-tend le projet administratif ainsi que son volet financier.
22Ainsi, la Région élargissait l’objectif des « pèlerinages » de Santu Jacu, en l’articulant avec les parcours religieux et les « sentiers spirituels », qui attirent aussi bien des fidèles que des non-croyants. Le chemin empreint de spiritualité devient une source de connaissance du territoire et de rencontres pour les pèlerins et se révèle particulièrement intéressant également pour le voyageur incroyant, de même que les fêtes de Santu Jacu, les fêtes votives, les manifestations et dégustations qui deviennent des « moments de rencontre et d’échange culturel entre visiteurs et autochtones et rendent intéressant et agréable le séjour, même pour les non-croyants43 ».
23L’initiative, présentée en ces termes, fut diversement appréciée par de nombreuses communes sardes, qui ont perçu dans le chemin une attraction touristique pour leur territoire et une possibilité de relancer leur activité économique. La Région autonome de Sardaigne subdivisa officiellement le chemin en étapes, joignables par divers itinéraires. Son axe suit la ligne Sant’Antioco – Cagliari – Mandas – Ittireddu, et se poursuit au nord dans la zone romano-pisane pour arriver à Sassan et Porto Torres ou oblique vers l’est en direction de Ozieri – Nuoro – Orosei. De part et d’autre de l’axe principal seront développés des parcours locaux pour permettre aux utilisateurs de s’aventurer à découvrir les territoires voisins. Les cités liées au projet, désormais au nombre de vingt-six, ont entrepris de réaliser concrètement le chemin jacquaire sarde, afin d’établir un centre de documentation sur la culture sarde en général et ouvrir des parcours de pèlerinage à caractère très local.
Conclusion
24Plusieurs considérations peuvent être notées en conclusion de cette étude.
25La première concerne le culte de Santu Jacu. Celui-ci fait partie du phénomène de prolifération des parcours de pèlerinage et des chemins religieux qui s’est produit ces dernières années en Italie44 tout en prenant pour modèle le Chemin espagnol dont il constitue un appendice.
26Nous ne pouvons ne pas relever un point commun entre les deux chemins, l’invocation des « racines ». Dans le cas espagnol, il est fait référence à l’Europe tout entière, à la suite de l’appel lancé en 1982 par le pape Jean-Paul II, pèlerin de Saint Jacques de Compostelle45. Dans le cas sarde, les origines invoquées par l’accord programmatique « Bias de fida » devaient nécessairement coexister avec les racines identitaires des différentes communes liées au projet. Plus encore, la programmation prévue par la Région sarde est largement étrangère au culte jacquaire et est tournée également vers d’autres racines et d’autres identités culturelles et religieuses
27Il est significatif que l’usage de la langue sarde, dans l’intitulé du programme (« Bias de fidi : il cammino di Santiago in Sardegna ») ou avec le logo Santu Jacu, qui fut associé aux nombreuses initiatives de la Région autonome et des provinces et des communes, contribua à capter et valoriser l’identité linguistique et culturelle sarde.
28Une deuxième remarque concerne la dimension religieuse du chemin sarde. Le programme de 2007 fait référence à la spiritualité jacquaire, conçue à la fois comme une méthode pour une action commune et comme un moyen de maintenir le lien avec la Fédération internationale du Chemin de Saint Jacques. Il convient cependant de remarquer que, dans ses plus récents développements, le Chemin vit se diluer la composante jacquaire, primordiale initialement, au profit d’autres dévotions propres aux communes incluses peu à peu au réseau des chemins sardes constitué par la Région. Plus encore, même la composante religieuse du chemin fut peu à peu masquée puisque, dans l’intention des organisateurs, il devait également répondre à la curiosité des non croyants.
29Troisième et dernière considération : comme nous l’avons démontré, le chemin, que nous pouvons considérer comme la résultante de volontés, programmes et activités de nature politique et associative, présente une ambigüité de fond. Théoriquement, comme nous l’avons relevé dans la déclaration de l’Assesseur au tourisme, il n’est pas exclu que le dévot de Saint Jacques se fasse pèlerin, homo viator, rejoignant à pied ou par d’autres moyens de transport les lieux du culte de Saint Jacques sur l’île, et réalise un parcours de foi et de perfectionnement chrétien, mais l’objectif principal poursuivi par ses organisateurs fut, au contraire, de créer un parcours culturel et religieux46, comme le suggèrent quelques affirmations récentes de l’Association de Santu Jacu à la presse, à propos du chemin sarde, selon lesquelles « il ne s’agit pas d’un pèlerinage47 ».
30Le chemin sarde est encore trop récent pour que l’on puisse imaginer aujourd’hui ce qu’il deviendra : un espace de prédilection pour le pèlerin « qui regarde vers le ciel et y voit sa destination ultime » ou plutôt pour le touriste religieux, qui « a les pieds bien en terre et considère le ciel comme un lieu de nostalgie et de mémoire », à moins que ce ne soit les deux, comme il advient sur le chemin espagnol.
Notes de bas de page
1 Il s’agit des communes de Goni, Ittireddu, Noragugume, Nughedu, Vittoria, Orosei, Perdaxius, Soleminis et Mandas. La commune de Cagliari, d’abord partenaire, se retira ensuite de l’accord. L’incipit est en ligne [http://santujacu.it].
2 Pour cet aspect, voir Spada A. F., Storia della Sardegna cristiana e dei suoi santi. Il primo millennio, Oristano, S’Alvure, 1994, p. 153 e 155, Casula F. C., Dizionario storico sardo (DISTOSA), Sassari, Carlo Delfino Editore, 2002, p. 1350-1352, qui enregistre les références relevées au milieu du XXe siècle par l’abbé Vittorio Angius dans Dizionario Storico Geografico Statistico Commerciale degli Stati di S : M : il Re di Sardegna.
3 Cherchi Paba F., La Chiesa greca in Sardegna. Cenni storici-culti-tradizioni, Cagliari, Scuola Tipografica Francescana, 1962, p. 39-40, largement dépassé.
4 Porrà R., « Il culto di San Giacomo in Sardegna », Rivista dell’Istituto di Storia dell’Europa Mediterranea, no 4, juin 2010, p. 359-368, en particulier p. 365 et note 17. La revue est consultable en ligne [http://rime.to.cnr.it].
5 La longue querelle qui opposa les deux archidiocèses sardes pour obtenir le titre de Primatie de Sardaigne et de Corse est résumée dans Turtas R., Storia della Chiesa in Sardegna dalle origini al Duemila, Roma, Città Nuova, 1999, p. 257-258, 299, 375-377, 382, 632.
6 Ibid., p. 366-367.
7 Dans la forme toscanisée de San Jacopo.
8 La documentation médiévale ne conserva pas la titulature originaire de l’église, retrouvée par les traces hagiographiques, toponymiques ou ethnographiques.
9 P. Sella (dir.), Rationes Decimarum Italiae. Sardinia, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1945, p. 63, n. 590 (dîme et cens de l’année 1341).
10 Casula F. C., Dizionario storico sardo (DISTOSA), op. cit., p. 1351.
11 Ibid. Le raisonnement peut être étendu aussi à l’église de Mad ou aux autres églises qui dépendaient du territoire des Gherardesca.
12 Baratier É., « L’inventaire des biens du prieuré Saint Saturnin de Cagliari dépendant de l’Abbaye Saint Victor de Marseille », Studi in onore di Francesco Loddo Canepa, Firenze, Sansoni, 1959, vol. II, p. 41-74, en particulier p. 69.
13 L’église paraît avoir été également dédiée à Saint Michel. Voir Terrosu Asole A., L’insediamento umano medioevale e i centri abbandonati tra il secolo XIV ed il secolo XVII, Roma, Consiglio Nazionale delle Ricerche, 1974, p. 27. Sur la présence des Hospitaliers de Saint Jacques d’Altopascio en Sardaigne et à Searu, voir Castello S., « L’ordine di San Giacomo di Altopascio in Sardegna », in F. M. Vanni (dir.), I sigilli dell’Ospedale di Altopascio. Segni di autorità, simboli di salvezza, Pisa, Pacini, 2009, p. 49-53.
14 Une liste des églises dédiées à Saint Jacques issues de l’époque catalano-aragonaise et espagnole se trouve dans Casula F. C., Dizionario storico sardo (DISTOSA), op. cit., p. 1350-1352. Sur la valorisation du culte à Soleminis, voir Sitzia S., Santu Jacu e atrus santus. Storia religiosa e tradizioni devozionali a Soleminis, Cagliari, Comune di Soleminis, 2011 (recherche financée par la Province de Cagliari et la Commune de Soleminis, L. R. 26/1997) et Porrà R., Soleminis in età medioevale e moderna. Dallo spopolamento alla rinascita. Fonti archivistiche, Dolianova, Grafiche del Parteolla, 2011, p. 18-23, 65-67.
15 D’après les sources, son église était dédiée à la Mère de Dieu. Casula F. C., Dizionario storico sardo (DISTOSA), op. cit., p. 1350-1351, dans la notice « San Giacomo de Lugula, agglomération disparue », affirme au contraire que la curte était desservie par l’église de Saint Jacques.
16 Voir le travail de Carta M., La parrocchiale di San Giacomo Apostolo di Orosei. Note storiche sulla chiesa e sul culto giacobeo nei paesi dell’antica Diocesi di Galtellì, Orosei, Centro studi Giuseppe Guiso, 2009.
17 La genèse, les développements et une première analyse des résultats de l’inventaire des sanctuaires chrétiens de Sardaigne, réalisée entre 1999 et 2003 dans le cadre du projet d’« Inventaire des sanctuaires chrétiens d’Italie », sont illustrés dans Schena O., « Il contributo della Sardegna al progetto di censimento dei santuari cristiani d’Italia promosso dall’école Française de Rome », M. G. Meloni et O. Schena (dir.), Culti, santuari, pellegrinaggi in Sardegna e nella Penisola iberica tra Medioevo ed Età contemporanea, Genova, Brigati, 2006, p. 589-604. Les données de l’inventaire sont consultables en ligne dans la base de l’Istituto Centrale per il Catalogo e la Documentazione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali à l’adresse [http://www.santuaricristiani.iccd.beniculturali.it/. Sur la notion de sanctuaire, voir l’introduction de Giorgio Cracco, p. XVI-XVII.
18 La pratique des pèlerinages est attestée entre le Xe et le XVe siècle. Coroneo R., « Il pellegrinaggio medievale in Sardegna (secoli XI-XIV) : fonti e monumenti » dans M. G. Meloni et O. Schena (dir.), Culti, santuari, pellegrinaggi in Sardegna e nella Penisola iberica tra Medioevo ed Età contemporanea, op. cit., p. 47. Serra P. B., « Segni e oggetti del pellegrinaggio medioevale in Sardegna, l’Alto Medioevo », et Coroneo R., « Segni e oggetti del pellegrinaggio medievale in Sardegna : l’età giudicale », dans L. D’Arienzo (dir.), Gli anni santi nella storia, op. cit., p. 431-463 et 465-496.
19 Stopani R, Le vie del pellegrinaggio nel Medioevo. Gli itinerari per Roma, Gerusalemme, Compostella, Poggibonsi, Centro Studi Romei, 1986, p. 32, qui reprend le Liber Sancti Jacobi, Libro I, XVII, p. 148-149.
20 D’Arienzo L., « La Sardegna nei Giubilei », in L. D’Arienzo et G. Altieri, Le medaglie pontificie degli anni santi. La Sardegna nei giubilei, Catalogo della mostra, Cinisello Balsamo, Silvana, 2000, p. 161. Le document se trouve in Altisent A., L’almoina reial a la cort de Pere el Cerimonios. Estudi i ediciò dels manuscrits de Almoiner fra Guillelm Deudé monje de Poblet (1378-1385), Poblet, Abadia de Poblet, 1969, p. LIX-LX ; Cherubini G., Santiago de Compostella. Il pellegrinaggio medievale, Siena, Protagon editori toscani, 1998, p. 94, cité par D’Arienzo L., La Sardegna nei Giubilei, op. cit., p. 160.
21 Ibid.
22 Péricard-Méa D., Compostela e il culto di san Giacomo nel Medioevo, Bologna, Il Mulino, 2004, p. 10 relève que la grande impulsion donnée au pèlerinage jacquaire serait survenue seulement après la publication de la traduction du Guide du Pèlerin, réalisée en 1938 par Jeanne Vielliard, et surtout après l’appel que le pape Jean-Paul II lança à l’Europe, l’invitant à chercher les raisons de son unité dans le culte de Saint Jacques (p. 7).
23 Ibid., p. 29.
24 Le novenaire est un sanctuaire rural, composé d’édifices de culte et de bâtiments d’hébergement pour les pèlerins. Les pèlerins, venant habituellement des villages voisins, s’y rendaient pour une durée de neuf jours. La dévotion liée à ce type de sanctuaire est la novena, sur laquelle se fonde liturgie, tradition et folklore. Voir la définition dans Casula F. C. C, Dizionario storico sardo, op. cit., p. 1062-1063 et l’étude, encore aujourd’hui fondamentale, de Gallini C., Il consumo del sacro. Feste lunghe di Sardegna, Bari, Laterza, 1971, riediz. Nuoro, Ilisso, 2003 e Mele M. G., « Dalla villa medioevale all’insediamento religioso temporaneo », I santuari della Sardegna, Roma, École Française de Rome, 2006, p. 17-24.
25 Casula F. C. C, Dizionario storico sardo, op. cit., p. 1351, notice « San Giacomo, chiesa ».
26 Ibid., p. 1350, 1352, notice « San Giacomo, chiesa ». D’autres églises en l’honneur de l’Apôtre furent édifiées entre la seconde moitié du XIXe siècle et le siècle suivant, pendant la période des Savoie. Toujours dans la même période, l’église rurale de Ittireddu, initialement dédiée aux Saints Jacques et Philippe, sera ensuite dédiée à Saint Jacques le Majeur. Cf. Casula F. C. C, Dizionario storico sardo, p. 1352, notice « San Giacomo, chiesa campestre ».
27 Le texte de l’accord programmatique est publié en ligne [http://www.santujacu.it/Accordomenu.htm].
28 Soprintendenza per i Beni Architettonici, il Paesaggio, il Patrimonio Storico, Artistico ed Etnoantropologico.
29 « I Comuni firmatari vedono la storica comune devozione a San Giacomo Apostolo quale Santo Patrono delle rispettive comunità di appartenenza. Scelta che segue, come vuole un’antica leggenda, l’opera di evangelizzazione iniziata da San Giacomo in Palestina e proseguita in Spagna, dopo una breve tappa in Sardegna. Evangelizzazione che riporta, in epoca medioevale e moderna, l’influsso della cultura spagnola nella realtà sarda dove si assiste alla diffusione del culto di Santiago matamoros che, in Spagna, ha visto sorgere il « Cammino di Santiago » di cui si intende riscoprire e valorizzare l’appendice sarda. » Extrait de l’introduction de l’accord.
30 Ceci se déduit de l’iconographie des simulacres, par exemple.
31 Voir l’incipit au début de ce chapitre.
32 [http://www.santujacu.it/Accordomenu.htm] (point c de la convention).
33 [http://www.santujacu.it/Accordomenu.htm] (points d et f de la convention).
34 Il s’agit d’un projet d’alphabétisation financé par la Communauté Économique Européenne, confié aux associations jacquaires et aux gérants des structures touristiques rurales qui œuvrent le long du chemin de Saint Jacques.
35 Le IXe Congrès s’est consacré aux origines méditerranéennes de la dévotion à Saint Jacques et, par suite, à l’origine médiévale du pèlerinage à Compostelle. Voir le site [http://englishthesaintjamesways.eu].
36 Maggio in Sardegna : alla ricerca di un sogno, publié par Flavio Vandoni sous le pseudonyme « barabba » [http://www.suicammini.com/forum/forumdisplay.php?8-Il-cammino-di-Santu-Jacu].
37 Ibid.
38 [http://www.pellegrinando.it].
39 Voir le site [http://compostela.pellegrinando.it/articoli.php?arid=29579]. Les initiatives entreprises par l’association et son histoire, sont décrites sur le site [http://www.suicammini.com/forum/forumdisplay.php?8-Il-cammino-di-Santu-Jacu].
40 Dossier de presse du 20 octobre 2011, qui rapporte des extraits de la communication de l’Assesseur au Tourisme de la Région Sardegna, Luigi Crisponi, sur le « Cammino de Santu Jaccu », effectuée à l’occasion de la rencontre préliminaire entre l’assesseur, les représentants et dirigeants du tourisme de la région, les représentants de l’Anci Umberto Oppus et une vingtaine de maires et administrateurs des municipalités concernées [http://www.regione.sardegna.it].
41 Ibid.
42 Il s’agit d’un pèlerinage annuel promu depuis 2008 par l’association Iubilantes, qui dure une semaine. Un groupe de dévots parcourt à pied le chemin pastoral effectué vers l’an mille, selon la légende hagiographique, de l’évêque Saint Georges de Suelli [http://www.iubilantes.it/xwebservices/San%20Giorgio%202012.pdf].
43 Ibid.
44 Une large présentation des pèlerinages se trouve sur le site [http://www.pellegrinando.it] (Lesche-minsenItalie).
45 Péricard-Méa D., Compostela e il culto di san Giacomo nel Medioevo, op. cit., p. 7 et note 22.
46 Lo Giacco M. L., « Il pellegrinaggio : profili giuridici », in G. Dammaco-G. Otranto (dir.), Profili giuridici e storia dei santuari cristiani d’Italia, Bari, Laterza, 2004, p. 87-110, en particulier p. 95-96 sur la définition de pèlerinage, sur les finalités du pèlerinage et sur le rapport avec les sanctuaires visités, p. 105-110 sur l’ambigu recouvrement terminologique et juridique entre pèlerinage et tourisme religieux. Voir aussi Mazza C., Turismo religioso : un approccio storico-culturale, Bologna, EDB, 2007.
47 La Nuova Sardegna, 17 marzo 2011, entretien avec Flavio Vandoni, qui affirme : « Tengo a chiarire che non si tratta di un pellegrinaggio. Nel cammino di Santu Jacu verrà a camminare gente da tutte le parti del mondo. »
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