Valéry ou l’apprentissage des possibles. Sur l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci
p. 55-73
Résumés
L’abandon de la poésie par Valéry au milieu de la dernière décennie du XIXe siècle est le symptôme non seulement d’une crise intellectuelle, elle témoigne aussi de la crise d’une époque. En solitaire, le poète se tourne vers une des plus grandes incarnations de l’esprit universel, Léonard de Vinci, pour chercher les lumières de sa « méthode » (Introduction à la méthode de Léonard de Vinci) et comprendre une pratique de l’écriture qu’il est en train d’élaborer dans ses Cahiers. De cette rencontre, une nouvelle conception des fonctions de l’esprit s’imposera à Valéry qu’il observera longuement dans le silence. Il la concevait comme un contrepoison au cours qu’allait prendre la Modernité. Mais l’Histoire en a décidé autrement.
The abandonment of poetry by Valéry in the middle of the last decade of the 19th century is the symptom not only of one intellectual crisis, it also testifies to the crisis of its own time. In the solitude, the poet turns to one of the largest incarnations of the universal spirit, Léonard de Vinci, to seek the lights of his “method” (Introduction to the method of Léonard de Vinci) and to understand a practice of the writing which it is working out in his Cahiers. Of this meeting, a new conception of the offices of the spirit will be imperative upon Valéry, conception which he will observe for a long time in the silence. And he conceived it as an antidote to the course that Modernity was going to take. But the History decided differently.
Texte intégral
LA « MÉTHODE », UN PARI INSENSÉ ?
1Valéry a 23 ans quand il commence à écrire, en août 1894, l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, publiée un an après (dans La Nouvelle Revue, no 15, août). Il s’agissait d’une commande de Mme Juliette Adam, « sur la gracieuse demande de Léon Daudet1 ». Il s’y met et travaille consciencieusement : « Il me faudrait pour l’exécuter, appliquer la devise même du Vinci qui me plaît tant “Hostinatorigore” », écrit-il à son frère aîné Jules2.
21894, c’est aussi l’année où, à partir d’août et dans la maison des intendants du Languedoc qui a peut-être vu naître Auguste Comte, il ébauche La Soirée avec Monsieur Teste, qui allait paraître en 1896 et devait souvent être remise sur le métier. Il est déjà un ami intime de Gide et de Pierre Louÿs, et voit régulièrement celui dont l’œuvre l’a le plus marqué, Stéphane Mallarmé.
3Enfin, de cette même année 1894 date aussi le premier (des 257) Cahier connu de l’auteur ; il porte le titre Journal de bord et la mention Pré-Teste.
4À cette époque, Valéry avait publié, dans des revues dont la carrière a été éphémère, une quinzaine de poèmes d’inspiration « symboliste » et presque tous parus entre 1890 et 1893 (et recueillis plus tard dans Album de vers anciens, 1920), ainsi que, et cela vaut la peine d’être rappelé, Paradoxe sur l’architecte (en mars 1891).
5À considérer simplement les dates et les faits dans ce qu’elles peuvent dire d’un homme et de ses œuvres (ce sera la grande interrogation initiale de la Méthode), on n’y trouverait pas les traces d’une crise. Or, il nous semble qu’accepter, ce qui est proprement insensé de la part de quelqu’un qui a plus d’admiration que de connaissance pour Léonard3, non de « raconter » ce que la vie de Léonard avait pu avoir de « narrable », mais d’écrire sur la méthode d’un génie absolu qui ne s’était point confiné à l’intérieur d’un faire singulier (pour le dire autrement : à l’intérieur de ses tableaux), mais les a tous pratiqués avec génie, laisse supposer dans quel milieu asphyxiant évoluait Valéry, comment lui était vital son besoin de repenser être-poète.
6Car que penser, en effet, de celui qui, à l’issue de l’adolescence, abandonne ses rêves d’architecture, qui ont pourtant eu un rôle fondateur dans sa sensibilité (« mais l’adolescence est inconstante », nous rappelle-t-il), pour prendre ses habitudes dans la maison symboliste4 (puisque c’était son « ère ») et se mettre à faire, « comme on y faisait », des vers dans le but d’accroître « la quantité de musique que la langue française permet d’introduire dans le discours5 » ? Était-ce un dilettante ? Et fallait-il s’attendre à autre chose qu’à un prompt désenchantement ?
7Valéry vit à cette époque ce passage historique où une littérature d’« avant-garde », elle-même émiettée en différentes tendances et souvent en groupuscules (la définition du symbolisme par Valéry, on l’a vu, le laisse bien entendre), devenait une « littérature du passé ». Roman psychologique et roman naturaliste étendaient de plus en plus leur formidable pouvoir. « À quoi bon trafiquer de ce qui, peut-être, ne se doit vendre, surtout quand cela ne se vend pas ? », se demandait Mallarmé dans Variations sur un sujet (1895-1896). Exclue des librairies, la poésie, car c’est d’elle qu’il s’agit, l’est aussi des institutions qui symbolisent la reconnaissance publique et officielle des écrivains. Ce pessimisme des poètes à la fin du XIXe siècle, est magnifiquement exprimé par Verlaine dans Les Poètes maudits (1883-1884), qui devient, avec Mallarmé, le maître de la génération nouvelle, appelée décadente (1884) puis (1886) symboliste. Comme d’autres (Huysmans dans son roman manifeste À rebours), Verlaine montre les poètes, épris d’un autre idéal de beauté, séparés de la société. Ses « études » sur Corbière, Rimbaud, Mallarmé, Villiers de L’Isle-Adam, Desbordes-Valmore et enfin sur lui-même (dit : « Pauvre Lélian ») signifiaient que la malédiction n’était désormais plus un cliché mais une réalité. Les funérailles nationales de Victor Hugo le 22 mai 1885 qui rassemblaient deux millions de personnes, puis son transfert au Panthéon dix jours plus tard faisaient ressentir encore plus amèrement cette marginalisation.
8Avec sa Méthode, qui semble au premier abord s’éloigner des préoccupations de son temps, Valéry publie un vrai manifeste du pouvoir poïétique6 : véritable leçon d’humanisme, il est de loin son écrit le plus important à cette date et il déterminera l’évolution de sa pratique de l’écriture. Avec Monsieur Teste, et dans un registre très différent, il constitue une véritable charte de la littérature et de l’esthétique du XXe siècle. Et il faut d’emblée le dire, si Monsieur Teste est l’homme dont le désert de l’esprit calciné par l’expérience narcissique de la conscience occidentale annonce la tragédie à venir, l’Introduction à la méthode de Léonard en était l’antidote.
9Le retour fréquent de Valéry sur son texte de 1895 (mais la date de 1894 sera toujours maintenue dans le titre) démontre sa valeur d’« origine » et insère le texte dans le flux d’une production toujours inachevée et se reprenant, que la découverte de la poïétique grâce à la « méthode » de Léonard a elle-même fait jaillir. En effet, Valéry reprendra l’Introduction d’abord en 1919 pour y ajouter Note et digression (placé en tête d’une réédition de l’Introduction…) ; puis pour écrire, en 1929, une troisième partie intitulée significativement Léonard et les philosophes, qui se présente comme une Lettre à Léo Ferrero, le malheureux jeune dramaturge italien. En fac-similé, on trouvait les notes marginales, au caractère souvent aphoristique, écrites pour l’ensemble des trois parties en 1929-1930.
MISE EN PERSPECTIVE. LE TEMPS D’EDGAR ALLAN POE : UN RÉCIT « COSMOGONIQUE »
10Où en était Valéry de sa réflexion et de sa pratique littéraires à l’époque ? En amont de la Méthode, vers 1890, il y a, certes, les quelques poésies écrites, mais aussi, apprend-on, un esprit qui croit « à la puissance de la pensée », qui enfante des idées en lesquelles il a foi parce que la conformité avec son être, qui les avait enfantées, était pour lui « une marque certaine de leur valeur universelle7 ». « Étranges », ces idées étaient vouées à rester encore secrètes, tout comme devait ne pas se répandre au grand jour le fait que le poète n’écrivait plus de poèmes, qu’il ne lisait presque plus (ce qu’il faut, bien entendu, prendre avec une certaine réserve). Romans et poèmes n’en étaient à ses yeux que des applications « particulières, impures et à demi-conscientes » de quelques propriétés attachées aux fameux secrets qu’il croyait trouver un jour, puisqu’ils devaient nécessairement exister. Le manque de rigueur, de suite, de nécessité le scandalisait, leur objet était souvent minime, « ignorant ou même redoutant, tout l’épique et le pathétique de l’intellect ». Est-ce à cause du cloisonnement des genres et des différents mouvements de l’esprit que ni Lucrèce ni Dante ne sont Français, que nous n’avons pas de poètes de la connaissance ? Et du côté des sciences, rien de leur vraie et merveilleuse effervescence n’était enseigné aux jeunes8.
11C’est à cette époque que Valéry, qui n’a pas encore vingt ans, sent que « le Parnassien qui a d’abord été lui, se dissout et s’évapore » et découvre les préraphaélites, vient de découvrir Poe : « J’ai toujours du reste l’œil sur le Maître, sur l’artiste surnaturel et magique, le plus artiste à mon sens, Edgar Allan Poe, auquel peut pleinement s’appliquer le vers de Mallarmé sur Gautier “Magnifique, total et solitaire”9. »
12Poe lui procure des preuves de cette unité organique des phénomènes qui était devenue pour lui un besoin vital. Revenant plus tard (1922) sur cette époque, il écrit à propos d’Eurêka, que la vérité qu’a recherchée Poe ne pouvait être saisie que par une adhésion immédiate à une intuition telle qu’elle rende présente et comme sensible à l’esprit la dépendance réciproque des parties et des propriétés du système qu’il considère. Cette dépendance qui s’étend aux états successifs du système fait que cause et effet sont réversibles : « Une cause et son effet peuvent, à un regard qui embrasserait la totalité de l’univers, être pris l’un pour l’autre, et comme échanger leurs rôles10. »
13Le principe de la Consistance (Consistency) de Poe touche au cœur des recherches de Valéry :
« Il est à la fois le moyen de la découverte et la découverte elle-même. C’est là un admirable dessein ; exemple et mis en œuvre de la réciprocité d’appropriation. L’univers est construit sur un plan dont la symétrie profonde est, en quelque sorte, présente dans l’intime structure de notre esprit. L’instinct poétique doit nous conduire aveuglément à la vérité11. »
14N’arrive-t-il point en effet aux mathématiciens, dit Valéry, de considérer leurs découvertes, non comme des « créations » de leurs facultés combinatoires, « mais plutôt comme des « captures » que ferait leur attention dans un trésor de formes préexistantes et naturelles, qui n’est accessible que par une rencontre assez rare de rigueur, de sensibilité et de désir12 ? »
15Dans ce texte qu’il qualifie de « poème », Valéry découvre « un des rares exemplaires modernes d’une explication totale de la nature matérielle et spirituelle ». C’est en cela qu’il s’agit même d’une cosmogonie13. Forçant un peu son enthousiasme, Valéry n’hésitera pas à y trouver, « sinon une formule, du moins “l’expression d’une volonté de relativité généralisée” » : « L’affirmation de relations symétriques et réciproques entre la matière, le temps, l’espace, la gravitation et la lumière. » Et Valéry d’expliquer pourquoi il souligne le mot de « symétrie » : c’est qu’il s’agit de la « symétrie formelle qui est le caractère essentiel de la représentation de l’univers selon Einstein. Elle en fait la beauté ».
16Cosmogonie, représentation, réciprocité d’appropriation, relations symétriques et réciproques, convertibilité de rôles, autant de notions dynamiques qui font que la Consistance assure dans ce système de pensée une parfaite coïncidence entre la valeur esthétique et la vérité scientifique, entre Poésie et Vérité14.
UN PRINCIPE DE COMPOSITION POÉTIQUE
17C’est de ce même système aussi que procédait le Principe de composition que Poe avait exposé dans Genèse d’un poème. Il ramenait la « poésie à l’état pur », au classicisme, au souci contraignant des conventions, voire à leur « absolutisme ». Peu comprises de nos jours, comme c’est le cas de l’art classique, ces conventions « n’en procèdent pas moins d’une antique, subtile et profonde entente des conditions de la jouissance intellectuelle sans mélange15 ». Dans ses Cahiers, Valéry exprime admirablement cette idée à propos du théâtre classique :
« Le théâtre classique est fait de discours – qui posent, préparent, définissent, déclarent, – de actes. […] La vie est presque entièrement transposée en langage – comme les phénomènes le sont (en phy[sique] math[ématique]) en notation algébrique16. »
18Contre le choc recherché par le « romantisme » (il faut ici entendre plus largement la littérature de fin de siècle), par essence « antiscientifique » et persuadé de « n’avoir besoin que de la passion et de l’inspiration », Poe, pour la première fois, élucidait les rapports de l’œuvre et du lecteur sur des fondements positifs et valables pour toutes les productions de l’esprit, et même les plus vulgaires. Remarquable par sa généralité, sa loi démontrait sa souveraine vérité par sa fécondité : elle laisse apercevoir nécessairement une quantité de possibles, des chemins à tracer, des cités à édifier… Et de son principe, comme Poe l’a lui-même démontré par la pratique, découlaient à la fois le conte scientifique et le poème cosmogonique moderne, le roman d’instruction criminelle et le roman des états psychologiques morbides17…
19Telle était l’émotion éclairée que recevait Valéry à cette époque au contact de Poe. Et au même moment où cette lecture vivifiait son esprit, notre poète écrivait à son si proche ami Gide : « Poe, et je dois m’en taire, car je me le suis promis, est le seul écrivain – sans aucun péché. Jamais il ne s’est trompé – non instinctivement guidé – mais avec lucidité et bonheur il fit la synthèse des vertiges18. »
20Pourquoi s’était-il donc juré de se taire ? Quelle divinité avait-il craint d’offenser ? Et en était-il pleinement conscient en 1892 ?
MALLARMÉ
21Or, c’est encore au même compagnon fidèle qu’il écrira, une dizaine d’années plus tard, et toujours au sujet d’Eurêka et alors que le retour vers la poésie abandonnée était encore très lointain : « J’ai senti que j’ai peut-être eu tort il y x ans de n’avoir pas fait sur Poe un article quelconque. » Et d’ajouter que le système d’Eurêka était « tout aussi important que le grand “lancé” de Descartes. Et il ne s’agit de rien moins dans les deux cas que de substituer un type général de recherches et d’hypothèses à l’empirisme19 ».
22La suite du texte fournit une réponse :
« Mallarmé au fond a fait dans le détail, je veux dire expression, etc., ce que l’autre [Poe] a fait en principe… Mais le champ d’application est beaucoup plus étendu que la notion de méthode ne le suggère tout d’abord, et que toute œuvre particulière possible. Je mesure aujourd’hui toute l’influence que cette ancienne lecture obstinée a eue sur moi20. »
23Sans céder à la tentation de filer une quelconque métaphore du théologique ou du psychanalytique, force est de constater que Valéry avait, grâce à Poe, mordu dans le fruit défendu du désir d’une connaissance qui veut étendre indéfiniment son domaine, qui ne peut plus se contenter de l’inspiration et de la passion qui détournent l’esprit de son désir de se connaître.
24C’est en fait vers la poïétique que Poe ouvre le chemin. Et ce n’est pas aller au-delà du poème, mais retourner vers l’amont.
25Valéry dira toujours quel fut l’effet que, dès la fin de 1889, exerça sur lui la découverte de la poésie de Mallarmé21 et, peu de mois après, celle, foudroyante, de Rimbaud. Mais il n’est pas rare que cet effet pourtant souverain subisse une rétrogradation dès que l’œuvre de Poe est évoquée :
« Je fus comme intellectuellement bouleversé par l’apparition si soudaine sur mon horizon spirituel de ces deux phénomènes extraordinaires. Le mécanisme de ma réaction de défense contre ces deux types si offensifs de poètes vaudrait une analyse aussi serrée que possible…
Toutefois ces impressions de puissance et de surprise n’affectèrent en moi que ma sensibilité aux moyens d’un art que les deux inventeurs dont je parle avaient étrangement développé, chacun suivant sa nature. […]
Mais trois ou quatre phrases d’Edgar Poe me donnèrent la sensation capitale qui éveilla l’être de désir, le démon qui me posséda22. »
26Loin d’être une entité ténébreuse, ce démon est plutôt celui de Socrate, et cet autre démon qu’est eros, qui est désir d’« enfantement dans le beau », et d’élévation.
27Il faudrait ne pas oublier la valeur quasi religieuse que revêtait cette poésie aux yeux d’un « petit nombre » d’adeptes, malgré leurs diverses chapelles et leurs tendances schismatiques, sans jeu de mots. Comme le dira Valéry quelque trente ans plus tard, la poésie était devenue, dans le milieu des jeunes gens où il a vécu, « une sorte de nourriture essentielle dont il fut impossible de se passer ; et même quelque chose de plus : un aliment surnaturel23 ». Et il s’en fallait de fort peu « qu’une sorte de culte, de religion d’espèce nouvelle, naquît et donnât forme à tel état d’esprit, quasi mystique ». On pouvait y observer que « toutes les conditions d’une formation, d’une création presque religieuse, étaient alors absolument réunies ». Un désenchantement des théories philosophiques, des promesses de la science, des écrivains réalistes et naturalistes, le déclin des religions, une métaphysique qui semblait exterminée par les analyses de Kant… tout cela mettait devant ces jeunes comme « une sorte de page blanche et vide », où ils ne pussent inscrire que la seule affirmation de leur foi en l’art24.
28Tout ce vocabulaire utilisé ici montre bien, du moins rétrospectivement, ce qui, à l’époque, avait pu être source d’inquiétude et d’inconfort intellectuel pour Valéry. Il évoquera ce contraste étonnant de ce verbe mallarméen qui d’un côté, suscitait « une contemplation des vers » et, de l’autre, « résistait à l’intellection immédiate25 ». Mais n’est-ce pas une contemplation aveugle qui est ainsi décrite par cette opacité du verbe ? Cette poésie ne transformait-elle pas le verbe en idole, lui enlevant ce que, tant qu’il était entendu et pratiqué comme icône, il pouvait encore conserver de sa transitivité et de ses rapports avec les choses sensibles, et le monde tout simplement ? Ce cratylisme26 ne construisait-il pas, par des prélèvements éclectiques sur une réalité impure et vulgaire, un monde où manquait singulièrement la respiration ? Cette évocation incantatoire d’une chose qu’il ne fallait jamais nommer ne jouait-elle pas à faire apparaître des fantômes ? Est-on, en effet, si loin de l’Ion de Platon qui reçoit son inspiration directement de la Muse ? Et l’effet créé sur l’auditoire est-il tellement éloigné de celui obtenu par le rhapsode à la faveur d’un effluve magnétique ? L’insularité absolue ainsi revendiquée du verbe poétique coupait tous les ponts avec d’autres formes d’expression, et pourtant nous avons vu plus haut le regret de Valéry que la France n’ait pas eu son Lucrèce, son Dante. Ni l’Humanité l’auteur de sa Comédie intellectuelle.
UN RETOUR EN AMONT : VINCI
29Et pourtant, si cette poésie restait toujours à écrire, son héros principal avait bel et bien existé. Et se pencher sur Léonard, donc, que Valéry connaissait, de son aveu même, beaucoup moins qu’il ne l’admirait, était un défi personnel pour l’auteur, lorsqu’il acceptait cette commande. Lorsqu’il revient sur son texte de 1895 en rajoutant « Note et Digression » (1919), il s’expliquera ainsi :
« Je voyais en lui le personnage principal de cette Comédie Intellectuelle qui n’a pas jusqu’ici rencontré son poète, et qui serait pour mon goût bien plus précieuse encore que la Comédie Humaine, et même que la Divine Comédie. Je sentais que ce maître de ses moyens, ce possesseur du dessin, des images, du calcul, avait trouvé l’attitude centrale à partir de laquelle les entreprises de la connaissance et les opérations de l’art sont également possibles27. »
LE DÉMON DES SYMÉTRIES
30Le début du texte pose une difficulté cognitive ; si les facultés d’une imagination ordinaire peuvent aisément et en puisant dans son propre fond se donner la représentation d’un homme ordinaire, comment procède-t-on pour un individu qui excelle en un quelque point ? La difficulté apparaît. Or, « pour ne pas nous borner à l’admirer confusément, nous serons contraints d’étendre dans un sens notre imagination de la propriété qui domine en lui, et dont nous ne possédons, sans doute, que le germe28. » Mais jusqu’où peuvent s’étendre ainsi nos facultés dans ce genre d’effort ? Peuvent-elles se donner l’intuition d’un esprit aux facultés immensément développées ? Là il y a une rupture de continuité ; « d’une extrémité de cette étendue mentale à une autre, il y a de telles distances que nous n’avons jamais parcourues29 » (Notre vision panoramique intuitive est alors brisée).
31Mais ce constat d’échec vaut uniquement par les armes qu’on dresse contre lui, et c’est là la pièce maîtresse de ce moi qui se constitue :
« Un de mes premiers pas dans la direction de ce moi-même qui s’est formé de 1890 jusqu’à sa maturité (1910) – fut la découverte (1892) de l’immense intérêt que doit exciter toute résistance à un effort de notre esprit […]. Le ne pas comprendre, bien reconnu, comme re-dessiné, doit engendrer une activité et une lucidité, exactement comme une trouvaille.– Il faut se dresser à trouver ces résistances. Mais il faut aussi qu’elles excitent à exiger de soi une extrême précision de leur expression, et la supportent30. »
32Car la question « abstraite » une fois posée, pour la résoudre, il faut bien essayer de se donner pour but le quasi inimaginable, sans craindre :
« Je me propose d’imaginer un homme de qui auraient paru des actions tellement distinctes que si je viens à leur supposer une pensée, il n’y en aura pas de plus étendue. Et je veux qu’il ait un sentiment de la différence des choses infiniment vif, dont les aventures pourraient bien se nommer analyse. Je vois que tout l’oriente : c’est à l’univers qu’il songe toujours, et à la rigueur. Il est fait pour n’oublier rien de ce qui entre dans la confusion de ce qui est31. »
33La « rigueur », l’obstinée rigueur (hostinatorigore), note Valéry, la devise de Léonard, la seule idole que le peintre ait jamais admis d’adorer. Car il restait encore à donner « un nom à cette créature de pensée, pour contenir l’expansion de termes trop éloignés d’ordinaire et qui se déroberaient. Aucun ne me paraît plus convenir que celui de Léonard de Vinci32 ». On comprend, par la manière toute théorique dont commence l’essai et par les propos plus explicites de « Note et digression » de 1919, que c’est « le Possible d’un Léonard » qu’il a tenté de concevoir et décrire, et non le « Léonard de l’Histoire33 », ou, si l’on veut parler en termes aristotéliciens, ce qu’un homme comme Léonard pourrait vraisemblablement ou nécessairement être, et non ce qu’il a été – et Valéry l’exprime avec des termes tout proches dans une des premières notes marginales : « En réalité, j’ai nommé homme et Léonard ce qui m’apparaissait alors comme le pouvoir de l’esprit34. » Ne s’agit-il donc pas ici, avant tout, d’une « Introduction à la méthode de Valéry » ?
34Ce qui est d’emblée mis en avant, ce sont les actions de l’homme : savoir, vouloir, pouvoir, ce sont les actes par lesquels Léonard se fait. « Nous touchons maintenant aux joies de la construction. » La joie de construire est la plus intense : les dieux eux-mêmes n’ont-ils pas reçu de l’esprit humain le don de créer35 ? Comme beaucoup d’autres textes de l’auteur, l’Introduction montre sa passion pour l’architecture qui, dira-t-il dans « Histoire d’Amphion », « seule entre tous les arts, et dans un instant de vision […] charge notre âme du sentiment total des facultés humaines36 ». Cette passion avait marqué l’adolescent qu’il fut, ainsi qu’en témoigne le précoce Paradoxe sur l’architecte de 1891 où apparaissait aussi la figure d’Orphée faisant s’ériger aux sons de sa lyre « les murs d’or harmonieux d’un sanctuaire ». Il prophétisait la naissance du poète musicien et le texte évoquait les siècles orphiques quand « l’esprit soufflait sur le marbre ; les murailles antiques ont vécu comme des hommes, et les architectures perpétuaient les songes37 ».
35La diversité d’un tel génie nous apprend qu’il y a une source commune dont surgissent arts et sciences, lesquels ne sont que des variations d’un fond commun, par ce qu’ils en négligent et ce qu’ils en conservent, en formant leurs langages et leurs symboles38. Il faut, pour s’en apercevoir, être capable de voir des analogies, des symétries, des relations « entre des choses dont nous échappe la loi de continuité39 ».
DU TEMPS DES HÉROS
36Mais il advient que la forme en arrive à paraître tellement complexe et l’événement tellement neuf qu’on est tenté de renoncer à les traduire en termes de continuité. Or, c’est là « le royaume de notre héros » (Léonard est ainsi appelé) : à la moindre fissure de la compréhension, à toute rupture de cette continuité tant recherchée, et là où d’autres se laisseraient tenter par les doctrines de l’évolution, lui
« garde, cet esprit symbolique, la plus vaste collection de formes, un trésor toujours clair des attitudes de la nature, une puissance toujours imminente et qui grandit selon l’extension de son domaine. Une foule d’êtres, une foule de souvenirs possibles, la force de reconnaître dans l’étendue du monde un nombre extraordinaire de choses distinctes et de les arranger de mille manières, le constituent40 ».
37Intelligence uniquement déduite de son grand objet, comme si une personne particulière n’y était pas attachée, sa pensée paraît universelle, pouvant être comprise de tous. Et par touches successives, on voit le portrait moral, au sens le plus élevé du mot, de cet original, qui n’a pas de craintes vaines, qui n’avait ni la religion de l’ancien, ni le rejet du nouveau : ce qu’il consultait en lui était éternellement actuel41. « Posséder cette liberté dans les changements profonds, user d’un tel registre d’accommodations, c’est seulement jouir de l’intégrité de l’homme, telle que nous l’imaginons chez les anciens42. » La considération de la seule œuvre finie est le résultat d’une coquetterie et une vraie recherche de la nature de l’esprit « commence par l’abandon pénible des notions de gloire et des épithètes laudatives ; elle ne supporte aucune idée de supériorité, aucune manie de grandeur43 ». Avant un tel éveil, l’esprit s’était égaré, avait sacrifié à d’indispensables idoles.
38Laissant dire son incompréhension sur le génie de Pascal et son pari « où il engloutit toute finesse et toute géométrie », Valéry montre avec quelle simplicité désarmante Léonard résout les problèmes, comble ces gouffres où l’intellect s’abîme : « Pas de révélations pour Léonard. Pas d’abîme ouvert à sa droite. Un abîme le ferait songer à un pont. Un abîme pourrait servir aux essais de quelque grand oiseau mécanique44… »
39Pas de vide métaphysique, pas de néant épistémologique pour Léonard. Pour n’avoir pas perdu de sa vue intérieure la source où il puise tous ses savoirs, il peut sans cesse passer d’un art à l’autre, ou mieux : travailler sur tout en même temps et souvent sans achever, en dominant de son regard le monde le plus vaste que l’homme ait jamais contemplé.
« Cet Apollon me ravissait au plus haut degré de moi-même. Quoi de plus séduisant qu’un dieu qui repousse le mystère, qui ne fonde pas sa puissance sur le trouble de notre sens ; qui n’adresse pas ses prestiges au plus obscur, au plus tendre, au plus sinistre de nous-mêmes ; qui nous force de convenir et non de ployer ; et de qui le miracle est de s’éclaircir ; la profondeur, une perspective bien déduite ? Est-il meilleure marque d’un pouvoir authentique et légitime que de ne pas s’exercer sous un voile ?– Jamais pour Dionysos, ennemi plus délibéré, ni si pur, ni armé de tant de lumière, que ce héros moins occupé de plier et de rompre les monstres que d’en considérer les ressorts ; dédaigneux de les percer de flèches, tant il les pénétrait de ses questions ; leur supérieur, plus que leur vainqueur, il signifie n’être pas sur eux de triomphe plus achevé que de les comprendre, – presque au point de les reproduire ; et une fois saisi leur principe, il peut bien les abandonner, dérisoirement réduits à l’humble condition de cas très particuliers et de paradoxes explicables45. »
40Ce passage donne magnifiquement à voir comme la radiographie, pour ainsi dire, de maints tableaux qui ont repris pour thème, à travers notamment Apollon et Dionysos, ce triomphe de l’intelligence sur les forces irrationnelles, cette lutte contre des mythologies et des religions, pour essayer d’ouvrir les yeux d’un peuple moderne, il faut bien le dire, qui fait de sa sensibilité nerveuse une profession, et se donne enfin l’illusion de se confondre à la substance chatoyante et mobile de sa propre durée. On y verra aussi bien, sur un plan plus dialectique, le combat plus difficile en ce sens que menait le philosophe contre le sophiste…, combat dont le tableau fige l’issue victorieuse, mais que l’homme, tout homme, doit mener perpétuellement.
LES CAHIERS
41Cette intuition, une fois saisie, de la poïétique, qui apprend à Valéry pourquoi on ne saurait idolâtrer l’œuvre finie, constitue le véritable acte de naissance des Cahiers, cette entreprise de noter tous les jours, de 5 à 7 heures du matin, ses pensées. Et quand bien même la date peut ici ou là varier, Valéry considère avec constance cette époque comme une « naissance », une « origine ». Acte, donc, qui est une fin absolue, mais qui en même temps impose un recommencement continuel, un vrai exercice spirituel qui ne s’achèvera jamais.
42D’où il suit que, si des réalités affectives insupportables, qui aboutissent à la fameuse « nuit de Gênes », du 4 au 5 octobre 1892, ont été un détonateur puissant pour cette activité, on comprend d’ores et déjà, ainsi n’avons-nous point besoin de le redire ici, qu’on n’y trouvera rien qui ressemble de près ou de loin à ce qu’on associe habituellement à un « journal » : le « moi narrable » n’intéresse point l’auteur, c’est ce qu’il y a, on le sait, de plus accidentel. L’inscription suivante, datant de 1940, montre bien de quoi il s’était agi :
« Mon analytique 1892, produit de la “conscience de soi” appliquée à détruire les obsessions et poisons, les connexions, relais, généralisations extraordinairement sensibles, – tout un implexe d’associations – avec anxiétés, insomnies, états comme vibratoires à l’aigu, etc. […]
– À quoi j’ajoute ce souvenir très important – qu’à la même époque, j’ai ressenti avec une particulière acuité – le mal dû à l’impuissance intellectuelle de comprendre telles choses, ou de ne pas pouvoir produire telles autres. Ce fut une période très dure et très féconde – Une lutte avec les diables. Nuit de Gênes en oct[obre] 92. Paris en novembre.
Et tout ceci me conduisit à ma “méthode” – laquelle était pureté – séparation des domaines. φ et ψ. Essai d’isoler ces facteurs de l’état – de dépister les effets d’induction et de résonance – lesquels sont perçus généralement de manière à conserver ou à exagérer les produits d’incohérence réelle et de confusion46. »
BATAILLE PREMIÈRE : LES AFFECTS
43En clinicien, Valéry observera ses propres troubles (« ces irritations et tourmentes intimes, ces suspens apparents, ces reprises, ces fureurs, ces stupeurs de nos phases anxieuses ») ; il constatera que, par leur ressemblance avec des phénomènes physiques, ils peuvent être compris, selon des lois, comme des vices d’un fonctionnement local, alors que notre naïveté les avait attribués au destin, à des volontés adverses, « comme le rêveur fait un monstre d’un oreiller, et un voyage au pôle, d’une jambe qui s’est découverte et qui a froid47 ». Tous ces maux psychiques, par leur potentiel de rumination pathétique et narcissique, ne contiennent-ils pas l’embryon de la fabulation romanesque, cette tentation tellement honnie par le poète ? L’extrait suivant en apporte la preuve :
« Tous nos orages affectifs font une énorme dissipation d’énergie et s’accompagnent d’une confusion extrême de valeurs et de fonctions, avec production de tableaux et de scénarios indéfiniment renouvelés et rechargés en violence et en ressources de douceur et d’amertume alternatives [nous soulignons], et ils ne résultent, peut-être, que d’incidents aussi minimes qu’un fil mal isolé dans une organisation électrique. Ce rien peut mettre un étrange désordre dans le régime de toute une machinerie, ou le feu à la maison.
Tout ceci me conduisit à décréter toutes les Idoles hors la loi. Je les immolai toutes à celle qu’il fallut bien créer pour lui soumettre les autres, l’Idole de l’Intellect ; de laquelle mon Monsieur Teste fut le grand-prêtre48. »
44Maintenir cette totale vigilance sur les affects de l’appareil humain au moment où ils se forment, c’est refuser de leur reconnaître une autre valeur que celle d’un accident local qui se signale à l’esprit, c’est aussi et surtout se former un être instantané plus libre, multiplier les doutes et les solutions disponibles. Ainsi Valéry peut-il dire qu’il a « beaucoup de modèles et peu de documents » et se qualifier d’être « anhistorique » : « Je me cherche toujours un degré de plus de liberté d’esprit49… »
BATAILLE DEUXIÈME : LA POÉSIE
45Valéry luttait donc contre démons (pas les socratiques !) et idoles, et la littérature en était aussi devenue une, par la pratique qu’on avait d’elle, et par les croyances aussi qu’on lui attachait. Sa méfiance de la littérature lui était venue de ce qu’elle ne satisfaisait jamais « l’ensemble de l’esprit », alors que, lui, il ne mettait rien au-dessus de la conscience : « J’aurais, dit-il, donné bien des chefs d’œuvre que je croyais irréfléchis pour une page visiblement gouvernée50. »
46Les textes biens postérieurs à cette époque relèvent puissamment l’effet de la poésie mallarméenne, cette vraie magie qui réinventait le langage (« Mallarmé a compris le langage comme s’il l’eût inventé51 ») et engageait le lecteur à réapprendre à lire : à l’ère du provisoire où « la politique et le roman ont exterminé [le] lecteur », Mallarmé écrivait des « œuvres faites en vue des siècles », de celles qui n’étaient plus guère entreprises de son temps52. Cette magie arrachait à la temporalité puisqu’elle ramenait à un monde où on croyait que la parole était mieux comprise par les choses que par les hommes, un monde où tout semblait vivant, bref à un temps avant l’écriture : « Les poètes dignes de grand nom réincarnent ici Amphion et Orphée53. »
FENÊTRE SUR LE MONDE RÉEL
47Mais quelque justifiée qu’elle pût être, et elle le fut assurément, cette expérience restreignait arbitrairement, on le comprend maintenant, l’activité de l’intellection considérée dans sa véritable et vaste étendue, dont Valéry eut tôt l’intuition. Il ne pouvait donc être qu’hôte passager de la « maison symboliste ».
48Avec Mallarmé, « témoin ou martyr de l’idée du parfait54 », l’expérience en était à son point de non-retour.
49Surtout après la mort de Mallarmé en 1898, les appels, d’origines diverses, à un retour à des formes plus classiques du lyrisme se multipliaient (Jean Moréas, l’Action Française tout comme la NRF…). Un an avant, le courant « naturiste » avait été lancé (mais dès 1895, Maurice Le Blond avait publié son Essai sur le naturisme), et réagissait aux excès spiritualistes du symbolisme pour célébrer « un panthéisme gigantesque et radieux », un retour à la vie naturelle loin des mirages et des songes. Le culte des sensations chez le Gide des Nourritures terrestres (en 1897 aussi) prônait la joyeuse acceptation du monde sensible : « Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux, je veux que mes pieds nus le sentent. Toute connaissance que n’a pas précédée une sensation m’est inutile », se souvient-on ! Le décadentisme n’était plus le terme le plus raffiné de la connaissance et de la sensibilité humaines. Un soir d’octobre 1903, le jeune Jules Romains éprouve subitement dans les rues de Paris « l’intuition d’un être vaste et élémentaire dont la rue, les voitures et les passants formaient le corps et dont le rythme emportait ou recouvrait les rythmes des consciences individuelles. » Il écrit Les Sentiments unanimes et la poésie, manifeste de l’unanimisme paru dans Le Penseur en 1905. Autour de Charles Vildrac et Georges Duhamel à l’Abbaye de Créteil, se réunit le groupe des unanimistes, qui aspire à une fraternité universelle inspirée des Feuilles d’herbe de Walt Whitman. Les mouvements de la ville laissent transparaître une âme qui unifie les hommes dont le poète pouvait se dire la conscience. Plus important que cette espèce de panthéisme urbaine, c’est la découverte de la ville tout en mouvement, sujet moderne annonçant le futurisme (son nihilisme en moins) qui retient l’intérêt. Le désir de spiritualité ne s’était pas assouvi. Mais au lieu de s’évader dans le rêve et la musique, elle parvient désormais à se réconcilier avec l’émotion, la foule et la cité. Comme le réclamait Charles-Louis Philippe dans une de ses chroniques de L’Ermitage :
« Et de Dostoïevski revenant du bagne à Rimbaud partant pour l’Afrique, de tous ceux qui n’avaient crainte que de n’être grands, c’est une même voix, c’est un besoin de boire aux sources, d’aller trouver la vie où elle s’exaspère, dans les bagnes, dans les usines, dans les déserts, dans les cafés, dans les bordels, de rejeter tous les manteaux et de sortir au monde tout nu avec la force et la foi55. »
LA MODERNITÉ OU UN MONDE EN CRISE
50Quelle pouvait être l’attitude de Valéry face à de telles recherches d’ouverture ? Plutôt que d’évoquer son sentiment sur telle ou telle production contemporaine, adoptons un point de vue plus panoramique et regardons ce qu’il a pu penser a posteriori lorsqu’il lui est arrivé de poser son regard sur cette période et les années qui ont précédé la Grande Guerre. Quel était l’« état intellectuel » de l’Europe ? Dans un monde moderne bouillonnant, les particularismes non seulement n’allaient pas disparaître, ils devaient au contraire générer une confusion des plus étourdissantes pour un esprit épris de clarté. Il écrivait en 1919 : « Si je fais abstraction de tout détail, et si je me borne à l’impression rapide, et à ce total naturel que donne une perception instantanée, je ne vois – rien ! – Rien, quoique ce fût un rien infiniment riche56. »
51Le foisonnement extraordinaire de nouveautés en tous genres saturait tellement l’esprit qu’à force de prêter la même attention à tout, tout devenait égal et en réalité invisible. C’est un tel « désordre à l’état parfait » qui a menacé l’esprit et fini par l’atteindre. Car c’est en cela, posait-il, que le moderne, où la perception s’abîme, se distingue du contemporain, où cette dernière perçoit un dessin.
52Chaque artiste était un carrefour pour toutes les espèces d’opinion, « tout penseur, une Exposition universelle de pensées. Il y avait des œuvres de l’esprit dont la richesse en contrastes et en impulsions contradictoires faisait penser aux effets d’éclairage insensé des capitales de ces temps-là : les yeux brûlent et s’ennuient57… » Et pourtant c’est ce « carnaval » qui a été « intronisé comme forme de la suprême sagesse et triomphe de l’humanité » :
« Dans tel livre de cette époque – et non des plus médiocres – on trouve, sans aucun effort : – une influence des ballets russes, – un peu du style sombre de Pascal, – beaucoup d’impressions du type Goncourt, – quelque chose de Nietzsche, – quelque chose de Rimbaud, – certains effets dus à la fréquentation des peintres, et parfois le ton des publications scientifiques, – le tout parfumé d’un je-ne-sais-quoi de britannique difficile à doser !… Observons, en passant, que dans chacun des composants de cette mixture, on trouverait bien d’autres corps. Inutile de les rechercher : ce serait répéter ce que je viens de dire sur le modernisme, et faire toute l’histoire mentale de l’Europe58. »
53Il y avait, comment ne pas le voir, une débauche de fantaisie et d’éclat, bref une ivresse dans ce monde que décrit ainsi Valéry, tout à fait contraire à ce que demandait son esprit « classique ». Et en même temps, il avait pu écrire, et alerté à sa manière, sur une autre « méthode », allemande celle-ci, qui visait à « une obéissance entière, une soumission de tous les instants à quelque conception simple, jalouse formidable » ; autrement dit qui obtenait « une masse naturellement disciplinée d’où le vice de l’intelligence, qui est l’indiscipline, devait disparaître. Ainsi organiser l’inégalité pour mieux gérer la médiocrité », c’est mieux atteler les intérêts particuliers à une tâche commune qui exclut le goût individuel, surtout lorsque « l’étranger – l’ennemi – est en présence59 ».
54Quoi qu’on puisse penser de ces considérations et des « amertumes nationales » qui les inspirent, il est évident que rien ne pouvait plus contraster avec la « méthode » de Vinci que Valéry s’était déjà appropriée et avait commencé à mettre en pratique que, d’un côté, celle de la parfaite fermeture qui faisait le « succès allemand » et, de l’autre, celle d’autres contemporains, parfaitement aveuglés par les lumières des villes sans bornes.
VARIATIONS VALÉRYENNES
55Ces besoins d’ouverture, Valéry y avait répondu par une conception « apollinienne » des œuvres de l’esprit :
« Mon expérience m’a donc montré que le même moi fait des figures fort différentes, qu’il se fait abstracteur ou poète, par des spécialisations successives dont chacune est un écart de l’état purement disponible et superficiellement accordé avec le milieu extérieur, qui est l’état moyen de notre être, l’état d’indifférence des échanges60. »
56L’état poétique est maintenant observé, pisté, au moment où il naît, à ses balbutiements, alors qu’on avait pris l’habitude de le considérer comme un état qui était d’emblée tout ce qu’il pouvait être, en tout cas au plus près de son accès final. Mais près de sa source, l’on peut encore observer le sensible, les conditions d’apparition du beau, ses éclipses, ses trahisons, enfin ses hasards. On saura ainsi qu’un poème comme Le Cimetière marin, a pu naître d’un rythme, tandis que le premier fragment d’un poème comme La Pythie laissait des marges d’indécisions autrement plus considérables :
« Voici ce qui arriva : mon fragment se comporta comme un fragment vivant, puisque, plongé dans le milieu (sans doute nutritif) que lui offraient le désir et l’attente de ma pensée, il proliféra et engendra tout ce qui lui manquait : quelque vers au-dessus de lui, et beaucoup de vers au-dessous61. »
57Des idées aussi qui semblent naître de rien sont favorablement accueillies si l’esprit est « sensibilisé » à tel ou tel développement possible. Et même, l’hypothèse la plus probable et la plus féconde et la plus stimulante pour l’esprit serait de penser qu’il n’y aurait pas de perception qui ne pût recevoir une valeur, dût l’esprit construire après coup son utilisation et trouver le milieu où ce germe puisse prospérer62. Belle formule qui montre l’organe créer la fonction, reconfirmée lorsque Valéry nous dit : « Mon travail d’écrivain consiste uniquement à mettre en œuvre (à la lettre) des notes, des fragments écrits à propos de tout, et à toute époque de mon histoire. Pour moi traiter un sujet, c’est amener des morceaux existants à se grouper dans le sujet choisi bien plus tard ou imposé63. » L’état de l’être pensant regorge de cette richesse, indéterminée non attribuée, et Valéry la compare, selon une image qui lui est chère, à cette énergie surabondante dans le cheval « qui piaffe et s’impatiente64 ». À côté des états qui s’achèvent par des poèmes, il y en a qui prennent une tout autre direction, que décrit une image assez analogue à la précédente : à la faveur d’un rapprochement brusque d’idées, une analogie nous saisit, « comme un appel de cor au sein d’une forêt fait dresser l’oreille, et oriente virtuellement tous nos muscles qui se sentent coordonnés vers quelque point de l’espace et de la profondeur des feuillages65 ». Et là, ce n’est pas un poème qui naît se détachant plus ou moins facilement de notre propre durée, mais « une analyse de cette sensation intellectuelle, quelque proposition destinée à s’incorporer à nos habitudes de pensée, quelque formule qui devait désormais servir d’instrument à des recherches ultérieures66… »
58Ainsi, la célèbre phrase de Valéry « Écrire pour publier, c’est chez moi l’art d’accommoder les restes67 » n’est, tout simplement, qu’une formulation volontairement provocatrice de ces trois principes interconnectés – car suggérant, de manière étonnamment moderne, « une représentation des relations par des réseaux68 »– que nous citons dans leur ordre chronologique69 : « Chaque pensée est un fragment ou une face d’un système de relations » (1918) ; « Il n’est pas d’idée isolée. Une idée isolée n’a pas de sens » (1919) ; « Chaque pensée touche à l’infinité des autres. De proche en proche, suppose, implique, illumine, modifie l’infinité des autres » (1921).
59Tout cela explique bien la « forme » des Cahiers, une infinie combinatoire entre les lourds registres et les feuilles volantes, de plus en plus complexe au fil des années et que toute édition rompt. L’achat d’une machine à écrire en 1909 multipliera les systèmes de renvoi, les modes de souligner, les répétitions, etc. D’où « une écriture plutôt en réseaux ou rhizomes qu’une écriture en fragments discontinus70 », d’où ce refus, de plus en plus fort, de plus en plus pensé, de « ne pas achever », de ne pas publier, « puisque le même sujet et presque les mêmes mots pourraient être repris indéfiniment et occuper toute une vie71 ». Cette écriture correspond au plus profond de la pensée de Valéry et de l’idée qu’il se faisait de l’œuvre :
« Peut-être serait-il intéressant de faire une fois une œuvre qui montrerait à chacun de ses nœuds, la diversité qui s’y peut présenter à l’esprit, et parmi laquelle il choisit la suite unique qui sera donnée dans le texte. Ce serait là substituer à l’illusion d’une détermination unique et imitatrice du réel, celle du possible-à-chaque-instant, qui me semble plus véritable. Il m’est arrivé de publier des textes différents de mêmes poèmes : il en fut même de contradictoires, et l’on n’a pas manqué de me critiquer à ce sujet. Mais personne ne m’a dit pourquoi j’aurais dû m’abstenir de ces variations72. »
CONCLUSION
60De cette activité hypertextuelle de Valéry (« pensées », « mélanges », « histoires brisées », « mauvaises pensées et autres », bref… « variétés »), il ne serait pas exagéré de voir en Léonard, à la lumière de la méthode, une source certaine d’inspiration ; ce qui nous permettrait, par une convertibilité qui aurait agréé à Valéry, de parler, au sujet de Léonard, d’un art hypermatiériel, faute d’autre mot. Le génie de l’un s’est déployé avec une extrême concentration par et selon un seul moyen d’expression, qui était sa plume, limitée par nature à l’écriture (et au dessin, il est vrai), celui de l’autre s’est répandu avec une diversité73 sans doute jamais égalée et s’il représente si bien l’homo universalis, c’est parce que le même génie de construction est reconnaissable dans cette diversité.
61La rencontre avec la Méthode frayait pour Valéry un chemin éthiquement exigeant et solitaire au milieu d’un horizon qui lui paraissait sombre ou aveuglant à la fois, à force d’être sans forme : la pratique des cahiers était une hygiène personnelle. Il gardait par là en solitaire, mais aurait-il pu en être autrement, l’antidote à l’expérience incarnée par ce « démon même de la possibilité » que fut Monsieur Teste, « tête » et testis, « témoin », en même temps qu’« ego » expérimental de l’auteur lui-même (« un personnage de fantaisie » en quelque sorte ?). Cette voie solitaire portait-elle en elle-même une possibilité de « sortie » ? On pensera, par exemple (et par facilité), à un retour auprès du public avec des poésies nouvelles. Mais une telle question se méprendrait sur le sens de la poïétique valérienne et sur l’éthique qu’elle implique. Car il faut, d’abord, que cette possibilité apparaisse comme réellement telle (tout opportunisme était donc à exclure), puis que le « bel animal » trouve les « accommodations » nécessaires, dont quelques-unes auraient déjà été anticipées et esquissées dans un tout autre but. C’eût été alors non point une « sortie » d’un quelconque silence ou d’un quelconque chemin, mais une nouvelle expansion de l’être constructeur, de nouveaux terrains découverts et annexés au domaine de la poïétique.
62Et pour cela, il nous a fallu attendre 1917.
Notes de bas de page
1 Les références aux œuvres de Valéry renvoient aux éditions des Œuvres (sigle O, suivi du volume et de la page), t. I-II, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, 1960 ; et des Cahiers (sigle C, suivi du volume et de la page), t. I-II, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, 1974. Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (désormais Introduction), O, I, p. 1200.
2 O, I, p. 22.
3 Voir Introduction, O, I, p. 1201.
4 Rappelons cette quasi-définition du symbolisme dans l’« Avant-propos à la connaissance de la déesse » : « Ce qui fut baptisé : le symbolisme, se résume très simplement dans l’intention commune à plusieurs familles de poètes (d’ailleurs ennemies entre elles) de “reprendre à la musique leur bien” » (O, I, p. 1272).
5 « Histoire d’Amphion » (1932), O, II, p. 1278.
6 Voir Jauss H. R., Pour une esthétique de la réception, Gallimard, coll. « Tel », 1978, p. 138-146.
7 « Au sujet d’Eurêka » (1921), O, I, p. 854-855.
8 Ibid., p. 855-856 pour les citations de ce paragraphe.
9 Lettre à Albert Dugrip (janvier 1890), Valéry, Lettres à quelques-uns, Gallimard, 1952, p. 40. Il s’agit du vers 16 du « Toast funèbre » à la mort de Gautier.
10 « Au sujet d’Eurêka » (1921), O, I, p. 857.
11 Ibid.
12 Ibid., p. 857-858.
13 Voir ibid., p. 861 ; et p. 258 pour les deux citations suivantes.
14 On lira la belle étude de Jean Starobinski sur Eurêka et l’analyse de Valéry dans Action et réaction. Vie et aventures d’un couple, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 1999, p. 263-267 et 273-282.
15 « Situation de Baudelaire » (1924), O, I, p. 605.
16 C, II, p. 1189. Voir aussi sur la tragédie C, II, p. 1189-1190 : « Ce qui s’est passé avant l’action est discours comme l’action même. La tragédie “classique” ne demande les acteurs que pour diversifier les voix, accuser les différences de ton du discours et en accroître l’effet par une “action” au sens oratoire. »
17 Voir « Situation de Baudelaire », O, I, p. 605-606.
18 Lettre du 13 juin 1892, O, I, p. 1778-1779, nous soulignons.
19 Lettre du 24 juin 1901, O, I, p. 1779.
20 Ibid.
21 On lira avec intérêt, sur les rapports Valéry-Mallarmé, l’article de Jarrety M., « Valéry-Mallarmé : des instantanés sans légende », Romantisme, 2003, no 122, p. 119-128 ; Robinson-Valéry J., « Mallarmé, le “père idéal” », Littérature, 1984, no 56, p. 104-118.
22 « Mauvaises pensées et autres », O, II, p. 1531 (nous soulignons intellectuellement et sensibilité).
23 « Nécessité de la poésie » (1937), O, I, p. 1380-1382 (et pour les autres citations de ce paragraphe).
24 Cette exaltation décrite par Valéry est considérée par Jean-Marie Schaeffer comme une parfaite expression de ce que le philosophe appelle « la théorie spéculative de l’art », née à la fin du XVIIIe siècle : elle pose que « l’art est un savoir extatique, c’est-à-dire qu’il révèle des vérités transcendantes, inaccessibles aux activités cognitives profanes. La thèse implique une sacralisation de l’art qui, de ce fait, se trouve opposé aux autres activités humaines considérées comme intrinsèquement aliénées », « La religion de l’art : un paradigme philosophique de la modernité », Revue germanique internationale, 1994, no 2, p. 195-207, p. 195 pour la citation.
25 « Stéphane Mallarmé », O, I, p. 666.
26 Sur les rapports de Valéry avec le cratylisme, voir Genette G., Mimologiques, Seuil, 1976, p. 319-337.
27 O, I, p. 1201.
28 Ibid., p. 1153.
29 Id.
30 « Mauvaises pensées et autres », O, II, p. 1527.
31 Introduction, O, I, p. 1155.
32 Ibid., p. 1156.
33 Ibid., p. 1205-206. Dans le même groupe de notes marginales, nous lisons (p. 1203) : « Ce qui est le plus vrai d’un individu, et le plus Lui-Même, c’est son possible – que son histoire ne dégage qu’incertainement. »
34 Ibid., p. 1155.
35 Voir ibid., p. 1181-1182.
36 « Histoire d’Amphion », O, II, p. 1277.
37 « Paradoxe sur l’architecte », O, II, p. 1402. Les deux derniers paragraphes du texte formaient des vers avec l’apparence de la prose, et le texte a pris sa forme de sonnet (avec quelques modifications de la ponctuation et un léger changement du vers 8) sur l’initiative de Pierre Louÿs, qui le publia en 1891. Signalons aussi l’Orphée magicien du sonnet d’Orphée (1891). Avec son « Amphion, mélodrame » (1931), sur une musique d’Arthur Honegger (première donnée à l’Opéra de Paris avec Ida Rubinstein et son ballet, le 23 juin 1931), Valéry revenait sur la figure du musicien-architecte, un projet de jeunesse qu’il avait tant chéri et qui avait laissé complètement indifférent Debussy (voir « Histoire d’Amphion », O, II, p. 1277-1283).
38 Introduction, O, I, p. 1157.
39 Ibid., p. 1160.
40 Ibid., p. 1175. Sur l’évolution, voir p. 1174.
41 Voir ibid., p. 1209-1210.
42 Ibid., p. 1210-1211.
43 Ibid., p. 1157.
44 Ibid., p. 1210.
45 Ibid., p. 1201-1202.
46 C, I, p. 188-190 (inscription de 1940). Par « et » il faut comprendre physique et psychique, respectivement.
47 « Mauvaises pensées et autres », O, II, p. 1511.
48 Ibid.
49 « Mauvaises pensées et autres », O, II, p. 1530.
50 Introduction, O, I, p. 1206.
51 « Je disais quelquefois à Stéphane Mallarmé… », O, I, p. 658.
52 Voir ibid., p. 645-646.
53 Ibid., p. 651. Voir aussi p. 649-650.
54 Ibid., p. 652.
55 Charles-Louis Philippe, « La Nouvelle vie des Lettres », L’Ermitage, janvier 1902.
56 « La crise de l’esprit » (1919), O, I, p. 991.
57 Ibid., p. 992.
58 Ibid., p. 992-993.
59 « Une conquête méthodique » (1897), O, I, p. 973 et 976.
60 « Poésie et pensée abstraite » (1939), O, I, p. 1320.
61 Ibid., p. 1339.
62 Voir Mélange, O, I, p. 313-314.
63 C, I, p. 245-246.
64 Mélange, O, I, 313-314.
65 « Poésie et pensée abstraite » (1939), O, I, p. 1319.
66 Ibid.
67 C, I, p. 265.
68 C, I, p. 923.
69 Respectivement, C, I, p. 961, C, I, p. 921 et C, I, p. 971.
70 Haffner Fr., « Des grands registres aux feuilles volantes et aux petits Cahiers : autour de 1908-1910 », Autour des « Cahiers ». Paul Valéry 9, textes réunis par H. Laurenti, Revue des lettres modernes, 1999, Minard, p. 167. À propos des différents matériaux utilisés par Valéry, « un sigle suffit, comme le rappelle Nicole Celeyrette-Pietri, à les inscrire dans un ou plusieurs des chantiers parallèles aux brouillons de textes en travail, pratique fréquente dans les Cahiers », « L’écriture brève », BEV, XXIII, novembre 1996, p. 38.
71 Tel quel, « Littérature », O, II, p. 553. On consultera avec profit, sur les notions de « genèse » et de « possible », Marx W., « Le poète et le ready-made », Littérature, 2013, no 172, p. 56-61.
72 Mémoires du poète, « Fragments des mémoires d’un poème » (1937), O, I, p. 1467. On trouve une telle combinatoire dans la « préface » à Mon Faust : Valéry y renvoie à l’idée d’un possible troisième Faust, « qui pourrait comprendre un nombre indéterminé d’ouvrages […], productions parallèles, indépendantes, mais qui […] n’existeraient jamais » (O, II, p. 277).
73 Voir Bramly S., Léonard de Vinci. Biographie, Lattès, 1995 : « Une activité plurielle lui est d’une certaine façon nécessaire, son esprit ne fonctionne jamais mieux que sollicité en même temps par les tâches les plus diverses, les plus nombreuses : s’enchevêtrant, se complétant […] elles le portent dans un état de parfait équilibre. Peinture, sculpture, architecture, travaux d’hydraulique […], il ne voit là toujours qu’un champ d’investigation unique. Tout se correspond, se répond, se confond devant lui, à la manière des longs échos du poème de Baudelaire, “dans une ténébreuse et profonde unité” » (p. 405).
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