Porto et les ports secondaires de l’embouchure du Douro à la fin du Moyen Âge
p. 141-146
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Index géographique : France
Texte intégral
1Orlando Ribeiro a montré que le Portugal possédait en moyenne un kilomètre de côte pour 100 kilomètres carrés de superficie et qu’aucun point de l’intérieur du pays n’était distant de plus de 200 kilomètres de la mer1. La côte septentrionale et centrale du Portugal, rectiligne, basse et sablonneuse, est coupée par des estuaires propices au développement de ports. La voie d’eau, qui assurait en outre l’essentiel des communications vers l’intérieur, jouait un rôle important dans l’écoulement des produits d’exportation, notamment agricoles. Le réseau routier et les passages fluviaux au moyen de barques ou de ponts complétaient les liaisons. Tel était le cas du Douro qui, navigable jusqu’à São João da Pesqueira, reliait l’intérieur du pays à la côte atlantique et permettait un transport plus rapide des produits d’exportation, entre autres les célèbres vins du Douro. Depuis les premiers temps de la monarchie portugaise la navigation était active le long de la côte du nord, spécialement dans la région de Porto qui, depuis Sanche Ier, importait des étoffes2.
Géographie portuaire de l’embouchure du Douro
2De l’embouchure du Douro jusqu’à Porto, plusieurs sites ont fixé des activités portuaires (fig. 1). Le premier de ces ports attesté dans les sources écrites est celui de São João da Foz. Une enquête datée de 1258 mentionne que la pêche fluviale se pratiquait à l’embouchure du Douro depuis ce port. Bien qu’éloigné de Porto, São João da Foz relevait de sa juridiction. Il fonctionnait comme une « base de pêche avancée » qui approvisionnait Porto en poissons de l’Atlantique. À proximité de São João da Foz, Bouças s’était par le passé consacré à l’exploitation du sel. Une délibération du conseil municipal de Porto datée de 1392 fait référence à l’existence de salines à Bouças alors disparues du fait de la concurrence du sel importé d’Aveiro et en raison de conflits survenus avec les divers autres ports de la région3.
3En remontant en direction de Porto, les rives du Douro présentaient des criques favorables à l’établissement de communautés de pêcheurs, telle celle de Lordelo. Les habitants de cette petite localité pêchaient dans le fleuve les espèces de rivière et sortaient en mer pour capturer le thon et la baleine. D’autres villages de pêcheurs s’étaient établis sur les deux rives du fleuve. Des problèmes de voisinage entraînaient des disputes entre leurs habitants. Ce fut le cas de Massarelos, village de pêcheurs situé dans Cedofeita, seigneurie épiscopale proche de Porto, qui fut en conflit avec les ports voisins de Gaia et de Vila Nova. À côté des villages de pêcheurs, d’autres sites portuaires se spécialisèrent dans le commerce et la construction navale.
4Près des murs de Porto, Miragaia avait développé des activités portuaires que la commune de Porto prétendait contrôler de manière à éliminer la concurrence avec le propre port de Porto (fig. 2). Pêcheurs et marins se partageaient ce petit port, à partir duquel ils armaient des bateaux pour la pêche ou pour le transport des marchandises. Les charpentiers qui y construisaient et y réparaient les navires étaient renommés4. La chronique de D. João Ier fait référence à l’excellente qualité de leur travail5. La longue plage de Miragaia, proche de la ville tout en étant à l’écart des zones commerciales, accueillait les chantiers navals qui avaient besoin de place. La proximité de la ville de Porto et les excellentes conditions offertes par le port de Miragaia attiraient en ce lieu, pêcheurs, marchands et artisans qui essayaient par la même occasion de se soustraire aux impositions levées à Porto par la municipalité.
5Reboleira constituait un autre lieu d’accostage des navires et un point de vente des marchandises. Le sel qui approvisionnait Porto s’y déchargeait6. Apporté par bateaux, il venait des zones salicoles du sud, notamment d’Aveiro. Ce lieu de transbordement se situait juste avant la douane médiévale qui, stratégiquement, était placée entre Reboleira et Ribeira. L’entrepôt royal, ou douane vieille, achevé de construire en 1354, était à la fois le lieu d’inspection des marchandises et un point de recouvrement des droits7.
6Ribeira ou Rivière, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, était le quartier portuaire et le centre économique par excellence de Porto. En amont, hors les murs de la ville, se trouvait un autre port : Guindais. Un document de 1342 rapporte que les vins devaient y être déchargés. Il s’agissait d’une grève en bordure du fleuve qui offrait de bonnes conditions naturelles pour la manutention des marchandises. Guindais jouait pour les produits d’amont, en particulier pour les denrées agricoles acheminées depuis l’intérieur du pays, un rôle comparable à celui qu’exerçait Ribeira pour les produits et le trafic d’aval.
7Exposé à la concurrence de ces divers ports qui offraient eux aussi des conditions d’accostage et de déchargement favorables, Porto chercha à s’arroger le monopole des échanges et à interdire toute activité commerciale dans les ports voisins. Lorsque le long conflit opposant la ville à son seigneur, l’évêque de Porto, s’acheva au début du xve siècle, la commune avait réussi à développer le port vers le nord et à étendre l’autorité municipale à un vaste secteur autour de la ville8. De manière à mieux contrôler les transactions, le gouvernement communal établit des lieux de vente obligatoires. Ces interdictions étaient cependant régulièrement contournées par les habitants de Porto et des villages des environs. Le 6 juillet 1401, une délibération du conseil municipal révèle que des pêcheurs de Porto ainsi que des localités voisines de Matosinhos et Leça déchargeaient du poisson à Miragaia en violation de l’obligation qui leur était faite de l’apporter à la praça da Ribeira9. Des infractions similaires concernaient le vin. Une délibération municipale de 1393 fait état de la vente illégale de vin sur des barques à Miragaia10.
Aménagements et infrastructures portuaires
8Les références à l’aspect physique des ports de Porto et de sa région sont rares dans les sources écrites médiévales. Les documents n’apportent guère d’informations sur les sites portuaires ni sur les infrastructures telles les installations destinées à la manutention et au stockage des marchandises ou celles employées pour la construction et la réparation des navires. La documentation officielle évoque surtout dans des termes généraux la préoccupation des autorités portuaires pour préserver les installations existantes de la dégradation et pour améliorer les conditions d’exercice de l’activité marchande (accostage des navires, manutention et stockage des marchandises). Les références documentaires consistent essentiellement en des dispositions commerciales, des normes d’utilisation des ports et des mesures relatives aux impôts qui alimentaient les caisses de la ville.
9À proximité de Ribeira, l’encaissement plus marqué de la vallée du Douro imposa la construction d’un mur afin de compenser la raideur de la pente (fig. 2). L’accostage se faisait en approchant les navires de ce quai. La chronique de D. João Ier rapporte que l’on mettait une planche entre leur bord et la terre pour effectuer les opérations de chargement et de déchargement11. La municipalité de Porto portait une grande attention à la préservation de la zone portuaire. Lors de la réunion du conseil de ville du 28 juin 1401, des hommes de la commune firent remarquer que les navires qui s’appuyaient contre la muraille endommageaient celle-ci. En raison de la pression qu’ils exerçaient, le mur risquait de s’abattre à tout moment. La commune ordonna d’enlever les navires sous peine de confiscation et de la vente du bois dont ils étaient construits12.
10La rua dos Mercaderes (rue des Marchands) évoque aujourd’hui encore la fonction économique de Ribeira. Les marchands y avaient leurs demeures. Ils pouvaient surveiller le chargement et le déchargement des navires, dont un certain nombre commerçaient avec la France13. Porto contrôlait le trafic du sel d’Aveiro. La vente de ce produit était interdite à Gaia, à Vila Nova et à Miragaia. Ribeira était aussi le lieu de commercialisation du vin et du poisson. Les délibérations municipales font fréquemment allusion à la présence de pêcheurs vendant le poisson ou le faisant sécher. Un marché se tenait sur la praça da Ribeira, entre la porte du même nom et le débouché méridional de la rua dos Mercaderes14.
11Parmi les autres infrastructures liées au fleuve, la chronique de D. Fernando fait état de la construction d’un pont de barques entre Guindais et Ribeira. Pour faire face à l’invasion du nord du Portugal par les Castillans et s’assurer un franchissement rapide du Douro, D. Fernando fit édifier une large chaussée qui permettait le passage de front de six hommes à cheval15. Par ailleurs, en 1359, deux tours furent bâties sur chaque rive du Douro, l’une à Porto, l’autre à Gaia. Reliées par une chaîne, ce dispositif défensif permettait de barrer le cours du fleuve et de protéger Porto d’une attaque venue de l’aval. À Porto, l’emplacement choisi fut celui d’Arrabam, au lieu-dit du Bicalho. La tour de Gaia lui faisait face sur une section où le lit du Douro se resserrait16. La mise en place de cette chaîne eut pour toile de fond le conflit opposant D. Pedro à Alphonse IV, suite au meurtre d’Inès de Castro, dont Porto fut le théâtre. Elle formait partie d’un dispositif de mise en défense de la ville plus global initié par Alphonse IV, continué par Pedro Ier et achevé sous le règne de D. Fernando. Les murailles dites Fernandines, qui entouraient la ville médiévale jusqu’au fleuve, en étaient la pièce maîtresse17.
12La documentation médiévale révèle quelques aspects de la géographie portuaire de l’embouchure du Douro et éclaire sommairement la topographie du port de Porto à la fin du Moyen Âge. Les documents d’époque moderne (plans, gravures, textes…), plus nombreux et plus précis, permettraient sans aucun doute de compléter et de préciser le tableau. Cette enquête régressive reste à mener.
Notes de bas de page
1 Ribeiro O., Portugal, o Mediterrâneo e o Atlântico, Lisbonne, 1993, p. 123-124.
2 Moreno H. B., A navegação e a actividade mercantil no Entre-Douro-e-Minho, Porto, 1992, separata da Revista da Faculdade de Letras, II Série, vol. 9, 1992.
3 Vereaçõens, Anos de 1390-1395. O mais antigo livro de Vereações do Municipio do Porto existentes no seu Arquivo, Documentos e Memórias para a História do Porto, Magalhães Bastos A. de (éd.), II, Porto, 1937, ano de 1392.
4 Oliveira Ramos L. A. de (dir.), História do Porto, Porto, 2e éd., 1995, p. 135.
5 Lopes F., Crónica de D. João I, Porto, 1990, vol. II, p. 19.
6 Oliveira Ramos L. A. de (dir.), op. cit., p. 135.
7 Ibid., p. 135.
8 Sousa A. de, Conflito entre o bispo e a câmara do Porto nos meados do século xv, Porto, 1983.
9 Vereaçoens. Anos de 1401-1449. O segundo Livro de Vereações do Municipio do Porto existente no seu arquivo. Documentos e Memórias para a história do Porto, Pinto Ferreira J. A. (éd.), XL, Porto, 1980.
10 Vereaçõens. Anos de 1390-1395…, op. cit., p. 187.
11 Lopes F., op. cit., vol. II, p. 19.
12 Vereaçoens. Anos de 1401-1449…, op. cit., p. 11.
13 La France est plusieurs fois citée dans les textes de Vereações.
14 Oliveira Ramos L. A. de (dir.), op. cit., p. 135.
15 Lopes F., Crónica do Senhor Rei Dom Fernando nono Rei destes regnos, Porto, 1989, chap. XXXIV, p. 95, 96.
16 Corpus codicum latinorum et portugalensium corum qui in Archivo Municipali Portucalensi asservantur antiquissimorum. Portucale : Curiae Municipalis editum, 1899-1968, Livro 1° de Pergaminhos, vol. VI, fasc. II, p. 69-72, doc. 53.
17 Oliveira Ramos L. A. de (dir.), op. cit., p. 137-138.
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