Ports et avant-ports de la Flandre maritime à la fin du Moyen Âge : transformations naturelles et aménagements humains
p. 191-202
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Texte intégral
1L’étude d’une zone littorale, quelle que soit la période concernée, induit l’importance des données géographiques. En Flandre maritime, plus qu’ailleurs peut-être, la nature a joué d’emblée un rôle prépondérant. Cet espace a été conquis sur la mer par l’homme durant plusieurs siècles, essentiellement du xie au xvie siècle ; antérieurement, les transgressions flandriennes avaient remis en question une éventuelle stabilisation d’un cordon dunaire littoral1. Malgré la progression des aménagements, à tout moment les tempêtes peuvent annihiler les efforts de l’homme dont font écho régulièrement les manuscrits jusqu’au xvie siècle. Les ports, voire les avant-ports, vont s’intégrer à ce schéma de maîtrise de la nature par l’homme. Rappelons que cette conquête s’organise au nom de Dieu et fait partie intégrante des défrichements2 au même titre que le recul de la forêt, élément comme la mer où la créature de Dieu n’est pas encore omniprésente. Enfin, la plaine attire plus ou moins les pouvoirs politiques, mais les Capétiens3 et les Comtes4 flamands et boulonnais en ont pressenti l’importance et l’intérêt dès le xiie siècle. C’est donc toute cette évolution que nous allons tenter de retracer.
« Une difficile et courageuse maîtrise de l’espace »
Un littoral non stabilisé
2À l’origine, la Flandre maritime occidentale constitue le golfe originel de l’Aa5. Bien que nous ayons connaissance d’une présence humaine dès l’Antiquité6, celle-ci est très limitée et se situe plutôt sur l’ancienne ligne de falaises mortes séparant ainsi deux ensembles naturels, d’une part le Houtland (l’arrière-pays plus élevé et boisé), d’autre part le Blootland (pays nu, à découvert)7qui nécessite des efforts humains dans sa conquête au fur et à mesure des siècles (fig. 1). C’est sur ce dernier que nous avons orienté notre étude. Après l’installation de plusieurs bourgades de pêcheurs8 dès le ixe siècle, soit sur des mamelons caillouteux9, soit sur un cordon dunaire éphémère ou provisoire en cours de formation, il faut attendre les comtes de Flandre au xiie siècle pour assister à l’aménagement de cette zone côtière de façon construite et réfléchie10. En cela, ils ont été devancés dans un premier temps par les abbayes régionales surtout cisterciennes, mais pas uniquement11.
3En effet, de nombreuses institutions religieuses s’adonnent très tôt à la conquête de l’espace. L’abbaye de Bourbourg, l’abbaye de Bergues-Saint-Winoc, les abbayes de Furnes, des Dunes (près de Coxyde) ou de Ter Doest (près de Bruges et de Damme) participent ainsi à cette œuvre d’évangélisation et maintes chartes témoignent de cet engagement (construction de digues, d’écluses, privilèges accordés aux hôtes)12. Le Calaisis sur ce point se distingue légèrement en raison de l’absence d’une grande abbaye locale13 hormis l’abbaye Saint-Bertin à Saint-Omer (à 40 kilomètres !), handicap qui justifie un certain retard dans la partie maritime occidentale par rapport au fleuve de l’Aa.
Une politique prémonitoire
4Indéniablement, ce sont les comtes Thierry, puis surtout Philippe et Mathieu d’Alsace qui sont les véritables « accélérateurs de l’histoire ». Dans la seconde moitié du xiie siècle, Philippe essentiellement, crée toute une administration visant la maîtrise de l’eau (le bailli de l’eau, les trois bans, les wateringies…)14. Il s’agit de procéder à l’évacuation des eaux descendues des Hauts d’Artois et de la Flandre intérieure (au-delà de l’ancienne ligne de falaises mortes), car les eaux pénétrées à partir des échancrures affaiblissent un cordon dunaire encore précaire et vulnérable, principalement lors des marées d’équinoxes15. Seule la construction de diguettes, d’écluses, de batardeaux, d’overdrachs, de voies canalisées permet à l’homme de s’installer dans ces contrées à l’origine hostiles ! L’intérêt de Philippe d’Alsace joue en faveur du développement du Westhoek16 (partie orientale de l’Aa) tandis que le Calaisis et le pays de l’Angle17 qui suscitent peu d’intérêt de la part des comtes de Boulogne en cette fin du xiie siècle18 cumule un retard certain. Enfin, la fondation de « villes nouvelles », d’avant-ports tout au long du littoral flamand en deux vagues (la première vers 1160 avec Gravelines et Nieuport et la seconde vers 1180 avec Damme, Biervliet, Calais, Dunkerque) attestent de la « pensée prémonitoire », voire précoce de la famille d’Alsace dans la perception économique du littoral19 !
De nouveaux avant-ports
5Ainsi, par volonté politique, pouvoirs laïc et ecclésiastique vont œuvrer de concert pour promouvoir ce littoral « flamand ». Certes, parfois l’entente n’est pas à l’unisson ; les procès se succèdent, surtout plus tardivement à la fin du xive et au début du xve siècle au moment où la zone côtière prend une importance économique et stratégique (fig. 2). Pourtant, les procès entre les abbayes elles-mêmes ne sont pas rares, car les pêcheries (mélange d’eau douce et d’eau salée pénétrée par les échancrures du littoral) sont dès le xiie siècle l’objet de convoitises20. C’est naturellement au niveau de ces pénétrantes littorales que se sont localisés des villages de pêcheurs, aux extrémités d’un grand cordon dunaire (Duinkerke et Oostduinkerke par exemple) et à proximité de l’estuaire de petits fleuves21 ; ceux-ci se sont frayé difficilement un chenal entre des zones tourbeuses et marécageuses au fur et à mesure des siècles du haut Moyen Âge. Par ailleurs, ces sites originels naturels sont des abris contre les violentes tempêtes de la mer du Nord (principalement lors des marées d’équinoxes).
6Les nouveaux ports, devenus des « villes » obtiennent rapidement chartes de fondations, mais aussi certains privilèges (exonération de taxes et de tonlieux dans d’autres villes de Flandre). Toutefois, la création de ces récentes entités urbaines n’est pas sans poser problème. D’abord, il faut maintenir l’acquis sur un littoral toujours fragile et préserver la maîtrise du drainage nécessaire à l’implantation humaine sur cette zone conquise par l’homme. De plus, les nouvelles fondations deviennent des passages obligés pour les anciennes châtellenies localisées sur la ligne de falaises mortes ; pourtant, ces petits ports étaient au départ sous tutelle, surtout sur le plan ecclésiastique, leur paroisse étant placée sous le patronat des abbayes22. Les avant-ports se distancient progressivement de ces anciennes autorités et connaissent au développement plus ou moins rapide : Calais face à Guînes et Ardres (cas particulier cependant), Gravelines face à Bourbourg, Dunkerque face à Bergues-Saint-Winoc et Nieuport face à Furnes.
7Les heurts entre ces deux ensembles « les anciens » et « les modernes » s’accentuent à la fin du xive siècle23. C’est donc cette évolution qui nous intéresse à présent, mais d’abord analysons les sources sur l’aménagement portuaire de ces différents ensembles littoraux.
Sources et aménagements portuaires
Des sources limitées ?
8L’historien dépend toujours des sources dont il dispose ; faut-il le rappeler ? A priori, on pourrait penser que les manuscrits concernant cette zone à cette période abondent. Précisons qu’il s’agit de localités de taille moyenne, voire petite. La plupart du temps, elles comptent environ 2 000 à 5 000 habitants24. Les données chiffrées sont l’objet de confrontations entre historiens dont il vaut mieux parfois relativiser les excès d’optimisme25 ! Certes, il est toujours délicat d’aborder de façon précise cet aspect, car la part non fiscalisée de la population est difficilement perceptible. En revanche, une hiérarchie urbaine nous paraît plus honnête et plus probante. En outre, il ne s’agit pas ici de centres décisionnels, d’institutions importantes, ce qui limite l’impact de l’écrit. L’ » hypertrophie brugeoise » nous fait oublier la réalité urbaine de la plupart de ces petits centres ; contrairement aux idées reçues, Bruges n’atteint elle aussi que 30 000 à 40 000 habitants au xive siècle à son heure de gloire !
Des sources irrégulières
9Selon les centres urbains et selon les périodes, la diversité des sources est frappante. Calais sur ce point particulier semble privilégiée puisque dès le xiiie siècle, on peut appréhender l’histoire de la ville et du port « telle une éprouvette ». La présence anglaise le confirme avec les Fine et Patent rolls pour la période de 1347 à 155826. Cet « îlot continental anglais » fait ainsi figure d’exception. Les archives relatives aux anciennes châtellenies demeurent certes relativement importantes (Saint-Omer, voire Guînes et Ardres, Bergues-Saint-Winoc et Furnes), mais elles restent à l’écart des recherches historiques en raison de leur difficile accessibilité (à Bergues surtout, et à Bourbourg) et compréhension (ancien flamand). En revanche, les documents relatifs à Gravelines, Dunkerque et Nieuport sont plus épars, plus lacunaires, mais offrent à partir du xive, voire du xve siècle des données précises.
Des « sources à pourchasser »
10En réalité, on dispose de sources sérielles. Plusieurs exemples viennent étayer cette affirmation (la Boîte de Calais pour la fin du xiiie siècle27, les Fine et Patent rolls pour la période anglaise suivante, une série comptable de 1358 à 1407 pour Dunkerque28), mais globalement, les séries concernent plutôt les anciennes châtellenies, anciens ports antérieurs au xiie siècle, localisées sur l’ancien rivage au haut Moyen Âge. De plus, les sources sont beaucoup plus variées que l’on aurait pu le penser au prime abord. En effet, les sources ecclésiastiques, voire laïques révèlent dans le détail l’aménagement de ce territoire côtier (état des dunes, des canaux, des écluses, échange de terres, lutte contre les lapins de garenne, état des chemins, etc.) et surtout de la partie flamande actuelle. Le contexte est parfois évoqué, les inondations font l’objet d’une attention particulière. Les sources juridiques nous éclairent davantage sur les relations de plus en plus délicates entre les différents pouvoirs seigneuriaux (laïcs ou ecclésiastiques) et urbains (plus nouveaux, ces « kystes » de la société médiévale)29. Aux xive et xve siècles, nos ports se heurtent aux anciennes châtellenies avides de garder leurs prérogatives. Ici et là, les documents comptables apportent une touche supplémentaire au tableau (comptes de bailliage ou de châtellenie, comptabilités urbaines, comptes partiels de tonlieux, d’assises, sources fiscales plus tardives aux xive et xve siècles). Malheureusement, ils sont rarement simultanés, mais trop souvent décalés dans le temps. Cependant, une étude comparée en cours d’élaboration paraît concluante30 sur plusieurs points (vie commerciale, mais également vie quotidienne31 !). Grâce à ces manuscrits, l’aménagement portuaire est appréhendé parfois avec précision. C’est le cas de Calais pour lequel les détails abondent spécialement au xiiie siècle. Ainsi, différents comptes dévoilent que les dépenses urbaines privilégient l’aménagement du port en 1268, en 1286 « pour faire ou pour amender le havre32 ». En 1305, pour abonder ce chapitre comptable, la comtesse autorise une levée de taxes sur les navires et marchandises destinées à l’achat de fagots33. On apprend que le port était muni d’un phare, plus exactement d’une lanterne de fer au sommet d’un beffroi en bois (virberghe) placé sur le rempart. Quant aux quais, ce sont les documents anglais qui nous les décrivent : au-delà des remparts, ces éléments portuaires couraient à bonne distance de ces derniers, s’élevant au-dessus du sable grâce à des portes fixées dans le sol et retenant un remplissage de terre, de roseaux et de fagots. Hélas, pour les autres ports, les descriptions sont plus muettes.
11Ce n’est qu’au hasard des documents que l’on découvre des bribes de renseignements sur l’aménagement portuaire. Grâce aux comptes de bailliage dunkerquois, il a été possible de situer le château de Yolande de Bar, dans la partie nord-ouest de la ville, « le leis du quai34 ». L’examen des archives relatives à Nieuport nous a fait découvrir le plan d’une écluse au début du xve siècle35. De même, à Bergues à la même période, relatif au port fluvial sur l’Havendyck, voie canalisée entre Bergues et Dunkerque, un plan assez précis des voies terrestres, des voies d’eau, des écluses se dévoile sous nos yeux36. Hélas, sur ce point, les éléments se font rares et seule l’opiniâtreté de l’historien peut lui permettre d’avancer dans ses recherches. Pourtant, des plans et des gravures du xvie siècle, certes postérieurs, corroborent souvent l’emplacement de tel ou tel site mentionné dans divers manuscrits ou chroniques37. Ainsi, les sources prosopographiques enfin peuvent parfois infirmer tel ou tel propos relevé de-ci de-là même si l’événementiel demeure leur lot principal et commun.
Une évolution contrastée
12Toutes ces données nous font entrevoir l’aménagement du littoral par rapport à l’évolution des différents ports longeant la côte maritime flamande ; tous ont été fondés durant la seconde moitié du xiie siècle et pourtant leur démarrage économique n’est pas simultané, chacun gardant sa spécificité.
« L’enclave calaisienne »
13Calais, surtout à partir de la présence anglaise en 1347, se distingue par son cas particulier. « La ville des Six bourgeois38 » a connu un développement précoce dès le xiiie siècle, les équipements économiques et portuaires y sont déjà performants (y avait-il une grue39 ?), les marchands « étrangers » y viennent régulièrement ; la proximité de l’Angleterre, essentiellement pour la laine, privilégie ce centre considéré très vite avec Douvres comme une des « deux prunelles du Détroit40 ». Après un temps de relatif marasme, voire de difficultés à la fin du xiiie siècle et au début xive siècle, l’arrivée des Anglais, installant la célèbre Étape des laines, devait favoriser « un renouveau probable41 ». Pendant une vingtaine d’années, le Pale, Calaisis immédiat (environ 10 kilomètres de rayon) bénéficie de l’élaboration d’un réseau de « watergangs » (voies d’eau) jusqu’alors partiellement lacunaire, dans la zone occidentale de l’Aa délaissée jadis par le pouvoir comtal. Les noms des propriétaires terriens anglais donnés à certaines voies d’eau l’attestent (le Vinfil de nos jours du nom de Wingfield). Hélas, cette période de prospérité est de courte durée et « le joyau apparaît très vite hors de prix ». Les difficultés surgissent dès la fin du xive siècle avec les dépenses militaires qui l’emportent de façon édifiante sur les dépenses économiques, y compris les « mises » portuaires42. Le havre est délaissé ; il faut attendre le xvie siècle, avec les Tudor, pour voir renaître un regain d’intérêt de la part de la couronne britannique (fig. 3)43. Certes, d’aucuns ont avancé l’attachement de cœur à « cet îlot continental » de la part de la monarchie, mais l’aspect stratégique l’emporte (même si les chevauchées anglaises dès la fin du xive siècle ne font plus guère illusion)44. Ce « pied à terre » britannique présente un intérêt, mais le fait de n’avoir réellement tenté qu’à deux reprises de reprendre Calais en 1415 et en 143645, et plus du tout après ces dates, accrédite la thèse que ni les Français ni les Bourguignons (ces derniers sont aussi Français, rappelons-le) ne souhaitaient reprendre véritablement cette place en l’instant (fig. 4). Mieux valait savoir où était l’adversaire ! Ce n’est qu’en 1558 que la menace de reprise devient réalité et que « la ville inexpugnable » est conquise par le duc de Guise46 !
14Dunkerque et Nieuport ont connu en revanche un développement plus tardif. Au xiiie siècle, ces deux centres urbains changent régulièrement de seigneurs fonciers, intéressent dans une moindre mesure les pouvoirs politiques47. Les rares documents qui nous sont parvenus – le plus souvent des chartes officielles (en latin) – avalisent cet aspect, même si les institutions urbaines se précisent. Pourtant, au xive siècle, Nieuport s’impose plus vite que sa voisine48. La ville est fortifiée, le commerce y prospère, mais rappelons que la cité maritime a fait partie de la première vague de fondation comtale (vers 1160)49. Ce n’est que dans la seconde moitié du xive siècle et au début du xve siècle que Dunkerque, née dans l’apanage de Bar et de Cassel, se hisse au même niveau, connaît un démarrage portuaire en deux temps50. Ici aussi, la ville se dote d’impressionnantes fortifications bourguignonnes de 1403 à 140951. À l’embellissement urbain s’ajoute la prospérité économique indéniable. Les marchands étrangers la fréquentent dès lors souvent ; un monopole hollandais (neutralité oblige) s’y établit52. Havres de pêche à l’origine, ces ports plus amplement fortifiés gardent évidemment leur activité première dont la renommée repose particulièrement sur « le hareng caqué53 » ; ils connaissent un éventail commercial assez large et voient naître en leur sein des activités résultant de la course de plus en plus lucrative54. À travers les manuscrits, les mentions qui leur sont relatives sont de plus en plus fréquentes55. N’ont-ils pas également profité du déclin de Gravelines, avant-port de Bourbourg sur l’estuaire de l’Aa confronté à de redoutables problèmes d’ensablement dès le milieu du xive siècle56 ? Cette prospérité n’est-elle pas intrinsèquement liée à la conjoncture politique, du fait que ces deux entités portuaires relèvent successivement de la tutelle bourguignonne57 puis habsbourgeoise à la fin du xve siècle, permettant ainsi à ces deux ports de se hisser dans des États en cours de formation, plus centralisés, d’une autre échelle.
« Un rendez-vous manqué »
15Cependant, les difficultés demeurent. Ces ports s’imposent comme de véritables passages obligés, concurrençant les châtellenies de l’arrière-pays ; de facto ils représentent un danger pour ces anciennes puissances tutélaires, reléguées désormais au rang de ports fluviaux (Bergues sur la Colme, Furnes sur l’Yser) et de surcroît mises en difficulté par l’évolution de la mode et de la draperie. Leur reconversion dans la sayetterie arrive tardivement58 face à un petit centre comme celui de Hondschoote qui avait pressenti « le filon59 ». La courte distance entre les avant-ports et les anciennes châtellenies d’une part, la proximité le long du littoral des avant-ports (environ 20 kilomètres de distance) représentent un lourd handicap comme le soulignait déjà Michel Mollat60. Enfin, l’hinterland de ces zones portuaires demeure alors encore une entrave pour un développement durable. Certes, la maîtrise de l’eau, la nécessaire consolidation du littoral grâce à différents travaux, l’aménagement des canaux mieux administrés témoignent d’une réelle volonté humaine à dominer la nature. Mais rien n’est acquis, une simple tempête d’équinoxe provoque des dégâts spectaculaires même encore au xvie siècle61, aux dires des chroniqueurs, tandis que le problème récurrent de l’ensablement touche successivement Wissant, Lombarzyde, Gravelines et même Bruges au xive siècle ! Mais n’est-ce pas le déclin de Bruges qui éloigne l’épicentre économique vers des terres plus septentrionales, le duché de Brabant et Anvers, la Zélande et la Hollande en cette fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes62.
16En cela, les petits ports, Dunkerque ou Nieuport, n’ont-ils pas manqué un rendez-vous63 ? Il faudra attendre le règne du Roi-Soleil pour qu’ils connaissent un véritable développement. Pourtant, ces havres se situent sur un littoral flamand sis sur une « frontière » que pour la première fois un chroniqueur, Jean Froissart, perçoit comme telle : « ceste riche frontière de mer64 », valorisant ainsi la notion stratégique du lieu dont l’importance devait croître avec le temps.
Notes de bas de page
1 Au départ, on parlait de transgressions dunkerquiennes de façon réductrice. Voir Curveiller S., « Hommes, terres, espaces en Flandre maritime au Moyen Âge », La géographie au Moyen Âge. Perspectives médiévales, Aubenas, 1999, p. 23-42.
2 Fourquin G., Histoire économique de l’Occident médiéval, Paris, 1969, p. 143-144.
3 Sivery G., « Les Capétiens et la côte du nord-ouest jusqu’au siècle de saint Louis », Bulletin historique et artistique du Calaisis, n° 145-146-147, juin 1996, p. 49-59.
4 Thierry, Mathieu et Philippe d’Alsace.
5 Briquet A., Le littoral de la France et son évolution morphologique, Paris, 1930 ; Somme J., « L’évolution de la plaine maritime de la mer du Nord et la fonction du pas de Calais », Bulletin historique et artistique du Calaisis, n° 160-161-162, déc. 1998, p. 429-441 ; Blanchard R., La Flandre, étude géographique de la plaine flamande en France, Belgique et Hollande, Paris, 1906.
6 Colloque « Archéologie du littoral Manche – Mer du Nord. Des origines à l’époque gallo-romaine », Bulletin historique et artistique du Calaisis, 1997.
7 Briquet A., op. cit.
8 Derville A. et Vion A., Histoire de Calais, Dunkerque, 1985, p. 14-15 ; Dupas G., Histoire de Gravelines, porte de Flandre et de ses hameaux, des origines à la libération, Dunkerque, 1981 ; Lemaire L., Histoire de Dunkerque, Dunkerque, 1970, p. 16 ; Dumon R., Geschiedenis van Nieuwpoort, Langemark, 1989, p. 85-88.
9 Curveiller S. (dir.), Histoire de Coulogne des origines à nos jours, Paris, 1994.
10 Verhulst A., « Un exemple de la politique économique de Philippe d’Alsace : la fondation de Gravelines », Cahiers de civilisation médiévale, 1967, p. 15-28.
11 Curveiller S., « Les abbayes en Flandre maritime méridionale : xiie-xve siècle », Université catholique de Lille, 2004, p. 27-42.
12 Ibid.
13 De taille très modeste, celle d’Andres est l’unique abbaye située entre Guînes et Calais.
14 En 1169. Voir Curveiller S., « Le problème de l’eau dans le bailliage de Dunkerque au Moyen Âge », Revue du Nord, t. LXXII, 1990, p. 497-509.
15 Curveiller S., « Philippe d’Alsace, un prince hors du commun », Mélanges Georges Jehel, Amiens, CAHMER, vol. 13, 2002, p. 407-415. Consulter en particulier Berlière U. et Huyghebaert N. (dir.), Monasticon belge, Province de Flandre occidentale, t. III, Liège, 1974, p. 585-592. Voir également les Archives du Grand Séminaire de Bruges.
16 Manderlinck G., De Westhoek Vijmaal, Bruxelles, 1987.
17 Zone comprise entre le Calaisis (à l’est) et le fleuve l’Aa (estuaire de Gravelines), à l’époque essentiellement marécageuse.
18 « Mathieu faisait partie des jeunes, violents et convoiteux, en quête de pouvoir et d’héritière ; il enleva l’abbesse Marie à Ramsey et la prise pour femme » (selon les chroniqueurs) : Kapferer A. D., Histoire de Boulogne sur Mer, Condé-sur-l’Escaut, 1998, p. 65.
19 Verhuslt A., « Initiative comtale et développement économique au xiie siècle », Miscellavea mediaevalia in memoriam, Groningen, 1967, p. 227-240 ; Degryse R., « ’s graven domein te Nieuwpoort », ASEB, t. LXXXV, 1948, p. 70-111.
20 Grand cartulaire de Saint-Bertin, t. II, p. 67.
21 Le Gisnerlet pour Calais, l’Aa pour Gravelines, la Guersta pour Dunkerque, l’Yser pour Nieuport, le Zwin pour Damme.
22 Ainsi la première paroisse de Dunkerque dénommée Saint-Pierre est placée sous la tutelle de l’abbaye de Bergues-Saint-Winoc.
23 Curveiller S., « Territorialités, institutions et sources fiscales en Flandre maritime au Moyen Âge », Revue du Nord, t. LXXIX, 1997, p. 897-920.
24 Curveiller S., Dunkerque ville et port de Flandre à la f n du Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, 1989.
25 Voir en particulier Calais : 14 000 habitants selon A. Derville en 1300, de 6 000 à 8 000 habitants à la même date pour P. Bougard et C. Wyffels.
26 Public Record Office. Curveiller S., colloque « L’image de l’autre : France, Angleterre à travers l’Histoire », Calais (2004), Bulletin historique et artistique du Calaisis (à paraître).
27 Archives départementales (AD) du Pas-de-Calais, série A (série comptable).
28 AD Nord, B 5968 à 5990. Série de comptes de bailliage.
29 Fossier R., Histoire sociale de l’Occident médiéval, Paris, 1970.
30 Comparaison entre les archives de Furnes, Nieuport, Bergues et Dunkerque (Curveiller S. et Van Acker J., article à paraître dans la revue Les Pays-Bas français).
31 Curveiller S., Dunkerque…, op. cit., p. 233-266.
32 AD Pas-de-Calais, série A. Compte des receveurs de l’Artois, ceux des baillis de Calais et de Merc (Marck-en-Calaisi), ceux de la Boîte de Calais ; AD Nord, série B 13596 et suivants (en particulier B 15589).
33 Les remparts datent de Philippe Hurepel (1228).
34 Curveiller S., « Le château de Yolande de Flandre à Dunkerque d’après un document inédit », Actes du 32e congrès de la Fédération des Sociétés savantes du Nord de la France, Dunkerque, 1991, p. 33-42.
35 Archives générales du Royaume, Bruxelles.
36 Archives municipales (AM) de Bergues, Inventaire Thérèse Vergriete.
37 Curveiller S., « La dialectique du dedans et du dehors : l’exemple des “petites patries” médiévales en Flandre maritime », Revue du Graal, 2002, p. 80-97.
38 Curveiller S., « Calais et le mythe des Six Bourgeois », Rencontres des mythologies urbaines, Dunkerque, 2004, p. 95-107.
39 Derville A., Histoire de Calais, Dunkerque, 1985, p. 16-43.
40 Contamine P., L’économie médiévale, Paris, 1993, p. 349. Il s’agit d’un poème en moyen anglais enrichi de gloses en anglais et latin, composé en 1436 après la vaine tentative de reprendre Calais par Philippe le Bon. Ce document rappelle l’avis donné à Henri V par l’empereur Sigismond lors de sa venue en Angleterre en 1416 : « Douvres et Calais sont comme les deux prunelles de sa domination » (du Détroit).
41 En réalité, cela ne devait prospérer qu’une vingtaine d’années jusque vers 1380. Voir Curveiller S., « Complémentarités et rivalités des ports maritimes en Flandre occidentale à la fin du Moyen Âge », Ports maritimes et ports fluviaux au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 245-260.
42 Selon nous, au xve siècle, la répartition moyenne des dépenses de la couronne est de 92 % destinés à la garnison, 4,9 % à l’administration et 3,1 % aux travaux (port, ville et fortins) en moyenne d’après les manuscrits disponibles. Voir Perroy E., « L’administration de Calais en 1371-1372 », Revue du Nord, t. 33, 1951 ; Kirby J. L., « The issues of the Lancastrian Exchequer and Lord Cromwell’s estimates of 1433 », Bulletin of historical Research, t. 24, 1951, p. 19-29.
43 Grummitt D., Calais 1485-1547 : a study in early Tudor politics and government, Londres, 1997 ; id., « The financial administration of Calais during the reign of Henri V, 1399-1413 », The English Historical Review, 1998, p. 277-299.
44 La plus célèbre est celle de 1383-1386 menée par Henri Despencer, évêque de Norwich.
45 Curveiller S., « La présence anglaise à Calais au Moyen Âge », Bulletin historique et artistique du Calaisis, n° 140-141, juin 1995, p. 1-16.
46 Curveiller S., « La reprise de Calais en 1558 », Dereugnaucourt G. (dir.), Société et religion en France et aux Pays-Bas, xve-xixe siècles, Mélanges Alain Lottin, Arras, 2000, p. 133-145.
47 Au cours du xiiie siècle, Dunkerque change régulièrement de seigneurs fonciers, dont certains n’ont laissé qu’une empreinte minime (un dénommé Laurent ou Lorenzo, puis Godefroy de Condé, puis Bauduin d’Avesnes) et n’ont manifesté qu’un intérêt moindre pour la ville hormis lors de la perception des taxes sur les produits de la pêche. Avec Guy de Dampierre, Dunkerque s’insère de nouveau au comté de Flandre et s’intègre cette fois à un ensemble territorial plus conséquent.
48 Dumon R., De geschiedenis van Nieuwpoort, Langemark, 1989.
49 Curveiller S., « Philippe d’Alsace… », art. cité, p. 159-170.
50 De 1370 à 1380, « take off » interrompu par la « crise de 1383-1386 » (chevauchée d’Henri Despencer) puis reprise après 1390-1400. Voir AD Nord et AM Saint-Omer ; Curveiller S., Dunkerque…, op. cit.
51 Entre 1403 et 1409, Dunkerque s’entoure d’impressionnantes fortifications comportant 28 tours. Voir l’octroi d’assises par le duc de Bourgogne en 1403 pour huit ans en vue des travaux de fortifi cation : AD Nord, série B 1320, n° 15001 et AM Dunkerque, série 245.2.
52 Curveiller S., Dunkerque…, op. cit., p. 189.
53 Degryse R., « Le convoi de la pêche à Dunkerque aux xve et xvie siècles », Revue du Nord, t. XXXIII, 1951, p. 117-127. En 1253, on trouve également au péage de Bapaume un convoi de harengs caqués, de maquereaux et de merlans provenant de Dunkerque, en direction de Paris (BNF, Archives de Flandre, copies MS 9124).
54 Paviot J., La politique navale des ducs de Bourgogne (1384-1482), Lille, 1995.
55 Pour Dunkerque, voir AD Nord, série B5968 à 5990, et pour Nieuport, voir AM Nieuport, série 15/187 à 258.
56 Roffin R., Le tonlieu du port de Gravelines au cours du Moyen Âge, DES, Lille, 1953.
57 Schnerb B., L’état bourguignon 1363-1477, Paris, 1999.
58 Coornaert E., Une industrie urbaine du XVIe au XVIIe : l’industrie de la laine à Bergues-Saint-Winoc, Paris, 1930. Voir également AM Bergues, série CC90 et AM Furnes, SAV, f° 2-50.
59 Coornaert E., « Hondschoote, de ses origines au début du xviiie siècle », Revue des Amis du vieux Dunkerque, n° 8, 1978, p. 15-21.
60 Mollat M., L’Europe et la mer, Paris, 1993.
61 Lemaire L., Histoire de Dunkerque, Bruxelles, 1976.
62 Van der Stock J. (dir.), La ville en Flandre. Culture et société 1477-1787, Bruxelles, 1991 ; Lampo J., Vermaerde coopstadt Antwerpen in de Middleleeuwen, Leuven, 1999.
63 Curveiller S., « Complémentarités et rivalités… », art. cité, p. 254-255.
64 Chroniques de Froissart, Paris, Éd. Stock, 1997 : « Où pouvons-nous mieux faire nostre plaisir et profit que de entrer en ceste riche frontière de mer, de Bourbourg, de Dunkerque et en le châtellenie de Bergues, de Cassel ? »
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