Chapitre IX. Un système de santé coûteux et inéquitable
p. 141-159
Texte intégral
1La configuration et le fonctionnement du système de santé américain sont singuliers à plus d’un titre. D’une part, l’accès à l’assurance maladie est subordonné à la relation d’emploi pour la grande majorité des Américains, qui dépend d’une assurance volontaire mise en place (ou non) par leur employeur. En conséquence, plus de 46 millions d’Américains sont dépourvus de couverture maladie, principalement les travailleurs pauvres et les ménages à faible revenu mais pas seulement1. La perte d’emploi (ou la mise en préretraite) entraîne en outre ipso facto la perte de l’assurance maladie. D’autre part, en l’absence d’une couverture obligatoire et universelle, ce système repose de façon prédominante sur le secteur privé en matière de financement (employeurs, assureurs et ménages) et de fourniture de soins (réseaux d’hôpitaux et de médecins). L’assurance publique, instaurée tardivement, ne couvre que les laissés pour compte de l’assurance privée, les enfants pauvres et leurs familles, ainsi que les personnes âgées ou handicapées.
2Le coût du système de santé des États-Unis est l’un des plus élevés au monde. En 2008, il représentait 16,2 % du PIB, soit près du double de la moyenne des pays de l’OCDE (8,9 %), alors que les indicateurs sur la qualité des soins et l’état de santé des Américains révèlent en comparaison internationale des performances hétérogènes, voire médiocres. Enfin, la progression des coûts de l’assurance maladie, notable depuis les années 1970, a connu une accélération ces dernières années. Cette pression des coûts concerne tant l’État fédéral et les États que les employeurs et les salariés. Elle pèse sur les finances publiques à travers le financement des programmes publics de santé, qui représentent un coût croissant pour le budget fédéral (plus de 25 %) alors même qu’ils ne couvrent qu’une part minoritaire de la population. Les employeurs subissent quant à eux les hausses des primes d’assurance, qui alimentent en retour celle du coût du travail2. Dans ce contexte, ils ont tendance à moins distribuer d’augmentations de salaire direct et à réduire les prestations sociales, en fermant les régimes d’assurance santé offerts à leurs salariés, en réduisant les prestations couvertes, ou encore en mettant de plus en plus à contribution les assurés pour financer les soins (augmentation des franchises, de la participation salariale à la prime, etc.). Les dépenses de santé ont d’ailleurs été un facteur important de l’endettement des ménages et des situations de faillites personnelles, accélérant leur vulnérabilité financière dans la crise.
3Ce système, en dépit de ses dysfonctionnements (des coûts élevés pour une couverture très insuffisante de la population), a résisté de façon remarquable aux différentes tentatives de réforme globale et de contrôle des coûts entreprises depuis une quarantaine d’années. Les syndicats et l’AFL-CIO portent une lourde responsabilité dans cette situation. Acteurs des régimes de prévoyance professionnels aux côtés des employeurs dans le cadre de la négociation collective, ils ont longtemps combattu toute tentative de remise en cause du système de couverture maladie d’entreprise au profit d’un système public universel à caisse unique. Les échecs répétés d’une réforme d’envergure, qu’il s’agisse de celle proposée par W. et H. Clinton en 1993 ou celle, partiellement menée à terme, de G. W. Bush en 2003, montrent la force des intérêts en présence et des obstacles aux initiatives dans ce sens. Le nouveau paysage politique issu des élections de 2008 a renforcé les probabilités pour qu’une réforme aboutisse, sans qu’il faille s’attendre néanmoins à une remise en cause radicale du rôle qu’y jouent les employeurs et les assurances privées.
Une couverture discriminante, principalement liée à l’emploi
4L’assurance maladie liée à l’emploi est devenue aux États-Unis la forme la plus répandue de couverture pour au moins deux raisons, l’une d’ordre économique et l’autre d’ordre fiscal. La première est qu’en l’absence d’un système d’assurance publique, l’assurance de groupe dans le cadre d’une entreprise permet une mutualisation des risques3 et des coûts de gestion réduits par rapport à l’assurance individuelle. La seconde raison est que cette forme de couverture a été encouragée à partir de la Seconde Guerre mondiale par des dispositions fiscales favorables aux employeurs et aux salariés bénéficiaires. Le coût de la prime d’assurance n’est pas inclus dans l’assiette du bénéfice imposable pour l’employeur et les primes versées aux salariés échappent à leur revenu imposable alors qu’elles constituent une forme de rémunération indirecte4. Dans le contexte de blocage des salaires et des prix et de raréfaction de l’offre de travail qui caractérise alors la période, l’assurance maladie constitue un « plus » qui permet aux employeurs d’attirer et de fidéliser la main-d’œuvre dont ils ont besoin. En accordant une place aux syndicats dans la négociation du système de santé privé, la législation de l’immédiat après-guerre les encouragera à le défendre alors qu’ils ne jouent aucun rôle dans la gestion du système de santé publique, du ressort exclusif de l’administration fédérale et des États. Cette subvention fiscale aux employeurs et à une partie de la population, dont le coût budgétaire est évalué à environ 200 milliards de dollars par an) a sans doute contribué à éloigner toute revendication sérieuse des classes moyennes américaines comme des syndicats en faveur d’un système d’assurance publique (Howard, 1997).
5Ainsi, la majorité des Américains continue d’être assurée au travers de l’emploi (58,5 %), dans le cadre d’une assurance privée de groupe instaurée par l’employeur pour ses salariés, ex-salariés (retraités de l’entreprise ou de l’administration) et leur famille à charge. Les deux principaux programmes publics, Medicare et Medicaid (encadré 7), couvrent plus du quart de la population (29,0 %) tandis que l’assurance individuelle en concerne à peine 9 %. Les coûts de cette dernière, estimés en fonction du risque individuel, sont souvent prohibitifs (franchises élevées, etc.) et sa couverture en général limitée (pas d’indemnités journalières, peu de couverture pour les médicaments, peu ou pas de couverture pour les maladies mentales). Étant donné que l’assurance maladie est à l’initiative de l’employeur (ou du ressort de la négociation collective dans les cas où il y a implantation syndicale) et qu’elle reste facultative pour le salarié, tous les Américains ne sont pas assurés, loin s’en faut (tableau 11).
6La proportion de salariés couverts par leur employeur est élevée dans le secteur public (87,3 %). Dans le secteur privé, cette proportion varie en fonction de la taille des entreprises : peu éloignée de celle des salariés du secteur public dans les grandes entreprises de plus de 1 000 salariés (78,6 %), elle décroche fortement dans le cas des petites entreprises de moins de 10 salariés (47,6 %) et accuse de fortes disparités au sein même de ces établissements selon les catégories et les statuts professionnels, l’âge, le niveau d’études, etc. (EBRI, 2009). D’autre part, le taux de couverture santé lié à l’emploi a accusé une baisse ces quinze dernières années : il est passé de 70,1 % à 58,5 % entre 1987 et 2008, soit une diminution de onze points en l’espace de vingt ans.
Tableau 11. – Les différentes sources de la couverture maladie en 2008.
Sources |
En millions de bénéficiaires |
En % |
Assurance privée volontaire dont : |
201 |
66,7 |
– Entreprise (salariés) |
176,3 |
58,5 |
– Individu |
26,8 |
8,9 |
Programmes publics dont : |
87,4 |
29 |
– Medicare |
43 |
14,3 |
– Medicaid |
42,6 |
14,1 |
Population assurée |
255,1 |
84,6 |
Population non assurée |
46,3 |
15,4 |
Population résidente * |
301,5 |
100 |
* La population assurée diffère de la somme du nombre d’assurés par source à cause de la présence de doubles comptages : certains assurés sont éligibles à Medicare et Medicaid (environ 7 millions de personnes sont dans ce cas), d’autres disposent d’une assurance privée qui complète Medicare, etc.
Source : US Census Bureau, 2009.
7Ceux qui ne peuvent avoir accès à une assurance de groupe dans un cadre professionnel ont comme seule alternative le marché de l’assurance individuelle, dont le coût est prohibitif. Aussi, 46,3 millions d’Américains vivent aujourd’hui sans couverture médicale (contre 40 millions en 2000), soit 15,4 % de la population américaine dont presque tous ont moins de 65 ans (US Census Bureau, 2009). Parmi eux, plus de la moitié travaillent à temps plein et plus des trois quarts appartiennent à des familles dont au moins l’un des membres travaille à temps plein5. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation : soit ils ont un statut de travailleur indépendant et ne veulent (ou ne peuvent) pas assumer le coût de l’assurance (bien qu’ils puissent déduire 25 % de leur prime d’assurance de leur revenu imposable depuis 1986), soit l’entreprise dans laquelle ils travaillent est trop petite et leur employeur ne veut (ou ne peut) pas payer la prime d’assurance, soit ils n’y sont pas éligibles, soit encore leur salaire est trop faible pour qu’ils puissent payer la part salariale de la prime6. Cette situation affecte plus particulièrement les Hispaniques : 31 % d’entre eux sont dépourvus de couverture maladie, contre 19,1 % pour la population noire et 10,8 % pour la population blanche non hispanique. Elle affecte également les jeunes de moins de 25 ans, dont les liens avec le marché du travail sont souvent précaires ou encore ceux qui ont entre 25 et 35 ans, et qui ont tendance à arbitrer en faveur d’autres dépenses. C’est d’ailleurs là l’effet pervers d’un système régi par l’assurance privée facultative, qui éloigne des compagnies d’assurances une clientèle de jeunes en bonne santé, c’est-à-dire les « meilleurs risques » dans le langage des assurances.
Encadré 7. Les principaux régimes publics d’assurance maladie
Medicare, une
assurance pour les personnes âgées et les handicapés
Ce programme fédéral, qui compte parmi
les plus populaires aux côtés du système de retraite publique connu
sous le nom de Social Security, offre une
couverture santé de base aux personnes âgées de 65 ans et plus depuis
1965, étendue aux personnes gravement handicapées en 1972. Il comprend
désormais trois parties, après le vote de la loi de modernisation de
Medicare de décembre 2003 qui assure
depuis 2006 la prise en charge partielle des médicaments prescrits en
consultation externe.
– L’assurance hospitalisation constitue la
partie A du programme et couvre près de 45 millions de personnes (dont
7,7 millions de handicapés). C’est la seule à être financée par une
cotisation sociale obligatoire et proportionnelle au salaire (2,9 %,
répartis à parts égales entre employeurs et salariés) sans plafond.
Elle couvre en partie les frais d’hospitalisation (franchise annuelle)
et garantit en partie les frais occasionnés par un séjour en
hospice.
– L’assurance médicale supplémentaire, la partie B, est
en revanche facultative et couvre 42 millions de personnes. Pouvant
être souscrite par tout bénéficiaire de l’assurance hospitalisation,
93 % des personnes éligibles à Medicare y
adhèrent. Elle est financée pour environ 25 % par des primes versées
par les bénéficiaires (prime mensuelle et franchise) et pour les 75 %
restants par le budget fédéral. L’assurance médicale supplémentaire
couvre en partie les frais de consultations, les soins à domicile et
les analyses de laboratoire.
– La partie D du programme, également
facultative, a été instaurée en 2004 mais n’est devenue effective qu’à
partir de 2006. Elle couvre pour la première fois les achats de
médicaments prescrits hors hôpital. Avant et sauf exception, les
bénéficiaires de Medicare devaient
souscrire des assurances privées pour obtenir cette couverture. Les
10,2 millions d’individus qui ont choisi de participer à ce programme
paient en moyenne 14 % de plus que les participants aux plans
traditionnels de Medicare. À la
différence des parties A et B du programme, cette partie D fonctionne
sur la base d’un partenariat entre le public et le privé.
Medicare comporte une règle spécifique de
paiement prospectif qui consiste à fixer un prix prédéterminé pour
chaque service de soins ajusté au diagnostic et au type de traitement.
Les paiements aux professionnels de santé sont réglés sur la base d’un
barème d’honoraires, d’autres services sur la base de « coûts
raisonnables ». Au total, l’assuré Medicare paie environ 25 % des soins médicaux
et hospitaliers de sa poche, c’est-à-dire des parties A et B du
programme. Depuis les années 1970, les bénéficiaires de Medicare peuvent choisir de recevoir les
soins dans le cadre des réseaux de soins organisés. En 1997, cette
option a été étendue (Medicare+Choice)
puis elle l’a été une seconde fois en 2003 avec le vote du
« Medicare Modernization Act » (Medicare
Advantage). Contrairement à l’assurance hospitalisation et à
l’assurance médicale supplémentaire, les fournisseurs dans ces réseaux
de soins reçoivent chaque mois une somme fixe par patient, quels que
soient les soins délivrés (étant obligés d’apporter un minimum de
soins).
Medicaid et CHIP, des assurances pour les pauvres
(voir quatrième chapitre)
Bien que Medicare, Medicaid et CHIP soient financés sur fonds
publics, la plupart des soins délivrés le sont par des prestataires
privés. Au contraire, la VHA (Veterans Health
Administration) est le seul programme public pouvant être
véritablement considéré comme tel, car il est entièrement géré par
l’administration (le ministère des Anciens Combattants) qui possède
son propre réseau d’hôpitaux et de cliniques et emploie son propre
personnel médical.
8Le nombre de ces non-assurés oscille constamment et la durée pendant laquelle les personnes restent sans assurance varie fortement. De fait, selon leur situation sur le marché du travail, les salariés américains ne cessent de changer de couverture santé7. La perte d’emploi revêt un coût particulièrement élevé pour eux-mêmes et leur famille, ce qui entraîne simultanément celle de leur couverture maladie d’entreprise8. Cette situation, outre le fait qu’elle est terriblement anxiogène pour les personnes concernées, alourdit les coûts de gestion des dispositifs d’assurance privée, en moyenne de cinq à six fois supérieurs à ceux de l’assurance publique9. Cette situation de vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis des employeurs peut parfois constituer un frein à la mobilité volontaire du travail.
Des dépenses croissantes et des coûts de plus en plus à la charge des salariés
9Entre 1970 et 2008, les dépenses de santé ont crû à un rythme élevé, en grandeur absolue et par rapport à la taille de la population (9,5 % en moyenne annuelle). Relativement au PIB, ces dépenses ont plus que doublé, tirées par les dépenses hospitalières et les soins médicaux : elles sont passées de 7,2 % en 1970 à 16,2 % en 2008. Si cette évolution est commune à l’ensemble des pays riches, il reste qu’aux États-Unis, elle s’accompagne d’une prédominance persistante des sources privées de financement et d’une relative détérioration de la qualité des soins. De surcroît, la hausse des primes d’assurance pousse les employeurs à remettre en cause les avantages offerts à leurs salariés dans le cadre de l’assurance maladie de groupe et à transférer une partie croissante de son coût sur leurs salariés.
Le poids des soins hospitaliers et médicaux
10Ce sont les soins hospitaliers qui représentent le gros des dépenses de santé. Compte tenu de leur poids prédominant sur la période 1970-2008, ils constituent la première source de croissance de ces dépenses, après avoir connu un relatif ralentissement à partir des années 1980 et une diminution de leur part relative du fait de la politique de développement des soins hors hôpital. Tandis que les deux principaux programmes publics Medicare et Medicaid financent aujourd’hui près de 35 % des dépenses, les assurances privées n’en financent quant à elles que 33 % (CMS, 2009). Cette situation illustre le dualisme du système de santé américain : d’un côté un secteur privé qui fonctionne selon une logique de sélection des risques, laissant au secteur public la charge des patients les plus coûteux (personnes âgées et/ou atteints de maladies chroniques).
Tableau 12. – Évolution et taux de croissance des principales dépenses de santé par type de soins (en milliards de dollars et en %).
Dépenses de santé par poste |
1970 |
2008 |
1970-2008 |
||
Mds $ |
% |
Mds $ |
% |
TCAM (%) |
|
Soins hospitaliers |
27,6 |
36,8 |
718,4 |
30,7 |
8,9 |
Soins médicaux et cliniques |
14 |
18,7 |
496,2 |
21,2 |
9,8 |
Médicaments prescrits en ambulatoire |
5,5 |
7,3 |
234,1 |
10,0 |
10,4 |
Soins en séjour de longue durée |
4,3 |
5,7 |
203,1 |
8,7 |
10,7 |
Coût de gestion de l’assurance |
2,8 |
3,7 |
159,6 |
6,8 |
11,2 |
Autres * |
20.7 |
37,8 |
527,3 |
22,6 |
8,9 |
Dépenses totales de santé |
74,9 |
100 % |
2 338,7 |
100 % |
9,5 |
* Soins dentaires, soins à domicile, produits médicaux non durables, équipement médical durable, etc.
Source : Centers for Medicare and Medicaid Services, 2009.
11Les consultations auprès des médecins et des cliniques constituent la seconde source de dépenses, ayant crû plus vite que les dépenses hospitalières entre 1970 et 2008. L’instauration du Managed Care (MC), introduit par le secteur privé des assurances pour répondre aux préoccupations des employeurs face aux coûts croissants de l’assurance maladie et visant à réguler l’offre de soins dans un cadre concurrentiel, n’aura eu finalement qu’un impact limité sur la croissance de ces dépenses. Bien que plus de 70 % des Américains soient désormais intégrés dans ces réseaux de soins coordonnés de différent type (encadré 8)10, les compagnies d’assurances ont été amenées à réduire leurs exigences et assouplir leurs contrôles face au mécontentement des usagers et des médecins.
Encadré 8. Les principaux réseaux de soins coordonnés
HMOs (Health
Maintenance Organizations) : ces groupements privés procurent
aux assurés qui y participent et pour un faible coût, l’accès à un
réseau de médecins et d’hôpitaux qui offrent des soins préfinancés
sur la base d’un forfait, sans limitation. L’assuré ne peut en
principe consulter que dans le cadre du réseau. Le choix d’un
médecin de premier recours donne l’accès au médecin spécialiste. La
rationalisation des soins et des actes est primordiale dans leur
fonctionnement.
PPOs (Preferred Provider Organizations) : dans
ces réseaux de soins comprenant médecins et hôpitaux, c’est le
paiement à l’acte qui prédomine même si les tarifs sont négociés
entre l’organisme assureur ou l’employeur et les prestataires de
soins. Les assurés ont plus de liberté que dans les HMO. Le choix
d’un médecin ou d’un hôpital agréé par le réseau de soins est
encouragé (soins plus complets, moins de contraintes
administratives, co-paiement réduit) mais non exclusif.
POS (Point of
Service) : ces plans proposent des listes de médecins et
d’hôpitaux auxquels les assurés sont incités à recourir, moyennant
une faible participation financière aux soins (10 %). Les assurés
doivent choisir, comme dans le cas des HMO, un médecin de premier
recours dans le cadre du réseau. Le choix est laissé aux assurés de
s’adresser hors du réseau, sous condition d’une participation
financière plus importante (franchises et co-paiement).
12Dans les Preferred Provider Organizations (PPOs) qui ont de loin la faveur du public, réunissant désormais 60 % des assurés inscrits dans les réseaux de soins coordonnés, les prestataires continuent d’être payés à l’acte à la différence des Health Maintenance Organizations (HMOs) qui ont au contraire perdu du terrain depuis le milieu des années 1990 avec un cinquième seulement des assurés en 2009 (graphique 25).
Graphique 25. – Évolution de la part de marché des différents types de plan de santé sur le marché de l’assurance privée professionnelle (en % des salariés inscrits).
13
* High Deductible Health Plan with Savings Option : ce sont des plans de santé avec une franchise d’au moins 1 000 $ pour une couverture individuelle et 2 000 $ pour une couverture familiale, souvent couplés à des comptes d’épargne santé proposés par l’employeur, que le salarié peut utiliser pour payer les soins.
Source : KFF/HRET, 2009.
14Or ce mode de paiement incite les médecins à accroître leur offre de soins, leur revenu étant proportionnel au nombre d’actes et à leur technicité. De surcroît, l’augmentation des contentieux oblige les praticiens à payer des primes d’assurance élevées, ce qui les encourage à pratiquer une médecine « défensive » en multipliant les examens et à sélectionner les risques. Ces facteurs contribuent au renchérissement du coût de l’activité médicale.
15Les dépenses de médicaments ont crû quant à elles à un rythme annuel des plus soutenus sur la période (10,4 %). Les Américains dépensent pour ce poste deux fois plus par personne que la moyenne de l’OCDE (Peterson et Burton, 2007 ; Farell et al., 2008). Parmi les causes de ce constat, il convient de souligner que les prix des médicaments aux États-Unis ne sont soumis à aucun contrôle public, contrairement à tous les autres pays industrialisés. De même, l’industrie pharmaceutique a le droit de faire de la publicité dans les journaux et à la télévision pour les médicaments vendus sur ordonnance, ce qui contribue à en stimuler la demande et à en accroître le coût. De surcroît, la législation américaine sur les brevets permet à une firme innovante d’obtenir une rente de monopole de vingt ans sur un médicament et de rentabiliser ainsi ses frais de recherche développement. Enfin, les procédures d’homologation des médicaments particulièrement rigoureuses aux États-Unis (multiplication des tests, médicaments « orphelins » ne pouvant être mis sur le marché) sont sans doute aussi en partie responsables de cette augmentation des prix (Pham, 1996).
16Mais de toutes les dépenses de santé, force est de constater que ce sont les coûts de gestion de l’assurance qui ont crû le plus rapidement sur la période (11,2 % en moyenne annuelle). Cette croissance est principalement imputable à l’assurance privée qui engendre des coûts élevés relativement à l’assurance publique, compte tenu du contexte concurrentiel qui caractérise le secteur. Les compagnies d’assurance cherchent en effet à gagner des parts de marché à grand renfort de frais publicitaires et de prospection commerciale. Elles doivent engager des frais pour estimer les risques et les sélectionner11, de même que pour procéder au recouvrement de primes provenant d’une diversité de sources de financement. Les compagnies d’assurances consacrent en outre une grande partie de leur activité à contester les plaintes de leurs assurés (Brandon et al., 1991). Finalement, il est clair qu’avec 60 % des dépenses de santé liées aux soins (en hôpital et en médecine ambulatoire principalement), la hausse rapide des coûts de la santé est principalement tirée par le progrès technologique et l’amélioration de la qualité des soins qui en résulte.
Des primes d’assurance en hausse pour les salariés
17Le montant des primes d’assurance maladie a connu une croissance rapide dans la deuxième moitié des années 1990, après avoir accusé une baisse importante de 1989 à 1995. Malgré une décélération depuis 2003, cette croissance reste supérieure à celle des salaires et de l’inflation (graphique 26).
Graphique 26. – Taux de croissance des primes d’assurance, de l’inflation et des salaires de 1988 à 2007 (en %).
18
Source : KFF/HRET, 2007.
19En conséquence, de nombreux employeurs ont cherché à compenser cette hausse du salaire indirect par de moindres hausses du salaire direct, par la remise en cause de la couverture santé de leurs retraités et préretraités, par la modification de cette couverture ou bien encore par la négociation avec les syndicats d’une participation financière accrue des salariés à leur prime d’assurance. Récemment, ce sont incontestablement les trois grands constructeurs automobiles américains qui sont allés le plus loin dans ce sens. Lors du dernier renouvellement de leur convention collective en fin d’année 2007, ils ont obtenu du syndicat de l’automobile qu’il accepte de prendre en charge la gestion d’un fonds de santé externe à l’entreprise et censé financer la couverture maladie des retraités12.
20À la différence de leurs engagements en matière de retraite réglementés par la loi fédérale ERISA, les employeurs peuvent aisément se soustraire à ceux qu’ils ont pris en matière d’assurance maladie. Ils sont d’autant plus incités à le faire que l’âge de leurs salariés augmente : les primes d’assurance pour les travailleurs âgés sont en effet plus élevées en vertu du principe de neutralité actuarielle au fondement des pratiques d’estimation des risques des compagnies d’assurances, en fonction de l’âge, du sexe et de l’état de santé des individus composant un groupe (experience rating). Ainsi en 2009, la proportion de firmes offrant une assurance maladie à leurs salariés n’était plus que de 60 % contre 69 % en 2000. L’essentiel de ce désengagement a été le fait des entreprises de petite taille (moins de 10 salariés notamment). Parmi les grandes (200 salariés et plus), 98 % continuaient à offrir une couverture santé à leurs retraités en 200913.
21Parallèlement, les employeurs ont mis en place des plans de santé à cotisations définies14 au détriment des régimes traditionnels à prestations définies, à l’instar de ce qui s’est passé pour les régimes professionnels de retraite (apRoberts, 2000). Mais surtout, les salariés couverts ont été mis de plus en plus à contribution et participent en 2009 à hauteur de 27 % en moyenne à la prime d’assurance maladie familiale et de 17 % à la prime individuelle. Depuis les années 1980, les syndicats affaiblis ont multiplié les concessions et accepté, lors du renouvellement des conventions collectives d’entreprise, une participation salariale à la couverture médicale, jusqu’alors du ressort exclusif de l’employeur. Cette contribution n’a fait qu’augmenter par la suite : elle est passée en moyenne de 8 $ par mois pour une personne seule et de 54 $ par mois pour une famille de quatre membres en 1988 à respectivement 65 $ et 293 $ en 200915. Cette tendance signifie clairement une diminution nette du salaire global (direct et indirect) des travailleurs américains.
Une piètre qualité de l’offre de soins et des performances sanitaires médiocres
22Malgré des dépenses de santé plus élevées qu’ailleurs en termes absolus et par habitant, les données sur l’état de santé ou le recours aux soins des Américains montrent, en comparaison internationale, des résultats médiocres. C’est ce qui ressort de façon répétée des nombreuses enquêtes et rapports sur cette question. Ces travaux mettent en effet en évidence le gaspillage, l’inefficacité et les problèmes de qualité affectant le système de soins américain, pourtant l’un des plus avancés au monde en termes de technologies et d’appareillage médicaux. Cette situation a un coût, évalué selon certains à 30 % des dépenses de santé (NCHC, 2004). Elle se traduit surtout par une mauvaise répartition des soins, entre ceux qui en reçoivent plus que de besoin et ceux qui n’en reçoivent en revanche pas assez compte tenu de leur état de santé, sans compter ceux qui reçoivent des traitements inadaptés. Aux États-Unis, le type et la qualité des soins reçus diffère selon que le patient possède une assurance maladie ou pas et selon l’endroit où il est traité. Une étude publiée en 2008 dans une revue médicale établit à ce propos un constat alarmant. Plusieurs millions d’Américains souffrant de maladies chroniques diagnostiquées en général dans les services d’urgence des hôpitaux ne reçoivent pas les traitements appropriés, notamment ceux qui sont dépourvus de couverture médicale16.
23Selon les derniers indicateurs de l’OCDE, l’espérance de vie à la naissance y est toujours plus courte que la moyenne des pays membres de l’OCDE alors que le taux de mortalité y est au contraire plus élevé. De même, les décès avant 70 ans dus à des maladies aboutissent en moyenne à plus d’années de vie perdue pour 1 000 habitants que la moyenne des pays de l’OCDE. Ce bilan établi par l’OCDE17 en matière de qualité des services de soins montre en revanche une supériorité des États-Unis par rapport à d’autres pays avancés dans certains domaines (rapidité de l’accès aux soins, pas de liste d’attente, accès à des nouveaux produits et traitements pour les patients). Mais il pointe également certains manques, voire l’inefficience et les gaspillages engendrés par la complexité du système. Ainsi, il y a moins de lits d’hôpitaux et de consultations médicales par habitant qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE et il est aussi plus difficile d’avoir un rendez-vous chez le médecin traitant ou d’obtenir des soins la nuit ou le week-end en cas de besoin. De même la probabilité de reporter à plus tard un traitement ou d’y renoncer à cause de son coût ou de passer deux fois le même examen y est relativement plus élevée qu’ailleurs ainsi que le taux de décès dû à des erreurs médicales. Certes, ces indicateurs ne sont pas tous significatifs des effets du système de soins sur l’état de santé des Américains. Mais ils offrent une mesure approchée du phénomène. L’indicateur global de la qualité des soins que l’OCDE établit depuis 2001 est une tentative de réponse à cette insuffisance. Les dernières données disponibles18 montrent que les États-Unis ont un taux d’admission à l’hôpital des asthmatiques âgés de 15 ans et plus de 20 % plus élevé que n’importe quel autre des pays de l’OCDE sélectionnés en 2007, et pour les diabétiques de 19 % plus élevé. En revanche, les États-Unis sont au 5e rang des pays du point de vue du pourcentage de femmes entre 50 et 69 ans ayant passé des examens de dépistage du cancer du sein, examen que la plupart des États ont rendu obligatoire, et au premier rang pour le pourcentage de femmes atteintes de ce cancer en survie après cinq ans.
24Quand bien même les indicateurs de santé traditionnels (espérance de vie à la naissance, taux de mortalité infantile, etc.) montrent des performances inférieures en comparaison internationale, cette situation ne peut évidemment être attribuée entièrement à la qualité du système de soins. Les conditions de vie, de travail et d’environnement sont d’importants facteurs affectant l’état de santé d’une population. Selon le rapport économique du président (ERP, 2008), la proportion d’adultes atteints d’obésité représente plus du tiers de la population (34 %). Les travailleurs américains sont aussi tout particulièrement exposés au stress. Ils ont en effet des durées de travail élevées (1 798 heures par an), sont pour un quart d’entre eux dans une relation d’emploi atypique (travail à temps partiel ou « indépendant »), travaillent dans une proportion de 40 % selon des plages horaires non standard (le soir, la nuit ou le week-end).
25Finalement, ces données montrent que la qualité des soins aux États-Unis et leur impact sur la santé, bien qu’imparfaitement mesurés, ne produisent sans doute pas les meilleurs résultats du monde industrialisé alors qu’en revanche le coût du système de santé américain est sans contestation possible le plus élevé au monde. Autrement dit, on a à faire à un système qui laisse relativement plus de choix que dans certains autres pays et qui recourt aux technologies et aux médicaments les plus innovants sans attendre. Mais c’est l’État, les patients et les employeurs qui en paient le prix fort, au bénéfice de la profession médicale, de la plupart des hôpitaux, des compagnies d’assurance et des laboratoires pharmaceutiques.
Les syndicats, longtemps favorables au maintien du statu quo
26Deux facteurs expliquent la faible capacité dont le syndicalisme a fait preuve afin de mobiliser ses membres en faveur d’une réforme globale et radicale du système de santé qui réduise le rôle des assurances privées. Il y a d’abord les vestiges d’une veille culture de méfiance, sinon d’hostilité vis-à-vis de l’État fédéral, qui avait pourtant reculé lors de la grande crise des années 1930 et du New Deal. Il y a surtout eu la situation institutionnelle et politique à l’époque de la loi Taft-Hartley et les conditions économiques de l’après-guerre. Ce contexte a poussé à l’alignement des intérêts du syndicalisme sur ceux des employeurs des grandes entreprises et des assurances privées, écartant le soutien à un système public et universel au profit d’un système d’assurance maladie lié au statut d’emploi (Gottschalk, 2000). Pour autant, la position des syndicats n’a pas été monolithique. Des dissensions internes complexes et changeantes ont toujours marqué le mouvement syndical sur la question de la réforme de la santé, provoquant de nombreux revirements et volte-face de plusieurs fédérations.
27Car l’une des particularités du syndicalisme dans le secteur de la santé est qu’il est profondément fragmenté. On y trouve en effet les grandes fédérations du secteur public comme l’AFSCME (American Federation of State, County and Municipal Employees) et l’AFT (American Federation of Teachers) ; on y trouve aussi des fédérations du secteur privé représentatives du syndicalisme d’industrie comme le SEIU (Service Employees International Union) dont environ un quart des membres sont issus du secteur de la santé, le CWA (Communication Workers of America) ou encore l’UFCW (United Food and Commercial Workers) ainsi que des fédérations représentatives de syndicats de métiers comme l’UAN (United American Nurses) qui a rejoint l’AFL-CIO en 2001.
Un cadre institutionnel propice à la protection sociale d’entreprise
28Si l’AFL (American Federation of Labor) a historiquement privilégié et défendu le principe d’auto-organisation des travailleurs contre toute ingérence de l’État fédéral en matière de protection sociale, la crise des années 1930 l’a conduite à réviser sa position et à soutenir fermement les réformes du New Deal (assurance vieillesse fédérale et assurance chômage). L’organisation syndicale donne alors son appui à la création d’un régime national d’assurance maladie, volet que le président F. Roosevelt retirera de sa proposition de loi sur la Sécurité sociale, de peur qu’elle ne menace l’adoption par le Congrès des principaux piliers de la réforme, le régime fédéral d’assurance vieillesse et le régime d’indemnisation du chômage. La tentative d’instaurer un système de santé universel connaîtra un second échec en 1939 avec la proposition de loi du sénateur Wagner (National Health Act), rejetée par un Congrès dominé par les conservateurs.
29Ceci ne pouvait qu’inciter une large partie des syndicats à investir leur énergie dans la défense et l’amélioration de la couverture sociale, au travers d’une gestion autonome ou paritaire des régimes professionnels existants19. Pourtant, dans le contexte de la guerre froide et de l’anticommunisme ambiant, la loi Taft-Hartley de 1947 est venue restreindre le droit des syndicats sur ce plan, en imposant la stricte parité dans la gestion des régimes de protection sociale interentreprises créés alors (appelés aussi régimes Taft-Hartley). Ceux-ci assurent les prestations d’assurance vieillesse et de soins aux salariés appartenant à certains métiers ou secteurs caractérisés par une forte mobilité du travail et la présence d’entreprises de petite taille (Sauviat et Pernot, 2000). En 1949, une décision administrative confirmée par la Cour suprême impose la négociation des « compléments du salaire » (congés payés, congés maladie, assurance médicale, retraite, etc.) dans le cadre de conventions collectives décentralisées. De sorte que la négociation collective contribue à accélérer la privatisation de l’assurance maladie (Derickson, 1994). Les syndicats prennent en effet l’habitude, à partir des années 1950, de négocier pour leurs membres les différentes formes de couverture sociale et de gérer les régimes Taft-Hartley d’assurance maladie, à l’instar des régimes professionnels de retraite20. Ils voient notamment dans la négociation des avantages sociaux et d’un « plus syndical » (Union Advantage) un moyen de gagner de nouveaux membres, faculté que la loi Taft Hartley a sérieusement mise à mal en restreignant le Closed Shop (voir chapitre i).
30De ce fait, ce sont les principaux syndicats d’industrie affiliés au CIO qui se feront les plus ardents défenseurs du système professionnel de protection sociale d’entreprise, forts des avantages sociaux qu’ils parviennent à négocier pour leurs membres dans les grandes entreprises des secteurs oligopolistiques, à l’abri de la concurrence au sortir de la Seconde Guerre mondiale. À l’inverse, les syndicats de l’AFL, implantés dans des secteurs plus concurrentiels, voient leurs régimes d’assurance confrontés plus souvent à des situations financières fragiles. Ainsi en 1950, 95 % des salariés représentés par les syndicats affiliés au CIO possèdent une couverture maladie grâce à la négociation collective alors que seuls 20 % de ceux affiliés à l’AFL sont dans ce cas (Derickson, 1994). Ce qui explique que l’AFL et les syndicats de métier aient pris la défense du système national d’assurance santé plus tôt et plus fermement que le CIO et les syndicats d’industrie, sans que cette donnée n’apparaisse pour autant comme une fracture constante du camp syndical par la suite.
31Dans les années 1950 également, les compagnies d’assurances privées commencent à pénétrer le marché de l’assurance santé. Elles imposent ce faisant leurs pratiques de tarification des primes d’assurance en fonction du risque actuariel déterminé par les caractéristiques individuelles des assurés (experience rating), au détriment de pratiques plus solidaires et davantage mutualisées de tarification (community rating) où tous les assurés paient la même prime, système alors en vigueur chez leurs concurrents du secteur non lucratif (notamment Blue Cross/Blue Shield). Les syndicats soutiennent localement ces pratiques (ceux de la construction en particulier), qui voient les primes d’assurance de leurs membres réduites, ceux-ci étant considérés par les assureurs comme des « bons risques ». La négociation collective va par conséquent jouer un rôle majeur dans la diffusion de ces pratiques discriminantes et dans le développement d’une bureaucratie syndicale, faite de professionnels rompus au langage et à la technique des assurances et moins enclins à revendiquer l’accès aux soins comme un droit « citoyen » (Derickson, 1994).
La longue bataille en faveur de l’instauration d’un système national de santé
32Malgré les deux échecs subis par F. Roosevelt, l’idée d’un système national d’assurance maladie a continué néanmoins à faire son chemin. Elle est soutenue par le successeur de Gompers à la tête de l’AFL, W. Green. Pendant la Seconde Guerre mondiale, une commission composée d’élus syndiqués et de professionnels de la santé (Committee for the Nation’s Health) appuie une proposition de loi visant à introduire un système de santé national fondé sur des cotisations obligatoires (Wagner-Murray Dingell Bill). Cette proposition de loi, introduite quatorze années de suite échouera, faute de trouver une majorité au Congrès.
33Le successeur de F. Roosevelt, H. Truman, est partisan d’une solution plus radicale, celle d’un système national de santé fondé sur une caisse unique, excluant les assurances privées. Il ne parviendra pas non plus à imposer cette solution au Congrès en dépit du soutien de l’AFL. Dans le contexte de guerre froide et d’anti-communisme, les propositions de réforme se heurtent à l’hostilité et à la mobilisation sans répit des membres de la très conservatrice et puissante AMA, le syndicat professionnel des médecins créé en 1847. Pourtant, après une vingtaine d’années de débats parlementaires animés, l’arrivée à la présidence de L. Johnson en 1964 et d’une large majorité démocrate au Congrès ainsi que le soutien de l’AFL-CIO auront raison de cette tenace opposition avec la création de Medicare et de Medicaid en 1965. Mais cette victoire ne sera pas sans prix. D’une part, l’envergure de la réforme sera réduite à la proposition d’une assurance santé universelle aux seules personnes âgées et aux pauvres, après que les syndicats eurent renoncé à revendiquer une couverture universelle vers la fin des années 1950 (Derickson, 1994). D’autre part, comme contrepartie de l’accord avec l’AMA, L. Johnson fait inscrire dans la loi le principe de non remise en cause de la liberté de choix des patients et celle de l’acte médical de même que le refus de tout contrôle gouvernemental sur les prix, laissant le soin aux assurances privées d’exercer ce pouvoir21.
34Au début des années 1970, le président R. Nixon propose sans succès l’institution d’un système de santé qui engage l’employeur sur la base d’une cotisation patronale obligatoire (employer mandate), auquel les syndicats commencent par s’opposer, lui préférant un modèle alternatif d’assurance nationale universelle éliminant les assurances privées. Toutefois, ils renoncent peu à peu à cette idée au milieu des années 1970 et se tournent vers celle d’une réforme progressive plutôt que globale du système de santé, concentrant leur énergie sur la question des non-assurés. Sous la présidence de J. Carter, ils finissent par se rallier en 1978 à la solution initialement proposée par R. Nixon (Employer Mandate), laquelle sera reprise plus tard par W. Clinton. Gottschalk (2000) attribue ce revirement à l’alliance objective qui se noue alors entre les employeurs des grandes entreprises et la plupart des syndicats. Elle démontre notamment que L. Kirkland, alors président de l’AFL-CIO et J. Sweeney, qui prend la tête du SEIU en 1980 et dont les responsabilités se multiplient22, sont les plus importants soutiens à ce pacte. J. Sweeney a joué selon elle un rôle central dans les hésitations, voire l’opposition de la centrale syndicale, à s’engager dans une bataille décisive pour l’obtention d’un régime national de santé et d’une caisse unique. À l’inverse, les dirigeants des grandes entreprises des secteurs les plus syndiqués de l’économie américaine (automobile, transport aérien) qui paient relativement cher les avantages sociaux promis à leurs salariés (et à leurs ex-salariés) de même que les syndicats implantés dans ces secteurs (UAW et IAM) prônent une réforme globale sur la base d’une intervention publique forte.
La division et les volte-face syndicales
35Avec l’intensification de la concurrence et la pression croissante des marchés financiers, les années 1980 sonnent le glas de ce pacte. Les relations professionnelles deviennent très conflictuelles et la relation d’emploi se modifie. Elle est de plus en plus soumise à l’insécurité et la précarité, ainsi qu’à la remise en cause des droits à la protection sociale d’entreprise (Cappelli et al., 1997). Si cette nouvelle donne met à mal la stratégie d’alliance et de coopération avec les employeurs poursuivie par l’AFL-CIO, elle ne modifie pas pour autant les positions ni le comportement de la centrale syndicale, qui épouse sans distance critique la rhétorique patronale selon laquelle les coûts de la santé minent la compétitivité des entreprises américaines. Alors que les années 1990 sont marquées par une érosion accélérée du filet de sécurité privé constitué par la protection sociale d’entreprise (réduction du taux de couverture et mise à contribution croissante des salariés en matière d’assurance maladie), les syndicats restent profondément divisés quant à l’opportunité et la nature d’une réforme du système de santé. Plus de la moitié des syndiqués sont en effet couverts par des régimes de prévoyance interentreprises et certains dirigeants syndicaux ont investi le business de l’assurance et deviennent rompus à ses techniques.
36L’AFL-CIO soutient le projet de réforme Clinton, même si l’intensité de son effort n’est pas à la hauteur de l’enjeu (Dark, 1999). Deux syndicats parmi les plus importants s’y opposent mais refusent de mener campagne contre : celui des salariés du secteur public (AFSCME) et celui des travailleurs de l’automobile. L’OCAW (Oil, Chemical & Atomic Workers), un petit syndicat des travailleurs de l’énergie, de la chimie et de la pharmacie (80 000 membres), qui a endossé le principe de caisse unique depuis 1989, s’y oppose également ainsi que divers groupes de pression dont une organisation de médecins (et d’étudiants en médecine) progressistes créée en 1986 et forte de plus de 10 000 membres, le PNHP (Physicians for a National Health Program). Cette opposition tient au fait que le plan Clinton renonce au principe d’une assurance maladie publique et d’une caisse unique pour privilégier celui d’une concurrence régulée de l’assurance privée par un contrôle des prix et de la qualité des soins, tout en promettant une couverture à tous (Pham, 1996). L’engagement des forces syndicales contre le traité libre-échangiste de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) exacerbe de surcroît les divisions et rend difficile une offensive équivalente sur le front de la santé. L’opposition des trois organisations les plus représentatives du Big Business américain (le Business Roundtable, qui regroupe les dirigeants des 200 plus grandes entreprises américaines, la Chambre de commerce et la National Association of Manufacturers) au plan Clinton achève de démolir les illusions syndicales. Après l’échec de cette réforme en 1994, L. Kirkland, alors président de la centrale, déclare que le mouvement syndical doit axer désormais sa stratégie sur le soutien à une assurance médicale publique et nationale. En dépit de cette résolution, le débat est mis en sourdine.
37L’AFL-CIO est sortie d’un long silence en 2003, en intervenant ouvertement dans la campagne présidentielle en faveur d’une vaste réforme du système de santé. La centrale a réaffirmé à cette occasion sa position en faveur d’un système de santé universel, l’unique objectif qui permette d’offrir à tous les Américains une assurance maladie de qualité23. En 2007, son conseil exécutif a rappelé son soutien en faveur du principe d’une caisse unique, en réclamant l’extension de Medicare pour tous.
L’inéluctabilité d’une réforme ?
38La dégradation accélérée du système de protection sociale d’entreprise et les failles propres à un système de santé gouverné principalement par le marché (coût élevé, gaspillages, faillites de fournisseurs de soins, sélection des risques et couverture insuffisante de la population) avaient remis sa réforme à l’agenda syndical et politique dans les années 2000. Mais le contexte politique n’a guère été propice à un changement d’envergure depuis l’échec de la réforme engagée par W. Clinton. Ce n’est pas un hasard si ces dernières années, les seules initiatives abouties de réforme majeure du système de santé sont venues des États. Le Massachusetts, en 2006, a en effet choisi de rendre l’assurance obligatoire pour tous, en exigeant des employeurs qu’ils contribuent au financement du système et en subventionnant les ménages à faible revenu.
39Les perspectives de changement ouvertes par la victoire démocrate aux élections de 2008 ont évidemment changé la donne. B. Obama avait fait de la réforme du système de santé un enjeu central de sa campagne présidentielle et en a fait la priorité de son agenda une fois au pouvoir. Si l’éclatement de la crise économique et financière est venu compliquer sa tâche, le caractère nécessaire et inévitable d’une réforme du système de santé paraissait néanmoins largement reconnu par tous après son élection, ce qui était loin d’être le cas dans les années 1990. Les principaux acteurs du système semblaient en effet s’y être non seulement résignés mais préparés, en premier lieu les compagnies d’assurance qui se déclaraient prêtes à renoncer à leurs pratiques traditionnelles de sélection des risques et de modulation des primes d’assurance en fonction de l’historique de santé des assurés sur le marché de l’assurance individuelle, en contrepartie de l’apport d’une dizaine de milliers d’assurés supplémentaires grâce à la réforme24. Mais ce consensus de façade sur la nécessité et l’inévitabilité d’une réforme a commencé de se fissurer sérieusement lors des débats parlementaires et à mesure que les propositions de loi se précisaient. Les pressions exercées par les différents groupes d’intérêt auprès des membres du Congrès se sont renforcées et multipliées, les républicains se sont violemment opposés au projet de réforme et le soutien de l’opinion publique est allé déclinant. Ce retournement de situation a rendu l’issue du projet de réforme incertaine, et a certainement remis en cause l’ambition du projet initial.
Notes de bas de page
1 Ces données sont relatives à l’année 2008 et sont issues de l’enquête annuelle menée par le Bureau du recensement Income, Poverty and Health Insurance Coverage in the US, 2009.
2 Les coûts de l’assurance maladie ne représentent pas plus de 8 % des coûts du travail mais ont participé pour 30 % à l’accroissement de la rémunération horaire des travailleurs américains au cours des dix dernières années, cf. « Why Health Reform Matters? », US Economics Analyst, Goldman Sachs, Issue n° 09/38, September 25, 2009.
3 Elle permet surtout de résoudre l’un des dilemmes propres au marché de l’assurance, celui de l’anti-sélection. Sachant que l’assureur n’est pas en mesure d’identifier les caractéristiques et profils de risques de ses assurés (asymétrie d’information), l’assurance de groupe permet une répartition des risques aléatoire. À l’inverse, une assurance individuelle peut attirer de façon disproportionnée les « mauvais risques » (ceux qui coûtent le plus cher), ne laissant à l’assureur d’autre alternative qu’augmenter ses prix ou disparaître du marché (Sauviat, 2004).
4 Cette exonération atteignait en 2007 246 milliards de dollars, dont plus de la moitié (145 milliards de dollars) en faveur des salariés et le reste (101 milliards de dollars) en exonération de charges pour les employeurs, cf. « Tax Expenditures for Health Care », The Staff of the Joint Committee on Taxation, July 31, 2008.
5 Cf. « Wrong direction: One Out of Three Americans Are Uninsured », A Report by Families USA, September 2007.
6 Dans les entreprises non syndiquées, c’est l’employeur qui fixe unilatéralement les conditions d’éligibilité. C’est le cas par exemple de Wal-Mart, le premier employeur américain avec 1,4 million de salariés. Jusqu’à l’introduction d’un nouveau plan de santé en 2008, un quart de ses salariés n’étaient pas éligibles à l’assurance maladie du groupe parce qu’ils n’avaient pas l’ancienneté requise (6 mois pour les contrats à plein temps et deux ans pour les contrats à temps partiel) et 58 % seulement des travailleurs éligibles étaient effectivement assurés, cf. R. Abelson, « States are Battling Against Wal-Mart Over Health Care », New York Times, November 1, 2004. Le nouveau plan de santé est moins coûteux que le précédent et l’ancienneté minimale requise pour y être éligible a été abaissée à un an pour les travailleurs à temps partiel, cf. M. Barbaro, « Wal-Mart Says More Than Half Its Workers Have Its Health Insurance », New York Times, January 23, 2008.
7 Cette population « tournante » est estimée à plus de 1 million par an selon Navarro (2003).
8 Une loi de 1987 (COBRA) permet néanmoins aux salariés ayant quitté (ou perdu) leur emploi et qui bénéficiaient dans ce cadre d’une assurance maladie d’entreprise de continuer à souscrire à ce régime (sans participation de l’ex-employeur) pendant dix-huit mois, à des conditions comparables à l’assurance de groupe mais à condition d’en assumer le coût. Cette loi concerne les salariés du secteur privé (entreprises de plus de vingt salariés) et aussi du secteur public, hormis ceux du gouvernement fédéral.
9 Les coûts de gestion de Medicare tournent autour de 2 % (1,7 % en 2002) tandis que ceux des plans de santé privés oscillent entre 9 et 15 %, d’après les estimations les plus courantes (Caire, 2002).
10 Ce taux global masque cependant des disparités fortes entre le secteur privé et le secteur public, notamment en ce qui concerne le programme Medicare dont seuls 16,4 % des bénéficiaires étaient intégrés dans des réseaux de soins coordonnés en 2006.
11 Même dans le cas de contrats de groupe, les compagnies d’assurances évaluent chaque groupe et renouvellent cette évaluation chaque année, avant de décider d’offrir une police d’assurance maladie et de renouveler le contrat (experience rating). Dans les groupes de petite taille, si une personne a de sérieux problèmes de santé, les compagnies d’assurance peuvent refuser cette couverture ou augmenter de façon importante les primes l’année suivante.
12 Cf. C. Sauviat, 2008, op. cit.
13 Cf. L’enquête annuelle menée conjointement par Kaiser Family Foundation et Health Research and Educationnal Trust (KFF/Hret), « Employer-Sponsored Health Benefits – 2009 Annual Survey », site Internet : http://www.kff.org.
14 Il s’agit de plans dans lesquels l’employeur s’engage à verser un montant déterminé de prime d’assurance, que celle-ci couvre ou non les besoins de soins de ses salariés mais ne s’engage pas sur le contenu proprement dit de la couverture santé.
15 Cf. KFF/Hret, 2009, op. cit.
16 Cf. R. Abelson, « Millions With Chronic Disease Get Little to No Treatment », The New York Times, August 5, 2008.
17 Cf. « Written Statement to the Senate Special Committee on Aging », Hearing by M. Pearson, Head of Health Division, OECD, September 30, 2009.
18 Cf. A.M. Epstein et J. H. Foster, « Written Statement to the Senate Special Committee on Aging on Differences in Quality of Health Care in Developed Countries », Harvard School of Public Health, September 30, 2009.
19 Avant 1947, environ 1/3 des régimes d’assurance maladie existants étaient gérés paritairement par les employeurs et les syndicats ; un autre tiers était géré exclusivement par les syndicats et le dernier tiers par les compagnies d’assurances (Gottschalk, 2000).
20 Cf. L. apRoberts, « Après l’échec de la réforme de l’assurance médicale », Chronique internationale de l’IRES, 34, mai 1995.
21 Cf. A. Shlaes, « The Cure for Medicare May Be Too Painful », Financial Times, December 1, 2003.
22 Au milieu des années 1980 est créé à son instigation un comité sur la santé au sein de l’AFL-CIO, dont il prend la présidence. Il fait également partie du Comité Dunlop qui comprend au total huit représentants syndicaux. En 1989, il est choisi par le ministre de la Santé pour siéger au Comité consultatif sur la Sécurité sociale.
23 Cf. P. E. Benjamin, « AFL-CIO Renews Health Care Campaign », The Nation’s Health, March 22, 2003.
24 Afin de développer la couverture santé des non assurés, il est prévu d’obliger (ou d’inciter fortement) les individus et les entreprises à s’assurer (ou assurer leurs salariés). En contrepartie, l’État accorderait des crédits d’impôt et des subventions aux petites entreprises et aux personnes à faible revenu.
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