Chapitre XIV. Les politiques de redistribution et de lutte contre la pauvreté à l’épreuve
p. 209-226
Texte intégral
1L’État américain, par sa politique sociale et fiscale vis-à-vis de populations cibles, a cherché à corriger plus ou moins les inégalités de revenus marchands et à lutter contre la pauvreté. Mais ce qui apparaît clairement, c’est qu’il l’a fait moins bien que d’autres États de pays industrialisés et que la politique sociale y est aussi plus focalisée sur les personnes âgées qu’ailleurs (Hacker et al., 2009). On privilégiera dans cette dernière partie l’analyse de l’impact redistributif de trois dispositifs publics répondant, en partie ou en totalité, à cette logique : le régime public de retraite, le crédit d’impôt en faveur des ménages à bas revenus (Earned Income Tax Credit ou EITC) ainsi que l’aide sociale (Temporary Assistance for Needy Families ou TANF), réformée en 1996 dans un sens restrictif. Les autres dispositifs existants en matière de redistribution (Medicare) et de lutte contre la pauvreté (Medicaid, Supplemental Security Income, aide au logement, etc.), sans être ignorés, ne seront pas analysés en tant que tels. On s’interrogera également sur les effets des politiques de crédit d’impôt et d’aide sociale sur l’offre de travail des populations visées par ces programmes, qu’ils sont censés encourager (EITC et TANF).
Le régime public de retraite par répartition : l’instrument le plus efficace de redistribution pour les personnes âgées
2Les programmes sociaux (assurance et assistance sociale) en direction des personnes âgées de 65 ans et plus ont permis de faire baisser la pauvreté de cette population. Entre 1979 et 2008, la part des personnes âgées vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 13,5 à 9,7 %, grâce à la politique de redistribution opérée par le gouvernement américain à laquelle il convient sans doute d’ajouter les revenus additionnels liés à la remontée du taux d’emploi de cette population, notamment des 65-70 ans. De tous ces programmes publics, c’est celui de l’assurance vieillesse qui s’avère le plus efficace instrument de lutte contre la pauvreté, grâce à son impact redistributif, aux côtés de Medicare. Malgré cela, une part non négligeable des personnes âgées de 65 ans et plus ont un revenu familial qui les situe tout juste au-dessus du seuil de pauvreté (13 % ont un revenu entre 100 et 149 % du seuil de pauvreté), et parmi les personnes âgées qui restent pauvres, cette pauvreté s’est encore accentuée ces dernières années, touchant plus particulièrement les femmes et les minorités1.
La Social Security : une institution du New Deal
3Aux États-Unis, le régime de retraite de base (Old-Age, Survivors and Disability Insurance ou OASDI)2, créé en 1935 et connu sous le nom de Social Security, a été conçu comme un système d’assurance sociale, fonctionnant principalement en répartition. Il constitue la source majeure de revenus des Américains âgés de 65 ans et plus (graphique 34) et couvre la quasi-totalité des travailleurs américains, qu’ils soient salariés ou travailleurs indépendants (94 %)3.
Graphique 34. – Les sources de revenu des personnes âgées de 65 ans et plus en 2008.
4
Source : SSA (2009).
5Ce régime de retraite de base, du fait de son caractère redistributif et parce qu’il est indexé sur le coût de la vie de manière effective depuis 1975, a permis de réduire efficacement le phénomène de pauvreté chez les personnes âgées : en 2008, seuls 9,7 % des Américains âgés de 65 ans et plus vivaient en dessous du seuil de pauvreté contre 35 % en 1959, dont une très grande majorité de femmes (75 % parmi les personnes âgées pauvres). Cette situation reflète le fait que sa couverture ne concerne pas seulement les travailleurs âgés : elle a été étendue progressivement aux handicapés, aux épouses et aux enfants des retraités et des handicapés, aux veufs et aux veuves. Ainsi, sur les quelque 50 millions de bénéficiaires du régime public de retraite en 2008, seuls 68 % sont des travailleurs retraités. Ce déclin de la pauvreté absolue est toutefois plus marqué chez les personnes âgées mariées que chez les autres. En outre, le programme serait modestement redistributif, vis-à-vis des ménages positionnés au bas de l’échelle des revenus, soit les trois premiers déciles (Biggs et al., 2009). Son effet redistributif aurait même diminué au cours des décennies récentes, les années 1990 ayant vu une explosion des inégalités au sein de la population âgée (Engehert et Gruber, 2004).
6Ce régime n’a pas connu de réformes importantes depuis sa création par l’administration Roosevelt en 1935, la dernière tentative en date de G. W. Bush d’en modifier la nature dans les années 2000 n’ayant pas abouti (encadré 15). Il a en revanche été régulièrement soumis à des ajustements qui lui ont permis d’évoluer sans crise majeure. La cotisation, répartie à part égale entre employeur et salarié dès l’origine, a ainsi augmenté à de nombreuses reprises, passant de 2 % du salaire en 1937 à 4 % en 1954, puis à 8,4 % en 1969. Au début des années 1980, l’OASDI a dû faire face à une situation financière critique, provoquée par plusieurs années de récession et un contexte d’inflation forte alors qu’un système d’indexation automatique des pensions sur les prix avait été adopté en 1972 et mis en œuvre à partir de 1975. La décision de reculer progressivement l’âge de la retraite de 65 à 67 ans fut alors prise par le Congrès, dont les effets ne se feront pleinement sentir qu’à l’horizon de 2022. De même fut-il décidé d’augmenter la cotisation plus que de besoin par rapport à l’équilibre financier du régime (passant de 10,8 % du salaire en 1983 à 12,4 % en 1990) et de soumettre une part des pensions à l’impôt sur les revenus à partir d’un certain montant4.
7L’OASDI est donc financé par une cotisation obligatoire qui permet de verser des pensions, calculées sur la base de l’évolution du salaire moyen des 35 meilleures années de carrière. Depuis 1990, cette cotisation est stable (12,4 %, soit 6,2 % pour l’employeur et 6,2 % pour le salarié). Elle est toutefois soumise à un plafond, indexé au salaire moyen depuis 1983 (102 000 $ en 2008) et les salariés dont la rémunération est supérieure (6 % seulement des salariés car ce plafond est élevé) cotisent donc proportionnellement moins que les autres, ce qui limite le caractère redistributif du programme (contrairement à Medicare où la cotisation est proportionnelle au salaire sans être plafonnée, voir chapitre ix). Les pensions versées représentent un taux de remplacement de 43 % du salaire moyen, soit l’équivalent de 1 084 $ par mois ou de 13 014 $ par an en 2008. Ce taux de remplacement est cependant plus élevé pour les bas revenus et moins élevé pour les plus hauts revenus5, ce qui illustre la progressivité du régime public de retraite, bien que les différences dans les taux de mortalité selon le sexe ou l’origine ethnique puissent réduire, voire anéantir cet effet redistributif.
8Pour autant, les bénéficiaires de l’assurance vieillesse ou leurs ayants droit ne sont pas à l’abri d’une érosion de leur pouvoir d’achat, malgré l’ajustement automatique des pensions sur les prix qui intervient chaque année en janvier6. Deux facteurs ont contribué particulièrement à éroder cette protection contre l’inflation comme l’ont montré Munell et Muldoon (2008). D’une part, les primes dues au titre de l’assurance maladie pour les personnes âgées (parts B et D de Medicare), qui sont retenues automatiquement à la source de la pension, ont eu ces trois dernières décennies tendance à augmenter plus rapidement que l’indice des prix (9 % contre 3,8 %). D’autre part, le seuil au-dessus duquel un contribuable devient imposable à hauteur de 85 % de sa pension du régime de base (25 000 $ pour un individu, 32 000 $ pour un couple) n’est pas ajusté à la croissance des revenus ou de l’inflation. Ceci signifie qu’à terme, l’augmentation du niveau des pensions du régime public de retraite peut faire grossir la base des contribuables imposable.
9Ainsi, les bénéficiaires de l’assurance vieillesse ou leurs ayants droit ont pu voir leur pouvoir d’achat se dégrader sur les 25 dernières années. C’est que l’indice des prix de référence pour opérer l’ajustement annuel des pensions du régime public de base (qui se réfère aux ouvriers et employés de bureau résidant en zone urbaine, soit 32 % de la population résidant aux États-Unis seulement) a crû moins vite que l’indice des prix expérimental calculé par le BLS depuis 1987 à la demande du Congrès pour les personnes âgées de 62 ans et plus (âge à partir duquel les Américains peuvent prendre leur retraite). Ce dernier indice a augmenté de 126,5 % entre décembre 1982 et décembre 2007 comme a pu le reconstituer le BLS, alors que l’indice généralement utilisé n’a crû que de 110 % (Stewart, 2008). Ce qui signifie que les Américains âgés ont subi une inflation relativement plus forte que la moyenne, à cause d’un double effet de structure. Le poids de certaines dépenses (comme les dépenses médicales) par rapport au revenu est plus important au sein de cette population (plus du double que les autres) et le prix des services médicaux (Medicare) a crû plus vite que celui de la plupart des autres biens et services entrant dans la composition de l’indice. Ce constat se vérifie également pour la consommation d’essence par exemple.
10Si le régime public de retraite ne protège que partiellement les ménages âgés de l’inflation, on peut penser que le pouvoir d’achat de cette population se dégrade d’autant plus que les autres sources de revenu lié à la retraite (régimes professionnels de retraite, épargne salariale ou épargne individuelle pour la retraite) ne sont pas protégées contre l’inflation. C’est sans doute l’une des raisons qui a poussé le président B. Obama à demander au Congrès à l’automne 2009 d’octroyer une augmentation de 250 $ (soit 2 % en moyenne) en début d’année 2010 aux bénéficiaires d’une pension du régime public de retraite, en dépit d’un indice des prix négatif de juillet à septembre 2009. Pour la première fois en effet depuis 29 ans que l’ajustement automatique sur les prix a été mis en œuvre, les prestations du régime public de retraite n’auraient pas dû augmenter.
Un équilibre financier relativement maîtrisé
11Depuis 1984, le régime public de retraite dégage des excédents qui sont investis, comme la loi l’y oblige, en bons du Trésor dans un Fonds de réserve, créé en 1940 et dont les actifs s’élevaient en 2008 à 2 200 milliards de dollars. 84 % de ses revenus émanent des cotisations perçues, le reste provenant des revenus d’intérêts versés par le Trésor et marginalement d’impôts sur les prestations sociales existant au-dessus d’un certain seuil de revenu. Le Trésor utilise ce surplus pour financer d’autres programmes fédéraux et rembourser une partie de la dette publique.
12La loi oblige l’administration de la Sécurité sociale à formuler chaque année des prévisions sur l’état financier du Fonds de réserve. Celles-ci sont établies à un horizon de 75 ans en fonction d’un certain nombre d’hypothèses macroéconomiques (évolution du taux de croissance, du taux de chômage, de la productivité du travail, des rémunérations, de l’inflation) et démographiques (solde migratoire, taux de fertilité et de mortalité, espérance de vie, etc.) dont l’incertitude est forcément très grande à un tel horizon7. À partir de ces variables, les experts (trustees) établissent en général trois types de projections basées sur autant d’hypothèses distinctes : une haute (optimiste), une basse (pessimiste) et une intermédiaire, considérée comme la plus plausible. Selon cette dernière qui est celle retenue dans les débats au Congrès et dans le débat public, les pensions versées deviendraient supérieures aux cotisations reçues dès 2016 et contribueraient ainsi à peser sur le budget fédéral. En 2037, les avoirs du Fonds de réserve arriveraient à épuisement et le régime serait en mesure de verser 76 % seulement des prestations promises. Au terme des 75 ans en 2083, il est prévu que le régime accuse un déficit actuariel de 5 300 milliards de dollars, qui exigerait pour être comblé soit d’augmenter immédiatement le niveau global des cotisations, soit de réduire les pensions8.
13Les causes démographiques du déficit programmé du régime public de retraite sont bien connues : la génération du baby-boom (née entre 1946 et 1964) approche de l’âge de la retraite (2008 pour les plus âgés et 2026 pour les plus jeunes de cette génération) et pèsera sur le volume des prestations à distribuer alors que la génération suivante est moins nombreuse, ce qui entraînera une diminution des cotisations ; ainsi, le ratio du nombre de travailleurs actifs sur le nombre de bénéficiaires du régime public de retraite fléchira de 3,4 pour 1 aujourd’hui à 2,3 pour 1 en 2025 et à 2,1 pour 1 en 2035. À ces phénomènes démographiques (qui doivent être relativisés du fait que la hausse des dépenses consécutives à l’augmentation du nombre de personnes âgées sera compensée en partie par la baisse des dépenses en direction des jeunes non actifs devenus moins nombreux) viennent s’ajouter des phénomènes économiques qui peuvent venir renforcer ou au contraire contrecarrer ces tendances9. De ce point de vue, le terme de 75 ans exigé par la loi pour l’établissement des projections réalisées par les administrateurs du Fonds de réserve laisse beaucoup de place à l’incertitude. D’autre part, les hypothèses de taux de croissance retenues pour cette période peuvent sembler particulièrement pessimistes et conduire à des conclusions un peu trop alarmistes. Mais quoi qu’il en soit, le problème financier n’est pas immédiat.
Encadré 15. Le projet avorté de réforme de la Sécurité sociale par G. W. Bush
Le projet de réforme du
régime public de retraite du candidat G. W. Bush à la présidence de
la République en 2000, réaffirmé lors de sa réélection en 2004,
consistait à soustraire une part des cotisations de la Sécurité
sociale (4 % des cotisations salariales sur un total de 6,2 %, à
concurrence de 1 000 $ annuellement) aux assurés âgés de moins de
55 ans pour leur permettre de financer des comptes d’épargne
individuels. Ces comptes de retraite obligatoires auraient été
investis en actions, en obligations ou en types d’actifs autres que
les bons du Trésor selon les choix de chacun et gérés par
l’administration. Afin de compenser le manque à gagner pour le
régime public de retraite, le projet prévoyait soit de réduire les
prestations vieillesse des travailleurs plus jeunes, soit
d’augmenter l’âge légal de départ à la retraite fixé actuellement à
65 ans (en fait, les droits à retraite peuvent être liquidés dès
l’âge de 62 ans mais avec une décote de 20 %). Ses arguments en
faveur d’une privatisation partielle de la Sécurité sociale étaient
fondés sur une hypothèse de rendements des titres placés dans ces
comptes individuels supérieurs au taux de rendement du régime public
de retraite (6 % par an contre 2 % seulement pour les bons du
Trésor) et sur l’idée qu’il faut tenir le gouvernement éloigné des
décisions d’allocation sur le marché boursier.
En prônant la
création de comptes individuels d’épargne, ce projet mettait
l’accent sur la responsabilité individuelle, ce qui aurait constitué
un changement radical de la nature du régime. Le système public par
répartition repose en effet sur un choix politique de solidarité
intergénérationnelle et l’engagement des gouvernements présents et
futurs de pouvoir lever les ressources nécessaires à son
fonctionnement et à sa pérennité, à travers les cotisations (ou
l’impôt). Le système professionnel par capitalisation repose à
l’inverse sur une obligation contractuelle de type privé entre un
salarié et son employeur, qui peut avoir le caractère d’une
obligation de résultats (dans le cas des régimes à prestations
définies, les employeurs sont tenus de verser un niveau de pension
déterminé en fonction du salaire et de l’ancienneté) ou n’être
qu’une obligation de moyens (dans les cas des plans à cotisations
définies, l’employeur est tenu de sélectionner un bon gestionnaire
de fonds, à charge pour le salarié d’assumer les risques de
placement).
Les dispositifs ciblés de lutte contre la pauvreté : moins d’assistés mais davantage de travailleurs pauvres
14La logique d’assistance aux pauvres, au cœur du système d’aide sociale américain, a subi une remise en cause sous la présidence de R. Reagan au milieu des années 1980. L’extension en 1986 du rôle conféré au dispositif de crédit d’impôt en faveur des ménages à bas revenus, l’Earned Income Tax Credit (EITC) instauré quelque dix ans auparavant, tout en en conditionnant l’accès à l’obligation de travailler pour les bénéficiaires, illustre ce tournant. De nouveaux principes idéologiques animent le président arrivé au pouvoir en 1982 et son équipe : il s’agit de freiner les dépenses publiques en matière d’aide sociale et de restaurer la responsabilité individuelle, supposée érodée par le système alors en vigueur. Ce tournant culmine dix ans après, avec la réforme de l’aide sociale menée en 1996 sous l’impulsion du président W. Clinton. Le but clairement affiché de cette réforme est de réduire la « dépendance » des bénéficiaires à ce dispositif connu sous le nom de Aid to Families with Dependent Children (AFDC), en les incitant très fortement à l’insertion ou à la réinsertion professionnelle. Ainsi, à l’exception de l’EITC, la plupart des autres programmes de lutte contre la pauvreté ont connu une réduction tant de leur champ que de leur générosité.
Le crédit d’impôt comme instrument privilégié de lutte contre la pauvreté
15L’EITC est l’un des plus importants programmes de lutte contre la pauvreté aux États-Unis, si l’on excepte le régime public de retraite pour les personnes âgées. Inspiré par l’économiste de Chicago M. Friedman, l’institution de l’EITC en 1975 sonne de fait le glas du projet réformiste, porté par les experts sociaux réunis au sein de la « nébuleuse de la pauvreté » (Huret, 2008) et qui visait, dans l’héritage du New Deal, à faire partager les fruits de la croissance à tous, sans laisser les pauvres au bord du chemin. Ce dispositif a pour but en effet d’offrir un revenu minimum garanti sous la forme d’un soutien monétaire aux familles pauvres mais « méritantes », c’est-à-dire celles dont l’un au moins des membres de la famille travaille. Il privilégie de surcroît les familles ayant des enfants (résidents) en bas âge10. Ce dispositif, étendu en 1986 puis à deux reprises dans la première moitié des années 1990, a des effets redistributifs non négligeables pour les familles pauvres avec enfants, dont une personne au moins travaille. Il a ainsi permis de sortir de la pauvreté plusieurs millions d’individus et de familles. Mais il profite surtout aux familles dont les revenus sont situés juste en dessous du seuil de pauvreté (notamment celles qui sont à 75 % de ce seuil) et c’est vis-à-vis des enfants que son impact redistributif est le plus important. Compte tenu des critères exigés en termes d’emploi, de revenu et de composition de la famille, l’EITC n’est en effet accessible qu’à 35 % des ménages vivant dans la pauvreté aux États-Unis (Holt, 2006). En outre, le dispositif est sous-utilisé par les travailleurs à bas salaire, sa population cible, dont certains méconnaissent jusqu’à son existence.
16Entre 1975 et 2006, le nombre de familles percevant l’EITC a été multiplié par près de quatre, concernant 6,2 millions de familles bénéficiaires au départ pour atteindre 23 millions en fin de période. En même temps, le montant des paiements a plus que proportionnellement augmenté du fait de l’extension du dispositif, passant durant cette même période de 1,25 à 44,3 milliards de dollars. De tous les programmes d’aides sociale sous conditions de ressources, c’est aujourd’hui le second par le montant des transferts fédéraux opéré après Medicaid, ayant ravi cette place au programme pour handicapés de la Sécurité sociale (SSI).
Encadré 16. L’EITC ou l’impôt négatif
L’EITC est un
dispositif fédéral géré par l’administration des impôts (Internal Revenue Service) et destiné à
alléger la charge fiscale des travailleurs à bas revenus. Il se
présente sous la forme d’un crédit d’impôt, appelé parfois impôt
négatif dans la mesure où si le montant du crédit est supérieur à
l’impôt dû sur le revenu, la différence est reversée aux
contribuables. Ce qui signifie que ce dispositif profite même aux
foyers non imposables (un peu moins de 40 % aux États-Unis). Son
barème, indexé depuis 1986 sur l’inflation, varie fortement selon le
nombre d’enfants vivant au foyer. Ce crédit d’impôt bénéficie en
premier lieu à des foyers composés de personnes jeunes, souvent des
femmes seules élevant leur(s) enfant(s).
Cette aide fédérale
dont le montant a atteint 44,3 millions de dollars en 2007 est
souvent complétée par des aides similaires accordées par les États
fédérés en faveur des ménages à bas revenus. Vingt-quatre États ont
en effet promulgué des lois instaurant leurs propres dispositifs de
crédit d’impôt à leur niveau. Les EITC des États sont d’ailleurs
calculés en référence à l’EITC fédéral et varient dans une
fourchette de 3,5 % (en Caroline du Nord) à 40 % (dans le District
de Columbia) de ce niveau, auquel ils viennent s’ajouter.
17Ce crédit d’impôt s’élève en même temps que les gains salariaux (phase d’entrée dans le dispositif), pour atteindre un plafond puis décroître à mesure que le travailleur s’élève dans l’échelle des salaires (phase de sortie du dispositif). Son montant maximum atteignait en 2008 4 824 $ par an pour des familles d’au moins deux enfants. Lorsque le revenu annuel atteint un niveau moyen (15 740 $), l’EITC commence à diminuer progressivement jusqu’à disparaître, au-delà de 38 646 dollars de revenu par an comme le montre le graphique 35.
Graphique 35. – Valeur de l’EITC fédéral en 2008 (en $ courants).
18
Source : Levitsis et Koulis, 2008.
19Il joue donc jusqu’à un certain seuil comme un mécanisme puissant d’incitation au travail. Ce dispositif a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses études au sein du monde académique, qui montrent pour la plupart d’entre elles son impact positif sur le retour à l’emploi des personnes vivant dans les ménages à bas revenus, notamment des mères isolées. L’une des questions récurrentes est de savoir si et de quelle manière ce genre de dispositif affecte la décision de travailler et s’il est susceptible de modifier les comportements des bénéficiaires à cet égard, ce que les économistes appellent l’aléa moral. Il en va de même s’agissant de l’intensité au travail, c’est-à-dire du nombre d’heures travaillées par les bénéficiaires du dispositif, à cause des différents seuils existants. Durant la phase d’entrée dans le dispositif, l’incitation à la reprise du travail est élevée, avec un crédit d’impôt qui augmente fortement à mesure que les revenus de l’individu et de la famille augmentent. Cette incitation devient neutre quand le crédit atteint son maximum, puis va théoriquement décroissant à mesure que les gains additionnels réduisent le montant du crédit d’impôt (graphique 35). L’un des résultats les plus solides émanant de ces différents travaux de recherche est que l’EITC accroît le taux d’emploi des mères isolées. Meyer (2008) indique à partir de l’exploitation de l’enquête sur la population de 2004 (Current Population Survey) que près de 40 % des transferts opérés dans le cadre de l’EITC sont destinés à des mères isolées et que, si l’on y ajoute les pères isolés, c’est la moitié de l’EITC qui profite à des familles monoparentales. Toutefois, l’impact sur le taux d’activité des femmes déjà en emploi est beaucoup moins évident. De même, le phénomène de désincitation au travail supposé se produire à mesure que les revenus s’accroissent durant la phase de sortie du dispositif n’a pas été validé empiriquement.
20Finalement, l’EITC, étendu à plusieurs reprises, est devenu un mécanisme de soutien substantiel aux revenus des familles pauvres avec enfants dans lesquelles une personne travaille, notamment les mères de familles monoparentales. Mais dans le même temps, l’accès au principal dispositif d’aide sociale en espèces monétaires (AFDC) était rendu plus difficile par la réforme de 1996, illustrant l’évolution des mentalités au sujet de la pauvreté méritante (Gélot, 2007).
L’aide sociale, d’une logique de Welfare à une logique de Workfare
21L’origine du système d’aide sociale américain remonte aux années 1930. Ce dispositif n’a toutefois commencé à devenir un objet de controverse dans la vie politique américaine qu’à partir des années 1960, après que le mouvement pour les droits civiques des Noirs américains eut pu ouvrir la voie à une nouvelle phase de réforme sociale dont le cadre avait été mis en place sous le New Deal trente ans avant. Dans son discours sur l’état de l’Union de 1964, le président L. Johnson fait de la lutte contre la pauvreté une priorité politique. C’est ainsi que les années 1960 voient l’expansion du programme d’aide sociale en faveur d’une population composée majoritairement de mères de famille qui élèvent seules leurs enfants, principalement des femmes noires, de même que la création de Medicare et de Medicaid (voir chapitre ix). Ce faisant, une césure symbolique s’est produite entre d’un côté, les grands programmes sociaux (le régime public de retraite ou le système d’indemnisation du chômage) conçus à l’époque pour protéger le noyau de travailleurs stables, essentiellement composé d’ouvriers blancs de sexe masculin et de l’autre, les programmes d’aide sociale destinés principalement aux Noirs. Cette séparation s’est nourrie de l’identification qui s’est produite entre d’une part, les émeutes raciales et la lutte des Noirs pour leurs droits civiques et d’autre part, le programme de lutte contre la pauvreté dans les années 1960, qui a eu pour effet d’isoler la population noire du reste de la population laborieuse américaine (Skocpol, 1995). Celle-ci a eu droit à un traitement social à part, ce qui, en contrepartie, a rendu ce programme davantage vulnérable aux attaques du Congrès.
22Cette dernière réforme a marqué un point de rupture radicale avec la logique qui avait présidé jusque-là au fonctionnement du système d’aide sociale hérité du New Deal. Ce système initial, fondé sur l’assistance aux pauvres sans exigence de contrepartie, s’est mué en un système d’assistance aux seuls travailleurs pauvres, sachant qu’il n’existe pas aux États-Unis de politique familiale et que l’accès aux indemnités chômage y est très restrictif (voir chapitre iv). La réforme de 1996 a donc représenté un sévère coup de boutoir dans l’une des principales sphères de l’État providence américain, que G. W. Bush accentuera lors de ses deux mandats présidentiels en durcissant encore un peu plus les conditions d’accès au Welfare puis en opérant des coupes budgétaires dans les principaux programmes sociaux, après avoir baissé les impôts en direction des ménages aisés.
23Cette réforme de l’aide sociale a marqué un tournant par rapport aux politiques sociales qui l’ont précédée. L’ADC (Aid to Dependent Children), créé en 1935 et transformé en AFDC (Aid to Families with Dependent Children) en 1961, devait procurer à l’origine et pendant longtemps des prestations monétaires sous condition de ressources aux familles nécessiteuses avec enfant, dans lesquelles le père était soit handicapé, soit mort. Cette loi avait été promulguée dans la continuité des politiques sociales dites « maternalistes » de l’ère progressiste du début du xxe siècle (Skocpol, 1995), marquée par de nombreuses initiatives législatives des États et du Congrès qui visaient à aider les femmes à élever leurs enfants. Dans les années 1940, ces prestations d’aide sociale ont été distribuées de façon croissante à des familles monoparentales dont le père était vivant mais absent, et donc à des femmes élevant seules leurs enfants. À partir des années 1960, les femmes noires en sont devenues les principales bénéficiaires et aujourd’hui encore, les familles les plus vulnérables restent de façon disproportionnée des familles noires. Ces dernières représentaient plus du tiers des bénéficiaires de l’aide sociale en 2006 (35,6 %).
24C’est à la fin de la décennie 1960 également que certains États conditionnent pour la première fois le soutien monétaire accordé aux mères élevant seules leurs enfants à une exigence de retour à l’activité et à l’emploi, révélant déjà la crise de légitimité du Welfare (Huret, 2008). Mais il faut attendre les années 1980 et l’arrivée de R. Reagan au pouvoir pour assister à une véritable stigmatisation des pauvres, les rendant en quelque sorte responsables de leur sort. Une attention critique accrue est ainsi portée à la dépendance présumée au Welfare, l’aide sociale étant supposée entraîner des effets de désincitation au travail (Burtless, 2008). La notion de responsabilité réciproque entre les bénéficiaires du programme d’aide sociale et l’État (les droits et les devoirs) émerge clairement dans une loi de 1988 (The Family Support Act), qui crée un programme d’éducation et de formation à l’intention des bénéficiaires du Welfare de même qu’un programme d’aide et de soutien financier pour leurs enfants. Et pour la première fois, la distribution des prestations d’aide sociale par les États est conditionnée à l’atteinte d’objectifs chiffrés en termes de réinsertion professionnelle et de retour à l’activité des bénéficiaires adultes (des parents avec des enfants âgés de trois ans au moins, voire d’un an), avec des sanctions à la clé. Cependant, ces restrictions, prolongées par des expériences menées par certains États fédérés entre 1992 et 1996 (Gilles, 2008), n’empêchent pas le nombre de familles allocataires et de bénéficiaires d’augmenter fortement : il atteint un pic de 5,1 millions de familles, soit plus de 14 millions d’individus concernés en 1994 comme le montre le graphique 36, dont une majorité d’enfants (9,6 millions).
Graphique 36. – Évolution du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale (en milliers).
25
Source : d’après le Green Book, 2008, section 7 (disponible à http://waysandmeans.house.gov).
26C’est l’une des raisons qui amèneront le gouvernement de W. Clinton à promouvoir une réforme radicale de l’aide sociale au milieu des années 1990, dans un contexte d’augmentation du taux de pauvreté des enfants depuis les années 1980. En même temps sont créés ou renforcés d’autres programmes de lutte contre la pauvreté comme le programme destiné à offrir une couverture santé gratuite aux enfants de familles pauvres n’ayant cependant pas accès à Medicaid (encadré 17). La réforme votée en 1996 (PRWORA) qui met en place le nouveau dispositif connu sous le nom de Temporary Assistance for Needy Families (TANF) vise à restreindre le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale (notamment les immigrés arrivés récemment) et à découpler cette aide de l’accès automatique à d’autres programmes comme la couverture médicale gratuite dans le cadre de Medicaid. Elle poursuit quatre objectifs précis : 1° procurer un soutien financier aux familles pauvres pour les aider à éduquer leurs enfants11 ; 2° réduire la dépendance à l’aide gouvernementale ; 3° prévenir les naissances hors mariage ; 4° encourager la formation et le maintien de familles biparentales.
27Trois innovations sont introduites par la nouvelle loi. D’une part, l’enveloppe budgétaire destinée au programme TANF est plafonnée. D’autre part, la loi instaure une obligation d’activité des bénéficiaires après deux ans au plus de perception de l’allocation (emploi, formation, activité d’intérêt collectif). Enfin, elle limite la période de soutien monétaire aux familles cible à cinq ans au cours de leur vie, période qui peut dans certains cas être prolongée par des aides des États.
28Cette loi donne à ces derniers plus de liberté dans la mise en place des programmes (critères d’éligibilité, critères et durée de retour à l’activité, nature de l’activité, etc.), tout en les obligeant désormais à atteindre des performances précises en termes de retour à l’activité des bénéficiaires. Ainsi, la moitié des familles recevant l’aide sociale doivent désormais être engagées dans une forme ou une autre d’activité ou de formation pendant 30 heures par semaine au moins. La loi permet d’abaisser ce seuil si les États parviennent à réduire le nombre de bénéficiaires pris en charge.
Encadré 17. Les autres programmes à destination des familles pauvres aux États-Unis
Ces programmes sous
condition de ressources représentent une partie importante du budget
fédéral américain. On y trouve par ordre d’importance :
a) Medicaid et CHIP
Medicaid est une assurance santé gratuite,
soumise à condition de ressources. Elle est financée conjointement
par l’État fédéral et les États. La contribution fédérale aux États
est inversement proportionnelle à leur revenu par tête, oscillant
entre un minimum de 50 % et un maximum de 83 % selon les cas. Le
ministère de la Santé et plus précisément les centres pour les
services de Medicare et Medicaid sont chargés de la supervision du
programme au niveau fédéral tandis que les États au niveau local
gèrent leur propre programme et rémunèrent les professionnels de
santé.
Les conditions d’éligibilité, les types de soins
couverts ainsi que la méthode et le montant des remboursements sont
du ressort des États, ce qui rend ce programme très vulnérable à
leur situation budgétaire. Il a d’ailleurs été régulièrement soumis
à des restrictions dans les conditions d’éligibilité et les
prestations de même qu’à des réductions de remboursement depuis les
années 1990. Il s’adresse tout particulièrement aux individus à bas
revenu, mais tous les pauvres n’y sont pas éligibles de même que
tous les individus couverts par le programme ne sont pas pauvres.
Ainsi, Medicaid couvrait seulement
40,5 % des personnes vivant sous le seuil fédéral de pauvreté en
2002. Il a principalement pour cible les bénéficiaires de l’aide
sociale bien que ces derniers n’y soient pas tous automatiquement
éligibles (les mères célibataires et leurs enfants), aux enfants de
6 à 18 ans vivant dans des familles dont le revenu est inférieur à
100 % du seuil de pauvreté, aux femmes enceintes (et leurs enfants
de moins de 6 ans) dont le revenu est inférieur à 133 % du seuil
fédéral de pauvreté ainsi qu’à la plupart des personnes âgées et
handicapés à bas revenu (qui bénéficient du SSI). Les États ont en
outre la possibilité d’étendre le programme à des populations cibles
(personnes souffrant d’affections graves, immigrants,
etc.).
Medicaid est la principale
source de financement public couvrant les soins de longue durée, en
établissement ou à domicile. Il existe deux moyens de délivrer des
services de soins via ce programme : le mode le plus répandu est le paiement
à l’acte par une agence Medicaid à un
professionnel certifié sur la base de tarifs établis par l’État ;
l’autre mode est l’inscription dans un réseau de soins intégrés (Managed Care) avec lequel l’État contracte
et à qui il paie un tarif forfaitaire par capitation, ajusté aux
caractéristiques de l’individu (ou d’un groupe d’individus). Le
nombre de bénéficiaires de Medicaid participant à ces réseaux de
soins intégrés est passé de 9,5 % en 1991 à 57,6 % en 2002.
Le
programme CHIP (Children’s Health Insurance Program) a été
créé en 1997 pour couvrir les enfants de familles pauvres (celles
dont les revenus sont inférieurs à 200 % du seuil fédéral de
pauvreté), mais qui ne le sont pas assez pour être éligibles à Medicaid. Il est financé conjointement par
l’État fédéral (70 %) et les États (30 %). En 2007, G. W. Bush a
opposé par deux fois son veto à une extension du programme votée par
le Congrès. En février 2009, B. Obama a promulgué une loi portant
extension de ce programme. Cette mesure a apporté 33 milliards de
dollars de ressources additionnelles sur cinq ans au programme et
permis de couvrir 4 millions d’enfants supplémentaires, portant la
couverture du programme à près de 10 millions d’enfants au
total.
b) Le Supplemental Security Income
(SSI)
Créé en 1972, en remplacement du système d’assistance
vieillesse et d’aide aux aveugles institué en 1935 par la loi de
Sécurité sociale, il s’adresse aux personnes handicapées, aveugles
ou âgées d’au moins 65 ans. Les enfants peuvent en en bénéficier à
condition d’avoir moins de 18 ans (ou moins de 22 ans pour des
étudiants à temps plein). Géré dans le cadre du régime public de
retraite, ce dispositif est financé par les impôts et non par les
cotisations sociales. De surcroît, les prestations, indexées sur
l’inflation, sont indépendantes du montant des salaires perçus par
les autres membres de la famille. Il assure un revenu minimum
garanti et a été conçu comme un programme d’aide de dernier recours,
même si certains de ses bénéficiaires reçoivent une pension du
régime public de retraite et peuvent participer également à d’autres
programmes sociaux comme Medicaid ou le
programme d’aide alimentaire (50 % des bénéficiaires du SII sont des
ménages qui reçoivent aussi des coupons alimentaires et dans
33 États, les bénéficiaires du SSI sont aussi immédiatement
éligibles à Medicaid). En 2008, l’aide
du SSI pour un couple se situait à 81,9 % du seuil fédéral de
pauvreté. C’est le plus important programme d’aide pour les pauvres
et jusqu’à récemment, celui dont le budget augmentait le plus
rapidement.
À fin 2007, il y avait 7,3 millions de
bénéficiaires du SSI (dont 6 millions de handicapés) et le programme
versait des prestations mensuelles de 3,7 milliards de dollars. Les
critères d’éligibilité sont multiples. Les individus et les couples
sont éligibles au programme à condition que leur revenu soit
inférieur au plafond de la prestation fédérale mensuelle SSI (637 $
pour une personne seule et 956 $ pour un couple en 2008) et que
leurs ressources globales ne dépassent pas 2 000 $ ou 3 000 $ selon
qu’il s’agit d’une personne seule ou d’un couple. Des conditions de
résidence et de citoyenneté sont également exigées, sachant que la
réforme de l’aide sociale en 1996 a durci les conditions d’accès des
étrangers au programme.
c) Le
programme d’aide alimentaire (initialement connu sous le nom Food Stamps, ce programme a été rebaptisé
Simplified Nutrition Assistance Program
en octobre 2008) : créé en 1964, ce dispositif s’adresse aux
familles pauvres, celles dont le revenu est inférieur à 130 % du
seuil officiel de pauvreté. Financé par le gouvernement fédéral, il
est géré par les États. Ce programme permet de satisfaire aux
besoins alimentaires essentiels de familles pauvres, à partir d’un
crédit qui leur est accordé avec lequel ils font leurs courses dans
les magasins participant au programme (avant, il s’agissait de
coupons qui pouvaient être échangés contre de la nourriture, ce qui
était très stigmatisant). Les bénéficiaires de ce programme doivent
consacrer au moins 30 % de leur revenu mensuel à des achats
alimentaires.
La valeur des prestations est ajustée à
l’inflation une fois l’an et fixée au niveau fédéral, les mêmes
règles s’appliquant quels que soient les États à l’exception de
l’Alaska et d’Hawaï. En 2008, le montant moyen de cette aide
équivalait à 110 $ par mois et par personne (contre 144 $ en 1981)
et le montant maximum à 588 $. Critiqué pour sa relative
inefficience vis-à-vis des personnes pauvres, ce programme a
néanmoins connu une très forte progression des allocataires avec la
crise. Les bénéficiaires de ce programme ont augmenté de plus de
5 millions entre mars 2008 et mars 2009.
d) L’aide au logement : depuis la fin des
années 1960, le gouvernement fédéral subventionne la construction de
logements sociaux à destination des familles pauvres, des personnes
âgées ou handicapées. On distingue cependant trois types de
programmes : une aide (financière ou en nature) aux locataires ; une
aide aux États et aux collectivités locales, qui s’est accrue en
contrepartie du désengagement de l’État fédéral à partir de 1983 ;
une aide financière aux accédants à la propriété. Le premier
programme, le plus répandu, a été institué en 1974 au niveau fédéral
mais en 1937 au niveau des États. Il accorde une aide financière
sous forme de bons à la location, contribuant ainsi au paiement du
loyer jusqu’à 30 % des revenus des bénéficiaires, ou une aide à
travers la mise à disposition de logements publics, appartenant aux
États et aux collectivités locales. Les principaux bénéficiaires de
ces programmes sont les familles noires, pauvres ou en situation de
grande pauvreté. Le second programme repose sur un crédit d’impôt
institué à partir de 1986 et distribué par les États et les
collectivités locales, pour aider à la construction ou à la
réhabilitation de logements destinés aux ménages à bas revenu
(inférieur ou égal à 50 ou 60 % du revenu médian de la zone
géographique concernée). Le troisième programme concerne l’aide pour
l’accession à la propriété. C’est le programme le plus ancien, géré
par l’administration fédérale du logement (Federal Housing Assistance), créée en 1934
pendant le New Deal. Il constitue un
point central de l’aide au logement aux États-Unis, tant l’accession
à la propriété a toujours été un symbole de l’American Way of Life, avec un taux de
propriété de 71 % en 2007. Ce programme consiste en l’octroi de
prêts hypothécaires subventionnés, principalement à travers des
incitations fiscales (déduction des intérêts des emprunts). C’est
précisément l’un des segments de ce marché des crédits hypothécaires
(celui des subprimes) qui a été à
l’origine de la crise financière survenue aux États-Unis à l’été
2007. L’aide au logement reste néanmoins très parcimonieuse aux
États-Unis, bénéficiant seulement à un mal-logé sur quatre. Elle ne
protège pas non plus ses bénéficiaires de la volatilité des marchés
immobiliers et de la spéculation dont ils sont régulièrement
l’objet, comme on l’a vu avec la crise des subprimes. En conséquence, elle ne joue pas
à l’heure actuelle un rôle très important de réduction des
inégalités et de la pauvreté.
Source : Green Book, 2008, sections 3 et 15, disponible à http://waysandmeans.house.gov ; Trenkamp et Wiseman, 2007 ; Natival, 2009.
Un bilan mitigé de la réforme de 1996
29Plus de dix ans après la réforme de l’aide sociale, période qui permet d’avoir un recul suffisant pour évaluer son impact, le bilan est controversé. D’une part, il est très difficile d’attribuer à cette seule réforme les résultats positifs obtenus en matière de baisse des allocataires et de retour à l’emploi. D’autre part, si les objectifs de la réforme peuvent être considérés comme atteints, en grande partie au moins, la situation de certaines femmes isolées ne s’est guère améliorée, voire aurait empiré.
30La réforme de l’aide sociale a donné lieu à de nombreux travaux d’évaluation, comme il est d’usage aux États-Unis. Or ces travaux mettent tous l’accent sur les difficultés à distinguer les effets des diverses politiques publiques mises en œuvre dans les années 1990, et à les isoler distinctement. Ainsi, l’interaction d’un contexte économique porteur dans la seconde moitié des années 1990, d’une expansion de l’EITC et de Medicaid et des réévaluations successives du salaire minimum ont sans nul doute contribué au moins autant, sinon plus, à réduire le nombre d’allocataires du programme TANF et à élever le taux d’emploi des mères isolées (Blank, 2002 ; Gilles, 2008). Certains auteurs vont même jusqu’à soutenir que sans le boom de la nouvelle économie et le rythme soutenu de création d’emplois durant cette période, la réforme de l’aide sociale aurait abouti à un désastre social (Freeman, 2001).
31La plupart des travaux s’accordent en effet à constater un déclin drastique du nombre de familles bénéficiaires de l’aide sociale, notamment au sein de la population des mères isolées (Blank, 2002 ; Fang et Keane, 2004 ; Gilles, 2008). Selon les évaluations les plus récentes12, ce nombre aurait été divisé par plus de deux entre 1994 et 2006, passant de 5,1 à 1,9 million de familles, soit 4,6 millions d’individus dont 3,5 millions d’enfants. De même le pourcentage d’enfants bénéficiant de l’aide sociale aurait également accusé une baisse importante, déclinant de 61,7 à 26,7 % sur la même période. Et surtout, les familles bénéficiaires du Welfare dont les membres sont sans emploi ont été réduites de moitié dans ce laps de temps, passant de 84 à 42 %. Par ailleurs, le taux d’emploi des sortants du dispositif TANF s’est nettement amélioré, variant entre 60 et 70 %. Plus précisément, le taux de mères célibataires en emploi (un mois donné durant une année de référence) est passé de 64 % en 1995 à 75,5 % en 2000, puis est retombé à 72 % en 2006 tout en restant supérieur en moyenne à ce qu’il était avant la réforme de 1996 (Green Book, 2008, Appendix J).
32Si l’on mesure la réussite de la réforme de 1996 par la seule diminution des dossiers d’aide sociale, son succès est difficilement contestable. Mais comme l’a souligné R. Solow (2004), ce critère aisément mesurable ne dit rien sur les causes de sortie de l’aide sociale, sur le sort des personnes l’ayant quitté ni sur le salaire perçu par ces dernières lors du retour à l’emploi. Or des travaux ont montré que beaucoup d’anciens allocataires auraient quitté le dispositif d’aide sociale par crainte de ne pouvoir répondre aux exigences de retour à l’emploi, soit pour des raisons de santé, soit pour des raisons de violence domestique ou de dépendance à la drogue et à l’alcool ou encore par peur des sanctions encourues en cas d’échec. En fait, à peine la moitié (48 %) des familles éligibles au programme du TANF en seraient bénéficiaires, contre près de 80 % avant la réforme (Coven, 2005). Fang et Keane (2004) font également valoir que cette baisse du nombre d’allocataires de l’aide sociale est antérieure à 1996 et avait déjà commencé sous l’impulsion de politiques expérimentales mises en place par certains États et généralisées avec la réforme (voir chapitre viii). D’autre part, la réforme a été moins prometteuse du point de vue du déclin de la pauvreté des enfants, dont le taux reste élevé. Enfin, le ratio de naissances hors mariage s’est accru, passant de 32,2 % en 1995 à 38,5 % en 2006 (Green Book, 2008, Appendix J).
33Quelles qu’en soient les causes, la diminution des bénéficiaires de l’aide sociale est indiscutable mais les effets sur l’emploi des mères isolées ainsi que sur la diminution de la pauvreté sont beaucoup plus mitigés, pour ne pas dire ambivalents. Certes le taux d’emploi des mères élevant seules leurs enfants a dans un premier temps augmenté, soutenu par une conjoncture économique très favorable durant la seconde moitié des années 1990 et entraînant ainsi une diminution de la pauvreté chez les familles monoparentales. Mais l’atonie du marché du travail dans les années 2000, caractérisée par une « reprise sans emploi », a joué en sens inverse. Elle est venue peser sur le taux d’emploi des mères isolées et accroître à nouveau la pauvreté des familles monoparentales (Périvier, 2007 ; Green Book, 2008, Appendix J) et nul doute que la crise économique et financière n’aura fait qu’aggraver ce phénomène. En outre, il existe de nombreuses barrières à la reprise du travail chez les bénéficiaires du programme d’aide sociale. En effet, des études ont montré qu’au moins un tiers des adultes bénéficiaires ont des handicaps physiques ou mentaux et qu’une famille sur quatre comprend des enfants eux-mêmes handicapés.
34Finalement, il est estimé qu’environ un quart des femmes seules avec enfants ne seraient jamais parvenues à s’insérer sur le marché du travail, ni à recevoir une aide quelconque du système d’aide sociale (TANF, assurance handicapés ou chômage, etc.). Ces personnes seraient en rupture totale d’insertion sociale et dans une situation d’extrême pauvreté13, soit parce qu’elles ne reçoivent plus d’aide sociale tout en étant sans emploi et donc sans moyens de survie, soit parce qu’elles perçoivent moins de 3 000 $ ou 4 000 $ par an entre les gains liés à des emplois sporadiques et les gains liés à d’autres programmes sociaux. Cette population représenterait, selon les définitions plus ou moins restrictives, entre 20 et 25 % de la population des femmes seules (Blank et Kovak, 2008). Il y a donc un coût non négligeable de cette réforme, supporté de façon disproportionnée par ceux et celles qui, incapables de travailler (ou d’avoir la volonté de travailler), se retrouvent avec moins de ressources qu’avant la réforme de l’aide sociale, principalement des familles monoparentales avec enfant qui sont dans l’extrême pauvreté (Moffitt et Sholz, 2009).
35La réapparition d’un chômage de masse en 2009 constitue la première véritable mise à l’épreuve du système d’aide sociale depuis la réforme de 1996. Avec la récession économique, ce filet de sécurité risque d’être impuissant à soutenir les pertes des familles à bas revenu. Sa logique repose en effet sur l’existence d’un réservoir quasi illimité d’emplois à bas salaire, capable d’absorber les sortants de l’aide sociale. Cependant, la dégradation du marché de l’emploi fait non seulement pression sur les salaires mais entraîne une raréfaction des offres d’emplois, notamment des emplois peu qualifiés et faiblement rémunérés. Elle illustre de manière plus générale l’incapacité du système d’aide sociale à répondre à l’émergence de nouveaux risques sociaux, apparus du fait des transformations du marché du travail et des situations familiales. La logique de Workfare introduite en 1996 a privé le programme d’aide sociale du rôle contra-cyclique qu’il pouvait jouer auparavant, à la différence du système d’assurance chômage, de Medicaid ou du programme de coupons alimentaires qui continuent d’avoir cette fonction. De même le crédit d’impôt perd de son efficacité comme instrument de lutte contre la pauvreté en cas de récession, car il ne peut apporter d’aide aux ménages dont les membres sont privés d’emploi.
Notes de bas de page
1 Income and Poverty Among Older Americans in 2008, P. Purcell, Congressional Research Service, October 2, 2009.
2 Le régime de Sécurité sociale (OASDI) comprend en fait un régime de retraite de base (OASI) pour les retraités et leurs survivants et un régime d’invalidité et d’assurance médicale pour les handicapés (DI) qui a été ajouté en 1956. Pour une description et une analyse détaillées du régime de retraite de base, cf. apRoberts, 2000, et Green Book, 2008, section 1, (disponible à http://waysandmeans.house.gov).
3 Environ 3,5 millions de salariés de l’État fédéral, des États et des collectivités locales ont choisi de rester en dehors du régime de base, leur affiliation plus tardive (1984 pour les employés fédéraux, 1991 pour ceux des États et des collectivités locales) ayant toujours conservé un caractère optionnel.
4 La cotisation globale est passée à 11,4 % en 1984 et les pensions supérieures à 25 000 $ (pour un célibataire) ou à 32 000 $ (pour un couple) ont été soumises en partie à l’impôt (de 50 à 80 % de leur pension), ce qui fait que 39 % des bénéficiaires paient actuellement des impôts sur leur pension, cf. The 2005 Annual Report of the Board of Trustees.
5 Il atteint un maximum de 53 % du salaire moyen pour les bas salaires, mais n’en représente que 24 % pour les plus hauts salaires, cf. Annual Statistical Supplement, SSA, 2008.
6 La Sécurité sociale détermine cet ajustement en comparant l’indice des prix du 3e trimestre de l’année (juillet à septembre) à celui de l’année précédente. La loi interdit cependant d’ajuster les prestations nominales à la baisse en cas de déflation.
7 Ainsi, depuis 1997, l’échéance d’épuisement des réserves a été repoussée d’une dizaine d’années compte tenu d’une évolution démographique plus favorable.
8 Cf. The 2009 Annual Report of the Board of Trustees of the Federal OASDI Trust Funds, US GPO, Washington D. C., May 2009.
9 Pour les États-Unis, il est certain qu’un afflux migratoire entraînerait des entrées de cotisation sans augmentation équivalente immédiate des prestations par exemple.
10 Bien que le crédit d’impôt ait été étendu aux familles laborieuses sans enfant en 1993, l’essentiel des transferts concernant l’EITC fédéral est attribué aux familles avec deux enfants âgés de moins de 19 ans (Holt, 2006).
11 Le niveau de ressources pour accéder à ce programme est déterminé par les États. Dans tous à l’exception de l’État d’Hawaï, ces ressources pour une famille composée d’un adulte et de deux enfants ne doivent pas excéder le seuil de pauvreté, voire la moitié de ce seuil dans la majorité des cas (Green Book, 2008, section 7, op. cit.).
12 Cf. Green Book, 2008, section 7 (disponible à http://waysandmeans.house.gov).
13 Soit moins de 50 % du seuil officiel de pauvreté. Le programme TANF ne servirait actuellement que 4 % des familles très pauvres, qui y sont pourtant éligibles selon Schott et Levinson, 2008.
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