Réseaux marchands et chaînes migratoires entre Nantes et la vallée du Mississippi, fin XVIIIe - début XIXe siècle
p. 61-80
Résumés
Cet article se penche sur la manière dont les historiens produisent un récit des mobilités atlantiques à l’âge du commerce et des révolutions. En utilisant trois vies de cousins nantais comme test, il argue que Ferdinand Rozier, Firmin Desloges et Amédée Belloc peuvent être analysés comme parties de réseaux marchants aussi bien que comme membres de chaînes migratoires de longue durée. Autour de 1800 quand les marchands nantais ont perdu Saint-Domingue et tentaient de trouver de nouveaux lieux avec lesquels commercer, quelques-uns d’entre eux envoyèrent leurs fils et cousins aux États-Unis pour établir de nouveaux liens transatlantiques. Mais les mêmes hommes ont parfois choisi de devenir américains comme leurs ancêtres avaient choisi de devenir nantais en arrivant d’Orléans, de Bordeaux ou des Sables-d’Olonne. Ces familles marchandes sont aussi des familles migrantes dont les membres ont franchi l’Atlantique et ont atteint la vallée du Mississippi comme d’autres avaient simplement suivi la vallée de la Loire.
This article sheds light on the narrative the historians can produce to study transatlantic mobility in the age of commerce and revolution. Using three Nantais cousins’lives as a test case, it argues that Ferdinand Rozier, Firmin Desloges and Amédée Belloc can be analyzed either as parts of merchant networks or as members of long-term chain migrations. Around 1800, when merchants of Nantes lost St. Domingue and were searching for new places to commerce with, some sent sons and cousins in the US to establish new transatlantic links. But those same men sometimes chose to become American as their ancestors chose to become Nantais when the arrived from Orléans, Bordeaux or Les Sables-d’Olonne. Those merchant families were also migrant families whose members crossed the Atlantic ocean and reached the Mississippi Valley as others had just followed the Loire river.
Texte intégral
1Ferdinand Rozier, Firmin Desloges et Amédée Belloc sont trois Nantais apparentés qui se sont installés aux États-Unis dans les premières années du XIXe siècle. Le premier, Ferdinand Rozier, débarque à Philadelphie en 1806, passe quelques années dans la vallée de l’Ohio à Louisville avant de se fixer définitivement à Sainte-Geneviève, dans le Missouri, en 1811. Son neveu, Firmin Desloges, s’associe à son oncle en 1823 et tient boutique dans la région minière qui environne la petite ville d’origine française. Amédée Belloc, un de leurs cousins, va faire des affaires avec Rozier, d’abord depuis New York (entre 1816 et 1824), puis à partir de La Nouvelle-Orléans avant de finalement rentrer se fixer au Havre.
2Trois vies liées par la famille et les affaires, nouées par une commune destinée américaine et aisément rattachées à une trame narrative désormais bien maîtrisée, celle des réseaux marchands d’une économie ancienne fondée sur la confiance et la connexion plus que sur le profit1. Envoyé par son père en Pennsylvanie exploiter des terres que Jean Audubon avait acquises avec ce qu’il avait gagné à Saint-Domingue, Ferdinand Rozier ne dépare pas dans le tableau des familles nantaises du négoce, et plus largement dans les milieux maritimes français : Saint-Domingue, le sucre et les esclaves d’abord assoient les fortunes, puis, pour ceux qui parviennent à réorienter leurs affaires dans le contexte guerrier d’après 1793, le commerce avec les États-Unis prend le relais2. Belloc fait lui aussi office de tête de pont d’un réseau familial dans deux ports majeurs américains.
3Mais il existe une autre possibilité narrative. Car si Amédée Belloc n’a pas fait souche outre-Atlantique et se conforme à un modèle négociant strict par sa mobilité portuaire (Nantes - New York - La Nouvelle-Orléans - Le Havre), les érudits et généalogistes américains considèrent en effet Ferdinand Rozier et Firmin Desloges non pas tant comme des têtes de réseaux nantais que comme les points de départs de lignées migrantes américaines. Ce sont avant tout des pionniers et leur généalogie ne présente de l’intérêt que si l’on peut y fantasmer de la noblesse, exotisme européen synonyme d’enracinement lointain et socialement avantageux3, plutôt que révéler de simples négociants4. Il y a là un intéressant fil à tirer, car de Rozier et Desloges font sciemment ce choix différent et formulent de manière explicite et assez rapide leur volonté d’enracinement américain, et même missourien.
4Faut-il, dès lors, choisir entre deux manières de produire le récit de leur vie ? Doit-on faire une histoire des réseaux marchands dans le monde atlantique ou l’histoire des migrations françaises vers les États-Unis ? Le passage narratif par l’individu et sa famille permet en fait de croiser les deux approches et enrichit l’analyse : on ne peut réduire un parcours à un modèle unique même si la construction desdits modèles est indispensable à l’intelligence du monde. Il existe des stratégies négociantes de longue durée qui trouvent leur application au temps de la Révolution et de l’Empire5, et il existe des modèles migratoires. Les individus font eux des choix qui articulent ces modèles et ces contraintes, les entrechoquent et en jouent. Les itinéraires de Rozier, Desloges et Belloc éclairent ainsi les modèles, autant parce qu’ils les respectent que parce qu’ils s’en écartent6 ; et ces écarts, ces incertitudes, révèlent à leur tour un moment particulier que l’historien peine à nommer, pris qu’il est entre d’autres logiques temporelles7. Des années 1750 aux années 1860 le monde – atlantique, au moins – tente en effet de se réorganiser autour de processus révolutionnaires, de l’émergence des nations et d’une transition de l’âge du commerce8 vers une nouvelle forme de capitalisme. Depuis leur départ vers l’Amérique induit par les années révolutionnaires, jusqu’à leurs choix d’identités culturelles et nationales, en passant la configuration évolutive des réseaux marchands qu’ils forment et auxquels ils participent, Rozier, Desloges, Belloc donnent à voir une époque.
5La reconstruction de destins individuels est grandement facilitée par l’existence d’archives familiales. Si de ce point de vue Amédée Belloc demeure une fois encore à part, Ferdinand Rozier, ses enfants et Firmin Desloges ont laissé des fonds d’une ampleur extraordinaire, conservés dans leur grande majorité dans leur État d’élection, le Missouri, mais aussi pour partie en Pennsylvanie. Une abondante correspondance et des documents marchands en grand nombre permettent de recomposer une nébuleuse missourienne et atlantique, tandis que la reconstitution de leur milieu d’origine dans les archives françaises permet de tenir ensemble tous les fils de leur vie.
STRATÉGIES NÉGOCIANTES
6J’ai choisi de placer Ferdinand Rozier au centre de la narration, qui prendrait sans doute une autre tournure si j’avais fait le choix d’un de ses deux parents. Car Ferdinand Rozier est le premier que j’ai rencontré en archives, à Saint-Louis, au hasard d’une recherche sur Mgr Flaget, premier évêque catholique à visiter la moyenne vallée du Mississippi en 1814 et qui a baptisé le fils aîné de Ferdinand à Sainte-Geneviève9. Il est aussi celui dont les archives – et celles de ses descendants – sont les plus variées. Sans être le premier de sa parentèle à connaître les États-Unis, il est enfin celui qui est en relation à la fois avec Firmin Desloges, son neveu, qu’il prend sous son aile, et Amédée Belloc, son cousin, avec qui il est en affaires.
7L’histoire débute à première vue en 1806, lors du départ de Ferdinand Rozier pour la Pennsylvanie, et précisément pour Mill Grove, la propriété de Jean Audubon sur laquelle il doit développer des mines de plomb. Ce sont en fait deux pères qui ont associé leurs fils respectifs dans cette histoire : François Rozier délègue Ferdinand, et Jean Audubon délègue Jean-Jacques, dont la trajectoire – il devient une icône, le célèbre naturaliste américain John James Audubon – a, à la fois, contribué à faire connaître l’affaire de 1806 et à effacer le comparse, Ferdinand Rozier, de l’histoire10. Mill Grove appartient donc à Audubon père. Celui-ci, Olonnais de naissance, connaît parfaitement l’Atlantique nord : fait prisonnier pendant la guerre de Sept Ans puis celle d’Amérique, il a commandé des navires nantais commerçant avec Saint-Domingue dans les années 1770, habité aux États-Unis au début des années 1780 avant de passer les années 1783-1789 comme planteur à Saint-Domingue. Il rentre alors à Nantes mais en passant par la Pennsylvanie où il acquiert le domaine de Mill Grove qu’il laisse en gestion à son ancien propriétaire. Les années 1790 voient Audubon prendre en France le parti de la Révolution et occuper différentes charges administratives durant la guerre de Vendée puis en tant qu’officier de la Marine de la République, en charge de la surveillance des côtes entre Nantes et La Rochelle. Lorsqu’il prend sa retraite en 1801, c’est pour s’installer sur son domaine de la Gerbetière, à Couëron, et veiller à ses intérêts américains. À l’automne 1803, alors qu’il vient de nommer à la tête de Mill Grove François Dacosta, issu d’une famille juive livournaise qui a essaimé dans les ports français, notamment dans la fonderie de la Basse-Loire mais aussi dans le commerce de Saint-Domingue11, Audubon envoie sur place son fils Jean-Jacques, né aux Antilles sous le prénom de Muguet. Dacosta souhaite investir dans les filons de plomb présents sur la propriété et a besoin de capitaux, ce qu’Audubon ne peut faire seul : il s’associe alors avec François Rozier. Pourquoi ces deux hommes ont-ils décidé de travailler ensemble et d’envoyer leurs fils respectifs en Amérique ? Le contrat signé à deux ne révèle rien des origines de l’association ou de relations préexistantes. Mais Rozier était lui-même impliqué dans l’administration locale révolutionnaire – membre de la municipalité au début des années 179012, trésorier de la Société d’agriculture, de commerce et des arts – et on peut imaginer qu’il s’est lié avec Audubon à ce moment-là, d’autant plus que Saint-Domingue les rapprochait.
8Rien d’exceptionnel à cela. Nantes est saturée de la présence de Saint-Domingue : avant l’insurrection car la ville vit du commerce avec l’île, et après car la présence de réfugiés, la crainte puis la réalité de la perte des plantations et de la liberté des Noirs font de Saint-Domingue un spectre13 qui hante en permanence la conscience nantaise. François Rozier ne déroge pas à la règle. Il arme des navires pour Saint-Domingue, et notamment Les Cayes, jusqu’au moment où cela devient impossible, en 1793, non pas du fait de la Révolution en soi que de la guerre avec l’Angleterre et des troubles antillais. Ce sont Le Courrier de Marseille ou La Marie-Françoise en 178214, puis surtout La Douce Sirène et La Marguerite15. L’automne 1792 est encore faste pour le commerce des îles :
« Le sieur Gautreau, capitaine de La Marguerite, de Paimbœuf, du port de 350 tonneaux, M. Rozier, armateur, a amené des Cayes, 15 quarts de sucre brut, 48 futailles & 88 sacs de café, 6 balles & un ballot de coton, 4 madriers d’acajou, une caisse de sirops & 600 oranges. Les sieurs Laporte & Compagnie, courtiers16. »
« Le sieur M. Lebesquen capitaine de La Douce-Sirene, de Nantes, du port de 500 tonneaux, M. Rozier, armateur, a amené de Saint-Marc, 271 futailles de sucre brut, 92 futailles de sucre terré & tête, 377 futailles & 4 sacs de café, 54 futailles & 2 caisses d’indigo, 65 balles & 14 ballots de coton, 41 madriers d’acajou, 34 cuirs tannés, un baril & une caisse de confitures, un baril & une caisse d’oranges, une caisse de sirop, un baril de citrons, un sac de noix d’acajou, 2 barils de patates, un baril de farine de maïs, une caisse de liqueurs, & 4 formes de sucre. Les sieurs Laporte et Compagnie, courtiers17. »
9Les cargaisons déchargées, comme la bière de Hollande envoyée à Saint-Domingue18, inscrivent Rozier dans la norme des marchands et armateurs nantais : il fait partie de l’élite de la cité. Mais, comme ses collègues, il va voir le filon antillais s’effondrer à partir de 1793. Saint-Domingue ne disparaît pas pour autant de l’horizon intellectuel nantais. La reconstitution de la généalogie19 de Ferdinand Rozier est de ce point de vue très frappante car les familles de planteurs, donc de réfugiés, y sont très présentes : les Chanceaulme, les Alleaume, les Sollier de Quitterie, les Beutier ont tous perdu quelque chose à Saint-Domingue et sont alliés d’une manière ou d’une autre aux Rozier. Malgré des avancées certaines pour comprendre leur essaimage en Louisiane ou à Cuba, ou encore leur rôle dans l’évolution de la pensée esclavagiste aux États-Unis20, l’histoire de ces réfugiés reste en grande partie à faire. Nantes quant à elle bruisse de leur arrivée qui s’étale sur une décennie, de l’organisation des secours à la colonie en 1792 (un sieur Belloc organise alors le mouvement21) à ces « plusieurs Français réfugiés de Saint-Domingue arrivés récemment à Nantes sur le navire américain l’Aurora » signalés le 5 vendémiaire an XIII et qui ne nécessitent pas enquête car ils ne semblent devoir représenter de danger à l’ordre public22. Cette « arrivée » est cependant trompeuse car ce qui caractérise ces réfugiés est plutôt leur déploiement en diaspora et cette diaspora joue un rôle essentiel dans la reconfiguration des échanges dans la Révolution23.
10Face à la perte de Saint-Domingue, il fallait donc inventer : François Rozier fils s’associe ainsi avec son cousin Hilaire Belloc pour s’ouvrir les marchés parisiens24. Ferdinand, son frère, né le 9 novembre 1777, sera lui destiné à explorer les possibilités offertes par les États-Unis. Il les connaît déjà pour partie puisqu’il y a séjourné entre avril 1804 et janvier 1805 d’une assez curieuse manière : engagé dans la Marine en 1802, il fait voile vers l’île de France à bord de La Renommée mais le vaisseau est pris par les Anglais le 3 mars 1803. Libéré, il fait sur le chemin de la France une halte à Cadiz d’où il repart en fait vers les Canaries puis Saint-Barthélemy. De là, il embarque pour les États-Unis pour une raison inconnue25. Ayant ainsi visité les ports de la côte est, il est au fait des opportunités qui s’y présentent et peut s’en entretenir sans doute avec son père dans une atmosphère qui s’y prêtait parfaitement. Car si les Nantais ont, moins que les Bordelais, cédé à la tentation étatsunienne26, cette dernière est bien présente. Lorsque Audubon présente son projet, Ferdinand a donc déjà pu y sensibiliser la famille. L’atmosphère y est de toute façon propice : une des sœurs aînées de Ferdinand, Renée, a épousé en 1794 Pierre François Chanceaulme. La famille est liée elle aussi à Saint-Domingue et Jean-François Chanceaulme, le frère de l’époux, obtient l’autorisation en 1801 de rentrer des États-Unis à Nantes27, apportant, comme nombre de réfugiés, son lot de nouvelles. De même, le nom de Rozier apparaît dans les comptes de Pierre Gaudais en 1803, année où ce dernier, d’une famille d’épiciers nantais, s’installe à Philadelphie auprès des réfugiés de Saint-Domingue encore pour poursuivre ses affaires avec une grande maison nantaise, les Trottier28. Située entre les accords de Mortefontaine qui closent l’épisode de la Quasi War et la proclamation par Jefferson du blocus de son propre pays en 1807 (auquel il faut ajouter les effets du blocus continental imposé par Napoléon), cette période est un moment faste d’une relation commerciale franco-américaine très dépendante des décisions politiques29. En témoignent les inquiétudes formulées trois semaines après le départ de Ferdinand Rozier et Jean-Jacques Audubon (le 22 avril 1806, peut-être avec des passeports hollandais30) par le préfet de Loire-Inférieure, inquiétudes partagées par le conseiller d’État chargé du 1er arrondissement de la police générale : « Le grand nombre de passeports demandés pour les États-Unis de l’Amérique » trouble les autorités, d’autant plus que les raisons en semblent mystérieuses puisque partent apparemment des ouvriers en grand nombre – le monde du négoce n’est donc pas seul en mouvement31.
11Le contrat signé par Ferdinand Rozier et Jean-Jacques Audubon le 23 mars 1806 est d’ailleurs particulier : une société en nom collectif est fondée pour gérer Mill Grove comme plantation et comme gisement de plomb à la place de Dacosta. Il s’agit donc peu de commerce, a priori.
12Mais deux articles laissent entrevoir autre chose :
« Art. 5.
II ne peut nous etre interdit de faire tout autre Commerce, mais avant d’en entreprendre nous resterons six mois a prendre des Informations aux pays de ce qui pourroit nous etre avantageux, alors nous nous livrerions a quelque operation de commerce ou Interieur ou Maritime.
Art. 6.
Nous pourrons l’un et 1’autre faire quelque voyage a 1’effet de nous procurer des Connoissances, et s’il arrivait que nous decidions quelque Negociants a envoyer des Merchandises a la vente ou a la Consignation de M. Rozier pere nous fairions la Condition que le Benefice qui resulteroit de ces Consignations seroit partages entre nous et le Sr. F. Rozier pere32. »
13Tout est donc prévu : au cas où Mill Grove pourrait bien n’être qu’une illusion, auquel cas il faudra adopter une autre stratégie pour laquelle rien ne sera laissée au hasard. Il faudra étudier le marché américain, voyager et réorienter l’affaire vers François Rozier : Jean Audubon est écarté sans ambiguïté de cette seconde hypothèse, seul Rozier père a les capacités techniques et financières de faire du commerce avec les États-Unis.
14Les cousins Belloc disposent également des fonds et de l’esprit d’initiative leur permettant de réorienter leurs affaires. Les deux familles sont inextricablement liées : la grand-mère maternelle de Ferdinand est une Belloc, et un des fils de cette Jeanne Belloc (donc l’oncle de Ferdinand) épouse lui-même Félicité Belloc, sa cousine, dont la fille, Félicité Colas, épouse François Rozier, frère de Ferdinand. Les Colas font office de lien entre les Rozier et les Belloc par trois mariages, à trois générations différentes. C’est Pierre Belloc qui, au début du XVIIIe siècle, a fondé une dynastie de marchand épicier. Son fils Gabriel amasse une immense fortune qui fait de lui un des hommes les plus riches de la ville, officier de la milice bourgeoise comme ses deux fils Gabriel et Hilaire qui s’associent pour reprendre l’affaire. Le troisième fils, Jean-Baptiste, se fait marchand de drap et épouse Angélique Alleaume, d’une famille liée par ailleurs aux Colas et aux Rozier – les dispenses de consanguinité sont légion au sein cette nébuleuse33. Jean-Baptiste et Angélique donnent naissance à Amédée Belloc le 30 floréal an II (19 mai 1794). Renée Clotilde Rozier, la sœur de Ferdinand, qui a épousé Pierre François Chanceaulme, est signataire de l’acte de mariage de Jean-Baptiste comme de l’acte de naissance d’Amédée.
15Comme les Rozier, les Belloc ont dû, pour maintenir leurs positions, créer de nouveaux réseaux. Hilaire s’est installé à Paris, y fait fortune sous l’Empire34 et travaille en collaboration avec François Rozier. Amédée, lui, est envoyé outre-Atlantique. Mais il est malheureusement difficile d’en savoir autant sur ce cousin que sur Ferdinand. Peut-être a-t-il fallu attendre la Restauration pour prendre le parti américain. On trouve bien une maison Alphonse Du Pasquier & Amédée Belloc à New York entre 1816-1824 (Amédée n’a que 22 ans à la fondation), avec commandite de Duroveray d’Ivernois et Cie établie au Havre et non à Nantes35, Amédée étant de surcroît, à partir de 1820, membre de la loge l’Union Française36. Mais il semble qu’Amédée ait ensuite poursuivi à La Nouvelle-Orléans, où Ferdinand le croise en 1826 « qui paraît faire des affaires dans cette place » et attend un navire pour Le Havre encore37. C’est d’ailleurs dans le port normand qu’on le retrouve finalement. De port en port, sur les deux rives de l’Atlantique, Amédée Belloc est un exemple de réussite négociante atlantique.
16Le départ pour les États-Unis de notre troisième larron, Firmin Desloges, n’est pas placé sous les mêmes auspices. En 1788, Renée Angélique Rozier, sœur de Ferdinand, épouse Joseph Gilles Desloges de la Mulnière, en présence des Belloc, des Colas et des Mosneron. C’est un mariage fortuné dans le milieu du négoce : les Desloges, issus de réseaux vendéens comme leurs parents Mosneron38, s’allient avec de belles familles. Mais contrairement aux Rozier ou aux Belloc, ils n’ont su passer la Révolution sans chuter économiquement et socialement, ainsi que le révèlent brutalement les naissances de leurs dix enfants. Les cinq premiers, entre 1788 et 1797, sont nés à Nantes. Mais les deux suivants sont nés à Fougeray, Firmin étant le septième, le 4 pluviôse an XI (24 janvier 1803) alors que leur père est indiqué comme « cultivateur » au château du lieu. Le huitième et le neuvième naissent à Nozay et le dernier à Vannes en 1812 alors que leur père est « employé des droits réunis ». Le capital financier a disparu : sous la Restauration, la famille est installée à Paimbœuf, où Joseph est collecteur des taxes, et en 1822 il explique clairement à Ferdinand que la Révolution lui a tout pris39. Ses enfants ne peuvent bénéficier des opportunités qui ont profité à la génération précédente et il faut user du capital social et familial. Les oncles Rozier sont dès lors bien utiles. Adolphe Desloges sera placé aux côtés de François et fera une brillante carrière dans la raffinerie et Firmin (sa mère pensera d’abord à son aîné Joseph40, déjà installé à Morlaix où il connaîtra finalement une belle réussite de marchand et de maire de la ville) est accepté par Ferdinand : il part pour le Missouri en octobre 1822, à 19 ans, cornaqué par François Rozier, pour faire son apprentissage de marchand américain41. Mais il n’est pas le seul de la fratrie à connaître le grand départ : son frère Jules s’installe à Santiago de Cuba, Timothée devient capitaine au long cours, Louisa épouse Prudent Crouan et suit son mari dans sa migration vers le Brésil ; quant à Joséphine, l’aînée, elle suit son mari officier vers l’Espagne puis vers l’Algérie.
17Finalement, face à la Révolution et à ses conséquences, les Desloges, négociants déclassés, usent d’une stratégie similaire à celle dont usent les Rozier et les Belloc pour éviter le déclassement : aller chercher ailleurs ce qui n’existe plus à Nantes. Ferdinand Rozier, Amédée Belloc et Firmin Desloges sont donc tous trois envoyés vers l’Amérique : ont-ils eu le choix ou n’ont-ils fait que répondre à des impératifs et nécessités familiaux, qu’obéir à leurs parents qui avaient besoin de leur départ ? Le seul pour lequel existe quelque indice est Firmin Desloges, dont la mère affirme qu’il est décidé à accepter la proposition qui lui était faite de s’installer auprès de son oncle42. Mais une telle affirmation éclaire peu et aucun autre indice ne vient confirmer que les trois hommes n’ont sans doute pas fait le choix du réseau négociant. Ont-ils pu en revanche choisir de se transformer en migrants ?
DES MIGRANTS
18Mais qu’est-ce qu’un migrant ? La figure est elle-même incertaine. A priori, un jeune fils de négociant envoyé comme tête de pont commerciale outre-Atlantique n’est pas un bon candidat migrant. Mais beaucoup de migrants ne sont eux-mêmes partis que dans l’objectif de revenir au pays une fois fortune faite. Le problème est ici de savoir exactement quelles étaient les attentes autour des départs de Rozier, Belloc et Desloges : leurs proches ont-ils tous envisagé un retour ? Comment eux-mêmes ont-ils pensé leur destin ? Et comment le récit peut-il rendre compte de ces incertitudes et laisser une place à l’imprévu ? Reprenons le fil de l’histoire de Ferdinand Rozier. L’affaire de Mill Grove fut un fiasco. Arrivés sur place en juin, Rozier et Audubon abandonnent la place dès septembre, laissant la propriété aux mains de Dacosta pour 4 000 dollars à tirer sur les futurs bénéfices de la mine : l’impossibilité de monter une compagnie localement, la méconnaissance du contexte et l’absence de fonds expliquent apparemment ce rapide revirement43. Le contrat initial est alors parfaitement respecté et comme convenu les deux jeunes hommes entrent dans de grandes maisons de commerce pour faire leur apprentissage américain avant de se lancer seuls. Audubon est donc à New York auprès de son beau-père Benjamin Bakewell, et Rozier à Philadelphie aux côtés de Lawrence Huron, marchand venu de Nantes durant la révolution américaine et qui bénéficie à ce titre de près de trente ans d’expérience du commerce franco-américain44. Le vin se met alors à circuler : François Rozier le fait charger à Bordeaux et La Rochelle pour l’envoyer à Huron, les jeunes Rozier et Audubon servant d’intermédiaires45.
19L’expérience ne dure qu’une année. En septembre 1807, les deux Nantais partent ensemble vers l’ouest par la vallée de l’Ohio. Cette rupture n’est qu’un trompe-l’œil : il s’agit avant tout de prendre son indépendance pour pénétrer les marchés de l’intérieur du continent, au-delà des Appalaches, et y poursuivre le commerce avec la France, en s’appuyant sur de riches expériences en la matière. Arrivés de Marseille à Philadelphie en 1794, les frères Tarascon y importaient par exemple des soieries françaises : en 1799 ils ont exploré les vallées de l’Ohio et du Mississippi pour s’installer à Pittsburgh avant de descendre encore vers l’aval et fonder Shippingsport, près de Louisville, dans le Kentucky. En 1806, ils publient à Philadelphie, avec leur partenaire Jacques/James Berthoud une brochure promotionnelle, An Adress to the citizens of Philadelphia on the great advantages which arise from the trade of the western country to the State of Pennsylvania and the City of Philadelphia46. Il y a fort à parier que Rozier et Audubon l’ont lue et appréciée, puisque c’est justement à Louisville qu’ils se fixent : la ville est dynamique, le port (Shippingsport) en pleine expansion, et une communauté française faite de marchands, d’exilés et de réfugiés de Saint-Domingue y semble accueillante.
20La déception est pourtant encore au rendez-vous. Au bout de deux ans, au printemps 1810, Rozier et Audubon déménagent leur affaire vers Henderson, en aval – sans plus de succès, mais en accumulant de l’expérience, chacun à sa manière. Audubon arpente le pays et passe l’essentiel de son temps à dessiner, tandis que Rozier tient la boutique, qui n’est plus le comptoir marchand de la côte est mais ce magasin typique d’une zone de peuplement en construction, ce qui suppose à la fois de vendre en masse du matériel de première nécessité et de connecter la région aux réseaux atlantiques de manière éveiller le goût des élites locales en gestation pour les productions de luxe ou de semiluxe47. Au printemps suivant, en 1811, un nouveau départ sera le dernier en commun : à Sainte-Geneviève, dans le Missouri, les Nantais dissolvent leur partenariat et leurs carrières divergent désormais. Audubon file vers la renommée artistique tandis que Rozier choisit de prendre racine en épousant une créole et en ouvrant boutique. S’il fallait en trouver une, c’est sans doute davantage ici qu’interviendrait la rupture. La première missive de Rozier à son frère conservée dans les fonds de Saint-Louis n’est pas la première qu’il lui a envoyée mais, en 1814, elle récapitule les éléments de cet esprit de « rupture » : le mariage, une première naissance, le commerce ouvert depuis trois ans, et surtout le rêve d’effectuer non pas un retour en France mais une visite à la famille. Surtout on y trouve une claire opposition entre le « vous »– la France – et le « nous » clairement du côté des États-Unis. Alors que Napoléon vient d’être chassé une première fois et que la guerre de 1812 inquiète la vallée du Mississippi, voilà Ferdinand qui affirme :
« Je te félicite sur l’avenir qui paraît flatteur pour la France puissiez vous jouir d’une longue paix, pour nous les flammes de la guerre nous dévorent, et je ne sais pas comment nous pourrons nous tirer de là48. »
21Firmin Desloges agit de même, et dix ans après son départ (Rozier, lui, les tenait huit ans après), ses actes et ses propos sont plus francs encore : il courtise Cynthia McIlvaine, dont il explique à son beau-frère Prudent Crouan qu’elle ne parle qu’anglais, et affirme sans ambiguïtés qu’il faut renoncer à tout retour de sa part, il est devenu citoyen américain et est attaché à son sol d’adoption49. Si Ferdinand Rozier a bien effectué une visite en France à l’été de 1825, ce ne sera de fait pas le cas de Firmin Desloges. Dans le trio, Hilaire Belloc fait exception puisqu’il est bien rentré, même si ce n’était pas à Nantes : les États-Unis n’ont été pour lui qu’un épisode de jeunesse dans la vie d’un marchand français tandis qu’au bout d’une courte décennie, ses deux cousins se sont mariés et mènent une vie désormais pleinement américaine.
22Pour autant, doit-on réellement parler de rupture dans les cas de Ferdinand Rozier et de Firmin Desloges ? Car si l’on replace leurs itinéraires respectifs dans le temps long de leur histoire familiale, leurs parcours d’exception se révèlent être une sorte de norme. Plutôt que de décrire le réseau familial Rozier/Desloges comme multipliant les ruptures, sans doute est-il plus juste de le décrire comme structuré par les migrations. Il faut, pour s’en rendre compte, reconstituer les lignées à la manière de Paul-André Rosental pour mettre en lumière des familles entremêlées, où la consanguinité signale la volonté de maintien des patrimoines, mais en même temps exocentrées, n’hésitant pas à intégrer plusieurs groupes de référence permettant ainsi à chacun de bénéficier de pistes multiples dans un ensemble fortement cohérent50. Plusieurs dynamiques s’entrecroisent, révélatrices des identités nantaises : ligérienne, atlantique, bretonne ; et les familles du réseau ne sont finalement nantaises que depuis le XVIIIe siècle51.
23Liées sur trois mariages par des mariages entre cousins (le grand-père, le père et le frère aîné de Ferdinand ont épousé des Colas), les Rozier et les Colas sont en effet venus d’Orléans et Ferdinand est le représentant de la première génération née à Nantes. Les ancêtres ont des origines professionnelles différentes : Denis Colas était bien négociant, mais François Rozier (premier du nom) était « avocat au parlement de Paris et bailli de plusieurs juridictions dans le bailliage d’Orléans52 ». C’est donc le fils, en épousant Marie Madeleine Colas, qui a imprimé la marque négociante sur les Rozier en s’installant à Nantes en même temps qu’une bonne partie de sa belle-famille. Le choix n’était pas incohérent : Orléans était une grande place de raffinage de sucre, produit que les Nantais importaient de Saint-Domingue. La boucle est complète lorsque le frère de Ferdinand, François, associé à son oncle Denis Colas, restaure une ancienne raffinerie rue Richebourg, à Nantes, en 1817. Les quatre fourneaux, dont le déplacement et la mise en route sont autorisés très rapidement – comme sept autres dans la ville cette même année53 –, permettent le maintien de la famille sur le devant de la scène économique locale. La filière orléanaise n’est pas la seule à rattacher le réseau à l’univers de la Loire, puisque deux Colas – deux tantes de Ferdinand (François Madeleine et Jeanne-Marie) – ont épousé deux frères issus du négoce de Saumur, Jean-Jacques et François-Bonaventure Alleaume, et qu’une fille de ce dernier mariage n’est autre que la mère d’Amédée Belloc.
24L’axe ligérien croise à Nantes les logiques bretonnes, représentées par les pérégrinations du père de Firmin Desloges sous le Consulat et l’Empire et le destin morlaisien de Joseph Desloges, et plus encore les logiques atlantiques – en ce sens, l’histoire d’Orléans pourrait d’ailleurs être relue à l’aune de l’histoire atlantique54. Il faut tenir compte d’une double réalité : celle des ports du littoral français et celle de l’Atlantique ultramarin. Dans le premier cas, c’est de Bayonne à Brest que se déploie le réseau familial ; Bayonne car témoin du mariage de François Rozier et Félicité Colas en 1806, Pierre Haudaudine apporte les réseaux basques, de ces familles installées depuis peu à Nantes, comme les Rozier et les Colas55. Brest car Louisa Desloges épouse en 1831 Prudent Crouan, né à Brest d’une famille d’origine irlandaise passée par le bassin parisien, les Crowan56. À ce mariage témoignait Joseph Mosneron, qui comme les Desloges et les Audubon est le fruit des dynamiques olonnaises. Et les Belloc, eux, sont arrivés de Bordeaux. Et, comme je l’ai déjà signalé, l’ensemble de ces réseaux portuaires se déploie au-delà de l’océan : avant la révolution haïtienne vers Saint-Domingue ; après, en fonction des restructurations et des opportunités familiales commerciales, vers les États-Unis bien sûr mais aussi Cuba.
25Replacés dans ce contexte de longue durée familiale sur trois ou quatre générations, les choix américains de Ferdinand Rozier, Amédée Belloc et Firmin Desloges ne sont donc pas foncièrement hétérodoxes. Leurs familles s’inscrivent dans des parcours migratoires au long cours, et le nœud nantais s’avérerait d’abord conjoncturel. Attirées par l’extraordinaire dynamisme de la ville à la fin du XVIIIe siècle, les branches du réseau familial s’y sont agglomérées, avant de s’élancer de nouveau, cette fois-ci outre-Atlantique du fait de la nécessité de faire face à la crise révolutionnaire. C’est en s’appuyant sur l’existant que cet élan nouveau est possible : les relais existent, de famille ou de solidarité professionnelle entre Nantais, qui mènent aux États-Unis au début du XIXe siècle comme existaient ceux qui ont mené les Rozier, les Colas, les Belloc, les Desloges et les autres vers la Basse-Loire au siècle précédent. Ces réseaux marchands semblent bien constituer aussi des chaînes migratoires.
26Cette impression d’extrême densité réticulaire, combinée à l’imbrication de deux logiques de mobilité, se trouve renforcée par la manière dont Rozier, Belloc et Desloges se sont insérés dans la société américaine. Le cas Belloc reste cette fois encore le plus simple à appréhender : Amédée a fait le choix de demeurer dans les réseaux français des deux villes qu’il a successivement habitées, soit les deux « communautés » françaises les plus connues dans les États-Unis du début du XXe siècle57. Encore faudrait-il s’entendre sur le terme de « communautés » tant être français ne peut suffire à caractériser des individus migrants situés au carrefour de plusieurs identités collectives (nationale, professionnelle, religieuse, sociale…) : Belloc est un marchand français, lié donc à au moins deux cercles de sociabilité. Son choix de parcours – refuser de faire souche en Amérique – peut influer sur la construction de son univers relationnel. Il n’en reste pas moins qu’il offre peu de surprises. Ce n’est pas le cas de Rozier et de Desloges.
27Lors de sa courte implantation dans le Kentucky, Ferdinand Rozier a déjà expérimenté la force de réseaux français qui pénétraient loin dans l’intérieur du continent – une réalité que les historiens ont jusque-là négligée, considérant l’Ouest transappalachien comme lieu d’investissements spéculatifs58 ou comme réservoir de vieilles communautés francophones datant de l’époque coloniale, sans y voir l’Atlantique français qui s’y poursuit en ce début du XIXe siècle. Le « corridor créole » que Jay Gitlin a vu entre Grands Lacs et golfe du Mexique59 demeure irrigué par des dynamiques françaises et non seulement par celles, intrinsèques, de l’Amérique du Nord.
28Ainsi lorsque Rozier s’installe le premier, en 1811, à Sainte-Geneviève, il le fait car il y trouve un terrain propice à deux égards : un milieu créole francophone au sein duquel il sent qu’il peut dessiner son avenir ; et des réseaux français riches et denses qui lui sont tout à fait familiers. Rozier rapporte ainsi en 1816 à son frère François :
« Mon oncle Colas se rappellera sans doute de M. Michel Amoureux une vieille connaissance à lui il demeure icy avec sa famille, c’est un homme d’une taille petite et qui a été nég[ocian]t sur la place, nous parlons souvent de lui60. »
29Voilà donc, à Sainte-Geneviève, Missouri, un marchand connu : Rozier n’était donc pas le premier. Il apparaît d’ailleurs que l’itinéraire de Mathurin-Michel Amoureux est proche de celui de Rozier, comme de celui des frères Tarascon. Né à Bourgneuf mais négociant lorientais, habitué au commerce avec Philadelphie, il migre aux États-Unis en 1793 avec sa fille mais il n’est pas un émigré : « excellent patriote », réfugié à Bourgneuf, il « fut horriblement pillé par les brigands61 » vendéens et choisit l’exil. Son épouse Perrine Janvier ne le rejoint que quelques années plus tard. Après quelques années passées à Georgetown, les amoureux s’installent dans le Kentucky avant de rejoindre le Missouri après 1801. Leur dernier enfant, Benjamin, né à Frankfort (Kentucky), est un marchand de Sainte-Geneviève associé à de nombreuses reprises à Rozier et Desloges dans les décennies suivantes.
30Firmin Desloges, lui, quitte la France en octobre 1822 avec de précieux papiers que lui a confiés François Rozier : ceux-ci concernent la succession de la veuve Guibourd, dont le notaire est le cousin Théophile Chanceaulme62 et qui habite également Sainte-Geneviève. Ursule Barbeau, veuve Guibourd, est en fait issue d’une famille créole et elle est la tante de Ferdinand Rozier par son épouse Constance Roy. Son époux, Jacques Guibourd de Luzinais, était un planteur de Saint-Domingue réfugié une première fois en France avant de s’exiler définitivement sur les rives du Mississippi63. Là encore il est frappant de constater à quel point nos trois hommes reproduisent des schémas familiaux : Rozier s’arrête ainsi à Sainte-Geneviève parce qu’il y connaît du monde et comme Guibourd avant lui, il épouse une créole. La chose est d’ailleurs banale. Ainsi le fils aîné de Jules de Mun, réfugié lui aussi, épouse Isabelle Gratiot, fille de l’exilé suisse Charles Gratiot et de Victoire Chouteau, dont le nom seul est synonyme de richesse et de pouvoir à Saint-Louis64. L’enracinement semble la règle dans ce milieu francophone, issu du refuge dominguois ou de l’émigration comme dans le cas des Provenchère, mais aussi simplement du commerce comme pour les Rozier ou les Amoureux.
31Cet enracinement suppose par conséquent l’entrelacs des réseaux français et créole. Là encore, Rozier et Desloges révèlent une tendance, mais sur deux tons différents. Desloges circule dans les réseaux commerciaux créoles mais épouse une Anglo-américaine pour signifier son américanisation, alors que Rozier choisit explicitement le mariage créole comme forme de maintien identitaire : il ne s’agit pas de nier son identité américaine naissante mais de maintenir une singularité. Cet élément est emblématique de l’histoire de Sainte-Geneviève et de la société créole de l’ancien pays des Illinois, écartelé entre les nouveaux États américains, dont en l’occurrence le Missouri né seulement en 1820, dix-sept années après l’achat de la Louisiane. Les historiens se sont peu penchés sur la région et sur le problème crucial du devenir des francophones aux États-Unis. Autant l’histoire coloniale de la vallée du Mississippi est largement arpentée, l’historiographie dix-neuviémiste a-t-elle délaissé les anciennes communautés qui posent pourtant la question de la capacité des États-Unis à absorber un peuplement colonial préexistant, question par ailleurs largement traitée dans le cas du sud-ouest hispanique65. En se concentrant sur les trajectoires culturelles et sur les activités commerciales, les cas Rozier et Desloges se révèlent être d’excellents terrains d’observation de cette problématique.
32Ferdinand Rozier a épousé Constance Roy, je l’ai dit. Il entre par cette alliance dans des réseaux familiaux nouveaux, ceux des plus grandes familles créoles de la région et notamment de la famille qui domine Sainte-Geneviève depuis des décennies, les Vallé, dont l’ancêtre François était né à Beauport, dans la vallée du Saint-Laurent, avant de migrer vers celle du Mississippi, et dont Constance Roy est la petite-nièce Les liens familiaux sont ici aussi puissants que ceux qui lient les familles négociantes nantaises et Rozier va reproduire ce qu’il connaît lui-même des intermariages qui l’ont façonné. Entre 1814 et 1833, Ferdinand et Constance ont dix enfants et tous ont vécu suffisamment longtemps pour fonder à leur tour une famille66. Sur ces dix enfants Rozier, six épousent des membres du réseau Vallé : François, Félix et Adolphe épousent trois filles de Jean-Baptiste Vallé (mais de deux mariages différents) ; Firmin, une fille de François Vallé ; Marie se marie avec Charles Hertich, petit-fils de Marie-Louise Vallé ; Charles, enfin, convole avec Émilie La Grave, fille de Marie Vallé. Les quatre autres rejetons choisissent au sein de l’éventail des autres possibles régionaux : Jules prend pour épouse Émilie Pratte, d’une autre grande famille créole ; Félicité trouve un migrant allemand, Frederik Flamm ; seuls Ferdinand et Amable épousent des Anglo-Américains, en l’occurrence Harriet Brady et Lavinia Skewes. C’est une stratégie globale : les affaires commerciales des Rozier et des Vallé sont très imbriquées et il est bon que les familles le soient aussi. Il se passe ainsi entre les Rozier et les Vallé aux États-Unis ce qui s’était passé entre les Rozier et les Colas (et les Belloc, les Desloges, les Alleaume…) en France – à cette nuance près qu’il s’agit aussi de mariages communautaires, dans le monde créole en voie de minorisation.
33Le choix de Desloges était apparemment inverse puisqu’en épousant Cynthia McIlvaine, il coupe avec le monde francophone et catholique. Ce n’est pourtant pas une rupture complète car jamais Firmin n’a interrompu sa correspondance familiale. Un moindre besoin de communauté française peut-être, ou le sentiment qu’une américanisation – que Firmin souhaitait – passait par une anglicisation totale et un éloignement du catholicisme. Rozier ne niait d’ailleurs pas qu’il fallait rompre quelque chose, et notamment dans la politique de la langue. Les choix éducatifs sont de ce point de vue très éclairants. Les deux aînés de Rozier sont nés en 1814 (Ferdinand) et 1816 (François). Leur procurer une bonne éducation a été un souhait constant et un réel souci : le Missouri est pauvre en établissements d’enseignement suffisamment honorables aux yeux de Ferdinand. Le séminaire Sainte-Marie des Barrens, fondé par des lazaristes en 1818 à quelques kilomètres de Sainte-Geneviève, avait d’abord comme vocation la formation de prêtres pour l’Ouest mais accueillait aussi de très jeunes gens qui n’étaient pas destinés à l’état ecclésiastique. Le jeune Ferdinand fut de ceux-là en 182267. Mais il fallait plus ambitieux, et Ferdinand conduisit lui-même ses deux fils en France en 1824 : il les confia aux soins de son frère aîné, et ils suivirent leur scolarité à l’École des arts et métiers d’Angers. Les deux garçons sont en fait bilingues quand ils quittent les États-Unis68, et l’objectif est bien paradoxalement de les former en France aux réalités américaines :
« Prenez-en vue seulement le pays pour lequel ils sont destinés il leur faut une education générale sans être trop approfondie, avoir une idée des arts et metiers, ainsi que l’agriculture et la Botanique, les mathématiques bien savoir leurs langues anglaise et française et une idée du commerce69. »
34C’est au point que Ferdinand recommande bien à son frère de prendre soin que ses fils ne « perdent pas la prononciation70 » de leur anglais. Et de fait, l’usage de la langue est complexe : les factures échangées entre les Rozier et des Créoles dans les années 1820 sont en français71, comme sa correspondance avec le très francophone évêque de Saint-Louis, Mgr Rosati72. Mais la seule facture subsistant avec le séminaire (Rozier ne fait pas qu’y placer ses enfants !) au début des années 1830 est en anglais73. Et par la suite tous les documents commerciaux de la famille jusqu’à la guerre de Sécession sont en anglais74. Il n’est guère que la correspondance familiale qui soit maintenue en français. Et encore ne conserve-t-on rien des enfants Rozier : on doit se limiter à constater que la première génération maintient le français. Louis Guibourd, le fils de Jacques Guibourd et Ursule Barbeau, apporte un témoignage complémentaire. Le 17 avril 1825, il quitte Sainte-Geneviève pour la France pour un voyage qui lui semble particulièrement attractif, comme si quelque chose lui avait manqué jusque-là. Son pays est bien les États-Unis mais le désir d’Europe est fort, et notamment de France, où la civilisation est si avancée et où il faut aller faire son éducation75. Peu de chose distingue le fils du réfugié et de la Créole des autres membres des élites américaines, plus particulièrement sans doute à l’Ouest : tous partagent un sentiment national fort, sans ambiguïté, mais aussi une vision du monde qui continue de placer la civilisation en Europe. Mais les origines familiales font de Louis un Américain francophone qui oriente son regard vers la France plutôt que vers un Royaume-Uni qui demeure pour beaucoup d’Anglo-Américains une référence culturelle incontournable dans ces années 1820 où une culture nationale est encore en train de s’inventer76.
35Plaçons-nous maintenant au début des années 1850. Amédée Belloc est depuis longtemps rentré en France, il est négociant au Havre, no 13bis, rue des Pincettes77. Firmin Desloges est en train de faire faire fortune dans le Missouri où il a fondé une famille anglo-américaine. Ferdinand et Constance Rozier ont finalement fait de même. Leurs enfants ont sans aucun doute réussi à leurs yeux, au moins la grande majorité d’entre eux. Jules et Charles sont allés tenter leur chance dans la Californie de la ruée vers l’or, les aînés sont demeurés à Sainte-Geneviève et dans les environs où ils font figure d’élites locales, propriétaires d’esclaves78, multipliant les activités commerciales, investissant dans la presse et la politique. Firmin, né en 1820, est candidat malheureux au Congrès dès 1850, élu maire de Sainte-Geneviève l’année suivante, et engagé à l’été de 1853 dans une nouvelle élection comme démocrate « bentonien » contre un candidat démocrate « jacksonien » dans un contexte d’éclatement des partis américains, signe de la crise politique qui devait mener à la guerre civile. Soutenu fermement par le Plain Dealer, propriété de son frère Charles, il n’en était qu’au début d’une belle carrière qui le verra élu sans opposition sénateur d’État en 1872, puis chroniqueur de l’histoire locale79. Ainsi dès les années 1850, la famille atlantique est devenue une famille de notables du sud-est missourien. Mais le cas Belloc est là pour montrer qu’il n’y avait rien d’inéluctable dans le processus : Rozier aurait pu rentrer en France et ne jamais servir de point d’appui à son neveu Firmin Desloges. Il serait resté une tête de pont d’un réseau marchand nantais et n’aurait jamais donné naissance à une famille américaine. C’est lui-même qui, comme Firmin, a fait un choix dont les motivations profondes et personnelles, nous échapperont toujours : celui de demeurer dans le Missouri, de s’y inventer une vie qui n’avait pas été anticipée, s’inscrivant dans la longue durée d’une histoire familiale faite de ce type de choix migratoires.
36Dès lors, quelle perspective adopter ? Le réseau tel qu’il se déploie initialement semble illustrer à la perfection le commerce atlantique, mais il reste en bout de course des Américains profondément impliqués dans les affaires de leur nation, de leur État et de leur comté et dont les réseaux commerciaux sont de moins en moins globaux. Tout se passe comme si les Rozier et les Desloges avaient lentement coupé les liens qui les liaient à l’Europe, comme si leur monde continuait bien à courir jusqu’à Philadelphie et La Nouvelle-Orléans mais guère au-delà. Il y aurait donc un rétrécissement des horizons, un passage de l’atlantique du local. À moins qu’il ne s’agisse d’un passage d’une forme de globalisation à une autre : la génération qui arrive aux États-Unis au temps de Rozier et de Belloc vit encore le monde atlantique tel qu’il s’est construit dans la colonisation. Mais la génération suivante, celle des enfants de Ferdinand, mais aussi finalement, celle de Firmin Desloges, hérite de révolutions80 qui ont inventé des États-nations : c’est dans ce contexte, tout aussi global – c’est un monde de nations – que le précédent, qu’ils vivent désormais. La guerre de Sécession qui vient les heurter dans leur État de manière particulièrement violente en 1861 en est un rappel douloureux81.
Notes de bas de page
1 L’historiographie des réseaux marchands a considérablement avancé grâce notamment à Hancock D., Oceans of wine: Madeira and the emergence of the American trade and taste, New Haven, Yale University Press, 2009 ou Trivellato Fr., The Familiarity of Strangers: The Sephardic Diaspora, Livorno, and Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, New Haven, Yale University Press, 2009.
2 Les milieux négociants nantais de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle sont au cœur de nombreux travaux. Jean Meyer avait montré la voie, notamment dans L’armement nantais dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Paris, Sevpen, 1969. Le dossier a été rouvert par Olivier Pétré-Grenouilleau dans L’argent de la traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle, Paris, Aubier, 1996 (les Rozier sont cités fréquemment dans la version de soutenance mais sans mentionner le départ de Ferdinand : « Négoce maritime et monde moderne : le milieu négrier nantais du milieu du XVIIIe siècle à 1914 », thèse de doctorat, université Rennes 2 Haute Bretagne, 1994). Depuis, d’autres ont pris le relais : Pineau-Defois L., « Une élite d’Ancien Régime : les grands négociants nantais dans la tourmente révolutionnaire (1780-1793) », Annales d’histoire de la Révolution française, 2010, no 358, p. 97-118 et, de manière plus générale, Id., « Les grands négociants nantais du dernier tiers du XVIIIe siècle : capital hérité et esprit d’entreprise (fin XVIIe- début XIXe siècle) », thèse de doctorat, université de Nantes, 2008 ; également Audran K., « Les négoces portuaires bretons sous la Révolution et l’Empire. Bilan et stratégies. Saint-Malo, Morlaix, Brest, Lorient et Nantes, 1789-1815 », thèse, université de Bretagne-Sud, 2007 ; Forestier A., « A “considerable credit” in the Late Eighteenth Century French West Indian Trade : The Chaurand of Nantes », French History, vol. 25, no 1, 2011, p. 48-68. Le cas nantais ne peut être compris qu’en relations avec d’autres. Voir Delobette É., « “Ces Messieurs du Havre”. Négociants, commissionnaires et armateurs de 1680 à 1830 », thèse, université de Caen, 2005 ; Butel P., Les négociants bordelais, l’Europe et les îles au XVIIIe siècle, Paris, Aubier, 1974 ; GARDEY Ph., Négociants et marchands de Bordeaux de la guerre d’Amérique à la Restauration (1780-1830), Paris, PUPS, 2009 ; et surtout, pour ce qui concerne cette présente étude, le travail fondamental de Marzagalli S., Bordeaux et les États-Unis, 1776-1815. Politique et stratégies négociantes dans la genèse d’un réseau commercial, Genève, Droz, 2015.
3 Weil Fr., Family Trees: A History of Genealogy in America, Cambridge, Harvard University Press, 2013, p. 85.
4 Sharp M. R. et Sharp L. J. III, Between the Gabouri: A history of Ferdinand Rozier and « nearly » all his descendants, Sainte-Geneviève, 1981 ; Desloges Ch. D., Desloges Chronicles. A Tale of two continents. A Amazing family journey, s. l., 2012.
5 Marzagalli S., « Le négoce maritime et la rupture révolutionnaire : un ancien débat revisité », Annales historiques de la Révolution française [en ligne], 352, avril-juin 2008, mis en ligne le 1er juin 2011, consulté le 11 octobre 2012. URL : [http://ahrf.revues.org/11143].
6 Je rejoins là l’« exceptionnel normal » de la microhistoire, cette approche de la société dans son ensemble par des itinéraires individuels qui en révèlent les fonctionnements par les marges (ou des illusions de marge) et qui nécessite d’en passer par une réflexion sur la narration historique.
7 Reinhart Koselleck a proposé le terme de « Sattelzeit » et l’aborde comme une période de changements de concepts, ou de mode de conceptualisation du monde. Une approche pragmatique, et non philosophique, du débat dans Chopelin P., Crépin A., DE Francesco A., Hême de Lacotte R., Mcphee P., Moullier I. et Schönpflug D., « 1815, début de l’histoire “contemporaine” ? », Annales historiques de la Révolution française [en ligne], 378, octobre-décembre 2014, consulté le 19 août 2015. URL: [http://ahrf.revues.org/13375].
8 Gervais P., Lemarchand Y. et Margairaz D. (éd.), Merchants and profits in the Age of Commerce, 1680-1830, Londres, Pickering et Chatto, 2014.
9 Villerbu T., « La réorganisation de l’Église catholique entre Appalaches et Mississippi dans les années 1810 », in Serme J.-M. (éd.), 1812 in the Americas, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2015, p. 162-178.
10 L’affaire est connue, certes, mais le traitement le plus complet reste celui donné il y a un siècle par Herrick Fr. H., Audubon the naturalist : A history of his life and time, New York, Appleton, 1917, vol. 1. Les biographes d’Audubon reprennent tous, depuis, les données de Herrick en citant les sources qu’elle a publiées dans son ouvrage.
11 Meyer J., « Les forges de la région de Châteaubriant à l’époque révolutionnaire (1789-1801) », Annales de Bretagne, t. 65, no 3, 1958, p. 361-394.
12 Guépin A., Histoire de Nantes, 2e éd., Nantes, Prosper Sebire, 1839, p. 404, 408, 428, 440.
13 Pour reprendre l’expression de Gómez A. E., Le spectre de la révolution noire : l’impact de la révolution haïtienne dans le monde atlantique, 1790-1886, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
14 Correspondance maritime de Nantes, 5 juin, 5 septembre et 5 décembre 1782.
15 Feuille maritime de Nantes, 20 juillet et 20 septembre 1786 ; 5 février et 20 juin 1787 ; 3 mars et 25 avril 1788 ; 20 mai 1789 ; 3 juillet 1790. Affiches de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, 1er, 3, 8 et 22 avril 1791 ; 13 et 27 janvier 1792.
16 Affiches de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, 26 octobre 1792.
17 Ibid., 23 novembre 1792.
18 Archives départementales de Loire-Atlantique (désormais ADLA), L630, quittances pour des chargements de bière sur La Douce Sirène en 1792.
19 Ont été intégralement analysés pour cette recherche les registres paroissiaux et d’état civil de la Loire-Atlantique, de l’Ille-et-Vilaine, du Morbihan et de la Vendée, grâce à leur présence en ligne.
20 Darrell R., « Engineering exile: social networks and the French Atlantic community, 1789-1809 », French Historical Studies, 23, 1, Winter 2000, p. 67-102 ; Dessens N., From Saint-Domingue to New Orleans: Migration and Influences, Gainesville, University Press of Florida, 2007 ; White A., Encountering the Revolution: Haiti and the Making of the Early Republic, Baltimore, John Hokins University Press, 2010 ; Renault A., D’une île rebelle à une île fidèle: les Français de Santiago de Cuba (1791-1825), Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2012.
21 ADLA, L1630, quittance de Belloc et Bournichon pour les secours à la colonie de Saint-Domingue.
22 ADLA, 4M597, le conseiller d’État chargé du premier arrondissement de la police général de l’Empire, à M. le commissaire général de police à Nantes, 5 vendémiaire an XIII.
23 Covo M., « Commerce, empire et révolutions dans le monde atlantique. La colonie française de Saint-Domingue entre métropole et États-Unis (vers 1778 - vers 1804) », thèse, EHESS, 2013.
24 Pétré-Grenouilleau O., « Négoce maritime… », op. cit., p. 260.
25 Rozier F. A., Rozier’s History of the early settlement of the Mississippi Valley, Saint Louis, G. A. Pierrot & Son, 1890, p. 287.
26 Marzgalli S., op. cit.
27 ADLA, 4M597, circulation des voyageurs étrangers, dossier de Jean-François Chanceaulme, 22 pluviôse an IX.
28 ADLA, 3J36, fonds Chevy-Trottier, correspondance reçue de l’étranger, Pierre Gaudais (Peter Godais) à Mathurin Trottier, 17 décembre 1803, 15 janvier 1804, et comptes de 1803.
29 Marzgalli S., Bordeaux et les États-Unis…, op. cit.
30 C’est ce que rapporte la tradition. Une telle fraude au printemps 1806 ne peut s’expliquer que par la volonté d’échapper aux foudres anglaises en cas d’interception en mer. Rozier F. A., Rozier’s History…, op. cit. Rozier lui-même a rapporté que le navire, le Polly, avait été arraisonné et les deux jeunes hommes détenus un jour et une nuit – brièveté peut-être due à de faux passeports ; relation de Ferdinand Rozier reproduite dans Herrick F. H., Audubon the naturalist…, op. cit., vol. 1, p. 187.
31 ADLA, 4M597, circulation des voyageurs étrangers. Le conseiller d’État, l’un des commandants de la légion d’honneur, chargé du 1er arrondissement de la police générale au préfet de la Loire-Inférieure, 11 juin 1806.
32 Contrat reproduit dans Herrick F. H., Audubon the naturalist…, op. cit., vol. 2, p. 346.
33 Sur les Belloc et les Colas, voir le travail de Audibert D., « Épiciers de l’Ouest – Le Mans, Angers, Nantes – au XVIIIe siècle. Étude comparative », thèse, université du Maine, 2003, notamment vol. 2, p. 744-757, mais ces deux familles irriguent l’ensemble de l’ouvrage.
34 Bergeron L., Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, EHESS/Mouton, 1978, p. 381.
35 Delobette É., « “Ces Messieurs du Havre”… », op. cit., p. 926.
36 Polfliet M., « Émigration et politisation. Les Français de New York et La Nouvelle-Orléans dans la première moitié du XIXe siècle (1803-1860) », thèse, université de Nice-Sophia Antipolis, 2013, p. 803.
37 Missouri History Museum (désormais MHM), A1325, Rozier family papers, Ferdinand Rozier à François Rozier, 24 mars 1826.
38 Chaigneau S., « Un exemple de mobilité sociale dans le monde de l’armement nantais du XVIIIe siècle : les Mosneron », mémoire de DES, université de Nantes, 1967 ; Pétré-Grenouilleau O. (présenté par), Moi, Joseph Mosneron, armateur négrier nantais (1748-1833), Rennes, Apogée, 1995.
39 MHM, Joseph Desloges collections, box 2, correspondance, vol. 1. Joseph Desloges à Ferdinand Rozier, 22 avril 1822. Voir aussi Renée Angélique Desloges à Ferdinand Rozier, même jour.
40 Ibid., Renée Angélique Desloges à Ferdinand Rozier, 4 mars 1817.
41 Ibid., François Rozier à Firmin Desloges, 26 août, et s. d., octobre 1822.
42 Ibid., Renée Angélique Desloges à Ferdinand Rozier, 23 août 1822.
43 Ferdinand Rozier à François Rozier, 12 septembre 1806, in Herrick F. H., Audubon the naturalist…, op. cit., vol. 1, p. 150.
44 Journal de John Adams, 30 juin 1785, [http://founders. archives.gov/?q=lawrence%20huron&s=1111311111&r=12], consulté le 11 août 2015. Covo M., p. 894 cite une firme Huron et Belzons en 1784. Huron est cependant absent des travaux sur Nantes et la guerre d’Amérique : Rouzeau L., « Aperçus du rôle de Nantes dans la guerre d’Indépendance d’Amérique (1775-1783) », Annales de Bretagne, t. 74, no 2, 1967, p. 217-278 et Meyer J., « Les difficultés du commerce franco-américain vues de Nantes (1776-1790) », French Historical Studies, vol. 11, no 2, automne 1979, p. 159-183.
45 Voir la correspondance de Jean-Jacques Audubon transcrite dans Herrick F. H., Audubon the naturalist…, op. cit., vol. 1, p 156-167.
46 Sur les Tarascon, voir « Tarascon, Louis and John », in Kleber J. (éd.), Encyclopedia of Louisville, Lexington, University Press of Kentucky, 2001, p. 866-868. Le récit par l’un des Tarascon et Jacques Berthou de l’exploration commerciale des vallées de l’Ohio et du Mississippi est d’une grande richesse : Filson Historical Society, Mss. A T177, Tarascon Louis, Journal, 1799.
47 Sur ce type de commerce, Martin A. S., Buying into the world of goods: Early consumers in Back-country Virginia, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2008 ; et Wenger D. E., A Country Storekeeper in Pennsylvania: Creating Economic Networks in Early America, 1790-1807, University Park, Pennsylvania State University Press, 2008.
48 MHM, fonds Rozier, Ferdinand Rozier à François Rozier, 20 septembre 1814.
49 MHM, Joseph Desloges collections, box 2, correspondance, vol. 2, Joseph Desloges à Prudent Crouan, 7 mai 1832.
50 Rosental P. A., Les sentiers invisibles. Espace, familles et migrations ans la France du XIXe siècle, Paris, EHESS, 1999.
51 Je le dis une nouvelle fois, l’analyse qui suit s’appuie sur le dépouillement des registres paroissiaux et d’état civil des villes concernées.
52 Audibert D., « Épiciers de l’Ouest… », op. cit., vol. 2, p. 755.
53 ADLA, 5M288, demandes d’ouverture de raffineries de sucre, 1817-1837. Sur les raffineries successives détenues par Rozier, et le sucre en général, voir Fiérain J., Les raffineries de sucre des ports de France (XIXe- début XXe siècle), Lille, ANRT, 1976, p. 256-257 pour les débuts de l’affaire.
54 Les villes fluviales sont en effet trop souvent exclues du récit atlantique alors qu’elles y prennent part. Pour le cas français, voir Le Gouic O., Lyon et la mer au XVIIIe siècle. Connexions atlantiques et commerce colonial, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
55 Pétré-Grenouilleau O., « Négoce maritime… », p. 288-289.
56 Ibid., p. 742-743.
57 Polfliet M., « Émigration et politisation… », op. cit. Bourdelais M., La Nouvelle-Orléans : croissance démographique, intégrations urbaine et sociale (1803-1860), Peter Lang, 2012.
58 C’est le cas en dernier lieu de Furstenberg Fr., dans son ouvrage par ailleurs brillant, When the United States Spoke French : Five Refugees Who Shaped a Nation, New York, Penguin, 2014.
59 Gitlin J., Bourgeois Frontier. French towns, French traders and American expansion, New Haven, Yale University Press, 2009.
60 MHM, fonds Rozier, Ferdinand Rozier à François Rozier, 4 juillet 1816.
61 MHM, Amoureux-Bolduc papers, box 1, certificat du conseil municipal de Bourgneuf, 30 prairial an II. La famille Amoureux est inconnue des études sur le port de Lorient (notamment Le Bouëdec G., Le port et l’arsenal de Lorient de la Compagnie des Indes à la Marine cuirassée, une reconversion réussie [XVIIIe-XIXe siècle], 4 vol. et un atlas, 935 p., Librairie de l’Inde, Paris, 1994) mais les archives conservées dans le Missouri renseignent amplement sur le commerce entre ce port et les États-Unis.
62 MHM, Desloges collection, box 2, correspondance, vol. 1, François Rozier à Firmin Desloges, octobre 1822 et 25 octobre 1822.
63 La famille est de Candé, et Rozier semble bien la connaître : MHM, fonds Rozier, Ferdinand Rozier à François Rozier, 22 septembre 1825.
64 La famille Chouteau est la mieux connue des familles créoles, sans doute à juste titre eut égard à son importance historique et à la masse d’archives qu’elle a laissé, mais elle masque une réalité encore peu analysée dans sa profondeur sociale. Foley W. E. et Rice C. D., The First Chouteaus: River Barons of Early St. Louis, Champaign, University of Illinois Press, 2000 [1983]; Shirley Ch., Before Lewis and Clark: The story of the Chouteaus, the French Dynasty that rule American Frontier, New York, Farrar, Strauss and Giroux, 2004.
65 La seule monographie sur Sainte-Geneviève est désolante: Stepenoff B., From French community to Missouri town: Ste. Genevieve in the nineteenth century, Columbia, University of Missouri Press, 2006. Saint-Louis est finalement peu connue entre l’époque coloniale et la guerre de Sécession. Un beau travail: Schroeder W. A., Opening the Ozarks: A historical geography of Missouri’s Ste. Genevieve District, 1760-1830, Columbia, University of Missouri Press, 2002. Sur le contexte missourien, voir Aron S., American Confluence: The Missouri Frontier from Borderland to Border State, Bloomington, University of Indiana Press, 2006. Une étude exemplaire sur un cas en amont : Eldersveld Murphy L., Great Lakes Creoles: A French-Indian Community on the Northern Borderlands, Prairie du Chien, 1750-1860, New York, Cambridge University Press, 2014.
66 Les éléments généalogiques sont issus de Sharp M. R. et Sharp L. J. III, Between the Gabouri…, op. cit.
67 DePaul University Archives, John T. Richardson Library, Special Collections, DeAndreis Rosati Memorial Archives, St Mary’s of the Barrens Seminary, box 37, folder 1, registres des étudiants.
68 MHM, fonds Rozier, Ferdinand Rozier à François Rozier, 21 mars et 20 mai 1824.
69 Ibid., 28 septembre 1825.
70 Ibid., 12 novembre 1825.
71 MHM, fonds Amoureux-Bolduc.
72 Archives de l’archevêché de Saint-Louis, Bishop Rosati, RG 01 B 04.03B, correspondance de Rozier avec Rosati, 1822-1830.
73 DePaul University Archives, John T. Richardson Library, Special Collections, DeAndreis Rosati Memorial Archives, St Mary’s of the Barrens Seminary, box 88, folder 14, facture du 4 juin 1831 concernant des livres.
74 Ils abondent dans les fonds de la State Historical Society of Missouri, à Columbia et Rolla.
75 MHM, Guibord papers, journal de Louis Guibourd, 1825.
76 Voir à ce sujet Haynes S. W., Unfinished Revolution: The Early American Republic in a British World, Charlottesville, University Press of Virginia, 2010 ; Akemi Yokota K., Unbecoming British: How Revolutionary America Became a Postcolonial Nation, New York, Oxford University Press, 2011.
77 Bulletin des Lois de la République française, Xe série, partie supplémentaire, tome septième, Paris, Imprimerie nationale, 1851, p. 124.
78 Recensement des esclaves de 1850, Missouri, district de Sainte-Geneviève.
79 Rozier F. A., Rozier’s History…, op. cit., qui comprend par ailleurs une notice biographique de l’auteur.
80 Sur cette notion, Appleby J., Inheriting the Revolution: The First Generation of Americans, Cambridge, Massachusetts, Belknap Press, 2000.
81 La guerre de Sécession est relue depuis quelques années dans un contexte atlantique, comme un problème de constructions nationales (celle des États-Unis, celle du Sud). Voir par exemple Egerton D. R., « Rethinking Atlantic Historiography in a Postcolonial Era: The Civil War in a Global Perspective », The Journal of the Civil War Era, vol. 1, no 1, mars 2011, p. 79-95 ; « Interchange: nationalism and internationalism in the Civil War Era », Journal of American History, vol. 98, no 2, septembre 2011, p. 455-489 ; Prior D., Bonner R. E., Connell S. E., Boyel D. H., Eichhorn N. et Fleche A. M., « Teaching the Civil War Era in a Global Context: A discussion », The Journal of the Civil War Era, vol. 5, no 1, mars 2015, p. 97-125 ; Quigley P., Shifting Grounds: Nationalism and the American South, 1848-1865, New York, Oxford University Press, 2012 ; Fleche A. M., The Revolution of 1861: The American Civil War in the Age of Nationalist Conflict, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2012.
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