Introduction à la troisième partie
p. 139-140
Texte intégral
1Tandis qu’en Europe s’affirme lentement le principe du Welfare State – l’État providence –, aux États-Unis se développe durant le premier quart du xxe siècle le Welfare Capitalism (ou capitalisme providence) : fondé sur l’entreprise providence à défaut d’État providence (apRoberts, 2000), le système repose sur l’idée que « l’entreprise privée, plutôt que l’État ou des organismes de mutualisation, est la première source de sécurité et de stabilité de la société moderne1 ».
2Les grandes entreprises, alors en plein développement, éprouvent le besoin d’attirer et de fidéliser la main-d’œuvre. Dans ce but, elles vont offrir à leurs salariés non seulement la sécurité de l’emploi mais également des avantages sociaux comme l’assurance vieillesse et l’assurance maladie notamment. Les syndicats vont être très tôt parties prenantes d’un tel système de prévoyance professionnelle, ayant parfois précédé les initiatives des employeurs dans ce domaine. Ce n’est qu’après la crise de 1929 et à l’occasion du New Deal que se mettra en place un système de retraite public obligatoire et quasi universel connu sous le nom de Social Security (1935). Et c’est seulement trente ans plus tard, en 1965, que sera créé un système public d’assurance maladie, limité cependant aux personnes âgées et aux pauvres.
3Le système de protection sociale américain, en matière d’assurance maladie encore davantage qu’en matière de retraite (à cause de la création de la Sécurité sociale), se caractérise encore aujourd’hui par le rôle central qu’y occupe l’entreprise. Issu dans une large mesure d’une coproduction employeur/syndicat, laquelle sera renforcée dans le cadre de la négociation collective qui se développe à partir des années 1950, il va être progressivement remis en cause par les entreprises elles-mêmes et leur désengagement social. Le président B. Obama a d’ailleurs fait de sa réforme la priorité de son agenda présidentiel, et en priorité celle du système de santé.
4C’est en fait dès les années 1980 que ce pacte social a commencé d’être mis à mal et que la protection sociale assurée par les entreprises s’est érodée. On a assisté à un basculement progressif du financement du système et de fait, la contribution de salariés a considérablement augmenté dans les années 2000. Ces derniers supportent désormais, et de plus en plus, le coût des retraites complémentaires et des primes d’assurance maladie. De surcroît, l’ampleur de même que la qualité des couvertures sociales se sont fortement dégradées. En matière de santé, plus de 15 % de la population se trouve dépourvue de toute assurance. En matière de retraite, le coût de même que les risques financiers et démographiques ont été transférés de façon croissante aux salariés.
5Nous montrerons dans cette partie en quoi le système de santé américain se distingue aujourd’hui par son caractère dual et inégalitaire, plus exacerbé qu’ailleurs. Comprendre le paradoxe de l’existence d’un système à la fois très coûteux, relativement inefficace et très difficile à réformer du fait de sa complexité et des multiples intérêts en présence, suppose de revenir sur les principes qui ont présidé à la construction de l’« entreprise providence ». Comprendre la vulnérabilité actuelle de ce modèle suppose donc de s’intéresser aux rapports de force et d’analyser les intérêts en jeu des différents acteurs : salariés, syndicats, entreprises, profession médicale et compagnies d’assurance privée pour ne citer que les principaux. Nous montrerons également le caractère inégalitaire des régimes professionnels de retraite mais aussi les risques que fait porter leur déclin et leur remplacement par des plans d’épargne salariale pour les salariés.
Notes de bas de page
1 Cf. S. Jacoby dans Risk and Labor Market: Societal Past as Economic Prologue, cité par L. Uchitelle, 2008, note 33, p. 338.
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