Introduction à la première partie
p. 19-20
Texte intégral
1Quelles sont les spécificités des institutions américaines du marché du travail et, plus particulièrement, de celles qui régissent la législation protectrice de l’emploi (LPE), le syndicalisme, le salaire minimum et le régime d’assurance chômage1 ? Pourquoi peut-on parler aujourd’hui d’érosion de ces institutions pourtant déjà faibles dès l’origine, et quelle est la signification économique de leur déclin qui a considérablement fragilisé les protections des salariés face aux employeurs ?
2De tous les pays de l’OCDE, les États-Unis sont celui où la LPE apparaît comme la moins stricte (OCDE, 2004). Il est vrai que s’agissant d’un pays de Common Law, ce type d’indicateur à l’origine d’un tel classement n’offre qu’une vision tronquée car il ne prend pas en compte les interprétations des juges et toute la jurisprudence qui en découle (Kirat, 2006). Cette faiblesse de la LPE, qui résulte d’une construction historique des rapports de force entre l’État, les syndicats et le patronat, a été en quelque sorte compensée par les tribunaux et le développement jurisprudentiel en matière de contentieux du travail. Mais il n’en reste pas moins vrai que le droit du travail américain fait la part belle aux employeurs qui continuent de disposer de larges prérogatives (Courtois-Champenois, 1997). Ainsi, la relative indigence de la LPE demeure en cohérence avec une vision du marché du travail où dominent les principes de la flexibilité et d’un interventionnisme public aussi faible que possible. Supposées être sources de rigidités, les institutions du marché du travail se bornent, suivant ces principes, à combler les défaillances du marché sans en fausser les principes d’ajustement. En conséquence, les contrats de travail peuvent être très facilement rompus, procurant aux employeurs une facilité d’ajustement et d’adaptation au marché pratiquement sans équivalent dans les pays de l’OCDE et permettant, en retour (du moins théoriquement), une reprise rapide de l’embauche lorsque le marché s’améliore. La protection de l’emploi n’est pas pour autant inexistante. Mais exception faite des travailleurs représentés par un syndicat et protégés collectivement, conformément au droit du travail, elle repose aujourd’hui essentiellement sur des principes de lutte contre les discriminations au plan individuel. Dans ce dernier cas, le coût de licenciement de certains salariés « protégés » peut être très élevé, ce qui dissuade les employeurs de procéder à certaines séparations abusives.
3Le déclin du syndicalisme américain a une importance capitale dans l’affaiblissement du rôle des institutions du marché du travail, dans un espace autrefois « dual » où les protections de l’emploi ont été longtemps accordées aux seuls salariés syndiqués. Nous verrons ici que ces prérogatives syndicales ont été battues en brèche dès l’après-guerre et que, en conséquence, le recul syndical s’est amorcé dès les années 1960. La négociation collective est désormais ravalée au rang de phénomène résiduel et le nombre de ses bénéficiaires à une portion congrue. Cette évolution a considérablement réduit la portée des lois régissant les relations collectives de travail (Labor law), laissant se développer un droit de l’emploi (Employment law) destiné à protéger les droits individuels des travailleurs sur leur lieu de travail.
4De nos jours, la portée régulatrice des institutions du marché du travail, sans être négligeable, est particulièrement limitée, constituant sans doute un terreau propice au développement des emplois à bas salaire (Gautié et Schmitt, 2009). L’évolution du salaire minimum et du régime d’assurance chômage mérite une attention particulière car leur faiblesse pose de réels problèmes de régulation du marché du travail, surtout en période de récession économique et de montée du chômage. Le salaire minimum fédéral n’a jamais été un instrument efficace de redistribution des revenus et de lutte contre la pauvreté laborieuse, mais le niveau extrêmement bas auquel il se situe le vide de tout sens économique. Ce salaire minimum ne concernait en 2008 que moins de 2 % des salariés et ne peut, en conséquence, être accusé de rigidifier les salaires ou d’augmenter le coût du travail pour les entreprises. La plupart des États et même certaines grandes villes ont d’ailleurs choisi de fixer des minima salariaux nettement au-dessus du seuil fédéral. De la même façon, les lois existantes en matière d’indemnisation du chômage apparaissent largement inadéquates car inadaptées aux transformations structurelles du marché du travail et aux caractéristiques dominantes des emplois d’aujourd’hui. Particulièrement peu généreuse, cette indemnisation du chômage ne bénéficie qu’à un nombre de plus en plus réduit de chômeurs.
5Quelles sont les conséquences du niveau particulièrement bas de la régulation du travail et de l’emploi aux États-Unis ? Nous verrons qu’elles se retrouvent essentiellement dans une dualisation de plus en plus affirmée du salariat américain, entre les salariés encore couverts par une relative protection collective, et la grande masse de ceux qui en sont aujourd’hui dépourvus.
Notes de bas de page
1 Le terme « institution » désignera l’ensemble des réglementations et des politiques qui affectent le marché du travail. Cette acception large recouvre donc les réglementations (lois, négociations collectives, coutumes et pratiques), les politiques ainsi que les structures qui régissent le marché du travail, les conditions de travail et d’emploi.
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