Résumés
p. 195-197
Texte intégral
L’« Art de(s) masse(s) » synonyme de démocratisation de l’œuvre d’art ? Le point de vue de Walter Benjamin. Federico Tarragoni
1La période 1870-1913 connaît une reconfiguration d’envergure de l’imaginaire démocratique en politique et dans les arts. Lors même que le dèmos glorieux de Juillet cède face aux « classes laborieuses/dangereuses » et à la foule irrationnelle, un nouveau nom du peuple apparaît dans la sphère artistique : la masse. L’« art des masses », différemment des manifestes romantiques de l’« art au peuple », renvoie à un ensemble de transformations sensibles de l’expérience collective de l’œuvre d’art. Comme le montre Benjamin, l’introduction du roman-feuilleton, la diffusion de la photographie, la nouvelle technique du cinéma changent l’économie cultuelle de l’œuvre d’art. Assiste-t-on pourtant à l’émergence d’un public de masse ? À quelles conditions peut-on parler de démocratisation dans la sphère artistico-culturelle ? L’art des masses ne côtoie-t-il pas dangereusement l’« esthétisation des masses » ? Il semble judicieux de répondre, en croisant sociologie et histoire culturelle, à ces différentes questions afin de saisir le champ de contradictions sur lequel le nouveau commencement des avant-gardes après 1913 s’est fondé.
Nietzsche lecteur des écrivains de son temps. Brigitte Krulic
2L’œuvre de Nietzsche ne saurait se comprendre hors du contexte historique et sociologique des deux décennies, entre 1870 et 1890, marquées par la « crise allemande de la pensée française », l’émergence des nationalismes et de l’antisémitisme sur fond de diffusion du suffrage universel et de démocratisation politique et sociale. L’analyse se concentrera sur les appréciations portées par Nietzsche sur les auteurs de son temps ; mais il va de soi que ces lectures ont aussi nourri sa réflexion ; elles témoignent aussi du fait que Nietzsche a puisé, comme beaucoup d’antimodernes, dans une Vulgate dénonçant la solitude de l’individu d’exception dans une modernité désenchantée et nivelée.
Sur l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, « Valéry ou l’apprentissage des possibles ». Athanase Voussaris
3L’abandon de la poésie par Valéry au milieu de la dernière décennie du XIXe siècle est le symptôme non seulement d’une crise intellectuelle, elle témoigne aussi de la crise d’une époque. En solitaire, le poète se tourne vers une des plus grandes incarnations de l’esprit universel, Léonard de Vinci, pour chercher les lumières de sa « méthode » (Introduction à la méthode de Léonard de Vinci) et comprendre une pratique de l’écriture qu’il est en train d’élaborer dans ses Cahiers. De cette rencontre, une nouvelle conception des fonctions de l’esprit s’imposera à Valéry qu’il observera longuement dans le silence. Il la concevait comme un contrepoison au cours qu’allait prendre la Modernité. Mais l’Histoire en a décidé autrement.
La « guerre impitoyable » aux « Choses Vagues », à propos de Monsieur Teste de Paul Valéry. Serge Linkès
4Écrit en 1894 et publié en 1896, La Soirée avec Monsieur Teste est l’un des ouvrages les plus étranges de Paul Valéry. Il met en scène un personnage réputé impossible à travers lequel l’auteur tente de répondre à la question : « Que peut un homme ? », question qui a hanté son esprit durant toute sa carrière et à laquelle aucune réponse ferme ne pourra jamais être apportée. Toutefois, cette interrogation aura le mérite de permettre à Valéry d’explorer le fonctionnement de l’esprit, à travers ses limites et ses potentialités, à une époque où toutes ces questions étaient au centre des préoccupations de la science, de la médecine et de la psychanalyse naissante. Ainsi Valéry sera parmi les premiers à donner un éclairage littéraire, à mi-chemin entre la fiction et l’essai, sur cette question centrale qui préoccupe toujours la science actuelle.
L’Humour dans la musique française de 1870 à 1913 : entre exorcisme et hédonisme. Étienne Kippelen
5À écouter certains compositeurs, il règne encore aujourd’hui un tabou particulièrement vivace au sujet de l’humour musical, conduisant à mésestimer les productions provoquant le sourire, comme si la musique, art du tragique par excellence, ne saurait raisonnablement incliner à l’humour, sous peine de perdre son âme. Pourtant, des années 1870 à 1913, la création des Chabrier, Saint-Saëns, Debussy et autres Satie a souvent dérivé vers des pages légères ou parodiques, parfois justifiées par une évocation attendrie de l’innocence enfantine. Des Souvenirs de Bayreuth de Fauré et de Messager, ravalant la chevauchée des Walkyries à un simple quadrille, au Docteur Gradus ad Parnassum de Debussy, moquant Clementi, en passant par les calembours d’Españaña de Satie, tous ces humours, aux enjeux néanmoins différents, tentent d’exorciser la défaite de 1870. Dans un contexte où les haines religieuses et les conflits sociaux s’exacerbent à l’aune d’un nationalisme revanchard, la mécanique détraquée de la caricature et du comique sonne comme un refus pour le monde musical d’abonder la tragédie qui se noue, en même temps qu’elle amuse un public bourgeois en quête de divertissement.
La province à l’épreuve du monde moderne démocratique : la France dans Histoire contemporaine d’A. France et la Prusse dans Le Stechlin de T. Fontane. Charles Brion
6Ce texte confronte des deux côtés du Rhin deux œuvres parfaitement contemporaines : Der Stechlin de Theodor Fontane publié en 1899 et Histoire contemporaine d’Anatole France publié entre 1897 et 1901, portant au même moment un regard historique sur la mutation de la société à la fin du XIXe siècle. Toutes deux situées en province, ces deux œuvres se ressemblent formellement : l’intrigue est mince, la part de fiction minime, la grande Histoire prédomine à travers un long récit riche à la fois de nombreuses références à l’actualité et d’avis multiples, en polyphonie, sur ces événements historiques ; la composition fragmentaire, où la réflexion l’emporte sur l’action, livre un riche tableau psychosocial de l’époque, alors que l’Allemagne devient une nation industrielle de stature mondiale et que la France cherche son identité démocratique à travers l’affaire Dreyfus. L’affrontement commun entre tradition et modernité y présente cependant trois différences majeures. D’abord, l’enracinement géographique et patrimonial est quasiment nul chez France, dont la province est fictive et abstraite (un lieu pouvant incarner l’ensemble de la République française), alors que Fontane enracine tout son roman dans le terroir brandebourgeois en insistant sur le poids de la tradition prussienne au moment de son crépuscule. Deuxième divergence, la crise politique due à l’entrée dans la modernité frappe deux pays dont le stade de libéralisation n’est pas également avancé : en Allemagne, si la nécessité d’un parlementarisme réel se fait sentir après Bismarck, le régime reste dépourvu de toute tradition démocratique ; en France au contraire, la République française est déjà la troisième et elle a célébré le centenaire de la Révolution française, mais la démocratie parlementaire est en crise. Le préfet Worms-Clavelin incarne chez France un virage pragmatique vil du régime recherchant autant l’ordre que le progrès pour surmonter les périls de l’anarchisme comme du monarchisme. La même synthèse décevante mais nécessaire passe chez Fontane par la figure désabusée du vieux Dubslav von Stechlin, traditionaliste se convertissant avec répulsion au credo du progrès démocratique, et dépassé dans cette conversion par son fils incarnant la nouvelle Allemagne. Enfin, le traitement de la religion est divergent, car, si France entend montrer l’attitude fondamentalement antidémocratique de l’ensemble du clergé catholique, Fontane, plus nuancé, montre les personnages les plus pieux comme les plus hostiles au progrès démocratique, à l’exception notable du pasteur Lorenzen, qui s’avère au final, en refusant conjointement le conservatisme de la Junkertum et l’athéisme social-démocrate, la véritable figure de la synthèse et de la continuité dans le roman. L’ambivalence foncière de ces deux œuvres est précisément la traduction du mouvement mâtiné de tradition et de démocratie qui emporte alors l’Europe, trop lentement selon France, trop brutalement selon Fontane.
The Home and the World : cosmopolitisme et insularité dans le roman anglais d’avant-guerre. Vincent Giroud
7Les années précédant la Première Guerre mondiale ont vu le roman anglais s’interroger sur la condition de l’Angleterre. Cette interrogation prend souvent la forme de la nostalgie d’une Angleterre mythique aux valeurs traditionnelles dont l’insularité est menacée par le cosmopolitisme lié à la modernité. Ce chapitre examine comment le thème est traité dans quelques-uns des romans les plus significatifs de la période : L’Agent secret (1907) de Joseph Conrad, Howards End d’E. M. Forster et trois D. H. Lawrence : Le Paon blanc (1911), Amants et Fils (1913) et L’Arc-en-ciel (1915).
Rider Haggard et William Morris : l’image de la femme entre tradition et modernité. Marc Rolland
8Deux auteurs britanniques de la seconde moitié du XIXe siècle, Henry Rider Haggard (1856-1925) et William Morris (1834-1896), ont mis en scène des personnages de reines belles, semi-immortelles et tragiques dans leurs romans d’imagination. Si ces figures se rapprochent de la femme fatale archétypale, elles témoignent aussi de la volonté des deux auteurs de leur conférer une puissance et une autonomie inhabituelles. Chez Rider Haggard, Ayesha (She, 1886) et Cléopâtre (Cleopatra, 1889) éprouvent de grandes passions et entendent choisir librement l’objet de leur amour, mais l’une comme l’autre sont avant tout reines, et assument les contraintes de leurs charges. Avec Morris, les caractéristiques de la femme libérée, qu’on trouve dans son utopie futuriste (News From Nowhere, 1890) force et courage physiques, aisance dans les rapports avec les hommes, liberté d’aimer, se trouvent incarnées dans son dernier roman, The Well at the World’s End (1896), en deux personnages, la Dame d’Abondance et Ursula. La première, pourvue elle aussi d’une longévité inhabituelle et exerçant le pouvoir politique ainsi que le métier des armes aussi bien qu’un homme, rejoint ses consœurs, Ayesha et Cléopâtre dans une fin tragique pourtant. Serait-ce le signe que les temps n’étaient pas encore mûrs, et que la transgression de l’ordre patriarcal, même chez le socialiste William Morris, ne pouvait aboutir ? Une évolution médiane semble se dessiner, pourtant, en la figure d’Ursula, jeune fille qui combine indépendance, initiative et liberté de choix, tout en respectant les convenances conjugales, à l’instar de nombre de pionnières féministes des débuts du XXe siècle.
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