La traversée d’un missionnaire. La lettre-journal de Joseph Cretin à sa sœur Clémence Cretin, Le Havre-New York, août-octobre 1838
The transatlantic relationship from a missionary: the newspaper-letter from Joseph Cretin to his sister Clémence, Le Havre-New York, August-October, 1838
p. 181-204
Résumés
En 1838, Joseph Cretin, prêtre du diocèse de Belley, prend la mer avec quelques confrères pour œuvrer dans le nouveau diocèse de Dubuque, dans l’Iowa. Grâce à la politique patrimoniale du diocèse de Minneapolis-Saint-Paul entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, la correspondance active entre Cretin et sa sœur a été conservée, et il est donné ici une édition d’une missive exceptionnelle parmi une longue série : une sorte de journal que Joseph a adressé à sa chère Clémence durant les semaines de traversée océanique et qui éclaire les conditions de voyage d’un navire de migrants à cette époque d’un point de vue religieux.
In 1838, Joseph Cretin, priest of the diocese of Belley (France), crossed the Atlantic Ocean with some colleagues to work in the newly created diocese of Dubuque, Iowa. Thanks to the preservation policy activated by the diocese of Minneapolis St. Paul at the end of the 19th century and the beginning of the 20th century, historians can benefit from Cretin’s correspondence, mainly letters he sent his sister Clemence. One of them – the longest one – is published here: Cretin wrote during weeks of crossing a kind a diary he addressed his sister. This document sheds light on all the migrants’crossing at the time, especially through a religious perspective.
Entrées d’index
Mots-clés : Correspondance, Joseph Cretin, États-Unis d’Amérique, Religion, Navigation
Keywords : Correspondence, Joseph Cretin, United States of America, Religion, Navigation
Texte intégral
1Né en 1838 en Irlande, John Ireland émigre aux États-Unis avec sa famille en 1848 et s’installe dans le Minnesota en 1852. C’est là qu’il est repéré par le premier évêque de la ville arrivé l’année précédente, le Français Joseph Cretin, qui l’envoie avec un autre jeune Irlando-Américain, Thomas O’Gorman étudier au petit séminaire de Meximieux, sa propre alma mater dans le diocèse de Belley en France. O’Gorman deviendra évêque de Sioux Falls en 1896 ; revenu dans le Minnesota en 1861, Ireland sera quant à lui archevêque de Saint-Paul de 1888 à 1918. Durant toute sa vie, il n’aura de cesse de rendre hommage à Cretin et au clergé français qui l’a accompagné dans la création du diocèse. Plus généralement, il fit beaucoup pour la connaissance historique de la période pionnière de son diocèse. Il demanda notamment à des prêtres français, qui avaient connu Cretin avant son départ pour l’Amérique, de mettre par écrit leurs souvenirs de l’homme ; il fit de même avec certains des premiers prêtres du diocèse de Saint-Paul ayant œuvré dans les années 1850. Il créa une société et une revue d’histoire diocésaine – Acta et Dicta – pour publier souvenirs et études, y rendant lui-même régulièrement hommage aux anciens. Il se lança en outre dans la rédaction d’une biographie de Cretin, qu’il ne put cependant achever avant sa mort et dont seuls les premiers épisodes furent finalement publiés. Plus important pour l’historien, cet effort hagiographique déboucha sur la collecte en France des archives de Joseph Cretin, conservées par sa famille et déposées désormais dans les archives diocésaines1. De ce fonds se détache un ensemble particulièrement précieux : les lettres envoyées par Cretin à sa sœur Clémence entre son départ de l’Ain en 1838 et sa mort en 1857. Malheureusement aucune lettre de Clémence ne nous est en revanche parvenue. La lettre éditée ici est de loin la plus longue, même si sa version manuscrite est paradoxalement bien réduite : les cinquante-mille caractères de cette longue missive de Cretin tiennent sur le recto et le verso d’un grand feuillet rempli d’une écriture microscopique en fines colonnes.
2Joseph Cretin voit le jour le 9 décembre 1799 à Montluel, dans l’Ain. Son père, que l’état-civil qualifie de boulanger, est issu d’une lignée de petite bourgeoisie locale que ses enfants vont perpétuer : l’aîné, Jean-Baptiste, est propriétaire puis aubergiste et épouse Benoîte Chanoz, fille d’un propriétaire également mais de la commune voisine de Bressoles. Le cadet, Joseph, aura donc une belle carrière ecclésiastique. Leur sœur Clémence ne se marie pas, vit très longtemps chez son frère aîné et meurt rentière en 1867 à son propre domicile2. C’est avec sa sœur que Joseph a les liens les plus intenses. Aucune trace de correspondance entre les frères : au regard de ce que le prêtre évoque dans le reste de sa correspondance, il s’agit plus probablement d’une absence de relation que d’une perte des archives. Joseph Cretin nourrit en revanche une affection certaine pour ses nièces Jeanne et Marie et, après le décès en bas âge de la première, entretiendra une correspondance avec la seconde, sans que cela ne change quoi que ce soit aux relations qu’il entretient avec son frère.
3Foi revendiquée ou simple placement du cadet, Joseph est donc envoyé au séminaire : à Meximieux d’abord, l’institution phare de son diocèse ; puis au grand séminaire de l’Argentière, en Ardèche, créé par le cardinal Fesch une première fois sous l’Empire, rapidement fermé par le préfet avant d’être rouvert en 1814. Ces années de formation sont fondamentales pour Joseph Cretin qui y croise deux personnages importants : Perrodin, futur supérieur du grand séminaire de Brou et institution vivante du diocèse de Belley ; et surtout Mathias Loras, son aîné de sept ans, ordonné en 1815, qui part en mission aux États-Unis en 1829. Joseph Cretin clôt son cursus à Saint-Sulpice en 1820 mais revient dans son diocèse d’origine où Mgr Devie a besoin de personnel. En ces années de restauration de l’ordre politique et religieux, les jeunes prêtres sont nombreux et le recrutement sacerdotal explose dans l’Ain comme ailleurs, puisant dans les masses issues des campagnes et des bourgs, à l’image de Cretin lui-même3. Devie place Cretin à Ferney comme vicaire d’abord puis, à partir de 1831, comme curé de la paroisse.
4Le poste est sensible puisque Ferney, marqué par l’héritage voltairien, est aussi une commune dotée d’une très forte communauté protestante, à quelques lieues de Genève. Cretin s’y illustre comme un prêtre de son temps : il est d’abord au cœur d’une culture du miracle comme manifestation de la puissance divine, renforcée par le contexte local où il lui faut en remontrer aux protestants. Ainsi, en 1825, il atteste par écrit, dans le cadre d’une enquête diligentée par son évêque, de la guérison miraculeuse de la paralytique Anne Ilher, que ses médecins calvinistes soignaient en vain depuis quatre ans alors qu’une simple intercession de la famille royale se chargeant de prières à Notre-Dame de Fourvière lui rend la santé4. Comme toute l’Église, Cretin est ensuite pris dans les passions politiques : 1830 est un tournant, car notre homme semblait parfaitement à l’aise sous la Restauration. Sa nomination à la cure de Ferney ne va en conséquence pas de soi, le préfet alarmant même son ministre en mars 1831 :
« Les renseignements que je me suis procurés portent qu’il est de notoriété publique que Mr Chrétien a vu avec douleur les événements de juillet ; qu’il s’est opposé autant qu’il l’a pu aux prières pour le roi, […]. Il passe pour avoir beaucoup de moyens, de finesse, de fanatisme politique et religieux dans le sens de la gazette de France et des jésuites5. »
5Le portrait est dur et Cretin dépeint comme un tenant de l’intransigeance la plus absolue. Mais l’évêque confie avoir du mal à trouver un desservant pour une paroisse comme celle de Ferney, et le préfet, très raide, est bientôt remplacé par un homme plus conciliant, qui en juillet, avertit Paris :
« Les premiers renseignements que mon prédécesseur avait recueillis, à une époque où les prêtres étaient peut-être plus hostiles, étaient défavorables : ils étaient d’ailleurs fournis par des protestants. Ceux que je me suis procuré ne sont pas de nature à provoquer une opposition à ce choix. Ferney est une des paroisses pour lesquelles M. l’évêque a fait le plus de sacrifices, et elle présente si peu de ressources à ses desservants qu’elle ne peut être l’ambition de personne. L’abbé Chrétin y a été vicaire, et la majorité des habitants ne lui est point opposée6. »
6La place de Cretin est alors assurée – mais à un moment où lui-même hésite fortement à la garder. En effet, il est aussi pris dans l’élan missionnaire qui anime alors l’Église de France, autour notamment de l’œuvre de la Propagation de la Foi et des réseaux lyonnais que Cretin connait bien. Devie place comme vicaire aux côtés de Cretin, le père Chevron ; les deux hommes parlent missions mais sont freinés dans leur élan par Mgr Devie7. Cette même année un confrère et cousin de Cretin, l’abbé Bernard, est témoin de la relation entre le curé de Ferney et Pierre-Louis-Marie Chanel, jeune eudiste connu ultérieurement comme le « premier martyr de l’Océanie8 ». Cretin se prépare lui aussi et prend contact avec les Missions Etrangères pour partir en Cochinchine9. Il n’en fera finalement rien, demeurant à Ferney jusqu’à ce que Mathias Loras le sollicite.
7Loras vient en effet d’être nommé évêque de Dubuque, siège nouvellement créé pour accompagner la fondation de l’Iowa. Lui-même fruit du réseau lyonnais, il s’appuie sur une tradition toute récente et revient en France une fois nommé pour recruter, dans les séminaires et parfois les paroisses, du personnel pour son diocèse, en profitant de ses connaissances locales10. Il mobilise ainsi deux prêtres, Antoine Pélamourgues, du diocèse de Rodez, et Joseph Cretin ; et quatre sous-diacres enlevés à leurs séminaires – Lucien Galtier (de Rodez), Augustin Ravoux (du Puy), Rémi Petiot et Jacques Causse, qui choisirent d’accompagner Loras vers l’Iowa. Les quatre derniers commenceront par un séjour au séminaire d’Emmitsburg, dans le Maryland, afin d’achever leur formation. Une fois formée, la petite troupe rejoint Paris puis Le Havre, où la plupart d’entre eux découvrent sans doute la mer en même temps qu’ils doivent imaginer passer l’océan. Il faut attendre quelques jours que les vents soient moins défavorables avant d’embarquer le 27 août avec plus de quatre-cent-quatre-vingt dix passagers11 sur le Lyons, un navire américain de 400 tonneaux sous les ordres du capitaine Agray12.
8Les quelques semaines qui suivent font vivre aux nouveaux missionnaires une expérience inédite et que peu revivront13. Isolés des migrants qui occupent les ponts inférieurs, ils sont correctement logés dans des appartements privilégiés et vivent de manière singulière un temps d’attente qui n’est pas pour autant un temps vide14. Il est effet tout occupé par la crainte de la tempête et du naufrage, omniprésente sous la plume du prêtre dès les premiers moments en Manche et plus encore, évidemment, lorsque les éléments se déchaînent au milieu de l’Atlantique et que surgissent les traces de catastrophes très récentes. Avec, à l’arrivée, le sentiment d’avoir échappé au pire comme par miracle. Mais ce temps est aussi saturé d’activités « professionnelles » de manière à éviter un ennui que le prêtre doit craindre car il serait porteur de mauvaises pensées : ainsi on poursuit sa formation linguistique, on se livre régulièrement aux exercices spirituels et aux lectures religieuses, et surtout on prend en charge les fidèles du bord. Cretin affirme que la plupart des Allemands à bord (il comptabilise sans doute les Alsaciens, voire les Comtois minoritaires, avec eux) sont catholiques et ils bénéficient, chose rare, d’une présence ecclésiastique dense – resterait à savoir comment vivent les éventuels protestants. La messe est donc célébrée quotidiennement, du moins tant que le temps le permet. Surtout on assiste au déploiement en mer d’une riche culture musicale, que partagent apparemment prêtres français et migrants germaniques et qui permet de faire face à l’angoisse d’hommes et de femmes perdus au milieu de l’océan, ne sachant ni s’ils vont survivre à la traversée ni quelle vie ils vont pouvoir construire en Amérique. Et de ce point de vue, si le petit groupe autour de Loras se distingue par son statut sur le navire, il partage tout à fait l’expérience des autres passagers : comme eux, les religieux passent l’océan pour trouver une position sociale et professionnelle nouvelle dont ils rêvent sans cesse ; comme eux, ils partent grâce à des réseaux, en suivant la chaine migratoire. Ces missionnaires sont tout simplement des migrants.
« Mr J. G. Crétin à Melle Cretin à Montluel
A bord du Lyon, ce 30 août 1838
Ma très chère sœur,
Je viens commencer aujourd’hui avec toi cette correspondance que je t’ai promise. C’est balancé sur les flots de l’immense océan, où nous venons d’entrer que je te trace ces lignes, qui peut-être ne te parviendront jamais. Ce sera toujours une douce consolation pour moi de me voir transporté au milieu d’un long voyage, de me représenter que je te vois, que je te parle, que je te raconte les aventures de ma navigation et s’il ne m’est jamais donné de te le raconter de vive voix, ce sera comme un adoucissement pour toi, à ta douleur, de recevoir les nouvelles d’un frère qui t’aime avec tant de tendresse, et j’espère que mes lettres te parviendront. J’en attends une de toi, avec impatience à mon arrivée à New-York. Pense, combien il a dû m’en coûter pour quitter la France sans avoir la moindre nouvelle de ma famille, quoique j’en ai demandé à Mr Boissonnat15 et à d’autres personnes ! On a bien présenté une lettre à l’hôtel où je logeais, mais en mon absence, et on ne l’a pas reçue. Je l’ai réclamée en vain au bureau de la poste, elle n’a pas été retrouvée. J’ai recommandé le tout au bon Dieu et à la sainte Vierge, et je suis parti avec confiance, me rappelant la réponse que fit Notre Seigneur à ce jeune homme qu’il appelait à Lui et qui lui demandait d’aller auparavant rendre le dernier devoir à son père. Cependant Jésus-Christ n’était pas barbare si tu as un peu l’esprit de l’Évangile, tu dois aisément me pardonner et justifier ma conduite, pour moi je crois avoir suivi la volonté de Dieu et je suis bien tranquille. Je veux faire tout mon possible pour correspondre de plus en plus à ma haute vocation. Tu continueras à bien prier pour moi, déjà je crois avoir ressenti les effets salutaires de tes prières et de toutes celles que d’autres personnes adressent pour moi à Dieu.
Je consacrerai au moins deux ou trois jours par semaine pendant la traversée pour t’en faire l’histoire, je ne t’épargnerai pas les détails, parce que je sais que les moindres choses qui me touchent peuvent t’intéresser, mais n’oublie pas que c’est pour toi seule que j’écris. Commençons. Je t’ai déjà dit combien j’avais été édifié à l’hôpital du Havre où nous avons resté pendant huit jours en attendant les vents favorables. J’eus le temps pendant cette semaine de ranger plusieurs affaires auxquelles mon départ précipité ne m’avait pas permis de mettre ordre. Enfin le lundi 27 août un vent moins contraire s’éleva. Le départ fut annoncé dès dix heures du matin pour midi, nous prîmes nos dispositions pour ne pas manquer à l’appel. Nous fûmes donc installés à bord du Lyon, grand navire de 120 pieds de long sur 30 de large, dans un appartement fort propre s’élevant sur le pont et ayant 15 pieds de long sur 12 de large. Dans cette même chambre deux rangs de lits super étroits (deux pieds et demi au plus) s’élèvent de chaque côté et offrent un lieu de repos plus commode que je ne l’aurais cru. Il m’arrive assez souvent d’oublier, pendant la nuit, et à mon réveil, que mon chevet n’est séparé que d’un pied du plancher, et de le heurter assez violemment de ma tête. Ces deux rangs de lits, fermés par des rideaux propres, ne laissent plus apercevoir, pendant le jour, qu’une espèce de salon et de salle à manger, où se trouve une table de dix pieds de long sur quatre de large, bordée tout autour, et dans le milieu, des rebords de deux pouce de hauteur pour retenir les assiettes et les plats que le mouvement du navire ne manquerait pas de jeter à terre. Maintenant, que tu peux te faire à peu près une idée de notre logement, parlons de notre voyage.
Nous sortîmes donc du port du Havre le 27 août à midi et demi, par un temps magnifique. Les quais étaient couverts de curieux au moment où nous franchîmes la barre du port, de grands cris se firent entendre, c’étaient les matelots, les passagers et les curieux du port qui se faisaient naturellement leurs adieux de la voix et du geste. Trainés à la remorque par un grand bâtiment à vapeur pendant deux heures nous fûmes bientôt en pleine mer où toutes les voiles furent déployées. Le vent, sans être violent, était propice, le navire semblait glisser sans la moindre agitation, sur la surface de l’eau calme et paisible, le ciel était toujours pur et serein. Chacun jetait un dernier regard sur la France où il laissait tant d’objets d’affection. Peux-tu croire que je fus alors insensible aux sentiments divers qui se pressaient en foule dans mon cœur, dans cette occasion solennelle combien de fois ne vous dis-je pas à tous adieu avec la plus vive tendresse ! combien j’aurais désiré alors vous voir et vous embrasser pour vous consoler, mais je remis ce soin au bon Dieu et à la Ste Vierge. Je fus bientôt rappelé de ces idées tristes par le spectacle animé qui s’offrait à mes yeux, celui de nombreux passagers et de leur famille qui tous répandus sur le pont, jouissaient, pour la première fois, du magnifique spectacle d’une belle soirée en mer. Les enfants, au nombre de plus de 80, de toute âge et de toute sexe, prenaient leurs ébats sur le pont, les grands se mirent à chanter en accords parfais ; de notre côté, sur la moitié du point qui nous était réservé et sur le sommet de notre appartement qu’offre une terrasse magnifique nous nous mîmes à chanter quelques cantiques : Le magnificat, l’ave maris stella, les voix des passagers s’unirent à nous, un instrument nous accompagnait, tout le monde était enchanté. On ne pût faire la prière en commun avec tous les passagers parce qu’il y a au moins cinq religions diverses : Luthériens, Calvinistes, Anabaptistes, Anglicans et un assez bon nombre de catholiques, plusieurs sont des Alsaciens et vont chercher fortune aux États-Unis où on leur donne à vil prix des terres à cultiver16. Ce ne fut qu’avec peine que chacun quitta le pont pour aller se livrer au sommeil. La nuit fut paisible, l’allégresse et la joie reparurent avec le soleil, la mer était toujours tranquille, un vent frais et léger nous poussait sans secousse hors de la Manche. Ce temps si propice permis dès le lendemain de notre départ de célébrer la Ste Messe dans notre appartement, ce fut Mgr17 qui la célébra ce jour-là. Tu ne saurais te faire une idée de l’impression qu’on éprouve à la pensée qu’un Dieu vient descendre parmi les hommes, par amour pour eux non seulement sur tous les lieux de la terre, mais encore jusque sur les flots, dans les abîmes des mers les plus vastes et les plus désertes. C’est bien alors qu’on reconnaît le fidèle accomplissement de ces paroles du prophète : « Mon nom est grand du couchant à l’aurore, un sacrifice d’agréable odeur me sera offert dans tous les lieux ». Le reste de la journée fut très beau, nous avancions assez rapidement, sans aucune agitation. Le ciel était pur, la chaleur remarquable, les côtes de la Normandie reparurent pendant plus de deux heures à nos yeux. L’un de nous les salua par l’improvisation suivante sur un air connu : “France, pour la dernière fois/Nous voyons tes riantes plages/Du Seigneur écoutant la voix/Nous cinglons vers des bords sauvages/Astre des mers brille à nos yeux/Écarte loin de nous l’orage/Trace nous la route des cieux/Conduis nous en paix au rivage.” Nous jouîmes encore du beau spectacle du soleil couchant sur une mer paisible tandis que la lune s’élevait à l’orient avec lenteur. La nuit qui survint nous permis de découvrir le haut phare de Barfleur qui s’élève sur une tour de plus de deux cents pieds. Au même instant, le bruit bien distinct de plus d’une cinquantaine de coups de canon vint, roulant sur les flots jusqu’à nous, nous pouvions alors être en face de Cherbourg, mais à une grande distance, nous rappelant que c’était la fête officielle de la naissance du comte de Paris18, que nous avions apprise avant notre départ du Havre.
Tous les passagers contemplaient le beau spectacle qui s’offrait à leurs yeux, le ciel tout rouge à l’occident, la mer comme en feu, l’on chantait des chansons et des cantiques. Tout à coup, un vent assez violent s’élève, les chansons profanes cessent, tous les visages deviennent sombres et inquiets, les premières frayeurs du naufrage se manifestent. Tous ceux qui pour la première fois, voyageaient sur mer, craignaient, à chaque instant, que le vaisseau ne s’abîmât sous les flots en le voyant s’élever et s’abaisser, tout à coup, comme s’il allait sombrer, et surtout en le voyant fort incliné et prêt à se coucher sur le flanc. Les matelots riaient de la frayeur des passagers, et on les voyait avec effroi grimper au sommet des mâts, se tenir suspendus à l’extrémité des vergues pour diriger les cordages, malgré la violence du vent. Si les gens savaient sanctifier leurs peines et leurs périls, ils acquerraient bien du mérite, mais la plupart ne pensent point à Dieu. Notre équipage est cependant fort bien composé, le capitaine est un charmant homme ainsi que le second, l’on entend pas un jurement, le commandement et la manœuvre se font sans colère. Le vent continua pendant toute la nuit et le jour suivant. Alors presque tout le monde, excepté les matelots, éprouva le mal de mer qui provoque aux vomissements. La plupart furent obligés de se lever pendant la nuit, ce n’était que cris et plaintes universelles surtout sur l’entrepont où se trouvaient plus de deux cents passagers avec leur famille tous dans un appartement. Représente-toi plus de soixante-dix enfants qui pleurent et vomissent, des mères qui atteintes de la même indisposition ne peuvent les soulager ; elles regrettent bien alors leur pays. La plupart grondent leurs maris de les avoir amenées sur la mer pour les y faire mourir avec leurs enfants. Ce n’est pas tout, à ces cris se joignent ceux des animaux qui tous sont aussi atteints du mal de mer. Les chiens, les poules, les moutons, les dindes, les oies, les canards crient à leur manière, et même vomissent, plusieurs canards succombent et sont jetés à la mer. Tu me demanderas peut-être d’où viennent donc tous ces animaux ? Ce sont les provisions qu’a fait notre capitaine pour nous faire tous les jours manger de la chair fraîche. Jusqu’à présent il a eu bien soin de nous, il nous traite fort bien mais nous pensons bien que ces provisions ne dureront pas toujours et qu’il en faudra venir à la viande salé. Parmi tant de malades, j’ai été presque le seul épargné, je n’ai nullement ressenti le mal de mer tandis que tous ces messieurs19 et Mgr en ont été atteints, il n’y a que trois ou quatre personnes d’exemptes et j’ai été du nombre. Ce sont sans doute tes prières et celles des personnes qui prient pour moi qui m’ont sauvées de cette première épreuve du voyage. Continue à bien prier pour moi et ne demande pas seulement à Dieu qu’il me préserve des accidents et des maux temporels, mais demande-lui en tout qu’il me fasse croître dans son amour et qu’il fasse de moi un bon missionnaire. La principale peine que j’ai éprouvée jusqu’à présent, c’est la privation du sommeil, je n’ai pas encore pu m’habituer au bruit des voiles, des vents et des vagues, au mouvement de la manœuvre, cependant je me porte très bien ? Je profite des moments de loisir que me laisse l’étude de la langue du pays20 pour écrire quelques moments. Avançons. Nous en étions donc à la maladie générale, ce jour-là il n’y eut point de déjeuner, point de dîner, point de souper, ou plutôt, il n’y eut qu’un ou deux convives à ces repas, et j’étais du nombre. Le calme étant revenu le lendemain, la plupart furent un peu remis, mais un certain nombre sera indisposé, il en est même encore trois des nôtres qui n’ont pu recouvrer l’appétit
Cette journée du vingt neuf fut encore fort agitée. La vue de cette agitation inspira à l’un de nous ces mots sur l’air précédent : “Seigneur, que ton nom soit béni/Dans le calme et dans la tempête/N’est-ce pas toi être infini/Qui le déchaîne sur ma tête/Puisse la crinate et la mort/Faire frémir le cœur coupable/Et que la Grâce du remords/Le ramène et ton joug aimable.”
Les côtes de l’Angleterre et de l’Irlande se montrèrent à nous dans l’après-midi, puis toute espèce de terre disparut à nos yeux. Le ciel et l’eau étaient les seuls objets qui frappaient nos regards, et qui sait quand la terre nous apparaîtra ? Nous fûmes cependant agréablement surpris de voir à l’horizon plus de trente navires qui se rendaient au Havre, de diverses contrées du monde, ou peut-être qui en venaient. La journée du trente fut fort belle, la joie reparut sur le pont, les enfants revinrent y jouer s’imaginant avoir échappé à un naufrage et à la mort. Le mal de mer était un peu passé. Les chants allemands et religieux recommencèrent pendant la belle soirée éclairée par une belle lune. La nuit fut paisible et le réveil agréable, j’eus le bonheur de célébrer moi-même la Ste Messe ce jour du 31, dernier jour du mois d’Août. Je me sentis d’une manière extraordinaire, avec quelle ferveur je priai pour mon père, pour toi, pour toute la famille et les personnes que j’ai quitées. Nous eûmes ce jour-là un calme parfait, une chaleur super-extraordinaire, quelques poissons s’étant montrés autour de notre navire, nous essayâmes d’en prendre quelques-uns à la ligne pour notre dîner ; c’était un vendredi et chose admirable, en moins de deux heures, nous prîmes treize gros poissons pesant tous au moins 8 ou 10 livres chacun. Le capitaine appelait ces poissons petits dauphins et les matelots petits requins ; quoi qu’il en soit, ils étaient fort bons, mais par une fâcheuse mésaventure nous ne pûmes en goûter que quelques légers morceaux. Comme on portait tous ces poissons à la porte de la cuisine, de nombreux passagers allemands s’imaginant que nous le leur abandonnions s’en emparèrent, les dépouillèrent et les firent aussitôt cuire pour eux, et ce ne fut qu’en allant en prendre dans leur plat que nous pûmes en goûter, nous ne dînions qu’à deux heures et eux à midi. Nous vîmes ce jour-là et les jours suivants de gros marsouins qui venaient bondir autour de notre navire, mais on n’essaya pas même de les prendre à la ligne, on les prend avec des harpons, les matelots les laissèrent courir. Le lendemain 1er 7bre, même journée, belle et calme, nous n’avancions pas, le capitaine s’inquiétait. On se mit à penser à la disette d’eau et de vivres qui ne manquerait pas de se faire bientôt sentir par une si grande multitude. Nous ne sommes que neuf nourris par le navire, et à la table du capitaine. Tous les autres passagers ont dû se procurer leurs vivres mais qu’il est à craindre que plusieurs n’aient pas bien calculé, ou que n’étant pas habitués au lendemain, ils ne mangent tant que dureront leurs provisions. C’est ce que font beaucoup d’Allemands, on les voit manger toute la journée. Que deviendrons-nous au milieu de cette troupe affamée ? ne nous faudrait-il pas partager aussi leur misère ? Ces tristes pensées préoccupaient bien du monde, nous aurions souhaité en quelque sorte une tempête qui nous poussât plus vite vers le port. À cette crainte vint s’en joindre une autre non moins terrible. Le nègre qui nous sert, obligé d’aller fréquemment d’un bout du navire à l’autre, coupa une corde placée près du grand mât et qui sert à empêcher les gens de l’entrepont, ou de seconde place, à venir jusqu’à nous. Le lieutenant l’ayant vu, lui assène un grand coup de poing, tout le monde frémit en voyant le nègre irrité, et alors armé par hasard d’un grand couteau de cuisine. La prudence et l’intervention subite du second arrêta pour le moment une scène tragique. Le lieutenant ayant ensuite voulu frapper ce pauvre noir avec un bâton, les autres matelots accouraient déjà pour le défendre, quelques paroles de Mr Loras et la prudence du capitaine arrêtèrent tout. Mais chacun fut ému et triste de cette scène, en pensant au danger que nous aurions couru si une révolte avait éclaté à bord21. La journée du deux 7bre, le dimanche, fut très orageuse, on ne pût célébrer la Ste Messe ce jourlà, à cause du gros temps. Le mal de mer reprit à la plupart, et nous eûmes un vent violent et contraire pendant cinq jours et assez souvent une pluie affreuse, il était bien difficile pendant tout ce temps de fermer l’œil. On ne pouvait voir sans effroi les énormes vagues qui venaient battre le flanc du navire. La nécessité où l’on était de lutter contre le vent forçait le vaisseau de prendre une direction oblique, et pendant ces cinq jours il vogua complètement sur le flanc, et je ne peux encore comprendre comment il n’a pas plusieurs fois chaviré, il faut qu’il soit solide et d’aplomb comme il l’est pour avoir pu résister. Il nous était impossible de nous tenir dans notre chambre et sur le pont, et même, il fallait se cramponner dans son lit pour n’être pas jeté sur le plancher, malgré une planche d’un pied de haut qui servait à nous y retenir. Souvent pendant le repas, tous les plats, les assiettes, les verres étaient entraînés par terre et il y a eu force vaisselle cassée. Il nous arrivait bien de temps en temps de faire de sérieuses réflexions sur le naufrage mais, chacun de nous était parfaitement résigné. Malgré la confiance que nous avions en Dieu et en la Ste Vierge nous ne nous prétendions pas à l’abri du danger parce que Dieu pouvait avoir ses vues soit pour nous soit pour d’autres, en nous appelant à Lui. Le souvenir des prières que tu faisais pour moi me rassurait un peu, continue à bien prier et à faire bien prier la petite Jeannette quand elle le pourra, et Mariette22 aussi, si elle veut être bien sage, je lui porterais quelque chose de bien joli quand j’irai à Montluel. Pendant ces jours d’orage le nombre de passagers s’accrut d’un individu. Un enfant français, premier né naquit à bord le deux et fut baptisé solennellement le trois par Mgr, il reçut le nom de Charles Marie Lyon, nom du navire où il était né. On désigna dans l’acte les degrés de latitude et de longitude où nous étions, savoir par le 15° 40’de latitude et le 7e degré de longitude occidentale, à près de 400 lieues du Havre. Un accident qui pouvait avoir des suites très fâcheuses survint pendant ces jours d’orages. Comme les Allemands avaient laissé du feu dans le lieu où ils avaient fait leur cuisine, sur le pont, cette cabane fut brûlée pendant la nuit malgré le secours des matelots de garde, si le navire eût pris feu nous aurions été bien logés.
Le samedi 8 7bre fête de la Nativité, le calme revint. On pût célébrer la Ste Messe ce jour-là, c’était le tour de Mgr, ce fut une bien grande consolation pour nous. J’avais toujours le bonheur de faire la sainte communion, quand je ne pouvais célébrer moi-même. Nous fûmes dans une immobilité complète jusqu’après midi. Tous les passagers qui étaient enfermés depuis huit jours à cause du mauvais temps reparurent sur le pont, c’était une joie, un bruit extraordinaire. Dans l’après-midi un vent propice et agréable s’éleva, ce qui contribua à accroître l’allégresse générale, les chants et les cantiques pieux se prolongèrent assez avant dans la nuit, la température était fort douce, la plupart des Allemands qui étaient catholiques s’unissaient à nous avec leurs voix musicales dans les chants de psaumes et des hymnes à Marie. La nuit ne fut pas aussi belle que la soirée nous l’avait promise, un violent orage, une pluie abondante vint nous empêcher de jouir du repos. La matinée fut encore orageuse, je pus cependant célébrer la Ste Messe, c’était mon tour, et le dimanche 9, un bon nombre de passagers y assista. Je fus extrêmement consolé par l’offrande de cet auguste sacrifice, il est inutile de te dire que je l’offris spécialement pour la famille et pour demander une heureuse traversée.
C’est aujourd’hui dimanche que je t’écris, mon esprit et mon cœur se sont souvent reportés à Montluel et à Ferney23, je me demandais ce que l’on y faisait à telle heure, je m’unissais aux offices auxquels vous assistiez, et je vous recommandais tous au bon Dieu. J’ai été bien inquiet pour mon Père depuis hier, 8 7bre au matin, en recevrai-je de bonnes nouvelles à New-York, à mon arrivée ? J’en attends avec impatience, je prie bien souvent pour lui. Connaît-il mon départ ? Qu’en a-t-il pensé ? J’ai redouté quelquefois sa malédiction. Oh non ! Dieu lui aura donné des pensées plus chrétiennes. Tu l’auras consolé, toi, et lui aura fait envisager la chose avec plus de foi. Il y aura demain quinze jours que nous sommes embarqués, et il nous est impossible de prévoir quand nous aborderons au port. Les vents nous sont tantôt favorables et tantôt contraires, cependant nous n’espérons pas y arriver avant un mois, c’est-à-dire avant le dix ou le quinze octobre. Notre capitaine ne nous dit rien de notre position, il est certain qu’il nous reste encore plus de mille lieues à franchir avant de revoir la terre. Il m’arrive souvent de jeter les yeux tout autour de l’horizon et je ne découvre que le ciel et l’eau. Dans les premiers jours de notre départ, nous apercevions un certain nombre de navires, ce qui ne laissait pas de réjouir un peu mais depuis quatre jours, nous n’en avons point découvert. Quelques hirondelles de mer et des oiseaux de la tempête un peu moins gros que les corbeaux sont les seuls êtres vivants qui se montrent de temps en temps derrière notre navire, depuis cinq ou six jours nous n’avons pas vu un seul poisson. Chose étonnante, trois fois la veille des plus grands orages que nous avons essuyés, des troupes d’oiseaux, dits de la tempête, sont venus s’abattre autour de notre navire et nous annoncer en quelque sorte le mauvais temps. Comment vivent donc ces oiseaux à plus de cinq ou six cents lieues des terres ? Ils passent la nuit sur les flots qui les portent. Nous sommes ici comme perdus dans un désert immense, s’il se faisait seulement une légère ouverture au vaisseau, nous descendrions dans l’abîme qui se refermerait sur nous et il ne resterait pas le moindre vestige de notre passager, mais comme je le lisais dans l’Évangile ce jour, Dieu prend soin du passereau et de l’herbe des champs, oublierait-il ceux qui ont tout quitté pour son amour ? Oui, ma sœur, cherchons avant tout le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste nous sera donné comme par surcroît. Je crois déjà avoir ressenti l’effet de cette promesse du Fils de Dieu : ceux qui auront tout quitté pour mon amour recevrons le centuple en cette vie et la vie éternelle dans en l’autre. J’espère bien que le reste de la promesse recevra son accomplissement. Prie bien toujours pour moi, pour que je réponde à ma haute vocation, que je croisse en zèle, en humilité, en piété.
J’ai été bien satisfait de pouvoir aujourd’hui rassembler autour de moi un certain nombre d’enfants catholiques et parlant français pour leur faire le catéchisme, fonction que j’aimais tant à remplir et que je ne confiais pas à d’autres, ces enfants paraissaient bien touchés, ils appartiennent à quelques familles des environs de Besançon et qui vont s’établir aux États-Unis sur la sollicitation de quelques-uns de leurs parents qui s’y sont enrichis24. Il y a beaucoup à profiter pour le Ciel dans tout ce qu’on observe autour de soi pour peu que l’on soit attentif. Je vois là une foule de personnes qui font de bien grands sacrifices pour des motifs purement humains, j’en vois qui ont une peine excessive tel que les matelots et qui sans cesse sont exposés aux plus grands dangers pour un vil intérêt et aucune des consolations de la foi : et l’on pourrait nous plaindre nous qui avons de si magnifiques espérances pour le peu que nous faisons. Aie bon courage, ma chère sœur, si nous ne nous revoyons pas sur la terre, ce sera dans le ciel.
Il y a huit jours, ma chère sœur, que nous ne nous sommes rien dit ; le temps me durait de reprendre notre entretien, il ne s’est rien passé de bien extraordinaire pendant la semaine qui vient de s’écouler. Nous avons eu trois ou quatre fort belles journées et des soirées magnifiques, plusieurs navires se sont montrés à nous, ils allaient en Europe. Ils ont pu peut-être entendre dans l’obscurité les chants qui s’élevaient de notre bord et que devaient-ils penser s’ils ne nous voyaient pas ? Près de cent personnes chantant en accord dans la nuit au milieu de l’océan, cela devait leur sembler une magie, ou une vision du génie des mers escorté par ces divinités aux chants mélodieux dont nous parlait la fable. Un spectacle fort curieux et que la clarté de la lune ne nous avait pas encore permis d’observer vint frapper nos regards ; dans une obscurité profonde et par un ciel couvert, nous vîmes les vagues autour du navire tout en feu, cette vive clarté ou phosphorescence s’étendait quelquefois plus de cinquante pas, c’est bien à cette vue que l’on peut se convaincre que tout est plein de feu dans la nature. La journée du treize et du quatorze furent fort orageuses, alors recommencèrent les indispositions et les inquiétudes en voyant le navire si incliné, si souvent secoué par de violents coups de vents ; c’était des bourrasques qui se succédaient continuellement. Il me serait impossible de te peindre le mugissement des vagues et le sifflement du vent dans le cordage, tout ce bruit des grandes eaux agitées, vingt diligences roulant avec célérité dans la nuit sur le pavé de la rue où tu résides, le bouillonnement d’une immense chaudière pourraient en donner qu’une idée imparfaite. Pendant ces nuits d’orage, il était bien inutile de songer à dormir, non seulement le bruit de tempête et l’agitation du navire écartaient le sommeil, mais encore les cris sauvages et de gorge poussés par les matelots pour s’entendre dans leur manœuvre. Un soir, tout le monde chantait gaîment sur le pont, cependant, un gros nuage noir paraissait au couchant, je remarquais le capitaine qui l’observait avec inquiétude. La nuit vient et une obscurité profonde nous enveloppe et sur les dix heures du soir, le bourdonnement de l’orage se fait entendre et il est bientôt suivi d’un horrible sifflement. Alors tous les matelots montent au sommet des mâts et des vergues pour replier les voiles, et malgré l’agitation du navire, la pluie qui tombait par torrent et le danger auquel ils étaient exposés, ils se mirent tous à chanter joyeusement, et en cadence, ainsi perchés dans les airs pendant qu’ils prennent des ris, c’est-à-dire qu’ils réduisent l’étendue des voiles. Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, mais je pense qu’ils chantaient leur valeur et les charmes du métier, comme on voit bien les peuples aller au combat enchanteur. La nuit que nous venons de passer (du samedi au dimanche) a été une des plus mauvaises que nous ayons encore eues. Il tombait des averses tous les quarts d’heure, et le vaisseau a éprouvé de plus violentes secousses, vers les minuit, toute la vaisselle qui est à côté de notre chambre est tombée avec fracas. Il ne nous a pas été possible de dire la Messe le matin, dimanche, ca a été pour nous une grande privation. Je me suis uni à toi à Montluel. Voilà cinq jours que nous n’avons pas eu cet avantage. La nouvelle lune et les équinoxes et le Banc de Terre Neuve dont nous approchons, ne nous promettent que des orages. Je crois ne t’avoir pas encore dit que nous portions avec nous le corps entier d’un St Martyr, trouvé dans les catacombes St Assien, martyrisé au IIIe siècle. Le Pape a donné cette précieuse relique au Mr Loras pour son Diocèse dans son voyage à Rome, il faut espérer que ce précieux trésor nous portera bonheur25. Voilà trois semaines que nous sommes embarqués, le temps paraît déjà bien long à plusieurs d’entre nous. On soupire après la terre comme après le ciel, nous en avons peut-être encore pour trois semaines. Voilà, je pense, une assez longue lettre pour une fois, je continuerai dimanche.
Ma chère sœur, avec quel plaisir je reviens vers toi, il y a huit jours que nous nous sommes rien dit ; c’est aujourd’hui dimanche 23 7bre, c’est du sommet de notre navire que je t’écris par un temps magnifique. Mais quelle terrible semaine nous avons passée ! Nous avons eu pour ainsi dire quatre jours de tempête, ce n’est que cette nuit que le calme est revenu. Le mauvais temps a commencé lundi au soir et il n’a cessé que cette nuit. Tout ce que nous avions vu jusque-là n’était rien auprès de ce que nous avons éprouvé ces jours-ci. Nous avons passé surtout une fort mauvaise nuit et nous avions bien lieu de craindre d’être engloutis. D’énormes vagues se précipitaient sur le pont et roulaient comme un torrent de la poupe à la proue suivant le mouvement du navire, ne trouvant pas d’issue assez vaste pour sortir de l’encaissement où elles se trouvaient sur le pont. Tu auras bien de la peine à lire ceci, mais je t’écris en plein-vent sur mes genoux, tu m’excuseras un peu. Nous avons pu célébrer la Ste Messe aujourd’hui mais depuis lundi, nous n’avions pas eu ce bonheur. La satisfaction la plus vive se peint aujourd’hui sur tous les visages, on se félicite d’avoir échappé aux dangers passés, mais on ne songe guère à en remercier Dieu. Les ris et les chants profanes recommencent sur le pont. Quand arriverons-nous ? On nous dit qu’il nous faut peut-être encore 15 jours, tout cela dépend des vents. Nous avons rencontré cette semaine quatre ou cinq vaisseaux, et en ce moment, j’en vois un anglais, qui nous suit à une petite portée de fusil, cette vue me satisfait, que l’on n’a depuis un mois que le ciel et l’eau sous les yeux. Quelques baleines ont passé près de notre navire. Nous avons vu flotter aussi près du bord un corps rond. Il était nuit, il ne nous a pas été possible de distinguer ce que c’était. Était-ce un cadavre humain, débris et victime de la tempête, c’est ce que nous ignorons. À ce sujet, notre capitaine nous racontait qu’il rencontra l’année passée à cette même place à peu près, un navire américain, naufragé depuis un mois. Le navire avait été renversé, puis il s’était relevé, trois matelots morts étaient encore au sommet des mâts où ils s’étaient attachés pour appeler du secours de quelques vaisseaux de passage. L’un avait encore la lunette en main. Il ne put extraire de ce navire que quelque tonneau de farine dont il était chargé. Au milieu des craintes que nous inspirait naturellement la violence du vent, je me rassurais par la pensée que tu priais pour moi avec beaucoup de ferveur ainsi que d’autres pieuses personnes. J’étais parfaitement résigné à descendre au fond des mers, que pouvais-je faire de mieux que de me soumettre à la volonté de Dieu, ce n’était pas toutefois sans dire du cœur un dernier adieu à la famille, et aux personnes qui me veulent du bien. Prie toujours, nous n’aurons peut-être plus de temps aussi mauvais. Un soir, les matelots refusèrent d’obéir au capitaine, le vent déchirait et emportait les voiles, ils ne voulaient pas monter au sommet des mâts pour arrêter ce désordre.
Ce 30 7bre Dimanche. Continuons notre correspondance. J’en étais resté dimanche dernier, je crois, à l’orage et à la tempête qui avait alarmé sérieusement la plupart des passagers et même des matelots qui refusèrent à plusieurs reprises d’obéir au capitaine qui les menaçait du poing s’ils ne montaient aussitôt replier les voiles. Je n’ai rien de semblable à t’annoncer pour la semaine qui vient de s’écouler. Elle a été fort tranquille, mais nous n’avons pas beaucoup avancé. Nous avons pu dire plusieurs dois la Ste Messe, je l’ai dite jeudi dernier, en l’honneur de St Joseph, pour mon Père, qu’il me tarde d’en savoir des nouvelles, avec quelle impatience je désire arriver au port dans l’espoir d’y trouver une de tes lettres qui nous y aura devancé si elle est partie par le paquebot. Nous sommes encore à plus de 300 lieues de New-York et il nous faut encore au moins huit ou dix jours pour y arriver. Nous espérions y être dimanche prochain pour la fête du Rosaire, mais pour cela il nous faudrait un vent violent et très propice et jusqu’ici nous n’en avons point eu, le Seigneur nous l’enverra-t-il ? Nous sommes aujourd’hui dans les brouillards, c’est la première fois depuis notre embarquement, nous avons eu tous les jours la consolation de voir briller le soleil. Nous avons pu dire la Ste Messe ce matin, un plus grand nombre de passagers que de coutume y assistait, on leur fit une petite instruction dont ils ont paru touchés. Il y en a bien une cinquantaine qui entendent le français quoique parlant allemand26. La seule chose un peu remarquable que nous avons aperçue cette semaine, c’est un certain nombre d’énormes poissons que plusieurs de nous croyaient être des baleines, car ils jetaient de l’eau comme elles, nous en avons vu aussi par troupe de moins gros. Nous avons traversé pendant un jour et une nuit une partie du grand banc de Terre-Neuve, où l’on vient de toutes les parties du monde pêcher la morue et la merluche. Comme ce banc a plus de 200 lieues d’étendue, nous n’avons vu cependant qu’un bateau pêcher quoiqu’il y en ait peut-être en ce moment plus de deux mille dans ces parages ; comme il passait hier fort près de notre navire, notre capitaine lui a demandé qui il était, il a répondu schooner de pêche de Boston. L’entretien a duré dix minutes, il a dit qu’il avait fait fort bonne pêche, qu’il avait 500 barriques de morue, qu’il avait été assailli le 2 par une effroyable tempête, précisément le jour même où nous la sentions à plus de cinq cents lieues, jour des équinoxes, il y avait déjà quatre jours qu’il avait quitté les bancs de Terre-Neuve, il n’avançait pas parce qu’il était chargé et qu’il n’avait que de faibles voiles, nous l’eûmes bientôt laissé derrière. C’est la première voix française27 qu’il nous fut donné d’entendre hors de notre bord depuis notre départ. Nous avons encore à redouter la pleine lune, prie toujours, et nous échapperons à tous les périls de mer et de terre. Le jour même que je t’écrivais, le dimanche au matin 30 7bre, nous eûmes pendant toute la journée une pluie très abondante, nous fîmes cependant assez de chemin. La nuit fut assez calme, mais le matin nous fit appréhender une journée terrible. Deux effroyables coups de tonnerre éclatèrent au-dessus de notre vaisseau mais nous en fûmes quitte pour la peur, cependant depuis ce jour-là la mer devint plus grosse, nous eûmes pendant trois jours une agitation aussi violente que la plus forte que nous ayons éprouvée, l’on attribuait ce gros temps à la pleine lune. Je pus cependant célébrer la Ste Messe le mercredi 9 8bre, je l’offris en l’honneur des Sts Anges Gardiens spécialement pour toute la famille priant vos Sts Anges de veiller sur vous d’une manière plus particulière. Nous eûmes cette semaine une ou deux fort belles soirées éclairées par un fort beau clair de lune, la plupart des passagers prolongèrent leur séjour sur le pont au-delà de l’heure accoutumée se livrant à la joie, à des jeux et à des chants divers. J’admirais combien on oublie vite les maux et les dangers passés et puis au moindre orage ces mêmes individus retombaient dans la tristesse et dans la crainte. Nous approchions cependant des côtes d’Amérique, nous n’en étions plus qu’à une centaine de lieues du côté Nord, quoiqu’à plus de deux cents lieues de notre but. Nous vîmes plusieurs oiseaux de terre qui vinrent se percher sur les mâts et nous aperçûmes une volée de colombes de Virginie blanches comme la neige et grosses seulement comme des passereaux. L’eau commençait à devenir moins sombre et plus verte, nous espérions tous être arrivés pour aujourd’hui dimanche 7 8bre et célébrer à terre la fête du St Rosaire et nous voilà encore enfermés dans notre navire ; la terre semble fuir devant nous, nous avons encore plus de cent lieues à faire et nous n’arriverons probablement pas avant mercredi ou jeudi, depuis plusieurs jours nous avons eu des vents contraires et des calmes. Nous n’avons pas même eu la consolation de pouvoir célébrer aujourd’hui la Ste Messe à cause de la violence du vent, je m’en dédommage en récitant un bon nombre de chapelets et en m’unissant à tant de saintes âmes qui dans tout l’univers élèvent aujourd’hui un concert de louanges vers le trône de Marie. Je dirai au moins une dizaine de chapelets ou 4 rosaires. J’ai déjà dit un rosaire ce matin pour toi et pour toute la famille, j’en dirai un pour les habitants de Ferney, le 3e pour le peuple au salut duquel nous allons travailler et le 4e pour demander à Dieu par l’entremise de Marie les vertus qui me sont nécessaires. Ayons toute notre vie, ma bien chère sœur, une bien tendre dévotion à Marie, invoquons-la dans toutes nos peines et nous serons bien consolés, prions-la bien tous, les uns pour les autres, imitons ses vertus et nous aurons l’espérance de nous revoir tous dans la Ciel. Combien je désire que la plus grande union règne toujours entre nous, demandons bien cette grâce au bon Dieu, je la lui demanderai tous les jours moi, encore quelques jours et nous serons au port, mais au véritable port où nous n’aurons plus de naufrages ou de tempêtes à craindre. Il faut avoir voyagé sur mer pour sentir la justesse de cette comparaison qui nous représente le monde comme une mer orageuse et semée d’écueils. Que de précautions, que de vigilance, que d’alarmes, à peine peut-on y jouir d’un instant de repos. On assure que nous approchons des côtes, la sollicitude et l’activité de notre capitaine redoublent, parce qu’est là le danger, il fait souvent sonder la mer pour savoir si nous sommes bien loin des écueils, tout à l’heure nous n’avions que 120 pieds d’eau Il y a quelques jours nous en avions peut-être plus de dix mille
La journée d’hier, lundi 8 8bre, nous a été très favorable, nous avons eu un vent direct qui nous a fait faire plus de 60 lieues dans un jour. Le vaisseau était bien balloté, mais nous nous en consolions par la pensée qu’il approchait du port. Ce matin, à notre réveil, nous avons éprouvé un grand calme, cependant après la Ste Messe, un très bon vent sous un ciel pur s’est élevé, chacun s’attendait à arriver le lendemain ; sur les dix heures, nous aperçûmes plusieurs vaisseaux, il en est un surtout qui fixait les regards des matelots et des passagers parce qu’il semblait s’approcher de nous. En effet vers une heure, on reconnut les signaux des pilotes côtiers qui vont ainsi sur de fort rapides esquifs à 20 ou 30 lieues du port, reconnaître les vaisseaux qui désirent y entrer, et ils en prennent aussitôt le commandement et toute l’autorité du premier capitaine cesse, l’on est forcé de l’accepter, c’est une chose merveilleuse et fort utile que cette mesure, elle épargne bien des accidents sur les côtes. Ce pilote fut accueilli avec une joie universelle, le temps était magnifique, il donna à notre capitaine des gazettes et des nouvelles de New-York, il se mit aussitôt avec nous à table, c’était le moment du dîner. L’allégresse y fut grande, nous avions l’assurance d’arriver de bonne heure, demain, à notre première destination. Cependant une nouvelle qu’il donna vint m’affliger, j’attendais le port avec impatience, surtout dans l’espoir d’y trouver de vos nouvelles mais le capitaine côtier nous assura que le paquebot l’Éric, porteur des dépêches du Gouvernement et de la poste n’était qu’à quelques lieues de nous : à quatre ou cinq lieues, il était cependant parti du Havre deux jours avant nous, le samedi, je le vis sortir du port et il ne part que tous les dis jours des paquebots porteurs de dépêches ; ce n’est donc que dans huit à dix jours que je pourrai recevoir de vos nouvelles. Je ne puis donc encore rien vous dire en réponse à ce que vous m’avez probablement écrit. Il paraît que nous resterons une dizaine de jours à New-York. Je ne quitterai pas cette ville sans t’écrire une seconde fois, nous ne verrons probablement les côtes que demain matin. Je continue ma correspondance à la clarté du réverbère, il est dix heures et demie du soir, j’aime mieux veiller et t’écrire que de me coucher sans pouvoir dormir. Les côtes d’Amérique se sont montrées à nous ce soir, à six heures, au coucher du soleil, on les a saluées par un cri d’acclamation, plusieurs ne pensaient guère qu’ils saluaient avec transport la terre qui devait bientôt leur servir de tombeau. Moi, en la voyant, je pensais au pauvre peuple auquel je pourrais être de quelque utilité. La nuit est venue et nous a montré un grand nombre de phares destinés à éclairer les écueils et la marche des navires ; en voyant ces feux briller sur les eaux, au milieu de la nuit, je pensais à la joie que dût éprouver Christophe Colomb, quand, après tant de fatigues et de dangers, il aperçut une petite lumière dans une cabane de sauvages, c’est ce qui lui fit découvrir l’Amérique ; La joie a été grande sur le pont, les Allemands tous bons chantres et musiciens ont chanté le Te Deum et le Magnificat. Nous entrons en ce moment dans la baie : nous découvrons les réverbères de New-York
Jeudi ce 11 8bre toujours à bord du Lyon. Etant entrés dans la baie le 9 à dix heures du soir, je pensais que nous entrerions au moins le lendemain au point du jour dans le port mais soit pour nous faire faire quarantaine, soit à cause d’un vent violent contraire, nous sommes restés à l’ancre hier toute la journée et nous y sommes encore. Cependant le pilote va la faire lever et nous serons à 11 heures dans le port. Dès que nous fûmes arrivés dans la rade, un commissaire de police vint prendre les noms de tous les passagers, ensuite après, un médecin vint examiner leur état sanitaire, et quoique personne ne fut mort pendant la traversée, et que tous, au contraire, fussent en bonne santé, on jugea à propos, pour la forme, de nous faire stationner jusqu’à ce soir, plus d’une trentaine de navires étaient dans le même cas que nous. Nous vîmes avec envie plusieurs grands bâtiments à vapeur venant d’Angleterre en huit ou dix jours passer devant nous et se rendre directement au port. Il est fâcheux qu’il n’y en ait pas encore en France qui fasse ce trajet, on va en établir. Je ne puis encore rien te dire de l’Amérique, je vois cependant d’assez près la Côte de la Baie dans laquelle nous sommes ; elle est couverte d’assez jolies maisons de campagne mais le terrain paraît peu cultivé et orné. New-York se montrait à nous à la clarté du soleil, et à la lueur de ses nombreux réverbères, tous éclairés par le gaz, quoique nous en fussions encore à plus de deux lieues
6 heures du soir, jeudi 11 8bre. C’est toujours du navire que je t’écris quoique nous ne soyons depuis ce matin qu’à une trentaine de pas du quai, nous n’avons pas encore pu mettre pied à terre. L’on nous fait croire que c’est à cause de la violence du vent qui ferait ressentir un trop violent choc au navire à l’abordage. L’on nous assure cependant que demain matin, sans manquer, nous débarquerons. Plusieurs passagers cependant sont allés en ville, mais sans pouvoir emporter le moindre effet. Mgr y est depuis hier, nous avons fait venir à bord des fruits, tels que pêches, pommes etc qui ont bien fait plaisir. Sur les cinq heures, l’on m’a apporté à bord une lettre venant de France. Je palpitais de crainte et d’espérance en la recevant, mais je vis bientôt au timbre et à l’écriture qu’elle ne venait pas de toi ; c’était un directeur de St Sulpice qui m’écrivait, sa lettre est arrivée ici, deux jours avant notre navire, quoique partie du Havre quatre jours plus tard et je ne sais pas par quelle voie. Quand donc enfin m’écriras-tu ? J’attends une lettre cette semaine, le courrier pour l’Amérique ne part pas tous les jours mais seulement tous les dix jours et souvent les navires sont retardés par des vents contraires. J’ai bien lu quelques journaux anglais, je n’ai rien appris sur Lyon et le département de l’Ain ; demain j’en verrais plusieurs de France, peut-être m’apprendront-ils quelque chose d’intéressant. Nous avons appris une fort triste nouvelle en arrivant ici. Le vingt ou vingt-deux 7bre où nous essuyâmes un si violent orage, un navire américain a péri à peu de distance de nous. L’Éric, navire qui portait trois autres missionnaires et qui était parti du Havre deux jours avant nous, a vu ce bâtiment naufragé, il s’appelait le Kentucky. Le Capitaine de l’Éric était sur le point de faire couper les mâts pour échapper au naufrage : ainsi nous avons donc bien été protégés ! Nous apprendrons sans doute bien d’autres accidents causés par cet orage dont on s’est bien ressenti à New-York. Nous devons y rester peut-être une quinzaine de jours, pendant que Mgr Loras ira à Baltimore où quelques affaires l’appellent.
Tu désires sans doute savoir à quoi nous avons employé ce long espace de temps que nous avons passé dans ce navire, tu t’imagines sans doute que le temps a dû prodigieusement nous y durer, sans doute, il nous aurait été insupportable si nous n’eussions pas été occupés. Voilà quelle était à peu près notre vie. Nous nous levions à six heures, nous faisions notre prière et notre méditation et quand le temps le permettait, on célébrait la Ste Messe, puis l’on disait une partie de son office, tout cela occupait assez jusqu’au déjeuner qui avait lieu régulièrement à 9 heures. Après le déjeuner, on prenait une demi-heure ou une heure de récréation, puis l’on s’appliquait à l’étude de la langue du pays. À midi l’on faisait l’examen particulier, on disait Vêpres et Complies, puis une heure de classe sur l’étude de la langue du pays. À deux heures, l’on dînait, on lisait et on travaillait un peu jusqu’à 5 heures. Alors on récitait l’office du lendemain, on faisait une lecture spirituelle, et l’on soupait à sept heures, et après le souper on causait, on se promenait sur le pont, on montait sur la dunette, l’on chantait des cantiques lorsque le temps le permettait. Nous avions ajouté quelques couplets à celui du St Ange Gardien (Étends surtout ta vigilance/Sur le pauvre navigateur/Sois son guide et son protecteur/Sur les flots de l’abîme immense/Viens présider à notre bord/Et conduis-nous tous à bon port). Et cet autre sur le Saint dont nous portons les reliques Et toi dont les précieux restes voguent sous notre pavillon/Fais-nous sentir ta protection/En écartant les vents funestes/Noble martyr, héros chrétien/Priez pour nous ô St-Assien. On disait ensuite le chapelet en commun ; on faisait la prière et l’on se couchait à peu près sur les 9 heures, et dormait qui pouvait. Cette variété d’occupations ne nous laissait guère le temps de nous ennuyer. Je plaignais le sort de tant d’autres passagers qui n’avaient pas su se procurer de l’occupation. Nous avions toute la nuit dans notre chambre un quinquet28 suspendu et ceux qui ne pouvaient pas dormir pouvaient s’appliquer à lire ou à écrire. Cependant je t’avoue qu’il nous tardait bien à tous, surtout dans les derniers temps, de fouler la terre, et je suis bien persuadé que la seule traversée n’est pas un des moindres sacrifices que Dieu exigera de nous. Il faut un certain courage et une résignation à tout, rien que pour se mettre en mer Comment et de quoi vivions-nous sur le navire ? Tu penses peut-être que nous n’avons eu à manger que du biscuit, du pain sec et de la viande salée ; je m’attendais un peu à ce régime, cependant nous avons eu tous les jours du pain frais, et de la viande fraîche, il y avait à bord un boulanger qui en même temps était bon pâtissier, il avait tout ce qu’il fallait pour exercer sa profession. Le capitaine avait eu soin de faire des provisions vivantes, telles que : poulets, canards, oies, moutons, cochons, il avait fait une provision de quatorze mille œufs qui se sont toujours conservés très frais dans l’eau de chaux ; il y a eu beaucoup de ces provisions de reste. Il n’y avait que dix passagers nourris aux frais du navire, tous les autres se nourrissaient à leur frais et ils avaient été obligés de se pourvoir au Havre de tout ce dont ils pouvaient avoir besoin, pour deux mois de navigation. On ne leur fournissait que l’eau et le bois pour préparer leurs aliments. La plupart n’ont vécu que de pommes de terre, de riz, de jambons, ils ne payaient que 200 fr pour leur passage, tandis que nous et deux autres passagers donnions 500 fr. Tu vois par là que nous n’avons guère eu à souffrir, cependant il fallait s’habituer à la cuisine américaine et au régime de ses habitants, ce qui exigeait quelque sacrifice sans doute. On nous servait à sept heures une grande tasse de café à l’eau, en prenait qui en voulait ; à déjeuner les œufs frais à la coque, les pommes de terre de manquaient jamais. On ne nous donnait point de vin mais une grande tasse de thé, on nous en donnait aussi le soir à souper. J’ai suivi les premiers jours ce régime, ayant reconnu qu’il était échauffant, j’y ai renoncé pour m’en tenir à l’eau pure. Nous n’avions de vin qu’à midi, mais du bon vin ; quelquefois le Capitaine nous faisait boire en guise de liqueur du vin de Madère qui lui avait coûté quinze francs la bouteille parce qu’il avait payé les droits en Angleterre et en France. Nous avions ordinairement quatre plats et la soupe, ou plutôt du bouillon, car on ne sert que du bouillon au souper en Amérique. On nous faisait souvent des matefaims29, de la pâtisserie, des poudings. On ne sert pas de serviettes dans les plus grands salons du pays et l’on ne nous donnait que des fourchettes à deux fourchons et à manche de corne. Ce qui nous manquait surtout, c’était de l’eau fraîche et claire ; j’avais imaginé un moyen surtout fort simple de la filtrer et de la rendre aussi belle et aussi agréable que l’eau de fontaine, par le moyen d’une boîte remplie de charbon pulvérisé, et les matelots ont dérangé notre appareil, nous n’avons pu nous en servir que huit jours. Je l’ai cependant rétabli. Il m’arrivait souvent sur le navire, de considérer le soleil à son lever et à son coucher ; ou la lune et les étoiles, et je pensais que tu avais ces mêmes astres deux ou trois heures plus tôt. Tourne quelquefois tes regards vers le couchant quand tu iras sur la tour, ou au pavillon, ou sur la terrasse et dis : C’est par là-bas qu’est mon frère, Seigneur, ayez pitié de lui ; Ste Vierge, priez pour lui. Oui, je suis déjà à plus de soixante degrés de longitude occidentale du méridien de Paris ; et à New-York, il n’est que cinq heures du matin quand il est déjà neuf ou dix heures à Montluel. Ainsi à cette heure-là, tu pourras dire : mon frère se lève, ou célèbre le St Sacrifice et moi à cinq heures du soir je dirai : Ma sœur fait sa prière et se couche à présent, puisse-t-elle s’endormir dans les bras du Seigneur, anges de Dieu, veillez sur elle, obtenez-lui la patience pour supporter sa douleur, qu’elle soit aussi, elle, l’ange protecteur de la famille, je m’unirai alors à tes vœux pour mon père et pour ma mère, et je compte bien sur tes prières non seulement pendant ma vie mais encore après ma mort. C’est pour me rappeler sous ce rapport, à ton souvenir et à celui de Mariette et de sa sœur, que je t’ai laissé mon portrait. Fais bien tout ce que tu pourras pour les enfants de mon frère, inculque-leur surtout fortement des sentiments chrétiens, tu sais assez que c’est le plus précieux trésor que nous puissions posséder sur la terre, et que sert tout le reste sans la foi et l’amour de Dieu ? ! Hélas ! que ces précieux sentiments sont rares aujourd’hui !… La terre est tout et le ciel n’est rien, ou peu de chose auprès des avantages frivoles de ce monde. Qu’il n’en soit pas ainsi de nous, aimons Dieu
Ce 12 8bre, 6 heures du soir. Me voilà enfin à terre depuis midi, il y avait 45 jours que je l’avais touchée du pied. La difficulté de pouvoir faire placer notre bâtiment convenablement pour débarquer tant il était encombré de navires de toutes les nations (l’on en comptait plus de mille) a été la raison principale qui nous a retenus deux jours de plus à bord. J’ai vu des parents, des enfants, des femmes pleurer de tendresse en se revoyant, après trois ans d’absence ; éprouverons-nous un jour de pareilles émotions ? Pendant ces deux jours que nous avons passés en station au port, il nous a été facile d’en remarquer l’activité. À tout moment l’on y voyait arriver et l’on en voyait partir des bateaux à vapeur et de grands navires de toutes les nations. En face de New-York, de l’autre côté de la rivière, l’Hudson qui a une lieue de large en cet endroit, est une ville de dix mille âmes30 et à chaque instant des bateaux à vapeur, le jour et la nuit, communiquent entre ces deux villes, c’était un bruit et une agitation continuelle. La vue de New-York ne m’a pas fait l’effet que je m’attendais, c’est la plus grande ville de l’Amérique, elle compte plus de trois cent mille âmes mais elle n’a nullement l’aspect étranger. Loin du port, on se croirait dans une ville de France, à Dijon ou à Toulouse par exemple, les rues y sont assez larges mais fort malpropres. L’on y voit courir des porcs, cherchant leur nourriture, cela ne répond guère à la grande idée qu’on m’avait donnée de la propreté américaine ; il est vrai qu’on est fort propre dans l’intérieur des maisons, la plupart des planchers sont recouverts de tapis. On lave tous les jours, on lavait aussi tous les jours le pont de notre navire à grande eau. Je te parlerai une autre fois de ce qu’il peut y avoir de curieux ici, d’ailleurs je pense bien que tout cela ne t’intéresse guère. Les costumes ici, pour les enfants, pour les grands, pour toutes les classes sont absolument les mêmes qu’en France, seulement on y voit un bon nombre de nègres, qui la plupart, sont domestiques. Je suis fort bien logé ici, avec un de mes confrères, chez un charmant monsieur qui a bien soin de nous. J’ai déjà pris un repas à l’américaine, sans serviette, et l’on vous entasse à la fois trois ou quatre plats sur la même assiette, dont on ne change jamais.
J’ai vu ce soir ces trois missionnaires qui nous avaient devancés de deux jours du Havre ; ils ont eu un temps affreux, ils ont vu ce navire naufragé dont je t’ai parlé. C’était le 28, il paraît qu’il avait péri le 20, il se soutenait encore à fleur d’eau quoique tout rempli d’eau. Le bout des mâts était brûlé par des signaux sans doute qu’on avait cherché à donner en brûlant les mats, de l’eau et de la viande étaient encore suspendus à leur sommet pour servir probablement d’aliments à ceux qui s’y étaient réfugiés et qui ont fini par tomber. Le pilote côtier qui nous a introduits dans le port nous a dit que l’on apprenait tous les jours de nouveaux désastres arrivés à cette époque. L’on comptait déjà ici plus de soixante-dix navires qui avaient péri sur divers points. Tu vois comme Dieu nous a protégés, j’espère bien qu’il continuera à le faire dans le trajet qui nous reste à faire. Tu prieras toujours bien et tu seras exaucée. Le froid commence déjà à se faire sentir ici, quoique cette ville soit sous la même latitude que Marseille.
Le 1er dimanche d’octobre il gelait ; nous allons nous appliquer ici avec soin à l’étude de l’anglais qui est parlé par la plupart des habitants du coin où nous allons, je puis déjà me faire entendre aisément ici dans cette langue qui est presque l’unique en vogue aux États-Unis. Cependant j’aurais bien encore à faire pour pouvoir la parler publiquement et correctement, j’espère cependant pouvoir en venir à bout bientôt avec la grâce de Dieu. Tu auras bien de la peine à lire cette lettre, tu la trouveras sans doute beaucoup trop longue et fatigante, mais console-toi, je ne pourrai pas souvent t’écrire si longuement et je ne t’adresserai pas toujours un si gros paquet de celles que je te prie de faire parvenir à leurs adresses. Elles sont destinées à réparer plusieurs oublis. J’attends toujours avec beaucoup d’impatience une de tes lettres, je pense la recevoir cette semaine. Je voulais écrire à mon père directement, mais j’ai pensé que peut-être il ignorait encore mon départ et qu’il croyait que je ne m’étais absenté que pour peu de temps, cette lettre l’aurait sans soute affligé et d’ailleurs, avec ses yeux malades, il n’aurait pas pu lire mon écriture, assure-le bien de ma vive et sincère affection. Les prières que je ne manque jamais de faire pour lui lui seront plus utiles que tous les secours que j’aurais pu lui prodiguer si j’avais été auprès de lui.
Il est temps de terminer cette longue lettre. Le paquebot va bientôt partir, ma lettre ne te parviendra que dans un mois au plus tôt. Ce sera à peu près ta fête, je te la souhaite par avance. J’ai été bien édifié aujourd’hui de voir la manière dont on sanctifie le dimanche, c’est partout un silence profond. Il y a ici sept Eglises catholiques, elles sont remplies d’hommes encore plus que de femmes, il y a des orgues, on y chante en musique partout. Les Français, quoique en nombre de dix mille31 n’y ont point d’église, il n’y a pas un seul prêtre français ici, jamais ils n’entendent d’instructions dans leur langue32. On les regarde ici comme des payens. Dans toutes les villes d’Amérique, il y a ainsi un grand nombre de catholiques déclassés. Pour nous rendre à notre destination, nous allons traverser différentes villes, telles que Philadelphie, Pittsburg, Cincinnati Je pourrai t’écrire d’une de ces villes. Adieu, j’ai bien à faire, il me faut redevenir écolier pour apprendre la langue de l’Amérique du Nord, je me fais déjà passablement comprendre. J’embrasse mon père, avec une affection toute singulière, je pense bien qu’il me pardonne de l’avoir ainsi quitté. J’embrasse aussi mon frère, ma belle-sœur, ses enfants, avec un cœur qui leur est bien sincèrement dévoué. Je n’oublie pas les oncles, tantes, cousins et cousines, surtout les cousins ecclésiastiques. Dis-leur bien, dans l’occasion, mille choses de ma part.
J. G. Cretin »
Notes de bas de page
1 Une biographie de John Ireland : Marvin R. O’Connell, John Ireland and the American Catholic Church, St. Paul, Minnesota Historical Society Press, 1988. Le personnage est à insérer en son contexte: Marvin R. O’Connell, Pilgrims to the Northland: The archdiocese of St. Paul, 1840-1962, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2009. Pour la période pionnière du diocèse, voir Villerbu Tangi, Les missions du Minnesota. Catholicisme et colonisation dans l’Ouest américain, 1830-1860, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014. La biographie de Cretin: John Ireland, « Life of the Rt. Rev. Joseph Cretin, first bishop of the Diocese of St. Paul », Acta et Dicta, IV-2 (juillet 1916), p. 187-218; vol. V-1 (juillet 1917), p. 3-66 ; vol. V-2 (juillet 1918), p. 170-205.
2 Etat-civil et recensements de l’Ain sont disponibles en ligne : <http://www.archives-numerisees.ain.fr/n/recherches-en-ligne/n:10>.
3 Sur l’Ain, Jean-Pierre Gonnot, « Vocations et carrières sacerdotales dans le diocèse de Belley de 1823 à 1904 », thèse d’histoire, université de Lyon 2 ; Philippe Boutry, Prêtres et paroisses au pays du curé d’Ars, Paris, Cerf, 1986. Mais le recrutement des prêtres suit des tendances nationales, voir Marcel Launay, Le bon prêtre. Le clergé rural au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1986 ; Nicole Lemaître dir., Histoire des curés, Paris, Fayard, 1994.
4 L’Ami de la Religion et du Roi, no 1177, samedi 19 novembre 1825, p. 37-40.
5 Archives nationales, F19 2900, Diocèse de Belley, Curés, dossier Cretin. Le préfet au ministre, 7 mars 1831.
6 Ibid., 10 juillet 1831.
7 Antoine Mofat, Les Tonga, ou Archipel des amis, et le R. P. Joseph Chevron, de la Société de Marie : étude historique et religieuse, Lyon, E. Vitte, 1893, p. 68-69. Chevron part aux îles Tonga en mai 1839.
8 Claude Nicolet, Vie du vénérable P.-L.-M. Chanel, prêtre de la Société de Marie, et premier martyr de l’Océanie, Saint-Brieuc, L. Prudhomme ; Paris, Berche et Tralin ; Lyon, Vitte et Perrussel, 1885, p. 104-105 ; Les deux nouveaux Martyrs. Jean-Gabriel Perboyre, de la congrégation de la Mission, dite des Lazaristes, et Pierre-Louis-Marie Chanel, de la Société de Marie, béatifiés par Léon XIII les 10 et 17 novembre 1899, Tournai, H. Castermann, 1890, p. 58-59.
9 Archives de l’archevêché de Minneapolis-Saint-Paul, 1995, 3, Cretin, Bp Joseph Papers, lettre de Tabert à Cretin, sans date.
10 Tangi Villerbu « “Ramener une colonie de bons missionnaires.” Le recrutement de prêtres européens pour les États-Unis au 19e siècle ». Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56-3 (2009), p. 33-65.
11 Ibid., lettre de Cretin à l’abbée Boissonat, 27 août 1838.
12 Archives départementales de la Seine-Maritime, 8 M 597, Relevé des navires français et étrangers sortis du port du Havre durant l’année 1838.
13 Cretin reviendra deux fois en France, Ravoux une fois.
14 Laurent Vidal et Alain Musset (dir.), Les territoires de l’attente. Migrations et mobilités dans les Amériques, XIXe-XXIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
15 Boissonat est l’aumônier du couvent de la Visitation de Montluel et un interlocuteur habituel de Cretin.
16 L’émigration alsacienne vers les États-Unis est importante dans ces années-là, voir Nicole Fouché, Emigration alsacienne aux États-Unis. Paris, Publications de la Sorbonne, 1992. Sur place les Alsaciens sont peu intégrés aux réseaux français mais davantage aux réseaux allemands.
17 Mathias Loras, évêque de Dubuque, qui mène la troupe de recrues vers le diocèse de Dubuque.
18 Louis-Philippe Albert d’Orléans, né le 24 août 1838, reçoit le titre de Comte de Paris.
19 Il s’agit des recrues de Loras : deux prêtres (Joseph Cretin et Joseph Pélamourgues) et quatre séminaristes (Jacques Causse, Rémy Petiot, Lucien Galtier et Augustin Ravoux).
20 C’est un des grands enjeux de la mission aux États-Unis : apprendre l’anglais. Les missionnaires sont toujours chargés d’un premier apprentissage pendant le voyage avant d’approfondir leurs connaissances sur place, au séminaire ou en poste. Mais certains ne parviennent jamais à une maîtrise correcte de la langue.
21 Cretin dresse ici comme précédemment en quelques mots le portrait d’un capitaine humain, calme et apaisant, refusant tout excès d’autorité et de violence, loin des fureurs du commandement décrites dans Pierre Prétou et Denis Rolland (dir.), Fureur et cruauté des capitaines en mer, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
22 Jeanne et Marie.
23 Cretin était vicaire de Ferney au moment d’être recruté par Loras.
24 Cretin est témoin ici de chaines migratoires bien étudiées par les historiens : la migration transatlantique se fait en groupe par accointance géographique et familiale, d’où le rôle noté par Cretin de la correspondance. Les premiers partis font venir leur famille élargie, des hameaux, des villages se déplacent.
25 Saint Cassien (Cessianus) est un enfant martyrisé au IVe siècle. Ses reliques sont aujourd’hui à la cathédrale Saint-Raphaël de Dubuque.
26 Il s’agit ici des migrants alsaciens.
27 La remarque laisserait supposer que les pêcheurs de Boston sont en l’occurrence francophones, ce qui est possible.
28 Lampe à huile.
29 Crêpes épaisses au fromage.
30 Brooklyn est jusqu’en 1899 une municipalité indépendante de New York.
31 Cretin donne ici un chiffre exagéré, peut-être près du double de la réalité. Voir à ce sujet Marieke Polfliet, « Émigration et politisation. Les Français de New York et la Nouvelle-Orléans dans la première moitié du XIXe siècle (1803-1860) », thèse de doctorat en histoire, université de Nice-Sophia Antipolis, 2013.
32 Cretin ignore curieusement que l’évêque de New York est d’origine française : bien que devenu américain, Jean Dubois, qui occupe le siège épiscopal de 1826 à 1842, est arrivé aux États-Unis en 1791 pour se mettre au service du premier évêque du pays, John Carroll. Il est de ces nombreux prêtres français qui ont pris le chemin de l’exil pour fonder l’Église américaine (sur les Sulpiciens, qui forment la majorité d’entre eux, Christopher J. Kaufmann, Tradition and Transformation in Catholic Culture : The Priests of Saint Sulpice in the United States from 1791 to the Present, New York, Macmillan, 1988). S’il est vrai que le catholicisme new-yorkais que Cretin rencontre est marqué profondément par les migrants irlandais et allemands, il n’en demeure pas moins que les Français bénéficient d’un culte dédié à l’église Saint-Peter – ce n’est qu’en 1841 qu’ils obtiennent une paroisse nationale en l’église Saint-Vincent-de-Paul : Jay P. Dolan, The Immigrant Church : New York’s Irish and German Catholics, 1815-1865, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1983 [1977].
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