L'androgynie dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier
p. 11-33
Texte intégral
1Comme de nombreux écrivains, de Novalis à Péladan, en passant par Balzac et Isidore Ducasse, Michel Tournier semble hanté par la nostalgie du Paradis perdu, et utilise comme eux la figure de l'androgyne. Celle-ci, dans les civilisations où elle apparaît, est toujours liée à l'idée de perfection primordiale :
"Puisque l'androgyne est un signe distinctif d'une totalité originaire dans laquelle toutes les possibilités se trouvent réunies, l'Homme primordial, l'Ancêtre mythique de l'humanité est conçu dans de nombreuses traditions comme androgyne".1
2C'est pour cette raison que l'androgyne devient le but de rites et d'initiations pour la réintégration de cet état. Arlette Bouloumié écrit : "Malgré l'évolution, sensible dans les diverses réécritures de la création par Michel Tournier, (...) l'androgynie est et reste, dans son oeuvre, liée à une idée de perfection. Elle est une image de force, de surhumanité. (...) Aussi chacun de ses romans raconte-t-il les épreuves d'un héros en quête d'immortalité, s'efforçant de retrouver l'unité et les pouvoirs de l'androgyne, être initial et final".2
3Nous étudierons comment l'initiation de Robinson dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique3 peut être liée au thème qui semble avoir influencé toute la construction du récit.
4L'intérêt d'une étude sur l'androgyne consistera à examiner la manière dont Tournier l'illustre à travers de multiples variations. L'opposition des sexes n'est peut être qu'une anthropomorphisation d'une conception plus vaste dont la clé se trouve parmi toutes les oppositions impliquées par elle. On pourrait aussi s'interroger sur une possible influence des analyses de Claude Lévi-Strauss dont Tournier écrit dans le Vent Paraclet :
"J'ai commencé la rédaction de Vendredi où je voulais mettre l'essentiel de ce que j'avais appris au Musée de l’Homme sous la direction notamment de Claude Lévi-Strauss".4
5On tentera donc une lecture "à l'américaine" du roman pour comprendre toutes les implications de l'androgyne. En premier lieu, il s'agira d'analyser le personnage de Vendredi qui apparaît, dès le début, comme le type même de l'androgyne. Ensuite, il faudra se pencher sur l'initiation de Robinson qui est aussi une androgynisation, à partir des relations des deux personnages, au sein du couple gémellaire.
I - Vendredi ou l'androgyne
6Comme le montre le titre du roman, Vendredi joue un rôle important dans l'intrigue et fournit, dès le prologue, le modèle de l'androgyne que Robinson suivra. Pour comprendre toutes les significations de ce thème, il est nécessaire de cerner la nature de l'Araucan en partant du sens propre de l'androgynie, selon le code sexuel, pour arriver à un sens métaphorique, avec le code sociologique.
A - Le code sexuel
7Quoique cette bi-sexualité soit d'ordre symbolique il n'en demeure pas moins que Vendredi présente des éléments propres aux deux sexes.
a - Le symbolisme du nom
8Le premier indice est évidemment son nom paradoxal. Bien que mâle, il est placé sous le patronage de la déesse de l'amour et de la féminité par excellence ou de la grande Mère Robinson cherche à démêler les "fils d'un écheveau de significations dont Vendredi est le centre". Il découvre le sens étymologique de Vendredi :
"Le vendredi, c'est, si je ne me trompe, le jour de Vénus. J'ajoute que pour les chrétiens, c’est le jour de la mort du Christ". (V.L.P, 228).
9L'allusion au divin serait déjà une image de la plénitude qu'exprime la bisexualité. Cette précision est d'autant plus intéressante que Vendredi et Vénus sont opposés par Robinson au Christ, le Dieu-homme. Ici c'est l'élément féminin qui représente le divin.
b - L'aspect physique de Vendredi
10La description physique qu'en fait Robinson, montre que Michel Tournier n'a pas maintenu ce nom, hérité de la tradition, par hasard :
"Je le regarde s'arracher en riant à l'écume des vagues qui le baignent, et un mot me vient à l'esprit : la vénusté. La vénusté de Vendredi. Je ne sais pas exactement ce que signifie ce substantif assez rare, mais cette chair luisante et ferme, ces gestes de danse alentis par l'étreinte de l'eau, cette grâce naturelle et gaie l'appellent irrésistiblement sur mes lèvres". (V.L.P, 227-228).
11On retrouve dans cette description plusieurs traits attribués à Vénus :
la grâce physique qui unit les canons de la beauté masculine et féminine, d'où le mot vénusté, plus souvent utilisé pour une femme que pour un homme.
La sortie des eaux souligne la féminité et rappelle la déesse dont le nom vient du mot écume5. La féminité de Vendredi est liée à une idée de perfection et de plénitude.
c - Le tarot
12Tout comme un thème musical, les cartes majeures de ce jeu structurent plusieurs scènes du récit. Dans le cas de Vendredi, il y a bien coexistence d'une apparence masculine (dans l'intrigue) et d'une nature féminine métaphorique exprimée par la carte intitulée l'Etoile.
"Vénus en personne émerge des eaux et fait ses premiers pas dans vos plates-bandes", (V.L.P, 9).
13Cette nature féminine paraît instable, car Vénus semble changer de sexe, tout en conservant paradoxalement sa féminité :
"Arcane sixième : le Sagittaire, Vénus, transformée en ange ailé, envoie des flèches vers le soleil" (V.L.P, 9). Arcane quinzième : Les Gémeaux, je me demandais quel allait être le nouvel avatar de notre Vénus métamorphosée en tireur à l'arc. Elle est devenue votre frère jumeau, (V.L P, 10).
14Cela prouverait que sa véritable nature est à la fois féminine et masculine, donc androgyne, soit que l'on observe ce phénomène dans les changements successifs par inversion : nature féminine masculine masculine et féminine, soit que l'on considère l'ange et les jumeaux de l'arcane quinze comme déjà androgynes.
15L'androgynie de Vendredi apparaît par son idée de plénitude comme l'image de l'état primordial. Il reste à voir les sens adjacents à cette opposition des sexes afin de découvrir les équivalents des pôles masculins et féminins.
B - Le code sociologique
16L'opposition des sexes n'a pas d'autre intérêt que de signifier d'autres oppositions dans des domaines a priori étrangers, afin d'expliciter la notion d'androgynie.
17L'histoire de Robinson Crusoë et ses nombreuses variantes posent, en effet le problème des relations de l'homme à la nature, ou de l'opposition entre nature et culture. Aussi n'est-il pas étonnant de retrouver l'importance du code sociologique dans la constitution de Vendredi.
a - Un nom représentatif
18La première opposition est déjà contenue dans le nom choisi par Robinson, pour l'Araucan :
"Je ne voulais pas lui donner un nom de chrétien avant qu'il ait mérité cette dignité (...). Je ne pouvais pas non plus décemment lui imposer un nom de chose, encore que c'eût peut-être été la solution de bon sens (...). Vendredi. Ce n'est ni un nom de personne ni un nom commun, c'est à mi-chemin entre les deux, celui d'une entité à demi vivante, à demi abstraite" (V.L.P, 148).
19L'opposition entre féminité symbolique et masculinité concrète se poursuit : entre concept et réalité, animé et inanimé, individu et chose, ce qui permet de situer Vendredi en marge de l'humanité, tant au-delà qu'en deçà.
b - A la frontière entre nature et culture
20Vendredi, en effet, semble toujours mélanger nature et culture, en passant indifféremment de l'une à l'autre. Bien qu'il participe à l'humanité, il en est cependant rejeté, qu'il s'agisse de la société tribale où l'étranger est un monstre et un danger pour son équilibre intérieur :
"Il paraissait de peau plus sombre, de type un peu négroïde, sensiblement différent de ses congénères - et peut-être cela avait-il contribué à le faire désigner comme victime". (V.L.P, 142).
21ou qu'il s'agisse de l'humanité, identifiée au monde occidental : "un sauvage n'est pas un homme à part entière". (V.L.P, 147) affirme Robinson qui en fait un inférieur. Ainsi une part de Vendredi reste toujours étrangère au groupe dans lequel il apparaît.
22Pour cette raison, il semble réintégrer assez facilement la nature et le règne animal, comme le constate Robinson :
"En vérité ses relations avec les animaux sont elles-mêmes plus animales qu'humaines. Il est de plain-pied avec eux (...) Il est reçu et accepté par les bêtes comme l'une d'elles". (V.L.P, 171).
23et d'une manière plus métaphorique, le règne végétal :
"Alors le tronc s'agita et le rire de Vendredi éclata. L'Araucan avait dissimulé sa tête sous un casque de fleurs. Sur tout son corps nu, il avait dessiné avec du jus de génipapo des feuilles de lierre dont les rameaux montaient le long de ses cuisses et s'enroulaient autour de son torse. Ainsi métamorphosé en homme-plante, secoué d'un rire démentiel, il entoura Robinson d'une chorégraphie éperdue". (V.L P, 164).
24Comme le montre l'expression "Homme-plante", l'Araucan appartient encore à l'humanité et à la culture, une culture différente de celle de Robinson, comme l'indique l'accumulation d'objets personnels :
"Des masques de bois, une sarbacane, un hamac de lianes où reposait un mannequin de raphia, des coiffes de plumes, des peaux de reptiles, des cadavres desséchés d'oiseaux étaient les indices d'un univers secret dont Robinson n'avait pas la clef" (V.L.P, 163)
25Il y a donc coexistence de la Culture et de la Nature, du règne animal et végétal, chez Vendredi, comme il y avait coexistence d'éléments masculins et féminins. Cette indistinction permet donc de reconnaître la structure mystique de l'imaginaire à l'oeuvre dans le mythe dont la première définition est d'être, selon Claude Lévi-Strauss :
"Une histoire du temps où les hommes et les animaux n'étaient pas encore distincts".6
c - le métissage et la nature double
26La dualité de Vendredi est encore signifiée par la notion sociologique du métissage. Robinson dit, en effet, de lui :
"Non seulement, il s'agit d'un homme de couleur, mais cet Araucanien costinos est bien loin d'être un pur sang, et tout en lui trahit le métis noir ! Un Indien mâtiné de nègre !" (V.L.P, 146).
27L'intérêt de ce métissage est qu'il rejoint la couleur des mandragores engendrées par Vendredi (au contraire de celles de Robinson, monochromes) :
"La fleur qu'il (Robinson) a sous les yeux est rayée. Elle est blanche avec des zébrures marron". (V.L.P, 166).
28Sans s'arrêter sur le symbolisme des couleurs, la mandragore zébrée est le signe, non pas de la confusion mais de la coexistence de deux éléments, comme sa double origine. Ainsi le métissage reprend la manière dont le tarot définissait le sexe de Vénus, d'une lame à l'autre, contribuant à en faire un être du mélange, toujours double.
29Le code sociologique est particulièrement apte à rendre compte de l'idée d'androgynie :
par la notion de plénitude qui relie en Vendredi de nombreux domaines de la réalité, comme aux temps primordiaux où ils n'étaient pas distingués.
par les corrélations qui peuvent être établies entre la séparation des sexes et les catégories précitées où chaque terme se répond : la séparation homme/femme reprend celle entre culture/nature7, ou entre civilisé/sauvage, humain/non humain (animal ou végétal), individu/objet.
30La mise en évidence de cette corrélation de termes opposés montre que Vendredi participe de chacune d'elles. Celui qui est homme et femme à la fois, est aussi mi-homme, mi-animal ou végétal, mi-individu mi-objet, et donc "zébré".
31Ainsi l'androgynie de Vendredi est-elle liée, comme dans de nombreuses mythologies, à la représentation du chaos où toutes les catégories sont confondues : ethniques, sociologiques, sexuelles.
32Cela montre l'appartenance de Vendredi à tous les modes d'être. Sa nature éolienne, dans le code cosmique, le fait participer de la terre et du ciel
II - L'androgyne et le couple gémellaire
33Vendredi ou les Limbes du Pacifique annonce déjà l'un des thèmes récurrents de l'oeuvre de Tournier : la gémellité. Le thème des jumeaux s'inscrit, bien souvent, dans la continuité de celui de l'androgyne La complémentarité des jumeaux peut très bien exprimer la fusion harmonieuse des contraires, comme l'androgyne, mais aussi l'exact opposé, un dualisme conflictuel, de type bien/mal, ombre/lumière8. Conformément à la volonté de Tournier de réintégrer l'unité originelle à partir de l'état de chute, ces deux types de relation vont se retrouver dans l'intrigue du roman.
A - L'opposition des jumeaux
34Bien que leurs relations ne puissent se réduire à ce seul aspect, on pourrait penser que les premiers rapports entre Vendredi et Robinson sont en partie calqués sur celles de jumeaux amérindiens9.
a - Robinson, le démiurge et le régime diurne
35A l’indistinction que représente l'androgyne, répond, chez Robinson, une attitude relevant du pôle schizomorphe, par des figures antithétiques ou polémiques : le besoin de distinction et l'affirmation de sa souveraineté virile.
1 - La masculinité ou l'affirmation de la souveraineté
36La nature propre de Robinson est définie par plusieurs attributs masculins, ce qui l'oppose totalement à Vendredi. L'identification avec le bouc Andoar (V.L.P, 227) lui permet de se définir comme un "faune tellurique", un "vieux mâle solitaire et têtu" qui indique une forte virilité10. La barbe appuie cette idée, mais en plus lui donne "son aspect solennel et patriarcal, ce côté Dieu le Père". (V.L.P, 191).
37L'assimilation à Dieu est à la fois l'affirmation de la souveraineté et de la virilité, sous les symboles du sceptre et du glaive, comme le dit G. Durand :
"(Le) sceptre est également verge. Car il semble bien qu'il faille adjoindre à l'élévation monarchique la notion oedipienne de Dieu Père, de Dieu grand mâle".11
38La relation avec l’île est d'abord une lutte contre la nature et le chaos.
2 - Les structures héroïques dans l'aventure de Robinson
39En recréant le monde humain sur son île déserte, Robinson peut apparaître comme le héros civilisateur qui sépare, distingue, organise12.
40Il fait le classement des plantes et espèces utiles (V.L.P, 43), institue de nouveau la culture des céréales (V.L P, 57), l'élevage (V.L.P, 47), des titres de fonctions propres à la civilisation : général (V.L P, 78), pontife, gouverneur et légiste13 (V.L.P, 71). A ces schèmes d'organisation s'ajoute la recherche de la pureté d'où le besoin d'un ordre moral mélange de "virtus" (V.L.P, 51) et de puritanisme à l'américaine (V.L.P, 61-62). Il lutte contre les symboles thériomorphes de la mort et les rejette dans le chaos, qu'il s'agisse des vautours lubriques (V.L.P, 48), des rats (V.L.P, 85), des oiseaux ou des insectes. (V.L.P, 63).
41Toutes ces activités sont préfigurées par l'arcane "7", "Le Triomphateur", tiré par Robinson :
"Un personnage portant couronne et sceptre debout sur un char tiré par deux coursiers.
- Mars, prononça le capitaine. Le petit démiurge a remporté une victoire apparente sur la nature. Il a triomphé par la force et imposé autour de lui un ordre qui est à son image". (V.L.P, 7-8).
42Cette métaphore guerrière renvoie à une structure héroïque et prépare ainsi une identification à Dieu le Père : Yahweh, (V.L.P, 175). On peut donc attribuer à Robinson, le titre de démiurge explicitement employé par Van Deyssel, à propos de l'arcane "1" :
"C'est le démiurge(...) Il figure un bateleur, debout devant un établi, couvert d'objets hétéroclites. Cela signifie qu'il y a en vous un organisateur. Il lutte contre un univers en désordre qu'il s'efforce de maîtriser avec des moyens de fortune". (V.L.P, 7).
43Cette identification au démiurge est d'ailleurs liée à la situation géographique de Robinson : "Il la situa (sa maison) à l'entrée de la grotte (...) qui se trouvait au point le plus élevé de l'île". (V.L.P, 65).
"On voit comment l'attitude imaginative de l'élévation originairement psycho physiologique, non seulement incline à la purification morale, à l'isolement angélique ou monothéiste, mais encore rejoint la fonction sociologique de souveraineté" écrit G. Durand14.
44Cet emploi de "l'imaginaire diurne" permet ainsi de rattacher Robinson à un modèle mythique, celui du héros civilisateur, du démiurge, comme dans la conception des sociétés traditionnelles et d'opposer Robinson et Vendredi, non pas sur leur nature propre mais aussi sur leurs fonctions antithétiques, ce qui éclaire l'androgynie de Vendredi.
b - Vendredi, le décepteur et le régime nocturne
45Dans cette relation, placée sur le plan mythique entre deux termes, si l'un est mâle et remplit la fonction de démiurge, alors on peut légitimement penser que l'autre, de nature androgyne, remplit la fonction inverse, celle du décepteur :
"Personnage énigmatique, qui viole joyeusement les tabous, s'introduit dans les espaces interdits, se travestit en femme ou en homme selon ses appétits" écrit Pierre Desy15.
46Ainsi la nature de Vendredi sur un plan sociologique est une inversion typique du démiurge.
1 - La parodie
47Cette construction par inversion est évidente dans le reflet parodique qu'offre Vendredi des principales activités de Robinson : A la domestication des chèvres (V.L.P, 47) répondent les relations amicales de Vendredi avec des animaux qui, non seulement sont improductifs, mais qui représentent un danger :
"(Vendredi) ne comprenait pas davantage qu'il y avait des espèces nuisibles qu'il convenait de combattre à outrance, et ne s'était-il pas avisé d'amadouer un couple de rats qu'il prétendait faire croître et multiplier !" (V.L.P, 165).
48A cette parodie du pôle héroïque, s'ajoute celle du schème ascensionnel dans la relation à Dieu des offices dominicaux. Il rejoint, en cela, l'attitude de Coyote ou des "clowns" cérémoniels qui, se moquant des choses sacrées, remettent en cause toute l'organisation d'une société16.
"(Vendredi) rit, éclate d'un rire redoutable, un rire qui démasque et confond le sérieux menteur dont se parent le gouverneur et son île administrée". (V.L.P, 149).
49"Le rire blanc"17 de Vendredi remet donc en cause "le sceptre et le glaive" comme celui des autres décepteurs. Cette parodie se manifeste dans le détournement de l'activité démiurgique dans ce qu'elle a de plus masculin, avec "Vendredi répandant sa semence noire dans les plis de la combe rose, par esprit d'imitation ou par facétie". (V.L.P, 179).
50Avec la notion de paternité et de virilité, celle de la souveraineté de Robinson est ébranlée par l'acte de Vendredi qui se pose en concurrent. On retrouve une fois de plus une interférence entre le code sociologique et le code sexuel où domination masculine et labour sont assimilables : “C'est en ce sens que se rejoignent en une espèce de technologie sexuelle les armes tranchantes et pointues et les outils aratoires”18 écrit G Durand. Vendredi usurpe le “soc de chair” qui appartenait de droit à Robinson. (V.L.P, 175) Cette “fornication” rejoint d'ailleurs la sexualité débordante des décepteurs19.
51Cette caricature des structures schizomorphes de la virilité et de la souveraineté pourrait caractériser Vendredi.
2 - Le décepteur ou l'image de la confusion
52Vendredi est aux antipodes de l'attitude diurne qui utilise des schèmes de séparation et de distinction. Or c'est justement là que réside, dans les mythologies amérindiennes, la différence entre démiurge et trickster ou décepteur :
"L'un dissocie les aspects positifs et négatifs du réel et le place dans des catégories séparées L'autre agit en sens contraire : il renie le bon et le mauvais. Le démiurge a changé les créatures animées en inanimées, de ce qu'elles étaient au temps de mythes, en ce qu'elles seront désormais. Le décepteur s'obstine à imiter les créatures comme elles étaient aux temps mythiques mais ne pourront demeurer. Il fait comme si des privilèges, des exceptions ou des anomalies pouvaient devenir la règle, alors que le démiurge a pour rôle de mettre un terme aux singularités, et de promulguer les règles universellement applicables, à chaque espèce et chaque catégorie".20 écrit Claude Lévi-Strauss.
53Cette description convient parfaitement à un personnage hermaphrodite et plus encore à Vendredi qui confond nature et culture, non seulement par son amitié avec les bêtes (V.L.P, 165) mais lorsqu'il met des vêtements aux cactus (V.L.P, 159-160).
54On retrouve une opposition entre un Robinson "démiurge" et un Vendredi qui appartient au chaos originel. Ce contexte de confusion, d'indistinction est d'ailleurs propre à cette figure des origines qu'est l'être bisexué.
55Finalement, on peut définir une "fonction propre à l'androgyne" à partir de cette figure du décepteur dont Vendredi suit les grandes lignes. D'état, la bisexualité est devenue un champ d'action, celui du médiateur21 entre deux ordres. La différence vient de ce que le décepteur, par maladresse, produit tous les dysfonctionnements, en faisant que le monde est tel qu'il est avec ses imperfections alors que Vendredi, par maladresse, ramène Robinson à l'Age d'or. On assiste donc à une euphémisation du modèle mythique22.
56Ce premier rapport d'opposition dans le couple gémellaire, permet donc :
de rattacher les relations entre Vendredi et Robinson à une forme de relation existant déjà dans les mythes amérindiens23. Cette assimilation partielle à des personnages authentiques de la tradition indigène est dans la droite ligne de l'intention première de Tournier d'écrire un roman métaphysique et mythologique24.
de mettre explicitement en relation gémellité et androgynie, puisque l'un des jumeaux possède la nature bisexuée ; ceci permet d'appliquer cette notion d'androgynie dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique à toutes les manifestations de l'être (sexe, métissage, nature/culture). L'hermaphrodisme devient un type de relations relevant des structures synthétiques de l'imaginaire, d'où la fonction médiatrice. Dans ce champ d'action est indu le rôle de mystagogue de Vendredi qui fait passer Robinson du Cosmos au Chaos.
57Le rapport entre androgynie et gémellité est symbolisé par l'arcane quinze : le diable où "les gémeaux sont figurés attachés par le cou, aux pieds de l'ange bisexué". (V.L.P, 10).
B - L'androgynisation de Robinson ou la similarité des jumeaux
58La seconde partie du roman - la phase éolienne - présente la relation des jumeaux, assimilés aux Dioscures grecs, mais peut-être aussi de type Navaho. L'identification gémellaire, but de l'initiation, implique une complète conversion de Robinson sous la conduite de Vendredi.
a - L'aspect solaire des gémeaux
59Par l'emploi du terme gémeaux, l'arcane dix-neuf sous-entend une totale ressemblance entre les deux enfants représentés : Nous retrouvons le couple des Gémeaux sur le dix neuvième arcane majeur, l'arcane du Lion. Deux enfants se tiennent par la main25 devant un mur qui symbolise la Cité solaire :
"Nous retrouvons le couple des Gémeaux sur le dix-neuvième arcane majeur, l’arcane du Lion. Deux enfants se tiennent par la main devant un mur qui symbolise la Cité solaire. Le dieu soleil occupe tout le haut de cette lame qui lui est dédiée. Dans la Cité solaire (...) les habitants sont revêtus d’innocence enfantine". (V.L.P, 11,12).
60Cette lame du tarot va ainsi guider la métamorphose de Robinson en androgyne sur le modèle de son alter ego :
"(Robinson) avait renoncé à se raser le crâne, et ses cheveux se tordaient en boucles fauves de jour en jour plus exubérantes. En revanche, il avait coupé sa barbe (...). Il avait ainsi rajeuni d'une génération, et un coup d'oeil au miroir lui révéla même qu'il existait désormais - par un phénomène de mimétisme bien explicable - une ressemblance évidente entre son visage et celui de son compagnon. (...) Encouragé par Vendredi, il s'exposait nu désormais au soleil". (V.L.P, 191).
61Robinson se féminise comme le montre sa chevelure, élément féminin par excellence. La ressemblance avec l'androgyne vient de l'abandon de l'attribut viril qu'est la barbe patriarcale, d'où le passage d'une relation paternelle à une relation fraternelle, d'égalité. (V.L.P, 191). A cela s'ajoute la nudité qui peut être, dans l'ordre sociologique, le passage de la culture à la nature26, conformément au sens général de cet arcane : le soleil normalement "exprime le bonheur de celui qui sait être en accord avec la nature, l'union sincère, la joie, la famille unie".27
62Le soleil est à la fois l’intermédiaire entre les jumeaux et leur origine. Robinson le montre en effet par son invocation : "Soleil, rends-moi semblable à Vendredi". (V.L.P, 217). De là vient l'image de la renaissance initiatique par comparaison avec l’insecte où Robinson, de "larve blanche et molle" devient "phalène au corselet métallique" (V.L.P, 226-227) ; outre la métamorphose physique, on retrouve le passage de l'ordre chthonien ou tellurique à l'ordre éolien, domaine de Vendredi.
63On pourrait penser au premier abord que les Gémeaux solaires sont la représentation du couple "androgyne" "mâle-mâle" dont parle Platon dans Le Banquet. Or Vendredi et sa vénusté échappent aux canons masculins et Robinson rejette toute tentation de sodomie que justifiait justement le mythe platonicien. On peut même penser qu'il n'y a aucune référence au Banquet, puisque Robinson abandonne tout caractère viril et "se définit" "sous les espèces féminines". (V.L.P, 230).
64La nouvelle forme de Robinson, sa "stature surhumaine" (V.L.P, 216), la ressemblance avec la figure androgyne de Vendredi, l'abandon de la terre au profit de la relation avec le soleil (le Robinson mâle face à la terre femelle est remplacé par un Robinson femelle face à un soleil mâle) montrent donc que la nature de Robinson est maintenant androgyne.
65Si le soleil sert de passerelle entre Vendredi et Robinson dans l'arcane dix-neuf, c'est qu'il s'agit d'une figure synthétique dans la parfaite continuation de "l'Ange bisexué". Or, chez les Araucans existe un dieu solaire et ouranien qui est justement androgyne28. Cette figure expliquerait l'androgynie des deux personnages.
66La présence d'un couple gémellaire avec le soleil permet de disqualifier le type de relation entre Castor et Pollux au profit de celui de Navahos, fils du soleil. Ce rapprochement est d'autant plus intéressant que ces jumeaux mythiques apparaissent dans le mythe d'émergence Zuni où l'humanité passe des mondes souterrains aux mondes d'en haut29, comme Vendredi fait passer Robinson du monde tellurique au monde éolien. Quoi qu'il en soit, les Dioscures ont une nature totalement identique Il reste à considérer comment cela se traduit dans leur fonction respective.
67En faveur de cette hypothèse, il faut signaler que Van Deyssel parle bien d'un dieu soleil (V.L.P, 12), Robinson d'un culte solaire (V.L.P, 225), et que les jumeaux sont expressément dits être les fils du Soleil (V.L.P, 232). Or les Dioscures grecs cités à propos de la lune avec l'oeuf de Léda et le cygne jupitérien (V.L.P, 231) n'ont aucun rapport avec cet astre dans la mythologie classique30.
b - L’inversion des rôles
68Les jeux auxquels se livrent Robinson et Vendredi permettent de démontrer une fusion totale entre eux qui se traduit par la disparition de toutes leurs anciennes fonctions, vidées de leur sens. Robinson et Vendredi échangent leurs fonctions respectives :
"Si Vendredi était Robinson, le Robinson de jadis, maître de l'esclave Vendredi, il ne restait à Robinson qu'à devenir Vendredi, le Vendredi esclave d'autrefois". (V.L.P, 212).
69Puisque l'un prend la place de l'autre, le démiurge occupe la fonction synthétique du trickster, et le trickster occupe la fonction schizomorphe du démiurge.
70Leur nature ancienne considérée comme négative est rejetée au moyen des doubles :
"Dès lors ils vécurent à quatre sur l’île. Il y avait le vrai Robinson et la poupée de bambou, le vrai Vendredi et la statue de sable. Et tout ce que les deux amis auraient pu se faire de mal - les injures, les coups, les colères - ils le faisaient à la copie de l'autre". (V.L.P, 211).
71La poupée de bambou représenterait l'état chthonien mâle de Robinson "époux de la terre" (V.L.P, 229), qui utilise souvent la métaphore végétale pour se définir, soit à propos de sa barbe aux poils comme "autant de radicelles géotropiques (V.L.P, 217), soit à propos de sa peau laiteuse et fragile comme celle "des raves et des tubercules". (V.L.P, 291).
72Quant à la statue de sable représentant Vendredi, elle fait allusion, soit à la vénusté, donc à la féminité, par rapprochement avec la déesse sortant des eaux, soit à la nature androgyne, car le sable est l'intermédiaire entre l'eau et la terre ; ce qui fait également pendant à sa nature d'araucanien costinos, des côtes, entre la mer et la terre.
73Vendredi garde son caractère androgyne. Robinson, quant à lui, change totalement de sexe
"S'il fallait nécessairement traduire, en termes humains ce coït solaire, c'est sous les espèces féminines et comme l'épouse du ciel qu'il conviendrait de me définir". (V.L.P, 230).
74L’androgynie se présente dans une perspective de réintégration de l’état primordial
c - L'état primordial ou la neutralisation de toutes les oppositions
75Puisque toutes les différences sont effacées entre Robinson et Vendredi, on pourrait supposer une nouvelle acception de l'androgynie : non plus une coexistence des sexes mais l'effacement même de toute notion de sexualité.
76Le capitaine Van Deyssel parlait en effet de la cité solaire comme du zénith de la perfection humaine :
"Dans la cité solaire - suspendue entre le temps et l'éternité, entre la vie et la mort - les habitants sont revêtus d'innocence enfantine, ayant accédé à la sexualité solaire qui, plus encore qu'androgynique, est circulaire. Un serpent se mordant la queue est la figure de cette érotique close sur elle même, sans perte ni bavure". (V.L.P, 12).
77L'androgynie de Robinson correspond, en effet, à un retour à l'état primordial. On constate une inversion du temps, comme le laisse supposer l'innocence enfantine : Robinson rajeunit (V.L.P, 191), Jeudi remplace Vendredi dans le couple gémellaire. Ils vont nus, signe de la négation du péché originel.
78D'autre part, le temps lui-même est arrêté par la destruction du mât-calendrier et de la clepsydre. Robinson avoue avoir ainsi atteint un éternel présent (V.L.P, 218-219) qui se situe effectivement entre le temps et l'éternité. La notion d'éternel retour sera exprimée par le passage de l'arcane dix-neuf, décrivant le couple Robinson-Vendredi, à l'enfant d'or qui représente le couple Robinson-Jeudi, en passant par l'arcane treize, la mort : c'est donc une régénération. Cette idée sera exprimée dans un autre registre par la notion d'unité, représentée par l'Ouroboros
"Ouroboros lui aussi est symbole de manifestations et de résorptions cycliques : il est union sexuelle en lui-même, auto-fécondateur permanent, comme le montre sa queue enfoncée dans sa bouche".31
79Ce symbole est la traduction temporelle de ce qu'est l'androgynie sur le plan sexuel. Mais il permet, dans le texte de Tournier, avec la sexualité solaire, de dépasser le code sexuel lui-même
"cet anthropomorphisme est un contresens. En vérité, au suprême degré où nous avons accédé, Vendredi et moi, la différence de sexe est dépassée". (V.L.P, 230).
80On passerait ainsi d'une figure d'ordre synthétique (la coïncidence des contraires : les deux sexes dans l'androgyne) à une figure d'ordre mystique (au-delà des sexes qui signifient "séparation", "coupure"), avec l'Ouroboros, ce qui correspond au thème de l'enfance chez Tournier32.
81Le retour de l'enfance comme aboutissement de l'androgynie, ainsi que la succession des couples introduit donc la notion de temps cyclique.
82C'est par l'intermédiaire d'un mystagogue, androgyne de nature, que Robinson parvient à la plénitude, ce qui montre, en dépit des relations harmonieuses au sein du couple gémellaire (comme dans le modèle de Castor et Pollux33) qu'un déséquilibre subsiste quant à l'origine de chacun des jumeaux, l’une humaine (Robinson, homme déchu) l'autre "divine" (Vendredi, Jeudi). Mais on pourrait se demander si ces mystagogues sont eux-mêmes à considérer sur le même plan. Jeudi comme Vendredi sont androgynes et près de l'enfance34 mais d'autres détails permettent d'apporter une légère distinction sur leur androgynie respective. Vendredi reste androgyne d'ordre synthétique, toujours entre deux catégories, soit simultanément, soit successivement : les deux sexes, le ciel et la terre, la nature et la culture. Il serait donc comme le laisse supposer le symbolisme de Vénus35 un intermédiaire réalisant la coïncidence des contraires. Par contre, Jeudi, assez peu décrit, représenterait un stade final, d'ordre mystique ou confusionnel, comme l'enfance, avant la puberté qui signifie séparation/coupure. Le capitaine Van Deyssel annonçait ainsi son arrivée :
"Le Dieu du ciel vous vient en aide avec une admirable opportunité. Il s'incarne dans un enfant d'or, issu des entrailles de la terre". (V.L.P, 13).
83Après la phase éolienne de Vendredi, le stade ultime est donc une phase ouranienne avec Jeudi, assimilé à Jupiter, "le Père du ciel", donc Ouranos, (V.L.P, 229), le Soleil, père des Gémeaux. Vendredi et Jeudi représentent les deux sens de l'androgynie : l'état initial et la réintégration.
84L'Androgynie permet de comprendre l'ensemble du roman, ainsi que les modèles mythiques dont Michel Tournier a pu s'inspirer.
85La bisexualité n'est en fait que l'expression d'une vision plus vaste du monde et de l'architecture du roman. D'une part, elle permet de retrouver la manière dont chaque personnage est construit à partir d'une suite d'analogies, débordant le code strictement sexuel pour aborder les codes sociologiques et cosmiques. D'autre part, cette qualité n'est pas stable, et concerne chacun des protagonistes, marquant ainsi leur évolution. On passe ainsi, de l'opposition entre un Vendredi androgyne et un Robinson mâle, à une parfaite ressemblance entre eux au moyen de cette particularité.
86Par conséquent, l'androgynie se situe dans l'économie du roman, comme le but de l'initiation, en tant qu'image de l'Age d'or. Conformément à la manière de procéder de l'esprit mythique, mise à jour par Lévi-Strauss, toutes ces variations expriment dans des registres différents, l'idée de plénitude à reconquérir.
87Mais le plus intéressant est que la notion d'androgynie permette d'envisager, sous l'angle amérindien, la gémellité, qui est l'autre grand thème du roman. Michel Tournier empruntant la manière de procéder des mythes suit aussi le modèle amérindien dans la constitution de chacun des termes et de leurs types de relations.
88La première partie du roman semble suivre en effet le modèle pan-américain des jumeaux opposés : le démiurge-mâle organisateur du monde contre le décepteur généralement androgyne représentant le chaos.
89La seconde partie marquant leur conjonction suivrait par contre un modèle attesté chez les Pueblos. Les Dioscures conduisant l'humanité du chaos, au monde tel qu'il est. De là viendrait l'intervention d'un troisième terme : le soleil, leur père, conformément à cette mythologie.
90Sans nier tout lien avec les Dioscures grecs, il n'est guère possible pour l'instant de rattacher ces deux types à un peuple déterminé, on peut néanmoins penser que Michel Tournier a emprunté à l'Amérique ce thème de son premier roman. Ecrivant ainsi un roman mythologique, il a ressuscité l'esprit mythique à partir de ses connaissances ethnologiques.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Les références à ce livre se feront selon le sigle V.L.P.
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Notes de bas de page
1 Mircéa Eliade, Méphistophélès ou l'androgyne, Paris, Gallimard, 1962, p. 160.
2 Arlette Bouloumié, Michel Tournier, Le Roman mythologique, Paris, Corti, 1988 p. 214.
3 Michel Tournier. Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Gallimard, folio 1989. Les références à ce texte se feront selon le sigle V.L.P.
4 Michel Tournier, Le Vent Paraclet, Paris, Gallimard, 1977, p. 189.
5 La belle légende qui fit naître de l'écume de la mer Aphrodite n’est pas un jeu étymologique, "aphros" signifiant écume. On l’appelait Ouranienne (fille d’Ouranos ou Céleste).
6 Claude Lévi-Strauss, De près et de loin, Paris. Odile Jacob, 1988. p. 193.
7 Sur l’assimilation entre femme et nature, cf Cl. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 115.
8 Sur l’opposition des Gémeaux, cf. Histoire de lynx. Cl. Lévi-Strauss, p. 73 et M. Eliade, La Nostalgie des origines. Paris, Gallimard, 1971, p. 218 à 253, chap. 8, "Remarques sur le dualisme religieux". Sur les jumeaux iroquois.
9 Les dioscures tiennent une place importante dans les mythologies amérindiennes : cf M. Eliade, La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, 1971, p. 218 à 253, (sur les cas amérindiens), et Pierre Desy, "Amérique du Nord : rites et mythes indiens" in Dictionnaire des mythologies, Paris, Flammarion, 1981.
10 Le bouc évoque en effet : "l’image du mâle en perpétuelle érection”, Jean Chevalier et Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Seghers, 1969, article :"bouc", p. 139.
11 Gilbert Durand, Structures Anthropologiques de l’Imaginaire, op. cit., p. 152.
12 "L’établissement dans une contrée nouvelle, inconnue et inculte, équivaut à un acte de création", M. Eliade, Le mythe de l'Eternel Retour, Paris Gallimard, 1969. chap. 1, "Archétypes et répétitions", p. 22.
13 "En définitive, toute puissance souveraine est triple puissance : sacerdotale et magique d’une part, juridique de l’autre, et enfin militaire". G. Durand, op. cit., p. 155.
14 G. Durand, Structures Anthropologiques de l'Imaginaire, op. cit., p. 152.
15 Pierre Desy "Amérique du Nord : mythes et rites amérindiens" in Dictionnaire des mythologies et des religions. op. cit., p. 13.
16 cf Cl. Lévi-Strauss, Origine des manières de table, Paris, Plon. 1968 à propos des clowns cérémoniels "hermaphrodites..." et M. Eliade. La Nostalgie des origines, op. cit., p. 249 à 251.
17 "Mais il y a un comique cosmique : celui qui accompagne l’émergence de l’absolu au milieu du tissu des relativités où nous vivons. C’est le rire de Dieu. Car nous nous dissimulons le néant qui nous entoure, mais il perce parfois la toile peinte de notre vie". M. Tournier, Le Vent Paraclet, p. 193.
18 Gilbert Durand, Structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p. 180.
19 Sur la sexualité débordante du trickster ou décepteur, cf. M. Eliade, La Nostalgie des origines, p. 251, et Cl. Lévi-Strauss, Le Cru et le cuit, Paris, Plon, 1964, p. 179-180.
20 Cl Lévi-Strauss, Histoire de lynx, Paris, Plon, 1991, p. 77.
21 "Comme Ash-boy et Cendrillon, le trickster est donc un médiateur, et cette fonction explique qu’il retienne quelque chose de la dualité qu’il a pour fonction de surmonter. D'où sont caractère ambigu et équivoque". Cl. Lévi-Strauss, Anthropologie Structurale, Paris, Plon, 1958, p. 251.
22 L’euphémisation consiste à inverser les valeurs, à rendre heureux ce qui pouvait être dangereux, donc "à capter les forces vitales du devenir, à exorciser les idoles meurtrières de Kronos, à les transmuter en talismans bénéfiques". G. Durand, S.A.I., p. 219-220.
23 "Il est enfin digne de remarque qu’en Amérique, un des jumeaux tienne presque toujours l’emploi du décepteur : le principe du déséquilibre se situe à l’intérieur de la paire. Dans la Grèce ancienne qui fait régner l’harmonie entre les Dioscures, le principe du déséquilibre ne peut se trouver qu’au dehors". Cl. Lévi-Strauss, Histoire de lynx, chap. XIX, "L’idéologie bipartie des amérindiens", p. 305-306.
24 "Le passage de la métaphysique au roman devait m’être fournie par le mythe. Qu’est-ce-qu’un mythe ? A cette question immense, je serais tenté de donner une série de réponses dont la plus simple est : le mythe est une histoire fondamentale", M. Tournier, Le Vent Paraclet, p. 183.
25 Ce détail réapparaît plus tard dans l’intrigue : "il (Robinson) ne devait plus lâcher cette main brune qui avait saisi la sienne pour le sauver au moment où l’arbre sombrait dans la nuit", (V.L.P, 190).
26 Cf. Cl. Lévi-Strauss, De près et de loin, op. cit., p. 186.
27 J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, op. cit. article, "Soleil", p. 275.
28 Otto Zerries, Les religions indiennes, Paris, Payot, 1962, p. 338.
29 Cette triade pourrait rappeler plus particulièrement "le mythe Zuni d’émergence : ce sont les fils du soleil, les jumeaux divins Kowituma et Watusi qui ont pour mission d’aller chercher les hommes, enfermés dans la quatrième matrice", G. Durand, S.A.I., p. 346, et M. Eliade, Mythes rêves et mystères, p. 195 à 200. Lévi-Strauss qui étudie les mythes cités dans Anthropologie structurale, op. cit, p. 250 et sq. avoue dans De près et de loin, p. 177, "les Pueblos sont parmi les peuples les plus étudiés d’Amérique du Nord". Donc M. Tournier a pu en avoir connaissance au Musée de l’Homme.
30 cf. Pierre Grimai, Dictionnaire de mythologie grecque et romaine, Paris, P.U.F., 1969, articles : Dioscures. p. 128, Jupiter, p. 244, Zeus, p 477.
31 J. Chevalier - A. Gheerbrant, Le Dictionnaire des symboles, op. cit., p. 868, article "Ouroboros".
32 "L’enfant dans l’oeuvre de M. Tournier est l’incarnation la plus proche de l’image idéale de l’androgyne, liée aux origines. Possédant la double nature, masculine et féminine, il incarne cette coïncidence des opposés, condition de toute perfection". A. Bouloumié, op. cit., p. 306.
33 cf. P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, op. cit. Article Dioscures, p. 128.
34 La description de Vendredi laisse supposer qu’il est encore enfant et que par conséquent il n’a pas encore subi la circoncision, qui est selon G. Durand : "Une philosophie rituelle de la purification par la distinction des contraires sexuisemblants. Elle a pour mission de séparer le masculin du féminin" (...). G.Durand, S.A.I.. Livre I, Partie II, p. 193. Tournier se serait servi de l’ethnologie pour éclairer sa conception de l’enfance.
35 "Il apparaît que la planète Vénus joue le rôle d’intermédiaire entre les hommes et le soleil chez de nombreux peuples amérindiens", Otto Zerries, Les Religions amérindiennes, op. cit.. p. 342.
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