Les transformations de la côte saintongeaise et leurs répercussions sur les activités maritimes et portuaires aux xve et xvie siècles
p. 81-95
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Index géographique : France
Texte intégral
1Prolongée à l’ouest par l’île d’Oléron, la côte de la Saintonge méridionale, entre l’estuaire de la Seudre et la Gironde, offre aujourd’hui l’aspect d’une péninsule constituée par un plateau calcaire et, plus à l’ouest par des dépôts de matériaux. Cet ensemble forme la « presqu’île d’Arvert ». La composition des sols et les paysages de micro-falaises mortes témoignent d’une situation différente aux siècles passés, qu’il s’agit ici d’évoquer. Le trait de côte et la physionomie du littoral à la fin du Moyen Âge ne peuvent être restitués que de façon approximative grâce à une analyse régressive à partir des cartes de la fin de l’époque moderne (Masse, Cassini). Aux xve et xvie siècles, le littoral saintongeais a connu d’importantes transformations dans le contexte plus général de la transgression flandrienne1. Les sources écrites attestent alors que certains secteurs étaient soumis à une forte érosion, telles les falaises calcaires de la rive droite de la Gironde. D’autres au contraire se trouvaient exposés à une importante sédimentation, à l’exemple de l’estuaire de la Seudre et des conches échancrant celui de la Gironde, ou bien, comme la presqu’île d’Arvert, devaient faire face à l’avancée des sables. Les communautés d’habitants occupant le littoral, formées d’agriculteurs et de marins, ont dû s’adapter à ces changements (fig. 1).
Les secteurs menacés par l’accumulation des matériaux
L’invasion du littoral par les sables
2Les sols actuels des environs d’Arvert et de l’île d’Oléron sont en grande partie constitués par des sables éoliens. Différents sondages, notamment ceux effectués par Camille Gabet2, ont montré que ce sable s’est déposé sur une couche de bri et une couche de sable gris fi n, mélangé d’argiles vasardes et de dépôts flandriens. Cette couche de sable gris fin daterait, selon Camille Gabet, des xive-xve siècles ; le sable jaune éolien étant venu ensuite se déposer par-dessus au début de l’époque moderne3. Cette invasion de sable jaune toucha non seulement Oléron et Arvert en Saintonge mais aussi Soulac et le Bas-Médoc au sud de l’estuaire de la Gironde. L’avancée rapide des dunes de sable frappa les contemporains, pour lesquels, selon la tradition orale, « les dunes marchent en Arvert ». Lors des observations qu’il effectua dans la région en 1698, Claude Masse estime que « les dunes avançoient communément 10 à 12 toises par an dans les terres4 ». La progression régulière des sables éoliens d’une vingtaine de mètres par an menaçait les installations humaines en bordure du littoral.
3Quelles sont les causes de ce phénomène ? La première hypothèse qui vient à l’esprit est d’attribuer ces déplacements de sable à une diminution de la couverture forestière littorale. Outre les défrichements effectués lors des xie-xiiie siècles pour faire face à la pression démographique, les chantiers navals de l’île d’Oléron ont été souvent sollicités par le roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine, au xiiie siècle5. Il en résulta une activité intense de la part des bûcherons oléronnais qui défrichèrent une partie de l’île. En 1322, lorsque la fortification du port du Château-d’Oléron est envisagée, les forêts de l’île d’Oléron sont alors inutilisables. Elles avaient servi au xiiie siècle à fortifier l’île de Ré6. La forêt du prieuré de la Garde fut également mise à contribution pour alimenter les fours des tuiliers7. Nous pouvons donc en conclure que la couverture forestière avait partiellement disparu lors de cette période. Les arbres ne parvenaient plus à retenir les sables et les percées effectuées lors des défrichements facilitaient leur déplacement. Pendant la guerre de Cent Ans, la végétation aurait dû reprendre possession des espaces à l’abandon. Il est cependant probable que, ayant poussé de façon anarchique, elle ne suffisait pas à retenir les sables.
4Les mouvements de sable engloutirent des bâtiments près de la côte au sud de l’île d’Oléron et à l’ouest d’Arvert (fig. 2). Dans l’île d’Oléron, entre le xvie et le xviie siècle, huit villages furent affectés par ce phénomène. L’église de Saint-Trojan disparut sous les sables à la fin du xvie siècle8. Dans les terres d’Arvert, les ensevelissements furent nombreux. Selon plusieurs témoins de l’enquête de 1551, l’église Notre-Dame de Buze avait disparu au début du xvie siècle, ainsi que plusieurs habitations, à l’exemple des maisons de Cadot et d’Étienne Saulmon9. Enfin, différents témoignages évoquent la présence d’une ancienne ville, Anchoine, et de son port, « le port de la Lune », eux aussi submergés par les dunes de sable. Cependant, malgré les indications fournies par les enquêteurs en 155110 et par Claude Masse au xviiie siècle11, qui situent ces vestiges le long de La Grande Côte, à proximité du lieu-dit La combe des vignes, cette ville et ce port n’ont pas été retrouvés, ce qui a amené de nombreux érudits locaux à s’interroger sur leur existence réelle12. L’ensevelissement de ce site pourrait avoir précédé le phénomène de déplacement de sables mis en évidence par les habitants à la fin du xve siècle. Connue par la seule enquête de 1551, cette ville n’est pas mentionnée dans les documents du Moyen Âge. D’après Claude Masse, les pierres d’Anchoine auraient servi à construire des habitations notamment dans le village de Saint-Augustin situé au nord, en bordure de l’étang du Barbareu13. Face à l’invasion des sables, les habitants n’eurent d’autre solution que de se déplacer plus à l’est vers l’intérieur des terres.
Le comblement des zones basses et humides
5Une partie des énormes masses de sable déplacées par l’océan, combinées aux alluvions rejetées par la Gironde et la Seudre, se sont déposées dans les zones basses du littoral. Plusieurs lieux-dits comme le Terrier-Vert, la Ronce ou les Rivaux correspondent à des marais isolés, coupés de la mer par les dunes14. Le sable a comblé la plupart des étiers et chenaux situés au nord-ouest de la péninsule saintongeaise, en particulier ceux qui reliaient la mer intérieure du Barbareu avec la Seudre et la Gironde (fig. 2).
6Les terres d’Arvert étaient composées d’îles : La Tremblade, Étaules, Arvert et les îles du Paradis, de Brèze et des Mathes. Elles enserraient une petite mer intérieure dénommée dans les textes « étang du Barbareu15 », délimité par l’île d’Arvert à l’ouest, les îles de La Tremblade et d’Étaules au nord, et par le plateau royannais au sud et à l’est (fig. 2). Ce plan d’eau était suffisamment large et profond pour pouvoir être parcouru par des barques de pêcheurs, provenant pour la plupart de Saint-Augustin16. Relié à la Gironde par la passe de Bréjat, il s’est progressivement obstrué dans la première moitié du xve siècle, en partie du fait de l’effondrement de la chaussée reliant le bourg d’Arvert à Royan17. Cette infrastructure, laissée sans entretien dans le contexte de crise et d’insécurité lié à la guerre de Cent Ans, s’est affaissée et a fini par obstruer le chenal. En 1498, lors d’une enquête portant sur les limites des seigneuries d’Arvert et de Royan, plusieurs témoins d’un âge vénérable (entre 80 et 100 ans) se rappellent avoir vu des navires de mer se réfugier dans cette anse avant que l’accès en soit rendu impossible : « Dit avoir veu ladicte anse et ledit rivau en leur estre ancien, par avant qu’ilz fussent rempliz de sables, et dit que par ledit rivau les navires de la Gironde entroient dedans ladicte ance, qui estoit fort profonde, large et spacieuse, et en laquelle se retiroient les navires par malice de temps et de tormente18. » Après plusieurs tentatives pour entretenir ces chenaux et maintenir en eau la mer intérieure du Barbareu, les habitants décidèrent à partir de la seconde moitié du xvie siècle d’assécher les marais en commençant par les zones proches de La Tremblade19. Peu à peu, cette mer intérieure se combla et les petits ports, tel celui de Saint-Augustin, ainsi que les viviers (Charosson20, Sternusson21) disparurent.
7Faut-il attribuer la disparition des étiers du Barbareu au colmatage produit par les alluvions de la Seudre ou bien aux activités humaines ? Il existait en effet deux types d’activités susceptibles d’accélérer ce processus. L’exploitation croissante des salines, en particulier sur la rive droite de la Seudre, a constitué un frein pour la circulation des eaux. D’autre part, les déboisements effectués en amont de Saujon, à proximité de la vallée de la Seudre (bois de construction pour les habitations et les navires, merrain pour la confection de barriques à destination de La Rochelle, bois de chauffe pour les particuliers mais également pour alimenter les nombreuses tuileries et fours à chaux de la région), eurent pour conséquence un ravinement accru des pentes. La couverture forestière ne fixant plus la terre, il en résulta une augmentation des quantités de matériaux entraînés vers le fleuve (fig. 3). La Seudre fut amenée à charrier davantage d’alluvions, alors que ceux-ci s’évacuaient plus difficilement à l’extérieur de l’estuaire. Le faible débit de la Seudre en comparaison avec les forts courants de marée circulant dans le pertuis de Maumusson ne permettait pas un effet de chasse suffisant. Les sédiments tendaient à s’accumuler à l’extrémité droite de l’estuaire, quand ils n’étaient pas refoulés à l’intérieur du lit du fleuve par le flot. De ce fait, l’aspect de l’embouchure se modifiait en permanence. Sur la rive droite, la pointe du Chapus s’allongeait et s’épaississait. Sur la rive gauche, la puissance du courant issu du pertuis de Maumusson tendait à éroder la pointe. Un indice permet de restituer l’aspect ancien de l’embouchure par rapport à la situation actuelle. Un des bancs de sable de l’embouchure de la Seudre, le banc de Barat, porte le même nom qu’un mayne (exploitation paysanne) connu au xive siècle : le mayne Barat, dont il est possible qu’il occupait l’emplacement22.
8La navigation dans la zone s’en est trouvé affectée. L’estuaire de la Seudre, étonnamment large à son embouchure au regard du bassin-versant et du débit de ce petit fleuve côtier, permettait à des navires de fort tonnage de remonter avec l’aide du flot jusqu’au-delà de Mornac. Divers documents attestent que les navires de mer remontaient jusqu’à Ribérou, le port de Saujon23. La Seudre se rétrécissant fortement à partir de Saujon, au-delà, seules de petites barques de moins de dix tonneaux pouvaient circuler au xviiie siècle24. Au fil du temps, la sédimentation tendit à limiter de plus en plus les possibilités de navigation vers l’amont.
Les secteurs de côte soumis à l’érosion
Le surcreusement du pertuis de Maumusson
9Sous l’effet de puissants courants marins, le pertuis de Maumusson qui sépare Arvert de l’île d’Oléron s’est progressivement élargi. Auguste Pawlowski pense qu’il s’est formé au tournant des xe et xie siècles25. Il faut imaginer à l’origine un étroit bras de mer entre les deux îles, dans lequel s’engouffraient les eaux. Au xiie siècle, Richard le Poitevin décrit le bruit impressionnant et la puissance du courant circulant entre Arvert et Oléron26. Selon Claude Masse, des moines y auraient établi un moulin :
« Le vulgaire en raconte diverses choses et dit que l’isle d’Olleron et celle d’Alvert n’estoient séparées que par un chenal qui faisoit moudre un moulin et qu’il y avoit dans chaque isle une abbaye proche de ce pertuis, où les moines eurent un long proces au sujet de ce moulin qu’ils laisserent perdre, l’un pour l’amour de l’autre, et qu’insensiblement la mer se fit une ouverture27. »
10L’enquête réalisée en 1335, suite à une dispute entre le sire de Pons, seigneur d’Oléron et d’Arvert, et Philippe VI de Valois, met en évidence l’étroitesse du chenal à la fin du xiiie siècle28. À cette occasion, une centaine de personnes témoignent que, dans leur enfance, l’île d’Oléron n’était séparée de celle d’Arvert que par un fossé étroit que l’on pouvait franchir d’un saut en s’aidant d’un bâton. Les choses ont changé au début du siècle suivant avec l’ouverture progressive du pertuis.
11Richard le Poitevin signale de nombreux bancs de sable, cause de nombreux naufrages : « Dans le gouffre dont nous venons de parler, existent des points particulièrement dangereux, que l’on nomme dunes. Ce sont des montagnes de sable couvertes par les flots, passage où, bien souvent, viennent se perdre des navires29. » À cette époque, il semble que les navires n’empruntaient que rarement ce passage en raison du danger qu’ils y couraient : « Combien de marins, arrachés à ces passes dangereuses, ne nous ont-ils pas conté les périls qu’on y court. » La situation a changé deux siècles plus tard.
12À la fin du xve siècle, Pierre Garcie dit Ferrande préconise dans son routier des mers d’attendre la marée montante à l’entrée du pertuis et de s’avancer ensuite à la sonde30. Mis à part le banc de Gatseau, il ne mentionne pas d’autre banc de sable important pouvant entraver la navigation. L’accroissement du nombre de navires circulant dans la Gironde en provenance de Marennes, d’Arvert, de La Tremblade ou de Mornac-sur-Seudre, entre le xive et le xve siècle, atteste que le pertuis de Maumusson était alors régulièrement emprunté par les navires saintongeais. D’après la coutume de Royan, seulement sept passages de navires susceptibles d’avoir emprunté le passage de Maumusson (navires de Marennes, Arvert, ou de l’estuaire de la Seudre) sont mentionnés en 139231. Au cours des années 1466-1470 et 1478-1484, couvertes par les comptes, les embarcations originaires des îles de Saintonge et de la Seudre effectuent plus de 400 passages. Cette évolution est, bien entendu, liée à la fi n de la guerre de Cent Ans et au rétablissement de relations commerciales avec Bordeaux. La « domestication » du pertuis de Maumusson par les marins saintongeais a permis d’accélérer le décloisonnement entre la mer des Pertuis et l’estuaire de la Gironde, qui, aux siècles antérieurs, matérialisait la frontière maritime entre les espaces contrôlés par le roi de France au nord et ceux relevant de la mouvance anglo-gasconne au sud.
13Cependant, tous les dangers du passage n’ont pas disparu. En 1378, est signalée la perte de la Marie-Anne survenue le long de la côte d’Arvert. Par ailleurs, la tradition orale attribue le toponyme Le Galon d’or au naufrage d’un galion espagnol qui se serait produit au xvie siècle32. Précisons que plusieurs naufrages sont dus à la mobilité des bancs de sable. La population locale a exploité sa connaissance de ce milieu difficilement maîtrisable pour des non-initiés. Elle a utilisé son savoir-faire de manières diverses en fonction de la conjoncture politique. Si les marins saintongeais font régulièrement office de pilotes pour guider les navires dans ces parages dangereux, il leur arrive aussi de s’y livrer à des actes de piraterie en mer, au détour des pertuis, ou depuis la côte en tant que naufrageurs33.
14Par ailleurs, il subsiste des obstacles importants à la navigation. Même les marins d’Arvert, de la Seudre ou de Marennes, pourtant habitués à circuler dans ce pertuis, éprouvaient des difficultés à ne pas faire naufrage, du fait des modifications fréquentes de l’emplacement des bancs de sable, du trait de côte ou de l’orientation de la passe. Le pertuis de Maumusson a actuellement une orientation nord-est - sud-ouest, mais, tout porte à croire qu’elle était plus fortement marquée vers le nord à la fin du Moyen Âge34. Un autre problème se pose pour la navigation au sortir du pertuis à hauteur du Château-d’Oléron. Ce nouveau passage séduisait les marchands et maîtres de navires pressés, car le trajet entre la mer des Pertuis et l’estuaire de la Gironde s’avérait beaucoup plus court par rapport à la voie maritime traditionnelle qui contournait l’île d’Oléron par le nord. C’est ainsi que le dimanche 30 octobre 1570, deux marins de Meschers, Pierre Papin et Georges Biron, quittent leur port d’attache, descendent l’estuaire de la Gironde, empruntent « le Pas de Maumusson, par temps convenable ». Après avoir chargé du sel à Marennes, ils parviennent en faisant le chemin inverse à Bordeaux le lundi matin, 31 octobre35. Ce trajet peut cependant s’avérer plus coûteux, car les navires longeant de trop près Le Château-d’Oléron doivent s’acquitter de la coutume. Si le temps est clément, le maître de navire peut s’éloigner suffisamment de ce rivage, évitant ainsi d’avoir à payer. Si « par fortune de temps, le maistre est contrainct de passer par le coural d’Oléron, et que luy convient payer coustume », dans ce cas, il sera remboursé de mauvais gré par le marchand si le contrat de connaissement prévoit ce type de débour36.
Royan et Talmont menacés par l’érosion de leur site
15Le principal problème auquel sont confrontés les ports saintongeais situés en bordure de la Gironde est celui de l’érosion de la côte. Seuls ports fortifiés depuis l’embouchure de l’estuaire jusqu’à Blaye, Royan et Talmont sont les deux ports pour lesquels nous avons le plus de renseignements à ce sujet. Le bon état de leurs murailles, menacées par le sapement de la mer, fut un souci constant de la part des autorités seigneuriales et royales.
16Talmont et Royan avaient en commun d’être les débouchés portuaires de deux seigneuries pauvres sur le plan des ressources agricoles. Celle de Royan subissait l’invasion des sables évoquée précédemment. Les terres de Talmont étaient constituées aux dires des témoins de l’enquête de 1551 pour un tiers de « maroys saulvages et palluz », qui sont « tout l’yver couvers d’eau » et l’été « de peu de prouffit ausditz manans et habitans de la dicte chastellenye, esqueulx ne pourroient faire mesme nourriture de bestial37 ». Les habitants de ces deux seigneuries se sont tournés vers la mer pour obtenir un complément d’activités et de revenus. À partir d’une implantation ecclésiastique datant du xie siècle à Talmont, et complétée par la construction d’un château à Royan, les deux bourgades sont ceintes de murailles au xiiie siècle. Elles connaissent alors une relative prospérité économique. Les eaux proches offrent un mouillage aux navires qui empruntent le chenal nord de la Gironde. Cependant, construits à flanc de falaise, ces deux sites subissent de plein fouet les effets de l’érosion.
17Les remparts ouest de Royan sont les plus exposés (fig. 4). À différentes époques, les murs de la ville s’effondrent, sapés par le violent ressac qui bât leurs pieds. En 1507, une aide de 2 000 livres est accordée pour réparer une brèche de plus de 80 mètres occasionnée par « la grande impetuosité et tormente de la mer38 ». En août 1551, l’enquête menée afin de mettre en place de véritables structures portuaires indique « que la mer a ruiné la plupart des murailles de la ville de Royan et fait encore de jour en jour comme se voit à l’œil, aussi les sables couvrent plusieurs bois, terres et vignes qui sont le long de ladite coste39 ». En 1610, une lettre adressée au député général des Églises réformées de France mentionne les réparations à faire à la place de sûreté protestante de Royan « à cause des ruynes que la mer y fait toutz les yvers40 ».
18Talmont n’est guère mieux loti (fig. 5). Les mentions de dommages occasionnés aux murailles par le ressac sont régulières. En 1342, le bailli de Saujon reçoit l’ordre de remettre en état un pan de mur41. En 1408, le capitaine de Talmont déplore la détérioration des murailles due tant au manque d’entretien qu’à « l’occasion du fort yver42 ». Les « pourtaulx, ponts, foussés et murailles » sont à nouveau remis en état en 1492 sans que l’on sache si les dégradations sont directement imputables aux dégâts causés par les éléments naturels43. En revanche, l’enquête menée en 1539 sur ordre de François Ier indique que le flot mine le promontoire rocheux sur lequel est juchée la ville : « En laquelle riviere la mer flue e reflue et, en montant e descendent deux foys le jour, frappe contre les roches et murailles de ladicte ville qui les ruyne et endommaige grandement. Et les a veu aultreffoys quant il alloit en ladicte ville tombées et endommagées44. » Les destructions auxquelles le témoin fait allusion correspondent peut-être aux conséquences d’une tempête qui se serait produite le 10 août 1518 touchant l’Aunis et la Saintonge. Amos Barbot la décrit dans les termes suivants : « La mer se desborda aux costes de la ville [de La Rochelle], qui causa une perte incroyable, gastant toutes les vignes et champs45. » Lors des grandes marées, les eaux entourent totalement la ville de Talmont et la coupe du continent jusqu’à ce que la mer redescende. Guillaume Meschinet, qui témoigne lors de l’enquête de 1539, y est resté ainsi enfermé plusieurs heures46.
19Royan et Talmont étaient donc exposés à la même menace : l’érosion de leur site par les eaux de la Gironde. Royan, à la tête d’une seigneurie plus étendue, produisant davantage de denrées agricoles et plus peuplée que Talmont (320 feux en 150547 contre 160 feux pour celle de Talmont en 153948), jouissait a priori d’une meilleure situation. Pourtant, vers le milieu du xvie siècle, le panorama était à l’avantage de Talmont comme le montrent deux enquêtes menées à douze ans d’intervalle.
20La première eut lieu à Talmont en 1539 sur l’ordre de François Ier qui souhaitait savoir s’il était judicieux de proroger les exemptions fiscales dont bénéficiaient les Talmondais depuis leur engagement en faveur de la couronne de France pendant la guerre de Cent Ans49. Aux dires des témoins, ces exemptions se justifiaient par le fait que les habitants entretenaient et défendaient la ville sur leurs propres deniers. La perception de la taille ne permettrait pas d’entretenir la ville aussi bien. Les témoins jugeaient l’état des défenses satisfaisant : « Semble à tous que ladicte ville est en bon ordre et estat compectant pour resister es gallyons, challupes, coureurs et escumeurs de mer qui ont acoustumé en temps de hostillité de guerre venir en ladicte riviere de Gyronde piller les marchans traffiquans par mer et le pays50. » Pour le pouvoir royal, Talmont présentait l’intérêt stratégique indéniable de protéger l’entrée de la Gironde des incursions ennemies. Son chenal offrait un refuge aux navires mis en diffi culté par les éléments ou par des poursuivants ainsi qu’en témoigne un marin de Meschers, Guillaume Meschinet : « Et souventes foys a veu plusieurs navires tant brethons, normans et ceulx du pays qui se sont retirez et saulvez en l’avre et chenal dudict Tallemond51. » Pour ces raisons, la monarchie française ne ménagea pas ses efforts afin de conserver « l’une des principaux clefs du païs de par dela52 ». En 1408, suite à la demande du capitaine de la ville, les conseillers de la Chambre des comptes ordonnèrent au receveur de Saintonge d’envoyer le plus rapidement possible 500 livres pour la réparation des remparts53. En 1492, Charles VIII décida d’attribuer 200 livres par an pendant 9 ans pour l’entretien et la réparation des fortifi cations de Talmont, somme à prélever sur la traite des blés de Saintonge54. Grâce à ces aides financières, les habitants parvinrent à maintenir les fortifi cations en état. En 1562, elles furent gravement endommagées par une attaque espagnole qui détruisit plusieurs tours et une partie des murailles. La ville avait joué son rôle de verrou, mais les fortifications ne furent pas relevées et le déclin de Talmont s’amorça. Lorsque Claude Masse dresse le plan de la ville de Talmont en 1608, un tiers de la ville environ a disparu suite à l’effondrement la partie ouest de la falaise. Le manque d’entretien de la part des hommes a sans aucun doute facilité le travail de sape et de démolition de la nature.
21Royan n’a pas bénéficié du même soutien de la monarchie française et le développement de ses activités portuaires s’en est gravement ressenti. L’entretien des murailles dépendait des seigneurs, Olivier de Coëtivy au lendemain de la guerre de Cent Ans, puis les La Trémoille. La tour de Burgault fit l’objet de travaux en 148455 et les fossés furent recreusés en 148556. Les aides fournies par la royauté étaient rares, concédées seulement dans des cas d’extrême urgence. En 1507, Louis XII accorda 2 000 livres pour redresser les murailles battues en brèche par le flot57. Il s’agissait chaque fois de réparations de fortune. Le port de Royan végétait. En 1551, profitant de l’intérêt du pouvoir royal pour le littoral saintongeais, les habitants de Royan mirent en avant les difficultés rencontrées par leur port58. Plusieurs marins et pilotes soulignaient le manque d’abri sûr dont souffrait la baie de Royan. Arnaud de Morland et Raymond Dupuy, pilotes de Bordeaux, firent état d’une grande tempête survenue en 155059. Tous les navires, y compris les plus gros, s’échouèrent à la côte à l’intérieur de l’anse et les équipages rescapés trouvèrent refuge à l’abri des murs de la ville. Pour les habitants de Royan ainsi que pour les marchands fréquentant l’estuaire, la situation requérait la construction d’une digue qui « defendroit les grandes inondations d’eau et pourroit en empescher une fois l’an en temps de guerre que XL a L navires ne seroient pressés60 ». Le coût de ces travaux était estimé entre 15 000 et 20 000 livres, tant pour la réparation des murailles que pour la construction de la digue et du quai du port. Le pouvoir royal ne retint pas l’option du port de Royan et privilégia le développement de Brouage. Ces infrastructures indispensables à la protection du port ne furent finalement créées qu’à la fin du xvie siècle. Mais la ville en profita peu car Louis XIII fit raser cette place protestante après le siège de 1622.
22Dans un pays « en frontière de la mer » comme la Saintonge, les populations littorales furent contraintes de s’adapter à un milieu en rapide changement. Ces transformations furent ressenties dans la plupart des cas comme des handicaps, contraignant les habitants à se déplacer vers l’intérieur des terres pour fuir l’invasion des sables (presqu’île d’Arvert) ou les obligeant à consacrer d’importants moyens humains et financiers pour se maintenir sur des sites attaqués par l’érosion (Royan, Talmont). Les modifications du trait de côte ont cependant parfois eu des effets bénéfiques. L’élargissement de la passe de la Coubre entre Oléron et Arvert favorisa le développement du trafic maritime entre les ports saintongeais (Marennes, Arvert, La Tremblade) et ceux du Bordelais, notamment Bordeaux. Cependant, faute de disposer d’un véritable arrière-pays, ces petits ports restèrent cantonnés dans un rôle économique secondaire (cabotage et redistribution locale des produits) à l’ombre de leurs deux grands voisins, La Rochelle au nord, et Bordeaux au sud. Les transformations naturelles subies par leurs sites à partir de la fin du xve siècle (alluvionnement dans l’embouchure de la Seudre, érosion sur la rive droite de la Gironde) ont constitué des entraves supplémentaires au moment où l’unification de cette portion du littoral sous la domination française leur ouvrait des perspectives nouvelles, dont ils ne purent que médiocrement profiter.
Notes de bas de page
1 Estève G., « Les paysages littoraux de la Charente-Maritime continentale entre la Seudre et la Gironde. Essai d’interprétation de leur formation d’après la géologie, la géomorphologie et l’étude de la végétation », Société botanique du Centre-Ouest, t. 19, 1988-1990, p. 74; Gabet C., « Les variations des lignes du rivage d’Aunis et de Saintonge », Annales des sociétés des sciences naturelles de Charente-Maritime, t. V, mars 1971, p. 109-123 ; id., « Note sur les marais de Saint-Augustin et d’Arvert », Norois, n° 100, mars 1978, p. 609-614 ; id., « La transgression flandrienne en Aunis et Saintonge. Nouvelles observations dans le marais », Actes du 96e congrès national des sociétés savantes, Tours (1968), Paris, 1970, p. 35-36 ; Ters M., « Les variations du niveau marin depuis dix mille ans le long du littoral atlantique français », IXe congrès de l’INQUA, Le Quaternaire, 1973, p. 121-122.
2 Gabet C., « Note sur les marais de Saint-Augustin et d’Arvert », art. cit., p. 611.
3 Différents documents viennent confirmer cette hypothèse : actes notariés du xvie siècle, enquête de 1551, témoignages de voyageurs ou de géographes tels Elie Vinet, Nicolas Alain ou Claude Masse entre le xvie et le xviiie siècle.
4 Médiathèque de La Rochelle (MLR), ms. 31, p. 238-239.
5 Bardon M., Oléron sous la domination anglaise (recueil de documents relevés au Public Record Office de Londres), 1935, p. 12, 13, 15-17, 20.
6 Ibid., p. 27.
7 Larigauderie M., « Notre-Dame de la Garde-en-Arvert, prieuré de l’ordre de Grandmont », Revue de Saintonge et d’Aunis, 1998, p. 22.
8 Péron F., Espaces naturels et activités humaines en île d’Oléron du xie au xvie siècle, mémoire de maîtrise inédit, La Rochelle, 2002, p. 44-52.
9 « Enquête relative à la création d’un port à Royan en 1551 », Bulletin de la Société des Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, 1917, t. XXXVII, p. 40-47, 104-111, p. 44.
10 Ibid., p. 44 : « Et une autre [conche] qu’on appelle la Grande Cote, tendant en avance, qui est la plus loin dudit Royan, qui est près de la ville et chasteau qu’on appelle Ancoine. Laquelle ville e chasteau d’Ancoine avons trouvéz couverts de sable et la plupart de forests de la seigneurie et chastellainie de Royan, qui appartient à messire Georges de La Trémouille […]. Et outre, avons trouvé de ladite premiere conche plus prochaine dudit Royan jusqu’au dit lieu d’Ancoine, où est un port appelé autrefois, et encore à présent, le port de la Lune. »
11 MLR, ms. 31, p. 257 : « Au nord de l’embouchure de la Garonne, à 700 toises de la pointe de Terre Nègre ou des Fournaux, paroissent les vestiges d’une ville que le vulgaire assure avoir esté Ensogne ou Putensogne. […] Il paroist seulement de grosses buttes hautes et formées en partie de sable et partie de bois de massonnerie. L’on tient que sous ces buttes, il y a des vestiges de grosses tours et de gros murs. »
12 Nappée J., Histoire de Saint-Palais-sur-Mer, Paris, 1998, p. 59-84. Cet auteur a dressé un bilan des différents indices concernant ce lieu. Sa tentative de localisation, qui semble tout à fait probante, demanderait à être confirmée par des fouilles archéologiques.
13 MLR, ms. 31, p. 257.
14 Gabet C., « Note sur les marais de Saint-Augustin et d’Arvert », art. cit., p. 609-614.
15 Cartulaire du prieuré de Disail (1182-1405), Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, t. VII, charte XXXII (1235).
16 Complainte de Mademoiselle de Villequier à cause de sa terre d’Arvert (23 juillet 1460), Documents historiques inédits de la Charente-Inférieure d’après les originaux du duc de La Trémoille, Meschinet de Richemont L. (éd.), Paris, 1874, n° 14, p. 51-57.
17 Ibid., p. 51-57.
18 « Mars 1498. Délimitation des baronnies de Royan et d’Arvert », Documents originaux et inédits sur l’Aunis et la Saintonge, Marchegay P. (éd.), Saint-Jean-d’Angély, 1876, première série, pièce 4.
19 Pawlowski A., Géographie historique des côtes charentaises (ainsi que Médoc et Poitou), Paris, 19021907, rééd. 1998, p. 64.
20 « Relevailles de madame de Matha et de Royan, et le devoir du seigneur de Fouilloux d’Arvert », Documents historiques inédits de la Charente-Inférieure d’après les originaux du duc de La Tremoille, n° 11, p. 39.
21 « Cartulaire du prieuré de Disail (1182-1405) », Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, t. VII, charte XXXIII (1235).
22 « Censif de la châtellenie de Mornac (1345) », Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, t. XVI.
23 Témoignage de Claude Masse (MLR, ms. 31) ; actes du notaire Pierre Roy (AD Charente-Maritime, 3 E 52/1-7, 1477-1553 avec des lacunes).
24 MLR, ms. 31, p. 139-140.
25 Pawlowski A., Géographie historique des côtes charentaises (ainsi que Médoc et Poitou), Paris, 19021907, rééd. 1998, p. 58.
26 Musset G., « Richard le Poitevin », Bulletin de la Société des Archives d’Aunis et de Saintonge, 1882, p. 129-130.
27 MLR, ms. 31, p. 142-143. Des marches et des gonds de fer étaient visibles à la fin du xixe siècle au lieu-dit Les Portes, en plein coureau, vers la balise du nord (Pawlowski A., op. cit., p. 58).
28 Massioud D., Histoire du Poitou, de l’Aunis et de la Saintonge, 1838, p. 6.
29 Musset G., « Richard le Poitevin », art. cit., p. 129-130.
30 Garcie dit Ferrande P., Le grand routier et pillotage et enseignement pour encrer tant es ports, havres que lieux de la mer, tant des parties de France, Bretaigne, Engleterre, Espaigne, Flandres et haultes Alemaignes, Marnef, 1520, p. 27.
31 Musset G., La coutume de Royan au Moyen Âge, Saintes, 1904, n° II, III, IV.
32 Egreteaud M., « Monographie de la commune des Mathes », Recueil de la Commission des Arts et Monuments de la Charente-Inférieure, 1902, p. 7-38 et 56-77.
33 Péret J., « La violence des grèves, les sociétés littorales et les naufrages sur les côtes saintongeaises (1680-1781) », Augeron M. et Tranchant M. (dir.), La violence et la mer, La Rochelle (2002), Rennes, 2004, p. 109-125.
34 Travaux de Xavier Bertin (université de La Rochelle – CLDG) sur l’évolution du pertuis (1824-2003) ; indications du routier de Pierre Garcie.
35 Archives départementales de Gironde, 3E10023, f° 129 ; publié par Seguin M., « Le transport des marchandises entre Bordeaux et Saint-Jean-d’Angély au xvie siècle », Revue de Saintonge et d’Aunis, 2004, p. 31-38, p. 34.
36 Ibid., 3 E 3044, f° 395, 12 juin 1567 ; publié dans Seguin M., op. cit., p. 35-36.
37 AD Charente, E 153, pièce 16, f° 3 v°, 6, 18.
38 Archives nationales, 1 AP 2077, pièce du 27 décembre 1507.
39 « Enquête relative à la création d’un port à Royan en 1551 », art. cit., p. 111.
40 Documents originaux et inédits sur l’Aunis et la Saintonge, Marchegay P. (éd.), Saint-Jean-d’Angély, 1876, p. 53-54.
41 Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, t. I, p. 376.
42 Bibliothèque nationale de France, ms. 20 585, pièce 8.
43 Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, t. VIII, p. 182-184.
44 AD Charente, E 153, pièce 16, f° 4 v° ; témoignage de Pierre Gombaud, écuyer, seigneur de Briaigne.
45 Barbot A., « Histoire de La Rochelle », Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, t. XIV, p. 484 ; Massioud D., op. cit., t. III, p. 417-418.
46 AD Charente, E 153, pièce 16, f° 16 v°.
47 Documents originaux et inédits de la Charente-Inférieure d’après les originaux du duc de la Trémoille…, p. 125-127.
48 AD Charente, E 153, pièce 16, f° 6.
49 Ibid., E 153, pièces 15 et 16.
50 Ibid., E 153, pièce 16, f° 19-19 v°.
51 Ibid, E 153, pièce 16, f° 17.
52 BNF, ms. fr. 20585, pièce 8.
53 Ibid.
54 Archives historiques de Saintonge et d’Aunis, t. VIII, p. 182-184.
55 AN, 1 AP 1928, f° 31 v°-32.
56 MLR, ms. 2466, liasse 8, pièce 3, f° 19.
57 AN, 1 AP 2077, pièce du 27 décembre 1507.
58 Enquête relative à la création d’un port à Royan en 1551…, p. 41.
59 Ibid., p. 109.
60 Ibid., p. 109.
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