Chapitre VII. Dualisation du marché du travail et emplois atypiques
p. 113-121
Texte intégral
1Dans un contexte de marché du travail peu réglementé où la référence au contrat de travail « normal » n’existe pas (première partie), c’est avant tout la question de la qualité des emplois qui importe. La nature du contrat de travail n’est pas un critère discriminant car, aux États-Unis encore plus qu’ailleurs, elle n’est pas une garantie de stabilité de l’emploi. En effet, un salarié sous contrat permanent peut occuper un emploi précaire, sans perspective de carrière et mal rémunéré. La distinction entre les « bons » et les « mauvais » emplois devient alors primordiale.
L’éventail des statuts précaires et atypiques
2Depuis 1995, le BLS réalise tous les deux à quatre ans une enquête par questionnaire sur les contingent and alternative employment arrangements, ce que l’on peut traduire par emplois précaires et atypiques, qui relèvent d’une relation d’emploi moins astreignante que celle issue de la relation d’emploi salariée à temps plein (Bellace, 1989). Étant donné la flexibilité du contrat de travail « standard » dont la rupture est peu contraignante pour l’employeur, le recours aux contrats précaires est relativement limité aux États-Unis comparativement à d’autres pays1. Cependant, leur place sur le marché du travail est loin d’être négligeable car ils répondent à certains besoins de flexibilité des entreprises.
3Ces différents types de contrats de travail se sont stabilisés à ce niveau sur la période 1995-2005, date de la dernière enquête. Deux grands types d’emplois « non standards » peuvent être distingués : d’une part, les emplois précaires ou non durables, d’autre part les emplois atypiques.
Tableau 9. – Travailleurs précaires et emplois atypiques en 2005 (en % de l’emploi).
Travailleurs précaires (contingent workers) |
4 |
Emplois atypiques (alternative employment arrangements) dont : |
10,6 |
– Travailleurs indépendants |
7,4 |
– Travailleurs sur appel de l’employeur |
1,8 |
– Travailleurs « sous contrat » |
0,5 |
– Travailleurs intérimaires |
0,9 |
Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, Contingent and Alternative Employment Arrangements, 2005.
Les travailleurs précaires ou Contingent Workers
4Le terme de « travailleurs précaires » ou de Contingent Workers recouvre tous ceux qui n’ont pas de contrat de long terme – implicite ou explicite –, donc des emplois peu durables ou temporaires. Historiquement, ce terme a été introduit par Audrey Freeman en 1985 pour désigner tous les ajustements d’emploi temporaires liés aux variations de la demande de travail des entreprises. Depuis 1989, le BLS a resserré cette définition autour du critère de la durée temporaire du travail (Polivka, 1996 ; Hipple, 2001). Il s’agit donc de tous les contrats temporaires liés à la réalisation d’un projet, d’une mission, d’un travail saisonnier ou encore effectués dans le cadre d’un remplacement à durée déterminée. Cette définition contient une part d’éléments objectifs, pour ceux dont l’emploi est contractuellement temporaire, mais aussi d’éléments subjectifs, selon la perception qu’ont les salariés de la durabilité de leur contrat. Ceci est cohérent avec la nature du contrat de travail américain, caractérisé par l’absence de protection contre le licenciement et de norme d’emploi stable (hormis les travailleurs syndiqués).
5Ces emplois précaires représentent environ 4 % de l’emploi (tableau 9). Leur poids relatif a peu augmenté depuis 1995 mais ils touchent plus particulièrement certaines catégories de salariés. Le taux d’emploi précaire atteint plus de 10 % chez les jeunes âgés de 16 à 24 ans, les étudiants occupant en effet souvent ce type d’emplois. Il est aussi plus élevé chez les femmes travaillant dans les secteurs des services. Notons qu’il n’existe pas de nets clivages selon l’origine ethnique : les Noirs (4,7 %) et les Hispaniques (5,6 %) se trouvent à peu près aussi souvent dans ces situations que les Blancs (4,1 %), de même que les immigrés ou les étrangers. Ces emplois se concentrent avant tout dans certains secteurs : l’agriculture, la construction, les services principalement.
6Ces travailleurs précaires sont moins bien payés que les autres. Toutes choses égales par ailleurs, ils gagnent 67 % de moins en moyenne que ceux en contrat de travail « standard ». Souvent, ils ne bénéficient pas d’une assurance maladie ou d’un régime de retraite mis en place par l’employeur. Ils risquent aussi fréquemment de travailler à temps partiel : c’est le cas de 40 % des salariés précaires contre 17 % en moyenne pour l’ensemble des salariés.
Les travailleurs sous contrats atypiques
7Les travailleurs sous contrats atypiques (under alternative employment arrangements) désignent tous ceux qui ne sont pas sous contrat de travail standard. Les femmes, les jeunes, les Noirs et les Hispaniques sont ici sur-représentés.
8En premier lieu, on y trouve les travailleurs indépendants (consultants, freelance, entrepreneurs à leur compte) qui représentent le groupe le plus nombreux (6,3 % de l’emploi en 1999 ; 7,4 % en 2005). Si le fait d’occuper ce type d’emploi accroît le risque d’occuper un Bad Job, ces deux situations ne se recouvrent qu’imparfaitement car certains travailleurs indépendants sont bien rémunérés et ne souhaitent pas d’autre emploi (Kalleberg, Reskin et Hudson, 2000). Il s’agit souvent d’hommes blancs, âgés et dotés d’un certain niveau d’éducation. Hormis ce cas de figure, les travailleurs indépendants sont dans leur majorité des salariés mal lotis et travaillent plus souvent que les autres à temps partiel. Lorsqu’ils sont à temps plein, ils ont tendance à travailler plus longtemps que ceux dotés d’un contrat de travail standard. Les employeurs les embauchent sous ce statut pour réduire les coûts salariaux, ceux liés à la couverture sociale et aux cotisations chômage2. Malgré l’existence de lois fédérales qui imposent un certain nombre d’obligations aux employeurs, ces derniers n’hésitent pas à classer de façon abusive leurs salariés dans la catégorie des « travailleurs indépendants » (encadré 4) pour contourner les droits attachés aux contrats de travail standards.
Encadré 4. Usages abusifs des emplois précaires ou atypiques par des entreprises
Au début des années 1990, l’administration a obligé plusieurs entreprises à requalifier des milliers de travailleurs, abusivement déclarés comme « entrepreneurs indépendants » par leurs employeurs. À cette occasion, certaines d’entre elles les avaient requalifiés comme travailleurs intérimaires en leur demandant de signer un contrat avec une agence d’intérim, laquelle les missionnait à leur ancien employeur. L’entreprise Microsoft a ainsi mené une bataille juridique de plus de cinq ans, qu’elle a perdue en appel, pour avoir utilisé plusieurs milliers de travailleurs intérimaires sur des emplois durables. L’intérêt pour l’employeur résidait dans le fait que ces travailleurs n’étaient éligibles ni aux programmes de stock-options, ni aux plans de retraite et d’assurance maladie, ni aux congés payés proposés par l’entreprise, transférant ainsi une partie des coûts sur la collectivité. Une autre illustration de l’utilisation abusive des travailleurs temporaires a été révélée par les pratiques de sous-traitants de Gillette Co. Via des agences d’intérim, ces sous-traitants utilisaient des travailleurs migrants faiblement rémunérés pour emballer les rasoirs et d’autres produits.
9On y trouve également les travailleurs à la demande ou « sur appel de l’employeur ». Ceux-là représentent 1,8 % de l’emploi (en 2005). Extrêmement flexible, ce type d’emploi concerne le plus souvent des femmes jeunes et peu diplômées.
10Les travailleurs « sous contrat » représentent une autre catégorie de travailleurs sous contrat atypique. Ils comptent seulement pour 0,5 % de l’emploi (tableau 9). Il s’agit de salariés externalisés à une entreprise cliente dans le cadre d’une mission, souvent dans les activités de sécurité ou d’informatique. Les plus concernés sont les hommes noirs âgés de 20 à 44 ans.
11Le travail intérimaire constitue la dernière forme de contrat atypique (0,9 % de l’emploi en 2005). Il concerne souvent des jeunes femmes, noires ou hispaniques. Si le nombre de travailleurs intérimaires reste, en stock, encore marginal (2,5 millions de personnes), l’intérim a contribué à près de la moitié des créations d’emplois dans le secteur privé depuis 2002. L’accroissement durable du nombre de travailleurs intérimaires ne dépend pas seulement des travaux saisonniers. Les pratiques des entreprises attestent d’un recours accru à l’intérim sur des postes permanents et de son usage comme mode de sélection à l’embauche. Ainsi, de grandes entreprises telles que Microsoft, ATT, Intel, HP et Boeing y ont fréquemment recours3. S’agissant des intérimaires, moins bien lotis que leurs collègues travaillant sous un contrat standard en matière d’avantages sociaux, cette situation s’est encore dégradée : depuis 2004, ils ne peuvent plus négocier des avantages sociaux dans l’établissement où ils travaillent aux côtés des travailleurs permanents. Cette situation résulte de la remise en cause d’une règle du NLRB de 2000, qui réunissait ces deux catégories de travailleurs dans une même unité de négociation. Dorénavant, pour pouvoir s’organiser syndicalement, les travailleurs temporaires doivent obtenir l’accord de leur agence d’intérim et de l’entreprise pour laquelle ils travaillent.
Les « bons » et les « mauvais emplois »
12La question de la qualité de l’emploi fait débat aux États-Unis, à travers la distinction opérée entre les « bons » et les « mauvais » emplois. Une définition minimale du « bon emploi » a été proposée par J. Schmitt (2007). Celle-ci ne repose pas uniquement sur le niveau de salaire. L’économiste du Center for Economic and Policy Research (CEPR) considère en effet que les avantages sociaux procurés par les entreprises sont des éléments importants de la qualité de l’emploi, en l’absence d’une couverture santé universelle et vu la modestie du niveau offert par le régime de retraite public aux États-Unis (voir chapitre xiv). Un « bon emploi » est donc d’après ces critères celui qui offre une rémunération décente, soit au moins 17 $ de l’heure4 (environ 34 000 $ par an en 2006), avec une couverture retraite et santé financée en partie par l’employeur. D’après cette définition, moins d’un travailleur américain sur quatre pouvait être classé dans cette catégorie en 2006 (tableau 10). Les « mauvais emplois » sont ici définis par défaut, ne remplissant aucune de ces trois conditions. Ce sont donc des emplois payés moins de 17 $ de l’heure, sans assurance santé ni retraite complémentaire d’entreprise.
Tableau 10. – Part des « bons » et des « mauvais » emplois, 1979-2006.
Bons emplois |
Mauvais emplois |
|
1979 |
25,0 |
28,0 |
1985 |
24,5 |
29,8 |
1989 |
23,5 |
30,6 |
1995 |
23,4 |
30,3 |
2000 |
25,4 |
26,9 |
2006 |
23,1 |
29,0 |
Source : Schmitt, 2007.
13Entre 1979 et 2006, la part des good jobs et des bad jobs a peu varié. La période enregistre tout de même globalement une dégradation de la qualité des emplois. En effet, la part des « bons emplois » a diminué de près de 2 points entre 1979 et 2006 pour ne plus représenter que 23 % des emplois en fin de période tandis qu’à l’inverse, celle des « mauvais emplois » a augmenté légèrement pour atteindre 29 %. Cette dégradation, concentrée essentiellement dans les années 2000, reflète principalement la détérioration de la couverture sociale des salariés (voir troisième partie).
14Mais une dégradation encore plus nette de la qualité des emplois se cache derrière cette évolution, au caractère apparemment peu marqué. Évaluer la part des « mauvais emplois » et leur évolution suppose de prendre en compte des effets de structure sur le long terme. Entre 1979 et 2006, le PIB par habitant a progressé en valeur réelle d’environ 65 %. Cette croissance ne s’est pas traduite par une création équivalente de « bons emplois » en proportion. Des effets de structure interviennent manifestement : entre 1979 et 2006, le niveau de formation de la population s’est accru tandis que la place des « bons emplois » n’a guère progressé. Au cours de cette même période, la qualité de l’emploi s’est nettement dégradée pour les salariés peu formés (niveau inférieur à un diplôme du secondaire) mais elle s’est aussi peu améliorée pour les autres. Schmitt (2005) considère qu’en prenant en compte cet effet, l’économie américaine aurait perdu 25 à 30 % de sa capacité à créer de « bons emplois ».
15Le risque d’occuper un « mauvais emploi » est beaucoup plus fort pour les travailleurs précaires ou employés sous un statut atypique. Ceci tient aux transformations structurelles de l’emploi précédemment évoquées : le développement des bad jobs s’est fait en lien avec la montée du secteur des services fortement utilisateur de travailleurs à temps partiel (moins de 35 heures) ou missionnés pour des courtes durées, au détriment des emplois plutôt bien rémunérés de l’industrie (Shipler, 2004). Globalement, la part des emplois à temps partiel dans l’emploi total est de 17,4 % en 2008, avec une concentration notable sur l’emploi des femmes (25 % de l’emploi des femmes). Pour ces dernières, les emplois à temps partiel concernent souvent des bad jobs, qui sont la plupart du temps peu qualifiés et mal rémunérés.
Graphique 23. – Part de l’emploi à temps partiel dans l’emploi total depuis 1968.
16
Source : BLS et The State of Working America 2006-07. Temps partiel : durée du travail inférieure à 35 heures.
17Les emplois à temps partiel recouvrent aussi des situations précaires car une faible durée du travail et une rémunération insuffisante s’ajoutent à l’insécurité de l’emploi. C’est le cas du temps partiel contraint ou accepté faute de mieux, qui concerne 23 % des emplois à temps partiel en 2008. Cette situation conduit certains salariés à cumuler plusieurs emplois, seule façon pour eux de parvenir à financer leurs besoins et ceux de leur famille. Ils étaient 5,2 % de l’ensemble des salariés en 2008 à être dans ce cas. Bien que relativement stabilisée, cette proportion est loin d’être marginale5.
18Le fait d’appartenir – ou non – à une entreprise ayant une présence syndicale modifie considérablement la qualité de l’emploi. Les entreprises dans lesquelles les salariés sont couverts par des accords collectifs donnent des protections contre le licenciement, offrent un meilleur salaire (de l’ordre de + 27 %6) et nettement plus de chance d’avoir une retraite complémentaire ainsi qu’une couverture maladie. Toutefois, compte tenu de l’affaiblissement du syndicalisme, les salariés sont de moins en moins nombreux à être couverts par un accord collectif dans le secteur privé (voir chapitre ii). La règle du « dernier entré, premier sorti », appliquée dans les entreprises qui connaissent une présence syndicale pour fixer l’ordre des licenciements, protège les plus anciens qui sont aussi mieux indemnisés que leurs collègues plus jeunes lors d’un licenciement. Les indemnités de licenciement dépendent aussi de l’ancienneté du salarié. Ce principe contribue ainsi à une dualisation de la main-d’œuvre au sein de l’entreprise car il est facile et peu coûteux de se séparer des salariés embauchés récemment. Certains travailleurs recrutés sous un contrat de travail standard forment donc une main-d’œuvre très flexible.
La coexistence de deux modèles d’emploi ?
19Au début des années 2000, certains auteurs ont pu mettre en évidence la coexistence de deux modèles d’emploi aux États-Unis : celui de l’ancienne économie, associé aux marchés internes et à l’emploi fordiste ; celui de la nouvelle économie, incarné par les entreprises des secteurs des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) de la Silicon Valley. Dans le modèle de l’ancienne économie, la stabilité de l’emploi et des carrières était la règle, associée à une solide protection sociale d’entreprise. La réduction des effectifs touchait principalement les cols bleus, mais l’ajustement des emplois aux cycles économiques passait peu par des licenciements massifs. Les restructurations prenaient plutôt la forme de mise en chômage technique (temporaire). Les sureffectifs étaient gérés par des départs « volontaires » en préretraites ainsi que le recours à l’intérim, aux heures supplémentaires et à l’externalisation d’activité, dispositifs qui servaient d’amortisseurs aux fluctuations de l’activité (Osterman, 1989). Ce modèle n’a néanmoins jamais été généralisé. Il s’est toujours limité à quelques grandes entreprises des secteurs oligopolistiques. L’industrie automobile en a été pendant longtemps le symbole. Les faillites de Chrysler et de General Motors au printemps 2009 ainsi que les suppressions massives d’emplois consécutives à leur restructuration réduisent encore le champ de ce modèle, cette contraction posant la question de la pérennité de son existence même.
20Le modèle d’emploi de la nouvelle économie est caractéristique d’entreprises dont l’engagement et la responsabilité vis-à-vis de leurs salariés sont faibles et où les syndicats n’ont jamais pu s’implanter. Elles ne promettent pas d’emplois stables, de formation, de valorisation des compétences, ou de carrières récompensées par des promotions. Elles ne s’engagent pas non plus à verser une pension de retraite. Ces entreprises se caractérisent en outre par un recours important aux travailleurs sous statut atypique – intérimaires et entrepreneurs indépendants notamment –, par l’utilisation de la sous-traitance de leurs activités manufacturières et dans certains cas, par un partage des risques entre salariés et employeurs.
21La distinction entre ces deux modèles perd progressivement de sa pertinence. Le secteur des NTIC en offre peut être le meilleur exemple, montrant la manière dont les entreprises de l’ancienne économie ont aligné leur mode de gestion de la main-d’œuvre sur celles de la nouvelle économie (Lazonick, 2007 et 2009). Des grandes sociétés telles qu’IBM ou Hewlett Packard, qui n’avaient jamais licencié jusqu’aux années 1990, se sont mises à supprimer des emplois pour les délocaliser dans les grands pays émergents à bas salaire7. La stratégie d’IBM, firme de l’ancienne économie, a consisté à externaliser ses activités manufacturières à l’étranger et à se concentrer sur les activités de services. IBM est passé de 374 000 salariés en 1990 à 220 000 en 1994, en recourant à des mises en préretraite de ses salariés, un tournant historique pour une entreprise qui offrait jusqu’alors des emplois à vie. En 1999, elle a remis en cause le régime de retraite complémentaire à prestations définies qu’elle proposait à ses salariés pour le transformer en un plan nettement moins avantageux (voir troisième partie). Cet événement a d’ailleurs donné lieu à la première syndicalisation de salariés de l’entreprise : 5 000 d’entre eux ont en effet rejoint Alliance@IBM, un syndicat affilié à la fédération des travailleurs du secteur de la communication (Communication Workers of America, CWA).
22L’insécurité et la précarité de l’emploi sont constitutives du mode de gestion de la main-d’œuvre de la nouvelle économie. Particulièrement emblématique de ce modèle, Intel n’emploie pas de travailleurs payés à l’heure, c’est-à-dire de salariés éligibles au paiement des heures supplémentaires, les cols blancs n’y ayant pas droit. Elle externalise la plupart de ses activités manufacturières et n’a pas de personnel syndiqué. En revanche, elle offre des stocks options à tous ses salariés sous contrat standard. Ceux-ci sont en général très mobiles et changent d’emploi et d’entreprise fréquemment, dans la Silicon Valley, à l’intérieur des États-Unis ou à l’étranger. Après la crise boursière de 2001 et la récession qui a suivi, Intel n’a pas hésité à licencier son personnel. Les 8 500 suppressions de postes ont principalement affecté les emplois manufacturiers et ceux de la vente-marketing au sein de l’entreprise.
23Depuis la reprise de 2001, après l’éclatement de la bulle financière, les entreprises de la Silicon Valley se sont débarrassées de leurs emplois faiblement qualifiés, en les délocalisant dans d’autres États ou à l’étranger. Une étude du BLS (2009), portant sur l’emploi dans onze secteurs de haute technologie de la Silicon Valley entre 2001 et 2008, montre en effet que l’emploi y a baissé de 17 % sur la période, mais que les salaires moyens y ont au contraire augmenté de presque 36 %. Ce constat signifie que les emplois restants ou ceux qui ont été recréés après l’éclatement de la bulle financière sont, au contraire de ceux qui ont été détruits, très qualifiés. Ils concernent les secteurs de l’ingénierie, du design et de la recherche scientifique, qui représentent 14 % des emplois localement. Cela n’empêche pas ces entreprises de continuer à faire un usage important d’une main-d’œuvre étrangère qualifiée, en recourant aux travailleurs dotés de visas temporaires d’immigration de type H1-B. Parmi les entreprises principalement utilisatrices de visas H1-B, émis pour une période trois ans et renouvelables une seule fois, figurent Microsoft, Cisco, Oracle, Intel ou Motorola. Ce système leur permet de puiser dans un réservoir mondial de main-d’œuvre qualifiée, considéré comme essentiel à leur compétitivité (Lazonick, 2007). Ce faisant, ces firmes peuvent disposer d’une main-d’œuvre flexible et peu exigeante du point de vue des salaires et des conditions de travail, compte tenu de la situation de dépendance dans laquelle se trouvent ces travailleurs vis-à-vis de l’employeur qui a fait la demande et obtenu leur visa.
24Osterman et al. (2001) ont mis l’accent sur l’affaiblissement des marchés internes, figures emblématiques de l’ancien modèle d’emploi où un ensemble de normes et d’institutions structuraient le marché du travail, et son corollaire, l’extension du marché externe. Sur ce marché, les règles de protection de l’emploi sont faibles, voire inexistantes, et les salariés sont mis en concurrence entre eux. Mais, au-delà de ce dénominateur commun, deux types de mobilité s’y opposent : celle des salariés dotés de hautes qualifications transférables qui peuvent tirer profit de leur pouvoir de marché et négocier de bonnes conditions d’emploi et de salaire, et celle des travailleurs de bas niveau de qualification qui subissent l’instabilité de la relation d’emploi. Les plus concernés par ce problème restent les Noirs ou les travailleurs immigrés employés dans le secteur des services à bas salaires, sans protection sociale et subissant des conditions de travail difficiles. Sans pour autant disparaître, les formes et la nature de la segmentation sur le marché du travail se sont donc profondément renouvelées depuis les années 1980. Cette analyse est en cohérence avec l’idée d’une nouvelle dualisation de l’emploi.
Notes de bas de page
1 En moyenne dans l’Union européenne, les emplois précaires représentent 17 % de l’emploi en 2007, source Eurostat (2008).
2 Ces travailleurs ne sont pas soumis à la loi ERISA par exemple (troisième partie). Cf. CPS contingent worker supplement de 1997 : 48 % des travailleurs précaires avaient en 1997 une assurance maladie contre 86 % pour les travailleurs réguliers, 18 % seulement bénéficiaient d’un plan de retraite complémentaire contre 63 % pour les autres.
3 Les travailleurs temporaires qui occupent des postes de secrétaires ou de programmeurs informatiques représenteraient au moins 10 % de la main-d’œuvre dans un cinquième des entreprises américaines.
4 Ce niveau correspond au salaire médian masculin en 1979, calculé en dollars 2006.
5 Les personnes qui occupent plusieurs emplois sont recensées depuis 1994.
6 Source : BLS, 2005.
7 IBM a recouru pour la première fois aux licenciements en 1994, ayant jusqu’à cette date géré les ajustements de la main-d’œuvre par des départs naturels ou volontaires, cf. Uchitelle, 2008.
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