Chapitre V. Un taux de chômage faible, oui mais...
p. 89-101
Texte intégral
1Le taux de chômage aux États-Unis reste l’un des plus bas des pays de l’OCDE (5,8 % en 2008) et la durée moyenne en chômage y est relativement courte, moins de cinq mois environ. Il n’a guère augmenté durant la reprise « sans emploi » (maximum de 6,3 %), même si le rythme de création d’emplois a lui-même ralenti durant la dernière décennie. Depuis 1982, le taux de chômage tendait même globalement à diminuer avant que la récession économique en cours ne le fasse à nouveau augmenter. Toutefois, cet indicateur est moins pertinent qu’autrefois pour rendre compte de l’état du marché du travail car cette baisse est allée de pair avec celle du taux d’activité ces dernières années. Par ailleurs, les écarts de chômage sont importants et persistants selon les cas (entre les Noirs et les Blancs et les jeunes et les adultes). Ici, les États-Unis ne font pas exception à la situation qui prévaut dans d’autres pays.
Du taux de chômage officiel à ses contours : un écart presque du simple au double
2Le taux de chômage américain s’est maintenu à un niveau relativement faible à partir du milieu des années 1980, toujours inférieur à 10 %, après avoir atteint un pic de plus de 9,7 % en 1982 (en moyenne annuelle). En 2000, il a touché un point bas à 4 % et oscille aux alentours de 5 % jusqu’en 2007. Il est remonté sensiblement en 2008 pour atteindre 5,8 % de la population active en moyenne sur l’année, avant de connaître une brutale augmentation au cours du deuxième semestre de 2009 l’amenant à plus de 10 % à l’automne 2009 (en données mensuelles corrigées des variations saisonnières).
3Le taux de chômage officiel, indicateur clé des performances du marché du travail, est restrictif. Il classe comme chômeurs les personnes âgées de moins de 16 ans sans emploi, disponibles pour travailler, et qui ont recherché activement un emploi durant les quatre dernières semaines de la période de référence considérée. De ce fait, un grand nombre de personnes « sans emploi » ne sont pas comptabilisés comme « chômeurs ». Cet indicateur ne reflète donc pas les nombreuses difficultés d’accès au marché du travail. C’est pourquoi le Bureau des statistiques du travail (BLS) publie depuis le milieu des années 1990 différentes mesures de la sous-utilisation de la main-d’œuvre, qui donnent une vision plus réaliste de la situation du marché de l’emploi. Entre le taux de chômage officiel et son indicateur élargi (de 5,5 % à 9,7 % de la population active en mars 2008, voir tableau 6 ci-après), l’écart est de 4,2 points, ce qui est considérable.
Tableau 6. – Les différentes mesures du chômage, effectifs et en % de la population active.
Mars 2007 |
Mars 2008 |
Effectifs mars 2008 |
|
Chômage officiel |
4,5 |
5,5 |
8,5 millions |
1) Chômage officiel + travailleurs découragés |
4,7 |
5,7 |
8,5 millions + 400 000 |
2) Chômage officiel + travailleurs découragés + personnes rattachées marginalement au marché du travail |
5,4 |
6,4 |
8,5 millions + 1,4 million |
3) U-6 : Chômage officiel + personnes rattachées marginalement au marché du travail + temps partiel pour raison économique |
8,3 |
9,7 |
8,5 millions + 1,4 million + 5,2 millions = 15,1 millions |
Source : Issues in Labor Statistics, US Department of Labor (2008), Bureau of Labor Statistics.
4Un premier niveau de calcul consiste à ajouter au nombre de chômeurs officiels les travailleurs découragés, dont le nombre a sensiblement augmenté depuis le début de la récession fin 2007. Un second niveau de calcul incorpore à ce total les personnes qui veulent un emploi, sont disponibles mais ne sont pas comptabilisées comme chômeurs, faute d’avoir été en recherche active d’emploi au cours des derniers mois. Il s’agit des personnes dites « rattachées marginalement au marché du travail » et classées comme inactives dans les statistiques officielles. La période de référence de recherche d’emploi est ici étendue aux douze derniers mois précédant l’enquête (et non plus aux quatre semaines). Plus précisément, cette mesure concerne des individus qui ne cherchent pas un emploi spécifique mais qui veulent travailler et ceux qui ont quitté la population active parce que la situation sur le marché du travail semblait tellement difficile qu’ils ont arrêté de chercher un emploi. Elle inclut les chômeurs de longue durée, notamment les travailleurs de l’industrie qui ne retrouvent pas un emploi à un niveau de rémunération proche de ce qu’ils gagnaient avant. Avec la récession, le nombre de travailleurs rattachés marginalement au marché du travail a beaucoup progressé (+ 35 % entre 2008 et 20091). Un troisième calcul inclut, en plus des catégories précédentes, les personnes employées à temps partiel pour raison économique. Cet indicateur fournit donc une mesure du sous-emploi2. Son augmentation reflète aussi la progression du temps partiel subi et donc, la sous-utilisation des ressources en main-d’œuvre. Les travailleurs à temps partiel pour raisons économiques sont comptés comme « actifs occupés » dans les statistiques officielles. Ils sont en fait disponibles pour travailler à temps plein mais ont dû accepter un emploi à temps partiel faute de mieux, en raison du chômage technique ou d’une diminution imposée des horaires par exemple. Depuis le début de la récession, cette catégorie de travailleurs a aussi considérablement augmenté, le nombre de travailleurs à temps partiel subi atteignant 5,8 millions fin 2008.
5Les personnes ainsi identifiées « en difficulté sur le marché du travail » sont presque aussi nombreuses que les chômeurs officiels. En mars 2009, la mesure du chômage élargi représentait 16,2 % de la population active, à comparer au taux officiel de chômage à la même date (8,5 %, en données mensuelles CVS). C’est un niveau particulièrement élevé depuis que le gouvernement collecte ces données. De plus, le halo du chômage n’est pas ici intégralement couvert. En effet, certaines catégories de travailleurs sont très mal répertoriées dans les statistiques officielles, comme les travailleurs « sous contrat », en freelance, ou indépendants.
6Les frontières entre le chômage et l’inactivité sont perméables et dépendent du contexte institutionnel qui incite – ou non – les personnes à s’inscrire au chômage ou à s’orienter vers des régimes d’invalidité. Ce phénomène s’observe aussi dans de nombreux pays industrialisés : à titre de comparaison, le McKinsey Global Institute a estimé en 2006 à 15,5 % le chômage réel en Suède au lieu des 7 % officiels ; avec la même méthodologie appliquée aux États-Unis, le chômage passe de 5,5 % à 13,8 % (Schmitt, 2007). L’écart entre les deux pays se réduit encore plus si l’on inclut les prisonniers dans les chiffres du chômage : 15,2 % pour les États-Unis et 15,7 % pour la Suède. Le taux de chômage comme indicateur de performance du marché du travail doit donc être pris avec beaucoup de précaution. Aux États-Unis aussi, les processus d’éviction du marché du travail contribuent à l’affichage d’un taux de chômage peu représentatif des difficultés d’accès à l’emploi.
Encadré 3. Autres indicateurs du chômage
Par ailleurs, le BLS publie aussi deux indicateurs plus restrictifs que le taux de chômage officiel. L’un ne prend en compte que les chômeurs qui ont perdu leur emploi depuis 15 semaines ou plus (1,8 % de la population active en 2008) ; l’autre comptabilise ceux qui ont perdu un emploi mais en excluant les départs volontaires ou les entrées sur le marché du travail (2,8 % de la population active à la même date). Ces indicateurs, surtout le premier, reflètent les préoccupations des pouvoirs publics américains, différentes de celles des pouvoirs publics français. Isoler le chômage de plus de trois mois, en montrant sa faible place relative dans la population active (1,8 %), permet de mettre en évidence l’importance du chômage frictionnel considéré comme le temps nécessaire et « incompressible » de recherche d’un emploi.
Un report du chômage sur l’inactivité
7Si le taux de chômage officiel semble plus bas qu’ailleurs, c’est donc parce qu’un nombre important de personnes n’est pas comptabilisé parmi les « actifs ». Différentes raisons peuvent pousser des chômeurs potentiels à se tourner vers l’inactivité : le découragement, la poursuite des études ou encore la possibilité de bénéficier de prestations d’invalidité.
Un recul des taux d’activité
8Une part importante des chômeurs se replie sur l’inactivité depuis le début des années 2000. Ce phénomène mérite quelques explications. Aux États-Unis, le taux d’activité présente la particularité d’être procyclique : il augmente pendant les phases d’expansion et recule lors des récessions, certaines personnes se retirant du marché du travail lorsque les occasions d’emploi se raréfient3. Ces mouvements traduisent l’effet classique de flexion des taux d’activité. De plus, des effets structurels viennent s’ajouter à l’influence des cycles économiques.
9Sur le long terme, les taux d’activité masculins ont reculé tendanciellement, dans un contexte de forte montée de la participation des femmes depuis une cinquantaine d’années. La progression de l’activité féminine a longtemps compensé la baisse de celle des hommes mais elle diminue aussi depuis 2000. Il s’agit d’une rupture de tendance car précédemment, l’activité des femmes progressait régulièrement, même pendant les phases de récession. Depuis les années 1960, les femmes américaines se sont portées massivement sur le marché du travail (graphique 11). Ce phénomène a été qualifié de « révolution silencieuse » par Goldin (2004). Repoussant le moment de leur mise en couple et de leur maternité et interrompant beaucoup moins leur carrière qu’avant, leur taux d’activité a ainsi régulièrement progressé. L’offre de travail des femmes est aussi devenue moins sensible à celle de leur conjoint et moins réactive au niveau de l’activité économique, reflet d’une plus grande indépendance financière et d’une plus grande autonomie. L’égalité du point de vue du genre n’étant pas une caractéristique du marché du travail américain, c’est surtout la forte activité des femmes les plus diplômées et aussi des plus âgées qui explique leur bonne position relative. Mais, ici aussi, la récession de 2001 marque une rupture par rapport à une tendance historique à la hausse.
Graphique 11. – Taux d’activité des hommes et des femmes, population de 16 ans ou plus (en %).
10
Note : récessions : 1974, 1980-1982, 1990-1991, 2001, fin 2007.
Source : Economic Report of the President, 2009 ; BLS, 2009.
11Entre le début 2002 et la fin 2003, période considérée comme celle d’une « reprise sans emploi », le taux d’activité global a reculé tandis que le chômage de longue durée progressait. Ceci représente une caractéristique particulière de ce cycle économique marqué par un déclin prolongé du taux d’activité malgré les quatre années de reprise depuis 2001. Ce phénomène traduit un transfert du chômage vers l’inactivité d’une partie de la population dans la force de l’âge.
12Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être avancés. En premier lieu, la baisse du taux d’activité traduit, en général, des phénomènes de découragement lors des récessions aux États-Unis. Cependant, cette baisse n’a jamais duré aussi longtemps, n’a jamais été aussi brutale et surtout perdure depuis la reprise de 2002. Cette situation s’expliquerait par le manque d’occasions d’emplois et entraînerait le découragement de certains adultes, plus particulièrement ceux faiblement qualifiés, dont la demande de travail baisse. Elle touche également les jeunes femmes adultes qui se retirent du marché du travail, faute de trouver un emploi. Toutefois, le découragement affecte également les travailleurs qualifiés : de plus en plus souvent, des hommes âgés de 30 à 55 ans abandonnent certains emplois jugés « déclassants ». Ils refusent des postes considérés comme insuffisamment qualifiés, compte tenu de leurs compétences mais aussi en raison des niveaux de salaire et de prestations sociales offerts, bien en dessous de ce dont ils bénéficiaient auparavant4. Il s’agit le plus souvent d’ouvriers diplômés de l’enseignement secondaire (niveau du lycée en France). En 2007, environ 13 % des hommes américains de cette classe d’âge ne travaillaient pas, contre seulement 5 % à la fin des années 1960. Bien sûr, ils n’apparaissent pas dans les statistiques du chômage car ils ont arrêté de rechercher un emploi.
13Ensuite, la progression de la scolarité chez les jeunes joue dans le sens d’un recul de leurs taux d’activité, ce qui semble correspondre à une tendance de fond. La part des actifs qui ont prolongé leurs études au-delà du lycée a quadruplé entre 1948 et 1995 et cette tendance s’est prolongée depuis. Ainsi, la place des jeunes (16-24 ans) dans la population active a diminué sensiblement depuis les années 1980 et surtout sur la période récente (– 5,3 points entre 2001 et 2006), ce qui explique, en partie, le recul du chômage. En outre, le phénomène de découragement gagne aussi les jeunes chômeurs faiblement diplômés.
14Les conséquences de la politique carcérale contribuent également pour leur part au recul du taux d’activité. Les détenus qui forment 1 % environ de la population américaine sont comptabilisés parmi les inactifs (International Center for Prison Studies, 2005). Aux États-Unis, le nombre de prisonniers par habitant est le plus élevé du monde et a été multiplié par huit depuis 1970.
15Cette montée de l’inactivité contribue à expliquer le maintien d’un faible niveau de chômage sur la période récente car une partie des demandeurs d’emploi se voit attribuer un statut autre que celui de chômeur. Elle conduit à relativiser les performances du marché du travail, la diminution des taux d’activité pouvant avoir une incidence négative sur la production et la croissance à moyen terme.
Le régime d’invalidité comme substitut au régime d’assurance chômage
16Aux États-Unis, comme dans certains pays européens, l’assurance invalidité fait office de filet de sécurité pour les personnes ayant du mal à trouver un emploi. Celles-ci basculent dans l’inactivité, ce qui réduit d’autant le chômage officiel. Ce processus n’est pas seulement le résultat d’un assouplissement des critères d’éligibilité. Il illustre également les difficultés des travailleurs sans qualification à trouver un emploi.
17Institué en 1956, le régime d’invalidité de la Sécurité sociale (Social Security Disability Insurance) a été conçu au départ pour assurer une indemnisation en cas d’invalidité « totale et permanente ». À partir des années 1960, il a été progressivement ouvert à des personnes en incapacité partielle ou susceptibles de revenir sur le marché du travail et ses critères d’éligibilité ont été assouplis dans les années 1980. L’affiliation à ce régime a en conséquence progressé, surtout pour les salariés peu qualifiés qui avaient difficilement accès à l’assurance chômage. Ainsi, 3 % de la population âgée de 16 ans et plus percevait une pension d’invalidité en 2005 (OCDE, 2007). Les pathologies telles que les troubles musculo-squelettiques ou psychiatriques sont devenues les principaux motifs d’admission dans la période récente, ces affections étant en partie liées à l’intensification du travail. En outre, les prestations d’invalidité ont permis d’améliorer le taux de remplacement des salaires, surtout pour des travailleurs peu rémunérés et dépourvus d’assurance maladie.
18Ce régime présente un second avantage, celui de donner accès, après un délai de carence de deux ans, à l’assurance maladie pour les personnes âgées (Medicare), ce que ne permet pas l’assurance chômage qui n’ouvre aucun droit à une couverture santé5. La perte d’emploi aux États-Unis entraîne en effet simultanément la perte de l’assurance maladie, procurée principalement par le biais de l’employeur (voir troisième partie), et ce non seulement pour le salarié mais bien souvent pour ses enfants et son (ou sa) conjoint(e). Aucun programme fédéral n’a augmenté aussi vite que le régime d’invalidité, avec plus de 6,5 millions de personnes recevant une aide mensuelle en 2005 contre 3 millions en 1990. Il concerne souvent des Noirs ou des hommes vivants dans des régions industrielles sinistrées comme le Michigan ou encore dans des zones rurales comme le Mississippi ou l’Oklahoma. Environ 25 % des personnes qui ne trouvent pas d’emploi y participent avec de réels handicaps dans la plupart des cas (mal de dos, troubles cardiaques, maladie mentale, etc.).
19Ce régime forme donc un espace de repli en période de dégradation conjoncturelle du marché du travail et de montée du chômage mais reste circonscrit à une catégorie de personnes peu rémunérées et sans protection sociale. Il joue donc un rôle de substitut au système d’indemnisation du chômage, le nombre de demandes d’accès aux régimes d’invalidité évoluant dans le même sens que le taux de chômage (graphique 12).
Graphique 12. – Demandes d’accès au régime d’invalidité par les adultes et taux de chômage 1978-2004.
20
Source : Autor et Duggan, 2006.
21Ce phénomène contribue à la baisse globale des taux d’activité car le retour à l’emploi des allocataires de prestations d’invalidité est faible, même en période de reprise de l’activité. Bien qu’en augmentation, le taux de bénéficiaires reste cependant dans la moyenne des pays industrialisés, de même que le niveau du taux de remplacement du salaire. Dans le même temps, ce phénomène est contradictoire avec la politique du Workfare et d’incitation à la reprise d’emploi à tout prix (voir quatrième partie). Le recours accru aux prestations d’invalidité est donc dénoncé par certains organismes comme l’OCDE, qui y voient une source de désincitation au travail et de formation des trappes à inactivité6. Ces positions font l’impasse sur les défaillances du système institutionnel d’indemnisation du chômage, des politiques de l’emploi ou encore d’accompagnement des chômeurs en difficulté. Dans les faits, le non-emploi s’avère, en grande partie, involontaire pour les hommes adultes en particulier mais aussi pour les femmes.
Les inégalités face au chômage
22Le chômage aux États-Unis se caractérise également par des inégalités importantes selon le genre, l’âge et l’origine ethnique.
Les inégalités de genre et d’âge
23À la différence d’autres pays, le chômage affecte plus fortement les hommes que les femmes, surtout en période de récession. Cette tendance ressort nettement depuis la récession de 1980-1982 et ce phénomène s’est reproduit en 1990-1991, en 2001 puis à nouveau en 2008 où les écarts de chômage s’ouvrent à nouveau, avec une forte remontée du chômage des hommes7 (graphique 13).
Graphique 13. – Évolution du taux de chômage par genre (en % de la population active).
24
Source : Economic Report of the President, 2009 ; BLS, 2009, données historiques annuelles.
25Certains groupes d’individus connaissent un taux de chômage structurellement élevé et profitent très peu des périodes de reprise de l’emploi. Les États-Unis ont un taux de chômage des jeunes (16-24 ans) nettement supérieur à celui des adultes, à l’instar des autres pays de l’OCDE. Mais, ici aussi, ce sont surtout les jeunes hommes qui sont touchés, avec plus de 2 points d’écart par rapport aux jeunes femmes en 2007 (tableau 7).
Tableau 7. – Taux de chômage des jeunes (hommes et femmes âgés de moins de 24 ans).
1994 |
2004 |
2007 |
|
Hommes 15-24 ans |
13,2 |
12,6 |
11,6 |
Femmes 15-24 ans |
11,6 |
11 |
9,4 |
Source : OCDE, 2008.
Les inégalités entre Noirs et Blancs
26Structurellement, le chômage des Noirs est deux fois plus élevé que celui des Blancs (10,1 % contre 5,2 % en 2008), ce qui constitue un profond facteur d’inégalités économiques et sociales en termes d’accès à l’éducation et à la protection sociale (graphique 14). Les Latino-Américains connaissent un taux de chômage intermédiaire, d’environ 5,6 %. De nettes différenciations séparent toutefois les Afro-Américains historiques, descendants des esclaves, qui sont les plus mal lotis tandis que les Antillais et les nouveaux immigrants subissent moins de discriminations à l’embauche. Il est manifeste que les Noirs qui ont fait des études et qui ont bénéficié des programmes de discrimination positive dans les universités s’en sortent beaucoup mieux. Ils ont pu accéder à l’enseignement supérieur et bénéficier des politiques des entreprises en faveur de la diversité, ce qui a facilité leur embauche. Il est incontestable que la classe moyenne noire a grandement progressé mais il n’en reste pas moins vrai qu’environ 25 à 30 % des Noirs demeurent en difficulté sur le marché du travail. Dans certains ghettos où les personnes cumulent les handicaps raciaux et sociaux, le taux de chômage peut dépasser les 50 %. Les jeunes hommes noirs connaissent des problèmes particulièrement marqués d’insertion dans l’emploi : leur taux de chômage atteint 42,1 % contre 21,5 % chez les Blancs pour la tranche d’âge des 16-19 ans ; chez les jeunes femmes, les taux de chômage sont relativement plus bas dans les deux cas, respectivement 25,3 % et 12,1 % en 2007, ce qui reste bien supérieur à la moyenne8. Les Noirs ne sont pas les seuls dans cette situation. Les Hispaniques les plus démunis connaissent les mêmes problèmes sur le marché du travail.
Graphique 14. – Taux de chômage des Noirs et des Blancs (en % de la population active).
27
Source : Economic Report of the President, 2009 ; BLS, 2009.
28L’analyse des écarts de chômage entre Noirs et Blancs donne des informations plus fines sur les évolutions de ces inégalités9. Sur le long terme, les écarts absolus entre le taux de chômage des Blancs et des Noirs se sont réduits : ils étaient de 10,3 points en 1982 et ne sont plus que de 4,9 points en 2008. En revanche, les écarts relatifs sont restés quasiment les mêmes depuis les années 1980 : les Noirs sont toujours deux fois plus touchés par le chômage que les Blancs (graphique 15).
Graphique 15. – Écarts absolus (en points), écarts relatifs et taux de chômage (en % de la population active).
29
Lecture : écarts relatifs = taux de chômage des Noirs divisé par le taux de chômage des Blancs, soit 2,02 en 2007. Écarts absolus = taux de chômage des Noirs moins taux de chômage des Blancs, soit un écart de 4,2 points en 2007.
Source : Economic Report of the President, 2009 ; BLS, 2009.
30Les évolutions de long terme font donc apparaître des tendances de fond : en période de récession, le chômage a tendance à se diffuser tandis que les phases de reprise de l’activité et de l’emploi ont une capacité très inégale à résorber le chômage, celles-ci agissant comme un amplificateur des inégalités. L’examen de deux périodes contrastées illustre ce phénomène. La situation en 2008 se caractérise par une diffusion du chômage : sa montée concerne les Noirs mais aussi les Blancs, d’où la légère baisse des écarts relatifs. En revanche, les années 1999-2000 ont été marquées par une réduction globale du chômage. Certes, les écarts absolus se sont alors réduits, ce qui témoigne d’une amélioration de la situation pour les Noirs. En revanche, la légère ouverture des écarts relatifs atteste que la reprise de l’emploi a moins profité aux Noirs qu’aux Blancs.
Une durée du chômage faible mais concentrée sur les populations en difficulté
31La durée du chômage aux États-Unis reste globalement nettement plus faible qu’ailleurs, la fluidité du marché du travail distinguant ce pays des économies européennes10. L’indicateur officiel du chômage de longue durée n’est d’ailleurs pas de 12 mois comme en France mais de 27 semaines, soit un peu plus de 6 mois. À titre de comparaison, les chômeurs restés plus d’un an sans emploi représentent 10 % de l’ensemble des chômeurs aux États-Unis et 40,4 % en France en 2007. Néanmoins, cette durée varie de façon importante et rapide en fonction des cycles économiques : la part du chômage de plus de 6 mois est passée de 12 % en 2001 à 20 % en 2004, puis à environ 19,7 % en 2008. La durée du chômage est repartie à la hausse dès l’automne 2008, à la suite de la récession (graphique 16).
Graphique 16. – Part des chômeurs de plus de 6 mois en % de l’ensemble des chômeurs.
32
Source : Economic Report of the President, 2009 ; BLS, 2009.
33Cependant, ici aussi, les bonnes performances relatives en matière de durée du chômage masquent des inégalités. Celles-ci ressortent lorsque l’on compare la durée médiane et la durée moyenne de chômage. La durée médiane est très basse : la moitié des chômeurs ne reste pas plus de deux mois sans emploi (8,5 semaines) tandis que l’autre moitié y demeure au-delà de cette durée (graphique 17). Mais, de son côté, la durée moyenne est deux fois plus élevée (environ quatre mois ou 16,8 semaines), ce qui indique manifestement que cette fluidité ne profite pas à tous les chômeurs. Plusieurs facteurs interviennent pour expliquer les écarts entre ces deux indicateurs de durée du chômage :
l’offre de travail non qualifiée est excédentaire, ce qui contribue à l’allongement de la durée du chômage des bas niveaux de qualification et à leur découragement en raison des difficultés à trouver un emploi ;
les Noirs, surtout les hommes sont les plus concernés par les difficultés de sortie du chômage avec une durée moyenne de 21,6 semaines et une durée médiane de presque 12 semaines ;
les femmes, plus nombreuses sur le marché du travail, cherchent aussi un emploi plus longtemps si nécessaire, surtout les mères isolées ;
l’effet démographique progressif du baby-boom intervient dans la mesure où les générations âgées actuellement de plus de 40 ans qui perdent leur emploi restent plus longtemps au chômage.
Graphique 17. – Durée moyenne et durée médiane de chômage (en semaines).
34
Source : Economic Report of the President, 2009.
35L’écart entre la durée moyenne et la durée médiane au chômage tient donc au fait qu’une partie des chômeurs retrouve très vite un emploi tandis que l’autre partie reste au chômage plus longtemps. Les premiers forment la composante frictionnelle du chômage alors que les autres alimentent un chômage structurel. Certaines personnes sont aussi touchées par le problème de la récurrence du chômage : environ la moitié des chômeurs ont passé plus de 6 mois sans emploi durant l’année 2000 alors qu’en instantané, 12 % des chômeurs seulement étaient au chômage depuis au moins 6 mois. Ceci tient au fait qu’aux États-Unis, une partie des personnes en difficulté se retire du marché du travail tandis qu’en France, ces mêmes personnes restent au chômage de longue durée. Mais comme ailleurs, plus la durée du chômage augmente, plus les chances de retrouver un emploi s’affaiblissent, surtout pour les non qualifiés.
36Au total, la porosité des frontières entre l’emploi et l’inactivité explique en partie la faiblesse du chômage, soit par des effets de flexion, soit par des effets de report du chômage vers l’inactivité. Ces phénomènes sont non réversibles pour certaines personnes. Le statut d’inactif cache donc un sous-emploi massif.
Notes de bas de page
1 Source : Issues in Labor Statistics, April 2009, BLS.
2 Cette dernière catégorie appelée U-6 est répertoriée depuis 1993 par le BLS.
3 Les flux du chômage vers l’inactivité augmentent depuis 2007. En 2008, ils ont représenté en moyenne 1 690 000 personnes par mois (BLS, June 2008).
4 Cf. par exemple Uchitelle et Leonhardt, « Men Are Not Working, and not Wanting Just Any Job », New York Times, July 30, 2006.
5 Sauf ceux licenciés involontairement et qui peuvent bénéficier d’une couverture santé volontaire pendant 18 mois supplémentaires, si celle-ci était prévue dans la couverture santé proposée par leur précédent employeur (entreprises qui emploient 20 personnes et plus) et à condition qu’ils la financent intégralement.
6 L’OCDE (2005) préconise de durcir les conditions d’accès au régime d’invalidité jugées trop laxistes afin de limiter les comportements jugés opportunistes de personnes peu qualifiées et de contrôler l’immigration afin de favoriser l’entrée sur le territoire de personnes qualifiées qui ne feraient plus concurrence aux jeunes américains.
7 Source : BLS (2009), en moyenne annuelle sur 2008, 6,1 % des hommes et 5,4 % femmes sont au chômage.
8 La faiblesse du taux d’activité des jeunes noirs témoigne aussi de leurs difficultés : 32,6 % d’entre eux sont actifs contre 46,9 % des jeunes blancs entre 16 et 19 ans et, respectivement 70,1 % et 76,3 % pour la tranche d’âge des 20-24 ans, cf. Hipple et Mosisa, 2006.
9 Les écarts entre le taux de chômage de ces deux populations peuvent être analysés de deux manières, en termes absolus ou relatifs. Les écarts absolus se calculent par soustraction entre les deux taux de chômage et les écarts relatifs s’obtiennent en faisant le rapport entre les deux taux.
10 Par exemple, dans l’Union européenne à 15, 58,7 % des chômeurs y sont restés plus de 6 mois en 2007 et 42 % plus d’un an contre 17,6 % et 10 % respectivement aux États-Unis.
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