Bayonne et le déplacement de l’embouchure de l’Adour d’après l’enquête de 1491
p. 97-117
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Index géographique : France
Texte intégral
1L’embouchure actuelle de l’Adour, à six kilomètres à l’ouest de Bayonne, résulte du percement artificiel du cordon dunaire par l’ingénieur Louis de Foix en 1578 (fig. 1). Elle prit le nom de Boucau-Neuf par opposition à l’ancien débouché, connu dès lors comme le Vieux-Boucau. Or ce dernier résultait lui-même d’un déplacement du cours terminal de l’Adour à la fin du Moyen Âge. Historiens et érudits locaux ont abondamment débattu sur l’emplacement du débouché primitif de l’Adour. Au milieu du xviie siècle, Pierre de Marca le situait au Boucau-Neuf1. Reprenant ce point de vue, Henry Poydenot avança dans la seconde moitié du xixe siècle la chronologie suivante : avant le xiie siècle l’Adour aboutissait au Boucau-Neuf ; du xiie au xvie siècle il se jetait au Vieux-Boucau, jusqu’à ce que les travaux de Louis de Foix le ramènent au Boucau-Neuf2. Au début du xxe siècle, une opinion similaire était défendue par Jean de Croisier : débouché antique au Boucau-Neuf, déplacements successifs au Moyen Âge vers Capbreton puis le Vieux-Boucau, retour au Boucau-Neuf en 15783. Bernard Saint-Jours a vivement contesté de telles opinions4. Selon lui, l’Adour se dirigeait de toute ancienneté vers le nord en longeant à peu de distance le littoral pour rejoindre la mer à hauteur de Capbreton. Le principal argument morphologique en faveur de cette thèse est la présence du gouf de Capbreton au large de la côte. Cette basse vallée fluviale, creusée par l’Adour alors que le niveau marin était très inférieur à l’actuel, fut ensuite ennoyée par la remontée des eaux océaniques.
2S’il est aujourd’hui admis que l’Adour rejoignait primitivement l’Atlantique au gouf de Capbreton, son embouchure s’est déplacée vers le nord avant la fin du xve siècle, comme en témoigne le procès-verbal d’une enquête diligentée 22 juin 1491 par le roi de France Charles VIII à la requête de la municipalité de Bayonne, et menée sur le terrain par Jean de La Barrière, évêque de Bayonne, et Roger de Gramont les 8 et 9 décembre de la même année5. Il s’agit du premier document écrit faisant expressément allusion au comblement de l’ancienne embouchure (ou boucau en gascon) au droit de Capbreton et à l’ouverture naturelle d’un nouveau débouché plus au nord. Empêtrés dans un débat sur la date exacte de l’événement, les historiens bayonnais n’ont prêté qu’une attention distraite à cette enquête dans la mesure où elle fournissait un terminus a quo plus ou moins éloigné selon leurs hypothèses. Rapportée aux informations éparses fournies par quelques documents antérieurs, la description précise de l’état de l’embouchure de l’Adour en 1491 livre des indices intéressants à partir desquels il est possible de comprendre la nature des faits survenus, même si leur datation reste conjecturelle.
Le comblement de l’ancienne embouchure de l’Adour
3Le 8 décembre 1491, Jean de La Barrière et Roger de Gramont s’embarquent à Bayonne à destination de Capbreton :
« Incontinant nous meismes sur l’eaue du Nyve6 entrant en la riviere de l’Adour en deux gros bateaulx pour aller au boucault et autres lieux nommez esd. lectres, et tant pour mener et conduyre lesd. bateaulx que nostre service que autrement pour nous informer du contenu esd. lectres partismes dud. Bayonne accompagnez du nombre de soixante hommes ou environ, et sans nous arrester nous transportasmes au lieu de Capbreton » (f° 1 v°).
4Parvenus sur les lieux, les deux commissaires constatent de visu que l’ancienne embouchure est obstruée par les sables :
« Feismes nostre descendue sur les sables qui sont au devant dudit Capbreton du costé de la grant mer […] nous transportasmes au travers desd. sables jusques aud. Gouf, et en passant regardasmes bien diligemment et a l’ueilh l’eaue doulce qui est du costé dudit Capbreton et aussi l’espace qui contiennent lesd. sables qui sont entre lad. eaue doulce et la grant mer. Et trouvasmes que lesd. sables durent en leur travers environ cinq cens toizes et passez iceulx sables est led. Gouf et toute l’ampleur de la grant mer sallee. Et pour mieulx veoir le tout ensemble montasmes sur une montaigne de sable de laquelle voyons et pouvyons veoir a nostre ayse ladicte grant mer et l’eaue doulce nommée l’Adour et combien duroyent lesd. sables » (f° 1 v°).
5Du haut de la dune, utilisée comme point d’observation, ils distinguent « l’eaue doulce nommée l’Adour », séparée de « la grant mer » et du « Gouf » par des sables. Le comblement semble total et aucune communication avec le gouf n’est signalée :
« En regardant veismes que la mer rompoit grandement sur les bors des sables par tous les quartiers excepté tant seulement en une piece de pays durant environ demye lieue, en laquelle piece elle se monstroit bien paisible ou estoit led. Gouf. Et lors nous demandasmes aux mariniers qui estoient presens que c’estoit que la mer feust plus paisible en ladicte piece de pays plus que aux autres, lesquelz nous respondirent que le lieu ou estoit ladicte paisibilité s’estoit led. Gouf, et est ainsy nommé a cause de la grant perfondeur de l’eaue qui es rives d’icelle partie plus que es autres et que a cause de lad. parfondeur ladicte mer ne rompt ne tempeste comme fait ailleurs et par ceste raison les pescheurs quant leur survyent quelque tempeste en la mer ne peuvent entrer au boucault de Bayonne, se rendent a terre aiseement et sans aucun perilh aud. Gouf. Et pour nous faire apparoir de leur dire nous monstrerent deux petitz bateaulx a pescher qui estoient sur la ryve de la mer retirez a icelluy Gouf et disoient que c’estoit leur reffuge en temps de tempeste » (f° 2)7.
6Deux autres constatations faites sur place plaident en faveur d’une fermeture complète. Une ancienne tour servant d’amer pour entrer dans le boucau se trouve désormais « aupres dudit lieu de Capbreton entre les sables » (f° 2)8. Enfin, les relevés effectués par « Jehan de La Mote et Henry de Lorrayne, maistre[s] maçon[s] des villes et cités de Bayonne et Dax […] geometriens, hommes expers et cognoissans en telz caz » montrent « ladicte eaue doulce plus haulte que la sallee de plus d’un coude » (f° 2).
7Les personnes interrogées sur place attribuent le déplacement du boucau vers le nord à « la grant turmente de la mer » et aux « grans sables » (f° 2 v°). Sans aucune autre forme d’interrogation, historiens et érudits locaux ont mis l’ensablement de l’embouchure au compte d’une grande tempête, dont ils se sont surtout préoccupés de déterminer la date exacte. Cette hypothèse n’est pas satisfaisante pour expliquer l’ampleur du phénomène dans la mesure où elle privilégie un événement unique dans le temps et résultant de la seule action de la mer. Si la mer était capable de refouler les eaux de l’Adour loin à l’intérieur des terres à chaque marée montante, il est difficile de croire qu’elle ait pu à elle seule obstruer l’entrée, compte tenu de l’eff et de chasse pendant le jusant, sauf à y déposer d’un coup un énorme bouchon sableux. L’embouchure primitive de l’Adour, dont tous les témoins en 1491 s’accordent à dire qu’elle se situait au Gouf, est associée dans les sources écrites jusqu’au milieu du xive siècle au toponyme gascon de la Punte9. Cette « pointe » évoque une flèche sableuse ou une langue de terre étirée entre l’Adour à l’est et l’Atlantique à l’ouest, et délimitée au nord par le coude formé par l’embouchure du fleuve. Il est probable que, sous l’effet du courant marin nord-sud qui longe le littoral gascon en y déposant les matériaux déversés au nord par la Gironde et les sables mis en mouvement par les houles, le fleuve ne se jetait pas perpendiculairement à la côte mais incurvait son cours vers le sud comme le montrent les relevés exécutés à la fin du xviiie siècle par les géomètres travaillant pour le compte de François Cassini (fi g. 2)10. Ce phénomène affecta ensuite la nouvelle embouchure percée en 157811. L’accumulation de bancs de sable à l’entrée du boucau et l’infléchissement de l’embouchure vers le sud créaient un frein dynamique qui gênait l’évacuation des eaux fluviales. Selon une évolution morphologique comparable à celle des méandres, l’Adour creusait la partie concave du coude de l’embouchure et alluvionnait dans la partie convexe, celle-la même qui était dénommée la Punte. Tant que l’érosion et l’alluvionnement se sont compensés au niveau du coude et à l’entrée de l’embouchure leboucau est resté ouvert. À partir d’un point de déséquilibre entre ces forces, le fleuve perça le coude et poursuivit sa course vers le nord jusqu’à trouver une nouvelle sortie vers la mer. Si l’on confère à l’Adour un rôle particulier dans le percement du coude de son embouchure primitive, sa force érosive était maximale au moment de l’étale de basse mer ou au début du renversement de la marée12. Des conditions de temps particulières ont pu déclencher ou accélérer le phénomène : tempête (fortes houles apportant des sables à la côte et vents violents de secteur ouest entravant la sortie des eaux du fleuve), crue (augmentation du volume des eaux fluviales leur donnant l’énergie nécessaire pour percer le coude du fleuve et poursuivre leur course vers le nord)13.
8Le gros des eaux de l’Adour s’écoulant par la nouvelle embouchure, l’ancien boucau se ferma progressivement du fait de l’accumulation des sables dans la passe. C’est la situation qui s’offre aux enquêteurs en 1491 avec un niveau des eaux de l’Adour près de Capbreton plus haut d’un coude (environ 50 cm) que celui de la mer. Les indices fournis par les rares documents mentionnant la Punte plaident pour une obstruction progressive du boucau. Le 14 août 1333, suite à une plainte des Bayonnais, Édouard III ordonne au sénéchal de Gascogne alors en fonction de faire respecter une sentence édictée par un de ses prédécesseurs, Jean de Haustede, qui interdisait aux habitants de Labenne, de Capbreton et de Boret de porter ailleurs qu’à la Pointe le poisson pêché en mer14. À cette occasion, il est fait mention des pêcheurs qui entraient dans la mer « per canale de Punt seu per alveolum ». Il existait alors deux accès : le « chenal de la Pointe », comprenons le lit de l’Adour prolongé jusqu’à la nouvelle embouchure du Vieux-Boucau15, et l’alveolus, mot latin que l’on peut traduire par « lit étroit de rivière16 ». Ce dernier correspondait vraisemblablement au moignonatrophié de l’ancienne embouchure près de Capbreton (fig. 2). À partir du milieu du xive siècle, le toponyme « la Pointe » disparaît des sources écrites et l’embouchure de l’Adour est désormais appelée « bocau de la grant mar », « bocau de Bayonne » ou simplement « bocau17 ». La municipalité de Bayonne entendait néanmoins exercer sa juridiction sur le fleuve et les terres qui le bordaient à l’ouest jusqu’à cette nouvelle embouchure. En 1377, elle interdit d’exercer l’office de pilote au boucau sans son autorisation18.
9Pensant à un événement unique, historiens et érudits locaux se sont empêtrés dans un faux débat en voulant dater avec exactitude le déplacement de l’embouchure de l’Adour. Entre autres hypothèses, Bernard Saint-Jours a proposé 1310 ; Masein et J. Thore l’ont situé en 1360 ; l’abbé Gabarra opta pour 1420, tandis qu’Arnauld d’Oihenart le plaçait en 143719. La succession des dates proposées renvoie à un processus de comblement du « bocau de la Punte » plus lent et étalé dans le temps qu’on ne l’avait imaginé. L’ouverture d’un second bras pourrait fort bien dater du début des années 1310. Le 6 octobre 1315, Guillaume-Arnaud de Pouyse plaignait auprès d’Édouard II que le sénéchal des Lannes entravait la juridiction qu’il exerçait sur le Boucau. Comme l’a fait remarquer Bernard Saint-Jours, cette localité située dans la sénéchaussée des Lannes ne pouvait porter ce nom que si l’Adour y arrivait20. D’autre part, en 1328 et 1333, deux accès à la mer sont clairement identifiés : le chenal de la Pointe et un autre bras (alveolus)21. Ensuite, il faut imaginer un ensablement progressif. Les renseignements fournis par l’enquête de 1491 plaident en faveur d’un comblement total dans la première moitié du xve siècle. L’événement était suffisamment proche pour que le souvenir de la situation antérieure ne se soit pas totalement effacé des mémoires des contemporains. Répondant à une requête des Bayonnais, Charles VIII ordonne une information pour voir s’il y a moyen de ramener l’embouchure à son emplacement primitif car « puis naguieres l’entree de lad. grans mer appele[e] le boucault est eslonguee » (f° 1). Les habitants de Capbreton rencontrés par les commissaires lors de l’inspection des lieux le 8 décembre leur confi rment :
« […] qu’il n’avoit pas longtemps, car il y avoit encores gens vivans qui avoient veu led. boucault et havre dudit Bayonne plus pres de deux lieues et demye dudit Capbreton qu’il n’est a present. Et plusieurs d’iceulx quy estoient illecques disdrent qu’ilz avoient oy dire a leurs peres qu’ilz avoient oy dire a leurs autres peres que led. boucault souloit estre anciennement aud. Gouf » (f° 1 v°-2).
10Enfin, les Bayonnais et les Capbretonnais interrogés à titre de témoins le 9 décembre font état d’une précédente enquête au temps de Charles de Guyenne pour « reffaire et remuer led. boucault et havre aud. lieu » (f° 2 v°). Connu par cette unique mention, le projet ne put voir le jour qu’entre la prise de possession de l’apanage par Charles de France (mai 1469) et la mort du duc (mai 1472), après laquelle il fut abandonné22. Quelque 20 ans avant l’enquête de 1491, on s’était déjà enquis de la possibilité d’ouvrir le boucau ensablé à hauteur de Capbreton. C’est parmi les archives anglaises inédites du dernier quart du xive siècle et de la première moitié du xve, notamment les rôles gascons, qu’il faudrait chercher d’éventuels indices de ce comblement. Replacés dans un contexte plus général, ces avatars prennent parfaitement place parmi les incidents climatiques récurrents qui affectent l’Europe à partir du début du xive siècle, notamment sa façade atlantique23.
Du déplacement naturel de l’embouchure au projet de remuement artificiel
11Reprenant selon toute vraisemblance la teneur de la requête bayonnaise, les lettres de commission de Charles VIII permettent d’entrevoir la situation créée par le déplacement de l’embouchure de l’Adour :
« Puis naguieres l’entree de lad. grans mer appelle[e] le boucault est eslonguee et l’eau doulce desd. rivieres espandue par les sables tellement que lesd. rivieres ne sont la moictié si creuses et parfondes ne disposees a porter navires comme elles souloient anciennement, car lesd. rivieres doulces portoient navyres de sept a huyt cens tonneaulx et a present a grant peine peuvent porter navires de quatre vings tonneaulx, et encores fault que ce soyt en beau temps et bon vent » (f° 1).
12La première conséquence tangible du déplacement de l’embouchure est l’allongement du cours du fleuve de 2,5 à 3 lieues selon les dires des témoins24. À raison de 5 819 mètres la lieue gasconne, Bernard Saint-Jours a montré que cette distance correspondait exactement à celle qui séparait le chenal actuel de Capbreton de celui de Port-d’Albret (appellation contemporaine du Vieux-Boucau)25. Il est d’autre part fait mention d’un étalement des eaux dans les sables et d’une forte réduction de la profondeur du chenal de navigation, capable de porter seulement des navires de 80 tonneaux par beau temps. L’allongement du cours de l’Adour eut pour effet de ralentir son débit alors que le fleuve devait se frayer une sortie vers la mer plus au nord. Les eaux, qui n’avaient pas la force suffi sante pour aff ouiller profondément le nouveau lit, se répandirent en surface dans les sables. L’allusion à des navires de 700 à 800 tonneaux, qui auparavant remontaient l’embouchure jusqu’à Bayonne, relève d’une exagération manifeste compte tenu des caractéristiques des navires susceptibles de fréquenter ce port à la fi n du Moyen Âge. La réduction de la navigabilité à des navires de moins de 80 tonneaux peut elle aussi passer pour une exagération en sens contraire. Au regard d’une jauge de 50 à 100 tonneaux pour les unités fréquentant habituellement le golfe de Gascogne, elle est cependant moins sujette à caution. Le 29 juillet 1307, quelques années avant le déplacement de l’embouchure, la municipalité de Bayonne avait enjoint aux charpentiers de navires de ne construire que des unités supérieures à 100 tonneaux26. En 1451, l’attaque française contre Bayonne fut soutenue par 600 Biscayens répartis sur 11 pinasses et « une grande nave », qui « arriverent a une demie lieue pres de Bayonne afin que ceulx qui estoient dedens la ville ne s’en peussent fouir par eau27 ». Ce sont donc principalement des navires de faible tonnage qui participèrent au blocus. En 1491, Jean de La Barrière et Roger de Gramont déclarent s’embarquer sur « deux gros bateaux » avec les 60 personnes qui les accompagnent (f° 1 v°). On ignore s’il s’agissait de navires de mer ou de rivière (couraus). Tout porte cependant à croire que ces unités étaient d’un tonnage modeste.
13La réduction drastique de la navigabilité du cours inférieur de l’Adour constituait une sérieuse une menace économique pour le commerce maritime bayonnais, même si les sources écrites locales ne nous laissent deviner les difficultés qu’à partir de la fi n du xve siècle. Les autorités municipales constatent régulièrement le manque d’eau qui empêchait les navires de mer de remonter jusqu’à Bayonne. Le 20 juin 1481, le lieutenant du maire donna congé à Gabriel Biroche, maître de la Marie de Talmont sur Jart (Vendée), pour charger « au loc de Capbreton lo nombre de XIIII miles de geme et resine28 ». Le 2 octobre 1482, la municipalité se réunit pour délibérer « sus la cargueson de vins qui se carguen au loc de Capbreton ». Il s’agissait de navires anglais et bretons qui chargeaient sans payer les droits dus à la ville. Les magistrats bayonnais décidèrent de réclamer les droits accoutumés « a tot los mestes et marchants de totz los nabius qui son bretons o angles » et, en cas de refus, d’employer la force en envoyant « dus o tres coraus barbotats per prene los bachets et biens et mestes et marines29 ». Le déclin du trafic bayonnais est en revanche perceptible à travers les sources bordelaises30. L’accès à leur port devenant de plus en plus diffi cile, les Bayonnais pouvaient craindre que le Vieux-Boucau et surtout Capbreton ne tirent profit de cette situation pour accaparer le trafic au détriment de leur ville.
14Ils s’inquiétèrent des conséquences économiques néfastes pour leur ville auprès de Charles VIII :
« Par lad. mer eslonguee et rivieres doulces espandues par les sables ledit havre devenoit en ruyne et leurd. ville desolee et deppopulee et l’entrecours de marchandise discontinué et que sans la marchandise ladicte ville ne eulx ne se pevent entretenir » (f° 1).
15La « reffection et remuement dudit boucault et havre » devait non seulement redynamiser le port de Bayonne mais aussi rendre à la ville son rayonnement économique régional :
« Pour la grant affluence des marchandises qui viendront a lad. ville et cité de Bayonne et autres villes et lieux circumvoisins d’icelle […] les pays des seneschaucees des Lannes, de Basadoys, d’Agennoys, d’Armaignac, de Bigorre, de Bearn, de Tholose, de Carcassonne jusques a Montpeslier et les pays de Marsan et Gavardan pour les marchandises qui sont esd. pays comme sont vins, blez, pastelz, rousines, mielz, fer, laynes, tables de pin a faire navyres et vaisseaulx, car en tous lesd. pays ou en la pluspars d’iceulx y a rivieres subalternes a ladicte riviere de l’Adour, laquelle est ressortissant a lad. grant mer et que par ce moyen lesd. marchandises et autres desd. pays se despaicheront mieulx » (f° 3).
16Très flatteuse pour Bayonne – qui cherche à appâter le roi en faisant miroiter les dividendes fiscaux de l’opération – cette description de l’aire d’influence bayonnaise contient cependant une large part de vérité31. Les deux enquêteurs aboutirent aux mêmes conclusions et, dans leur rapport, mirent davantage l’accent sur l’intérêt économique de l’opération que sur les avantages militaires d’un renforcement de la position de Bayonne comme place forte à la frontière avec la Castille32.
17Pour comprendre les travaux projetés en 1491, il faut tenter de cerner la topographie des lieux. Dans un article paru en 1929 et complété en 1930, René Cuzacq a proposé une restitution cartographique précise du tracé de l’ancien lit de l’Adour33. À l’origine, après avoir dépassé Bayonne, le fleuve infléchissait son cours vers le nord à hauteur du Boucau actuel. Il empruntait sur seize kilomètres environ une dépression située à l’arrière du cordon dunaire. Les étangs actuels de Garros et de La Pointe correspondraient à d’anciens méandres. Si tel est bien le cas, il faut penser qu’ils auraient été en quelque sorte « fossilisés » après l’assèchement définitif de l’ancien cours au xviiie siècle. Peu après Capbreton, l’Adour obliquait vers l’ouest pour aller se jeter dans l’océan. Toujours selon René Cuzacq, il présentait une sorte de diverticule vers le nord (actuel étang d’Hossegor). Lorsque le fleuve poursuivit son cours vers le nord, il se fraya un chemin entre les dunes littorales à l’ouest et les dunes intérieures à l’est (montagne de Seignosse), jusqu’à rencontrer, seize kilomètres plus loin, le déversoir de l’étang de Souston, dont il emprunta le lit pour gagner l’océan. L’Adour avança encore de deux kilomètres vers le nord, ennoyant la rade de Moïssan (actuel étang de Moïssan), sorte de pendant de celle d’Hossegor avant le changement d’embouchure. Cette dépression se repère parfaitement sur les cartes levées à la fin du xviiie siècle par les ingénieurs travaillant pour le compte de François de Cassini, qui la mentionnent comme étant l’« ancien lit de l’Adour34 ». La restitution proposée par René Cuzacq paraissant sur certains points très hypothétiques, nous avons pris le parti d’adopter le tracé figurant sur la feuille Bayonne (n° 101) de la Carte de la France de Cassini (fig. 1 et 2).
18En 1491, l’idée de « reffaire et remuer led. boucault et havre dud. Bayonne aud. lieu » de Capbreton n’était pas nouvelle. Une première enquête au temps du duc Charles de Guyenne avait déjà conclu à sa faisabilité et estimé la dépense « de dix huict a vingt mille escuz » (f° 2 v°-3). Tout porte à croire que les Bayonnais, avant d’adresser leur requête à Charles VIII, se s’étaient enquis par eux-mêmes de la faisabilité du projet :
« Lesd. Supplians […] ont fait veoir et visiter par gens en ce cognoissans si led. boucault se pourroit reffaire et mectre sus, et ont trouvé que facillement il se peult faire et pourroict porter lesdictes rivieres aussi grans navires qu’ilz firent oncques » (f° 1).
19Les commissaires royaux devaient vérifier la faisabilité et l’intérêt de ces travaux35. Ainsi pourrait s’expliquer la présence à Bayonne de Blaise de Dalmatie, franciscain natif de Hongrie, porteur de lettres attestant qu’il avait participé à la déviation du Rhin près de Neubourg (f° 2 v° et f° 3).
20Après avoir examiné la configuration des lieux, les experts présents conclurent à la possibilité du détourner l’Adour. Les relevés d’altitude eff ectués par « Jehan de la Mote et Henry de Lorrayne, maistre[s] masson[s] des villes et cités de Bayonne et Dax […] geometriens, hommes expers et cognoissans en telz caz » montrent que « ladicte eaue doulce [est] plus haulte que la sallee de plus d’un coude » (f° 2 v°). La faible distance séparant l’Adour de la mer et à l’absence d’obstacle naturel majeur, combinées à la dénivellation, devaient faciliter l’entreprise :
« Car de la riviere de l’Adour et eaue doulce jusques a la mer sallee et le lieu appellé le Gouf […] n’a pas grant distance et n’y a que environ de quatre a cinq cens brasses d’espace et d’autre part n’y a que sable entre deux, lequel l’eaue d’elle mesmes incontinant que aura prins chemyn en menera icelluy sable et fera son passaige jusques a ladicte grant mer pour ce que n’y a point de roche ne terre dure ne montaigne » (f° 2 v°).
21Grâce à l’expérience acquise dans le détournement du Rhin à Neubourg, frère Blaise de Dalmatie faisait figure d’autorité en la matière36. Il s’agissait de commencer à percer les 400 à 500 brasses de sable obstruant l’embouchure, afin que le fleuve, par sa propre inertie, achève le dégagement. Le coût des travaux, estimé à 20 000 écus, reprenait la fourchette haute de l’évaluation faite au temps de Charles de Guyenne (f° 3 v°). Personne ne semblait alors mettre en doute le succès de l’entreprise.
22Avant d’adresser leur rapport au roi, Jean de La Barrière et Roger deGramont prirent le soin de le faire contresigner par Étienne Makanam, maire de Bayonne, réputé bien connaître les lieux pour avoir été « maintesfoys au lieu de Capbreton, au Boucau et parties dessus nommees ». Absent au moment de l’enquête, celui-ci confirma le 25 janvier 1492 l’avis favorable qu’ils avaient donné (f° 3 v°). En avril 1494, Charles VIII ordonna de rouvrir le boucau au gouf de Capbreton37. Une très longue épreuve commençait alors pour les Bayonnais. En conflit avec les habitants de Capbreton, ils renoncèrent à la réouverture de l’ancienne embouchure et optèrent en 1561 pour le percement d’un nouveau boucau plus proche de leur ville, projet dont ils ne virent l’aboutissement qu’en 1578 au prix d’incessants tracas et de lourds sacrifices financiers.
Annexe.
Archives communales de Bayonne, DD 1 (2) 22 juin 1491-25 janvier 1492 n. st.
23Procès-verbal de l’enquête ordonnée le 22 juin 1491 par Charles VIII pour savoir s’il était possible et utile de ramener l’embouchure de l’Adour près de Capbreton, et réalisée les 8 et 9 décembre suivants par Jean de La Barrière, évêque de Bayonne, et Roger de Gramont.
24Cahier parchemin, 4 feuillets, 28 cm x 36 cm.
25[f° 1] L’an de garce mil quatre cens quatre vings et unze et le huitiesme jour du moys de decembre, a nous, Jehan de La Barriere, docteur es droictz, esleu et confermé en evesque de Bayonne38, et Rogier de Grantmont39, seigneur dudit lieu, conseillier et chambellan du roy nostre seigneur, commissaires de par led. seigneur depputez en ceste partie, en absence de honnorez et saiges hommes messire Guillaume Le Brun, chivalier et juge maige de Tholose, et Stienne Makanan40, maistre d’ostel dudit seigneur et maire dudit Bayonne, noz compaignons, et comme commissaires lesquelz estoient absens dudit Bayonne et pays d’environ, nous furent presentees les lectres royaulx de nostred. commission de la partie du maire, soubzmaire, eschevinx, jurez et conseilh dudit Bayonne par les mains de honnoré homme et saige maistre Jehan Peritz de Segure, bachelier en decrectz, clerc ordinaire de lad. ville et cité de Bayonne, impectrees par la partie desdits eschevinx, conseilh, manans et habitans dudit Bayonne touchant la reffection et remuement du boucault et havre d’icelle ville, desquelles lectres de commission la teneur s’ensuyt de mot a mot.
26Charles, par la grace de Dieu roy de France, a noz amez et feaulx conseilliers maistres Jehan de Barriere, esleu, confermé a l’evesché de Bayonne, Rogier, seigneur de Grantmont, nostre chambellan, Guillaume Le Brun, chevalier, juge maige de Tholose, et Estienne Makanan, nostre maistre d’ostel et maire dudit Bayonne, salut et dilection. Noz tres chiers et bien amez les eschevinx, conseilh, bourgeoys, manans et habitans de nostre ville et cité de Bayonne nous ont fait dire et remonstrer par leurs deleguez, qu’ilz ont naguieres envoyez devers nous, que d’ancienneté nostred. ville et cité estoit fort bonne et marchande a l’occasion du havre d’icelle, et que par les rivieres du gave de l’Adou[r] et la Nyve, qui sont grosses, navigables et passans dedens et joignans les murailles de nostred. ville et qui chieent ensemble en la grant mer aupres de Capbreton troys lieues au dessoubz de lad. ville et cité, le flot de lad. mer rangorge audit lieu de Bayonne et encores au dessus grant pays. Et par le moyen desd. rivieres et flos de mer plusieurs marchans, tans noz subgectz que estrangiers, venoyent avecques leurs navyres marchander audit lieu de Bayonne, et estoit alors nostred. ville si peuplee de gens, maisons et navyres qu’elle tenoit en craincte et contraignoit tout le pays de la coste d’Espaigne jusques en Portugal a luy faire tribut. Mais puis naguieres l’entree de lad. grans mer appelle[e] le boucault est eslonguee et l’eau doulce desd. rivieres espandue par les sables tellement que lesd. rivieres ne sont la moictié si creuses et parfondes ne disposees a porter navires comme elles souloient anciennement, car lesd. rivieres doulces portoient navyres de sept a huyt cens tonneaulx et a present a grant peine peuvent porter navires de quatre vings tonneaulx, et encores fault que ce soyt en beau temps et bon vent. Par quoy lesd. supplians, congnoissans que par lad. mer eslonguee et rivieres doulces espandues par les sables ledit havre devenoit en ruyne et leurd. ville desolee et deppopulee et l’entrecours de marchandise discontinué et que sans la marchandise ladicte ville ne eulx ne se pevent entretenir, desirans la ressourse d’icelle, ont fait veoir et visiter par gens en ce cognoissans si led. boucault se pourroit reff aire et mectre sus et ont trouvé que facillement il se peult faire et pourroict porter lesdictes rivieres aussi grans navires qu’ilz firent oncques sans grans fraiz et despens ausquelz lesd. exposans d’eulx mesmes, obstant leur pouvreté, ne pourroyent fournir, en nous humblement requerant que actendu ce que dit est et affi n que nostred. ville se reppeuple et mecte sus et que les marchans et navyres de Normandie, Guienne et autres noz subgectz y puissent estre retirez en seureté et sans craincte d’Espaignolz ne autres estrangiers, et aussi que lesd. exposans et habitans du pays environ soient plus enclins a faire faire de gros navyres pour nous en servir, tant en guerre que paix, nostre plaisir soit leur estre sur ce par nous pourveu de noz remede et provision convenables. Pour quoy nous, ce consideré, desirans le bien et augmentacion de nostred. ville et qu’elle se reppeuple et mecte sus, et lesd. exposans en tous leurs faiz et aff aires estre favorablement traictez pour la bonne et ferme loyaulté qu’ilz ont demonstré par effect avoir envers nous, feu nostre tres chier seigneur et pere, que Dieu absoille, et autres noz predecesseurs roys pour ces causes et autres a ce nous mouvans, et par l’advis et deliberation des princes et seigneurs de nostre sang et gens de nostre conseill et de noz finances estans lez, nous voulons et vous mandons tres pressement et [f° 1 v°] aux deux de bons en l’absence des autres en commectant si mestier est par ces presentes que incontinant et a toute diligence vous transportez aud. boucault et autres lieux que besoing sera, et illec appellez gens expers et cognoissans, voyez, visitez et diligemment regardez si la reff ection dudit havre de Bayonne est facille a faire, quelz fraiz il y conviendra faire et frayer, et aussi si, actendu la disposition du temps ou nous sommes de present, quant ores les choses se trouveroient facilles, s’il est expedient pour le bien de nous et la seureté de nostred. ville reffaire et repparer led. havre ou non et quelz pays admenderont a cause de lad. reffection. Pour de ce que y aurez fait et trouvé ensemble de voz advis en la matiere le tout renvoyer a nous et a noz amez et feaulx conseilliers les gens de nostred. grant conseilh et de noz finances pour, apres les choses veues, y estre par nous pourveu et donnee provision telle que au cas appartiendra. Car ainsi nous plaist il estre fait de ce faire aux deux de bons en l’absence des autres comme dit est, avons donné et donnons comme dit est plain povoir, auctorité, commission et mandement especial, mandons et commandons a tous noz justiciers, officiers et subgetz que a vous et deux de bons en ce faisant soit obey et entendu diligemment.
27Donné a Montilz les Tours le vingt deuxiesme jour de juing, l’an de grace mil quatre cens quatre vings et unze et de nostre regne le huitiesme. Ainsi signé par le Roy, monseigneur le duc d’Alençon, les comtes de Montpencier, d’Elbret, vous [sic], l’evesque de Luçon, l’admyral, les sires de Grimault, du Plessis Bourré et plusieurs autres presens parent[s], nous requerans que voulsissions proceder a l’execcution d’icelles. Lesquellesd. lectres nous, commissaires susdits, en l’absence des autres, receusmes en tout honneur et reverence, et apres reception par nous faictes d’icelles en feismes faire lecture publicque en nostre presence. Et apres la publicacion d’icelles et entendu ladicte requeste et contenu esd. lectres, voulans obeyr aux commandemens dudit seigneur ainsi qu’il est raison, tout incontinant nous meismes sur l’eaue du Nyve entrant en la riviere de l’Adour en deux gros bateaulx pour aller au boucault et autres lieux nommez esd. lectres. Et tant pour mener et conduyre lesd. bateaulx que nostre service que autrement pour nous informer du contenu esd. lectres, partismes dud. Bayonne accompagnez du nombre de soixante hommes ou environ et sans nous arrester nous transportasmes au lieu de Capbreton nommé esd. lectres. Et pour ce que trouvasmes le temps bien disposé feismes nostre descendue sur les sables qui sont au devant dudit Capbreton du costé de la grant mer. Et illecques inquisicion par nous faicte sur le contenu esd. lectres et s’il avoit illecques aucun lieu compectant ung plus que autre a faire et remuer led. boucault et havre feusmes certiffiez par les habitans dudit lieu de Capbreton qui estoient venuz au devant de nous en grant nombre que passez lesd. sables et en la part de la grant mer il y avoit ung lieu nommé le Gouf, lequel est le plus perfont lieu de la mer qu’on saiche de cest cote, auquel selon la commune renommee des anciens anciennement souloit estre l’entree de la mer de la riviere de l’Adour et le boucault et havre dudit Bayonne. A cause de quoy, avec nostre compaignie nous transportasmes au travers desd. sables jusques aud. Gouf, et en passant regardasmes bien diligemment et a l’ueilh l’eaue doulce qui est du costé dudit Capbreton et aussi l’espace qui contiennent lesd. sables qui sont entre lad. eaue doulce et la grant mer, et trouvasmes que lesd. sables durent en leur travers environ cinq cens toizes et passez iceulx sables est led. Gouf et toute l’ampleur de la grant mer sallee. Et pour mieulx veoir le tout ensemble montasmes sur une montaigne de sable de laquelle voyons et pouvyons veoir a nostre ayse ladicte grant mer et l’eaue doulce nommée l’Adour et combien duroyent lesd. sables. Et apres que eusmes bien regardé autour et enquis combien il y avoit que led. boucault et havre s’estoit gasté et remué jusques au lieu ou il est a present, nous fut illecques rapporté par plusieurs anciens dudit pays qu’il n’avoit pas longtemps car il y avoit encores gens vivans qui avoient veuled. boucault et havre dudit Bayonne plus pres de deux lieues et demye dudit Capbreton qu’il n’est a present. Et plusieurs d’iceulx quy estoient illecques disdrent qu’ilz avoient oy dire a leurs peres qu’ilz avoient oy dire a leurs autres peres que led. boucault souloit estre anciennement aud. Gouf et illecques prenoit [f° 2] tout droit son entree ladicte eaue doulce a ladicte grant mer, par ou les navires montoient jusques a ladicte ville et cité de Bayonne et descendoient dudit Bayonne jusques a ladicte grant mer. Et combien qu’il feust en yver et la grant mer rompist ainsi qu’elle a acoustumé de faire chacun an en ceste saison, toutesfoiz il n’y avoit point de tempeste de vent a cause de quoy le temps estoit paisible et nous pouvyons bien veoir de lad. montaigne a quatre ou cinq lieues autour de chacun costé. Et en regardant veismes que la mer rompoit grandement sur les bors des sables par tous les quartiers excepté tant seulement en une piece de pays durant environ demye lieue, en laquelle piece elle se monstroit bien paisible ou estoit led. Gouf, et lors nous demandasmes aux mariniers qui estoient presens que c’estoit que la mer feust plus paisible en ladicte piece de pays plus que aux autres. Lesquelz nous respondirent que le lieu ou estoit ladicte paisibilité s’estoit led. Gouf et est ainsy nommé a cause de la grant perfondeur de l’eaue qui es rives d’icelle partie plus que es autres et que a cause de lad. parfondeur ladicte mer ne rompt ne tempeste comme fait ailleurs, et par ceste raison les pescheurs, quant leur survyent quelque tempeste en la mer ne peuvent entrer au boucault de Bayonne, se rendent a terre aiseement et sans aucun perilh aud. Gouf. Et pour nous faire apparoir de leur dire nous monstrerent deux petitz bateaulx a pescher qui estoient sur la ryve de la mer retirez a icelluy Gouf et disoient que c’estoit leur reffuge en temps de tempeste. Et apres interrogasmes en oultre lesd. mariniers qui estoyent illecques en grant nombre de gens, tant de ladicte ville de Bayonne que lieu de Capbreton et ailleurs, s’il leur estoit advis qu’il eust illecques lieu plus propice ung que autre a faire et remuer led. boucault et havre, lesquelz nous disdrent tous d’un accord qu’il n’y avoit lieu plus propice que led. gouf et que ilz creoient et cuidoyent fermement qu’il avoit esté illecques de son premier commancement ainsi qu’ilz avoient oy dire a leurs predeccesseurs et ancestres. Et en signe de ce nous monstrerent une tour en façon de pillier qui est aupres dudit lieu de Capbreton entre les sables, toute massize hediffi ee au droict dudit gouf, dont disoient lesd. mariniers que les mariniers estans sur la mer voulans entrer audit boucault et havre de Bayonne prenoient enseigne dudit boucault et havre de Bayonne a lad. tour, laquelle estoit aussi ancienne qu’il n’estoit memoire de son hediffice par memoire de homme vivant ne autrement. Et apres interrogasmes s’il y avoit aucun qui eust regardé alinyer laquelle eaue estoit plus haulte la doulce ou la mer sallee, et trouvasmes par le rapport de maistre Jehan de La Mote, maistre masson des villes et citez de Bayonne et Dax, et Henry de Lorrayne41, geometriens, hommes expers et cognoissans en telz cas, qu’ilz avoient mesuré les haulteurs desd. eaues en compaignie de plusieurs aultres et disoient qu’ilz trouvoyent ladicte eaue doulce plus haulte que la sallee de plus d’un coude. A cause de quoy leur sembloit que c’estoit grant ayde a reffaire et remuer led. boucault et havre de Bayonne aud. lieu. Et apres plusieurs collocucions par nous faictes avecques plusieurs gens de bien estans sur led. lieu touchant ladicte matiere, veismes et regardames et considerasmes toutes les circonstances du fait et nous fut et est advis que led. boucault et havre se peult reffaire et remuer facillement audit lieu et rendre si bon et util qu’il fut jamais. Et en conférant de plusieurs faiz touchant lad. matiere retournasmes au travers desd. sables jusques a nosd. bateaulx qui estoient sur le bort de lad. eaue doulce nommee l’Adour et nous montasmes et chargeasmes en iceulx et nous allasmes retirer aud. lieu de Capbreton ou nous demeurasmes la nuict.
28Et le lendemain de matin, qui fut neufiesme jour dudit moys ensuyvant, apres ce que nous, commissaires susd., eusmes oy messe aud. lieu de Capbreton, feismes assembler certain grant nombre de gens dudit lieu de Capbreton pour debatre sur lad. matiere et pour avecques eulx nous informer du contenu esdictes lettres de nostred. commission, et combien qu’ilz feussent en grant nombre toutesfoiz leur dismes qu’ilz se retirassent devers nous tant seulement jusques au nombre de unze personnaiges des plus reccans et anciens d’iceulx, ce qu’ilz firent. C’est assavoir Jehanicot de Brutaillhs, maistre George du Vinhau, Jehanicon Laurens, Jammes du Courdiau, Menjolet de Gardiu, Esteven deu Vert, Jehan deu Balenquey, Ramond de La [f° 2 v°] Begorre, Esteven de Manac, Sancho de Biarrotte et Jehan de Montausé, les tous natifz, manans et habitans dudit lieu de Capbreton, nourriz de leur enffance audit boucault de Bayonne, mariniers, gens expers et congnoissans en fait de mer et mesmement sur les rives dudit boucault et havre de Bayonne. Et ce fait, les feismes jurer et depuis certains autres cy dessoubz nommez par diverses foys, tant bourgeoys, marchans que mariniers, gens expers et conoissans en telz cas et en fait de mer, habitans dudit Bayonne et d’ailleurs, l’un ampres l’autre aux sainctz Euvangiles nostre Seigneur par eulx et chacun d’eulx de leurs mains dextres corporellement touchez, de dire et depposer bonne et pure verité sur ce que par nous seroyent interrogez de et sur le contenu ausd. lectres de commission, c’est assavoir Jehan de Sabalre, Bonifface de Lagreu, Bernard de Bidart, Bernadon de Lehet, Martinon Duhalde, Guilhem Arnaud de Pabon, Johannoyes Duhart, Mengonyn deu Balaguey, Peyrot de Cambo, Menjolet de Favas, Bernardon de Labbat, Johanicot de Gorricho, Jehanicon de Guilhanguo, Meyonnyn de La Seaulve, hommes cognoissans aud. boucault et au fait de la mer et hediffices d’icelle, maistre Jehan de La Motte et Henry de Lorrayne, geometriens et maistres massons des euvres des esglises cathedralles de Bayonne et Dax, expers et cognoissans en telz cas, et aussy religieux homme, frere Blayse de Dalmassio, moyne de l’ordre de sainct Benoist, natif de la ville d’Arragoux au royaume de Ungrie, homme expert et cognoissant a virer et tourner rivieres aussi a present habitans en lad. ville et cité de Bayonne. Lesquelz dessus nommez disdrent et depposerent par diverses foys en turme apres serement par eulx fait comme dit est de et sur le contenu esdictes lectres de commission ainsi et par la forme et maniere qu’il s’ensuyt.
29Et premierement, interrogez s’il est chose facille de reffaire et remuer led. boucault et havre de Bayonne au lieu ou nous avantd. commissaires feusmes le jour d’yer, lesquelz disdrent et depposerent par leurd. serement que led. boucault et havre est bien facille a reffaire et remuer aud. lieu et sans grant difficulté se pourra remuer et reffaire. Et rendent raison de leur dire car ilz ont oy dire que led. boucault et havre de Bayonne au temps passé estoit plus hault et plus pres dudit Bayonne que n’est led. lieu et maintenant est plus bas de troys lieues ou environ que led. lieu. Et aussi car de la riviere de l’Adour et eaue doulce jusques a la mer sallee et le lieu appellé le Gouf ou est la plus grant parfondeur de la mer qu’on saiche de cest cote a l’endroit dudit lieu ou nous, commissaires susd. avons esté le jour precedent n’a pas grant distance et n’y a que environ de quatre a cinq cens brasses d’espace et d’autre part n’y a que sable entre deux, lequel l’eaue d’elle mesmes incontinant que aura prins chemyn en menera icelluy sable et fera son passaige jusques a ladicte grant mer pour ce que n’y a point de roche ne terre dure ne montaigne. Et disdrent en oultre la pluspart d’eulx que audit lieu anciennement souloit estre et avoit esté led. boucault et havre, mais la grant turmente de la mer et les grans sables l’ont eslongué et fait plus bas et jusques la ou il est de present. Et a l’endroit dudit lieu pour signiffi er que led. boucault et havre avoit esté audit lieu anciennement y avoit une grant et haulte tour du costé de Capbreton pour monstrer aux mariniers estans sur la mer voulans entrer aud. boucault et havre de Bayonne que led. boucault et havre estoit aud. lieu. Et disdrent en oultre lesd. de Capbreton que si du costé de la mer avoit une ville ou deux que ilz auseroyent bien entreprendre de faire passer l’eaue de la riviere de l’Adour devers la mer audit lieu pour faire ung moulin pour le gaing et prouffit qu’ils panseroient avoir dudit moulin mais qu’ilz eussent de l’argent.
30Interrogez quelz fraiz il conviendroit fayre et frayer a reffaire et remuer led. boucault et havre dudit Bayonne aud. lieu, disdrent par leurd. serement que sur ce ilz ne sauroient bonnement depposer, mais bien disdrent que vivant feu monseigneur de Guienne, derrenier trespassé a qui Dieu pardonit, envoya certains commissaires sur led. lieu pour savoir quelz fraiz il fauldroit faire a reff aire [f° 3] et remuer led. boucault et havre de Bayonne audit lieu et combien il cousteroit a reffaire et remuer audit lieu. Lesquelz commissaires tractans entre eulx de la matiere disdrent qu’il cousteroit et fauldroit frayer a reffaire et remuer led. boucault et havre aud. lieu de dix huyt a vingt mil escutz. Mais ne fut reffaict ny remué pour ce que monseigneur de Guienne alla peu de temps apres de vie a trespas.
31Interrogez si, veue la disposicion du temps qui a present court, ladicte reffection et remuement dudit boucault et havre audit lieu estoit expediente, tant pour le bien du roy, seureté et garde de lad. ville et cité de Bayonne que des pays environ, disdrent par leurd. serement que lad. reffection et remuement dud. boucault et havre de Bayonne audit lieu, actendue la disposicion du temps qui couroit, estoit expediente et neccessaire car icelluy fait lad. ville et cité de Bayonne en seroit plus forte. Et quant a lad. ville adviendroit quelque neccessité ou inconvenient des ennemys du Roy, nostre seigneur pourroit mieulx envoyer secours a lad. ville des pays de Normandie, Bretaigne, Guienne et autres ses pays qu’il ne feroit si led. havre et boucault ne se reffaisoit et remuoit ne que feroit a present si le cas y escheoit. Et aussi que ladicte ville et cité de Bayonne, lieu de Capbreton, Sainct Jehan de Lux et autres lieux circumvoisins se reppeupleront tant de gens que de navires et qu’il n’y a nul dangier que lad. ville de Bayonne puisse estre prinse par mer. Et disdrent qu’ilz avoient oy dire a leurs ancestres que au temps que ledict boucault et havre estoit audit lieu, ladicte ville et cité de Bayonne tenoit en subgection toute la coste d’Espaigne jusques a La Couloigne42 et en Portugal a luy faire tribut. Et aussi disdrent que a cause de la reffection et remuement dudit boucault et havre es deniers du Roy en admenderont de beaucop pour la grant affluence des marchandises qui viendront a lad. ville et cité de Bayonne et autres villes et lieux circumvoisins d’icelle.
32Interrogez quelz pays admenderont a cause de lad. reffection et remuement dudit boucault et havre de Bayonne aud. lieu et quel prouffi t sera led. remuement, disdrent que a cause d’icelluy ladicte ville et cité de Bayonne en admendera de beaucop et aussi les pays des seneschaucees des Lannes, de Basadoys, d’Agennoys, d’Armaignac, de Bigorre, de Bearn, de Tholose, de Carcassonne jusques a Montpeslier, et les pays de Marsan et Gavardan pour les marchandises qui sont esd. pays, comme sont vins, blez, pastelz, rousines, mielz, fer, laynes, tables de pin a faire navyres et vaisseaulx, car en tous lesd. pays ou en la pluspars d’iceulx y a rivieres subalternes a ladicte riviere de l’Adour, laquelle est ressortissant a lad. grant mer, et que par ce moyen lesd. marchandises et autres desd. pays se despaicheront mieulx a cause de ladicte reffection et remuement dudit boucault et havre que ne font a present.
33Et ledict frere Blayse de Dalmassio dist que autresfoiz il avoit remué et retourné plusieurs rivieres et fleuves qui estoient plus difficilles a retourner et remuer que ladicte riviere de l’Adour et boucault de Bayonne et mesmement la riviere du Rin passant par la ville de Neufbourg autrement dicte Neufve cité, et que si n’eust esté led. remuement par luy fait de lad. riviere du Rin ladicte ville de Neufbourg, autrement dicte Neufve cité, pour la grant affluence des eaues estoit en dangier d’estre perye et nayee. Mais il monstra et enseigna la façon et maniere aux habitans de lad. ville de faire passer ladicte riviere ou partie d’icelle ailleurs, tellement qu’il ne leur advinst aucun inconvenient ainsi que de ce il nous fist apparoir par certaine certifficatoire seellee du seel de ladicte ville.
34Et plus n’en disdrent sur tout bien et diligemment oys et interrogez.
35Et au regard de nos advis et oppinions apres ce que entre nous avons bien au long communiqué et deliberé sur ladicte matiere et la chose bien veue a l’ueil, palpee et examinee, nous semble, a esté et est advis touchant le premier point et article que led. boucault et havre est bien aisé et facille a reffaire et remuer aud. lieu du [f° 3 v°] Gouf ou nous feusmes ledit jour d’yer par les raisons et causes dessus baptisees par lesd. expers et aussi par autres qui seroyent longues a raconter.
36Et touchant les fraiz et les mises que fauldra frayer a reffaire et remuer led. boucault audit lieu ou nous feusmes led. jour d’yer, nous semble et est advis que pour la somme de vingt mille escutz ou environ led. boucault et havre se pourra reffaire et remuer facillement aud. lieu.
37Et touchant le tiers point, c’est assavoir s’il est expedient que led. havre ou boucault soit remué audit lieu, nous a esté et est advis qu’il n’y a nul dangier pour le roy, son royaume ne pour ladicte cité au remuement dudit havre ou boucault, ains a l’occasion d’ycelluy lad. ville sera plus forte et plus craincte, tant par mer que par terre, et plus riche et puissante pour resister contre les ennemys que n’est a present, ainsi qu’elle estoit au temps passé quand led. boucault et havre de Bayonne estoit aud. lieu.
38Et au regard et touchant le derrenier point, la chose est toute clere que ladicte ville et toute la seneschaucee des Lannes, de Basadoys, d’Agennoys, d’Armaignac, de Tholose, de Carcasonne, de Bearn, de Bigorre et plusieurs autres pays admenderont de la reffection et remuement dudit boucault ou havre pour les marchandises qui sont esd. pays, ainsi que dessus a esté dit par les raisons desd. expers.
39Et tout ainsi que dit est, nous, commissaires dessusd., certiffions ce estre vray et ainsi avoir par nous esté fait en la maniere dessusd. En tesmoing de quoy nous avons signé cest present nostre proces verbal de noz seings manuelz et seellé de noz seelz et fait signer par nostre commandement par Hugues de La Chassaigne, notaire royal et nostre greffier en la present matiere, les an et jour que dessus.
40[seings des noms] R. De Grammont
41Jehan, esleu evesque de Baionne
42Par commandement de mesd.
43seigneurs les commissaires
44[seing du nom] H. de La Chassaigne, notaire royal
45[Ajout au bas du folio43] Le vint et cinquiesme jour du moys de janvier l’an susd. mil IIIIc IIIIxx et unze44, a nous, Estienne Makanam, maire de la / ville et cité de Bayonne, maistre d’ostel du roy nostre seigneur, et l’un des commissaires nommez es lectres royaulx en ce present proces inseres, estans en / icelle transportez pour aucuns affaires – – –45lectres royaulx dessus inserees et nous monstrent le / proces – – –46sur ce fait par monseigneur Jehan de La Barriere, esleu, confi rmé evesque de Baionne, et Roger, seigneur de Grantmont, premiers / commissaires nommez esd. lectres, en nous requerant par sesd. – – –47que voulsissions donner nostre advis et declaracion selon le bon vouloir / dudit seigneur pour ce que nous sommez estez maintesfoys au lieu de Capbreton, au Boucau et parties dessus nommees et sommes bien recors / de ce qui est fait en la matiere, et veue l’inquisicion et dilligence faite par nos autres compainhons commissaires dessus nommez, / acordons en tout et pour tout avecques leur advis, propos et deliberacion pour ce qu’il nous samble qu’il a esté par eulx bien advisé / et declaré. En tesmoing de ce nous avons signé ce present advis de nostre main et commandé estre signé par le greffier / de la mairie de Bayonne l’an et jour que dessus.
46[seing du nom] Estyenne Makanam
47[seing du nom] L. Luillier, greffier
48[f° 4 et 4 v° en blanc]
Notes de bas de page
1 Marca P. de, Histoire du Béarn contenant les origines des rois de Navarre, des ducs de Gascogne, des marquis de Gothie, princes du Béarn, comtes de Carcassonne, de Foix, de Bigorre, avec diverses observations géographiques et historiques, Paris, 1640, rééd. Paris, 1894-1912, t. I, p. 38.
2 Poydenot H., Récits et légendes relatifs à l’histoire de Bayonne. Études sur les anciennes embouchures de l’Adour, Bayonne, 1876.
3 Croizier J. de, Histoire du port de Bayonne, Bordeaux, 1905, p. 157-162.
4 Saint-Jours B., Port-d’Albret (Vieux Boucau), l’Adour ancien et le littoral des Landes, Perpignan, 1900 ; id., L’Adour et ses embouchures, Dax, 1921 ; id., L’embouchure primitive de l’Adour et la fixité dix fois millénaire du littoral gascon, Bayonne, s. d.
5 Archives communales (AC) de Bayonne, DD 1 (2). B. Saint-Jours (Port-d’Albret…, op. cit., p. 261-269) a utilisé la transcription d’H. Poydenot (op. cit.). Celle-ci étant fautive, nous proposons une nouvelle transcription (voir annexe).
6 La ville de Bayonne s’est développée autour du confl uent de la Nive et de l’Adour. Les installations portuaires médiévales étaient établies sur les deux rives de la Nive qu’enserraient la cité à l’ouest et le Bourgneuf à l’est.
7 Bouquet de la Grye A., Pilote des côtes ouest de France, Paris, 1873, rééd. 1988, t. 2, p. 320-323. Par grosse mer d’ouest, le Gouf est signalé comme offrant un abri relatif aux navires qui pouvaient y mouiller pour étaler un coup de vent. Il est en outre précisé que « les bateaux plats qui font la pêche au cap Breton sont actuellement remisés en amont dans le ruisseau ou halés sur la plage » (p. 323).
8 Cette tour est mentionnée comme amer par Pierre Garcie dit Ferrande dans son Pillotage, routtier et encrage de la mer rédigé au début des années 1480 (f° LII v°) : « [En venant de Biarritz] vas iusques au gouffre qui est en amont du boucaut deuers l’est suest et la tu verras de grans puys de sable et hault et seront roux dessus, et verras celluy travers une grant tour haulte qui se monstrera comme ung clocher, va au nort de tous ces grans puys de sable roux tant que aporte la tour dessusdicte au su suest de toy, et tu seras deuant le boucault, et alors tu verras ung grant puys de sable blanc qui est deuers le nort de l’entree, qui est roitté et tout decouppé, car en nort de celluy puys tu ne verras de si grans puys comme il y a en su ny si roux. Et si verras en su du boucault une brosse de boys qui est pres de la mer. Et tu trouveras pres de terre bort a bort, a ung gist de canon, XX et XXIIII brasses, et n’y a nul repos ny nul abris si ce n’est quant le vent vient de dessus la terre, et y a tel lieu ou il y a IIIIxx brasses et [blanc] LX brasses. Et sache que tout nauire qui abandonne et frappe a la couste et il frappe en gouffre tout est perdu et mort, et les corps des gens s’en vont tousiours en icelle couste et non ailleurs de tourmente si Dieu ne leur faict grace. »
9 Le boucau de la Punte est attesté pour la première fois dans un établissement de février 1256 n. st. ordonnant que « todz hom qui entrera en la mer salade per pescar in ischira ab peics deu arribar a la Punte dauant les cabanes debert Labort » (Livre des Établissements, Bayonne, 1892, n° 31, p. 59-60).
10 Cassini F. de, Carte de la France, Bayonne, n° 139, feuille 101 (levée entre 1766 et 1771).
11 Bibliothèque nationale de France, Ge DD 2987 (1500). Ce plan de la barre de Bayonne levé en 1738 montre, 160 ans après le percement de la nouvelle embouchure en 1578 et alors que le cours du fleuve s’était accéléré en raison d’une sortie plus directe vers la mer, un infléchissement de la passe vers le sud sous l’effet de l’accumulation des sables.
12 Les auteurs locaux ont privilégié l’action de la mer, plus particulièrement l’eff et de « bouchon » à marée haute.
13 AC Bayonne, FF 461. En 1517, la conjonction d’une tempête et d’une crue favorisa la formation temporaire d’une nouvelle embouchure entre Capbreton et le Vieux-Boucau : « En l’an de not Sainhor 1517 per temps diurn adues et fort de torrades et pluyes en maniere que chus begades les subernes entram per la ciutat et rues dequerre abondosement. Et a cause de les grans subernes et inundacions d’aygues que vingon de les montainhes et aussi per le impetiuositat de la gran mar si fe ouverture en los sables de la ciutat enter Capbreton et lo Boucau […], mes finablement quant lo temps se appausat a le prime nabere et quoaresme s’es feyt per si medich ung boucau bey bon et perfut lo meilhor que los vesins ayen vist car es ab oest et perfout et totes los mariners s’en lauden. »
14 Goyheneche E., Bayonne et la région bayonnaise du xiie au xve siècle, Bilbao, 1990, doc. n° XLII, p. 519-520. Bernard Saint-Jours (L’adour et ses embouchures…, op. cit., p. 7) mentionne, sans donner la référence exacte ni citer le texte latin, un rôle gascon du 9 octobre 1328 faisant état de deux accès à Capbreton, l’un par le canal de la Pointe, l’autre par ce qu’il traduit comme étant une « petite fosse ». Il voit dans le premier le prolongement du cours de l’Adour vers le Vieux-Boucau et dans le second ce qui restait de l’embouchure primitive.
15 AC Bayonne, AA 3, f° 283 v°. En 1345, parmi les terres appartenant à la ville de Bayonne fi guraient « los sables despuich los Gausarans dequi a la punte deu Bocau enter la grant mar et l’arribeyre de l’Ador ».
16 Gaffiot F., Dictionnaire illustré latin-français, Paris, 1934, p. 108.
17 Livre des Établissements…, op. cit., n° 385, p. 345, toute personne portant du vin « per lo bocau de Baione enfore » doit paier 12 médailles par pipe (1342) ; n° 393, p. 354-355, interdiction de faire entrer des vins et les cidres « per lo bocau de Baione » et de décharger à Capbreton, à Hausquette ou en tout autre lieu (1392) ; n° 280, p. 229, paiement du cohuage par tous les blés venant par eau ou par mer, excepté ceux acheminés « per lo bocau » (1er janvier 1402 n. st.) ; n° 278, p. 227-228, pêche sur l’Adour défendue du samedi au lundi dans la juridiction de la ville « deu bocau de la gran mar daqui a Horgaue » (xve siècle). Toutefois, lorsque Pierre Garcie dit Ferrande mentionne en 1484 le « boucault de Bayonne », il fait référence à l’embouchure primitive près de Capbreton (voir supra note 8).
18 AC Bayonne, AA 3, f° 76.
19 Résumé des différentes datations proposées dans Croizier J. de, op. cit., p. 157-162.
20 Saint-Jours B., Port-d’Albret…, op. cit., p. 215-216.
21 Voir supra note 14.
22 Stein H., Charles de France, frère de Louis XI, Paris, 1919. Il n’est fait aucune allusion à cette enquête.
23 Le Roy Ladurie E., Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, 1983, t. 1, p. 48-51.
24 AC Bayonne, DD1 (1) : « Gens vivans qui avoient veu led. boucault et havre dudict Bayonne plus pres de deux lieues et demi dudict Capbreton qu’il n’est a present » (f° 1 v°) ; « led. boucault et havre de Bayonne au temps passé estoit plus hault et plus pres dud. Bayonne que n’est ledict lieu maintenant, et est plus bas de troys lieues ou environ que ledit lieu » (f° 2 v°).
25 Saint-Jours B., Port-d’Albret…, p. 263, n. 1.
26 Livre des établissements…, op. cit., n° 157, p. 124-125.
27 Jean Chartier, Chronique de Charles VII, Vallet de Viriville (éd.), Paris, 1858, t. II, p. 319-320.
28 Registres gascons, t. I : 1474-1514, Bayonne, 1896, p. 14.
29 AC Bayonne, BB 3, f° 241-243.
30 Bernard J., Navires et gens de mer à Bordeaux (v. 1400-v. 1550), Bordeaux, 1968, t. 2, p. 491492. D’après les registres de la coutume, 86 navires bayonnais (pour 129 anglais et un total de 464 navires) avaient chargé à Bordeaux en 1303-1304. On en relève encore une quarantaine en 1308-1309 et 1356-1357. Leur nombre chute en dessous de 20 dans le dernier quart du xive siècle. Ils ne sont plus que 4 en 1409-1410, 8 en 1412-1413, 3 en 1443-1444, 6 en 1444-1445. Sur la centaine de navires recensés dans les registres de notaires entre 1470 et 1500, on ne compte que deux unités bayonnaises.
31 Goyheneche E., op. cit., p. 173-192.
32 AC Bayonne, DD 1 (2) : « Ladicte reffection et remuement dudit boucault et havre aud. lieu estoit expediante tant pour le bien du roy, service et garde de lad. ville et cité de Bayonne que des pais environ, disdrent par leursd. sermens que lad. reffection et remuement dud. boucault et havre de Bayonne audict lieu, actendeu la disposition du temps qui couroit estre expediante et necessaire car icelluy faict lad. ville et cité de Bayonne seroit plus forte. Et quand a ladicte ville adviendroit quelque necessité ou inconvenient des ennemys du Roy, nostre seigneur pourroit mieulx envoyer secours a lad. ville des pays de Normandie, Bretaigne, Guienne et aultres es pays, qu’il ne ferait si led. havre et boucault ne se reffaisoit et remuoit ne que feroit a present si le cas y escheoit » (f° 3) ; « a l’occasion d’ycelluy [remuement] lad. ville sera plus forte et plus craincte tant par mer que par terre et plus riche et puissante pour resister contre les ennemys que n’est a present et aussy qu’elle estoit au temps passé quand led. boucault et havre de Bayonne estoit aud. lieu » (f° 3 v°).
33 Cuzacq R., « En marge d’une vieille carte : le lit ancien de l’Adour de Bayonne au Vieux Boucau », Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne, 1929, p. 339-415 ; id., « Le lit ancien de l’Adour (carte et documents nouveaux) », Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne, 1930, p. 273-278.
34 Cassini F. de, Carte de la France, Bayonne, n° 139, feuille 101 (levée entre 1766 et 1771) et Vieux Boucau-les-Bains, n° 138, feuille 162 (levée entre 1773 et 1784).
35 AC Bayonne, DD 1 (2), f° 1 v° : « Voyez, visitez et diligemment regardez si la reff ection dudit havre de Bayonne est facille a faire, quelz fraiz il y conviendra faire et frayer, et aussi si, actendu la disposition du temps ou nous sommes de present, quant ores les choses se trouveroient facilles, s’il est expedient pour le bien de nous et la seureté de nostred. ville reff aire et repparer led. havre ou non et quelz pays admenderont a cause de lad. reffection. »
36 Ibid., DD 1 (2), f° 3 : « Dist que autresfoiz il avoit remué et retourné plusieurs rivieres et fl euves qui estoient plus difficilles a retourner et remuer que ladicte riviere de l’Adour et boucault de Bayonne et mesmement la riviere du Rin passant par la ville de Neufbourg autrement dicte Neufve Cité et que si n’eust esté led. remuement par luy fait de lad. riviere du Rin, ladicte ville de Neufbourg, autrement dicte Neufve Cité, pour la grant affluence des eaues estoit en dangier d’estre perye et nayee, mais il monstra et enseigna la façon et maniere aux habitans de lad. ville de faire passer ladicte riviere ou partie d’icelle ailleurs, tellement qu’il ne leur advinst aucun inconvenient ainsi que de ce il nous fi st apparoir par certaine certifficatoire seellee du seel de ladicte ville. »
37 Ibid., DD 1 (3).
38 Jean de La Barrière fut nommé au siège épiscopal de Bayonne en 1491, à l’issue d’une vacance de sept ans après le décès de Jean de Laur (mort avant le 19 mai 1484). Il fut sacré en 1495 et resta en exercice jusqu’à sa mort en 1504.
39 Roger de Gramont, seigneur de Bidache. Il fut premier membre de la famille des Gramont à passer au service du roi de France, à la suite de Jean d’Albret. Gramont : lieu-dit de la commune de Bidache (Pyrénées-Atlantiques) où la famille possédait son château éponyme.
40 Étienne Makanam : noble homme et bourgeois de Bordeaux, membre d’une famille en vue du patriciat bordelais. Louis XI le nomma capitaine-châtelain de Mauléon en 1479. Le 6 juin 1488, il apparaît comme conseiller et chambellan du roi, capitaine et maire de Bayonne.
41 Il faut comprendre : maistre[s] Jehan de La Mote et Henry de Lorrayne, maistre[s] masson[s] des villes et citez de Bayonne et Dax.
42 La Corogne (Galice).
43 Texte en partie effacé, difficile à lire.
44 Le 25 janvier 1492 n. st.
45 Plusieurs mots effacés.
46 Document déchiré.
47 Un mot effacé.
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