Lecture durandienne d’un texte extrait de L'Ogre
p. 281-294
Texte intégral
C'était une scène très ancienne, mais qui s’était reproduite des milliers de fois au temps où il vivait auprès de sa famille, à Lutry, au bord du lac, dans la maison bouleversée de cris de dispute sous le vent des peupliers et des sapins. On s'était assis pour le repas du soir. Le père, immense, présidait au bout de la table. La lumière du couchant rougissait son front luisant doré, ses bras épais luisaient aussi de lumière orange, sa force était visible, heureuse, les muscles et la graisse ferme de sa poitrine soulevaient la chemise ouverte sur la forêt de poils gris entre les mamelles dont les aréoles faisaient deux pointes sous le coton. Autour de lui, la salle semblait plongée dans la nuit. Mais au-devant de l’ombre qui montait du sol et des coins éloignés de la grande pièce, il y avait cette masse éclairée, concentrée, cet autre soleil infaillible et détestable qui rougissait, qui brillait, qui s’illuminait de tout son pouvoir.
Assis à l'autre bout de la table, Jean Calmet écoutait avec répugnance les bruits de la bouche de son père occupé à manger. Ces chuintements, ces succions le dégoûtaient comme un aveu sale. On parlait peu, les frères et les soeurs s'observaient, la mère mangeait très vite, se levait sans cesse, trottait de la cuisine à la chambre, souris grise, apeurée. Martha, l’aide de ménage suisse allemande, fixait son assiette avec un air de réprobation. Le docteur mâchait et dégluttissait sans arrêt, mais son regard implacable se posait sur chacun des siens, il parcourait la tablée, de haut en bas, de bas en haut, et Jean Calmet se désespérait d'être une fois de plus transpercé par ces yeux tout-puissants qui le fouillaient et le devinaient. Sous leur feu bleu il devenait livide, tout de suite il se sentait transparent, complètement désarmé, incapable de dissimuler quoi que ce fût à ces terribles prunelles. Le docteur savait tout de lui, le docteur lisait en lui parce qu'il était le maître, et le maître demeurait épais, massif, impénétrable dans sa force serrée et rubiconde au soleil du soir.
L’Ogre, p 12-13
1Jean Calmet, maître de latin dans un gymnase de Lausanne, vient de perdre son père, docteur à Lutry. Ce texte évoque le souvenir d’une scène coutumière de son enfance, et témoigne des difficultés psychiques de Jean Calmet dont la personnalité est divisée. Il fait de son père, une figure souveraine et dominatrice et de sa mère un personnage faible et pusillanime. Jean Calmet confère à son père la puissance à laquelle il ne peut prétendre. Ce dernier incarne aux yeux de son fils la figure mythique du père souverain et ouranien, symbole du régime diurne de l’imaginaire2. Et il renie le régime nocturne vers lequel tend son imaginaire.
I - Projection sur le père de la pensée diurne de Jean Calmet
1 - Le père, le visage du temps
2Il y a chez Jean Calmet, comme dans tout homme, une angoisse devant le temps et ses manifestations. L’homme tente habituellement d’exorciser cette angoisse en adoptant une attitude combative ou en intégrant les valeurs négatives du temps, en les euphémisant, en acceptant la condition humaine. Jean Calmet dont l’imaginaire adopterait spontanément la seconde attitude, admire le comportement héroïque de son père. Son angoisse est alors plus vive. Son imaginaire donne au docteur non seulement la figure mythique et oppressante du souverain qui lutte contre le temps, mais le visage même du temps. Il voit dans les traits de son père l’image de l’Ogre. Or l’Ogre est le visage thériomorphe du temps. De nombreux exemples témoignent de l’aspect ogresque de son père. Il est ''immense" (O, 12), avec une "grosse voix furieuse", lorsqu’"il souffl[e] fort" et qu’"il rugi[t] encore" (O, 61). Le docteur a aussi un formidable appétit puisque Jean Calmet "détest[e] et jalous[e] cet appétit" (O, 13)3. Seuls les bruits de déglutition, de "chuintements", de "succions" (O, 12) troublent le silence de la salle à manger.
3Le père est oppressant car il est aussi figure divine. Il évoque la conception théologique de Dieu le père. Il est à la fois contemplateur : "il parcourait la tablée" (O, 12), témoin : "son regard implacable se posait sur chacun des siens" (O, 12) et juge symbolisé par l’oeil qui poursuit Caïn : "il (Jean Calmet) se sentait complètement désarmé, incapable de dissimuler quoi que ce fût à ces terribles prunelles" (O, 13). Il représente le Dieu que l’on n’ose pas regarder et pour lequel on éprouve "crainte" (O, 13) et amour : "Jean Calmet aimait son père" (O, 13). Il est comme le Dieu de l’Apocalypse, "dont les yeux sont comme une flamme ardente" et "qui sonde les reins et les coeurs".4 Il n’est pas seulement "comme le soleil qui brille de tout son éclat"5, mais "un autre soleil infaillible (...) qui s’illumine de tout son pouvoir" (O, 12). Il n’est pas sans évoquer le diable car, comme lui, il est accompagné de lumière rouge et dorée, ou "rouge" (O, 60) lui-même, et sa poitrine est couverte d’une "forêt de poils gris" (O, 12).
4Le souvenir du père en dehors même du texte étudié est toujours associé à l’horloge (projection spatiale du temps) : "Il y eut la grande horloge dressée dans son cercueil derrière le fantôme" (O, 95) ; "Son couvert est mis au bout de la table devant l’horloge plus haute que lui" (O, 157) ; et surtout "Jean Calmet regardait l’horloge (...) admirait que son père se fut tenu des années devant cette machine dressée comme un monument derrière lui : comme s’il avait voulu s’assimiler allégoriquement à cette force, comme s’il avait voulu les avertir tous de sa domination irrévocable" (O, 30). Après la mort du père, "le cuivre du cadran brill[e] à la lumière du crépuscule" (O, 30) de la même façon que "la lumière du couchant rougissait [le] front luisant et doré" (O, 12) du père.
2 - Le père, symbole ascensionnel
5A travers le docteur sont évoquées les deux premières fonctions sociologiques sur lesquelles se fondent les symboles ascensionnels : la Royauté et la fonction guerrière. Celui-ci suggère la Royauté par sa puissance et sa supériorité. Il "présid[e] au bout de la table" (O, 12), et il est "le maître" (O, 13). Il détient le "pouvoir" (O, 12) et ses yeux sont "tout-puissants" (O, 13). Page 30, Jean Calmet mentionne même sa "domination irrévocable". D’autre part, dans toute sa personnalité se dessine l’image du guerrier, au "ton agressif", qui donne "des ordres" et devant lequel Jean Calmet "n’attend que le moment de s’enfuir" (O, 60). Il laisse Jean Calmet "transpercé", "désarmé" (O, 13). Il est le lutteur arc-bouté contre les ténèbres : "Mais au-devant de l’ombre (...), il y avait cette masse éclairée" (O, 12). "Sa force est visible" (O, 12), et les prunelles "terribles" (O, 13). Il incarne le héros solaire du Régime diurne, violent et lumineux. Il représente dans l’imaginaire de Jean Calmet, la souveraineté ouranienne à la fois Roi et Père. Tout en lui manifeste la puissance, puissance à la fois musculaire (dans "les muscles et la graisse ferme de sa poitrine" (O, 12) et sexuelle. En effet pour l’imaginaire (comme pour la psychanalyse), la dominante sexuelle est étroitement liée à la dominante digestive. Or le docteur "mâch[e] et dégluti[t] sans arrêt" (O, 12). Son front sur lequel la lumière s’attarde : "la lumière du couchant rougissait son front luisant et doré" (O, 12) dénote encore cette souveraineté. Gilbert Durand détaille le "complexe du front", en rappelant qu’il est "le symbole de l’élévation orgueilleuse, de l’individuation par delà le troupeau des frères et en face de la personne divine elle-même".6
6L’assiette posturale du père, "immense" (O, 12), épais et massif (O, 13), symbolise la verticalité. Il s’est "tenu des années devant cette machine dressée comme un monument derrière lui" (O, 30).
3 - Le père magnifié par les symboles lumineux
7Le réflexe postural, qui est le premier réflexe de l’enfant est lié physiologiquement aux facteurs visuels. Et pour l’imaginaire, c’est ce réflexe que renouvelle celui qui est désireux de puissance, si bien qu’autour de la notion de puissance constellent les différents schèmes, lumineux et ascensionnels. Le glaive et le sceptre qui sont les attributs de la Royauté et de la fonction guerrière, s’accompagnent souvent de symboles lumineux et de couleurs symptomatiques du régime diurne.
8La couleur dorée du régime diurne teinte toutes les scènes : "la lumière du couchant rougi[t] son front luisant et doré" (O, 12), ou "le cuivre du battant qui brille" (O, 30) dans "le soleil du soir" (O, 13). Le docteur lui-même dont le front est doré et dont "les bras luisent aussi de lumière orange", devient le "docteur rouge" (O, 60). Ces couleurs confirment son visage de héros solaire et divin car les apparences dorées sont les attributs des grands dieux. De plus l’association du père et du soleil couchant (et non au zénith) confère au docteur le visage de "Gargan - Gargantua, assimilé au soleil couchant".7 Le père symbolise ainsi la puissance affermie par le temps. Elle n’est pas juvénile, mais marquée par la sagesse.
9A ces symboles lumineux s’ajoute le schème de l’ocularité. Jean Calmet se trouve "complètement désarmé" (O, 12) face à "ces yeux tout-puissants" et "ces terribles prunelles" (O, 12). Le père pose sur l’assemblée et en particulier sur son fils un regard inquisiteur qui lui permet de "sav[oir] tout de lui" (O, 12).
4 - Vers un ordre tranché, épuré et rationalisé
10Dans le régime diurne, régime de l’antithèse, il ne peut y avoir de compromis. Les symboles diaïrétiques apparaissent. Le docteur a ce souci de distinction et de clarté. Son regard transperce, fouille, devine. Il rend son fils "transparent (...), incapable de dissimuler" (O, 13). Par son regard, il semble lui enlever toute épaisseur. Ce qu’il ne peut faire par des armes tranchantes, il le fait avec ses yeux.
11Jean Calmet, sous le "feu bleu" (O, 13) des yeux de son père, devient livide. Or le feu est souvent assimilé à la parole divine qui rompt la pénombre de la confusion mentale, et, élève les âmes. Le feu, symbole du régime diurne, est l’étape la plus importante de l’intellectualisation.
12En effet le docteur ne fait confiance qu’au rationalisme et refuse l’affectivité propre au régime nocturne. C’est pourquoi on retrouve chez le rationnel, les traits les plus typiques du docteur et donc du régime diurne : "Il est froid à l’instar du monde abstrait ; il discerne et sépare, et de ce fait, les objets, avec leurs contours tranchants occupent dans sa vision du monde une place privilégiée. Ainsi il arrive à la précision de la forme...".8 C’est pourquoi le docteur, incapable de comprendre son fils, ne peut plus que le mépriser ("Monsieur écrit des poèmes" (O, 61)) Il réussit à lui faire renier sa propre sensibilité.
II - Négation par Jean Calmet de sa pensée nocturne
13"Et lorsque la mort et le temps seront refusés ou combattus au nom d’un désir polémique d’éternité, la chair sous toutes ses formes, spécialement la chair menstruelle qu’est la féminité sera redoutée et réprouvée en tant qu’alliée secrète de la temporalité et de la mort".9
1 - Jean Calmet et sa famille : des êtres lunaires
14Ils s’opposent au héros solaire que représente le docteur. Ils s’inclinent devant la puissance paternelle. Il y a une barrière entre eux et le père divin : "On parlait peu, les frères et les soeurs s’observaient..." (O, 12). Ils semblent figés et incapables de réagir ; la mère est "une souris grise apeurée", (O, 12), Martha "fix[e] son assiette" (O, 12) et Jean Calmet "se désespèr[e] d’être une fois de plus transpercé par ces yeux tout-puissants" (O, 12). Ils sont soumis et obéissants car le père est "le maître" (O, 13) Ils ne peuvent éprouver que "l’humiliation" (O, 60) et adoptent une philosophie de fuite : la maman "trott[e] de la cuisine à la chambre" (O, 12) et Jean Calmet "n’atten[d] que le moment de s’enfuir" (O, 60).
15Autour du père qui est "une masse éclairée, concentrée" (O, 12), la salle "sembl[e] plongée dans la nuit" (O, 12). Le seul sens que développe Jean Calmet, est l’ouïe. Or celle-ci est le sens de la nuit, où l’on peut entendre plus profondément que les yeux ne peuvent voir. L’obscurité amplifie les bruits. Jean Calmet est obsédé par ces bruits qu’"il écout[e] avec répugnance" et qui le dégoûtent (O, 12). Jean Calmet est donc plongé dans une obscurité inquiétante qui rappelle le monde chtonien : "l’ombre (qui) montait du sol..." (O, 12).
2 - Rejet de l’intimité
16L’intimité n’est plus accessible. Il lui est devenu "impossible (...) de pleurer contre ces épaules indestructibles" (O, 62), d’être avalé comme à trois ans (O, 157 et 158). Sa mère, ne représente pas un refuge maternel.
17La maison qui constitue dans l’imaginaire un microcosme secondaire entre microcosme du corps humain et le cosmos, est ici sans âme. Il n’y a aucune description de cette maison alors que Jean Calmet décrit attentivement la chambre de Thérèse. On apprend seulement de la maison qu’elle est "bouleversée de cris de dispute" (O, 12). Au contraire, les arbres et notamment les sapins, sont symboles de protection. L’eau euphémisée et féminine apparaît par la fenêtre. On voit "le lac par la fenêtre ouverte" (O, 40). "La nuit [...] bleue" (O, 40) est protectrice et rassurante. Mais Jean Calmet installé dans la maison, ne peut accéder à cette intimité.
3 - Mépris des fonctions sociologiques du Régime nocturne
18La première fonction sociologique du régime nocturne est la fonction nourricière. (O, 12). "La mère mangeait très vite, se levait sans cesse, trottait" (O, 12). Il y a une valorisation négative de la fonction nourricière à travers la mère minuscule face au père "immense" (O, 12), apeurée face à la "force (...) heureuse" du père (O, 12) et gagnée par une agitation animale. Dans le régime nocturne, "au geste de l’avalage correspond le schème de la descente et celui du blottissement dans l’intimité".10 Le ventre n’est plus considéré que comme l’outre des vices. Se manifeste ici la répugnance (O, 12) devant le geste digestif, la succion et les chuintements, ce qui exprime peut-être aussi une répulsion à l’égard du sexuel (voir le dégoût que Jean Calmet éprouvera plus tard avec Thérèse). En effet "... à son origine cette rythmique sexuelle est reliée à la rythmique de la succion et il y a anastomose fort possible entre la dominante sexuelle latente dans l’enfance et les rythmes digestifs de la succion (...) les symboles de Tavalage ayant souvent des prolongements sexuels".11
III - Les fonctions fantastiques de l'imaginaire : sur le chemin de la liberté
1 - La focalisation
19Cette scène est en fait un souvenir de Jean Calmet. Les excitations sensorielles de son passé sont devenues images. On découvre alors la scène avec les yeux et la sensibilité de Jean Calmet : "Soudain la solitude lui fut insupportable et tout le tableau s’éclaira" (O. 11). A travers ce tableau, c’est le père à la fois haï et adoré que l’on découvre. "Ce n’est plus l’image qui sacralise la perception, mais la perception qui sacralise l’image".12 De même la salle à manger n’est pas un simple lieu où l’on dîne, mais l’illustration d’une manière de voir, de sentir ou de juger. La profondeur des champs aussi traduit la perception de la scène par Jean Calmet : le père est au centre, "au-devant de l’ombre" (O, 12), le reste de la famille en arrière-plan, et Jean Calmet assis "à l’autre bout de la table" (O, 12). Il y a l’immédiat et le secondaire. Dans ce souvenir, l’espace semble être la concrétisation de l’imaginaire de Jean Calmet.
2 - Les missions de l’image (fonction ontologique de l’imaginaire)
20L’image est avant tout une expression libératrice. En effet l’imagination apparaît comme résultant d’un accord entre les désirs de Jean Calmet et l’ambiance familiale. Le professeur n’aurait jamais pu faire de son père un souverain céleste, un symbole ouranien, si la soumission de tous ne s’y était pas prêtée. Gilbert Durand résume ce fonctionnement de l’imaginaire : "L’imaginaire n’est rien d’autre que ce trajet dans lequel la représentation de l’objet, [le père], se laisse assimiler et modeler par les impératifs pulsionnels du sujet, [Jean Calmet], et dans lequel réciproquement (...) les représentations subjectives s’expliquent par les accommodations antérieures du sujet au milieu objectif".13
21Cela permet ainsi à Jean Calmet de vaincre d’une part la solitude qui lui est "insupportable" (O, 11), d’autre part le temps et les angoisses qui en résultent. En effet il donne une figure mythique d’Ogre au docteur pour donner forme à son angoisse devant un père trop oppressant et dominateur. C’est une réaction défensive. Figurer un mal, représenter un danger, symboliser une angoisse, c’est d’une certaine façon les dominer de même qu’imaginer le temps sous son visage ténébreux, c’est se donner la possibilité de le maîtriser.
3 - Une scène issue de la mémoire
22Ce sont les contextes identiques qui provoquent le souvenir de Jean Calmet : l’heure crépusculaire et le dîner. A priori les images qui lui reviennent en mémoire le font souffrir plus qu’elles ne le libèrent. Pourtant c’est parce que "la solitude lui [est devenue] insupportable" (O, 11) qu’il va laisser les images refaire surface. La mémoire est-elle libératrice ? Le souvenir se termine sur cet aveu : "Mais Jean Calmet aimait son père. Pourquoi ne lui avait-il pas dit ?" (O, 14). On a alors l’impression que ce souvenir a supprimé la rancoeur contre le père. Comme si la représentation "désamorç[ait] le souvenir le plus fumeste de sa virulence existentielle".14 Le passé et les personnages qui l’habitent sont trop présents et il lui faut les laisser ressurgir, pour ne pas les laisser envahir sa vie intérieure.
23Peut-être l’angoisse naît-elle aussi de la mort du père qui signifie un échec contre le temps. Certes Jean Calmet craignait le docteur, il était un père castrateur, exigeant et intransigeant. Mais Jean Calmet l’admirait aussi pour sa force et son visage de héros solaire infaillible qui seul peut lutter contre les grandes figures funestes du temps et de la mort. Par le souvenir, la mémoire se dresse contre ce temps qui détruit son père. C’est un moyen de maîtriser le temps.
24Le temps peut être maîtrisé par la répétition. En mangeant dans ce restaurant, Jean Calmet renouvelle cette "scène très ancienne (...) au temps où il vivait auprès de sa famille" (O, 12). Ce repas "s’[est] reproduit des milliers de fois" (O, 12) et se présente comme un rituel que l’ancienneté ("une scène très ancienne" (O, 12)) sacralise. Jean Calmet doit renouveler la scène : "Ainsi ont fait les Dieux, ainsi font les hommes".15 Et peut-être qu’ainsi l’homme aura un pouvoir sur le temps.
25Les deux personnages du texte sont les symboles des deux régimes de l’imaginaire : le père, héros solaire, figure d’Ogre et visage du temps... symbole du régime diurne de l’imaginaire ; le fils, plus résigné, silencieux et désarmé, poète qui tend spontanément vers le régime nocturne de l’imaginaire. Pourtant sous l’influence de son père dont "il aim[e] [la] voix dominatrice en même temps qu’il en [a] peur" (O, 13), le fils se détourne du régime nocturne et donc se détourne de lui-même.
26Mais par la mort de l’un ne peut-il y avoir renaissance de l’autre ? Jean Calmet éprouve "un sentiment de délivrance" (O, 15) à la mort de son père qu’il veut "détruire" (O, 16). Il croit pouvoir désormais vivre véritablement.
27Pourtant au fil des pages, "le salut" (O, 127) s’avère irréalisable. Le père castrateur a privé son fils de vie : "Tu es à moitié vivant, remarque le chat. Tu te consumes. Tu es plus cendre que ton père". (O, 127). Hanté par les exigences de son père, il ne peut choisir le bonheur simple et le repos. Et c’est peut-être par lassitude qu’il se donne la mort.
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BIBLIOGRAPHIE
Ouvrage étudié :
CHESSEX Jacques,
L'Ogre, Paris, Grasset, 1973. (Les références à cet ouvrage seront indiquées selon le sigle O).
Ouvrage consulté :
10.3917/dunod.duran.2016.01 :DURAND Gilbert,
Les Structures Anthropologiques de l'Imaginaire, Paris, Dunod, 1992.
GIRARD René,
Mensonge romantique et Vérité romanesque, Paris, Grasset, 1961.
Notes de bas de page
1 Jacques Chessex, L'Ogre, édition Grasset. (Les références à cet ouvrage seront indiquées selon le sigle : O).
2 Se rapporter à l’étude de Gilbert Durand, Les Structures Anthropologiques de l''Imaginaire, édition Dunod, 1992.
3 Exemple tiré d’un passage extérieur au texte étudié.
4 La Bible de Jérusalem, Apocalypse de St Jean, 2 ; 18 et 23.
5 Ibid, 1 ; 16.
6 G. Durand, op. cit., p. 158.
7 Ibid, p. 331.
8 Minkowski, La Schizophrénie, p. 203.
9 G. Durand, op. cit., p. 134.
10 G. Durand, op. cit., p. 61.
11 Ibid, p. 50.
12 René Girard, Mensonge et Vérité romanesque, éd. Grasset. 1961, p. 97.
13 G. Durand, op. cit., p. 38.
14 G. Durand, op. cit., p. 466.
15 Proverbe de Taîttyria Brâhmana.
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Les mythes de l'ogre et de l'androgyne
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