Introduction à la quatrième partie
p. 187-188
Texte intégral
1Pour la très grande majorité des ménages américains, l’évolution des salaires est un facteur déterminant de la croissance de leurs revenus. Seuls les ménages les plus riches ou les plus pauvres font exception à cette règle, pour lesquels les revenus du capital ou les revenus de transfert occupent une place proche de celle occupée par les revenus du travail, voire supérieure à elle. Or, depuis le milieu des années 1970, le trait le plus frappant de cette évolution est celui d’un décrochage croissant des salaires réels relativement aux gains de productivité, combiné à une aggravation des inégalités de salaire provoquée essentiellement par une déformation de l’échelle des salaires vers les niveaux supérieurs. C’est d’ailleurs cette dispersion accrue des salaires1 qui explique in fine le maintien de la part salariale dans la valeur ajoutée aux États-Unis. Dans les faits, une minorité de salariés a en effet capté l’essentiel des gains de productivité et des hausses de salaire réel tandis que la très grande majorité des travailleurs ont vu leurs salaires réels au mieux stagner, au pire régresser.
2Cette dispersion croissante des salaires a de fait accentué les inégalités de revenus des ménages, elles-mêmes dues à un déclin de la progressivité de l’impôt fédéral sur le revenu et aux baisses d’impôt accordées par les gouvernements successifs sur les revenus du capital. Cette évolution résulte des efforts acharnés des élites politiques et des milieux d’affaires américains pour instiller chez leurs compatriotes une foi inébranlable dans les vertus du marché et dans ses capacités à produire de l’innovation, des richesses et de l’emploi. Le discours et les pratiques visant à discréditer systématiquement le rôle régulateur et redistributif de l’État ou des institutions et à éliminer les obstacles à l’enrichissement personnel ont gagné en force dans la société américaine depuis les années 1980 et l’avènement de la révolution idéologique reaganienne. D’où la légitimité progressivement acquise par la politique de réduction d’impôt opérée d’abord par R. Reagan en 1987, puis à deux reprises, par G. W. Bush lors de son premier mandat (en 2001 et en 2003)2 et la résistance du Congrès à remettre en cause les avantages fiscaux acquis par les plus riches.
3La présente partie analyse cette évolution et montre que, face à cette aggravation des inégalités de salaire et de revenus, les politiques publiques de redistribution et de lutte contre la pauvreté des deux dernières décennies ont été, pour le moins, mises à l’épreuve. Le régime public de retraite (i. e. Sécurité sociale), qui fonctionne selon une logique d’assurance sociale, conserve un rôle redistributif indéniable, quand bien même celui-ci s’est érodé au cours des dernières décennies. Ce régime n’a pas fait l’objet de réformes majeures depuis longtemps, ayant résisté à la tentative de G. W. Bush d’en réaliser une privatisation partielle en 2005. Il continue ainsi d’être un puissant levier pour sortir les personnes âgées de la pauvreté. S’agissant des programmes de lutte contre la pauvreté, ils ont, au contraire du régime public de retraite, connu des réformes importantes ces deux dernières décennies. Leur principal objectif a été de rétablir les liens des populations les plus vulnérables avec le marché du travail, mais sur la base d’une distinction morale fréquemment opérée aux États-Unis entre les « bons pauvres » et les « mauvais pauvres ». Qu’il s’agisse de l’extension du crédit d’impôt (EITC) au cours des années 1980-1990 ou de la réforme de l’aide sociale en 1996, réorientée vers une logique de Workfare au prétexte que ce programme d’aide sociale a conduit à enfermer ses bénéficiaires dans des « trappes à pauvreté », toutes ces réformes ont poursuivi le même but : renforcer les incitations au travail, avec en arrière plan l’idée que la pauvreté relève fondamentalement d’une défaillance comportementale des individus. En devenant totalement tributaire de la dynamique du marché du travail, la politique de lutte contre la pauvreté n’a pas seulement réaffirmé le soubassement idéologique qui vise à récompenser les pauvres « méritants », ceux qui montrent leur volonté de travailler et à stigmatiser les autres. Elle s’est montrée en outre de plus en plus incapable de répondre aux besoins de populations totalement ou partiellement désinsérées socialement, en particulier les femmes seules recevant peu ou pas de revenu marchand et dont le nombre a augmenté dans les années récentes.
Notes de bas de page
1 On emploie dans cette partie indifféremment les termes de salaire et de rémunération, sachant que dans le calcul des salaires pris en compte pour mesurer le partage de la valeur ajoutée sont inclus primes, stock-options et autres compléments du salaire (hors protection sociale).
2 Ces réductions ont visé l’impôt sur le revenu des personnes, sur les revenus d’investissement (dividendes et plus-values boursières) dont le taux a été réduit à 15 %, ainsi que sur les revenus de la propriété.
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