Chapitre XIII. Une pauvreté touchant principalement les jeunes, les inactifs mais aussi les travailleurs à bas salaires
p. 203-208
Texte intégral
1D’après le dernier rapport annuel du Bureau du recensement américain, le taux officiel de pauvreté est en augmentation, atteignant 13,2 % de la population résidente en 2008, contre 12,5 % l’année précédente1. Ainsi, 13,2 % des personnes vivant aux États-Unis ne peuvent satisfaire leurs besoins élémentaires, selon la définition retenue par l’administration américaine. Calculé pour la première fois en 1959, ce taux était alors de 22 %. Dans les années 1960, il a régulièrement baissé sous l’impulsion de la lutte contre la pauvreté engagée par le président L. Johnson dans le cadre de son projet de « grande société ». À partir de 1973, il a recommencé à croître, oscillant depuis entre 11 et 15 %. Cependant, cette stabilité apparente du taux de pauvreté depuis le milieu des années 1970 est à mettre d’une part, au compte de l’imperfection de sa mesure, sur laquelle de nombreux chercheurs s’accordent aujourd’hui (Blank et Ford, 2007). Elle est établie en effet sur la base des besoins économiques et du pouvoir d’achat des ménages qui prévalaient au milieu des années 1950 (encadré 14). D’autre part, elle s’explique par le fait qu’une fraction disproportionnée de la redistribution opérée par l’État américain l’a été en direction d’individus et de ménages non pauvres (Moffitt et Scholz, 2009).
Encadré 14. Le seuil officiel de pauvreté aux États-Unis
Le seuil de pauvreté aux
États-Unis est une grandeur absolue, à la différence des pays de l’Union
européenne qui retiennent un taux relatif de pauvreté, fonction du
revenu médian (égal à 50 ou 60 % de ce revenu selon les cas). Exprimé en
valeurs monétaires, il est calculé annuellement par le Bureau du
recensement depuis 1959, en fonction des caractéristiques du foyer
(adultes et enfants vivant sous un même toit en fonction de leur nombre
et de leurs âges respectifs) et des besoins estimés de subsistance
(nourriture, habillement et logement) pour une famille type. C’est une
économiste travaillant pour l’administration de la Sécurité sociale,
M. Orshansky qui, dès 1955, mit au point cet indicateur. À partir des
besoins alimentaires de base d’une famille de quatre personnes révélés
par les enquêtes nutritionnelles du ministère de l’Agriculture au début
des années 1950, elle estime alors la part relative des consommations
alimentaires à 1/3 du budget de ce ménage type. Elle multipliera par
trois ce budget de subsistance pour estimer le seuil de pauvreté, lequel
sera revalorisé chaque année en fonction de l’indice des prix à la
consommation à partir de 1969. Les bases de ce calcul étant restées
inchangées depuis, il est évident que ce taux de pauvreté absolue ne
reflète plus du tout la réalité des dépenses et des besoins des ménages
américains aujourd’hui. En dépit de ses carences, il continue d’être
utilisé pour déterminer l’accès à de nombreux programmes sociaux
(Medicaid, etc.).
Au début des années 1990, le Congrès avait demandé
au Conseil national de la recherche de l’Académie nationale des sciences
de conduire une analyse sur la mesure de la pauvreté, conscient que
celle utilisée était problématique. La commission mise en place devait
proposer une mesure alternative de la pauvreté, plus sensible aux
changements de prix des biens de première nécessité entrant dans la
consommation des ménages. Ces travaux montraient, à partir de cette
nouvelle mesure, que le taux de pauvreté alternatif avait crû plus vite
de 2000 à 2006 que le taux officiel de pauvreté, alors qu’entre 1989 et
2000, les deux mesures utilisées donnaient des résultats proches. Malgré
la publication régulière par le Bureau du recensement de diverses
mesures alternatives de la pauvreté, aucune de ces mesures n’a jusqu’à
présent fait consensus parmi les experts pour remplacer la mesure
initiale.
Une analyse de la pauvreté aux États-Unis et dans quelques
pays européens, utilisant alternativement les mesures de seuil de
pauvreté absolue (méthode américaine) et relative (méthode européenne)
permet de comparer les situations de pauvreté entre les pays pour
l’année 2000. Elle montre que les États-Unis sont, après le Royaume-Uni,
le pays qui connaît le plus fort taux de pauvreté mesuré en termes
absolus (8,7 contre 12,4 % de pauvres au Royaume-Uni) mais ravit la
première place à ce dernier en termes relatifs, avec un taux de pauvreté
qui représente le double du taux officiel (17 %).
Si l’on revient à
l’année 2008 et au calcul officiel de la pauvreté en vigueur aux
États-Unis, le seuil officiel de pauvreté variait dans une fourchette de
16 841 à 17 346 $ par an (soit 1 403 à 1 445 $ par mois), selon le
nombre d’enfants âgés de moins de 18 ans attachés au foyer pour une
famille de trois personnes. Pour une famille de quatre personnes, il
oscillait entre 21 910 et 22 207 $ par an (soit 1 825 et 1 850 $ par
mois). Ce seuil sert aussi à déterminer si un emploi permet ou pas de
sortir de la pauvreté, pour une famille composée généralement de quatre
membres. Il ne le permettra pas, s’agissant d’un emploi à temps plein et
continu au cours de l’année (40 heures par semaine pour 52 semaines dans
l’année ou 2 080 heures annuelles), payant moins que le seuil de
pauvreté pour une famille avec deux adultes et deux enfants. Selon cette
définition, environ un emploi sur quatre paie des salaires au seuil de
pauvreté.
Source : http://aspe.hhs.gov/POVERTY/08poverty.shtml et Green Book, 2008, Appendix E., Poverty, income distribution and antipoverty effectiveness (http://waysandmeans.house.gov).
2Pour autant, l’enquête menée par le Bureau du recensement américain ne manque pas totalement d’intérêt. Elle permet d’identifier qui sont les pauvres aux États-Unis ou plus précisément, quelles sont les principales caractéristiques des individus et des ménages considérés comme pauvres selon la mesure officielle. La lecture du tableau 17 montre que les individus principalement touchés par la pauvreté au sein des familles sont les enfants de moins de 18 ans (19 %), en particulier ceux vivant dans des familles monoparentales (48 %), alors que les personnes âgées de 65 ans et plus ne sont plus qu’à peine 10 % dans ce cas.
Tableau 17. – Caractéristiques des individus et des familles pauvres aux États-Unis en 2008.
Caractéristiques |
Population en dessous du seuil de pauvreté (en milliers) |
Population en dessous du seuil de pauvreté (en %) |
Individus |
39 829 |
13,2 |
Selon le statut familial |
||
– En famille Dont : - Chef de ménage - Enfants de moins de 18 ans – Dans des familles monoparentales Dont : Enfants de moins de 18 ans – Célibataires Dont : - Hommes - Femmes |
28 564 8 147 13 507 555 341 10 710 4 759 5 951 |
11,5 10,3 18,5 46 47,8 20,8 18,9 22,6 |
Origine ethnique |
||
– Blancs – Noirs – Asiatiques – Hispaniques |
26 990 9 379 1 576 10 987 |
11,2 24,7 11,8 23.2 |
Âge |
||
– Moins de 18 ans – 18-64 ans – 65 ans et + |
14 068 22 105 3 656 |
19 11,7 9,7 |
Nationalité |
||
– Américaine – Étrangère Dont : - Citoyen - Non-citoyen |
33 293 6 536 1 577 4 959 |
12.6 17.8 10,2 23,3 |
Expériences en emploi |
||
Total des travailleurs Dont : - Temps plein toute l’année - Pas à temps plein toute l’année - Sans emploi * |
10 085 2 754 7 331 17 131 |
6,4 2,6 13,5 22 |
Familles |
8 147 |
10,3 |
Selon le type de familles |
||
– Couples mariés – Familles monoparentales (Femmes chefs de ménage) – Familles monoparentales (Hommes chefs de ménage) |
3 261 4 163 723 |
5,5 28,7 13,8 |
* A travaillé moins d’une semaine de travail dans l’année.
Source : US Census Bureau, 2009.
3Les personnes issues de la communauté noire sont presque deux fois plus nombreuses parmi les pauvres que ne l’est en moyenne la population résidant aux États-Unis (24,7 contre 13,2 %), relativement à la taille respective des populations concernées. Les individus d’origine hispanique sont aussi particulièrement affectés par la pauvreté (23,2 %). De même les étrangers qui n’ont pas la citoyenneté américaine sont relativement plus nombreux parmi les pauvres que les natifs (23,3 contre 12,6 %). On observera aussi le fait qu’être inactif (ou chômeur découragé) est un facteur important de pauvreté, 22 % de cette population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Enfin, les familles monoparentales sont sans surprise davantage affectées par la pauvreté que les familles en couple mais celles dont le chef de famille est une femme sont plus de deux fois plus nombreuses parmi les pauvres que celles où c’est l’homme qui tient ce rôle (28,7 contre 13,8 %). Cependant, force est de constater que la pauvreté n’épargne pas non plus les personnes actives aux États-Unis. En effet, les travailleurs qui ne sont pas occupés à temps plein toute l’année vivent pour 13 % d’entre eux dans la pauvreté.
4La notion de « travailleur pauvre » a reçu sa définition officielle en 1987 par un département du ministère du Travail. Est catégorisé comme tel par le Bureau des statistiques du travail tout individu ayant été en emploi ou à la recherche d’emploi au moins la moitié de l’année (27 semaines) et vivant dans une famille dont le revenu reste néanmoins en deçà du seuil officiel de pauvreté (Klein et Rones, 1989). Dans l’appréciation de cette situation, la taille, la composition des ménages et les ressources apportées par les autres membres du foyer entrent évidemment en ligne de compte. Selon cette convention, le taux de « travailleurs pauvres » en 2007 était de 5,1 %, avec une surreprésentation des femmes et des minorités (US BLS, 2009). Cette mesure n’a cependant pas grande signification, puisqu’elle dépend du seuil de pauvreté dont on a relevé auparavant le caractère largement irréaliste. En revanche, l’enquête montre que les facteurs déterminants de la pauvreté laborieuse relèvent de difficultés rencontrées par les individus sur le marché du travail (chômage, temps partiel contraint, bas salaire), associées à un contexte familial défavorable (femmes élevant seules des enfants de moins de 18 ans). Certaines populations se retrouvent plus fréquemment que d’autres confrontées à ce type de situations, cumulant un certain nombre de handicaps. C’est le cas des Noirs et des Hispaniques, qui ont en général un plus faible niveau d’études, qui occupent plus souvent des emplois de service faiblement rémunérés et que l’on retrouve en deux fois plus grand nombre dans la catégorie des travailleurs pauvres que les Blancs.
5Contrairement aux « travailleurs pauvres », la catégorie des « travailleurs à bas salaire » n’a jamais fait l’objet d’une définition officielle. Les économistes américains ont adopté différentes conventions pour en délimiter l’ampleur et en préciser les attributs. Certains estiment que les travailleurs peuvent être considérés comme relevant de cette catégorie à partir du moment où ils sont rémunérés moins d’une fois et demi le taux horaire du salaire minimum (Acs et Nichols, 2007). Les experts du CBO (2006) définissent quant à eux les « travailleurs à bas salaire » comme ceux appartenant au premier quintile de la distribution des salaires (20 %). D’autres encore, tels Boushey et al. (2007) retiennent comme seuil tout niveau de salaire inférieur aux 2/3 du taux horaire brut médian (égal ou inférieur à 11,11 $ en 2006), ce qui équivaut au niveau de salaire horaire d’un travailleur à temps plein toute l’année permettant à une famille composée de quatre membres de vivre au-dessus du seuil de pauvreté.
6En dépit de ces différentes conventions, il y a un relatif consensus sur la ligne de partage entre les « travailleurs à bas salaire » et les autres : sont considérés comme « travailleurs à bas salaire » aux États-Unis ceux qui sont rémunérés autour de 10 $ l’heure, ce qui place les travailleurs payés au salaire minimum quoique travaillant à temps plein toute l’année dans cette catégorie. Selon ce critère, environ 25 % de la main-d’œuvre serait dans ce cas, les Hispaniques et les Noirs y étant largement représentés.
7Les « travailleurs à bas salaire » cumulent en fait deux handicaps : non seulement leurs taux de salaire horaire sont généralement très bas mais leurs emplois sont souvent à temps partiel et/ou discontinus au cours de l’année, ne donnant en général pas accès aux prestations sociales comme l’assurance maladie, la retraite complémentaire ou encore les congés maladie. Tous les « travailleurs à bas salaire » ne sont pas pauvres, tout simplement parce qu’ils vivent dans des familles dont les revenus les maintiennent au-dessus du seuil officiel de pauvreté. Ainsi, la moitié des « travailleurs à bas salaire » aux États-Unis vivrait dans des familles « pauvres » tandis que l’autre moitié vit dans des familles aux revenus plus de deux fois supérieurs au seuil de pauvreté officiel selon Acs (2008).
8Qui sont ces travailleurs à bas salaire ? Ils sont en général définis par des caractéristiques ayant trait soit à leur personne, soit à leur emploi. Les travailleurs à bas salaire sont ainsi des individus en moyenne plus jeunes que les autres (39 % d’entre eux ont entre 18 et 29 ans contre 27 % pour l’ensemble des travailleurs), même si plus des 2/3 d’entre eux ont entre 24 et 60 ans2. Ils montrent également un niveau d’éducation et un état de santé moins élevé et moins bon que la moyenne des travailleurs.
9S’agissant des caractéristiques des emplois occupés et de leur environnement de travail, on peut observer que les travailleurs à bas salaire sont moins nombreux que les autres à travailler à temps plein toute l’année (50 contre 70 %), non par choix mais faute de mieux le plus souvent. Ils sont aussi plus vulnérables que les autres au chômage. Ils travaillent en général dans des entreprises de petite taille (42 % d’entre eux travaillent dans des entreprises de moins de dix salariés contre 20 % pour l’ensemble) et on les retrouve évidemment en grand nombre dans les secteurs des services3, vu que ces derniers représentent plus de 80 % des emplois dans l’économie américaine. Les effets de structure jouant à plein dans ce cas, il n’est pas étonnant qu’on les retrouve massivement dans les emplois considérés « à bas salaire », ceux que Boushey et al. ont définis comme des emplois où la moitié des travailleurs gagnent au mieux 11,11 $ de l’heure (l’équivalent des 2/3 du salaire médian). Selon ce critère, six des vingt-trois catégories d’emploi recensées par le BLS tombent dans cette catégorie, parmi lesquelles on trouve principalement les emplois liés à la vente, les emplois de gardiennage et de nettoyage et les emplois de services aux personnes (garde d’enfants, femmes de ménage, etc.). Mais ce sont aussi des emplois qui offrent peu ou pas d’avantages sociaux et de moins bonnes conditions de travail en général4.
10Entre 1979 et 2005, la situation des « travailleurs à bas salaire » s’est détériorée par rapport à celle des autres travailleurs, cette dégradation ayant eu lieu pour l’essentiel durant la décennie 1980. En effet, l’écart entre le salaire médian et les travailleurs situés dans le décile inférieur de l’échelle des salaires s’est accru sur l’ensemble de la période considérée de près de 10 %. Ce qui fait que les « travailleurs à bas salaire » sont encore plus éloignés du haut de l’échelle de cette distribution qu’avant. Ainsi, le rapport entre le 9e et le premier décile (D9/D1) a augmenté de 29 % durant la même période, rendant compte d’une dispersion accrue des salaires horaires réels (en dollars 2005) et d’un processus accentué de polarisation du marché du travail (CBO, 2006). De surcroît, le système fiscal américain, s’il a connu des innovations majeures en faveur des ménages à bas revenus avec l’instauration du crédit d’impôt (EITC) et son extension dans les années 1980 et 1990, n’est guère progressif. En effet, le taux marginal d’imposition est dans la plupart des cas beaucoup plus élevé pour les ménages à bas revenu (inférieurs à 10 000 et 20 000 $ par an) que pour ceux à revenus élevés, à cause de la perte des aides sociales qu’une augmentation de revenu peut entraîner (Kotlikoff et Rapson, 2008).
Notes de bas de page
1 Cf. Income, Poverty and health Insurance Coverage in the United States: 2008, US Census Bureau, US Department of Commerce, September 2009.
2 Cf. Boushey et al., 2007.
3 C’est particulièrement le cas du secteur des loisirs où les taux horaires de salaire sont parmi les plus bas de tous les secteurs mais aussi le commerce de détail, au sein duquel Wal-Mart, le premier employeur américain, est emblématique d’une entreprise offrant des emplois à bas salaires.
4 Seuls 14,4 % des travailleurs du premier quintile de l’échelle des salaires perçoivent une retraite complémentaire, en plus de leur pension de Sécurité sociale et à peine un quart d’entre eux sont couverts par une assurance maladie, voir Mishel et al., 2009.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le développement solidaire des territoires
Expériences en Pays de la Loire
Emmanuel Bioteau et Karine Féniès-Dupont (dir.)
2015
Aide à domicile et services à la personne
Les associations dans la tourmente
Francesca Petrella (dir.)
2012
L'économie sociale entre informel et formel
Paradoxes et innovations
Annie Dussuet et Jean-Marc Lauzanas (dir.)
2007
L'économie sociale et solidaire
Nouvelles pratiques et dynamiques territoriales
Erika Flahault, Henri Noguès et Nathalie Shieb-Bienfait (dir.)
2011
L'entreprise en restructuration
Dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives
Claude Didry et Annette Jobert (dir.)
2010
Épargnants solidaires
Une analyse économique de la finance solidaire en France et en Europe
Pascal Glémain
2008
Institutions et développement
La fabrique institutionnelle et politique des trajectoires de développement
Éric Mulot, Elsa Lafaye de Micheaux et Pepita Ould-Ahmed (dir.)
2007