Introduction. Les caractéristiques d’une période charnière
p. 9-22
Texte intégral
1Avant que tout soit bouleversé, la société comme l’art, par la Première Guerre mondiale, la période précédente : 1870-1913, se caractérise par un mélange de tradition et de modernité. Ce mélange est visible dans le tableau, que l’on pourrait qualifier de « programmatique », La Blessure du poète de Chirico, nous présentant, à la fermeture de la période, en 1914, le buste à l’antique d’Apollinaire, nouvel Orphée, avec des lunettes de soleil. Vingt-cinq ans plus tôt, Ernest Pichio, en 1889, ne peint pas par hasard Jean-Baptiste Alphonse Baudin sur la barricade du faubourg Saint-Antoine, le 3 décembre 1851. Celui-ci, député à l’Assemblée en 1849, où il siège avec les représentants de la Montagne, fait partie en cette fin 1851 du comité de résistance organisé par les Républicains et tente ici de fédérer des ouvriers contre le coup d’État du prince Louis Napoléon Bonaparte, ce qui lui sera fatal. L’année 1889, qui marque le centenaire de la Révolution française, est certes l’occasion de s’apercevoir du lent processus de démocratisation qui est en marche, notamment en France, depuis un siècle, et qui accompagne l’augmentation de la classe moyenne. Mais, si le régime d’une liberté toujours plus grande est perçu comme l’aboutissement de l’histoire, ce tableau de Pichio, qui s’est lui-même battu en 1871 sur les barricades de la Commune (à laquelle il a consacré de nombreux tableaux), rappelle utilement que des forces conservatrices sont toujours prêtes à menacer la République : depuis le coup d’État de Napoléon III et le Second Empire, a eu lieu la tentative de restauration du comte de Chambord et en 1889 sévit la crise boulangiste ; c’est dans un climat de fort antiparlementarisme que la coalition républicaine parvient à vaincre les boulangistes et les conservateurs contestant la constitution parlementaire, et bientôt ce sera l’affaire Dreyfus, qui devient progressivement le thème principal d’Histoire contemporaine d’Anatole France.
2Cette tension entre tradition et modernité, qui se manifeste par la tentation récurrente de retourner en arrière, se retrouve dans ce que Marcel Gauchet traite sous le nom de « crise du libéralisme », dans une période s’étendant chez lui de 1880 à 1914. Selon lui, le libéralisme a marqué la fin de l’histoire classique de l’Europe, et cette dynamique de la liberté a pris trois formes majeures : la dissociation de la société et de l’État, l’émancipation des membres de la société civile, et l’inversion du rapport pouvoir/collectivité. Sur le plan politique, la mise des gouvernements sous la dépendance des sociétés se concrétise par la promotion du gouvernement représentatif : dans ce régime, les citoyens sont désormais unis par consentement et non par dépendance et obéissance imposée.
3Au XIXe siècle, dans un long premier temps, « les libertés dissolvent les bornes où les enfermait la tradition et construisent leur propre cadre [pour] régir le monde humain de part en part1 ». L’usage de la raison œuvre à l’émancipation de toutes les tutelles dogmatiques, et l’optimisme positiviste pense au milieu du siècle que l’éducation de la raison fournira le moyen de fédérer les esprits, que la religion n’apporte plus. Mais on aurait tort de croire, montre M. Gauchet, que la République française ou la monarchie parlementaire anglaise, parce qu’elles incarnent un monde moderne, rejettent en bloc le passé. Au contraire, l’époque, parce qu’elle est marquée par une nouvelle révérence pour l’histoire, célèbre tout ce qui peut exprimer une continuité patrimoniale. En tous les domaines, il convient de dépasser l’esprit ancien dans un esprit nouveau qui l’intègre, et cette transaction, la forme même que doit nécessairement prendre la transmission, donne naissance à la notion de « tradition », un terme qui, donc, est à l’époque positif2. Cette capacité à évoluer en permanence en s’ancrant dans le donné constitue même, pour Bergeret, le protagoniste d’Histoire contemporaine d’A. France, la supériorité de la République sur la monarchie : « La République se prête mieux qu’aucun autre régime aux transformations nécessaires, et cela seul doit nous la rendre infiniment précieuse. Elle est imparfaite et perfectible3. » Au point que certains, à commencer par A. France lui-même, regrettent qu’en France, le nouveau régime ressemble autant à l’Ancien Régime.
4C’est vers 1880 que le libéralisme s’essouffle et souffre de nouvelles tendances antagonistes, divisant même les républicains entre eux. Le changement de climat est dû à l’entrée dans l’ère des masses, aux divers phénomènes associés à l’avènement de la démocratie : déclin des grands notables, recul de l’individualisme, montée des partis, poussée du mouvement ouvrier et de la question sociale en général, surgissement des nations et du nationalisme. La rupture des générations est alors la plus nette en France, où les radicaux, contrairement aux républicains progressistes, les anciens « opportunistes », estiment que la libéralisation, qui a jusqu’ici profité essentiellement à la bourgeoisie, doit se poursuivre maintenant au profit de la classe montante du prolétariat.
« Les adeptes de ce libéralisme élargi et rénové savent pertinemment que l’heure est venue de s’ouvrir aux masses. Ils se revendiquent de la démocratie. Ils savent que le régime de la liberté ne tiendra que pour autant qu’il sera capable de relever le défi de la classe ouvrière. Le nouveau libéralisme sera social ou ne sera pas4. »
5Les autres libéraux représentent une bourgeoisie enrichie et puissante désormais soucieuse de ne plus faire bouger les choses, pour figer ses positions avantageuses, et, pour freiner le mouvement de libéralisation démocratique, faisant souvent pragmatiquement alliance avec des forces conservatrices, il en va de même en Allemagne, pour contrer le socialisme émergent.
6Les ondes de choc de cette « crise du libéralisme » vont aller croissant à partir de 1880, principalement en Italie, Belgique, France et Angleterre. Mais, comme l’explique M. Gauchet, « la crise du libéralisme n’est pas seulement une crise de la structuration de l’établissement humain, elle est aussi et solidairement une crise de l’organisation de la pensée, une crise non tant des contenus que du cadre en fonction duquel elle se déploie5 ». « La disjonction est au travail », ajoute-t-il6, d’une part parce que le point de vue individuel et le point de vue collectif s’avèrent inconciliables dans le fonctionnement social, d’autre part parce que s’évanouit progressivement, avec l’émergence de nouveaux savoirs (sociologie, psychologie, linguistique), consacrés à de nouveaux « plans de réalité » (la société, le psychisme, la langue), le grand rêve moniste de la connaissance qui a pu être celui du positivisme.
7Il semblait exister une triple force du libéralisme7 : il collait parfaitement, et semble-t-il seul, à la nouvelle perception que l’on pouvait se faire du monde : le monde comme social-historique (comme dit aussi Lukacs), c’est-à-dire mû principalement par des forces sociales profondément ancrées dans l’évolution historique. Il le faisait, ce qui lui conférait de la légitimité, en empruntant sa force d’organisation à la transcendance, c’est-à-dire en conservant le cadre unitaire religieux. Enfin, grâce à ce « compromis libéral », l’État autoritaire, survivance des âges religieux et militaires, semblait pouvoir survivre en dissolution dans la forme démocratique du gouvernement représentatif, dont la politique doit être l’expression directe de la société.
8Or, à la fin du siècle, apparaîtront plutôt les défauts du libéralisme, et cette triple force se changera en une triple faiblesse, à laquelle on voudra croire sommairement que la guerre (celle de 1914) pourrait remédier. D’abord, la modernité va se découvrir pluraliste, Max Weber appellera « guerre des dieux », « polythéisme des valeurs » cet éclatement des points de vue, cette divergence des logiques qui sape l’autorité du libéralisme en le ramenant au rang d’une doctrine parmi les autres.
9Ensuite, la synthèse escomptée entre contenu moderne et forme ancienne, la promesse de continuité permise notamment, grâce à la notion de tradition, par la conservation de la forme sacrale unitaire, fait long feu.
« La vérité est que le nouveau fait tout exploser […] En pratique, la liberté dissocie, divise, sépare, oppose. Elle délie et disperse les individus […] elle désolidarise les classes et les jette les unes contre les autres. Elle scinde l’État des citoyens, sans parler des rivalités sans merci qu’elle installe entre les peuples. Il n’est pas jusqu’à l’intimité des êtres qu’elle ne bouleverse, en y activant une brisure sans remède8. »
10La modernité est inséparable d’une forme inédite et spécifique de l’établissement humain. Elle va devoir réinventer l’unité collective, et pour l’instant elle présente un saut vertigineux dans l’inconnu, vecteur de toutes les angoisses. Comme le résume M. Gauchet,
« Le devenir ne laisse rien intact […] il n’y a plus de permanence. C’est que le travail de la transformation historique modifie l’ensemble des paramètres et des termes de l’existence en commun. Il n’est pas un point sur lequel l’héritage ne soit subverti. Quel que soit le domaine – la politique, le travail, la famille, la pensée – l’altération et l’invention sont impossibles à méconnaître. Nous sommes projetés dans un autre monde que celui de nos devanciers […] Le cadre et la substance de la vie collective sont renouvelés avec une ampleur qui interdit de croire à l’identité de la structure au milieu du perfectionnement des expressions […] Vers 1880, [ce] qui met le progrès en crise, c’est que la société moderne entraîne la mort du passé vivant. Son affirmation est inséparable d’une détraditionalisation. La transformation historique modifie tant l’existence collective qu’elle interdit la récupération de l’ancien dans le nouveau, instaure la discontinuité, dissout tout enracinement coutumier9 ».
11À peine révérée, la notion de tradition est donc déjà devenue caduque vers 1880. Et, alors que la science avait promis la maîtrise du nouveau, le nouveau prend le visage d’un inconnu irréductible qui lui échappe.
12L’exemplification du déracinement, c’est bien sûr l’univers inédit des grandes villes, monde de l’antitradition et d’une sociabilité d’un genre nouveau. « La grande ville est tout simplement le type de la société » moderne pour Tönnies qui, en 1887, dans Gemeinschaft und Gesellschaft, oppose la « communauté » (entité organique structurée par la coutume, le sang et le devoir) et la « société », dont la coexistence est régie, de façon purement extérieure, par l’intérêt, la raison et l’argent. L’exode rural, surtout en Angleterre, marque non plus la mutation mais la disparition définitive de la vieille civilisation agraire, conduisant au développement du folklore, exercice de mémoire pour préserver, selon les mots de Thomas Hardy inventant le Wessex pour ne pas oublier son Dorset, le « secret de notre identité10 ». Tout avenir est possible en ville, y compris un avenir sombre, car, pour les « déracinés », l’inadaptation à la société urbaine et industrielle peut devenir une impasse.
13Pour eux et pour tous les esprits qui aimaient à reconnaître de façon rassurante du traditionnel à la base du moderne, le nouveau apparaît comme une dégradation et, à partir de 1880, s’élance le thème de la décadence, qui « sert à penser l’altérité du futur historique […] donner un nom à la discontinuité11 ». Il s’agit donc d’une décadence inédite, qui n’est plus liée à des convictions cycliques comme auparavant. Le sentiment de fin du monde n’est pas exceptionnel car on le retrouve à toutes les époques en fin de siècle, mais la nouveauté ici, c’est précisément le sentiment nouveau de vivre dans un monde d’une nouveauté absolue.
14Si la société prend des formes inédites, en tournant pour la première fois le dos à toute conservation du passé, c’est-à-dire à toute tradition, il est bien sûr une autre nouveauté radicale de la période : la première mondialisation, suscitant de nouvelles interrogations, que l’on retrouvera bientôt chez Valéry dans Réflexions sur le monde actuel. La mondialisation des transports et des communications, démultipliant les relations commerciales et les flux migratoires12, porte une alliance inédite des intérêts économiques et des intérêts politiques. Pour le coup, cette « ère des internationalités13 », si apparente au moment de chaque Exposition universelle, parachève le projet libéral : Molinari, dès 1880, évoque la création d’un État économique dépassant les frontières politiques. Mais cette « projection du monde humain dans un certain immaîtrisable, de par l’éclatement de ses dimensions », éveille en retour, estime M. Gauchet, « une ambition folle de maîtrise14 » antilibérale, qui donnera naissance, au tournant du siècle, à la notion également neuve d’impérialisme15.
15Nietzsche, dont traite plus loin Brigitte Krulic, enregistre en 1888, dans Crépuscule des idoles, que cette détraditionalisation rend désormais toute aspiration d’un retour conservateur au passé illusoire : « Ce qu’on ne savait pas autrefois, ce qu’on sait aujourd’hui […] – c’est qu’une évolution en arrière, une régression en un sens quelconque, à quelque degré que ce soit, n’est pas du tout possible. » Impossible de retrouver l’exaltation révolutionnaire du début du siècle, impossible aussi, définitivement, de se réinstaller dans le monde ancien, de quoi se sentir perdu !
16Internationalement, durant tout le second XIXe siècle, c’est l’Angleterre victorienne qui aura offert l’insurpassable exemple de la synthèse de la permanence et du changement, de la tradition et de la modernité, elle qui reste royale, aristocratique et religieuse tout en étant le pays modèle de l’industrie, du commerce et de la liberté16. L’agitation révolutionnaire y a été inexistante en 1848 et les positions, socialistes comme conservatrices, y sont moins radicales, car les avancées démocratiques restent régulières : deux réformes électorales, en 1867 puis en 1884-1885, ont élargi la représentativité du régime et les associations professionnelles ouvrières (trade-unions) y ont été reconnues dès 1871 par un acte parlementaire élargi en 1876, des trade-unions modèle d’une élite ouvrière négociatrice et réformiste. Mais ce modèle aussi tombe en déshérence au tournant du siècle, et à la modernité traditionnelle du Royaume-Uni succède aussitôt un nouveau modèle : l’Amérique, celui de la modernité sans tradition, où les relations marchandes se caractérisent par l’artifice et la mobilité sans dette envers le passé.
17La croyance générale que la tradition est morte mène paradoxalement à l’essor d’un nouveau conservatisme, mais radical, la nation prenant la place de la tradition morte selon M. Gauchet. Si la France a été le berceau de ce conservatisme radical, qui se cristallise au moment de l’affaire Dreyfus (à partir de 1898), c’est que « le conservatisme traditionnel y a été plus tôt et plus profondément disqualifié qu’ailleurs en Europe17 ».
18Enfin, troisième forme de la crise du libéralisme, il allait de soi que c’était la vocation de la liberté libérale de s’épanouir dans la démocratie, mais la fin du siècle marque la découverte de la politique en son ambiguïté foncière, en France notamment où les scandales et les abus de la IIIe République éclairent d’une lumière sombre la figure désormais répulsive du politicien. Ubu-Roi en est en 1896 l’hyperbole caricaturale. Par ailleurs, la confiscation du progrès social par la bourgeoisie commence à devenir flagrante aux yeux des ouvriers en mal de reconnaissance. Ainsi, il apparaît pour la première fois aux citoyens, en opposition avec les prémisses du libéralisme démocratique, que « l’on peut très bien avoir la liberté sans le pouvoir », et que
« le libéralisme ne conduit pas de lui-même à la démocratie […] La démocratie est autre chose et plus que la liberté libérale portée à ses dernières conséquences par l’élargissement du suffrage à tous ; elle est à conquérir au-delà d’elle et éventuellement contre elle18 ».
19Puisque la liberté ne mène pas nécessairement au pouvoir, les socialistes et les anarchistes, mais aussi les syndicats ouvriers de plus en plus puissants, estiment qu’il faut partir du pouvoir pour arriver à la liberté. C’est le sens, en Angleterre, de la création en 1900 du Labour Party, les syndicats se décidant finalement à entrer dans l’arène politique. Le socialisme change partout radicalement de vision finale de la société : à l’idéal marxiste originel d’affranchissement ultime des contraintes publiques au profit de la pure socialité, du libre lien entre les individus, c’est-à-dire de suppression pure et simple de l’État, succède la volonté antilibérale de renforcer l’État pour contraindre la nouvelle classe possédante à partager les profits avec le prolétariat.
20Pour Marcel Gauchet, c’est 1880 qui constitue la vraie ligne de fracture du siècle et du credo libéral. Si nous avons ici avancé l’étude de la période à 1870, c’est parce que cette date est évidemment charnière pour deux des trois pays que nous étudions : la France et l’Allemagne qui s’y affrontent en un prélude de combats ultérieurs. Outre-Rhin, la victoire dans la guerre franco-prussienne parachève, après celle de Sadowa en 1866, l’unité allemande, permettant la proclamation du IIe Reich à Versailles en 1871, et la naissance, du même coup, de la nation allemande. Côté français, la défaite, à commencer par la perte de l’Alsace-Lorraine, donne l’impulsion à un nouveau patriotisme français revanchard. L’effondrement de l’Empire réinstaure la République mais l’année est typique de l’hésitation entre tradition et modernité, car l’écrasement de la Commune qui suit immédiatement clôt l’âge héroïque des insurrections ouvrières en faisant comprendre aux classes ouvrières que le pouvoir républicain sera aussi coercitif que le pouvoir impérial. Le mouvement ouvrier comprend que la lutte politique sera désormais la seule possibilité de progrès face à un État si puissant et peu enclin à négocier.
21Au-delà des seuls belligérants, la guerre franco-prussienne donne le signe de départ à la course à l’armement dans toute l’Europe. La réalité antilibérale de l’aspiration belliqueuse des peuples coïncide avec de nouvelles données : l’entrée des forces armées (depuis Sadowa) dans l’ère de l’organisation et l’élaboration par Schlieffen de la doctrine de la guerre moderne. Gauchet reconnaît d’ailleurs que cette date est la ligne de partage entre deux époques, en conditionnant un changement radical des « conditions de la guerre des peuples [et de] la lutte des classes19 ». Enfin, c’est dès 1873 que commence la première crise économique, qui vient convaincre de mensonge l’évangile libéralo-capitaliste d’une expansion économique à l’infini.
22Étudier la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne entre 1870 et 1913, c’est y trouver des signes communs de cette crise du libéralisme et de la tradition menant à une interrogation angoissée sur la modernité, même si bien sûr chaque pays possède ses traits propres, à commencer par un régime politique différent, puisque les trois régimes sont une République, une monarchie parlementaire et un empire pseudo-parlementaire.
23Si l’Angleterre victorienne constitue alors un régime relativement stable, ce n’est le cas ni de l’Allemagne ni de la France, qui présentent chacune un décalage problématique. Société bloquée depuis la guerre de Trente Ans, l’Allemagne est un pays neuf en rattrapage. Grande puissance démographique20, son explosion en ce domaine soutient un développement industriel, économique21 et scientifique impressionnant qui en fait en 1913 une des trois plus grandes puissances du monde avec la Grande-Bretagne et les États-Unis (sans doute la deuxième, dépassant l’Angleterre, vers 1900). Mais, malgré la naissance de l’Empire en 1871, l’État reste mal unifié et le suffrage universel est balbutiant dans un pays dépourvu de toute tradition démocratique, où la souveraineté populaire et la volonté du prince sont deux entités distinctes. Comme l’explique M. Gauchet, la définition du régime impérial, État de droit produisant le droit et limité par le droit qu’il produit, s’élabore dans la double méfiance de l’autorité ancienne et de la démocratie parlementaire : « La théorie de la personnalité morale de l’État fournit un moyen terme entre régime d’autorité et régime représentatif22. »
24La République française représente presque un cas inverse. La tradition démocratique y fait partie de l’héritage révolutionnaire, l’esprit de progrès et le travail de traditionalisation y vont assez naturellement de pair, mais des structures plus lourdes et plus anciennes y freinent une industrialisation bien moins avancée. L’absence de partis aussi bien constitués qu’en Angleterre et en Allemagne et une grande instabilité du régime y mènent aussi à des alliances perpétuellement changeantes : cinquante-deux gouvernements entre 1875 et 1914 !
25Et pourtant des traits communs sont frappants dans ces trois pays, au moment de constater une remise en cause du credo du libéralisme économique. C’est d’abord le retour du protectionnisme, en 1879 en Allemagne et en 1892 en France. Dans le pays historique du libre-échange : l’Angleterre, Joe Chamberlain le remet en cause, prônant en 1903 le Fair Trade contre le Free Trade23.
26L’autre grand point commun, franco-allemand, qui marque un virage conservateur, c’est la volonté de juguler la progression fulgurante du mouvement socialiste en édictant des lois qui limitent les droits publics. En Allemagne, les progrès électoraux du jeune parti ouvrier unifié en 1875 à son congrès fondateur de Gotha sont si fulgurants, et on en retrouve l’écho dans Le Stechlin de Fontane, que, dès 1878, une loi dite « antisocialiste » de Bismarck est dirigée contre ce qu’il appelle « les efforts subversifs de la démocratie sociale ». Sans effet contre la percée syndicaliste, que confirme la multiplication des grèves, et celle des sociaux-démocrates aux élections, confirmée en 1890, cette loi finira par être annulée par Guillaume II en 1889, année de son accession au trône et de la IIe Internationale, et par entraîner le renvoi de Bismarck l’année suivante. En 1891, le congrès de refondation d’Erfurt solennise la victoire socialiste sur la répression bismarckienne, et la marche en avant de la classe ouvrière, voyant maintenant au-delà d’elle-même, se concrétise comme on l’a vu par la recherche du pouvoir politique.
27En France, si les socialistes ont progressé moins vite parce que, contrairement à Lassalle en Allemagne24, ils ne sont pas réformistes, leur progression est spectaculaire aux municipales de 1892 et aux législatives de 1893, et la tension est encore plus vive, car le régime entend lutter contre les nombreux attentats anarchistes. Les « lois scélérates » de 1893 seront des lois réglementant la liberté individuelle en interdisant les délits de presse (« apologie de crime »), les associations de malfaiteurs et toute propagande anarchiste ou antimilitariste, et elles sont confirmées sous le nom de lois Charles Dupuy après l’assassinat du président Carnot en 189425.
28Troisième entorse au credo libéral, qu’on l’interprète comme une concession obligée devant ce double succès des syndicats et des partis socialistes, a fortiori pendant la première crise économique, ou comme une reprise naturelle du mouvement général continu de démocratisation de la société, l’époque est marquée, dans les trois pays, par l’interventionnisme de l’État à travers les premières lois de protection sociale. En matière de système de retraite et d’assurance contre la maladie, la vieillesse et les accidents, l’Allemagne bismarckienne donne l’impulsion dès les années 1880, avant que la France ne se décide par étapes (en 1898 contre les accidents, en 1910 pour établir les retraites ouvrières) et que l’Angleterre, le pays du « self-help », ne légifère globalement qu’entre 1906 et 1911, mais en suivant des projets de loi sur la solidarité discutés entre 1870 et 1890.
29Ces remises en cause des certitudes libérales s’ancrent dans une période globalement agitée, où l’on passe vite d’une poussée progressiste à une inverse conservatrice. Après avoir fait alliance avec les libéraux contre les conservateurs catholiques du Zentrum dans le cadre du Kulturkampf, Bismarck renverse complètement l’alliance en 1878 ! En France, après une flambée terroriste vers 1890, l’anarchisme s’estompe aussi rapidement comme courant politique que l’idéal de l’association, et cette accalmie autour de 1900 correspond à une stabilisation du régime républicain ayant surmonté sa tentation réactionnaire : les partis monarchistes presque victorieux en 1885 se sont éteints en 1890, et le modèle du trône et de l’autel, que beaucoup ont voulu ressusciter au moment de l’affaire Dreyfus, devient subitement caduc. Si l’instabilité s’atténue en France, elle augmente en revanche en Allemagne où, après Bismarck, les chanceliers connaissent une carrière moins longue. Si les courants conservateurs y retrouvent de la vigueur après 1905, le syndicalisme reste très avancé et la social-démocratie, à la fois réformiste et nationaliste, continue de progresser très vite, intégrant le cartel anti-conservateur en 1909 et se taillant une bonne part (un tiers) de la victoire de l’opposition en 1912. En Angleterre, où l’on a pu voir que la synthèse traditionnelle de permanence et de changement de l’ère victorienne limitait l’instabilité en sachant faire progresser la société à temps, la grande grève victorieuse des dockers en 1889 est sans doute un tournant, car elle annonce une vague de syndicalisation socialisante à partir de 1890, et la création dix ans après du Labour Party, déjà fort en 1906 de ses premiers succès électoraux, marque la fin de la tranquille alternance « bourgeoise » entre libéraux (Whigs) et (pseudo-) conservateurs (Tories).
30Ce mélange de tradition et de modernité se retrouve dans le domaine artistique, où émerge d’ailleurs la notion de « classicisme moderne ». Est-ce vraiment un hasard si cette même année 1889 qui célèbre le centenaire de la Révolution française est aussi celle de la querelle du Disciple, le roman controversé de Paul Bourget ? Mona Ozouf estime dans Les Aveux du roman que « l’histoire n’a pas le monopole de la compréhension des événements passés. Il faut aussi compter sur le roman au XIXe siècle », et que « les fictions instruisent de l’histoire autrement que l’histoire elle-même26 ». En littérature, l’idée même de modèle est insupportable aux temps démocratiques, où l’on rejette tout type d’imitation et de conventions. M. Ozouf focalise son étude sur la France, car le doublet tradition/modernité y trouverait une cristallisation plus vive en raison de « la transition complexe entre l’Ancien Régime et une société issue de la Révolution » : « Le travail de l’oubli [de la Révolution] va prendre près d’un siècle. » Elle précise ensuite que,
« de cette guerre de Cent Ans entre l’Ancien Régime et la Révolution, la littérature est l’incomparable observatoire. Car elle-même est double […] aristocratique en son essence [mais] promise, quoi qu’elle en ait [en tant qu’expression de la société], à la démocratie […] sur le lent travail de transaction entre les deux France, celle de la tradition, celle de la Révolution, rien ne nous instruit mieux que le[s] œuvres27 ».
31des romanciers, sans doute parce qu’ils sont, plus que les autres écrivains, conscients que leur forme artistique, celle de l’âge bourgeois, doit évoluer en concordance avec la société moderne. Le roman est le « lieu où l’auteur et ses lecteurs prennent acte des contrariétés du réel28 ».
32Mona Ozouf y voit une idiosyncrasie française en s’appuyant sur Balzac :
« Que ce riche désordre soit une spécificité française, fruit de 1789, Balzac ne doute pas une seconde. Il l’oppose explicitement à une Angleterre pétrifiée dans les conventions, à une Russie ployée sous le despotisme. La France est le pays bigarré et mouvant où s’opère dans le tourment l’hybridation des deux tendances qu’elle porte en elle : tradition, révolution29. »
33Concrètement, l’« hybridation » se produit de deux façons. D’abord, le roman, genre démocratique, devient le conservatoire des valeurs aristocratiques, à commencer par la civilité, en nous présentant les classes supérieures, aristocratiques ou non, toutes pénétrées encore des valeurs de l’Ancien Monde, dont la tenue morale, réelle ou fictive, obsède tous les héros du siècle30. Ainsi, dans Le Mannequin d’osier d’Anatole France, Mme Worms-Clavelin, la femme du préfet républicain, tient « en haute estime l’austérité de l’éducation aristocratique et religieuse31 ». Ce goût du passé est généralement dénué de toute tentation rétrograde32 ; en revanche, comme toute aristocratie postule l’existence d’un passé prestigieux propre, l’existence de nouvelles élites devient problématique, comme l’avait senti Tocqueville, pour la société et pour la littérature des siècles démocratiques.
34On sait combien fut grande, chez Stendhal, Barbey d’Aurevilly33, Baudelaire, chez Tocqueville aussi, la crainte de l’indifférenciation démocratique. Mona Ozouf, en s’appuyant sur Balzac déclarant que « l’égalité produit en France des nuances infinies », valorise au contraire la capacité de la littérature, au moment de mettre en scène la rencontre des deux France (celle de la tradition et celle de la Révolution), à nous présenter « [d] es individus traversés par les conflits34 » tous soucieux de se différencier les uns des autres35, des figures toutes variées aux avis politiques divergents : « Le siècle multiplie les espèces politiques hybrides – ultras populistes, jacobins libéraux, républicains bonapartistes36. »
35Histoire contemporaine d’Anatole France en est un exemple parfait. La question épineuse du ralliement de l’Église catholique à la République multiplie les divergences d’opinions dans chaque camp, avant une redistribution des cartes supplémentaire au moment de l’Affaire, voyant des radicaux jacobins comme Mazure ou les socialistes guesdistes embrasser la cause antidreyfusarde. La vraie qualité de la mise en débat chez A. France tient précisément à la lecture de cette période complexe par des figures non schématiques, par exemple celle du père Deniseau, ex-communard devenu candidat socialiste mais qui a aussi « résisté à la gendarmerie […] lors de l’expulsion de trois dominicains37 », celle d’un autre ex-communard, Frémont, devenant officier de la Légion d’honneur, ou celle du juge Cassignol,
« accompagné de son antique probité et de la gloire d’avoir soutenu durant sa vie entière la cause de la liberté. Mais aucun d’entre eux n’aurait pu dire de quelle façon il était libéral, car aucun n’avait lu cette phrase d’une brochure publiée par M. Cassignol en 1852 sur les affaires de Rome : “Il n’y a de liberté que celle qui croit en Jésus-Christ et à la dignité morale de l’homme”38 ».
36La discussion de deux républicains convaincus, l’archiviste Mazure et l’universitaire Bergeret, sur ses convictions à l’occasion de sa mort, traduit toute l’ambiguïté des nombreuses significations que peut revêtir la notion même de libéralisme à la fin du siècle :
« Je ne savais pas qu’il fût si grand calotin. Il se disait libéral !– Il l’était, répondit M. Bergeret. Il lui fallait bien l’être, puisqu’il aspirait à la domination. N’est-ce point par la liberté qu’on s’achemine à l’empire39 ? »
37Les ambiguïtés de la modernité donnent même lieu chez France à d’ironiques réversibilités : l’ancêtre du pieux monarchiste Lerond a écrit un hymne à sainte Guillotine, le général monarchiste Cartier s’est pris de passion pour Sadi Carnot, l’agnostique Bergeret soutient paradoxalement l’abbé Lantaigne et sa théorie de la punition céleste contre le chrétien modéré Terremondre parce qu’il n’est « pas religieux mais théologien40 », l’abbé Guitrel pille les sacristies pour complaire à la femme du préfet, un athée opportuniste mais dont la fille est élevée dans un couvent parisien !
38Cette deuxième sorte d’hybridation devient l’observation privilégiée des romanciers réalistes. Évoquant, à l’image des intrigues emmêlées et des chemins de traverse, des personnages de royalistes anticipateurs et de républicains passéistes, M. Ozouf vante en littérature l’élasticité démocratique et cite Zola traitant selon ses propres termes « la bousculade de toutes les ambitions, l’élan démocratique, l’avènement de toutes les classes ; de là la familiarité des pères et des fils, le mélange, le côtoiement de tous les individus » et ajoutant : « Mon roman eût été impossible avant 178941. »
39Cet accent mis sur les nuances de l’hybridation, et l’inscription fine du « politique dans le domestique42 », expliquent sans doute la supériorité du roman de fiction sur le roman historique, où les intentions de l’auteur sont trop explicites et où les grandes figures éclipsent les individus ordinaires. C’est exactement ce sur quoi insistera plus tard Lukacs, montrant que le raccord épineux du tempo des événements et du temps intérieur des personnages est le fruit d’une fallacieuse égalisation. On verra au contraire combien ce raccord est naturel dans le roman fictionnel d’un Fontane. En revanche, ce dernier genre, quand bien relié à son contexte social, rejoint le roman historique en ce sens que l’hybridation de tradition et de modernité éclaire la genèse progressive d’une humanité en transformation permanente. Le présent devenant passé subrepticement, l’avenir émergeant insensiblement, ce genre de la durée est aussi celui de l’instabilité, comme le montre Lukacs, cette fois dans Théorie du roman.
40La littérature des temps démocratiques est le cadre d’une permanente régénération. À la fin du XIXe siècle, elle recycle le romantisme devenu la tradition romantique (comme le montre Mario Praz dans son analyse du décadentisme), recycle le réalisme dans le naturalisme, recycle toutes les formes de religiosité43 dans le symbolisme. Elle posséderait même une fonction métalinguistique, car, selon Mona Ozouf, « loin de se borner à faire voir les innombrables transactions d’une époque effervescente, le roman contribue lui-même à les accomplir44 ». Et de se référer à l’évocation par Hugo de la figure créatrice de l’artiste moderne dans William Shakespeare, qui, tel Napoléon son modèle, figure à la fois héroïque et de l’égalité (des chances), s’il consent aux transactions obscures et aux compromis incertains, connaît « l’admirable fortune de sortir d’une genèse, d’arriver après une fin de monde. Ils ne continuent rien, ils refont tout45 ». Pour Stendhal comme pour Robespierre, malgré le prestige des noms, les appuis mondains, les alliances des lignées, il est envisageable de déplacer les frontières du possible, l’avenir est grand ouvert aux « grands caractères ». L’artiste lit dans l’avènement de la modernité la possibilité de sa postérité.
41On l’a vu, pour Mona Ozouf, le roman français, et seulement lui en raison de la Révolution française, est l’observatoire de la tension entre tradition et modernité tout au long du XIXe siècle. Mais on peut penser que le cas français n’est pas une exception, que cette tension concerne en réalité une grande partie du roman européen, en tout cas la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ne serait-ce d’ailleurs que parce que la Révolution française, dans sa portée universelle, a profondément ébranlé les pays voisins. On peut par exemple évoquer, en 1871, Middlemarch de George Eliot, sous-titré A study of provincial life, dont l’action se déroule à la veille du Reform Bill de 1832 élargissant la représentation parlementaire.
42Comment cette tension (entre tradition et modernité) est-elle déclinée entre 1870 et 1913, non seulement dans le roman français mais aussi dans le roman britannique et dans le roman germanique, mais aussi dans une partie non romanesque de ces littératures, mais aussi dans d’autres champs artistiques (musique, peinture) et dans d’autres champs intellectuels (sociologie, philosophie), c’est ce que nous allons voir ici.
Notes de bas de page
1 Gauchet M., L’avènement de la démocratie II. La crise du libéralisme 1880-1914, Paris, Gallimard, 2007, p. 9-10.
2 Ce sentiment de continuité n’est pas incompatible avec celui, tout au long du XIXe siècle, d’une rupture sans précédent.
3 C’est ce que Bergeret explique à l’archiviste jacobin Mazure, dans l’article paru dans L’Écho de Paris le 27 décembre 1898 et non repris dans Histoire contemporaine, voir France A., Œuvres III, éd. établie, présentée et annotée par Marie-Claire Bancquart, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, notice de L’Anneau d’améthyste, p. 1147.
4 Gauchet M., op. cit., p. 10.
5 Ibid., p. 46.
6 Ibid., p. 51.
7 Ibid., p. 62-63.
8 Ibid., p. 303.
9 Ibid., p. 108-111.
10 Ibid., p. 117.
11 Ibid., p. 119.
12 Entre 1850 et 1913, 60 millions d’êtres humains migrent hors d’Europe, parfois 1 million par an.
13 Selon la formule de Guillaume de Greef dans L’Ère de la mondialité [1905], citée par M. Gauchet, ibid., p. 59.
14 Ibid., p. 62.
15 La notion, liée au colonialisme, devient explicite à partir de 1902, date du livre du libéral anglais J. Hobson, Imperialism.
16 L’Empire britannique a même pu être perçu fugacement comme le laboratoire d’une nouvelle version de la synthèse entre tradition aristocratique (externe) et modernité démocratique (au-dedans).
17 Ibid., p. 117.
18 Ibid., p. 305. La désillusion est sans doute moins rapide en Allemagne, parce que cette conviction est plus récente.
19 Ibid., p. 166-169.
20 De 41 à 67 millions entre 1870 et 1913.
21 C’est le pays de la plus grande interpénétration du capital bancaire et du capital industriel, à la fois très concentré et très implanté hors d’Europe sur les marchés chinois, ottoman et sud-américain.
22 Ibid., p. 84.
23 Il existe en fait une Fair Trade League anglaise depuis 1881.
24 Lassalle théorise la conquête pacifique par le suffrage universel, qu’Engels lui-même vantait comme une « arme des plus tranchantes ».
25 Il y est fait allusion dans L’Orme du mail d’A. France, in Histoire contemporaine, Paris, Calmann-Lévy, 1981, quand le juge Peloux condamne à cinq ans de prison trois anarchistes ayant distribué des tracts p. 168, avant que Bergeret, dans Le Mannequin d’osier, nous affirme p. 345 qu’elles ne seraient pas, donc plus appliquées.
26 Ozouf M., Les Aveux du roman. Le XIXe siècle entre Ancien Régime et Révolution, Paris, Gallimard, 2001, p. 25.
27 Ibid., p. 10.
28 Ibid., p. 341.
29 Ibid., p. 311.
30 Ibid., p. 299.
31 Histoire contemporaine, op. cit., p. 317.
32 Op. cit., p. 20.
33 C’est « la pierre ponce de l’existence moderne ».
34 Ibid., p. 10.
35 Voir, ibid., p. 315 : « Le monde des égaux, comme Tocqueville l’a senti et comme Balzac le montre, est celui où sont décuplés les tourments de l’envie et de l’amour-propre, exaspérés par la concurrence féroce […] La disparition des rangs, désormais sans légitimité, fait naître soit l’attachement désespéré aux anciennes distinctions, soit l’invention de vanités nouvelles […] Il faut à la fois gommer la distance avec ses supérieurs, la creuser avec ses inférieurs. La lutte de chacun pour ses prérogatives s’aiguise et s’amplifie dans une société où a vacillé le fondement indiscuté de l’autorité. »
36 Ibid., respectivement p. 311-314.
37 Op. cit., p. 76.
38 Ibid., p. 155. On notera encore, p. 535, le ministre des Cultes Loyer « surpris de découvrir chez son neveu des inclinations réactionnaires et cléricales ».
39 Ibid., p. 470.
40 Ibid., p. 326.
41 Op. cit., p. 331.
42 Ibid., p. 24.
43 C’est de 1885 que l’on date la résurgence des forces de l’irrationnel.
44 Ibid., p. 341.
45 Voir, ibid., p. 287.
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