Municipalités rurales et bourgeoises dans le département de la Dyle 1800-1814
p. 211-216
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Index géographique : France
Texte intégral
1Note portant sur l'auteur*
2Réuni à la République le 1er vendémiaire an IV (30 septembre 1795) avec huit autres circonscriptions administratives, le département de la Dyle couvrait la moitié de l’ancien duché de Brabant et son chef-lieu, Bruxelles, avait été capitale des Pays-Bas autrichiens.
3Sa population, environ 360 000 habitants le rangeait parmi les départements français moyennement peuplés. Son territoire était divisé en trois arrondissements : Bruxelles (176 000 habitants, 14 cantons), Louvain (111 000 habitants, 13 cantons) et Nivelles (76 000 habitants, 11 cantons). Le département comptait en l’an XII, 387 communes dont 262 où la langue vernaculaire était le flamand et 125 où l’on parlait le français ou plus exactement, le wallon, un dialecte apparenté au picard. La présence de deux tiers de communes flamandes compliqua singulièrement la tâche des autorités, car il fallait trouver comme maires des hommes d’un certain niveau d’instruction et capables de correspondre en français avec l’administration centrale.
4Le maire, avec son conseil municipal, gérait les biens de sa commune, son budget, et avait la responsabilité de la voirie et de la répartition des impôts. Il devait assurer l’ordre public dans sa commune, et dénoncer au directeur du jury, puis au magistrat de sûreté, les crimes et délits qui pouvaient s’y commettre. À partir de 1811, le maire récupéra sa compétence de juge de police en matière de contravention dans les cas de flagrant délit si les coupables étaient domiciliés dans sa commune. Cette compétence lui était attribuée dans toutes les communes où ne siégeait pas un juge de paix, c’est-à-dire dans 90 % du territoire. De plus, la loi du 20 septembre 1792 imposait aux maires la responsabilité de l’état civil et de la tenue de ses registres. En matière de conscription, les municipalités avaient au début du régime, la charge de désigner les appelés, ce qui eut pour effet direct l’impopularité des maires, et des abus liés à la parentèle et à l’amitié. Ces responsabilités n’étaient compensées par aucune indemnité, ce qui incita certains maires à chercher illicitement à se dédommager en faisant payer certaines de leurs prestations, ce qui entraîna leur révocation.
5L’étude des maires des campagnes où vivaient et travaillaient les deux tiers des populations du département, implique la définition préalable de ce que l’on peut appeler la bourgeoisie rurale. Nous y incluons au premier chef, les gros fermiers parfois propriétaires, souvent locataires de grandes exploitations qui avaient appartenu sous l’Ancien Régime aux abbayes ou aux seigneurs locaux.
6Ces hommes se caractérisaient, entre autres caractères, par le fait qu’ils exploitaient, au sens marxiste du terme, la force de travail des domestiques, servantes et manouvriers attachés à leur service, se bornant à diriger leur ferme. Ce type social traversera tout le xixe siècle et ne s’estompera que dans la seconde moitié du xxe siècle avec la mécanisation de plus en plus poussée du travail agricole.
7Un auteur de la fin du xviiie siècle, l’abbé Mann écrivait :
« Dans un village wallon, l’on compte environ trois ou quatre fermes ou censes qui occupent toutes les terres […]. Tous les habitants sont soumis à la dépendance de ces fermes, ils en sont les domestiques, les journaliers ou plutôt les esclaves asservis […]. Toute cette prospérité n’est donc que pour l’heureux fermier, le seul qui puisse s’enrichir de l’agriculture, le seul qui dans la paroisse jouisse de toute la considération, de l’autorité, du crédit, du respect1 […]. »
8Aux côtés de ces hommes, appelés censiers ou fermiers, distincts, à l’origine du moins, du cultivateur qui travaille de ses mains, on trouvait dans les campagnes des hommes dont le genre de vie se rapprochait de la bourgeoisie urbaine : quelques rentiers souvent nobles, des marchands, des brasseurs, des meuniers, des notaires, des médecins, des arpenteurs, etc.
9Sous l’Ancien Régime, chaque seigneurie, et il pouvait y en avoir plusieurs dans une même paroisse, avait une cour subalterne administrant et rendant la justice au nom du seigneur. Elle était composée d’un mayeur (maire), bailli ou drossard assisté d’un corps d’échevins et d’un greffier. Ces hommes étaient nommés par le seigneur, à vie pour le maire, à temps pour les échevins. La conquête française modifia substantiellement ces structures sociales sur le plan des principes, bien que dans un premier temps, après la conquête, les cadres fussent maintenus.
10Il fallut attendre l’arrêté du 24 prairial an III (12 juin 1795) pour que fût entamée la réforme des municipalités, mais celle-ci ne fut que très partiellement mise en œuvre, car d’après un recensement fait au début de l’an IV, pour l’ensemble du Brabant, on ne comptait que 18 % de maires désignés par les Français pour 82 % en fonction depuis le régime autrichien2. La mise en place des départements au moment de l’annexion, en vendémiaire an IV, allait donner à l’organisation des communes une nouvelle forme, avec les municipalités de canton dont les agents et adjoints seront soumis à l’élection à partir de germinal an V.
11La composition des municipalités désignées en frimaire an IV montre le véritable bouleversement de l’encadrement humain des communes par rapport à l’Ancien Régime. Les anciens drossards, baillis, maires, bourgmestres et échevins sont très largement remplacés par des hommes nouveaux exerçant toutes les professions : une majorité de fermiers puisque l’on se trouve en milieu rural, mais aussi des aubergistes, des brasseurs, des meuniers, des marchands, des médecins, des notaires, des charrons, des maréchaux-ferrants, des tanneurs, et même des ouvriers. Au gré des trois scrutins, soit les élections de germinal an V, an VI et an VII, ces hommes ou leurs homologues se maintinrent à la direction des municipalités.
12La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) prévoyait que désormais, les maires et leurs adjoints seraient nommés par le préfet dans les communes de moins de cinq mille habitants, au-delà de ce chiffre, ils seraient désignés directement par le Premier Consul. Ce dernier avait pouvoir de les révoquer, tandis que le préfet ne pouvait que les suspendre. En 1800, la durée du mandat des maires n’était pas précisée, mais la loi du 16 thermidor an XII (4 août 1802) la fixa à cinq ans avec faculté de renomination et précisa que désormais, les maires seraient choisis parmi les conseillers municipaux.
13La mise en place des nouvelles municipalités ne se fit pas sans difficulté. Un maire écrivait quelques années plus tard :
« En l’an VIII, peu de personnes distinguées voulurent accepter des fonctions publiques, soit par répugnance pour les principes républicains, soit parce qu’ils ne croyaient pas à la stabilité du gouvernement3. »
14Sur les 126 municipalités de l’arrondissement de Bruxelles, 50 % des maires désignés refusèrent la charge qui leur était confiée. On constata une proportion identique de refus (48 %) dans l’arrondissement de Nivelles alors que dans celui de Louvain, le taux de refus n’excéda pas 21 %. Pour pallier les refus, les dernières nominations intervinrent en prairial an IX, soit un an plus tard.
15Les hommes du Directoire, présidents ou secrétaires de municipalités de canton, agents municipaux ou adjoints fournirent l’essentiel des nouvelles municipalités :dans les arrondissements de Bruxelles et de Louvain,42 % des nouveaux maires avaient exercé des fonctions municipales au cours des années précédentes, c’était le cas de 72 % d’entre eux dans l’arrondissement de Nivelles.
16Le nouveau régime, après avoir éprouvé de grandes difficultés pour doter les mairies de titulaires, en rencontra tout autant pour les maintenir à leur poste. Au milieu de l’an XII, dans l’arrondissement de Bruxelles, on ne trouvait plus que 54 % de maires désignés en l’an VIII, encore en fonction. Lors du renouvellement quinquennal préparé en 1807 et rendu effectif par un arrêté du préfet du 15 avril 1808, seuls 26 % des maires du département avaient été nommés en 1800 22 % dans l’arrondissement de Bruxelles, 31 % dans l’arrondissement de Louvain et 24 % dans l’arrondissement de Nivelles. Cette noria dans l’administration des municipalités tient à des causes multiples.
17Au premier chef, les maires étaient légalement tenus d’accomplir des tâches multiples, absorbantes et impopulaires notamment en matière fiscale, de conscription et de répression des délits ruraux4. Or, la charge de maire était gratuite et sans assistance administrative, le maire devait assumer tout seul et tant bien que mal, sa mission. Cette situation fut à l’origine de nombreuses négligences dans la tenue de l’état civil et de la comptabilité communale qui entraînèrent de multiples révocations. Mais le grand motif de nombreuses démissions fut la lassitude. Il y eut aussi des démissions consécutives au départ de la commune, et des décès5.
18Globalement, la mobilité des maires fut considérable. En 1808, on nomma 39 % de nouveaux maires dans l’arrondissement de Bruxelles, 43 % dans l’arrondissement de Louvain et 35 % dans l’arrondissement de Nivelles. Entre 1808 et 1 812, 34 % des mairies changèrent de titulaire dans l’arrondissement de Bruxelles, 26 % dans l’arrondissement de Louvain et 35 % dans l’arrondissement de Nivelles. Le renouvellement quinquennal du 30 décembre 1812 amena de nouvelles et importantes modifications au sein de l’effectif des magistrats municipaux. Les hommes nouveaux représentèrent 29 % dans l’arrondissement de Bruxelles et 27 % dans les arrondissements de Louvain et Nivelles.
19Comment qualifier autrement que d’épurations successives, ces renouvellements importants ? Certes, on peut prendre en compte le souci de l’administration de mettre en place des magistrats municipaux instruits et en mesure de remplir leur tâche complexe, mais cet argument masque un double souci politique : éliminer les hommes du Directoire, soupçonnés de conviction républicaine et mettre en place des hommes riches, intéressés du fait de leur fortune à la stabilité de l’ordre social. Cette politique fut mise en œuvre dès la fin de l’an IX. Ainsi, le préfet Le Doulcet de Pontécoulant, lors d’une visite à Wavre, déclara au conseil municipal que le défaut de fortune du maire devait entraîner son remplacement6. Un an plus tard, l’intéressé donna sa démission regrettant « que le gouvernement ait résolu de nommer à la place de maire des hommes fortunés et les plus notables des communes7 ». Aux yeux du régime, la richesse assurait donc la considération et offrait des garanties d’incorruptibilité. Ainsi le 18 ventôse an XI, le préfet justifiait la révocation du maire de Jandrain certes par son manque de connaissances, mais aussi parce qu’il était « loin d’être de la classe des habitants notables de la commune par sa fortune et que ses moyens d’existence ne présentaient aucune garantie de sa conduite8 ». Autre exemple, en 1810, le maire de Dion-le-Val, un ouvrier tailleur qui ne possédait aucun bien fonds, fut blanchi des reproches dont il avait fait l’objet. Néanmoins, le préfet considéra « qu’il ne reste pas moins vrai que la dignité des fonctions de maire exigeait que ces fonctions fussent exercées par quelque habitant plus fortuné d’autant plus qu’elles sont gratuites » et en conclut « il y a lieu de le maintenir jusqu’au prochain renouvellement seulement9 ».
20Dès 1808 et peut-être avant, ce fut le retour massif des hommes riches au sein du corps des maires. Dans l’arrondissement de Bruxelles, sur trente maires nouveaux, dont la profession est connue, quinze sont propriétaires ou rentiers ; dans l’arrondissement de Louvain, sur 42 nouveaux maires, treize sont fermiers propriétaires, treize sont fermiers, ce qui désigne les exploitants d’une ferme importante, et trois autres rentiers propriétaires, soit 70 % d’hommes aisés sinon riches ; dans l’arrondissement de Nivelles, sur 36 nouveaux maires, 47 % appartiennent à cette classe sociale, soit huit rentiers ou propriétaires et neuf fermiers. Parmi les membres des collèges électoraux, on relève en 1810, 29 maires dans celui du département, 28 dans le collège de l’arrondissement de Bruxelles, 29 dans celui de Louvain et 24 dans celui de Nivelles. La même volonté de placer des hommes riches à la tête des mairies, se confirma lors du renouvellement en 1812. En 1815, le résultat de cette politique apparut dans la sélection par l’intendant, qui avait remplacé le préfet, des notables appelés éventuellement à ratifier la nouvelle Constitution des Pays-Bas. Pas moins de 70 maires, soit près de 20 % de l’ensemble des maires du département, y figuraient10.
21Parallèlement à cet embourgeoisement de la fonction de maire, on remarque aussi le renouvellement de l’influence de la noblesse avec parfois l’ancien seigneur du village qui devient maire ou plus fréquemment, qui fait placer un homme à sa dévotion à la tête de la municipalité. Ainsi, dès l’an X, on vit l’ex-marquis de la Puente, par ailleurs, membre du Conseil général du département, demander le remplacement du maire du village de Bierges par son receveur local11. De même, en pluviôse an XII, le comte de Merode Westerloo fit nommer un de ses fidèles comme maire de Grimbergen. Déjà en l’an X, l’ex-marquis Gillion de Trazegnies devint maire d’Ittre, village dont il était auparavant le seigneur. À partir de l’an XIII, le mouvement s’amplifia, l’ex-comte van der Noot d’Assche fut nommé maire de Haren, l’ex-baron Cornet de Grez, maire de Tourneppe dont il était le seigneur, l’ex-baron Antoine de Celles, maire de Laeken où il possédait un château. L’énumération serait fastidieuse. En bref, à la fin de l’Empire, on relève douze maires d’origine noble dans l’arrondissement de Bruxelles, huit dans l’arrondissement de Louvain et treize dans l’arrondissement de Nivelles.
22Remarquons encore que lors des renouvellements de 1808 et 1812, il a été fait peu de cas de l’obligation légale de nommer le maire au sein du conseil municipal et on n’hésitait pas à confier la mairie au parent d’un maire décédé ou démissionnaire.
23On voit ainsi se constituer sous l’Empire, la trame politique des communes rurales du xixe siècle. Les maires, élus censitairement après 1830, seront désormais des notables ruraux riches propriétaires, gros fermiers, notaires ou médecins, tous appartenant à la bourgeoisie rurale incorporant parfois d’anciens seigneurs de village qui retrouvent la direction des collectivités locales, grâce à leur influence économique.
24Il faudra attendre l’instauration du suffrage universel, plus d’un siècle plus tard, pour que le monde politique rural retrouve progressivement sa diversité.
Notes de bas de page
* Que cette publication soit un hommage au chercheur disparu qui fut un acteur apprécié de nos recherches franco-belges sur la Révolution.
1 Cl. Bruneel, Les structures du pouvoir dans les communautés rurales en Belgique et dans les pays limitrophes (xiie et xixe siècles), Bruxelles, Crédit Communal, 13e colloque international, coll. Histoire, série in 8°, n° 77, 1988, p. 135. La similitude avec la configuration française est frappante. Sur ce parallèle, on se reportera à la communication de J.-P. Jessenne, supra. Voir notamment les problèmes de catégorisation sociale. Voir aussi J.-P. Jessenne, Les campagnes françaises, entre mythe et histoire, Paris, A. Colin, 2006.
2 R. de Vleeshouwer, L’arrondissement du Brabant sous l’occupation française, 1794-1795, Bruxelles, ULB, 1964, p. 225.
3 Arch. gén. Royaume, Préfecture de la Dyle, P° 867, lettre du 13 nivôse an XI du maire de la Hulpe.
4 Arch. gén. Royaume, Préfecture de la Dyle, P° 866, le maire de Forêt se plaignit le 5 thermidor an VIII, d’avoir été menacé par un contribuable qui contestait sa cote d’imposition et par un voleur de bois surpris sur le fait. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres.
5 Pour l’arrondissement de Bruxelles, entre l’an XI et 1807, il y eut au mois une quarantaine de démissions de maires dont cinq motivées par le départ de la commune ; on enregistra également dix décès et quatorze révocations pour négligences ou malversations diverses. Un certain nombre de maires désignés en remplacement des démissionnaires, refusèrent leur nouvelle fonction. Une dizaine d’entre eux justifièrent leur décision par leur connaissance insuffisante du français.
6 Arch. gén. Royaume, Préfecture de la Dyle, P° 865, lettre d’un conseiller municipal au préfet du 13 thermidor an IX : « Lorsque vous nous avez honorés de votre visite, vous avez manifesté en présence du conseil, au maire Wilryck qu’il ne convenait pas ».
7 Idem, lettre du 19 fructidor an X.
8 Arch. gén. Royaume, Préfecture de la Dyle, P° 869.
9 Ibidem, P° 878.
10 À partir de 1807, le nombre de communes est réduit par la fusion de petites entités avec des communes plus importantes.
11 Arch. gén. Royaume, Préfecture de la Dyle, P°865.
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